Accueil Culture Crise des opioïdes: le mensonge des 12 heures de l’« OxyContin »

Crise des opioïdes: le mensonge des 12 heures de l’« OxyContin »

« Painkiller », une série créée par Micah Fitzerman-Blue et Noah Harpster, 6 épisodes, sur Netflix


Crise des opioïdes: le mensonge des 12 heures de l’« OxyContin »
Uzo Aduba et Matthew Broderick, "Painkiller" (2023) © Netflix

Une série un peu effrayante de Netflix aborde les dérives de la commercialisation de l’OxyContin, un puissant antidouleur développé par le laboratoire Purdue Pharm qui a rendu accro l’Amérique, et est pour bonne partie responsable de la crise sanitaire qui a explosé au milieu de la décennie 2010.


Deux millions de personnes seraient actuellement dépendantes aux opioïdes aux Etats-Unis, et 90 morts par surdose s’y produiraient chaque jour.

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En introduction de chaque épisode de « Painkiller », nouvelle série de Netflix qui mélange fiction et personnages réels, le téléspectateur se voit proposer un rappel des « effets indésirables » du médicament OxyContin. Chacun des six volets de la mini-série débute ainsi par le témoignage réel d’un Américain lambda ayant perdu un proche à cause de ce médicament. Cela aurait pu être un peu lourd, mais c’est en réalité émouvant et nous prépare à ce que nous allons voir. Car, bien que cette série soit une dramatisation, le drame de la crise des opioïdes est lui bien réel. L’OxyContin, puissant analgésique opioïde, a généré plus de 35 milliards de dollars de revenus à son fabricant. On estime déjà à un demi-million le nombre de morts aux Etats-Unis d’une surdose causée par des opiacés prescrits ou bien vendus illégalement. Une bonne fiction est souvent ce qu’il y a de plus efficace pour éveiller les esprits. Par exemple, concernant les risques liés au changement climatique, le film Don’t Look Up, avec Leo DiCaprio et Meryl Streep, est vraisemblablement plus efficace qu’un sermon de Sandrine Rousseau…

Aux origines de la crise des opioïdes

L’histoire fictive s’ouvre sur le réveil précipité, dans sa luxueuse demeure, de Richard Sackler (Matthew Broderick, assez génial), qui entend plusieurs alarmes incendie retentir. Il est le dirigeant de l’entreprise fondée par son oncle, Purdue Pharma, laquelle existe vraiment. Il peine à éteindre les alarmes, jusqu’à ce qu’un bon à tout faire intervienne enfin pour l’aider. Pendant ce temps, une Afro-américaine accro au boulot, Edie Flowers (interprétée par Uzo Aduba), se rend à Washington pour rencontrer un groupe d’avocats concernant les Sackler. Initialement sceptique quant à la poursuite de la famille de milliardaires, elle est intriguée d’apprendre que ses confrères disposent enfin d’une déposition de Richard Sackler lui-même. Consciente d’une possible avancée dans les poursuites contre Purdue Pharma, elle accepte de raconter son histoire. Une grande partie du récit de « Painkiller » est ainsi présentée à travers des flashbacks. Dans le cadre de son travail au bureau du procureur des États-Unis à Roanoke (en Virginie, l’État américain qui sera le plus touché de tous par la crise des opioïdes), Edie commence à entendre parler d’OxyContin par divers médecins. Dans un flashback significatif, elle tente de dénoncer un médecin pour fraude à la Sécu, et en découvre plus qu’elle ne l’avait prévu. Au cours des six derniers mois, le médecin véreux a prescrit l’OxyContin plus de 1000 fois, plaçant ainsi officiellement le médicament de Purdue Pharma sur le radar d’Edie…

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En parallèle, nous en apprenons davantage sur les effets indésirables grâce à un homme en Caroline du Nord affecté négativement par le médicament. C’est Glen Kryger (joué par Taylor Kitsch, vu dans le flop de Disney « John Carter », émouvant ici), qui, aidé de sa femme Lily, dirige un garage. Glen subit une grave blessure au dos alors que son beau-fils fait l’idiot avec une excavatrice, ce qui l’emmène à l’hôpital. Bien que l’opération soit réussie, Glen se voit prescrire des médicaments contre la douleur qui se révèlent insuffisants pour soulager sa souffrance.

Marketing agressif

Dans le présent, Edie révèle aux avocats que l’oncle Sackler avait pour objectif dès le début de créer des clients à vie pour son entreprise pharmaceutique en utilisant des stratégies de marketing agressives. Cependant, à sa mort, la famille se retrouve endettée. Sous pression de ses proches et désireux de suivre les traces de son oncle, Richard élabore un plan peu éthique pour récupérer de l’argent. Il modifie le médicament MS Contin pour en faire le fameux OxyContin. Bien que l’OxyContin puisse véritablement soulager la douleur, les Sackler réalisent vite qu’il est également fortement susceptible de provoquer des abus graves, mais ils privilégient les bénéfices au détriment de toute autre considération et réunissent une équipe de vente composée de jeunes séduisants pour promouvoir la pilule miracle.

On découvre alors notamment deux sacrées garces, la jeune visiteuse médicale Shannon Schaeffer (jouée par West Duchovny, la fille de David Duchovny et Tea Leoni) et sa chef sexy prénommée Britt, laquelle, grâce aux ventes, l’introduit à un style de vie luxurieux et glamour sans jamais trop s’étendre sur la véritable nature du travail, bien sûr. De son côté, Glen continue de souffrir de douleurs intenses et a du mal à s’adapter à sa nouvelle vie après l’opération. Lui et sa femme retournent chez le médecin, exprimant leur insatisfaction quant au médicament inefficace. Le médecin vient d’entendre parler de l’OxyContin, et lui prescrit en l’invitant à être vigilant quant aux risques. Un peu plus tard dans la série, les téléspectateurs ne manqueront pas d’assister aux premiers effets du médicament sur la vie de Glen, effets qui s’aggraveront par la suite…

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Offrant une plongée réaliste dans une Amérique moyenne – mais pas miséreuse – ciblée par des vendeurs de médicaments ayant en commun avec les dealers de crack l’absence de considération pour autrui et l’appât du gain, la série de Netflix est tout à fait passionnante. Les manœuvres judiciaires des autorités et les intrigues des industriels telles qu’elles nous sont racontées sont également palpitantes. Le mensonge initial du médicament est finalement bien révélé par la série : avec mille autres ruses, le groupe pharmaceutique est parvenu à obtenir son autorisation de mise en vente auprès de la FDA en avançant qu’une dose soulageait la douleur pendant 12 heures, ce que ne faisaient pas les autres médicaments, permettant de prendre une dose le soir et une dose le matin et de bénéficier d’un effet continu. Même avant sa commercialisation, les essais cliniques avaient pourtant montré que de nombreux patients ne bénéficiaient pas d’un soulagement de 12 heures, les entrainant inévitablement dans la dépendance. En 2010, une nouvelle formule de l’OxyContin est toutefois commercialisée par le labo soucieux de montrer sa bonne volonté, formule rendant les usages détournés plus difficiles. Mais il est bien trop tard, et des recoins entiers de l’Amérique se sont déjà transformés en film d’horreur.

Six épisodes disponibles sur Netflix.




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Rédacteur en chef du site Causeur.fr

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