Le projet très contesté de la Tour Triangle, consistant à construire un édifice de 180 mètres de hauteur à la porte de Versailles, représente une tentative de plus pour détruire l’harmonie architecturale de Paris. Qui soutient ce projet ? Anne Hidalgo…
Il est prévu qu’une Tour Triangle soit édifiée Porte de Versailles dans le XVe arrondissement de Paris et se déploie sur une superficie totale d’environ 80 000 mètres carrés. D’aspect pyramidal, elle devrait atteindre 180 mètres de hauteur et être dotée de 42 étages comprenant bureaux, commerces, restaurants et salles de conférences. Cette construction urbaine de vaste ampleur a été décidée en 2008 par l’ancien maire de Paris, le socialiste Bertrand Delanoë, malgré 64% de Parisiens s’y déclarant opposés[1]. Il s’agissait alors d’un accord conclu entre la Ville et Unibail-Rodamco, un groupe financier d’envergure internationale, spécialisé dans l’immobilier commercial, la promotion et l’investissement dans de grands centres commerciaux. Mais le Conseil de Paris (rejet du 17 novembre 2014), les élus de l’arrondissement, plusieurs politiques ainsi que des associations (comme Monts 14 ou Tam‑Tam) et de simples riverains s’opposèrent à ce qui promettait d’être l’édification la plus importante depuis celle de la Tour Montparnasse en 1972. L’abandon de ce projet constitua même l’un des principaux thèmes de la campagne municipale de 2014.
Devenue maire de la capitale, l’ancienne première adjointe en charge de l’urbanisme, Anne Hidalgo, s’est toujours montrée farouchement partisane de la réalisation de ce gratte-ciel. Le principe de cette dernière a été finalement approuvé par le Conseil de Paris le 30 juin 2015 et le permis de construire obtenu en mai 2017. Madame le maire a présenté alors une nouvelle version du plan initial avec hôtel de luxe, restaurant, espace culturel et de coworking, le tout associé à une large zone commerciale. Dans le même temps, passant outre la volonté des administrés, le Conseil de Paris a multiplié l’adoption de textes autorisant un déplafonnement qui permettrait d’édifier des tours sur six sites parisiens.
L’inauguration de la Tour Triangle devait avoir lieu en 2017, mais de multiples recours ont été déposés par des associations et des conseillers municipaux auprès du tribunal administratif de Paris afin d’en bloquer l’accomplissement. Finalement, ce projet architectural aboutira-t-il en 2024 comme le prétendent aujourd’hui les édiles parisiens ? Rien n’est moins sûr : voyons donc pourquoi.
Les plaintes déposées auprès du PNF
Rappelons que le 9 octobre 2020 une première plainte avait été déposée auprès du PNF (Parquet national Financier) par Anticor. Puis, à la suite du rapport très critique de la Chambre régionale des comptes publié la même année, Rachida Dati avait à son tour saisi cette institution judiciaire au nom de son groupe Changer Paris. Selon l’ancienne ministre de la justice, la Ville aurait accordé au groupe Unibail-Rodamco-Westfield un avantage financier exorbitant à l’occasion du renouvellement de sa concession d’exploitation sur le parc des expositions de Versailles.
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Enfin, le 13 décembre 2021, aux côtés des associations, SOS Paris, ADHAPE, FNE IDF et de la conseillère de Paris Danielle Simonnet (LFI), l’association France Nature Environnement vient de déposer une nouvelle plainte auprès du PNF contre madame le maire de Paris, Anne Hidalgo, et la SCI Tour Triangle. Se fondant sur l’article 432-14 du Code Pénal, les plaignants dénoncent à cet égard un délit de favoritisme dans l’attribution du marché public d’exploitation, plus précisément un « délit d’octroi d’avantage injustifié » concernant la Tour Triangle. Ils font valoir que ce projet serait entaché d’illégalités parce qu’il existerait notamment un détournement de la commande publique et un défaut de mise en concurrence fondé sur une violation du code des marchés publics. Or, si la juridiction fait droit à leur requête et juge que le projet est effectivement entaché d’illégalité, les travaux seront suspendus, voire définitivement interdits. Mais en attendant ses conclusions et alors que des opérations préparatoires et exploratoires de déblaiements sont déjà à l’oeuvre, Ies requérants demandent un moratoire sur les travaux principaux qui devraient théoriquement débuter courant janvier 2022. Finalement, au vu du dossier, le PNF a jugé la requête recevable et a ouvert une enquête.
Le spectre des Jeux Olympiques
L’espoir des opposants repose aussi sur le fait que cette construction doit pouvoir répondre aux conditions du décret d’application de la Loi Olympique 2018. En effet, ce texte stipule que tout chantier aux abords des installations des Jeux Olympiques 2024 ne peut être lancé que si son achèvement peut intervenir avant le lancement des JO 2024. Or, comme les travaux devraient durer au minimum 36 à 37 mois et que la situation sanitaire a par ailleurs induit nombre de difficultés supplémentaires, il semble impossible que l’ensemble du chantier puisse être achevé dans le respect de ce cadre juridique. Enfin, la pandémie a produit des effets négatifs sur la situation du promoteur Unibail-Rodamco-Westfield, au point que ses actions en bourse ont brutalement chuté de 74% début 2020. Certes, le groupe a débloqué 9 milliards d’euros en novembre dernier pour renforcer son bilan et réduire son endettement. Mais en cette période d’incertitude et de labilité mondiales, la solidité financière du groupe n’est pas pour autant pleinement garantie.
Logique financière versus intérêt général
Certes, il est bien question de la construction d’un immeuble privé sur un terrain privé. Mais cela ne signifie pas que tout soit pour autant permis car ce projet met directement en jeu – sinon en péril – l’intérêt général et le patrimoine urbain qui a valeur de bien commun. En effet, comment justifier l’érection d’une tour de verre et d’acier, hautement énergivore destinée à fournir des milliers de mètres carrés de bureaux dans une zone qui en est déjà saturée ? Soulignons à cet égard un étrange paradoxe : l’équipe municipale défend aujourd’hui un dossier allant directement à l’encontre de la ville bioclimatique et végétalisée qu’elle prône par ailleurs en permanence de manière radicale sinon fanatique.Pourtant aux antipodes de cette ligne doctrinale visant officiellement à préserver le bien-être et la santé des habitants, Anne Hidalgo entend imposer coûte que coûte la logique financière d’investisseurs internationaux détenant le plus grand portefeuille de centres commerciaux au monde.
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Devant ce que certains dénoncent déjà comme un possible scandale politico-financier, vient s’ajouter le risque de voir un gratte-ciel disgracieux porter atteinte à l’architecture de la capitale au style si emblématique et harmonieux. En l’occurrence, il est clair que cette entreprise porte en elle la volonté politique d’altérer la singularité de Paris, sa beauté et son histoire multiséculaire. Pire, marquée au sceau du wokisme et de la cancel culture, elle s’apprête à saccager des siècles d’histoire qui ont conféré jusqu’ici à cette capitale une particularité que le monde entier admire et bien souvent nous envie. En fait, sous couvert de modernité et de nouveau paysage urbain du XXIe siècle, ce projet ne représente rien moins qu’un véritable attentat urbanistique. Optant pour un urbanisme mondialisé, standardisé et déraciné, Anne Hidalgo et son équipe plébiscitent « Un gigantisme qui s’étale » pour reprendre le mot du grand historien Lewis Mumford[2]. Mais ce choix directement issu d’une absurde théorie quantitative du développement urbain risque de s’opérer au détriment de toute continuité historique et de toute harmonie architecturale qu’exigent toutefois plus que jamais de vieilles cités comme Paris.
Au printemps 2020, lors de la dernière élection municipale, Anne Hidalgo, candidate à sa réélection, avait catégoriquement et publiquement écarté la perspective de briguer l’Elysée en 2022. Pourtant, peu après avoir remporté un nouveau mandat, elle a été désignée par le PS candidate à l’élection présidentielle le 14 octobre 2021. Mais sa campagne reste en berne, passant au fil des semaines de 5% à 2% d’intentions de vote. Critiquée au sein du Conseil de Paris aussi bien par l’opposition que par les membres de sa propre majorité – notamment les élus EELV – elle est aussi harcelée par nombre de Parisiens mobilisés dans le cadre du mouvement #saccageparis et de la Fédération Union Parisienne pour la sauvegarde de Paris[3]. Devant une situation si calamiteuse, une chose est sûre : le lourd contentieux de la Tour Triangle pourrait bien lui infliger le coup de grâce et s’avérer rédhibitoire pour son avenir politique.
[1]. En 2004, à l’occasion de l’élaboration de son Plan Local d’Urbanisme (PLU), la ville de Paris a consulté 820 000 ménages parisiens. 120 000 questionnaires sont ensuite revenus complétés à la direction de l’urbanisme. Au terme de ce sondage, il est apparu que les Parisiens refusaient à 64% la construction d’immeubles de grande hauteur, cf. https://metropolitiques.eu/Les-Parisiens-opposes-a-la-grande.html.
[2]. Lewis Mumford, La Cité à travers l’histoire, [1961], Paris, Seuil, 1964, p. 676.
[3]. Cette association de défense des intérêts des Parisiens et de leur cadre de vie dans la ville de #Paris réunit : #SaveParis #saccageparis Association Rouler Libre, Comité Marais Paris, Association VRET, Parisiens en colère! Sauvons notre Paris! Paris Propre. Elle prépare actuellement une action en justice aux fins de mise sous tutelle de la Ville de Paris. Parmi un très grand nombre de griefs majeurs, l’UP ! reproche en effet à l’équipe municipale : un dette abyssale de plus de 7 milliards ; le refus d’Anne Hidalgo de justifier ses frais de représentation ; la- dégradation du patrimoine ; le manque d’entretien et de personnel de la voirie, l’insalubrité et mauvaise gestion du service de propreté, etc.
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