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Spéculations vaticanes


Spéculations vaticanes

pape benoit vatican

Avant-hier, il ne fallait pas qu’il vienne ; hier, il ne fallait pas qu’il reste ; maintenant, il ne fallait pas qu’il parte. Benoît XVI aura eu tous les torts depuis son élection – et même avant, la seule origine nationale du « panzerkardinal » autorisant tous les calembours foireux à son sujet. Aujourd’hui, s’il a renoncé, pour les avisés commentateurs que leurs habituelles professions d’anticléricalisme ou d’agnosticisme n’empêchent pas de se révéler théologiens dès qu’un parfum de scandale semble se diffuser autour de celle qu’ils adorent détester, la vieille et l’antique Église catholique romaine, ce ne peut être que sous le coup d’une sale affaire que les pompes du Saint-Siège cachent au commun des mortels. Dans les placards du Vatican – et peut-être même au grenier –, il y a sans doute des cadavres, ce n’est pas nouveau. Malheureusement, le statut juridique du lieu, État et cœur de la première confession religieuse du monde, empêche d’y fouiller. C’est ballot. Alors, on relaie les rumeurs, par exemple sur les cardinaux gays qui, comme le remarquait justement le journaliste Patrice de Plunkett, sont là-bas suspects de constituer un « lobby » ténébreux, contrairement à chez nous, où ce sont de bons citoyens de base qui ont de leur propre chef réclamé le « mariage pour tous » – mais qu’allez-vous donc penser ? On fantasme sur des conspirations, des alliances, des manigances où des prélats empourprés s’entretuent et se poignardent dans le dos à la sortie de la sacristie.
Pour tout dire, cela ne nous étonnerait pas qu’il y ait là-dedans beaucoup de vrai.[access capability= »lire_inedits »] Cela n’étonnera d’ailleurs personne qui ait, d’une part, une vague science des rapports humains et, d’autre part, une connaissance historique de l’Église. Enfermez quelques centaines d’hommes de pouvoir célibataires[1. Remarquons que, s’ils étaient mariés, ce serait sans doute pire…] dans une minuscule cité, attendez quelques siècles, et humez l’odeur fétide de tous les vices. Au XIe siècle, le bon peuple romain surnommait déjà le palais des Papes la « pornocratie » pour ce que c’étaient leurs prostituées de maîtresses qui y faisaient la politique. Catherine de Sienne, qui est sainte, n’hésitait pas à les insulter. Luther jouait sur du velours en dénonçant la « grande Babylone ». Les Borgia, on connaît. Aujourd’hui, il n’est jusqu’à l’ancien exorciste de Rome, le père Amorth, qui ne dénonce l’existence de rituels satanistes dans l’enceinte de Saint-Pierre. Quoi de neuf ?
Mais surtout, ceux qui voient dans ce scandale présumé la cause de la renonciation de Benoît XVI oublient que ce fut surtout et d’abord la raison de son élection : le cardinal qui, durant l’agonie de Jean Paul II, décrivait l’Église comme une « barque prête à couler » et qui, au lendemain de sa mort, appelait ses frères à se méfier des « loups » rôdant à l’intérieur de l’Église, c’est lui, Joseph Ratzinger. C’est pourquoi il endossa la charge dont il ne voulait pas. C’est pourquoi il commença de nettoyer la Curie d’Augias, les structures pédophiliques et tout le reste.
Le conclave qui s’ouvre après sa renonciation aura sans doute à trancher sur cette base-là : soit l’on continue comme depuis la mort de Jean Paul II − dont l’on sait qu’en deçà de ses immenses qualités de capitaine à l’extérieur, il avait, par désintérêt, laissé pourrir la situation à l’intérieur − c’est-à-dire qu’on poursuit le grand renouvellement et que l’on refuse donc à tout prix qu’un Italien redevienne pape – non que l’Italien soit mauvais en soi, mais la Curie est naturellement sous la coupe des Péninsulaires depuis deux mille ans ; soit l’on revient au bon vieux régime de toujours, et c’est le cardinal Scola, de Milan, qui monte sur le trône. Disons-le tout de go, un Français a autant de chances de devenir pape aujourd’hui que de diriger la NBA. Le miracle africain, lui, a malheureusement peu de chances de se produire : seuls deux cardinaux du Continent noir peuvent légitimement prétendre à l’élection et le plus intéressant des deux, à notre sens, le cardinal Peter Turkson, président du Conseil pontifical « Justice et paix », auteur notamment d’une note qui avait défrayé la chronique car elle appelait à constituer un gouvernement économique mondial afin de lutter contre la finance internationale, a tout à fait par hasard été flingué dans les médias ces derniers jours – coupable à la fois d’homophobie et d’islamophobie, double accusation dont on se relève assez difficilement. Son élection aurait pourtant été l’occasion de montrer à nos contemporains éclairés que l’Église catholique est plus réactionnaire encore dans ses marges décolonisées que dans ses vieux bastions européens.
Quoiqu’il ne faille pas écarter la possibilité d’une surprise venue d’Inde ou d’Indonésie, terres asiatiques comptant quelques cardinaux de compet’, intellectuellement et pastoralement, l’hypothèse nord-américaine est de façon inattendue celle qui s’impose le plus naturellement aujourd’hui. Alors qu’il y a huit ans, l’Amérique latine avait la cote – on évoquait entre autres le Hondurien Maradiaga, très social et tiers-mondiste – les regards se tournent maintenant plutôt vers le cardinal Dolan, de New York, et surtout vers Marc Ouellet, le Québécois. Si le premier a pour lui un franc-parler, une aura médiatique construite notamment dans son opposition à Obama sur la question du remboursement de l’IVG, et surtout d’avoir contribué à régler la question des prêtres pédophiles, sa seule nationalité risquerait, dit-on, d’indisposer les catholiques du Sud, aujourd’hui majoritaires. Argument peu convaincant, mais qu’on ne peut écarter. Mgr Ouellet a toutes les chances de son côté : ancien primat du Québec, il connaît parfaitement la Curie, où il est aujourd’hui préfet de la Congrégation pour les évêques, l’une des plus stratégiques, mais il est surtout un homme de terrain, polyglotte, grand voyageur, intellectuellement admirable et habitué de la discussion avec les puissants. Théologiquement, il est parfaitement traditionnel, c’est-à-dire en adéquation avec la majorité des catholiques d’aujourd’hui, n’en déplaise aux vieillards béats qui se réclament de l’« esprit du Concile ».
Il n’y a donc pas de révolution en vue dans l’Église catholique, les seuls enjeux − qui ne sont toutefois pas minces − touchant à la capacité d’universalité du nouveau pontife et à l’équilibre qu’il trouvera entre questions sociales (dette du tiers-monde, condamnation du libéralisme actuel, etc.) et questions sociétales (IVG, mariage pour tous, etc.). La fameuse « lesbienne noire transsexuelle sous cocaïne » est repoussée, une fois encore, à une date ultérieure. Et ça tombe bien : aucun catholique ne l’attend sur le plus vieux trône du monde.[/access]

*Photo : Habemus papam (film).

Mars 2013 . N°57

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste et essayiste.

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