Dans Mémoire sur la pampa et les gauchos, Adolfo Bioy Casares (1914-1999) se lance à la recherche de l’homme de la pampa argentine.
Tous les 6 décembre, en Argentine, on célèbre le gaucho dont la typologie demeure assez floue, même sur ses terres d’origine. Sous l’Équateur, cet individu ne correspond en rien au portrait de son homologue européen, voire de sa définition française. Quand on parle de gauchos dans l’hexagone, le pluriel est de rigueur. Il y a un parfum de fumigène dans l’air, des relents de révolte minière, un goût certain pour la pétition virale et la pratique sportive du lancer de pavés en milieu urbain. Les gauchos de nos latitudes avancent toujours groupés et se nourrissent essentiellement de merguez trop grillées durant de longues marches. Le cri strident de la sono en moins, nous touchons là à un point de convergence des combats sociaux, une passion pour le barbecue, sincère et enjouée, aussi vivace des deux côtés de l’Atlantique.
« L’homme de la pampa parfois rude reste toujours courtois ». Audiard
Vacher fier et brave
Chez nous, particularismes régionaux obligent, les gauchos sont aussi remontés qu’un député radical-socialiste de la IVème République à la buvette de l’Assemblée après un déjeuner chez Lipp ou qu’un Poperéniste à la fin du Congrès de Rennes. En Amérique latine, le gaucho serait plutôt une sorte de cavalier agraire, gardien de troupeaux aux étendues infinies, vacher fier et brave, paysan anobli sous le harnais des chevaux sauvages, cow-boy un peu moins frelaté par l’imagerie hollywoodienne.
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Les petits argentins s’identifient à ces figures légendaires, héros des luttes d’Indépendance et témoins de l’Homme seul face aux défis de la nature. Ils apprennent leurs manières et leur caractère tempétueux sur les bancs de l’école. Que savons-nous vraiment de ces courageux arpenteurs d’espaces vierges, à l’exception du folklore véhiculé par l’inaccessible Rudolph Valentino? Leur univers nous reste aussi mystérieux qu’une élection interne ou une investiture dans un parti politique.
Casares, argentin sauce béarnaise
Cet automne, vient de (re)paraître chez Héros-limite dans la collection géographie(s), un texte datant de 1970 signé Adolfo Bioy Casares (1914-1999), écrivain argentin d’ascendance béarnaise proche de Borges. Mémoire sur la pampa et les gauchos se présente comme un essai court et vif, piquant et drôle sur un monde qui nous échappe totalement. Casares y dévoile une plume assez féroce, pleine d’ironie et de tendresse pour ces étranges personnages de la campagne. Sa démonstration s’appuie sur des extraits de romans, des témoignages et des souvenirs d’enfance. Pourquoi une telle fascination pour le gaucho alors que le sort de nos agriculteurs suscite un profond désespoir dans nos contrées? Casares l’explique ainsi: « Le vague désir que nous avons tous, nous, habitants d’un monde progressivement accaparé par la ville, de disposer d’un ancêtre indocile auquel nous identifier, a répondu ardemment à la poésie des gauchesques, aux récits de Lynch et de Güiraldes, peut-être aussi à certains modes de diffusion plus larges : ensembles de musiciens et de zapateadores, musées, monuments, hommages, le discours officiel ».
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La perception du gaucho est aussi bien une affaire sentimentale que nationale, elle renvoie aux lectures, aux fantasmes et aux récits populaires. Selon l’érudit, la geste gauchesque s’est même répandue chez les jeunes paysans.
Gauchoïsation des esprits
L’Argentine était en voie de « gauchoïsation » dès les années 1970. Il y décelait une volonté de rédemption. « Chez plusieurs générations d’Argentins, le gaucho a suscité des sentiments contradictoires, cependant le personnage est tellement ancré non seulement dans l’affection, mais dans le respect de tous, qu’aujourd’hui nous sommes presque scandalisés au souvenir de la défaveur dont il a souffert à d’autres époques » écrit-il.
L’autel du gaucho était donc devenu un intouchable consubstantiel de la nation argentine. Ce livre donne surtout envie de se plonger dans la culture gauchesque et d’aller encore plus loin dans son étude. Et puis, rappelons que c’est un français, Michel Audiard, qui fut le premier à théoriser l’esprit du gaucho dans une saillie à jamais indépassable : « l’homme de la pampa parfois rude reste toujours courtois ».
Mémoire sur la pampa et les gauchos, Adolfo Bioy Casares – Héros-limite.
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