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Pakistan: Asia Bibi n’est pas un cas isolé

Les meurtres au nom de l'islam s'y multiplient


Pakistan: Asia Bibi n’est pas un cas isolé
Manifestation à Lahore pour réclamer l'exécution d'Asia Bibi, Pakistan, novembre 2018 © SIPA.

L’affaire Asia Bibi, du nom de cette chrétienne persécutée au nom de l’islam au Pakistan n’est qu’un révélateur de la mainmise des fous d’Allah sur le pays. Les meurtres d’infidèles, justifiés par de prétendus blasphèmes, s’y multiplient. 


Depuis neuf ans que dure le procès d’Asia Bibi, une coalition de partis islamistes organise des émeutes à répétition, mettant la foule en transe. Cette affaire pourrait servir de prétexte à un embrasement généralisé. En trois jours, les islamistes ont réalisé une véritable démonstration de force.

En réalité, le Pakistan est déjà en guerre civile. Les talibans l’ont déclenchée en 2004, dans le Khyber Pakhtunkhwa, où vivent plus de 35 millions de Pakistanais. Dans certains endroits, les écoles gouvernementales y sont moins nombreuses que les madrassas islamistes, où l’on enseigne que les mécréants sont impurs, et qu’il faut dénoncer et tuer toute personne qui insulte Mahomet, même par allusion. C’est d’ailleurs un des articles de la loi anti-blasphème au nom de laquelle ont été arrêtées 22 personnes, rien que cette année au Pakistan.

Les assassins célébrés

En juin 2009, une journalière chrétienne du Pendjab, Asia Bibi, se disputa avec des collègues musulmanes qui cueillaient avec elle des baies. Celles-ci lui dirent qu’en tant que chrétienne, elle avait souillé un gobelet dans lequel elles buvaient, et qu’elle l’avait rendu inutilisable. Une dispute s’ensuivit, chacune des femmes accusant l’autre d’avoir insulté sa religion respective. Asia Bibi fut battue quelques jours plus tard, et traduite en justice. Elle jura être innocente de toute déclaration hostile à l’islam. Elle fut pourtant condamnée à mort en novembre 2010.

Le gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, déclara que le crime d’Asia Bibi ne tombait pas sous le coup de la loi anti-blasphème. Cette défense provoqua un tollé parmi les islamistes, surtout après que Taseer se fut rendu à la prison pour y rencontrer la condamnée.

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Début janvier, il fut abattu par Mumtaz Qadri, l’un des policiers chargés de sa surveillance. Les islamistes interdirent aux Pakistanais de porter le deuil de Taseer et de se rendre à ses funérailles. Ils firent de l’assassin un héros et exigèrent sa libération en fomentant des émeutes alors inouïes. Après son exécution en 2016, des centaines de milliers de manifestants envahirent les rues pour l’acclamer et conspuer le gouvernement.

Asia Bibi eut un autre défenseur, Clément Shahbaz Bhatti, ministre fédéral des Affaires des minorités et bête noire des islamistes. En août 2009, des islamistes avaient en effet incendié une quarantaine de maisons, faisant périr onze personnes. Ils les accusaient d’avoir profané des pages d’un Coran au cours d’un mariage. Le ministre déclara que c’était un coup monté : ils l’assassinèrent en mars 2011.

La charia de la rue

La tension idéologique au Pakistan est telle que le gouvernement n’ose pas appliquer la peine de mort prévue pour les « blasphémateurs » arrêtés. Souvent, ils sont malencontreusement assassinés avant ou après l’arrestation. L’un d’eux fut tué à la hache par un policier. Le parti Tehreek-e-Labaik Pakistan (TLP), fondé en réaction à l’arrestation de Qadri, a pour vocation spéciale la lutte pour la mise à mort de ces « blasphémateurs ».

Comment cela se terminera-t-il ? Les pressions cumulées de l’Occident et des Pakistanais non islamistes, l’assassinat coup sur coup d’un gouverneur et d’un ministre fédéral, ont procuré à Asia Bibi une publicité dont elle se serait bien passée. La Cour suprême l’a acquittée. En voyant l’ampleur des émeutes et des dégâts, le gouvernement pakistanais semble avoir reculé dans cette affaire, acceptant de négocier avec les islamistes, avant d’annoncer, finalement, la libération d’Asia Bibi. Mais les talibans qui font la loi dans le Khyber Pakhtunkhwa menacent d’étendre leur action à tout le pays si Asia Bibi était libérée.

Une fatwa demande aux chauffeurs des juges de tuer leur patron

En apprenant l’acquittement d’Asia Bibi, le TLP paralysa les grandes villes : Lahore, Islamabad, Karachi, Peshawar. Des islamistes passaient dans les écoles, les commerces et les bureaux pour les obliger à fermer. Ils organisèrent des manifestations simultanées un peu partout pour bloquer les routes : au Pendjab, il y en eut en vingt-cinq endroits différents, d’après les autorités.

Une vidéo amateur montre les chefs du mouvement assis devant une foule immense, au milieu des acclamations. L’un d’eux, Pir Afzal Qadri, lance une fatwa : « Ces trois juges sont, d’après la charia, à tuer obligatoirement [« wajibou-l-qatl »]. Si les travailleurs ne peuvent pas parvenir jusqu’à eux, alors, les chauffeurs de ces hommes devront les tuer. Le général Bajwa [commandant en chef de l’armée] n’est pas acceptable pour nous : une décision aussi importante ne peut être applicable sans son accord. Les musulmans parmi les généraux, ont l’obligation de se rebeller contre ceux-là. Il doit y avoir un coup d’État contre Bajwa. Imran Khan [le Premier ministre] a prouvé qu’il n’est qu’un enfant juif. Le gouvernement d’Imran Khan doit être renversé immédiatement, ces trois juges jetés dehors, et un procès leur être intenté. Ils n’ont pas respecté le saint Coran, le hadith honoré, et la loi [la charia]. »

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Pour faire un coup d’État, faisait remarquer Curzio Malaparte, il suffit d’une poignée d’hommes motivés qui prennent brusquement d’assaut les centres névralgiques du pays. Pour le moment, le TLP en est aux menaces, mais le charisme de ses chefs, sa logistique et sa capacité à paralyser des villes entières ou des départements font craindre un bras de fer durable et meurtrier avec les autorités.



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