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Pantomimes et voix humaine

La chronique de Monsieur Nostalgie


Pantomimes et voix humaine
Réception de Jean Cocteau à l'Académie française, octobre 1955 © UNIVERSAL PHOTO/SIPA

Il y a 60 ans disparaissait Jean Cocteau (1889-1963), la collection Les Cahiers Rouges de Grasset réédite cinq textes rares du Prince des Poètes dans un volume intitulé « Paris »


On peut être irrité par l’attitude. Exagérément pittoresque. Touche-à-tout confinant à l’ivresse. L’art de la conversation flirtant avec le bavardage ; la langue apprêtée jusqu’à en perdre haleine ; l’esprit turbinant à faire exploser les mécanismes savants ; le personnage dionysien, farfadet opiomane de lui-même, faussement aérien et dramatiquement léger, picorant dans chaque discipline l’esprit du moment. En somme, Parisien dans son acception pleine et entière ; enfant terrible d’un siècle naissant. Sautillant et grave. Boulevardier et tragédien. Quand cette nationalité, car il s’agissait bien d’une identité géographique avant-guerre, avait encore un sens, une réalité esthétique et portait en elle, le sceau des plaisirs les plus mordants.

Grasset

On ne naissait pas impunément dans la Capitale aux prémices de la Belle Époque. Bien que né à Maisons-Laffitte, Cocteau accompagna, initia, suivit parfois, devança souvent les grands mouvements de balancier du XXème siècle dans un Paris épicentre de tous les arts, des ballets russes au dadaïsme, du surréalisme au cinéma, des ateliers de couture à la scène, de la céramique aux bosquets du Palais-Royal, de la bohème bourgeoise aux ors académiques, une vie dédiée à l’expression sous toutes ses altitudes. Frénétique et irisée. Comme si cette vie fragile ne pouvait pas s’envisager sur un rythme moins saccadé, plus attentiste et anodin, indifférent au fatras des modes.

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Trop orgueilleux et trop talentueux pour laisser sa place, Cocteau a été au cœur du réacteur de la création. Même s’il employait le mot « poésie » sans modération, sa marque, son génie et ses raccourcis, se révèlent aujourd’hui au premier coup d’œil. C’est ce qu’on appelle la persistance d’un style. Bien peu d’artistes accèdent à cette renommée-là. La seule chose vraiment ratée à son actif, erreur fatale du calendrier, maudit mois d’octobre, se situe précisément le jour de sa mort. Il eut la mauvaise idée de partir un jour après son amie Edith Piaf. La môme lui rafla les suffrages des gazettes. Elle n’avait pas l’habitude de partager la vedette. Le rappel des foules fut pour elle. Pour se rendre compte du personnage hors-cadre et de la virtuosité de son imaginaire, il faut revoir le long entretien accordé à Roger Stéphane en avril 1963. Dans ce portrait-souvenir, on se régale de chaque saillie, de chaque évocation, de chaque agencement de mots parce que Cocteau fait défiler tous les songes et ses proches : Picasso, Radiguet, Satie, Rostand, Diaghilev, Chanel, etc. Il démarre cette conversation par un mensonge, une coquetterie d’homme installé : « J’ai perdu le brio » et il se révèle bien entendu brillant dans l’énumération de ses premiers emballements artistiques en parlant de sa passion du cirque, notamment du célèbre duo « Foottit et Chocolat » ou des multiples perruques de Rossini. Quand il se lance sur le sujet Gabrielle Chanel, naturellement les formules lui viennent à la bouche. Au début de sa carrière, avant qu’elle ne devienne le visage du commandeur de la rue Cambon, selon lui, elle était « silencieuse », « une petite auvergnate », « une tête de cygne noir » qui vendait des tricots Shetland. Quant à Diaghilev toujours sans le sou, il « portait une pelisse tenue par des épingles à nourrices ». Élu en 1955 au fauteuil 31 de l’Académie, le même qu’Edmond Rostand, Cocteau a cette merveilleuse prémonition : « Son rêve aurait été d’être Mallarmé ». Il qualifie Picasso de « grand perturbateur du trafic ». La définition a du chien. On retrouve ce don pour faire danser les phrases dans le recueil Paris suivi de Notes sur l’amour. Sur cette ville, il alterne les caresses et les coups de griffe, il se méfie de son aura. « Paris n’est point aimable. Paris est agressif. Le premier choc amène une détente. C’est alors que le fat estime la bataille gagnée ; elle commence. Une ombre de réussite cache une interminable période creuse » écrit-il. Ajoutant plus loin : « Paris possède un estomac d’autruche. Il digère tout. Il n’assimile rien ». Il se fait plus nostalgique sur son quartier du Palais-Royal : « Cette petite ville gardée par les chats, possède ses mœurs, ses manies et ses indigènes, indigènes pareils à certains vieux gondoliers de Venise qui n’ont jamais vu ni cheval ni voiture ». Difficile de faire mieux, alors on s’incline et on savoure.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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