Désormais, en France, au Danemark, vouloir vivre libre, vouloir penser librement signifie prendre un risque mortel. Affirmer ce droit c’est prendre le risque d’être assassiné par des personnes qui veulent imposer leur ordre au prix du sang. On connaît la logique historique de ces projets : le fascisme, le nazisme, le stalinisme, le maoïsme ont déjà terrorisé, massacré ceux qui refusaient cet ordre. Aujourd’hui, au nom de l’islam, certains veulent imposer un ordre totalitaire identique. Ce fascisme islamique adopte un fonctionnement semblable à celui de ses prédécesseurs : d’une main tirer à la kalachnikov contre ses ennemis, d’autre part présenter une face attirant la sympathie ou la compassion. Sous ce masque, se profile un projet proche de celui des tueurs : conquérir. L’Europe est une terre de conquête. La voie de l’islam serait la solution spirituelle pour une Europe désenchantée, déchristianisée. En utilisant la passif de la colonisation les islamistes soft cherchent à culpabiliser. En utilisant l’argument de la relégation sociale les mêmes cherchent à innocenter les auteurs des crimes : ce serait la misère et l’islamophobie qui seraient à la source de ces gestes désespérés. On connaît la musique et les paroles. Le Danemark n’a colonisé personne et pourtant le voilà la cible de cette haine.
Nous ne sommes plus aujourd’hui dans une configuration de débat policé. Certains tuent et d’autres sont tués : les ricaneurs de Mahomet et les Juifs. Pourquoi les juifs danois ? Qu’ont-ils fait aux musulmans ? Ont-ils eu le tort d’avoir eu un roi, Christian X, roi du Danemark, qui incita ses concitoyens en 1942 à porter l’étoile jaune en signe de solidarité avec les juifs danois quand son pays fut occupé par les nazis ? Quelle superbe coïncidence symbolique ! Les nazislamistes partagent, depuis longtemps, les mêmes objectifs que leurs maîtres à penser. On a trop vite oublié que le grand mufti de Jérusalem, Hadj Amin El Husseini, était un grand admirateur d’Hitler, que le banquier nazi suisse, François Genoud, fut un serviteur zélé des mouvements nationalistes arabes et qu’Aloïs Brunner trouva refuge en Syrie dans une histoire plus récente. Certes c’est du passé, mais le passé rejoint le présent dans les tueries de Paris et de Copenhague. Un écrivain algérien, Boualem Sansal, fut le premier intellectuel issu du monde arabe a avoir eu le courage de dire ces vérités. Mal lui en prit. Pour avoir osé briser le tabou suprême : s’être rendu en Israël à l’invitation d’un rassemblement d’écrivains, le voilà traité de traître, de harki des juifs etc.
Les seuls à ne pas l’avoir fait sont tous ceux qui au contraire voyaient dans le signe arabe le ferment de l’émancipation des peuples en lutte pour leur liberté. Ce qui fut vrai ne l’est plus. Ni la colonisation, ni la supposée islamophobie ne peuvent justifier ou excuser aujourd’hui ce qui est commis au nom de l’islam. Ceux qui ont la mémoire courte devraient y regarder à deux fois avant de faire la leçon car leur responsabilité est immense dans la caution « progressiste » donnée à ces luttes. Algérienne d’abord : en refusant de nommer les crimes du FLN, ils ont donné des gages à toutes les violences passées et présentes commises en Algérie. Les seuls à l’avoir fait furent ces intellectuels algériens premières victimes de la terreur islamiste. Palestinienne ensuite : en refusant de considérer la part antijuive du nationalisme palestinien, en faisant de l’antisionisme un vecteur progressiste, les Etienne Balibar, Alain Badiou et autres Edgar Morin on cautionné des mises en équivalence abjectes, celle de la svastika avec l’étoile juive sur toutes les banderoles « anti impérialistes » des années 2000. Ce sont des « mort aux juifs » très progressistes qui furent criés l’été dernier à Sarcelles. Ceci accompagne cela : Merah, Nemmouche, Kouachi et Coulibaly, n’ont sûrement pas lu ces grands auteurs mais ils ont navigué dans un air du temps qui leur soufflait que le Juif était du côté du Mal parce que le juif était pour Israël et qu’Israël c’était le démon. Ceci n’a rien à voir avec la critique de la politique du gouvernement d’Israël.
Aujourd’hui, nous voilà accablés devant ce champ de ruines et inquiets devant l’avenir et ce n’est certainement pas par l’effet d’annonce d’une « politique de peuplement » que nous réduirons la folie qui gagne certains esprits islamiques. La France et l’Europe font face à une agression, une « guerre » ont même dit quelque temps le Président Hollande et le Premier Ministre Valls. Cette guerre serait le fait de « l’islamisme radical ». Pourquoi ce pléonasme ? Pourquoi dire deux fois une même idée ? Pour réduire la responsabilité de l’islamisme qui serait bien gentil s’il n’était pas radical ? On ne le répètera jamais assez avec Camus : « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. » Commençons donc à nommer les choses.
La radicalité de l’islam se suffit largement à elle-même. Des penseurs musulmans sont les premiers à le dire. Sans une réforme des canons de l’islam rien ne bougera, et cette réforme ne peut venir que de l’intérieur, elle ne peut être élaborée par ceux qui se réclament de cette culture ou de cette spiritualité. C’est avec le même souci de recentrer la responsabilité première que la culture de l’excuse doit simultanément être abandonnée au profit d’un discours de responsabilité : on ne devient pas un tueur parce que ses grands-parents ont été colonisés ou parce qu’on est né pauvre ou victime du racisme. Déresponsabiliser l’acte criminel au profit d’une explication sociologisante ôte au crime sa part autant réelle que symbolique. L’affirmation de la loi doit être son corollaire à condition d’enraciner ces principes dans une histoire et dans des pratiques : « ici c’est comme ça » pourrait-on faire remarquer à certains, « ici c’est comme ça qu’on s’habille, ici c’est comme ça qu’on se comporte, ici c’est comme ça qu’on parle, c’est comme ça qu’on s’adresse à autrui ». « Obéir aux lois et coutumes de son pays » devrait constituer la règle première d’une pratique commune permettant de vivre ensemble. La démocratie ne consiste pas à accepter tout et n’importe quoi. Rappeler Descartes pour défendre un certain héritage français et affirmer que le rap « Don’t laïk » de Médine relève d’une laideur complémentaire aux mots d’esprit de Dieudonné. Il y a des germes de haine dans ces paroles et ces images. Le film « 24 jours » d’Alexandre Arcady, racontant la barbarie dont fut victime Ilan Halimi en 2006, montre exactement la deshumanisation de certains morceaux de notre humanité. « Ça » s’est passé à côté de chez nous. Pourquoi des jeunes nés en France préfèrent-ils cet autre « ça » ? Shootés à l’Internet, la haine est devenu un support spirituel et la haine du juif un code de conduite. Enracinée dans un très ancien discours commun au Maghreb, cette haine sert d’aliment de base au ressentiment social. Elle s’est approprié les moyens techniques nécessaires à sa prolifération.
Si la France veut faire l’économie de la guerre civile annoncée, elle doit réaffirmer ce qu’elle a de meilleur et assumer son histoire, toute son histoire. La conscience des faiblesses inhérentes à la démocratie devient moins lourde à porter dès lors qu’on ne se ment pas, et cela permet d’exiger des autres un effort similaire. Dans le non-dit des relations franco-arabes ce n’est pas la concurrence des mémoires qui joue mais bien plus la mise en accusation de la France par elle-même autant que par son ancienne colonie. Cette attitude est à l’opposé de ce que l’âge adulte de l’Algérie aurait le devoir d’assumer et la France le droit d’exiger. En attribuant à la colonisation une responsabilité imprescriptible dans leurs désastres actuels, les anciens colonisés s’interdisent un avenir qui leur soit propre et les supposés Indigènes de la République préfèrent s’enfermer dans un statut de néo colonisés alors qu’ils disposent en France de toutes les libertés formelles et réelles. C’est de cette culture du ressentiment que se nourrissent ceux qui, ici, ont fait du djihad une seconde guerre de libération.
Cette démocratie ne peut croire en elle-même que si elle repense, réinvente son modèle spirituel, autre que technocratique, consumériste et marchand. Or il fait défaut aujourd’hui dans la démocratie française, dans cette Europe en paix fragile, une raison d’être plus exigeante que celles de produire et de consommer. Les libertés dont nous jouissons, notre idéal de liberté, l’esprit de la démocratie, sont indifférents à ceux qui sont en manque de croyance excommunicatrice et espèrent trouver le paradis dans une spiritualité mortifère. C’est donc à une refonte de tout notre appareil conceptuel qu’il faut travailler, et cela va bien au-delà de l’affichage d’une charte de la laïcité dans les écoles. Quel spectacle la démocratie donne-t-elle d’elle-même en Europe aujourd’hui ? Celui du mensonge, de l’imposture, de l’hypocrisie, du double discours. Faut-il donner les titres des affaires : Bettencourt, Wikileaks, HSBC, procès du Carlton, Bygmalion. Les égouts débordent. La démocratie permet sans doute d’en être informé. Quelle triste consolation !
Ceux qui sont aux commandes de l’Europe devraient prendre conscience des fragilités présentes. Les Trente Glorieuses sont très loin derrière nous. Nous avions espéré que la chute du mur de Berlin signifierait la fin d’une histoire, mais sûrement pas ce choc des civilisations que certains s’efforcent de construire patiemment. Voilà que c’est la pire alternative qui est en train de se profiler. Au lieu de regarder leurs nombrils avec délectation et 2017 comme la fin de leur histoire, nos grands leaders et nos grands penseurs devraient méditer cette formule gravée dans le marbre du monument dédié aux Marines à Washington : « Freedom is not free. » Il manque à l’Europe un Churchill.
La liberté n’est pas gratuite.
*Photo : OLESEN PETER HOVE/AP/SIPA. AP21676609_000001.
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