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Paris n’est pas (seulement) une fête

Paris a été pendant quinze jours une uchronie


Paris n’est pas (seulement) une fête
Cérémonie de clôture des JO de 2024, Stade de France, le 11 août 2024. Julia Mineeva/TheNews2/Cover Images/SIPA

Au cours des JO, la France – comme la vile de Paris – a pu construire une image des plus positives d’elle-même qui a dupé jusqu’à ses propres citoyens. Pourtant, le décor urbain construit pour ce grand événement garde un côté Potemkine. Pour nos deux chroniqueurs, certains des pires épisodes de l’histoire française ont été précédés par des moments de grande liesse populaire.


Ça ne commençait pourtant pas si bien… Sabotage massif à la SNCF opérée par une mystérieuse cinquième colonne, polémiques byzantines sur le sexe des athlètes et des interprètes de la cérémonie, on pouvait espérer que les Jeux Olympiques confirment les prophéties ronchonnes qui annonçaient les pires catastrophes : drones islamistes fonçant sur le public, nageurs attrapant la tourista en avalant la tasse séquanienne. Finalement, à la surprise générale, la quinzaine s’est formidablement bien passée, avec un nombre extrêmement réduit de polémiques et de couacs. On espérait pourtant le pire. Les premières images des rues grillagées évoquaient Pyongyang la veille de l’enterrement de Kim Il-Sung. Miracle ! Paris a su être une fête dans cette ambiance cyberpunk.

Sous le signe du cul-cul international

Dès la cérémonie d’ouverture, « Imagine » chanté par Juliette Armanet annonçait la couleur : des Jeux placés sous le signe du cul-cul international. Critiquée, la prestation de Philippe Katherine tout de bleu peint avait au moins eu le mérite d’inscrire la France dans sa grande vocation : être la grande embêteuse du monde. Si jamais on avait un doute, « Imagine » allait bien le leitmotiv de la quinzaine lorsque le morceau fut dégainé, en plein match de volleyball, pour atténuer les tensions entre joueuses brésiliennes et canadiennes. La musique adoucit les mœurs. Le sport rapproche les peuples ; pour un peu, c’était le tableau du Douanier Rousseau, « Les représentants des puissances étrangères venant saluer la République en signe de paix » (on est alors en 1907…).

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Ce fut d’ailleurs un carnaval sportif : Léon qui fait clac avec ses mains, Tom Daley en mode grand-mère qui tricotte son pull aux motifs kitsch et annonce sa retraite prématurée, la réponse du boxeur algérien à la boxeuse italienne, la libido de Jules Bouyer sur les réseaux sociaux… il y en avait pour tout le monde !

Forte de son succès, riche de son autocélébration complaisante, une nouvelle France est née cet été ! Souriante, enjouée, athlétique, torse nu, fluide et festive, optimiste, souriante, enjouée… elle acclame Léon, voit des policiers se tenir bras dessus bras dessous avec des touristes qui pourront dire comme Renaud : « J’ai embrassé un flic ». Pour un peu, les serveurs apporteraient le café en prononçant « enjoy », à la manière de leurs homologues londoniens.

Délestée pour partie de ses autochtones les plus hostiles, la capitale a vu déferler tout ce que le monde compte de gens enthousiasmés par des courses en sac ou des tournois de ping-pong. Tant pis pour les ronchons, les nez-rouges et les piliers de bar qui lisent Le Parisien au zinc le matin. Tant pis pour les commerçants patibulaires, les automobilistes irritables et irrités de ne pouvoir jouir de trois mois de vacances. Tant pis pour les rombières et leurs caniches des beaux quartiers. Tant pis pour le laborieux prolétariat des cuisines et des camions poubelles. Tant pis pour les étudiants verbeux en chambrette. Dans leur maison de campagne, chez leurs parents, au Bled, avec leur femme dans leur pavillon de banlieue… tous ceux qui ont pu fuir l’ont fait. Sur les écrans du monde : juste l’éternelle foule avinée et réjouie, heureuse parce qu’on lui a dit de l’être, passionnée de sport sans toujours en faire. Paris a pu offrir son plus beau visage de ville lumière, chassant du même coup ceux qui vivent à son ombre.

Une tranche de bonheur obligatoire

Paris a été pendant quinze jours une uchronie, une projection de la France avec un Lionel Jospin victorieux en 2002. Anamnèse fukuyamesque d’une fin de l’histoire qui ne fut que la fin des années 1990. Ville du cool, à mi-chemin entre Barcelone et Brighton. Dans la division internationale du travail, dans l’ultra spécialisation de l’archipel des métropoles mondiale, Paris n’a pourtant aucun intérêt à singer la capitale catalane, car il n’y fera jamais 37 degrés six mois sur douze et il n’y aura jamais la mer, sauf dans les pires prédictions d’Yves Cochet. De la même façon qu’il faut des films pour adultes avec des femmes naines unijambistes, Paris doit rester froide, grise, triste, pluvieuse… parce qu’il y a des gens qui aiment ça. Nous les premiers qui n’ont pas forcément aimé reprendre une tranche de tourisme et de bonheur obligatoire. 

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Et puis, dans l’histoire du pays les quelques moments d’enthousiasme ont souvent été les préludes des plus grands massacres. La France a toujours eu la gueule de bois un peu dure… En 1790, à la Fête de la Fédération, le roi et les Révolutionnaires célèbrent l’unité ; Talleyrand dit la messe. En montant à l’estrade, il glisse à Lafayette : « Par pitié, ne me faites pas rire ».  Le compte à rebours de la monarchie est déjà lancé. En 1936, accordéon, guinguette et musette dans les usines. Entre le Front Populaire et la débâcle de 1940, quatre ans, l’intervalle qui sépare deux Olympiades.



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