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Un «Bébel» oublié et mal-aimé…

"Par un beau matin d’été" – version restaurée – coffret DVD/Blu-Ray – Pathé


Un «Bébel» oublié et mal-aimé…
Geraldine Chaplin, Jean-Paul Belmondo et Sophie Daumier, tournage de "Par un beau matin d'été" de Jacques Deray, 1964. © DALMAS/SIPA Numéro de reportage : 00432715_000002

Restauration du film « Par un beau matin d’été », première collaboration entre Jacques Deray et Belmondo


Je ne suis pas infaillible. Les oublis, les passages à vide, même les égarements, ça arrive aux meilleurs d’entre nous. Je plaide coupable. Jusqu’à très récemment, je n’avais jamais vu « Par un beau matin d’été », le film de Jacques Deray sorti en 1965 avec Jean-Paul Belmondo en vedette sautillante puis soudainement grave. J’entends déjà les Belmondolâtres me honnir et me bannir de leur communauté sourcilleuse. Faute impardonnable pour certains, preuve incontestable de ma superficialité cinématographique, je dois avouer que ce long-métrage m’avait échappé. Pour ma défense, l’objet ne se laissait pas attraper si facilement, il était d’un accès rare, presque complètement oublié et méprisé par une partie de la critique, ne correspondant pas tout à fait aux canons classiques d’un Belmondo superstar. Il est de nouveau disponible dans une version restaurée 4K à partir des négatifs originaux sous la supervision de Pathé.

Dans la tradition de James Hadley Chase et de Simenon

Il est même agrémenté d’entretiens fort instructifs avec Gérard Camy, Pierre Gaffié et François Guérif. « Par un beau matin d’été » se trouve dans une position assez inconfortable, à cheval entre la cavalcade de L’Homme de Rio, l’affèterie de la Nouvelle Vague et des dialogues trop écrits du Maître Audiard. Un objet indéfinissable, dans la mouvance des polars fifties, adapté d’un roman de James Hadley Chase avec des morceaux de gouaille à la Simonin, ce relent de vieux Paris qui s’arrête cependant avant l’overdose de ce que j’appelle la pose « titi malfrat ». Trop de gangsters maniérés finissent par tuer le mystère. La noirceur peut vite virer à la parodie si le dialoguiste se laisse trop aller à son penchant naturel pour la vanne explosive.

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Et on sait que le camarade Michel Audiard avait la tentation d’inonder chaque scénario de sa veine comico-policière particulièrement intrusive. Certains réalisateurs pouvaient même se sentir submerger par un tel déluge verbal. Alors, on a quelques appréhensions avant de glisser le DVD ou le Blu-Ray dans son lecteur. En outre, on se dit que des histoires de kidnapping qui tournent à la farce, saupoudrées de belles formules moulées à l’ancienne, avec l’enfant chéri de ces dames pour appâter le spectateur, la recette semble un peu trop grossière. On a déjà vu ça ! Du Belmondo bondissant et des saillies marloupines ! J’avais oublié que le film est signé Jacques Deray (1929-2003). Un styliste à la Simenon, tout en intériorité et en silence. Deray refuse l’action pour l’action. Il scrute l’homme seul dans ce qu’il a de plus brut et de forcené, il n’explique pas, il ne surligne pas, il capture, à la dérobée, les dérèglements humains. Ce voleur d’émotions, attentif aux détails, opère en architecte. Son art du montage et de la construction, notamment dans l’élaboration des plans serrés, est une merveille d’équilibre.

Une œuvre baignée au soleil espagnol

Le huis clos comme le dit un intervenant dans les bonus est son environnement familier. Avec sa caméra, il va chercher la souffrance, l’errance ou la folie de ses personnages dans le non-dit, le geste anodin, un regard, un sifflement, une trace infime… Deray savait capter la permanence des existences tristes sans allonger ses acteurs sur le divan. Cet immense artiste, trop souvent étiqueté et étriqué dans le genre policier, dont le nom est accolé à Delon, était bien plus qu’un « bon faiseur ». « Par un beau matin d’été », première collaboration avec Belmondo avant « Le Marginal » ou « Le Solitaire » réunira 1,5 million de spectateurs en 1965 sans visiblement convaincre les commentateurs de l’époque. Ce film arrive juste après un autre polar très réussi « Symphonie pour un massacre » interprété par un Jean Rochefort inhabituel de froideur et de calcul. Deray ne provoquait pas les fissures de ses héros, elles apparaissaient sans aucune volonté de démonstration. Les grands réalisateurs ne sont pas des professeurs d’algèbre.

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Ce qui séduit dans cette œuvre baignée par le soleil d’Espagne, à l’esthétique très épurée, entre haciendas isolées et pistes sableuses, c’est la montée chromatique. La mécanique du destin est en marche. On commence gentiment sur un faux-rythme de petites frappes à la répartie fleurie en quête d’une arnaque pour s’aventurer vers le drame et les liens du sang. Nous, les admirateurs de Belmondo, connaissons sa plasticité. Il l’a prouvé, il peut tout jouer, de l’introspection à la flamboyance, le réduire à la course-poursuite et aux héliportages est une erreur fondamentale d’appréciation. Ce film méconnu vaut donc un visionnage attentif pour la musique de Michel Magne et la présence d’acteurs internationaux : Akim Tamiroff, le comparse d’Orson Welles, la toute jeune Géraldine Chaplin malgré le refus de son père, les impeccables Georges Géret et Adolfo Celi ainsi qu’une apparition furtive de Jacques Higelin. Mais ce que l’on retient surtout, c’est l’exceptionnel numéro tragi-comique de Sophie Daumier, boulevardière et digne, écorchée et vive, elle a la beauté amère des filles cabossées. Elle nous manque.

Par un beau matin d’été – version restaurée – coffret DVD/Blu-Ray – Pathé



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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