La haine antisémite et la haine d’Israël sont au centre de l’idéologie islamiste radicale. C’est une grave erreur ou une grande hypocrisie de séparer les deux, et de nier le rapport des actes antisémites commis par des musulmans radicaux avec l’existence d’Israël, avancent Fadila Maaroufi et Yana Grinshpun.
Par Fadila Maaroufi et Yana Grinshpun
Nous avons écrit ce texte, en mélangeant nos analyses et nos témoignages personnels des marches successives contre « l’antisémitisme » qui se sont tenues à Paris et à Bruxelles à l’intervalle d’un mois. Le style de l’écriture peut sembler inhabituel, car les témoignages personnels se croisent avec des analyses, mais c’est aussi une manière de montrer que nous pouvons tous être à la fois acteurs et analystes des mouvements sociaux importants qui agitent notre société.
Les phénomènes idéologiques qui provoquent les actes de haine doivent être combattus, personne dans notre société ne peut le contester. Rappelons le contexte dans lequel les marches dans les deux grandes villes européennes se sont tenues. Le 7 octobre, l’organisation terroriste islamiste du Hamas, l’émanation des Frères Musulmans dans sa version la plus radicale, a attaqué les civils israéliens sur leur sol, en tuant, violant, mutilant, et filmant les meurtres comme preuves de la déshumanisation totale de l’ennemi juif et sioniste. Malgré la persistance de certaines voix publiques qui essaient de présenter le Hamas comme un parti politique, il est nécessaire de comprendre que le Hamas est d’abord et avant tout une émanation d’une idéologie religieuse musulmane ultra-radicale, un mode de vie, une mentalité qui contrôle tous les secteurs de la vie de ses citoyens depuis le berceau. Les crèches, les écoles, les colonies de vacances, les universités, les mosquées, la culture sont les lieux où l’on enseigne la haine des Juifs et a fortiori des Israéliens. L’extermination de ces derniers est inscrite dans la charte du Hamas. Le 7 octobre a eu lieu la tentative de réaliser le Plan. Qui fut bien plus grandiose que ce que le monde a pu voir, selon les informations obtenues à ce jour. Israël devait être détruit entièrement, ce qui n’est pas arrivé uniquement à cause des problèmes d’organisation internes du Hamas et du Hezbollah. Les Israéliens ont répondu à ces attaques, en décidant d’en finir avec l’existence du Hamas, qui régnait en maitre à Gaza, élu en 2006 à 75% de voix. La guerre que mène Israël est une guerre existentielle, celle qui touche à la survie d’un peuple, confronté pour la deuxième fois consécutive en cent ans, à la tentative d’extermination.
Parallèlement, nous avons assisté en Europe et aux Etats-Unis à l’augmentation fulgurante des actes antisémites, dont le nombre ne fait que s’élever. Comme si l’attaque du Hamas a donné le feu vert à une haine jusqu’ici retenue. Comme si le fait que Les Juifs israéliens ne se sont pas laissé abattre et ont défendu la vie de la nation, en décidant d’écraser l’ennemi, a tellement énervé les antisémites européens qu’ils sont passés à l’action aussi.
Ces passages à l’acte en Europe ont provoqué les réactions indignées de nos concitoyens respectifs, Juifs et non-Juifs, hommes et femmes politiques, des honnêtes gens, des démocrates, des républicains, respectueux de l’altérité, de la liberté et de la loi. Une marche contre l’antisémitisme a eu lieu à Paris, le 12 novembre et à Bruxelles, le 10 décembre dernier.
C’est de la nature de ces marches et des discours entendus pendant et après les marches que nous voudrions proposer quelques réflexions.
Les marches n’ont-elles vraiment rien à voir avec le soutien à Israël ?
Nous avons souvent entendu que ces marches n’ont rien à voir avec Israël tant des hommes politiques que des participants, dont certains se sont exprimés sur les plateaux télé. Des commentaires sur le compte Facebook de Fadila Maaroufi l’exhortent de ne pas « faire l’amalgame » entre les Juifs et Israël. A Bruxelles. A Paris, on a fait remarquer à Yana Grinshpun, à plusieurs reprises, qu’il ne fallait pas « amalgamer » les Juifs français ou les Français juifs avec Israël. Mais la réalité de la manifestation et les discours au sein de la foule manifestante démentent ces dires. Les gens qui portaient les drapeaux israéliens à Paris exprimaient leur soutien au peuple juif, soit parce qu’ils appartenaient à ce peuple, soit parce qu’ils exprimaient leur soutien au peuple entier dont les membres sont agressés violemment où qu’ils soient. Nier ce lien, en affirmant que lorsque l’on marche contre l’antisémitisme, cela n’a rien à voir avec Israël, est soit une naïveté, soit une mauvaise foi, soit tout simplement une peur d’être associé au mal absolu qu’est Israël dans les yeux d’une certaine élite politique.
Si à Paris, des drapeaux israéliens ont émaillé çà et là la marche, à Bruxelles, aucun drapeau israélien n’a été autorisé.
Fadila Maaroufi, une rare personne issue de la culture musulmane témoigne :
« Je suis arrivée à la marche avec un drapeau d’Israël. Pour un musulman, tenir un drapeau israélien relève du « haram », de l’interdit, d’un blasphème. J’ai expliqué de nombreuses fois dans des entretiens donnés que son geste s’adresse non seulement aux Juifs dont les destins sont inséparables du peuple d’Israël, mais aussi à la communauté musulmane pour leur montrer qu’ils peuvent faire de même.
Par ailleurs, il n’y a pas pire pour les islamistes que la « fitna » (la division) contre un ennemi. En l’occurrence « l’ennemi sioniste ». Les membres de l’Oumma sont censés tenir le même discours, avoir la même position afin d’éviter le doute. Un « vrai musulman » n’a pas d’autre choix que de tenir le même discours que l’ensemble de la Oumma, même s’il va à l’encontre du respect des droits de l’Homme. Si je suis venue avec le drapeau d’Israël, c’est aussi pour donner un signal fort aux musulmans : ils peuvent ne pas écouter les préceptes de la Oumma.
Cependant la « fitna » ne touche pas uniquement l’Oumma, elle est aussi visible au sein de la communauté juive. Et cela est réjouissant pour les islamistes. C’est ainsi que l’Union des Progressistes juifs de Belgique (UPJB) a contribué à la division des « marcheurs », en annonçant vouloir marcher contre l’antisémitisme, mais séparément, car, selon les progressistes, il fallait protester contre « tous les racismes » et contre « l’extrême droite » et pas seulement contre l’antisémitisme. Le problème est que faisant cela, ce n’est pas le « jeu de l’extrême droite » que l’UPJB a joué, mais bien le jeu des islamistes ! C’est ainsi qu’un policier m’a demandé de ranger mon drapeau israélien en précisant que seuls les drapeaux belges sont autorisés. Un manifestant, témoin de la scène, demandait au policier pourquoi les drapeaux du Hamas ne sont pas interdits lors des manifestations pro-palestiniennes. Il a demandé aussi pourquoi lors de la marche contre les violences faites aux femmes, les drapeaux de la Palestine étaient exhibés en très grand nombre, malgré l’objet de la manifestation qui n’avait rien à voir avec la Palestine ? Le policier avait répondu qu’il n’était pas au courant. Je ne peux pas le lui reprocher. De surcroît, le policier m’avait demandé une carte d’identité et a pris des photos comme si j’avais commis une infraction ».
Nous pensons que le désir d’effacer le signe juif de la marche à Bruxelles et l’acceptation de cet effacement par les Belges et par les Juifs ne peut que réjouir les islamistes et leurs alliés.
Fadila Maaroufi continue: « En portant le drapeau d’Israël, j’ai voulu lever le sceau de l’interdit, montrer que l’étoile de David et le drapeau d’Israël sont des symboles d’une grande culture qui ne peut ni ne doit être piétinée, qu’un musulman peut également le porter avec fierté, comme le font des musulmans en Israël. De nombreux musulmans n’approuvent pas les cris de haine antijuifs, mais ne se permettent pas de le dire ouvertement, à de rares exceptions près, comme l’imam Chalgoumi. La peur de soutenir les Juifs ne peut que légitimer les crachats, le piétinement ou les autodafés réguliers organisés par les ennemis des Juifs et d’Israël. Être juif, être Israélien n’est pas une insulte ».
Et c’est là où toute l’hypocrisie de cette interdiction des décisionnaires belges saute aux yeux. Joël Rubinfeld rappelle pourtant, dans son discours prononcé sur la tribune bruxelloise, que l’augmentation des actes antisémites (1000%) est le résultat du « conflit là-bas » et pas d’un antisémitisme surgi ex nihilo. C’est donc curieux qu’on y ait parlé d’Israël, mais que les drapeaux de ce pays aient été formellement interdits.
Dans les manifestations palestiniennes, où se font entendre des slogans génocidaires « From the river to the sea, Palestine will be free » (« de la mer au Jourdain libérez Palestine »), les slogans qui appellent à libérer Israël des Juifs, on voit majoritairement les drapeaux palestiniens en France, quelques drapeaux français, portés notamment par les membres du PCF. En revanche, on n’a pas vu de drapeaux belges lors des manifestations pro-palestiniennes en Belgique. La réponse qu’on entend déjà est que les manifestations pro-palestiniennes soutiennent la Palestine, et que c’est donc normal que seuls ses drapeaux soient visibles. Mais ne serait-il pas de très mauvaise foi de nier le fait que le drapeau d’Israël ne symbolise pas uniquement Israël, mais le peuple juif, qui en est inséparable ? Faut-il penser que Mohammed Merah fut plus honnête que ceux qui nient le rapport des Juifs à Israël ? Nous rappelons ici qu’il disait qu’il tuait des Juifs en France, parce que les « mêmes » Juifs tuent en Palestine. Pour lui et pour ses successeurs, ce rapport est clair. Comme il l’est pour de nombreux Juifs attachés à Israël pour des raisons historiques et spirituelles. Pour nous aussi, avoir peur de le reconnaître, nuit à l’efficacité des marches et démontre leur détachement des vraies causes de l’antisémitisme en hausse.
Nommer les antisémites
L’antisémitisme n’existe pas sans antisémites, et ses formes contemporaines sont mises en acte par des profils bien connus. Certes, marcher contre une abstraction, sans nommer les metteurs en acte est une action qui peut faire sens : cela réconforte les gens dans le sentiment de leur unité pour une cause juste, mais cela donne surtout un signal fort de la peur de nommer les véritables acteurs d’actes antisémites.
Alors qui est antisémite ? L’extrême gauche a été pointée du doigt par Joël Rubinfeld, et à juste titre. Ce dernier a bien précisé que l’antisémitisme se cache derrière le discours des droits de l’Homme. En France, LFI ne s’est pas jointe à la marche, sous prétexte de la présence de « l’extrême droite ». Il a en effet été beaucoup question de l’extrême droite, sans préciser de quoi on parle, car en France, l’extrême droite antisémite ce n’est pas celle du RN, qui n’a d’extrême que l’épithète accolé par certains médias et par la gauche mélenchoniste. Même si l’antisémitisme d’un Soral et de ses suiveurs en France est indéniable, comme l’est celui de l’extrême droite fasciste en Belgique, il reste très minoritaire et n’est pas meurtrier, comme l’est l’antisémitisme islamiste. Or, dans leurs discours, en s’adressant aux manifestants à Bruxelles, les organisateurs n’ont parlé ni de l’islamisme, ni de musulmans radicaux qui prennent les Juifs pour cible depuis des décennies. Il en était de même à Paris. Tout s’est passé comme si l’importation culturelle de l’antisémitisme amenée par une immigration massive et que les Juifs vivent quotidiennement dans nos deux pays n’avait pas lieu, comme si la haine d’Israël n’était pas pratiquement la seule cause complètement partagée par tous les mouvements islamiques adverses du monde, le point de ralliement et d’unification de l’Oumma. Comme si Nemmouche et Merah n’existaient pas, comme si le récent acte terroriste à Paris, n’était pas expliqué par son auteur par le désir de venger « les Palestiniens qui sont tués là-bas ». L’antisémitisme est inscrit dans l’ADN de l’islamisme, la haine d’Israël aussi. Ces deux phénomènes sont absolument inséparables. La haine antisémite et la haine d’Israël est au centre de l’idéologie islamiste radicale. C’est une grave erreur ou une grande hypocrisie de séparer les deux, et de nier le rapport des actes antisémites commis par des musulmans radicaux avec l’existence d’Israël.