Les éditions Allia ont exhumé début février, pour notre plus grand plaisir, un essai qui a paru la première fois en 1857 à l’imprimerie Balarac Jeune (Bordeaux). Son titre, Paris n’existe pas, est assez provocateur et mystérieux pour que l’on s’y intéresse. Cet ouvrage fait partie des trésors cachés de notre littérature. À la fois méconnu, iconoclaste, brouillon, enlevé, agaçant, ce pamphlet d’une centaine de pages flirte avec tous les genres et tous les styles. Ses contours sont si mouvants qu’ils pourront rebuter les amateurs de ligne claire et de pensées précises. Amateurs de rationalisme, passez votre chemin.
Son auteur, Paul-Ernest de Rattier est, à lui seul, un personnage relativement flou, tour à tour écrivain, poète, créateur de journaux, infatigable polygraphe de son temps. Dans ses notes et annexes érudites, Laure A. Bordonaba avoue que l’on sait très peu de choses sur cet écrivain né à Bordeaux en 1828. Elle avance une hypothèse pour cerner ce touche-à-tout des lettres : « toute sa vie, il semble avoir poursuivi passionnément deux buts : faire reconnaître son aristocratique ascendance et conquérir une place au panthéon littéraire ». S’il récupéra bien sa particule, sa postérité littéraire, malgré tous ses efforts, ne dépassa guère les limites de la Gironde. Et pourtant, la lecture de Paris n’existe pas s’avère toujours instructive, souvent visionnaire, parfois confuse mais, à aucun moment, ennuyeuse. Car le style boursouflé de Rattier, tout en exagération et lyrisme, a quelque chose d’arlequinesque.
Voyez plutôt la prose capiteuse et explosive du bordelais quand il définit le vrai Paris comme une cité naturellement « noire, boueuse, maleolens, étriquée dans ses rues étroites comme dans un habit de lycéen, fourmillant d’impasses, de culs-de-sac, d’allées mystérieuses, de labyrinthes qui vous mènent chez le diable ; rejoignant les toits pointus de ses maisons sombres tout près des nuages, et vous jalousant ainsi le peu d’azur que le ciel du nord veut bien aumôner à la grande capitale ». Ouf, fermez le ban ! C’est touffu, intense, imagé, sinueux et finalement revigorant. La littérature contemporaine qui s’est drapée dans une platitude généralisée ferait bien de s’inspirer de ce disciple de Cyrano, foutraque, dégueulant d’épithètes. Son emphase naïve et pétillante nous rafraîchit les synapses. Dans sa démonstration, Rattier vante le vrai Paris, moyenâgeux, perclus de saletés et de mauvais sentiments. On se dit que l’on a affaire à un splendide réactionnaire qui s’enthousiaste d’un Paris qui « aime à loger la misère à côté de l’opulence », « très épris de sa puissance civilisatrice et politique » ou qui « prend les vaudevilles pour des opéras-comiques, les marrons de la Bourse pour des banquiers, les hommes de lettres pour des grands hommes, les chats pour des lapins et les rois constitutionnels pour des rois ». Toute la malice, l’ironie peut-être de Rattier, tient à ce tour de passe-passe. Dessiner un vrai Paris aux traits sombres pour mieux persifler sur ce qu’il appelle le faux Paris, l’haussmannien, « l’usurpateur », « plein d’air et de soleil ». Ce faux Paris aux larges avenues est très proche de celui que nous connaissons, il est pétri de modernité aveugle et d’humanité soupçonneuse. Ce Paris factice, ripoliné et javellisé brille par sa vacuité. Rattier regrette qu’on ne permette pas « aux grandioses édifices de s’encanailler de la compagnie des cahutes de basse extraction, de s’encoquiner des petites gens ».
On croirait voir nos métropoles du XXIème siècle avec leur centre urbain rutilant, leurs hôtels grand luxe, leur expansion économique et leur misère environnante. Là où le pamphlet de Rattier déroute, c’est dans son double message. S’il fustige ce faux Paris, raille sa bienveillance, son honnêteté, sa religiosité, il ne le condamne pas complètement, il en devine même « sous ces modestes apparences le génie et l’avenir ». Au-delà du vrai ou du faux Paris, Rattier esquisse un Paris intemporel, catharsis de l’âme française.
Paul-Ernest de Rattier, Paris n’existe pas (Allia)
*Photo : Moyan_Brenn.
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