Que la politique ait besoin, pour être crédible et respectée, de la morale est une évidence même si, par exemple, le triste épisode relatif à Aquilino Morelle a montré que ce combat démocratique est loin d’être gagné.
Mais la religion ne peut pas de se passer de la politique comme art et technique et le pape François ne cesse pas de le manifester remarquablement.
Une politique sans éthique est un désastre et creuse encore davantage le fossé entre ceux qui gouvernent et les citoyens sans que ceux-ci soient au moins comblés par le bonheur de pouvoir respecter et admirer qui leur montre le chemin.
Une éthique sans incarnation forte dans la pâte du siècle et les stratégies de conviction et de persuasion dont notre modernité est friande serait condamnée à demeurer lettre morte et voeu pieux.
Que ce pape extraordinaire soit un fin politique constitue une évidence tant pour les catholiques que pour les autres confessions et plus généralement pour tous ceux que le fait religieux passionne parce qu’il est devenu une grille de lecture irremplaçable pour notre monde déboussolé en même temps qu’une menace quand l’intégrisme prétend justifier la violence dans le prosélytisme.
Le choix d’avoir fait canoniser ensemble Jean XXIII et Jean-Paul II – pour ce dernier, selon un processus délibérément expéditif – n’est pas neutre et on peut en effet l’interpréter comme une volonté de compenser le vedettariat charismatique du second par l’hommage rendu à la créativité organique et structurelle du premier.
Mais ce n’est pas tout.
La liberté de l’esprit ne réside pas seulement dans les audaces et l’imprévisibilité qu’il s’octroie contre tous les conformismes. Mais aussi dans le refus des adhésions ou des détestations en bloc comme si les détails n’avaient aucune importance et ne permettaient pas d’amender souvent ce qu’une approche systématique pouvait avoir d’obtus et de simpliste.
Sur ce plan j’ai lu, dans Libération dont ma quotidienneté se passe assez volontiers, sous la signature de Bernadette Sauvaget, un formidable portrait du pape François en politique si j’ose dire – cachant « sous son air bonhomme… un personnage complexe, séducteur et fin stratège ».
Tout serait à citer de cette remarquable analyse qui synthétise avec talent ce que les uns et les autres pressentions de cette incroyable aura d’un pape ayant changé en un rien de temps, par la seule force de son être, de sa parole et de son commencement d’action, le regard du monde sur le catholicisme et du catholicisme sur lui-même.
Mais je voudrais m’attacher à trois points qui me semblent caractéristiques d’une méthode constituant la politique non plus comme l’auxiliaire de basses oeuvres mais pour une médiatrice fondamentale entre la morale et le réel.
D’abord, le cardinal Jorge Mario Bergoglio, qui n’était pas connu en Argentine comme un rayonnant extraverti, un être habité et joyeux à l’écoute de tous, a su accomplir une mue totale en devenant le chef de l’Eglise catholique parce que ses intuitions et et son analyse avaient impressionné l’ensemble des cardinaux.
Il proposait avec vigueur que l’église ne fonctionne plus en vase clos dans un processus auto-référentiel mais au contraire délaisse le centre qu’elle représentait avec complaisance pour les périphéries – qu’elle s’oublie pour privilégier les fidèles, l’humanité tout entière. Le cardinal argentin a compris que, pour cette universalité, il convenait que sa personnalité, son apparence, sa manière d’être au et dans le monde changeât totalement. Il fallait un être nouveau pour cette vision nouvelle de la papauté et du catholicisme. Personne ne peut soutenir qu’il ne l’a pas été depuis son élection surprenante mais comme la grâce peut l’être.
Ensuite, le pape a engagé un jeu subtil et délicat pour préserver les équilibres et ouvrir à la fois des pistes singulières. S’il n’a pas rien cédé sur les « fondamentaux » de l’église – que serait celle-ci si, dans un univers où le relatif et le fluctuant sont rois, elle ne maintenait pas le culte d’un absolu qui est beau précisément parce qu’il défie le temps ? -, il a, en revanche, instillé de la souplesse et de l’empathie dans la perception des réalités du siècle et des minorités en souffrance ou en quête de considération.
Son tour de force est de conjuguer l’inaltérable de certaines valeurs avec l’heureux et bienfaisant regard d’un homme touché par ceux qui les vivent mal ou douloureusement. Ou qui n’en veulent plus. Au fond, pour ne pas modifier la substance du fond, il a fait de la forme une sorte de noble substitution à l’inévitable rigidité des principes.
Enfin, ce pape « s’intéresse davantage à la personne du pécheur qu’au péché ». Cette différence radicale d’approche évite de faire tomber le dogme dans le dogmatisme et contraint à tenir compte des attentes, des désespoirs et des refus de chacun d’entre nous et à appliquer, dans le fonctionnement général de l’église et de la papauté elle-même, une mesure, une parcimonie manifestant la prise de conscience concrète et opératoire de la pauvreté partout.
Les pauvres, pour ce pape, ne sont pas des êtres sur lesquels on pleure mais des détresses à consoler par l’exemple qu’on donne soi-même. Le péché n’existe plus à proprement parler car l’infinie diversité des pécheurs a fait éclater ce concept intimidant et lui a substitué la sollicitude, ici et maintenant, pour les déviations et les transgressions surgies de l’humain si contrasté, émouvant, fragile et faillible.
Le pape François, pour répudier le culte de la personnalité en ce qui concerne Jean-Paul II, n’a cependant pas oublié cette règle de base de toute politique : tout commence par soi.
Son message est si puissant et dépasse le champ du catholicisme parce que sa critique de l’enfermement de l’Eglise et de son narcissisme bureaucratique et confortable est valable pour beaucoup d’institutions profanes, de pouvoir et d’influence, qui fonctionnent trop pour elles et pas assez pour ceux qu’elles doivent servir.
Vraiment, ce pape n’est pas innocent !
*Photo: STEFANO CAROFEI/AGF/AGF/SIPA.00676487_000013
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