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Paris perdu, édition gagnante!

"La Zone verte" d’Eugène Dabit et "Les plaisirs de la rue" d’André Warnod (Collection Paris Perdu – L’Échappée)


Paris perdu, édition gagnante!
D.R.

L’Échappée, jeune maison de tradition parigote, exhume quelques trésors populistes de sa cave. Thomas Morales partage avec nous ses découvertes.


À L’Échappée, on sait accueillir le lecteur réfractaire, épuisé par une littérature égotisto-narcissique qui se pavane dans les lieux communs et prône la génuflexion permanente.

Dans cette maison qui a du pif et du palais, le bon sens du zinc et la mémoire ouvrière en héritage, on préfère le roman à hauteur d’homme, direct, franc du collier, naturaliste sans mièvrerie, populo avec ce style persifleur qui résonne dans la tête, toute cette belle amertume en bouche dont les gens de peu tirent leur lait quotidien.

On ne fait pas misérabiliste pour plaire au plus grand nombre, pour faire genre dans les salons, on se retourne sur un « Paris jadis » du côté de Montmartre ou des Halles, de ses rapins faméliques, rogues apaches et poètes bêlants, bohémiens et filles des rues, arpettes en goguette et chroniqueurs meurtris par la Grande Guerre, de tous ces chômeurs traînant leur musette sur les boulevards à la recherche d’une place précaire ou du « café du pauvre ». À L’Échappée, on n’a pas peur de se salir les mains, descendre à la cave, et par goût de l’ouvrage rare et de plumes indisciplinées souvent oubliées par les officiels de la culture, d’exhumer quelques flacons couleur mouise et parfum vineux.

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C’est raide comme la réforme des retraites. Âpre souvent, sans rémission, sans rédemption, noir cafard, seulement éclairé par le talent d’écrivains qui ont saisi le poids de l’errance sur les consciences. Le ciel sombre et bas semble l’horizon indépassable de tous ces éternels déclassés qui nous ont précédés.

La maison d’édition est partie en chasse de romans qui leur rendent hommage et nous projettent dans une capitale encore non-gentrifiée mais toujours en proie à une violence sourde. Leur collection s’appelle « Paris perdu » et nous avertit : « Si le vieux Paris n’est plus, sa nostalgie, plus belle encore, demeure. Dans les cœurs, dans les têtes, dans la littérature, dans cette collection ». Elle nous promet jusqu’en 2025 un calendrier des plus bath ! Attention, lecteurs nostalgiques, portés sur le bizarre et l’équivoque, le pavé suintant et les chambres de bonnes, l’habitat insalubre et les amours impossibles, vous allez être aux anges.

Paris perdu et retrouvé

Ne défaillez pas tout de suite. Je déballe la marchandise à venir. Sont prévus donc au catalogue : Choses et gens des Halles de Charles Fegdal, Fréhel d’Alain et Nicole Lacombe, Le vin blanc de la Villette de Jules Romains, Rue des Prairies de René Lefèvre, Paname de Francis Carco et Rue du Havre de Paul Guimard. Quand on republie Carco et Guimard, on ne peut pas être un mauvais éditeur. Il y a des signes élémentaires qui ne trompent pas. Nous sommes entre honnêtes hommes qui apprécient une langue disparue, celle de l’uppercut social et de la descente en cascade. Si vous aimez la quiétude des intérieurs bourgeois et le ronron des convenances, passez votre chemin.

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Ces héros-là, plus vrais que nature, n’ont rien à offrir que leur déveine en partage. Dès le printemps, chers lecteurs assoiffés d’eau de Seltz, amoureux de rognons dansants et de bleus élimés, L’Échappée vous propose deux titres au puissant relent populiste. D’abord La Zone verte d’Eugène Dabit (1898-1936) – l’auteur n’a pas seulement écrit L’Hôtel du Nord. Nous suivons l’exode urbain de Leguen, peintre en lettres sans emploi, en grande banlieue, qui a l’espoir de ramener du muguet en prévision du 1er mai. Le citadin pure souche, asservi au métropolitain et au gaz pas du tout hilarant, sera sans doute étonné de retrouver un frère, à 90 ans de distance. Comme le rat des villes cherchant son carré de gazon éperdument après la crise Covid, Leguen se remplit les poumons d’une campagne à 50 kilomètres de Paris. Il revit, il respire à nouveau, même le casse-croûte n’a plus tout à fait la même saveur, à l’air pur. « Il songea à Paris, sa ville natale, qui lui apparaissait en ce moment laide et monstrueuse, avec ses arbres malades, ses squares tristes, ses bois de Boulogne et de Vincennes où des autos et des foires coloniales rappellent l’homme. Une ville faite pour vous désespérer. Et c’est là qu’il faudra retourner vivre. Vivre ? » écrit-il. Chez Dabit, Carco ou Mac Orlan, la quiétude n’est que passagère. Dans un village dépeuplé ou à la Bastoche, la fatalité fait son lit.

Reporter historien

Autre « nouveauté », Les plaisirs de la rue d’André Warnod (1885-1960), reporter-historien, chroniqueur-illustrateur de la vie parisienne, et ami des artistes, nous amène à la Foire à la ferraille, sur le boulevard Richard-Lenoir ou dans les bals musette. Sa fille, Jeanine Warnod, née en 1921, nous présente l’œuvre de son père dans une préface lumineuse.  Entendez-vous au loin le sifflet du contrôleur ? il est l’heure de grimper dans cette machine à remonter le temps.

La Zone verte d’Eugène Dabit et Les plaisirs de la rue d’André Warnod – Collection Paris Perdu – L’Échappée

La zone verte

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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