J- 3! Juste avant la date limite du dépôt des candidatures au Conseil constitutionnel, Marine Le Pen, Eric Zemmour et Nicolas Dupont Aignan ont finalement obtenu les 500 parrainages requis. Enfin ! Mais ce n’est toujours pas gagné pour Christiane Taubira, qui n’en a collecté que 128 et risque donc de ne pas pouvoir se présenter. Frédéric Rouvillois et Christophe Boutin, tous deux professeurs de droit public, viennent de co signer un essai corrosif (Les parrainages: Ou comment les peuples se donnent des maîtres, La Nouvelle Librairie) sur ce système des parrainages dont on ne cesse de dire qu’il dysfonctionne sans jamais le changer. Entretien.
Rouvillois et Boutin remontent à l’origine du système, créé par le Général de Gaulle, afin de mieux révéler ses failles et blocages. Ils apportent ainsi à la polémique actuelle une épaisseur historique. Passer de 100 parrains anonymes à 500 parrains connus de tous revient pour nos auteurs à glisser lentement mais surement d’un suffrage universel vers un suffrage restreint, d’une démocratie populaire… vers une république censitaire.
Causeur. Depuis des années, à chaque élection présidentielle, on assiste au même scénario. Les candidats hors système peinent à récolter les 500 signatures d’élus nécessaires pour être reconnus officiellement candidats par le Conseil constitutionnel. Pourquoi ne pas réformer ce système au lieu de subir ces polémiques tous les cinq ans ? Comment expliquer ce statu quo ?
Frédéric Rouvillois. À chaque élection présidentielle depuis 1981, le système des parrainages suscite toujours le même malaise avec cette sempiternelle « chasse aux parrains » qui paraît interminable et à deux doigts d’échouer. Mais peu importe l’ampleur du malaise, force est de constater qu’il ne perturbe pas vraiment le jeu des grands partis traditionnels qui dominent le système. Au contraire, il conforte leur domination, et c’est d’ailleurs pour eux et par eux que ce système a été créé.
Avec le passage à 500 parrains, la loi organique de 1976 a en effet accru le rôle des notables. Et avec la suppression de l’anonymat en 2016, le système s’est resserré sur l’encadrement partisan ce qui a permis de contrôler qui fait quoi, et notamment, de sanctionner ceux qui décideraient de soutenir des candidats fantaisistes ou hors système.
En un mot, le mécanisme actuel ne fonctionne pas bien et suscite du coup, à chaque fois, les mêmes interrogations et la même suspicion : comment les micro-candidats sont-ils parvenus à récolter leurs signatures ? Grâce à quels liens occultes ou par quels moyens inavouables ? Et que se passerait-il si de très gros candidats ne se trouvaient pas, en définitive, sur la ligne de départ ? La démocratie, l’élection présidentielle, la Ve République, parviendraient-elles à se remettre d’un tel scandale ?
Marine Le Pen et Eric Zemmour ont reçu in extremis leurs 500 signatures. C’était moins une ! La collecte fut lente et difficile alors qu’ils représentent à eux seuls plus de 30% du corps électoral. Est-ce à dire que le système des parrainages, créé en 1962 pour faire barrage aux candidatures fantaisistes, fait aujourd’hui barrage à des candidats qui représentent un courant politique capable de rassembler des millions d’électeurs ?
Le système actuel des parrainages a été mis en place par la loi organique du 18 juin 1976 qui a élevé à 500 le nombre de parrains. Le but de cette présélection était d’empêcher les candidatures farfelues et de limiter le nombre de candidats. Après sept élections présidentielles, cette loi demeure la norme de référence. Elle a été modifiée sous le quinquennat de François Hollande avec la loi organique de 2016 qui a rendu public les parrainages auparavant anonymes. Mais non seulement la réforme de 1976 n’empêche pas la multiplication du nombre de candidats, le record étant atteint en 2002 avec 16 candidats contre sept en 1969, mais au regard du principe démocratique, ce système pose un problème. Ce sont, en effet, les candidats « hors système », souvent classés à droite, qui peinent à récolter les signatures requises, et qui demandent l’aide du système qui ne souhaite faire aucun effort. Jean-Marie Le Pen affirmait d’ailleurs que la réforme de 1976 avait été faite pour briser la montée du Front National. En réalité, les travaux préparatoires ne confirment pas cette hypothèse, mais il est vraisemblable qu’elle soit au moins partiellement exacte : si l’on restreint la liberté qu’a le peuple de choisir les candidats du premier tour, c’est parce qu’on ne lui fait pas confiance : parce qu’on pense qu’il pourrait sortir du « cercle de la raison » et se laisser séduire par des tribuns hors système, tel qu’apparaissait à l’époque Jean-Marie Le Pen, arborant fièrement son look de pirate et son bandeau sur l’œil.
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En quoi ce dysfonctionnement est révélateur d’un glissement d’une démocratie populaire à une “république censitaire” ?
Le problème vient du filtre mis en place. Il a, à la fois, des mailles trop larges laissant passer des micro-candidats dépourvus de toute représentativité, comme Nathalie Arthaud ou Jean Lassalle, et des mailles trop étroites bloquant des candidats représentant de larges courants d’opinion, mais privés d’implantation et de réseaux locaux nécessaires, comme Eric Zemmour ou Marine Le Pen.
On retrouve ici ce qui se passe avec le scrutin majoritaire. Dans les deux cas, le mécanisme en place n’a que des justifications très faibles, si on les compare aux problèmes qu’il suscite, notamment le fossé qui se creuse entre la représentation politique et le peuple. Mais étant donné que cela n’affecte pas les forces politiques installées qui seules pourraient changer les choses, eh bien… on ne change rien…
Le système des parrainages actuel, qui se veut donc transparent, a-t-il trahi l’esprit gaulliste de nos institutions ?
Tout à fait. En réalité, ce qui se trame derrière ce système des parrainages c’est un suffrage de plus en plus censitaire et donc une revanche sur le choix gaullien d’instaurer le suffrage universel direct pour élire le président de la République. Le général De Gaulle, en 1962, opposait précisément le suffrage universel direct, avec un filtrage des candidatures aussi léger que possible, au suffrage restreint, qui n’autorisait qu’un petit nombre de candidatures non choisies par le peuple. On peut rappeler que Georges Pompidou hésitait entre 2 et 5000 parrainages, et que Giscard proposait 15% des 42 000 parrains potentiels. La poire fut coupée en deux pour parvenir à 500, un nombre dont la pertinence reste toujours à prouver ! Il n’est donc pas étonnant que ce soit sous la présidence de ce dernier qu’ait été établie la règle actuelle, ce que vous appelez à juste titre le glissement d’une démocratie populaire à une république censitaire.
Si l’on restreint la liberté du peuple de choisir les candidats du premier tour, c’est parce qu’on ne lui fait pas confiance, parce qu’on pense qu’il pourrait sortir du « cercle de la raison » et se laisser séduire par des tribuns hors système, tel qu’apparaissait à l’époque Jean-Marie Le Pen et aujourd’hui les candidats nationalistes et Insoumis.
Par ailleurs, le principe de transparence démocratique, qui fut agitée pour justifier de la publicité des parrainages, est également contestable car ce serait exactement comme d’affirmer que la suppression du secret du vote, et donc la transparence qui en résulterait, serait un surcroît de démocratie, au motif que chacun doit assumer pleinement la responsabilité de son propre choix.
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Certains disent que le problème ne vient pas du système ni des élus réticents à parrainer un candidat trop extrême mais bien de l’offre politique de ces derniers. Qu’en pensez-vous ?
Certes, on peut toujours le dire. Mais il est évident qu’en démocratie, c’est au peuple souverain, et à lui seul, de décider si une « offre politique » lui convient ou non. Au peuple, et pas aux notables ou aux apparatchiks des grands partis. À ce propos, on peut citer une anecdote significative : en octobre 1962, alors que l’on va instaurer le principe de l’élection du président au suffrage universel direct, se pose pour la première fois la question des parrainages. À cette occasion, l’un des principaux ministres du Général De Gaulle, Edgard Pisani, propose une solution radicale : les 42 000 élus susceptibles d’apporter leur parrainage pourraient désigner les deux candidats dont « l’offre politique » leur paraîtrait la plus satisfaisante ; après quoi, il reviendrait aux électeurs de trancher entre les deux. Cela montre bien quelle est la logique du système des parrainages, et jusqu’où elle pourrait aller, jusqu’à quel niveau de dépossession de la volonté populaire…
Que faudrait-il faire alors pour réformer le système ? Que pensez-vous de l’initiative de Bayrou de créer une banque des parrainages ?
Le principe est louable et l’idée intéressante, la question étant de savoir si le Conseil constitutionnel, pressé par le gouvernement et soucieux d’éviter un cataclysme démocratique, accepterait d’infléchir sa jurisprudence pour valider pareil “bidouillage”. Mais quoi qu’il en soit, le mécanisme s’apparente incontestablement à une rustine ou à un sparadrap : il peut s’avérer utile cette fois-ci, pour éviter le pire, c’est-à-dire de laisser hors du jeu des candidats représentant plus de 30% de la population, mais il n’a pas vocation à devenir une solution pérenne.
Ce qui signifie qu’il est effectivement vraiment temps de penser à la suite, c’est-à-dire, à une réforme en profondeur du droit applicable – avec, pourquoi pas, l’institution d’un parrainage citoyen, comme le suggérait hier Lionel Jospin et aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon et avec, en toute hypothèse, un retour à l’anonymat.
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