Il y a des choses avec lesquelles on ne rigole pas, même entre gens bien. De plus en plus d’ailleurs. En France, traditionnellement, il y a l’argent, surtout celui des autres – toujours soupçonné d’être mal acquis. Essayez de lancer dans un dîner en ville qu’un ministre du Budget qui a un compte en Suisse, ce n’est pas glorieux, mais finalement assez amusant, et puis que ça ne fait pas de lui un tueur de vieilles dames, vos voisins s’étrangleront avec leur caviar (et ce n’est pas facile). Bon, on ne va pas pleurer si nos gouvernants ne piquent plus dans la caisse, même si on doit subir pour cela les airs outragés du parti de la transparence. Il faut bien de la vertu en quelque chose.
Dans notre beau pays, il est donc communément admis que l’argent, c’est sérieux. Au moins pouvait-on badiner avec l’amour – enfin, l’amour, vous voyez ce que je veux dire. Au pays de Rabelais et de Marivaux, les hommes et les femmes, les manœuvres des premiers pour déjouer les chichis, tourments et stratagèmes des secondes étaient le prétexte à d’inépuisables plaisanteries, subtiles ou grasses selon qu’on fréquentait les salons ou les salles de garde. Désormais, plus question de déconner avec la gaudriole ni avec tout ce qui, de près ou de loin, a quelque chose à voir avec la sainte cause des femmes. J’entends les froncements de sourcils. Bien sûr, vous, les violences conjugales, l’exploitation, la domination des mâles hétéroblancs, vous trouvez ça drôle. Non, je le jure, je ne rigole pas. Je l’avoue, la traque des compliments sexistes, comment dire, ça me chiffonne un peu, mais je vous assure, même les écarts de salaire, je trouve ça très sérieux.
En revanche, ce qui donne l’impression d’habiter un asile de fous, c’est que l’on puisse parler avec tant de sérieux du paritarisme échevelé et de ses innombrables inventions. Dans un monde normal, l’impayable scrutin à deux têtes tout juste sorti du cerveau fécond de la Bête idiote aurait provoqué un éclat de rire général. Pendant toute la campagne des départementales, j’ai ouvert l’œil et tendu l’oreille, espérant déceler, chez l’un ou l’autre de nos honorables commentateurs et commentateures, un vague soupçon d’ironie, une infime trace de scepticisme. Macache. Au contraire, un zèle appliqué, une ardeur à croire, un empressement à approuver ce scrutin à-chacun-sa-chacune, évidemment considéré comme une merveilleuse avancée pour toutes les femmes. Seul bémol concédé par les charmantes donzelles qui officient sur le tout-info, il est dommage qu’on ait dû faire une loi. Le monde serait tellement plus chouette si la parité existait naturellement en toutes choses – avec des naissances alternées fille-garçon par exemple.
Il faut dire qu’en février 2013, devant l’Assemblée nationale, notre bon Premier ministre avait bien expliqué ce qu’il convenait de penser : « La parité est un impératif démocratique ; elle est aussi le gage d’une nouvelle légitimité, d’un profond renouvellement, d’un nouveau souffle pour l’institution départementale dans son ensemble. » Mazette ! Faut vraiment avoir mauvais esprit pour être contre la démocratie, la légitimité et le renouvellement.
Alors, c’est peut-être moi le dingue qui roule à l’envers sur l’autoroute et se demande pourquoi tous les autres se trompent de sens. En tout cas, je n’y comprends plus rien. Il y a deux ans, la gauche s’employait à combattre nos vieux stéréotypes hétéro-genrés en délivrant le mariage du modèle bourgeois, façon monsieur et madame Michu, et voilà qu’elle nous le refourgue aux élections. En somme, maintenant que papa-maman c’est ringard au plumard, c’est branché dans l’isoloir, fallait y penser.
Voilà donc tous nos partis obligés de présenter des binômes au carré (avec les suppléants), c’est-à-dire, dans notre triste réalité machiste, de recruter dare-dare des centaines de femmes dont beaucoup se sont retrouvées candidates parce qu’elles passaient par là et qu’elles avaient vu de la lumière. On décernera la palme de l’humour à l’alliance Front de Gauche-Verts-PC qui, dans le canton de Belleville, dans le Rhône, a acoquiné monsieur Jambon et madame Pays, c’est malin ! J’aurais bien une idée encore plus farceuse (en vrai elle est de Gil Mihaely), qui consisterait à combiner des duos homme-femme et gauche-droite. Comme ça, à la fin, tout le monde gagnerait (sauf qui vous savez).
En attendant, il pourrait être assez avantageux, pour nous les filles, d’appartenir à une espèce protégée. Désormais, dans nos partis, nul n’ignore plus qu’une femme, c’est une bonne affaire. Le PS et l’UMP en savent quelque chose : depuis 2013, le financement public dont ils bénéficient est respectivement amputé de 1,4 et 4 millions d’euros par an pour cause de manquement aux règles du chabadisme lors des législatives de 2012. Quelques semaines avant le scrutin départemental, le trésorier de l’UMP, Daniel Fasquelle, avertissait donc ses chefs que, cette fois, le non-respect de la parité pourrait « ruiner tous les efforts » de son parti pour assainir ses finances. Tenez-vous-le pour dit : pas de nana, pas de chocolat ! Du reste, pourquoi s’arrêter en si bon chemin alors que tant d’opprimés demandent justice ? Je propose donc d’ajouter à la loi électorale cet article (qu’il faudra peut-être reformuler un brin): pas d’homo, pas d’esquimau ! Ainsi la gauche aura-t-elle une chance de voir se réaliser son rêve terranoviste – une femme à l’Élysée, un homo à Matignon.
PS. J’en profite pour saluer l’arrivée dans notre joyeuse troupe, par ordre alphabétique, du journaliste Hervé Algalarrondo, du cinéaste Jean-Paul Lilienfeld et du dessinateur Olivier Ranson. Preuve qu’à Causeur, nous avons des amis de gauche !
Cet article en accès libre est extrait de Causeur n°23. Pour lire le numéro entier, cliquez ici.
*Photo : Pixabay.
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