Nicolas Idier connaît bien les cabinets ministériels. Dans Matignon la nuit, une plume du Premier ministre n’a que quelques heures pour rédiger un discours, et ses collègues ne sont pas pressés de l’aider.
Écrire, pour Nicolas Idier, c’est mettre de l’ordre dans le désordre du monde. Le romancier de La Musique des pierres (Gallimard, 2014) se place délibérément dans l’intervalle entre son intimité – par essence secrète – et l’extérieur, entre ce qu’il est et ce qui est, ce qui advient. Toute sa singularité, en somme, consiste à ne pas seulement se replier sur soi. Sans dénigrer pour autant l’autofiction, Idier emprunte une voie intermédiaire : il cherche à rapprocher le grand tout, si difficile à appréhender, de son petit « moi ». L’intervalle, pour Idier, c’est le mouvement. Un pas dedans, un pas dehors. Son voyage intérieur a un prix, celui de la connaissance, et partant, de la mécanique du monde. L’écriture, alors, est son véhicule.
L’écrasante majorité des romanciers immédiatement contemporains ont déserté la politique. Ils ont tort tant elle est une affaire de langage. Idier, qui fut une plume de Jean Castex, l’a bien compris. D’où ce nouveau roman drôle, lucide, dense, ironique, érudit et renseigné.
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C’est la nuit, à Matignon, au premier étage du 57, rue de Varenne. Le narrateur, un « conseiller technique discours » sans pouvoir – et qui plus est sur le départ –, est chargé de trouver dans l’urgence les mots justes à mettre, pour le lendemain, dans la bouche du Premier ministre. Il s’agit de désamorcer une situation parmi d’autres : des migrants, en désespoir de cause, sont perchés au sommet d’éoliennes entre Peuplingues et Sangatte dans le nord de la France. Certes, la langue est le lieu d’un combat mais « que peuvent les mots face à la souffrance de ces rescapés du pire » ? Bref, notre « sous-plume, comme il y a des sous-mains », lequel boit du saké junmai dans un mug «House of Cards», est obsédé par un portrait d’Alain Robbe-Grillet que le puissant Mobilier national a accroché, comme un «contre-modèle», face à celui du président de la République dans le bureau des conseillers. C’est un littéraire, notre narrateur, un lecteur de Segalen, de Mao, d’Aragon et de bien d’autres. Bon, il est sec pour son discours, pas de « punchlines » en ligne de mire, il téléphone à Sollers au motif que ce dernier a écrit un recueil de chroniques sous le titre Discours parfait. L’auteur de Femmes attaque direct : «La France moisie est de retour.» Puis, avant de raccrocher alors que le sous-plume lui confessait, comme un appel au secours, qu’il était en panne d’inspiration : « Lorsque quelque chose d’essentiel se passe, le temps est là et a tendance, en suivant la courbure de l’espace-temps, à devenir infini. » C’est cette courbe que notre antihéros n’arrive plus à suivre ! Que faire ? Recourir à la cartomancie ? S’en remettre à Conrad, le conseiller en chef, qui lui conseille de méditer une formule de Sénèque, « le chaos vous tire », pour débloquer la situation ? Ou s’adjoindre les conseils de Lena, l’influente conseillère communication dont l’épaule est tatouée d’une maxime de Joubert, «le plus beau des courages, c’est d’être heureux»?
Les lieux de pouvoir sont hantés par des ambitions désavouées.