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Paris n’est pas une fête…


Ce n’est pas dans les rues d’un New York en noir et blanc que Woody Allen plante le décor de son dernier film, Minuit à Paris, mais sur les quais de Seine d’un Paris lumineux. Gil, (Owen Wilson) un scénariste hollywoodien à succès, est venu passer quelques jours dans la capitale des amoureux avec sa future épouse (Rachel McAdam) et sa belle-famille. S’il n’est pas l’intellectuel binoclard, paranoïaque, hypocondriaque, sarcastique, qui parle de ses angoisses névrotiques et de sa vie sexuelle, en mêlant note de désespoir et touche d’humour juif, sur le divan de son shrink, Gil est bien, avec son allure de surfer californien, un autre alter ego de Woody Allen . Soucieux, comme les autres personnages alleniens, de connaître le véritable sens de la vie, de l’art, de l’amour, il n’a qu’une seule idée en tête, trouver l’inspiration qui l’aidera à écrire son premier roman.

Paris sur cliché

Mais voilà comment filmer Paris sans tomber dans le désolant piège du cliché ? Difficile surtout lorsque les personnages sont des touristes qui se contentent de traverser en taxi les beaux quartiers de l’ouest Parisien, de faire leur devoir culturel au musée Rodin avec pour conférencière la première dame de France, ou bien d’accomplir l’inévitable pèlerinage au château de Versailles.

Si Woody Allen nous a épargné le thé chez Ladurée ou le baiser sur le bateau-mouche, il n’a pas pu, malgré tout, s’empêcher de flatter le narcissisme des Parisiens qui applaudissent fébrilement à la vue de nos monuments bien connus ou bien aux tentatives avortées de l’un des personnages de prononcer à la française, la Sorbonne ou Versailles. Un peu facile non ?
Mais revenons à l’histoire. Ce qui sauve le film du Paris stéréotypé, c’est l’intrusion de la magie qui opère, comme dans les contes de fées, à l’heure fatidique de minuit. Minuit, l’heure du rêve a sonné. Le Paris plaqué de la carte postale s’évapore et le Paris en fête des années folles s’anime.

Retour vers le passé. La machine à remonter le temps est une traction avant qui, surgit de nulle part, emmène Gil vers une autre époque, un autre Paris, celui des années folles où l’effervescence pétillante de la vie artistique attirait écrivains, peintres, poètes, chanteurs, danseurs venus du monde entier pour profiter de l’énergie créatrice que Paris insufflait alors.
Abasourdi par ce qui lui arrive, Gil sympathise avec le Scott Fitzgerald, danse le fox-trot avec Zelda, prend un verre avec le tumultueux Hemingway, boit les paroles de la grande prêtresse de la critique littéraire et artistique, Gertrude Stein, écoute les conseils surréalistes de Dalì, et tombe sous le charme d’Adriana, (Marion Cotillard), la muse de Picasso.
Après cette virée dans le Paris des années 20, la chambre d’hôtel du Bristol, aussi luxueuse soit-elle, paraît à Gil bien fade et la réalité qui l’entoure véritablement absurde, surtout lorsqu’il doit subir les discours prétentieux de l’ex de sa fiancée qui croit tout savoir sur tout. Woody Allen ne manque pas l’occasion d’épingler une fois de plus le snobisme de cette caste de pseudo-intellectuels qui étalent un savoir formaté sur l’objet d’art. On ne peut que sourire de nostalgie devant le décalage entre le verbiage mécanique de la pédante critique professorale et l’impulsivité fantaisiste d’un Dalì obnubilé par la vision phallique d’un rhinocéros dégoulinant.

Cette immersion dans le Paris des années folles peut être comprise comme la métaphore du processus créatif ou bien alors comme la mise en scène rêvée de l’œuvre que Gil est en train d’écrire. En tout cas, aussi hallucinatoire soit-elle, elle est source de révélation et d’inspiration pour Gil et dessine en creux une critique qui effleure le spectateur aussi imperceptiblement que les plumes vaporeuses du boa de Joséphine Baker.

Parce que sous les aspects gentillets du film, Woody Allen montre bien que Paris n’est plus la ville qui inspire par son présent. Le Paris de 2010 est une ville-musée, une ville-brocante, une ville-touristique alors que c’est le Paris ville lumière et cosmopolite de l’entre deux guerre, qui pourrait inspirer Gil, quand la culture était une vie réellement vécue et pas un produit consommable, que les artistes se souciaient davantage de leur art que de sa valeur marchande et qu’ils refaisaient le monde lors de soirées exubérantes plutôt que sur des plateaux-télé.

Alors, en effet, cette hétérogénéité des styles, des débats, des couleurs sur l’air jazzy d’un Cole Porter avait de quoi mettre en branle l’imagination !
On est cependant frappé par la quasi-disparition des artistes français de ce Paris en fête. Chanel et Cocteau sont simplement mentionnés comme pour saupoudrer la conversation de paillettes françaises. Quant à Aragon, Matisse, Braque, Morand, Gide et les autres, ils sont totalement absents, comme s’ils n’avaient jamais existé. Est-ce la façon qu’a trouvée cet amoureux de Paris pour faire passer en douceur sa nostalgie d’une ville disparue ?



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