M. de Castelnau en veut un peu, et amicalement, à M. Leroy. Il lui reproche d’avoir mis beaucoup trop de temps à comprendre qu’il n’était plus possible de donner sa voix au parti socialiste car pour lui ça fait longtemps qu’il est honteux de se compromettre avec un parti dont les deux mamelles sont la capitulation et la trahison. Jérôme Leroy, lui, est plus hésitant, plus modéré ou, si l’on préfère, plus mou.
Leurs deux articles sont joliment écrits et respirent – vertu rare de nos jours – la sincérité. Un débat que seuls eux peuvent trancher : les grandes questions ont besoin de solitude et d’intimité pour être pesées et soupesées. Régis de Castelnau, à l’appui de son mépris affiché pour les socialistes (sociaux-traîtres un jour, sociaux-traîtres toujours…), convoque ces derniers au tribunal de l’Histoire. Et là, son réquisitoire sonne comme une imprécation : l’abandon de l’Espagne républicaine en 1936, les pleins pouvoirs à Vichy, la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie… Même si les termes sont excessifs, comme il convient à un procureur, ce n’est pas faux.
Mais histoire pour histoire, il y en a une autre qui chemine parallèlement à celle du PS français. L’histoire du PC français. Et elle autorise qu’on pose la question : peut-on encore voter pour le PC ? Ils sont des centaines de milliers qui pourraient y répondre. Des morts et des vivants. Des centaines de milliers qui ont été chassés, exclus par le PC ou, plus encore, qui sont partis, en silence et la peine au cœur, orphelins et brisés. Mais qui irait interroger les cimetières ?
Les premiers sont partis en 1939 lors de la signature du pacte Hitler-Staline (particulièrement infâme car en cadeau le chancelier du Troisième Reich reçut des dizaines de communistes allemands exilés en URSS). Le plus connu d’entre eux s’appelait Paul Nizan. Le PC s’appliqua à l’enfouir sous des tonnes de silence et de calomnies. Il fallut attendre les années 1960 et la réédition de son Aden Arabie, admirablement préfacé par Sartre (oui, le Sartre qui avait dit que pour lui « tout anticommuniste était un chien »), pour que Nizan renaisse.
D’autres, moins connus, furent en 1944 effacés de l’histoire de la Résistance. Les membres de l’OS, la première organisation militaire clandestine du PC. On décréta pour des raisons de basse politique qu’ils n’avaient jamais existé. Pierre Daix, qui vient de mourir, a écrit un très beau livre sur ces réprouvés.
Mais année après année les vagues se succédèrent, toujours plus fortes. Les hitléro-titistes de 1948, quand Tito rompit avec Staline. Puis en 1953, quand les chars soviétiques écrasèrent la révolte des ouvriers de Berlin-Est, des communistes furent submergés de dégoût et se retirèrent à leur tour. 1953, une année terrible. Les potences de Prague pour les dirigeants du PC tchécoslovaque accusés de « sionisme ». Et le complot des « blouses blanches » de Moscou avec ses médecins juifs. Une version stalinienne des Protocoles des sages de Sion. Combien furent-ils alors à être exclus ou à partir car ils ne comprenaient pas le silence du PC fidèlement subordonné à l’Union soviétique ? Pour le Parti, c’était « right or wrong, my country ».
Les chars soviétiques, encore eux, firent à Budapest en 1956, et en plus sanglant, ce qu’ils avaient fait à Berlin en 1953. Ils reprirent du service en 1968 et écrasèrent le printemps de Prague. L’espoir, s’il y en avait encore, fut tué à jamais. Et ils furent des milliers, écœurés, à quitter le Parti. Depuis, un fantôme hante les couloirs de l’immeuble de la place du Colonel-Fabien. Celui d’un homme au beau sourire triste : Alexander Dubček.
On conviendra avec MM. Leroy et de Castelnau que l’histoire des socialistes français, c’est pas terrible. Mais celle des communistes, c’est pas mal le pied non plus. Il demeure que les socialistes ont maintes fois exercé le pouvoir, ce qui les amenés à pécher. Les communistes non. Sauf quand ils y ont été brièvement associés en 1944 et 1981. Donc ils n’ont pas eu à mettre les mains dans le cambouis. À regarder l’intéressant parcours du PC, c’est heureux pour tout le monde. Alors pour qui voter ? M. Leroy en pince pour Juppé. M. de Castelnau, lui, appelle à un « vote révolutionnaire » et pragmatique en faveur de Sarkozy.
Et moi ? Eh bien, concernant les présidents, c’est Félix Faure que je préfère. Il a eu une mort enviable à l’Élysée. Une fellation administrée par la belle et experte Mme Steinheil eut raison de son cœur qui lâcha. Plus sérieusement, depuis que je suis en âge de voter, j’inscris sur mon bulletin le nom de Mendès France. Ça ne sert à rien puisque mon vote est frappé de nullité. Mais ça fait plaisir.
*Photo : Wikipedia.org
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