« La France n’a pas besoin de réformes, elle a besoin d’une révolution. » Reçu sur France Inter à peu près comme s’il était le produit d’un croisement entre Homère et Shakespeare, « l’immense écrivain » Gérard Mordillat a gratifié le journaliste extatique de cette conclusion en forme d’oracle. C’est redevenu très tendance, ces jours-ci, la révolution : les gens doivent penser que ça ressemble à une comédie musicale des Martin Circus[1. Que les moins de 40 ans me pardonnent cette référence obscure et se donnent la peine de faire une petite recherche.] ou, en haut de gamme, à une pièce d’Ariane Mnouchkine. Comme c’est tendance, que les puissants se rassurent, elle n’arrivera nulle part ailleurs que sur nos plateaux de télé. Et lorsque les médias changeront d’humeur, l’ouvrier séquestreur deviendra le méchant et le patron séquestré la victime. (Déjà, il est presque vexant pour un patron, aujourd’hui, de ne pas avoir été séquestré.)
[access capability= »lire_inedits »]Les médias jouent donc, ce printemps, à se faire peur, c’est-à-dire plaisir. Le Nouvel Obs s’interroge, en lettres de feu, sur « L’insurrection française ». « Un “Mai 2009” est-il possible en France ? », s’interrogeait gravement le JDD fin avril – stricto sensu, la réponse est oui. En tout cas, « 1789/2009 », ça le fait, non ? Sentez-vous le fond de l’air « prérévolutionnaire » ?
Au risque d’attrister les amateurs de « Grand soir », on ne voit à l’horizon ni projet, ni parti, ni leaders révolutionnaires, ingrédients pourtant bien nécessaires à une révolution. Il est vrai qu’il y a la « colère » et surtout la « violence sociale », comme disent les experts qui sondent chaque jour les entrailles du pays. Ce n’est pas rien, ces ouvriers révoltés qui enferment leur « patron » – le plus souvent, des cadres qui n’y peuvent mais et feront partie de la charrette suivante, mais ce n’est pas le sujet.
On a envie, avec Marc Cohen, de dire qu’ils sont nos frères. Pas parce qu’ils violent la loi. Ni parce qu’ils rejouent à la lutte des classes. Ni même parce qu’ils sont désespérés. On se sent solidaire d’eux parce qu’on s’est foutu de leur gueule et que, face à ça, même la loi ne peut rien pour eux. Ni pour personne. Aucune loi n’interdit de mentir. De même qu’un amant peut proclamer son amour le lundi et le trahir le mardi, les dirigeants de Continental avaient le « droit » de mener leurs salariés en bateau en s’engageant à maintenir le site de Clairoix – en contrepartie d’efforts supplémentaires of course – puis de s’asseoir froidement sur leur engagement. Aucune loi ne peut obliger les êtres humains à se conduire décemment. Le saccage d’une préfecture, la séquestration, sont des délits. Pas le mensonge. Pas la trahison. Pas le foutage de gueule.
Il y a plus grave que la violation de la loi : c’est le renoncement à une loi non écrite, inscrite dans l’ADN des sociétés, peut-être au principe de la civilisation même. Quand les mots n’ont plus de poids, quand l’engagement pris n’a aucune valeur, ce n’est pas la révolution qui menace mais la désintégration. Ce qui est en jeu, avant la loi et au-dessus d’elle, est peut-être l’une des plus précieuses caractéristiques de l’espèce : le poids de la parole donnée. De la parole d’homme.[/access]
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