Le ministre de l’Éducation, qui depuis sa nomination se cantonnait dans un silence prudent, vient de refaire surface, dans une longue interview au Parisien et dans une lettre apostolique aux 850 000 enseignants désireux de savoir à quelle sauce ils seront mangés en septembre. Notre chroniqueur entreprend de répondre au ministre.
Monsieur le Ministre,
Passons sur le fait que votre « chères professeures », en apostrophe de votre missive, est d’un français woke que l’Académie et le bon sens condamnent. C’est ce que j’appelle la finale marseillaise — « que fais-tu dans la vie ? » « Je suis professeureu, con ! » Ça me rappelle ces élèves qui croient qu’en poésie les rimes féminines, terminées par des « e » muets, renvoient forcément à des réalités féminines. À ce compte, « bite » est féminin, et « con » masculin…
Et je suis bien sûr que ce n’est pas à l’ENS Saint-Cloud, que nous avons en commun, que vous avez appris de telles incongruités. Laissez-les aux universitaires qui croient flatter les étudiantes en féminisant des mots épicènes qui sont des fonctions : « maîtresse de conférence », disent les imbéciles — ça aurait bien fait rire Nathalie Sarraute. Mais leur avocate, ils persistent à l’appeler « maître ».
Il y en a donc pour tout le monde, parents et enseignants, dans vos promesses. Aux premiers vous affirmez, dans votre entretien au Parisien, que les absences seront compensées en temps réel, au prix d’une gymnastique irréalisable. Aux seconds, que Cocagne est arrivé. Nous voici dans l’île merveilleuse où Pinocchio oublie ses bonnes résolutions.
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Votre promesse, par exemple, de ne plus recruter d’enseignant, en 2023, payé moins de 2000 euros nets a vraiment choqué ceux qui, avec dix ou douze ans d’ancienneté, n’arrivent pas encore à ce salaire. « Comment ? s’exclament-ils. Nous n’avons qu’à démissionner, puis repasser le concours, nous y gagnerons. »
Sans compter que la revalorisation promise est de la poudre aux yeux quand on songe à l’inflation en cours. « L’augmentation est nettement inférieure à l’inflation », note François Jarraud dans le Café pédagogique (et pour que je cite un tel organe, il faut vraiment que vous fassiez l’unanimité contre vous). « Sur un an, celle-ci atteint 5.2% en mai 2022. La Banque de France et l’Insee annoncent une inflation de 6.8% sur l’ensemble de l’année 2022. Si on prend en compte le pouvoir d’achat perdu depuis 2010, on est encore plus loin. Il faudrait relever le point de 16% pour maintenir le pouvoir d’achat perdu en 2010. »
Quant à rattraper les salaires de nos collègues allemands, luxembourgeois, ou même espagnols, nous en sommes très loin : il faudrait carrément multiplier les salaires par deux. Nous sommes payés comme les enseignants des anciens pays de l’Est — vous savez, ceux dont les plombiers sous-payés menacent nos honnêtes artisans…
Cela dit, 2000 € en débutant, c’est honorable — moins que les 50% d’augmentation que je préconise depuis des années, mais c’est un premier petit pas. Mais les autres, ceux qui déjà blanchissent sous le harnais, ont conjoints et enfants, se logent par nécessité à 100 kilomètres de leur lieu de travail et n’auront certainement pas les moyens de s’offrir le véhicule électrique qu’une conjuration d’écolos et de démagogues ont imposé dans un proche avenir ? Ils patientent ? Ils crèvent ?
Je sais bien que la rue de Grenelle commence et finit à Bercy, et que tout ministre que vous soyez, vous ne décidez de rien, en matière économique. En revanche, sur le plan à proprement parler pédagogique, vous pouvez beaucoup…
… et vous tenez peu. Vous suggérez que les absences des profs puissent être compensées par d’autres profs, et affirmez que « nous voulons faire en sorte qu’une absence de professeur d’histoire-géographie, par exemple, soit compensée par son collègue, disons, de français. Mais attention, précisez-vous, pas pour que le professeur de français fasse de l’histoire-géographie ! Il utilisera ces heures pour faire une double dose de français, et quand le collègue d’histoire-géographie reviendra, il compensera en prenant les heures de français. »
Magnifique — à ceci près que le prof de Lettres a d’autres classes, et qu’il faudrait un miracle sans cesse renouvelé pour que son emploi du temps coïncide avec les heures soudain vacantes de son collègue. Par ailleurs, un enseignant qui travaille déjà 18 heures par semaine passerait d’un coup à 22 heures : pour avoir il y a quelques années assumé les cours de Lettres, en prépas, d’une collègue partie se faire opérer d’un cancer (c’était une classe de concours que l’on ne pouvait laisser en jachère), je sais ce que cela représente en termes de charge de travail. Aussi expérimenté que je fusse, j’ai cru crever.
C’est dans les buts assignés à l’enseignement que vous errez le plus. « Cet enseignement, dites-vous, est tourné vers la connaissance. Vers l’estime de soi et des autres. Vers la possibilité pour chacun de tracer son chemin. »
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Non. Le seul but de l’enseignement est d’amener chaque élève au plus haut de ses capacités. En l’instruisant, en lui faisant apprendre tout ce qu’il ne sait pas — c’est-à-dire tout, car il arrive en classe en partie terre vierge, et en partie friche mal cultivée. Je ne vais quand même pas vous suggérer de relire Condorcet ? L’estime de soi, le savoir-être comme disent les pédagos, c’est du pipeau tant qu’on ne maîtrise pas les savoirs élémentaires — des quatre opérations au théorème de d’Alembert, de l’accord du participe a décryptage de la poésie mallarméenne. Entre temps, ils sont priés de se taire. N’est-ce pas ce que vous avez fait, en bon élève que vous fûtes ? Pourquoi priver les autres de ce qui vous a si bien réussi ?
Comme j’ai appris qu’un texte se lit aussi en fonction de ses omissions, j’ai remarqué que vous esquiviez avec adresse le mot « laïcité », que votre prédécesseur n’hésitait pas à brandir face aux communautaristes et autres suppôts de Mahomet. Est-ce naïveté ou duplicité, au moment où les tenues islamiques se multiplient dans les collèges et les lycées ? Ce n’est plus une politique de petits pas que mènent les sectateurs de la religion de paix et d’amour, c’est une offensive à grandes enjambées. « Nous traversons, dites-vous, une période de suspicion dans le bien commun de notre République » — sans mesurer quelles sont exactement les menaces. Je ne peux suspecter de votre part de la naïveté. Alors ? Vous avez peur des commentaires de Danièle Obono ?
Enfin, vous énumérez quelques grands axes de votre politique à venir. « La lutte contre les inégalités sociales » — mais elle devrait passer par des charges pédagogiques différenciées : plus de français à ceux qui ne le parlent pas, ou mal, par exemple. Plus de culture à ceux qui n’en ont pas, ou pire, qui croient en avoir une, faite de racontars, de on-dit, de lieux communs et de superstitions. Oui, il faut mettre le paquet sur les « savoirs fondamentaux ». Mais il ne faut pas le faire uniformément. Il faut donner davantage à ceux qui arrivent les mains vides et la tête creuse. Tout le monde n’est pas fils ou fille d’enseignant, Monsieur le ministre. Il ne faut pas rechercher l’égalité, qui ne fait que renforcer l’inégalité. Il faut consentir à être inégalitaire, pour ne pas être injuste. Il faut ajouter à Condorcet une touche de Lepeletier de Saint-Fargeau — l’historien que vous êtes me comprendra à mi-mot.
Quant au bien-être des élèves, qui semble vous préoccuper si fort… Je ne suis pas sûr que ce soit en baignant dans le bonheur que l’on se sort les tripes. Voyez la façon dont on prépare les sportifs. Il faut reconnaître une fois pour toutes que l’Ecole est le lieu de la sélection et de la compétition. Sinon, les gosses confinés dans les REP verront toujours ceux de l’Ecole Alsacienne leur passer devant — et là encore je pense que nous nous comprenons.
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