C’était l’entre-deux guerres et le monde d’avant. La France était, pour les Américains, le pays des arts, des lettres, des femmes, des alcools forts et des vins délicats. Henry Miller vivait ses jours tranquilles à Clichy ; Fitzgerald se disputait avec Zelda sur la Riviera ; Hemingway buvait rue Delambre. Tendre était la nuit et Paris, une fête. Fitzgerald, pourtant, alors qu’il faisait lire à Hemingway les premières pages de The great Gatsby, à la Closerie des Lilas, s’inquiétait : « Qu’est-ce que les riches ont de plus que les autres ? » La réponse d’Ernest tomba, guillotine narquoise : « De l’argent. ».[access capability= »lire_inedits »]
Dans Tout Paris, Bertrand de Saint-Vincent se souvient de l’esprit de fumée et de brumes de Fitzgerald et de « Papa » Hemingway. Avec la mélancolie de l’élégance, ombre portée de soufre et de délicatesse : « Il y a chez les individus de grande fortune, beauté ou intelligence, autant de grandeur et de bassesse, de distinction et de grossièreté, de tristesse et d’ennui que chez leurs contemporains moins dotés ; peut-être un peu plus en ce qui concerne la tristesse et l’ennui. ».
Chroniqueur des soirées mondaines qu’il fréquente, à la tombée du jour, pour Le Figaro, Saint-Vincent flâne sur les pas du regretté Jean-Michel Gravier. Lui aussi courait sous les étoiles pâles, entre la fin des seventies et les premières années Mitterrand. Dans Le Matin de Paris, son rendez-vous s’appelait : « Elle court, elle court la nuit. » Gravier fanfaronnait et se moquait pour cacher ses larmes : les stars crevaient lentement, remplacées par de fantomatiques silhouettes pas encore appelées people.
« À partir d’un certain âge, toutes les femmes sont blondes. »
Saint-Vincent appartient à cette lignée, qui doit autant à Jacques Laurent – le plus dandy des hussards, qu’il a biographié brillamment − qu’à Jacques Chazot, le prince saganien des humoristes et père de Marie-Chantal. Il regrette la disparition des aristocrates excentriques, des riches héritières new-yorkaises ou des magnats de la pampa. Ils avaient une autre tenue que Loana − Cendrillon se réveillant grosse comme son carrosse − ou Massimo Gargia revisitant Paroles, Paroles. Ou qu’un ancien Président de la République appelant son épouse : « Maman ». Ou encore qu’un zozo très contemporain déclarant : « Je fais de l’immobilier, mais c’est l’art qui m’intéresse. ».
Dans les palaces, les fashion weeks et les clubs privés, Saint-Vincent en voit de belles: « À partir d’un certain âge, la plupart des femmes sont blondes. Le scalpel d’un chirurgien ou l’incertaine magie d’un filtre a effacé les rides sur les visages des uns et des autres et fait gonfler les lèvres et les seins des dames. Certaines sont plus couturées qu’une robe. ».
Tout le monde n’est pas Michel Déon arrivant directement d’Irlande à un cocktail, Pierre Schoendorfer fumant une cigarette avec Gérard Manset et François Armanet, Arielle Dombasle, héroïne glamour et rohmerienne, évoquant Maurice Ronet et Paul Gégauff, ou le camarade Basile de Koch annonçant, chez Castel : « Chivas régale ! ».
Pourtant, si Saint-Vincent épingle les vaniteux et les cocottes à bout de souffle tapinant pour un téléphone portable, il ne juge jamais. Il préfère s’attarder auprès d’une jeune femme brune aimant la danse et le chocolat, deviser avec Pierre Cardin ou Karl Lagerfeld et saisir au vol tout des caractères humains. Moderne La Bruyère de la business classe et du village people, il joue des nuances pour révéler l’époque, comme dans ses Fragments d’impertinence et son Roman de la victoire – où la campagne présidentielle 2005 prenait la forme d’un western amer. Entre les lignes de Tout Paris, Fitzgerald et Hemingway sourient.[/access]
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