Quand François rencontre Cyrille


Quand François rencontre Cyrille
Le pape François rencontre le patriarche Cyrille de Moscou à Cuba. Sipa. AP21857933_000005
pape francois cyrille cuba
Le pape François rencontre le patriarche Cyrille de Moscou à Cuba. Sipa. AP21857933_000005

La rencontre entre le pape François et le patriarche de Moscou Cyrille à La Havane a fait  du 12 février 2016 (fête de Notre-Dame de Lourdes !) une date historique. Ces  deux autorités chrétiennes, les plus considérables qui soient dans le monde,  ne s’étaient en effet jamais rencontrées depuis que tsar Boris Godounov avait instauré le  patriarcat orthodoxe de Moscou en 1589.

Cela ne veut pas dire, comme  titre  Le Monde,  qu’on a connu plus compétent en  matière religieuse, qu’il n’y avait pas jusque-là de  contacts entre catholiques et orthodoxes. La séparation de l’Église catholique et de l’Église orthodoxe  date de 1054,  bien avant la création du patriarcat de Moscou. Mais il s’agissait d’une rupture entre le pape de Rome et le patriarche de Constantinople. Or les contacts entre ces deux autorités ont été renoués dès 1964  par la  rencontre, elle aussi historique,  du  pape Paul VI et du  patriarche Athénagoras  à Jérusalem  et n’ont jamais cessé depuis.

Constantinople plutôt que Moscou

Beaucoup de catholiques à Rome et ailleurs, se sont contentés de ces contacts avec le patriarcat de Constantinople (devenue Istanbul). Mais ce denier, après les massacres ou l’exode forcé des chrétiens de Turquie au  XXe siècle,  ne compte plus qu’à peine 2000 fidèles. L’Église russe, au contraire, encore  embryonnaire  en 1054, quoique  déjà dans la mouvance  orthodoxe,   est aujourd’hui la plus nombreuse et la plus influente des Églises orthodoxes , lesquelles se réunissent en juin  en Grèce .

Orthodoxies

Entre Constantinople et Moscou, une rivalité  de préséance a toujours existé. Mais le caractère moribond de la chrétienté turque rend cette rivalité largement obsolète. Ceux qui en Occident, tiennent  pour Constantinople arguent non seulement  une plus grande ancienneté mais le fait que le patriarcat de Moscou serait, lui,  une création politique. Comme si celui de Constantinople instauré  au temps de l’empereur Constantin , 300 ans après les débuts du christianisme, ne l’avait pas été !

Il est  clair que pour le pape François, soucieux comme tous ses prédécesseurs, d’un rapprochement, le principal interlocuteur est aujourd’hui  à Moscou.   Plusieurs raisons ont longtemps  fait obstacle à ce rapprochement  du côté russe : d’abord la tutelle sur le patriarcat du pouvoir soviétique  qui  n’en voulait évidemment pas, ensuite la personnalité de Jean-Paul II qui a commis quelques maladresses mais avait surtout le défaut  de venir de Pologne,  ennemi historique de la Russie. Au sein du monde orthodoxe russe, les préventions à l’égard de Rome ne manquent pas : dans les Frères Karamazov, Dostoïevski présente  le Grand Inquisiteur (symbole du catholicisme) comme une figure  du démon. Cette opinion a encore cours en Russie mais, avec   le consentement de Poutine, le patriarche Cyrille est passé outre.

Pour les chrétiens d’Orient

Il est vrai  que les convergences entre l’église catholique et l’Eglise russe n’ont cessé de grandir: d’abord un vrai  souci des chrétiens d’Orient , face à des  puissances occidentales qui ont,  au cours des dernières années, soutenu  leurs persécuteurs  islamistes. Ensuite l’hostilité , moins à la sécularisation comme on le prétend ( après 73  ans de communisme , la Russie sait ce que c’est ! ) qu’à l’offensive libertaire  : les Femens nées en Ukraine avec le soutien de fondations américaines ciblent aussi bien l’orthodoxie que le catholicisme  ( et , il est vrai , un petit peu l’islam).  Tous deux ont aussi le souci d’éviter la guerre mondiale. Ces soucis très largement convergents apparaissent dans la  déclaration commune de haute tenue qu’ils ont rendue publique le 12 février.

En dépit d’un aspect extérieur contrasté, les divergences théologiques entre le catholicisme et l’ orthodoxie, sont ténues et aucune n’est insoluble  : les différences sur la Trinité ou la Sainte Vierge sont infimes. L’orthodoxie reconnait la préséance  protocolaire du « patriarche  de Rome » successeur de  saint Pierre mais refuse l’infaillibilité (que depuis sa proclamation en 1870, le pape n’  invoque presque jamais). Elles étaient aussi très faibles et en voie de résolution avec l’anglicanisme  jusqu’à  ce que celui-ci se mette à ordonner des femmes. L’hostilité commune de Rome et de Moscou à cette pratique ne tient nullement,   contrairement à  ce que croient les femens,  à un quelconque sexisme, mais à la fidélité à Jésus-Christ qui  a choisi   douze apôtres  hommes (même, si, hors hiérarchie, une figure comme Marie Madeleine a une importance au moins aussi grande) : si un tel choix tombait  dans le domaine de la relativité historique  que resterait-il de  l’Evangile  ?  Les orthodoxes  admettent le mariage des  prêtres (pas des évêques) , mais les Eglises catholiques orientales aussi. Seule  embûche  véritable :   le divorce admis plus ou moins par l’orthodoxie, resté plus  proche de l’Ancien testament. Mais il est clair qu’une solution du schisme de 1054 dépend surtout de la  volonté politique des partenaires , sachant  que le patriarche est largement tributaire du pouvoir russe .

Que cette rencontre exceptionnelle se produise dans un lieu  aussi improbable  (et digne de Borges !)  que l’aéroport  de La Havane,  moins prestigieux assurément   que le Saint-Sépulcre où s’étaient rencontrés  Paul VI et Athënagoras , est la marque d’une singulière  ironie de l’histoire  en même temps qu’un  témoignage de l’entregent du  petit frère de Fidel Castro, actuellement au pouvoir à Cuba.   Mais  les principaux protagonistes ont sans doute vu ce qu’aurait de révolutionnaire  un rapprochement fort (pour ne pas encore parler de réunification) des Églises  catholique et orthodoxe . Cet immense bloc allant de l’Argentine au Kamtchatka  , sans compter les pays « de mission » ,  ne pourrait qu’affaiblir l’hégémonie  culturelle du protestantisme anglo-saxon  qui s’exerce depuis le   XVIIIe siècle. S’interposant fortement entre les Etats-Unis et le monde musulman , plus que jamais  alliés  historiques, il ne pourrait que bouleverser le jeu mondial.

Il remettrait à sa juste  place la vision de Samuel  Huntington  pour qui la guerre ses civilisations sépare  l’Occident libéral, protestants et catholiques confondus, à l’Orient orthodoxe et despotique, une conception que contredit le dogme pour qui  la distance entre Rome et les protestants est  beaucoup plus importante qu’avec les orthodoxes.

La vision de Huntington a prévalu tout au long de la guerre froide où le monde orthodoxe s’identifiait   au communisme,  qui  s’attachait pourtant à détruire christianisme. Dans ce contexte,  pour faire  bref,  Wall Street  ménageait  Rome, même si les  catholiques pouvaient se sentir au sein du  bloc occidental comme des  cousins de province. Depuis la chute du rideau de fer, la tournure de  plus en plus libertaire du libéralisme anglo-saxon , au travers de la question du mariage homosexuel notamment,  ne peut qu’aiguiser son hostilité au catholicisme que rien ne l’oblige plus à ménager.

Combien de divisions?

Les intéressés le savent : l’hostilité à l’orthodoxie existe en Europe occidentale mais  elle est circonscrite au milieux sous  forte influence anglo-saxonne, toujours prêts à durcir les divergences théologiques entre Rome et Moscou ou à en trouver de nouvelles (on allègue par  exemple l’imprégnation gnostique des grands théologies russes, comme Soloviev ou Berdiaev) .   Il n’est pas exclu non plus que les Américains  ou des milieux hostiles au christianisme tout court aient pénétré, dès 1990, l’église orthodoxe pour  en durcir les positions anti-romaines.

Il n’est pas non plus certain qu’une  grande puissance comme la Russie, en plein retour sur la scène mondiale,  accepte de placer  son Église sous la tutelle d’une puissance étrangère, même si le Vatican, comme le disait Staline compte bien peu de divisions.  Pourtant l’Empire byzantin au faîte de sa puissance, de  395  à 1054, avec de brèves parenthèses de crise (un empereur byzantin envoya un pape aux mines de sel !), avait accepté la prééminence de Rome, il est vrai très affaiblie politiquement.

Nul ne peut dire ce que seront les suites de la rencontre de la Havane. Cela  n’enlève rien à son importance spirituelle et géopolitique.

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est essayiste.

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