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Parité parfaite


Une fillette est morte, dans la nuit du 6 au 7 août 2009. La mère a d’abord déclaré la disparition de l’enfant, laissant croire à un enlèvement. Puis, très vite, les enquêteurs ont découvert l’affreuse vérité. À la fin, la petite fille ne fut plus qu’un tas de secrets atroces, un amas d’os brisés, de chairs meurtries, placé dans un sac poubelle, puis coulé dans du béton. Huit ans d’âge, six ans de calvaire, six longues années d’un tourment imaginé par son père et par sa mère, unis dans une sorte de commun accord de la perversité ménagère et du crime à domicile : les psychiatres lèveront le voile malpropre et rapiécé, derrière quoi, prétendent-ils, gît le mystère du mal. Son passage parmi nous ne lui aura été que douleur et effroi. Elle s’appelait Marina. Elle connut plus de stations que le Christ dans sa Passion, avant de parvenir à sa « Place du crâne », un soir où ses géniteurs s’acharnèrent sur elle avec plus de violence et moins de précision que d’habitude.

« Des fois Marina dormait dans le sous-sol […] des claques, des coups de pied, des coups de ceinture, des coups de poing. Elle avait du scotch sur elle quand elle était au coin […]et aussi une fois sur sa bouche parce qu’elle pleurait » […] elle se faisait taper plus, encore plus […] dans le bain, ils la prenaient par le cou et lui mettaient la tête dans l’eau » ».

La mère : Elle était sale, elle se pissait dessus, vous comprenez, ça m’énervait.
Le père (avec un geste de la main et une mine dégoûtée) : J’aimais pas, moi non plus.
Le président : Et que faisiez-vous pour la punir ?
La mère : Ah ben, ça dépendait ! D’abord, une rouste…
Le père : Ah ça, la rouste, c’était obligé, hein ! Quand on était ensemble, on s’la prenait à deux. Une torgnole pour papa, un coup de pied pour maman, chacun son tour, pas d’jaloux !
La mère : Ou alors, quand ça s’passait qu’mon mari était pas là, quand il rentrait, j’lui disais, et il descendait à la cave, où que j’l’attachais. Et puis, là, il lui foutait sa raclée ! (Elle rit soudain, se tournant vers l’homme) : Même qu’un soir, j’ai cru qu’elle était morte. Elle bougeait plus, tu t’souviens ?
Le père : C’est vrai, m’sieur l’président, c’te fois-là, j’y étais allé un peu fort, alors la môme, elle s’était évanouie. Mais bon, j’lai mise sous la douche froide, et elle est revenue à elle.
Le président : L’eau froide, vous en faisiez souvent usage, apparemment. D’après le rapport d’expertise, vous avez essayé de la noyer.
La mère : Ah non, m’sieur l’président, c’est pas d’ça qu’elle est morte, la gosse ! C’est vrai qu’on lui a fait boire la tasse, le jour où qu’elle est morte, mais ça l’a pas tuée. J’vais vous expliquer : on l’avait attachée, comme souvent, à la cave, avec des sangles, pour pas qu’elle chaparde de la nourriture, c’est qu’elle était voleuse, la petite, hein !
Le père : Pour ça oui ! Elle avait toujours faim !
Le président : Vous la priviez de nourriture ; parfois pendant trois jours.
La mère : Oh, oui, mais pas souvent, peut-être une dizaine de fois en huit ans ! Et c’était seulement après une grosse bêtise.
Le père : Ah non, j’m’excuse, m’sieur l’président, c’est plus que dix fois ; j’dirais au moins une fois par mois.
La mère : Tu crois ? Oh, j’me souviens plus ! On lui a fait tellement d’choses (bref sourire désabusé)!

«“ [Ma mère la forçait à] boire du vinaigre, du sel, elle devait manger les restes avec beaucoup de sel […] un verre, plein [de vinaigre]” » [1. Déposition vidéo du demi-frère de Marina.]

Le président : Qu’appelez-vous “une grosse bêtise”
La mère : Oh ben, un coup c’était la nourriture, l’aut’coup c’était sa robe tachée, une aut’fois, c’était qu’elle faisait du bruit dans la cave, qu’elle pleurait trop fort par exemple !
Le père : Ah ça, ma femme, elle supporte pas le bruit !
Le président : Quand votre fille régurgitait sa nourriture, vous la contraigniez, sous les coups, à absorber son vomi.
Le père et la mère se regardent, se tournent vers leur avocat, incrédules.
L’avocat : M. le président, mes clients n’ont pas compris la question, puis-je la leur expliquer ?
Le président : Inutile maître, je m’en charge ! Quand votre enfant vomissait, vous la forciez à manger son vomi.
La mère : Ah d’accord ! Oui, m’sieur l’président, encore un truc qu’on avait décidé ensemble, mon mari et moi : c’était pour lui apprendre à rien perdre, si vous voulez, pour la dresser, quoi !
Le président : Et le vinaigre que vous lui faisiez boire ?
Le père : Ah, ça, c’était carrément pour la punir, quand elle avait fait une petite bêtise. Le vinaigre, c’est pas méchant, on en met bien dans la salade (ils rient ensemble).
Le président : Allez-vous cesser !
Ils se figent, inquiets.
Le président : Vous la lanciez contre le mur, n’est-ce pas ? Vous faisiez cela souvent ?
La mère : Encore assez, m’sieur l’président. C’était pour rigoler, notez bien ; on avait appelé ça « la balle au bond ». On n’y allait pas trop fort, quand même, hein ! Et pourtant, elle avait la tête dure, j’peux vous l’dire. Elle écoutait jamais, elle obéissait pas : une vraie mule !
Le président : Elle avait beaucoup changé, physiquement, vous pouvez nous dire pourquoi, selon vous.
La mère : Ah ben, forcément, M. le président, à force qu’on la tabassait, son visage il avait gonflé. Mon mari, il l’appelait l’boxeur, parc’qu’il disait qu’elle avait une tête de boxeur après un combat !
Le père : Remarquez bien m’sieur l’président, que j’y allais pas trop fort, j’m’ajustais sur les coups d’ma femme.
La mère : C’est vrai. Toujours à part égale : j’y mettais un’gifle, il y mettait un’gifle, j’y envoyais mon poing, il la boxait.
Le père : Même que, souvent, c’est toi qui tapais le plus fort.
La mère : C’est vrai que j’y allais pas d’main morte, mais elle m’énervait tellement ! Et puis, y avait aut’chose.
Le président : Il y avait quoi ?
La mère : J’sais pas comment dire ; quand j’lui tapais d’ssus, et qu’elle criait, ou même quand elle avait peur, avant qu’on la tabasse, je r’sentais une drôle d’impression. J’pourrais pas vous espliquer, mais c’était… agréable. Enfin, si vous préférez, ça m’faisait plaisir de la voir dans c’tétat, entièrement à ma merci…
Le père, l’interrompant : … À not’merci ! Pareil, m’sieur l’président, je r’sentais une boule, ça m’excitait d’la voir s’affoler la môme.
La mère : Et puis, quand elle nous implorait, ça me rendait comme folle. J’avais envie de lui faire encore plus peur, de la frapper encore plus fort ! J’peux pas vous espliquer… Tenez, rien que d’vous en parler, j’en ai la chair de poule !

« “Marina a eu un stress intense depuis le milieu d’après-midi du 6 août”, a expliqué l’experte, Caroline Rambaud, devant la cour après analyse des résidus alimentaires retrouvés dans son estomac et ses poumons.
“La digestion s’arrête dès qu’il y a un stress important de l’organisme”, a-t-elle précisé. Le soir, nue et placée dans un bain froid, la fillette, entre autres coups, a reçu de son père une claque assez forte pour projeter sa tête sur le rebord de la baignoire et y faire un éclat, provoquant un “hématome sous-dural aigü” […] Ce sera cet hématome, cumulé aux scènes d’asphyxie en plongeant la tête de la petite fille sous l’eau à plusieurs reprises, le tout aggravé par l’hypothermie, qui vont causer sa mort, selon l’experte[2. Déposition de l’experte en anatomopathologie, AFP, 20 juin.]. »

*Photo : hello miss.quito



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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