La première question des journalistes de BFM TV, à l’annonce du nom du nouveau pape fut la suivante : « Est-il conservateur ? ».
Voilà bien une préoccupation de chien de garde du progressisme sans peurs et sans tabous, qui pose toujours les questions les plus subversives et les plus pertinentes, tellement éloignées de la réalité des enjeux vaticans.
Je ne suis pas de ceux qui blâment l’Église pour son répugnant conservatisme, pour son obstination hétéro-fascisante à se tromper de combat, pour ses positions d’arrière-garde en matière sociétale.
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’elle devrait marier ses prêtres, militer pour les opprimés LGBT (parce que c’est sûr, si le Christ revenait, il ferait la Gay Pride), distribuer des capotes et adapter ses positions au rythme et aux conditions du monde occidento-libéral.
Mais je suis de ceux qui déplorent la pourpre et les dorures, le stuc et les Mercedes vaticanes, les comptes opaques de l’IOR et les magouilles politiciennes de la Curie. Car je crois que si l’Église est évidemment conservatrice, son conservatisme doit être total.
Et sa critique du progressisme libéral doit s’accompagner d’une critique du capitalisme et d’une sobriété face au monde de l’argent. Ses fastes et son luxe m’ont toujours paru contradictoires avec l’esprit de l’Évangile.
C’est pourquoi, si j’avoue que le nom de José Mario Bergoglio ne me disait pas grand-chose, quand j’ai entendu « Francesco », j’ai compris qu’il se passait quelque chose d’intéressant.
Car j’ai une affection particulière pour le saint portant ce prénom, le petit frère des pauvres, dont j’ai pu admirer la pauvre bure dans un musée d’Assise, toute trouée et rapiécée comme une vieille âme.
Un chiffon, des plaies, une ridicule tonsure. Voilà bien un modèle.
« Répare mon Église en ruines », dit le Christ à saint François, et le voilà parti, avec un marteau et des clous, restaurer le toit d’une chapelle abandonnée, prenant au propre le figuré.
Huit siècles plus tard, si les plafonds de Saint-Pierre sont solides et bien décorés, le figuré est toujours d’actualité, et le nouveau pape devra lui aussi être un maçon pour une Église pleine de courants d’air.
Saint François d’Assise, c’est surtout le modèle d’un catholicisme pur et sincère, du temps lointain peint par les fresques de Giotto où les chrétiens s’adressent encore à Dieu comme des petits enfants, où l’on parle aux animaux, on s’élève sur des nuages, et l’on reçoit les stigmates d’un grotesque et touchant Christ séraphin. S’il ne s’agit pas de retomber dans un angélisme naïf, la simplicité des robes de bure doit encore nous toucher.
Saint François d’Assise c’est la foi. Pas la petite foi, pas la foi religieuse et théologique, pas cette fausse grandeur des corps puissants de la chapelle Sixtine, pas cette foi abstraite et vaticane, cette foi mêlée de temporel, de sang et de batailles, de pouvoir et d’injustice. C’est la Foi simple, la Foi du charbonnier, l’aveugle foi des pauvres, des chastes et des martyrs.
À chaque pape son combat. Jean-Paul II s’était engagé contre le communisme et avait participé à la chute du rideau de fer, sachant faire le pont entre deux Europes et ouvrant la voie à l’œcuménisme. Benoît XVI se donna la tâche plus ingrate de faire le ménage et l’unité d’une Église souffrant de multiples scandales – tâche qu’il ne réussit objectivement pas à accomplir malgré toute sa bonne volonté. Le premier sut séduire les jeunes par son charisme, le second rallia les théologiens à sa cause par sa grande culture religieuse. François, lui, se tournera vers les pauvres, les petits, les oubliés de la mondialisation. Voilà quel doit être son grand œuvre. À l’heure où l’Occident se délite dans un individualisme délétère et n’est plus le centre de la chrétienté, l’Église doit se tourner là o% son cœur bat et se faire la porte-parole des damnés de la terre.
Espérons qu’avec ses origines jésuitiques et sa formation de chimiste, François saura trouver l’alchimie entre intransigeance et humanisme, tout en inaugurant une Église plus proche des démunis, et, se souvenant des mots de saint François : « On atteint plus vite le ciel en partant d’une chaumière que d’un palais », gageons qu’il orientera l’Église vers un catholicisme plus humble, plus sobre et plus simple.
Devant ce pape venu « du bout du monde », il serait bon de nous rappeler ces mots de Bernanos dans Français si vous saviez : « Je le dis, je le répète, je ne me lasserai jamais de proclamer que l’état du monde est une honte pour les chrétiens. Nous répétons sans cesse avec des larmes d’impuissance, de paresse et d’orgueil que le monde se déchristianise. Mais le monde n’a pas reçu le Christ, c’est nous qui l’avons reçu pour lui, c’est de nos cœurs que Dieu se retire, c’est nous qui nous déchristianisons, misérables ! ».
Le pape n’est plus européen, nous l’avons bien mérité.
*Photo : Catholic Church (England and Wales).
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !