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Paris 2024: les JO d’Hidalgo, vous ne pouvez pas être contre!

L'horreur olympique


Paris 2024: les JO d’Hidalgo, vous ne pouvez pas être contre!
Anne Hidalgo à Lima lors de l'annonce (surprise!) de la désignation de Paris pour l'organisation des JO 2024. Photo: Fabrice Coffrini

Il y a peut-être des raisons très légitimes d’être un fervent partisan des Jeux à Paris. Ce qui rend le climat étouffant, c’est qu’il soit interdit d’y être opposé. Les JO-sceptiques ne manquent pourtant pas d’arguments.


Pour un peu, on aurait pu croire que la France fêtait la fin d’un long et douloureux conflit. D’abord, il y avait ces images qui défilaient sur nos écrans où l’on voyait le président et la maire de Paris (qui ne s’aiment guère comme chacun sait) arborer un sourire niais et entrecroiser leurs doigts (par Tony Estanguet interposé) pour faire le « v » de la victoire (renseignement pris, il s’agissait de mimer le logo de la tour Eiffel). Mais, surtout, ce 13 septembre, alors qu’à Lima une imposante délégation française fêtait à prix d’or une victoire annoncée – et remportée contre personne –, il flottait dans l’air l’unanimité de plomb caractéristique des guerres, quand toute divergence est soupçonnée de trahison, que l’adhésion est un devoir patriotique et l’esprit critique une atteinte au moral des populations.

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Certes, quelques mauvais coucheurs (dont votre servante) étaient invités à jouer le rôle du salaud dans les émissions où l’on se targue de débattre. Dans le meilleur des cas, ils suscitaient, chez des animateurs ayant perdu toute prétention à l’impartialité, une incompréhension navrée et sincère : vous dites ça pour faire la maligne, mais vous ne pouvez pas être contre.

Une offre qu’on ne peut pas refuser

Tout est dit. Il y a peut-être des raisons très légitimes d’être un fervent partisan des olympiades parisiennes. Mais on peut aimer le sport, y compris à la télévision, sans avoir besoin de partager son plaisir avec des dizaines de milliers d’inconnus rendus irascibles par l’attente et les encombrements. Et on doit même avoir le droit de ne pas aimer le sport du tout. Or, ce qui rend le climat étouffant, c’est qu’il soit interdit de ne pas partager la liesse générale. « Paris 2024 » fait partie de la longue liste des propositions qu’on ne peut pas refuser. La preuve, nous dit-on en vertu d’une logique absurde, c’est que tout le monde est content. Et peu importe que ce contentement, mesuré par des sondages prudemment réalisés à l’échelle nationale plutôt que parisienne, soit largement produit par l’autoréférentialité : à force d’entendre leurs gouvernants et la quasi-totalité des faiseurs d’opinion répéter sur le ton de l’évidence que le pays entier est derrière la candidature parisienne et que ces Jeux sont le grand projet mobilisateur que nous attendions tous, beaucoup de Français ont fini par le croire. D’habitude, vous aimez le tricolore, fait-on remarquer aux rares dissidents affichés. Justement, n’être autorisé à aimer le drapeau que dans les stades, ça refroidit.

Serions-nous bien plus faciles à mener en bateau que les habitants de Rome, Budapest, Hambourg et des autres villes qui ont préféré déclarer forfait ? Peut-être ces respectables cités sont-elles gérées par des maires se souciant plus de la vie concrète des habitants que de fête et de gloire. Pour Anne Hidalgo, les Jeux seront un grand show dont elle sera de toute façon l’une des vedettes. Peu lui chaut d’être congédiée par les électeurs en 2020 (ce qu’elle a peut-être intégré, si on considère le mépris indifférent que lui inspire toute protestation contre sa politique de circulation démentielle) : gageons qu’en ce cas, elle se recasera dans un poste taillé sur mesure pour elle au sein du Comité d’organisation des Jeux. Telle la Pompadour apprenant la défaite française à Rosbach, elle peut donc proclamer : après moi, le déluge ! Le déluge, en l’occurrence, ce seront les déficits et les saccages irréversibles dont les Parisiens et tous les Français supporteront longtemps les conséquences.

Robe de marié et journalistes bien alignés

Comme toujours, la première victime de cette guerre menée sabre au clair contre des ennemis invisibles aura été la vérité. Dans le climat de liesse obligatoire qui a accompagné le non-événement de Lima, la plupart des journalistes ont suspendu leur jugement et oublié toute velléité d’indépendance, pour célébrer l’esprit olympique avec une naïveté touchante, comme en témoignaient les éditoriaux de la presse rivalisant dans le superlatif le 14 septembre.

Dans les étages directoriaux, où l’on compte déjà la manne publicitaire à venir, on n’a certainement aucune envie de voir se lever une fronde anti-JO qui serait peu propice aux affaires. On a dû se féliciter d’avoir des rédactions aussi peu contrariantes. Celles-ci ont benoîtement déroulé la propagande du comité de candidature, ainsi recyclée frauduleusement comme de l’information.

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Les JO 2024 seront donc écolos, sobres et durablement utiles à l’intérêt général. S’agissant de l’écologie, il est possible que la propagande dise vrai et que la préparation des Jeux soit l’occasion d’inventer de nouvelles malices vertes pour enquiquiner les travailleurs et les automobilistes – en créant des embouteillages archi-polluants, mais c’est un détail. Mais le chœur médiatique a aussi chanté l’air du durable sur tous les tons. Au cabinet d’Anne Hidalgo, un conseiller plaide courtoisement sa cause. Il fait valoir que les nouvelles règles instaurées par l’agenda 2020 du CIO changent la donne. Peut-être celui-ci était-il conscient qu’en imposant aux villes hôtes des grand-messes pharaoniques nécessitant la construction d’éléphants blancs aussi inutiles que dispendieux, il allait décourager toute candidature et tuer la poule aux œufs d’or (je sais, c’est le souci de l’esprit olympique qui anime cette œuvre de charité planétaire, ce qui lui laisse à peine le temps de gérer son magot de 3,2 milliards d’avoirs financiers). D’après ce proche de la maire, la nouvelle sobriété du CIO est l’une des raisons qui ont conduit Hidalgo, très hostile aux JO jusqu’à son élection, à changer de pied : « Outre qu’il a notablement augmenté sa participation financière, le CIO accepte désormais que l’on utilise l’existant et, pour les quelques équipements construits pour l’occasion, que le premier critère soit leur utilité à long terme. » Comme l’observe Gil Mihaely, c’est le principe de la robe de mariée. Pour calmer leur culpabilité quant à la dépense, toutes les femmes disent qu’elles la reporteront en de multiples occasions. Bien sûr, cela n’arrive jamais. De même, la bluette officielle en vertu de laquelle, sur les sites parisiens provisoires, les nuisances seront minimales et réversibles a été rapportée sans la moindre pincette. La réflexion d’Alexandre Gady, dont le délicieux titre « Paname et circenses » résume le propos, montre ce qu’il en est (voir pp. 48-51). Toute protection légale ayant été levée, certains quartiers historiques de la capitale, comme celui du Champ-de-Mars, seront livrés à l’affichage publicitaire, aux marchands et aux rassemblements de masse, pour le malheur de leurs habitants, qui ont déjà payé un lourd tribut à la cause sportive avec les fan zones de 2016 – on n’ose penser qu’ils soient ainsi punis de mal voter. « Je comprends leur colère, mais j’ai des sondages qui me disent que l’écrasante majorité des Français les veulent, ces JO », répond le conseiller d’Hidalgo. Si vous faites partie des œufs qu’on va casser pour faire l’omelette olympique, vous n’avez pas de chance.

Un « véritable traité de capitulation » passé avec le CIO

Il y a cependant un domaine avec lequel on ne peut pas tout à fait rigoler, c’est celui des gros sous. Forts de l’expérience des précédents JO qui (à l’exception de Los Angeles en 1984) ont enregistré des dépassements d’au moins 150 % par rapport à leur prévision initiale, la majorité des confrères a donc affiché une prudente circonspection à l’égard des 6,5 milliards d’euros annoncés, alors qu’on peut annoncer à coup presque sûr d’importants retards de travaux générateurs de surcoûts considérables, donc de déficits qui, pour le coup, seront à la charge des opérateurs publics c’est-à-dire du contribuable. Mais le plus amusant fut de voir nombre de ceux qui considèrent généralement le déficit comme un attentat contre l’Europe et les générations futures décider qu’en l’occurrence il s’agissait d’un péché véniel. En clair, tout le monde ou presque est convaincu qu’on va perdre un paquet d’argent, mais c’est pour la bonne cause. C’est la fête, vous dit-on ! Après nous le déluge…. « Nous n’avons aucun intérêt à faire exploser les déficits, proteste l’homme de cabinet. Après tout, si le budget explose, ça se verra avant les prochaines élections. » Dont acte. De fait, Anne Hidalgo est convaincue que ses Jeux (qui sont aussi ceux du président, qu’on aurait tort d’épargner à l’heure des comptes) rendront les Parisiens heureux. Justement, vu l’idée qu’elle semble avoir du bonheur, je préférerais qu’elle laisse le mien tranquille et fasse réparer les innombrables trous de la chaussée parisienne. Cela dit, c’est probablement involontairement qu’elle pourrit l’existence de nombreux Parisiens qui ne lui ont rien fait. On peut au minimum la soupçonner, elle et tous les artisans de la candidature parisienne, de jobardise. D’après Erwan Seznec, qui a mené l’enquête dans les méandres financiers de cette opération, la Ville de Paris a signé avec le CIO « un véritable traité de capitulation » (voir pp. 52-55). Si on ajoute que, grâce à François Hollande, le même CIO ne paiera pas un centime de charges sociales et fiscales, on voit que les pouvoirs publics lui ont déroulé le tapis rouge sans vraiment regarder à la dépense fiscale. Que ne ferait-on pour réjouir le bon peuple – y compris le faire payer ?

L’honnêteté oblige à souligner que quelques journalistes ont échappé à la sidération générale. Mediapart a commencé à marquer à la culotte le comité de candidature et déniché d’amusantes informations sur le coût de la sauterie de Lima, où il a impérativement fallu déplacer une armada de 300 personnes, et sur les primes promises à ses membres en cas de victoire, sur l’insistance, paraît-il, de la ministre des Sports Laura Flessel : « Ces gens-là étaient payés pour gagner, il n’y a aucune raison qu’ils aient des primes, convient le conseiller d’Anne Hidalgo. Les représentants de la Ville s’y sont opposés, mais nous n’avons pas été entendus. » Certes, il n’y a pas mort d’homme, mais ces zakouskis donnent une idée de ce qu’est la nouvelle sobriété des milieux olympiques. Pourvus de toutes sortes d’avantages et de garanties exorbitantes, les emplois au sein de cette machinerie multiforme sont assurément des fromages convoités.

Les trois vaches sacrées de notre époque

Les seules sérieuses protestations ont donc porté sur les dépenses. En dehors de ces considérations prosaïques, on dirait qu’il faut être atrabilaire ou misanthrope pour s’inquiéter de voir sa ville transformée en terrain de jeux et, plus généralement, pour ne pas communier dans la passion de la compétition sportive. En effet, la deuxième raison de la volte-face d’Anne Hidalgo est que le monde sportif a bien ficelé son dossier. C’est pour répondre aux attentes de ce même monde sportif qu’elle avait promis, durant sa campagne, la construction du complexe Arena 2, qui risque de s’enliser pour cause de recours intentés par des riverains et défenseurs du patrimoine particulièrement remontés. On aimerait connaître le secret de ces sportifs pour se faire entendre de madame le maire.

Bien sûr, on caresse l’espoir qu’on n’est pas seuls et que bientôt, des Parisiens et des Français, les yeux enfin décillés, feront entendre leur voix. Certes, il est trop tard pour empêcher le désastre d’advenir. Mais il est encore possible d’en limiter les nuisances par la pression et par l’information.

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Reste à comprendre l’origine du consensus de fer qui s’est noué, au moins en apparence, autour de la cause olympique. C’est qu’elle promet de conjuguer en une seule cérémonie les cultes rendus à trois vaches sacrées de l’époque : le sport, la fête et le tourisme. S’attaquer à l’une ou l’autre de ces divinités, en objectant, par exemple que le sport fric et spectacle est assez éloigné de l’esprit olympique, qu’une ville n’est pas un luna-park ou que l’idolâtrie des dieux du stade est pour le moins excessive, c’est au mieux se signaler comme ringard. Et on finit par se sentir coupable de sa propre froideur à l’égard de ce qui enchante ses contemporains. On se contentera donc, en conclusion, de rappeler que Philippe Muray qualifiait de disneylandisée « toute société où les maîtres sont maîtres des attractions et les esclaves spectateurs ou acteurs de celles-ci ».

Octobre 2017 - #50

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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