On a eu beau s’enfermer dans le déni, on sentait bien que quelque chose ne tournait pas rond dans le monde tel qu’il allait.
Honnêtement, alors que le confinement s’installe, qui peut se déclarer surpris ? Sidéré, sans aucun doute, mais pas surpris. La sidération, c’est le bouleversement brutal de toutes nos habitudes : la vie ralentie, les sorties avec une autorisation comme si nous étions redevenus des collégiens, à cette différence que nous la signons nous-mêmes et que nous ne demandons plus à nos parents de le faire. Nos parents, maintenant, nous nous inquiétons parce qu’ils sont dans un EHPAD ou parce qu’ils sont seuls chez eux et que nous essayons de leur apprendre le maniement de Skype pour voir leur visage, pour nous rendre compte s’ils se nourrissent correctement, si leur regard ne dément leur voix qu’ils veulent rassurante. Oui, nous sommes sidérés par les rues vides, par le chant des oiseaux revenus. Sidérés encore par le sinistre rendez-vous quotidien avec Jérôme Salomon et son décompte patelin et monocorde des morts, sidérés par la bêtise de Sibeth N’Diaye qui profère une énormité à chaque fois qu’elle ouvre la bouche, ce qui est ennuyeux pour une porte-parole.
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Comme un mauvais roman d’anticipation
Mais non, nous ne sommes pas surpris. Nous mesurons seulement à quel point nous avons été dans le déni. Le monde nous alertait pourtant à chaque fois qu’un morceau de banquise se détachait des pôles, que les glaciers se réduisaient comme une peau de chagrin sur les cartes satellite, que la déforestation détruisait des écosystèmes entiers.
Mais qui peut se déclarer surpris, au fond de lui-même ? En tout cas, pas le lecteur de science-fiction. Les récits d’effondrement, depuis les années 60-70 (Ballard, Brunner, K.Dick) ont tous donné une version précise et prophétique de notre fin. Pas l’amateur de séries, qui entre effroi et extase, regarde depuis des années des apocalypses zombie, parfaite métaphore de la contamination.
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Ce n’est pas comme si cette inquiétude datait d’hier matin, ce n’est pas comme si la collapsologie n’était pas devenue via Yves Cochet ou Pablo Servigne, un courant de pensée qui nous disait, dans l’indifférence ou sous les huées, que ça n’allait pas pouvoir continuer comme ça. Cassandre est toujours détestée et on ne lit plus assez les Evangiles : « Vous écouterez de vos oreilles, et vous n’entendrez point ; vous regarderez de vos yeux, et vous ne verrez point. »
Les soignants vivent un cauchemar depuis des années
D’ailleurs pas besoin d’être un Black Bloc pour comprendre que le monde techno-marchand porte en lui sa propre catastrophe planétaire. Le pape François, dans son encyclique de 2015, Laudato si, a vu le tsunami arriver : « Beaucoup de ceux qui détiennent plus de ressources et de pouvoir économique ou politique semblent surtout s’évertuer à masquer les problèmes (…) Mais beaucoup de symptômes indiquent que ces effets ne cesseront pas d’empirer si nous maintenons les modèles actuels. »
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Sidérés mais pas surpris, à l’image des soignants débordés et mal équipés qui s’époumonaient dans le silence médiatique, en indiquant qu’une logique managériale de flux tendu pour l’hôpital conduirait un jour ou l’autre à un cauchemar. Qui se souvient, dans ceux qui applaudissent, que les urgences, au commencement de l’épidémie, étaient en grève depuis un an pour tenter de nous alerter?
Alors, non, l’argument du pouvoir, le dernier dans sa pitoyable communication, ne tient pas : « On ne pouvait pas savoir ». Mais si, vous pouviez. Seulement, à l’image caricaturale du patron de l’ARS du Grand Est, sèchement limogé parce que son comportement prenait l’allure d’une psychose, lui qui voulait continuer à supprimer des lits et des personnels dès que la pandémie serait passée, vous étiez vous aussi enfermés dans un déni infiniment plus grave que le nôtre puisque vous, vous aviez toutes les cartes en main. Mais vous ne vouliez pas voir, par lâcheté, intérêt, idéologie, que les idées ont des conséquences concrètes, et que ces conséquences sont devenues notre très dystopique présent.
Va falloir qu’on parle, vous savez, quand on va ressortir : on a deux ou trois trucs à vous dire…
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