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Colette à toutes les sauces

« Paris, je t’aime ! » (L’Herne, 2023)


Colette à toutes les sauces
Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette (1873 - 1954) © MARY EVANS/SIPA

Pour fêter les 150 ans de l’auteur du Blé en herbe, le recueil de textes Paris, je t’aime ! aux éditions de L’Herne est une belle entrée en matière


On n’en peut plus. Nous sommes gavés depuis le début de l’année. L’estomac chargé à bloc, le trop-plein nous guette. En magnet, en replay, en fiche « cuisine », en vignette Panini ou en tattoo, Colette, née le 28 janvier 1873, se vend à la découpe pour son 150ème anniversaire. Tout est bon à commercer avec ce nom qui fit vendre, par le passé, des millions de livres sans en lui rapporter vraiment beaucoup.

La légende brouille les écrits

Colette en ballon dirigeable, en comédienne dépoitraillée, en maquilleuse fauchée, en déménageuse frénétique, en VRP des « Claudine », en villageoise interdite, en bourgeoise sans dot, en mémère à chat du Palais-Royal, en faune roulant les « r » bourguignons, en baronne aux fourneaux, en féministe-arriviste des tréteaux, en amoureuse d’Oncle Max, en épouse avertie donc méfiante, en fille de capitaine ruiné ou en chromo de la Belle Époque, de Saint-Sauveur à l’Académie Goncourt, dans l’œil de Sido ou de Willy, elle aura enfilé tous les châles de l’existence. La publicité a toujours précédé ou suivi l’onde de son œuvre. Son image rabotée pour cadrer dans la légende finit par brouiller ses écrits. La lit-on, encore aujourd’hui ? Elle sert le plus souvent de porte-étendard ou de porte-manteau pour des idées qu’elle n’avait pas, c’est la rançon du succès.

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On l’affuble de toutes les marottes modernes, elle serait, tour à tour, et en même temps, soumise et émancipée, libérée et neurasthénique, sensuelle et perverse, affabulatrice et insatiable, victime et avide, ayant le sens des affaires et la cuisse légère. La gloire vous fait endosser autant de louanges que d’avanies. Y a-t-il une vérité ou plusieurs vérités Colette ? Les masques interchangeables ne sont-ils pas le privilège des auteurs, leur seule rente ? Alors, pour s’approcher du phénomène littéraire, goûter à sa prose verte et académique où s’entremêlent ardeurs physiques et prudences d’écolières, le recueil intitulé Paris, je t’aime ! aux éditions de L’Herne s’articule autour de textes judicieusement choisis, présentés et annotés par deux érudits de cette grande dame, Gérard Bonal disparu en 2022 et Frédéric Maget.

Eloge de la rondeur

Ces quelques chroniques donnent faim car on y voit tout le talent équivoque de Colette, sa sensibilité dans un gant de crin, l’éloge de la rondeur et de la jouissance maintenu par une fine bride de fer, une manière de tordre le réel pour le faire entrer dans son imaginaire. C’est, me semble-t-il, dans cette chaleur corsetée, ce plaisir chagrin, que la phrase de Colette s’infiltre en nous, à mi-chemin entre la rêverie nostalgique et la soif de revanche, entre le manuel du savoir-embrasser et les convenances.

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Pour accompagner ses réflexions sur la capitale, les auteurs ont recensé toutes ses adresses parisiennes, du 55, quai des Grands Augustins entre le 16 mai et 28 juin 1893 au 9, rue Beaujolais, au 1er étage, en 1954, l’année de sa disparition. Colette avait théorisé « les provinces de Paris », cette extraterritorialité sentimentale qui s’apparente à une Atlantide intérieure. « Soixante ans de Paris n’ont pas fait de moi autre chose qu’une provinciale en quête, sur vingt arrondissements et deux rives de fleuve, de sa province perdue » écrit-elle. Cette déclaration douce-amère à la ville lumière avait pourtant mal démarré. « Comme beaucoup de grandes amours, celui que je porte à Paris a commencé par l’aversion », on dirait du Guitry ou du Jules Renard, c’est du Colette. « A quel moment ai-je découvert que Paris n’existait pas, qu’il n’était qu’un amalgame de provinces liées par le plus ténu des fils conducteurs, qu’il m’était loisible d’y reconstituer la mienne ou toutes celles que mon imagination choisirait d’y délimiter ? » poursuit-elle dans cette veine qui lui est propre, l’affirmation de soi par l’exploration du passé. Et puis, on se délecte de sa chronique du 27 janvier 1939 sobrement titrée « J’aime être gourmande ».

Tartine de beurre et homard grillé

On souscrit à son bon sens paysan. Elle nous avertit qu’« en matière de cuisine, l’inspiration n’a jamais valu grand’chose ». « Un bon plat est l’affaire, avant tout, de modération et de classicisme » explique-t-elle pour avouer : « Mon estomac, remarquablement conservé, est celui d’une bourgeoise gourmette et gourmande ». Et je vous laisse méditer cette sentence finale : « Le vrai gourmet est celui qui se délecte d’une tartine de beurre comme d’un homard grillé, si le beurre est fin et le pain bien pétri ».

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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