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Rassemblement national: vers une majorité absolue?

Pour y parvenir, il faut que le parti de Jordan Bardella gagne un maximum de circonscriptions (environ 90%) où il a terminé en tête avec une large avance ainsi que de nombreuses triangulaires, et que le ni-ni et l’abstention jouent en sa faveur. Détails.


Ces élections législatives anticipées ont bouleversé la vie politique, en consacrant notamment au premier tour le Rassemblement national qui a terminé en tête du scrutin et se qualifie dans 447 circonscriptions sur 577. Similaire à celle de la gauche en 1981 ou celle de Macron en 2017, cette vague RN a permis au parti de Jordan Bardella d’être présent dans toutes les circonscriptions métropolitaines, sauf quelques-unes dans les grandes métropoles (Ile-de-France, Lyon, Marseille, Rennes, etc.).

Seulement, si cette performance est historique, le retour du Front républicain rend incertaine une majorité absolue pour le RN.

Le Rassemblement national est sur un socle élevé

Le bloc du Rassemblement national est en forte progression. Alors que l’on pouvait penser que le parti lepéniste avait atteint un plafond à la présidentielle de 2022, il a réalisé un record ce dimanche 30 juin 2024. En effet, il a enregistré un record de voix avec 10,6 millions de voix, soit 6 millions de voix supplémentaires qu’au premier tour des législatives de 2022 et 2 millions de voix supplémentaires par rapport au score de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle 2022. D’autant plus que le score du Rassemblement national a progressé malgré une participation moins forte aux législatives qu’à la présidentielle (66% contre 73,69% en 2022), ce qui traduit un élargissement électoral du Rassemblement national.

Le Rassemblement national n’est plus isolé politiquement. S’il a longtemps été le seul parti du bloc national induisant ainsi de faibles reports de voix lors de seconds tours, il est désormais au cœur d’une galaxie de partis satellites grâce aux alliances avec Eric Ciotti, Marion Maréchal ou encore Eric Dupont-Aignan. Cette situation permet au Rassemblement national d’agréger de nouvelles sensibilités politiques (libérale, souverainiste, conservatrice, etc.) qui lui reconnaissent le leadership politique malgré les différences idéologiques. Ainsi, selon les territoires et les configurations de second tour, le Rassemblement national peut espérer de meilleurs reports de voix au second tour d’une partie d’électeurs Les Républicains ou encore Reconquête qu’auparavant.

Victime du Front républicain

Le Front républicain est encore tenace face au Rassemblement national qui a été désigné comme l’ennemi à éliminer pour le second tour des élections législatives. En quelques heures, et malgré sept ans d’oppositions frontales, sur les 306 hypothèses de triangulaires, 220 candidats se sont désistés face au parti de Jordan Bardella, soit 72% des cas. Or, si les partis politiques ne sont pas les propriétaires de leurs électeurs, les désistements mettent le Rassemblement national dans une moins bonne situation.

D’une part, les reports de voix ne risquent pas d’être massifs dans la mesure où il s’agit d’un désistement de deux camps opposés (Ensemble et Nouveau Front Populaire) sur de nombreux sujets et qui ont connu des affrontements violents notamment ces deux dernières années. D’autre part, il est tout de même plus difficile pour le Rassemblement national de l’emporter dans un duel que dans une triangulaire, car l’adversaire du RN capte davantage les voix du candidat s’étant désisté. D’autant plus que l’unique argument invoqué pour justifier un désistement est de « battre le Rassemblement national » en faisant appel à l’imaginaire des républicains qui barraient la route des fascistes lors des années 1930…

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De plus, le Rassemblement national est dans une situation moins favorable que prévue. Il est plus simple pour lui de gagner un duel face à la gauche que face à un candidat du camp présidentiel ou des Républicains. En effet, en 2022, les duels face à la gauche avaient tourné à l’avantage du RN, qui en avait remporté 33 sur 59, soit plus de la moitié. Alors que le Nouveau Front Populaire a terminé deuxième derrière le Rassemblement national, il aurait été logique que le nombre de duels entre la gauche et le RN explose. Or, cela n’est pas le cas puisqu’il ne devrait y avoir que près de 149 duels entre le RN et la gauche (celle-ci s’étant beaucoup plus désistée) contre plus de 129 duels entre le RN et le camp présidentiel et une cinquantaine contre LR, deux configurations moins favorables au RN.

Une majorité absolue possible mais incertaine

Le Rassemblement national peut toujours remporter une majorité absolue mais cela devient plus incertain en raison du Front républicain et d’une performance moins bonne que prévue au premier tour. Ainsi, il est arrivé trop peu de fois en tête au premier tour, en terminant en tête dans seulement 297 circonscriptions sur les 447 où il s’est qualifié. Cela rend le parti à la flamme tributaire du niveau de reports de voix dont disposera son adversaire au second tour, et donc de l’efficacité du Front républicain. Or, nous assistons à la constitution d’un Front anti-RN, allant de l’aile droite de la macronie aux Insoumis sur le modèle des élections régionales de 2015. Les appels de la gauche et du camp présidentiel à se désister l’un pour l’autre renforceront les reports de voix entre les deux, puisque la bête noire n’est plus la Nupes de Mélenchon comme en 2022 mais le Rassemblement national de Jordan Bardella. Il s’agit désormais de savoir si ce dernier obtiendra une majorité absolue ou non, et l’ensemble des Français s’exprimeront dessus comme s’il s’agissait d’un référendum.

Seulement, un cumul de facteurs d’indécision peut encore permettre au Rassemblement national d’envisager une majorité absolue ou une majorité relative suffisamment solide (sur le modèle de ce qu’a été la majorité présidentielle jusqu’à présent). Premier facteur, le Rassemblement national doit gagner un maximum de circonscriptions (environ 90%) où il a terminé en tête avec une large avance ainsi que de nombreuses triangulaires, ce qui nécessite un front républicain moins efficace que prévu. À cause des désistements, des électeurs n’auront plus leur choix préférentiel au second tour, ce qui peut générer de l’abstention. Notamment dans l’hypothèse où de nombreux électeurs se retrouveront à choisir entre deux mauvais choix selon leur appartenance d’origine à savoir sauver Macron lorsqu’on est de gauche ou sauver le Nouveau Front Populaire lorsqu’on est macroniste. Dans ce cadre, le RN doit remporter près de 65% des duels contre la majorité présidentielle, en espérant que le report des voix de gauche notamment de la France Insoumise soit moins fort que lors de la dernière élection présidentielle. Deuxième facteur, le Rassemblement national doit bénéficier d’un report de voix d’une partie des électeurs centristes et de droite, notamment dans le cadre de duels face à LFI qui est jugée tout autant infréquentable voire pire depuis le 7 octobre et les soupçons d’antisémitisme. Ainsi, il faudrait remporter près de 70-75% des duels face au Front Populaire. Dernier facteur, le Rassemblement national doit éviter une remobilisation électorale comme en 2015 avec des électeurs qui voteront uniquement pour lui faire barrage, tout en profitant d’une petite remobilisation du camp national avec l’élan du premier tour.

La majorité absolue s’éloigne pour le Rassemblement national. Toutefois, il est toujours possible pour Jordan Bardella d’obtenir une majorité relative suffisamment solide lui permettant de gouverner. Le seul prérequis à cela serait qu’il y ait environ 300 députés RN et LR. Dans ces circonstances, la droite républicaine pourrait ne pas voter la motion de censure provenant de la gauche et des centristes. En contrepartie tacite, le RN devrait adresser des signaux aux LR. Jordan Bardella serait dans une situation finalement très proche de celle d’Elisabeth Borne qui a tout de même fait voter une cinquantaine de textes en 2023, y compris des textes emblématiques comme la réforme des retraites et la loi Immigration.

L’Élysée, maison d’un fou?

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Emmanuel Macron est-il fou ? Oui, fou. « Fada », comme il dit. Depuis le 9 juin et sa dissolution rageuse de l’Assemblée nationale, annoncée 58 minutes après l’annonce de la défaite de son mouvement aux élections européennes (14,6%), la question se pose.


La question obsède son camp traumatisé qui, dans l’instant du verdict, a vu venir le crash. Mais « l’esprit de défaite » n’habite pas ce président haut perché, enamouré de lui-même. Ce soir-là, l’homme blessé (« cela m’a fait mal », avouera-t-il) se persuade de « prendre son risque ». Il se convainc de susciter un sursaut de confiance autour de sa personne, comme il le fit en agitant la peur du Covid (« Nous sommes en guerre ») et comme il aimerait tant le faire en attisant les braises d’un conflit généralisé contre la Russie. Macron pense, ce 9 juin, jouer le coup fumant qui le replacera en sauveur face au RN. Ne s’est-il pas engagé à en être le rempart ?

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Ce soir-là, Macron laisse donc sa photographe, Soazig de la Moissonnière, fixer et diffuser auprès des médias les mines atterrées de ses ministres et de la présidente de l’Assemblée, réunis pour entendre son bon plaisir, avalisé en coulisses par une bande de drôles. Au Monde, quelques jours plus tard, le chef de l’Etat expliquera fièrement : « Je prépare ça depuis des semaines et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils vont s’en sortir ». Mais la grenade allait évidemment rouler sous son fauteuil. Il aura fallu attendre le 30 juin, premier tour des législatives, pour qu’il en mesure la première déflagration avec un RN à 33,15%, un Nouveau Front Populaire à 27, 99% et une macronie défaite à 20,83 %, donc ne pouvant survivre qu’au prix d’accords avec la coalition « diversitaire » préemptée par Jean-Luc Mélenchon.

Seul un insensé peut ainsi s’amuser à la roulette belge (toutes les balles dans le barillet) en croyant pouvoir gagner. Un chef d’Etat si peu perméable aux assauts des réalités et aux attentes de son peuple indigène est un homme clos qui ne se fie qu’à lui-même et à ses cireurs de bottes. Macron est ce narcisse esseulé. Dès lors, comment ne pas s’interroger sur sa démesure égotique, sa négation des obstacles, sa fascination pour la foudre, son attirance pour la transgression, sa jouissance dans le caprice, son mépris des contradicteurs, son plaisir à agiter les peurs, sa propension à se défausser sur les autres ? Comment ne pas s’alarmer de son immaturité d’enfant-roi qui, pareil au jeune Abdallah de Tintin, jette ses pétards et trépigne d’être contrarié. Bref, comment ne pas se demander si Macron tourne rond ? C’est le Figaro Magazine qui, le 14 juin, pose directement la question au roi sans divertissement : « – Que répondez-vous à ceux qui disent ça ? Etes-vous fou, comme ils le prétendent ? -Non, pas du tout, je vous le confirme, je ne pense qu’à la France. C’était la bonne décision, dans l’intérêt du pays. Et je dis aux Français : n’ayez pas peur, aller voter ».

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Mais de quoi les Français auraient-il peur, sinon des foucades d’un personnage de roman qui s’ennuie d’attendre son destin ?

À dire vrai, Macron n’est pas le seul à avoir perdu la tête. Certes, il n’a jamais voulu entendre l’exaspération des Oubliés qui ébranlent le vieux monde politique. « Je ne sens pas la colère », déclare-t-il en 2018 à la veille de la fronde anti-parisienne des gilets jaunes, puis en 2023 alors que les agriculteurs ruent dans les brancards. C’est en province que la révolution du réel s’est échauffée. Cependant, ce président déphasé est aussi le produit de la crise de la politique, victime des idéologies bavardes et hors-sol. Les « élites » sont contestées pour avoir montré un même dérèglement intellectuel, incompatible avec le bon sens des Français ordinaires.


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Le désordre ou l’alternance

Institutions. Que l’on ait voté, ou pas, pour les candidats du Rassemblement national, il faut reconnaitre que seule une majorité de « l’union des droites » à l’Assemblée nous éviterait la chienlit. Sans elle, Bardella a dit qu’il n’irait pas à Matignon… Mais, le RN devra aussi prendre un virage « post-populiste » et s’assumer « national conservateur » pour que la situation politique de la France ne reste pas bloquée.


Les résultats du premier tour des élections législatives n’offrent qu’un débouché politique limité. En réalité, deux choix, et deux choix seulement, restent possibles.

Le premier est sans aucun doute le pire. C’est celui que le président de la République et au moins une partie de sa majorité essaient de vendre au pays, depuis l’annonce désastreuse de la dissolution. Emmanuel Macron voulait l’élargissement de sa majorité. Il estimait que celui-ci n’était plus possible à froid, par le jeu régulier du dialogue parlementaire. Il a voulu le réaliser à chaud, à l’occasion d’un scrutin qu’il pensait décisif.

La confiance absolue que le président a en lui l’a empêché de s’assurer que le coup était jouable, et que ses éventuels partenaires, au PS ou à LR, étaient prêts à le suivre. Il a même refusé d’entendre tous les signaux qui lui disaient le contraire, à commencer par le refus poli, exprimé dès avant le résultat des Européennes, par Gérard Larcher. La main était trop faible, le bluff trop voyant : la partie de poker est perdue. Mais, depuis dimanche soir, alors que les jeux sont faits, la macronie s’acharne et tente de convaincre qu’une majorité centrale est encore possible et qu’elle est souhaitable… Elle n’est toutefois ni l’une, ni l’autre, pour au moins trois raisons.

Trois mauvaises raisons de mettre en place une grande coalition au centre

La première est arithmétique : le compte n’y est pas. En calculant le plus largement possible et en incluant les trois partenaires potentiels, c’est-à-dire toute la gauche à l’exclusion de LFI, le courant macroniste, dans ces différentes variations, et les Républicains « canal historique », amputés de l’aile ciottiste, on obtient moins de 250 députés. On est ainsi très loin de la majorité absolue de 289 sièges, et même très en deçà de la majorité relative sortante et difficilement gouvernable, qui s’élevait à 283 députés. En réalité, le résultat n’aurait pu être atteint qu’à une condition : si la majorité sortante s’était renforcée ; or, c’est le contraire qui s’est produit, et la macronie sort laminée du scrutin.

La seconde raison est davantage politique, au sens à la fois tactique et programmatique que ce terme induit. De cette alliance improbable, personne ne veut et surtout pas la gauche social-démocrate qui, malgré le bon score de Raphaël Glucksmann aux Européennes, est allée se jeter dans les bras de la France Insoumise, sans même respecter un délai de décence élémentaire. On peut gloser à l’infini sur les motivations de l’acte, qui se situent probablement quelque part entre le réflexe d’union conditionné par des cultures politiques de longue durée et l’attirance irrépressible pour la mangeoire. Quoi qu’il en soit, on voit mal aujourd’hui le PS, les Verts et le PCF rompre un programme commun signé l’avant-veille et jeter aux orties le Nouveau Front populaire. Quant au fond, il n’y en a pas et les hypothétiques partenaires ne sont d’accord sur aucun des grands dossiers nationaux (ni sur le nucléaire, ni sur les retraites, ni sur l’assurance chômage, ni sur la fiscalité, ni sur l’immigration, ni sur la sécurité…) Seuls l’attachement à l’Union européenne et l’attitude vis-à-vis de la Russie pourraient fournir un terrain de rapprochement (à condition d’exclure le PCF), mais on concédera qu’il est mince.

La troisième raison est sans doute la plus importante. Une telle alliance (si, malgré tous les obstacles, elle venait à se réaliser) aurait des effets délétères pour les institutions démocratiques. Les citoyens y verraient, non sans raison, une preuve de l’insincérité, voire du cynisme, des élites dirigeantes. Ils la considéreraient surtout comme un tour de passe-passe destiné à escamoter la volonté d’un peuple qui continue de penser mal, moins de 20 ans après le désastreux précédent du référendum sur la constitution européenne. La situation serait d’autant plus grave qu’elle se greffe sur un contexte déjà chargé, fait de défiance envers les élus, de fracturation de la société et de moindres performances économiques. Et surtout de violences ! Car, et il s’agit là d’un phénomène nouveau, grave et probablement sous-estimé dans l’histoire longue de France d’après 1945, avec les gilets jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites et les émeutes urbaines de juin 2023, la violence est redevenue un moyen d’expression politique récurent et presque banalisé. Les incertitudes à venir ne feraient que renforcer cette tendance.

Macron entend organiser le désordre

Tout cela, le président de la République le sait. Pourquoi alors agit-il de la sorte et que recherche-t-il vraiment ? Une majorité étendue et nouvelle ? Sans doute pas, tant elle semble lointaine. Un front du refus visant à isoler le RN ? Mais outre qu’il faudrait alors l’étendre à la France Insoumise (ce qu’Emmanuel Macron a explicitement rejeté le mercredi 3 juillet, mais ce que certains de ses partisans revendiquent et pratiquent par le biais des désistements) il ne s’agirait qu’une formule négative, incapable de prendre la moindre décision. En réalité, il est très probable que le chef de l’État estime pouvoir tirer son épingle du jeu avec une chambre ingouvernable et maintenir l’essentiel de ses prérogatives en organisant le désordre. Il envisage sans doute avec bonheur la constitution d’un gouvernement de techniciens à la recherche constante de majorités changeantes et d’équilibres instables. On pariera davantage sur son hybris que sur sa vista politique. Mais au-delà des interprétations psychologisantes, la situation qui en résulterait marquerait un retour à des jeux partidaires en circuits fermés, empêcherait le peuple de choisir souverainement sa majorité et sa politique et constituerait de ce fait une rupture majeure avec l’un des principaux acquis de la Ve République.

Que reste-il alors comme solution ? Ni plus ni moins qu’un gouvernement Bardella. La formule comporte un risque et génère une opportunité.

Le risque est limité. Le Rassemblement national n’est pas le Front National. Il n’est pas la dernière émanation du nationalisme français, ce courant politique né à la fin du XIXe siècle dans le traumatisme de la défaite de 1870, nourri pas l’aventure boulangiste, structuré sous l’Affaire Dreyfus, rallié à l’Union sacrée, connaissant son apogée durant l’entre-deux-guerres, soutenant, dans ses appareils politiques, notamment l’Action Française, le régime de Vichy et la collaboration (mais il y avait aussi des nationalistes, y compris issus de l’Action française, dans la Résistance), discrédité à la Libération, reprenant un peu d’oxygène pendant la guerre d’Algérie, unifié par Le Pen au début des années 1970 et porté par lui, dans un contexte de crise économique et sociale, jusqu’à moins de 20% de l’électorat. Ce courant, avec ces caractéristiques principales, son antisémitisme, son antiparlementarisme, son usage de la violence, fût-elle verbale, dans le champ politique, est mort, ou plutôt, pour reprendre un mot à la mode, il est « résiduel ». Qu’il reste des nationalistes au RN, c’est probable et on ne peut que le déplorer. Que ce parti comporte son lot d’énergumènes, c’est évident (mais au moins ne met-il pas au premier rang des individus que le 7 octobre fait rire à gorge déployée ou qui manient allègrement la barre de fer). Demeure l’évidence : Marine Le Pen a rompu avec son père, avec son discours, avec ses références. Certains n’y voient qu’une dissimulation tactique. C’est instituer la méfiance en système, récuser toute bonne foi et rendre ainsi impossible le débat démocratique. Et quand bien même une partie de son programme pourrait susciter l’inquiétude, le Premier ministre n’a pas tous les pouvoirs, surtout en période de cohabitation. Des forces de contrôle ou de rappel existent, au niveau national comme européen.

L’interrogation concernant le RN ne porte donc pas sur ce qu’il n’est pas (nationaliste ou d’extrême-droite) mais sur ce qu’il est. Cette élection imposée doit en effet être l’occasion d’une clarification programmatique à chaud. Là se situe l’opportunité et, pour le RN, elle se résume en un mot probablement difficile à entendre pour Marine Le Pen : la « melonisation ». Pour vaincre et surtout pour gouverner, le RN doit s’inspirer de la recette italienne et accommoder à sa façon ses quatre principaux ingrédients : une alliance en bonne et due forme avec la droite modérée ; l’acceptation franche de l’Union européenne, quitte à en infléchir le cours ; un programme économique et social libéral (l’une des premières décisions de Giorgia Meloni a été la suppression de l’équivalent italien du RSA) ; l’engagement dans le camp occidental. En résumé, le RN doit cesser d’être un parti populiste ou attrape-tout, en capitalisant sur les peurs et les colères, pour devenir un parti « post-populiste » (Muzergues, Baverez[1]) ou mieux encore un parti « national-conservateur » (Giovanni Orsina).

Cet aggiornamento, Jordan Bardella a commencé à le mener (c’est peut-être une des raisons de sa popularité). Il a infléchi la ligne du parti sur les retraites, mis de l’eau dans son vin budgétaire, dénoncé la « menace multidimensionnelle » que représente la Russie pour la France et pour l’Europe. Il doit, avec Marine Le Pen, aller plus loin dans ce sens. Tout l’enjeu des mois à venir, au gouvernement ou dans l’opposition, sera d’affirmer cette ligne sans se couper des catégories populaires et notamment les actifs modestes et moyens qui constituent les bases de son électorat. Sans rien éluder de la difficulté de l’exercice, on notera simplement qu’il a toujours existé des ouvriers « de droite » (qui votaient par exemple gaulliste dans les années 1960) et qu’à l’occasion de ces élections européennes et législatives, le RN a réussi (c’est un des grands enseignements du scrutin) a élargir sa base électorale et à gagner même des catégories qui lui était traditionnellement hostiles.

C’est en tout cas à ces conditions que pourra être rétabli un clivage droite-gauche modernisé, que pourra renaître la possibilité de l’alternance, c’est-à-dire le fonctionnement normal de la démocratie et, accessoirement, que pourra enfin être créé dans ce pays un grand parti conservateur et populaire.


[1] Postpopulisme: La nouvelle vague qui va secouer l’Occident, L’Observatoire, 2024

Pas tous si cons ces candidats RN…

Les médias relèvent depuis plusieurs jours le passé sulfureux ou les perles embarrassantes de candidats RN incapables de répondre à des questions basiques sur leur programme. Pour un panorama plus varié (et honnête), nous sommes allés à la rencontre d’auteurs, historiens, ex-magistrats et intellectuels candidats dans leur circonscription.


Ils écrivent, ils pensent et ont aussi les mains sales. Habitués au commentaire de l’actualité, à l’étude des mouvements d’opinion ou à l’histoire parlementaire, certains intellectuels et auteurs ont délaissé le temps d’une campagne la théorie de la politique pour sa pratique. Candidats pour les législatives de 2024, Charles Prats, Jérôme Sainte-Marie et Maxime Michelet sont d’abord connus dans leur domaine de spécialité. Le premier est ex-magistrat et a écrit des livres remarqués sur les fraudes fiscales et sociales. Le second est sondeur et ancien directeur de l’institut CSA. Il a notamment analysé dans Bloc contre bloc : La dynamique du Macronisme la constitution en France d’un vote de classe. Le troisième est historien et universitaire, déjà auteur de plusieurs livres dont une biographie de l’impératrice Eugénie et un essai historique en défense du règne de Napoléon III. Ils ont en commun de posséder une certaine légitimité intellectuelle. Ils n’ont cependant jamais été éloignés du monde politique. Maxime Michelet a travaillé auprès d’Éric Ciotti comme conseiller aux discours, quand Jérôme Sainte-Marie dirige l’institut Héméra, chargé d’assurer la formation des cadres du RN. Charles Prats, a lui longtemps bataillé du côté du RPR et de l’UDI.

Racines familiales plutôt que parachutages

Tous se présentent dans une circonscription ultra-périphérique : M. Michelet est candidat dans la 3e circonscription de la Marne, Charles Prats dans la 6e de Haute-Savoie et Jérôme Sainte-Marie dans la 1e des Hautes-Alpes. Leur candidature effraie déjà la faune politique locale qui dénonce ces « parachutés ». Un argument qu’ils n’ont aucun mal à balayer : « C’est le seul et unique argument de mon adversaire. Démagogie de bas étage ! J’ai quitté la Champagne pour Paris en suivant le système méritocratique républicain et poursuivi mes études en khâgne à Henri IV » se défend Maxime Michelet. Charles Prats est plus ironique : « Je ne suis pas parachutiste, je suis pilote d’avion. Et un pilote, il n’a aucune raison de sauter en parachute d’un avion qu’il aime bien ! » Jérôme Sainte-Marie, lui, ne quitte jamais l’analyse : « Parler de parachutage évite d’assumer les positions peu consensuelles du programme du Front populaire ».

La faiblesse de l’argument traduit aussi une fébrilité. S’ils sont aperçus à Paris dans les médias, les candidats sont bien du cru. Jérôme Sainte-Marie réside à l’année avec sa famille dans sa circonscription. Charles Prats y est né, y possède sa maison, s’y est marié et y a toute sa famille. Loin des caricatures d’énarques parachutés par leur parti sur un territoire qu’ils découvrent à leur arrivée, certains ressembleraient presque à ces ducs de cour que la comtesse de Ségur portraiture dans ses romans et qui se partageaient entre intrigues politiques dans leur hôtel particulier et retraites passées à surveiller la moisson au milieu des anciennes gens et métayers…

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S’ils connaissent le terrain, ils doivent aussi assurer l’intendance d’une campagne. « Je fais moi-même ma colle, colle moi-même mes affiches… L’expérience d’années de militantisme à l’UNI (le syndicat étudiant classé à droite NDLR) et au RPR », assure Charles Prats, qui doit aussi ménager les inévitables cancans politiques provinciaux : « On boit des verres avec les maires et sénateurs sans pouvoir l’afficher sur internet. Ils sont officiellement du camp d’en face ». « Beaucoup reste à faire, le maillage militant n’est pas encore très fort dans la circonscription qui est très vaste », nous confie Jérôme Sainte-Marie qui roule sans freiner dans sa large circonscription rurale. Intellectuel, législateur, militant, auxiliaire de vie, un député se doit d’être couteau suisse. Au fil des ans, l’élu est en effet devenu une assistante sociale qui recueille sur rendez-vous les doléances des électeurs. Tiendront-ils permanence ? « Bien sûr !  J’aime les gens, leurs problèmes, leurs histoires… Sinon je n’aurais pas fait magistrat. J’ai fait plein de rendez-vous avec des électeurs que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam mais j’ai écouté » s’enflamme Charles Prats.

Le savant et le politique

Reste que la conduite d’une campagne change un peu des plateaux TV et des maisons d’édition. Pour attirer le chaland, il faut savoir être concret. Max Weber dissociait dans un ouvrage fondateur le savant du politique : le premier a pour objet la recherche désintéressée et austère de la vérité, quand le second est d’abord un homme d’action. Sur le terrain, nos trois candidats parviennent finalement à bien accorder ces deux dimensions. Maxime Michelet assure sans corporatisme que : « les historiens ont un rôle citoyen vis-à-vis de la mémoire. Ils portent un message mémoriel pour que les Français puissent comprendre d’où ils viennent, quelle est leur identité et où ils veulent aller ». Jérôme Sainte-Marie reprend sur le terrain sa théorie des blocs : « Les campagnes dépendent des territoires où l’on se présente. Aujourd’hui, je dois insister sur la nécessité de renouer avec une économie productive. Ce discours est entendu des chefs d’entreprise, des artisans et des agriculteurs ».

Les scores du premier tour sont encourageants mais ne garantissent pas toujours une élection dimanche. Avec 43.83% contre 31.93% pour son adversaire d’Ensemble, Maxime Michelet aborde le second tour en position très favorable.  A 38.42% contre 30.47 % pour son adversaire socialiste, Jérôme Sainte-Marie bénéficie d’une certaine avance, mais devra compter sur quelques reports d’électeurs de la majorité. Avec 36.41% contre 34.68% pour son adversaire marconiste, Charles Prats jouera son siège à quitte ou double.

On n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise. À l’Université, dans les médias, dans l’édition… leur situation était pourtant acquise. Pourquoi alors s’engager en politique au Rassemblement national où il n’y a que des coups à prendre ? Pour Jérôme Sainte-Marie, les constats politiques pessimistes ne suffisaient plus : « J’ai toujours eu une grande préoccupation dans mes travaux pour la situation des classes populaires tout en les accordant à la nation. Cette deuxième dimension m’a semblé prioritaire au fil des ans et il y a vraiment urgence à relever la France ». Entreprenant, Charles Prats fait la liste des lois qu’il aimerait porter pour son territoire et pour la France : fermeture d’un incinérateur, promotion d’une zone industrielle. Maxime Michelet fend un peu l’armure et n’hésite pas à convoquer son imaginaire d’historien : « Les moments historiques sont souvent des moments de césure. Quand un homme d’État comprend la nécessité de l’instant et pose un acte de césure. C’est un peu ce qu’a fait Éric Ciotti en permettant l’union des droites et en mettant fin à 30 ans de piège mitterrandien ». Dans la future Assemblée nationale, le RN pourrait compter sur ces hommes de dossiers, redoutables débateurs dont le calibre intellectuel n’aura rien à envier aux élus de la start up nations marconistes ou aux apparatchiks du Nouveau Front populaire.

À la guerre culturelle comme à la guerre : la conquête du pouvoir restera une guerre des idées.

Populiste, la dernière injure à la mode

La dernière tribune de notre bien-aimé chroniqueur lui a valu quelques tombereaux d’injures. « Fasciste », « extrême-droite », « bien digne de Causeur, torchon infâme inféodé à Israël », — et « populiste ». Cette dernière apostrophe l’a amusé, en ce qu’elle témoigne d’un retournement des valeurs bien dignes de notre époque orwellienne, où la gauche auto-proclamée adopte les positions de Big Brother : « L’Ignorance, c’est la Force », et « la Liberté, c’est l’Esclavage ».


« Populiste ! » Le mot est lâché avec une telle vigueur, il est censé me souffleter avec une telle force, que me voici bien obligé de rappeler aux incultes qui votent Mélenchon l’origine et le destin de ce mot.

Il apparaît en 1912 pour désigner des mouvements politiques russes. Il désigne les narodniki, partisans d’une révolution agraire, et il est alors peu ou prou synonyme de « socialiste ». Ce qui d’ores et déjà suggère un grand écart sémantique inouï pour arriver au sens moderne, où depuis les années 1980, il désigne le discours de droite censé séduire le peuple en flattant ses plus bas instincts — la xénophobie et la haine des castes intellectuello-parisiennes qui pensent, elles, paraît-il…
Étant entendu que la phrase précédente est pour lesdites castes, qui aimeraient bien confisquer le discours politique, un exemple frappant de populisme…

Plumes populistes d’autrefois

Je rappellerai pour mémoire à ces mêmes intellectuels, qui, pauvres chéris, ne peuvent tout savoir, qu’un Prix du roman populiste est fondé en 1931 pour récompenser une œuvre romanesque qui « préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité » — « le peuple plus le style ». Ma foi, cela m’agrée. Seront lauréats du Prix populiste Eugène Dabit (vous vous rappelez, Hôtel du Nord…), Jules Romains, Louis Guilloux, René Fallet ou Jean-Paul Sartre (pour La Nausée, et le philosophe-romancier l’accepta, lui qui trente années plus tard refuserait le Nobel). Des gens éminemment fréquentables.

Mais aujourd’hui, le peuple soi-disant parle par la plume d’Edouard Louis et d’Annie Ernaux, ces phares de la nullité littéraire.

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Il faut l’arrivée de la gauche caviar au pouvoir pour que le peuple perde de son aura : Mitterrand avait été élu avec des voix ouvrières, il s’en détacha très vite, avant que ses successeurs, sous l’influence des penseurs de Terra Nova (à qui le peuple devrait demander des comptes) le récuse et lui préfère les « nouveaux prolétaires » — i.e. les immigrés : d’ailleurs, ce sont eux qui ont assuré, dans les arrondissements maghrébins de Marseille et ailleurs, des élections de maréchaux à des Insoumis pas du tout antisémites… Le vrai populisme moderne, il est là, dans les promesses creuses et les éructations d’un vieux lambertiste éculé.

Alors, oui, je suis populiste : fils de personne élevé dans les Quartiers nord de Marseille, je me bats pour le peuple — afin que le peuple reconquière ses anciens pouvoirs. Je ne relaie ni les conversations de bistro (supposées stupides par des bobos qui blablatent dans des dîners en ville et autres pince-fesses parisiens), ni les rumeurs des stades. Juste la colère des petits, des obscurs, des sans-grades, ceux qui ont été privés de parole depuis quarante ans, et qui votent pour protester contre le mépris et la mainmise des hautes castes sur le pays tout entier.

Le peuple demande des comptes

Je ne prête au RN ni des capacités particulières, ni des idées révolutionnaires ; c’est au peuple, au peuple seul d’imposer ses idées. C’est au peuple de former des comités de salut public, qui expliqueront aux juges qu’on ne laisse pas en liberté des multi-récidivistes, et à la police qu’on arrête et qu’on expulse des gens en position d’OQTF, au lieu de les laisser perpétrer des attentats. Qui pèseront sur certains enseignants pour qu’ils apprennent à nouveau à leurs enfants la langue et les mathématiques, l’histoire et la géographie françaises — et qui demanderont des comptes, là aussi, à ceux qui depuis qu’ils se sont infiltrés grâce à Jospin, Meirieu, Lang, Vallaud-Belkacem et les autres, et ont organisé la classe de façon à ce que les gosses nés dans le ghetto y restent. Qui forceront les immigrés récalcitrants à s’intégrer — ou à partir. Et qui décideront des lois, directement — par le peuple et pour le peuple, comme disait Lincoln à Gettysburg.

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Tout mais pas ça!

Les loups — quels loups ?


Ici, Radio Paris. Un Français parle aux Français. Le coq chantera trois fois. Je ne plaisante pas. Les loups vont siéger dans Paris. Tu peux sourire, charmante Elvire ! Résistance ! Résistance à la meute dans l’hémicycle, au loup à Matignon. Barrage ! Tout mais pas ça ! Pas une voix, pas une seule, pour les Loups… ouh… ouh !

Un sanglot long des violons a parcouru la France. Les briscards de la politique et des lettres,  de la philosophie politique et les politologues sont sortis du bois joli. En attente du tocsin, ils ont tiré la sonnette d’alarme. Tout mais pas ça ! Ah ! Si l’appel au muezzin pouvait retentir ! Si les cloches pouvaient résonner ! Et tandis que chacun, la main sur le cœur, y allait de son appel aux valeurs républicaines, sur le front se concluaient, fébriles, des alliances farfelues ou honteuses, des accords contre nature, des désistements crapoteux. Les loups sont aux portes de Paris ! Sors ton mouchoir, charmante Elvire !

Et les mots d’ordre, cryptés, de fleurir dans la cacophonie. Se rallier n’est pas s’allier, une carpe est un lapin, jouer c’est tricher. Il y a antisémitisme et antisémitisme. Mélenchon n’est pas Mélenchon. « Je est un autre ». Parce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Je dis blanc mais je pense noir / rouge selon la lune. Je vote NFP mais confesse R.N. Je m’abstiens parce que je suis résistant. Ni ni, c’est oui. Ou non. Ni vu ni connu, je t’embrouille.  De la vraie, de la haute voltige politique ! Et poétique, avec ça ! Inventive ! Non pasaran !

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Un soir, à Public Sénat, on enquêtait sur les électeurs du R.N. Bien sûr, on le sait depuis toujours, il y a le voteur des villes et le voteur des champs. Mais il fallait affiner : le voteur R.N est jeune, issu des classes populaires, paysan, il n’a pas fait d’études. Souvent, il n’a pas le bac. Pas bas de plafond mais un peu quand même, attaché à sa glèbe. Les autres votants sont bac + 3, ils font des études dans des facultés, ils roulent à vélo et cultivent de la sarriette sur leur balcon. Résumons : face au voteur éclairé, il y a le voteur ignorant, fanatisé, violent. Toujours cette histoire de rillettes Bordeau-Chesnel, vous vous souvenez ?  « Vous et moi, nous n’avons pas les mêmes valeurs. »

Moi qui croyais que notre République était assez forte pour soutenir tous les assauts ! Que l’exercice de la parole, la liberté d’opinion y avaient cours ! Que le peuple y était souverain, égal devant la loi ! Que Marianne était une femme solide ! Je me trompais ! Ainsi, certaines voix, —beaucoup, dites donc !— sont à mettre à l’écart ! Le winner / looser au pouvoir, n’a-t-il pas eu tout son temps pour contrer les idées nauséabondes de l’immigration incontrôlée, de l’islamisme radical, de l’insécurité, de la souveraineté nationale, du naufrage de l’école ? Que n’a-t-il écouté son peuple, qu’il aime tant, crier vers lui de toutes ses forces au lieu de crier au loup ouh…ouh…Tout ça pour avoir recours, in extremis, au père, pour justifier la dissolution d’une Chambre incontrôlable ?

En attendant, parmi ses sujets, c’est l’excitation généralisée. Peur et violence font rage. Comme au temps de Dreyfus, les familles sont divisées. En France, régner, est devenu diviser. Gouverner, manipuler, faire peur et avoir peur. Peur du Covid, peur des gilets jaunes, peur de l’Ogre des Carpates, peur des émeutes, peur des banlieues, peur des extrêmes, peur des phobies, peur du RN, peur pour la planète : la peur, on n’a connu que ça avec le président Macron. Peur de certaines alliances, dame, ce serait plutôt, une peur de gazelle. Pour cause d’amnésie ? Trou de mémoire ? Oubli du pogrom du 7 octobre ?

En attendant Godot, sur les plateaux télé, on a ressorti le camembert multicolore, les statistiques et les projections en sièges, et les mêmes idées « qui viennent de loin ». Et tout le monde de jacasser assis sur son tabouret. Alors, ces loups ? Quels loups ? Parce qu’il y aurait loup et loup ? Ris donc, charmante Elvire ! C’est pour mieux te manger, mon enfant !

Débat raté de Joe Biden: même des médias démocrates demandent maintenant son départ

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« Bad debate nights happen » observe Barack Obama. Reste que les voix se multiplient appelant le président américain à se désister, et des noms de remplaçants potentiels circulent déjà. Mais pour l’instant, Joe Biden tient bon, et maintient la candidature à sa réélection. Le prochain débat face à Trump aura lieu en septembre.


Le premier débat opposant les deux candidats, Donald Trump et Joe Biden, a largement tourné en faveur du candidat républicain. Or cette victoire ressemble plus à une défaite de la part de l’actuel président américain qui, déboussolé, s’est même vu attaqué par les médias de son propre camp qui demandent son remplacement par un autre démocrate.

C’était un débat à sens unique. Face à un Donald Trump sûr de lui-même, ne craignant pas de réaffirmer ses positions sur les élections de 2021, s’avançait un Joe Biden malade (comme l’a confirmé un communiqué de la Maison-Blanche quelque temps après le début du débat[1]), impuissant et bien souvent incompréhensible.

Le candidat démocrate a payé cher la déroute occasionnée par ce mauvais débat, nouveau signe de sa faiblesse. À 81 ans pourtant, il était essentiel pour Joe Biden de montrer à l’ensemble de ses partisans qu’il a les capacités de tenir sa place à la Maison-Blanche pour les quatre prochaines années. Malgré lui, ce n’est pas l’image qu’il a montrée à l’ensemble de la nation américaine.

Joe Biden : un président affaibli

Joe Biden est sorti de ce débat encore plus affaibli qu’il ne l’était en y entrant. Un mois plus tôt, une étude menée par Gallup présentait déjà le président sortant comme le président américain le moins bien coté de l’histoire des États-Unis au treizième mois de son premier mandat (cf. notre tableau ci-dessous). La situation alarmante de sa cote de popularité, qui n’a fait que baisser lors des quatre dernières années, est aussi à souligner[2].

Le taux d’approbation des présidents américains lors de leur dernier semestre à la Maison-Blanche (seulement sur leur premier terme électoral). © Gallup


Mais s’il partait déjà en position de vaincu, le débat du 28 juin n’a fait qu’empirer son image, les internautes ne se privant pas de ridiculiser encore plus le candidat démocrate à travers de nombreux memes. Les vidéos d’un Biden désorienté, incapable de finir ses phrases ou même de quitter le plateau télé sans aide, tournent en boucle sur les réseaux.

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La vidéo la plus connue est certainement celle avec cette pique lancée par Donald Trump à la suite d’une énième phrase incompréhensible du président américain : « I really don’t know what he said at the end of that sentence. And I don’t think he knows what he said, either ». Mais si Biden a tant souffert de la comparaison avec son homologue républicain, c’est bel et bien son camp qui en a subi les conséquences.

La réaction du camp démocrate

Au lendemain du débat, Joe Biden se retrouve accablé par de nombreux médias de son propre camp, analysant la situation comme catastrophique. Pour certains, comme John King, correspondant national en chef de CNN, le débat n’a fait qu’accentuer la panique dans le camp démocrate : « There is a deep, wide, and very aggressive panic in the Democratic Party »[3]. Cette panique généralisée a même poussé les démocrates à chercher des alternatives en vue des élections de novembre. Ainsi, les noms de Gavin Newsome, actuel gouverneur de Californie, et celui de Gretchen Whitmer, actuel gouverneur du Michigan, sont sortis, même si l’actuelle vice-présidente de Biden, Kamala Harris, reste en position de tête. Dans la même soirée, le New York Times, pourtant média à tendance démocrate, n’a pas hésité à appeler le président Biden à partir : « To serve his country, president Biden should leave the race »[4].

Depuis vendredi dernier, les tribunes appelant le président Biden à laisser sa place se sont multipliées. Que ce soit le NY Times, The Hill, The Chicago Tribune, The Atlanta Journal-Constitution ou encore The New Yorker, pour eux, c’est clair, le camp démocrate doit ouvrir les yeux et remplacer au plus vite un Joe Biden souffrant. Selon une toute récente étude menée par Reuters et Ipsos datant du mardi 2 juillet, soit quatre jours après le débat, un démocrate sur trois pense que l’actuel candidat du parti démocrate devrait abandonner au profit d’un autre candidat[5]. Malgré cela, aucun autre candidat hypothétique n’apparaît assez puissant pour faire tomber Donald Trump.

Comment rebondir pour les démocrates

Si le camp démocrate semble s’être remis de ce « mauvais débat », comme le qualifiait Barack Obama sur X (« Bad debate nights happen »[6]), c’est bien plutôt qu’il tente de…

La fin de l’article est à retrouver sur le site de la revue Conflits


[1] Biden has a cold, sources says

[2] Biden’s 13th-Quarter Approval Average Lowest Historically

[3] https://x.com/_waleedshahid/status/1806528042291896360

[4] Opinion | To Serve His Country, President Biden Should Leave the Race – The New York Times

[5]https://www.reuters.com/world/us/one-three-democrats-think-biden-should-quit-race-reutersipsos-poll-finds-2024-07-02/

[6]https://x.com/BarackObama/status/1806758633230709017?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Etweet%7Ctwtr%5Etrue

Chocs et désistements

Depuis le dimanche 9 juin, il y a moins d’un mois, nous avons subi une série de chocs et de surprises. Elles ont ébranlé certaines de mes convictions… La chronique politique de Richard Prasquier


Le premier choc ne fut pas le score du RN aux élections européennes, parfaitement conforme aux prévisions, mais évidemment l’annonce par le président de la République de la dissolution de l’Assemblée nationale. Je ne vais pas m’appesantir sur les ressorts probables de cette décision qui d’emblée m’a paru funeste comme elle l’a paru au commun des mortels. Nul doute que les historiens et les psychanalystes en feront un objet d’études. Le deuxième choc, ce fut la création dès le lendemain du Nouveau Front populaire entre LFI, le PS, les écologistes, les communistes et même le NPA, le groupuscule des extrêmes. Des gens qui s’insultaient copieusement et dont les positions sont parfaitement hétéroclites pouvaient faire un programme d’union auquel peu d’entre eux devaient croire qu’il pût aboutir à autre chose qu’un séisme économique, alors que les macroniens et les Républicains qui n’ont pas suivi Éric Ciotti, n’arrivaient même pas à passer un simple accord électoral, ce qui les a mis en loques pour le second tour, où ils seront souvent absents alors qu’ils représentent 40% de l’électorat. Des résultats du premier tour, je retiens deux images, et c’est mon troisième choc : la Place de la République couverte de drapeaux palestiniens et algériens et Jean-Luc Mélenchon appelant au barrage républicain contre le Rassemblement national. À ses côtés, une jeune femme en keffieh, Rima Hassan, qui venait d’accuser l’armée israélienne d’entrainer des chiens pour violer les prisonniers palestiniens. Pour Mélenchon, cette diffamation lui convient, ce qui compte c’est que Rima Hassan est très populaire chez les Insoumis, malgré ou plutôt à cause de ses mensonges. L’homme qui, à propos de la phrase ignoble qualifiant la mort de policiers de vote en moins pour le RN, a dit qu’on avait bien le droit de rigoler, vit dans un monde sans vérité où les mots n’importent que s’ils peuvent rapprocher du pouvoir. Ce pouvoir, chacun comprend que dans le Nouveau Front Populaire, c’est lui qui l’exerce, quoi qu’en disent ses ternes comparses, et que l’antisémitisme ne gêne en rien ses nombreux et jeunes partisans, puisqu’il porte le nom d’antisionisme et que le sionisme, chaque Insoumis le sait, c’est le nazisme.

Paris, 30 juin 2024. DR.

À Roubaix, un désistement incompréhensible de la majorité sortante

C’est ensuite que j’ai subi mon quatrième choc. À Roubaix, trois candidats sont qualifiés au second tour. Le LFI, c’est David Guiraud. Il est célèbre depuis ses propos particulièrement abjects envers les Israéliens prononcés à Tunis en novembre. Il y a ajouté plus tard des allusions aux « dragons célestes », personnages de mangas qui servent de nom de code pour parler des Juifs. Il tire sa connaissance du conflit israélo-arabe de sa fréquentation assidue de Dieudonné et Soral, deux personnages chez qui la haine des Juifs sert de passerelle entre l’extrême droite et l’extrême gauche. Son adversaire RN est un garçon de 21 ans, Ethan Leys, qui, en raison du harcèlement et des menaces de mort qu’il reçoit, et pour lesquels il dépose plainte, se terre et fait une campagne a minima. Il y a un troisième candidat qualifié, Tarik Mekki, du parti présidentiel, mais il se retire de la triangulaire en faveur de David Guiraud et explique que ce dernier incarne des valeurs plus proches des siennes que celles portées par le candidat du Rassemblement national. Sans commentaires…

A lire aussi: Giulia Foïs s’exhibe sur une affiche du Nouveau Front Populaire? La direction de France Inter ne voit apparemment pas où est le problème…

On dit que Tarik Mekki n’est qu’un candidat « soutenu » par Ensemble mais qu’il n’est membre d’aucun des partis de la coalition. Mais, on aurait au moins aimé une critique des dirigeants de cette coalition. Rien… M. Stéphane Séjourné, délégué général d’Ensemble et futur ex-Ministre des Affaires Étrangères, est particulièrement silencieux sur le sujet, tout à son bonheur d’être bien placé dans la circonscription sans risque qu’il s’est généreusement octroyée pour ces élections. Une soixantaine de candidats Ensemble se sont désistés pour le FNP, et parmi eux à plusieurs reprises pour un candidat LFI, ce qui facilite par réciprocité le sauvetage de candidats tels que Gérald Darmanin ou Elisabeth Borne. Certains diront que c’est de la bonne politique. Raymond Aron a rappelé que la politique est amorale, et souvent immorale. Des personnalités d’Ensemble ont heureusement protesté contre ces désistements en faveur du LFI. Pour moi, c’est une forfaiture. Soutenir David Guiraud ou Louis Boyard, qui a refusé la moindre critique du Hamas après le 7 octobre, signifie que l’on considère la lutte contre l’antisémitisme comme un thème complètement secondaire. Les Juifs ont connu cela tout au long de leur histoire. C’est pourquoi l’État d’Israël fut créé.

Les intrigantes noces des Juifs et du RN

Devant le danger représenté par LFI, le temps était peut-être venu de regarder différemment le Rassemblement national. Toute ma vie, j’ai tenu le parti de Jean-Marie Le Pen en abomination, mais il fallait cependant admettre que le discours de Marine Le Pen diffère depuis plusieurs années de celui de son père. Dans un récent article du Figaro, elle s’exprime de façon impeccable sur la collaboration, l’antisémitisme et la Shoah. Les paroles des dirigeants du RN après les événements du 7 octobre ont montré une empathie pour Israël qu’on aurait aimé trouver ailleurs. Petit accroc quand Bardella estime que Jean-Marie Le Pen n’est pas antisémite. Il se corrige vite, trop vite peut-être pour qu’on croie en la solidité de ses convictions. Je me suis rappelé de La Main du Diable, le livre de Jonathan Hayoun et Judith Cohen Solal sorti il y a cinq ans qui concluait que le discours contre l’antisémitisme n’était qu’une façade. Il y avait aussi le long compagnonnage de Marine le Pen avec les pires gudards du Front National, Loustau et Chatillon, les préposés à la castagne et à l’agit prop, les parrains, d’ailleurs, de Soral et Dieudonné. Mais on nous assurait que ces personnages avaient perdu leur influence.

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Certains Juifs, en colère contre l’impuissance envers l’emprise islamiste sur notre société et la haine d’Israël qu’elle véhicule, ont voté pour le RN dès le premier tour. En ce qui me concerne, j’ai toujours pensé au contraire que malgré les agacements, les frustrations et les colères, c’est dans les partis traditionnels que se trouvent les valeurs humanistes qui représentent les espoirs les plus solides pour Israël et les Juifs. Mais l’arrivée de LFI au pouvoir impliquerait que ceux-ci fassent leurs valises, sauf à devenir des dhimmis, interdits d’expression sous l’effet de cette cancel culture que des esprits dérangés prennent pour le summum de la démocratie. C’est pourquoi la mise en équivalence des deux extrémismes de droite et de gauche m’a paru dépassée: entre un candidat LFI et un candidat RN, je choisirais aujourd’hui le RN  et je ne voterais pas blanc car c’est voter pour le futur vainqueur et rien d’autre.

Mais, et c’est là mon cinquième choc, je sais aujourd’hui que je serais peut-être naïf. L’enquête du journaliste Pierre Stéphane Fort sur la face cachée de Jordan Bardella et sur l’influence déterminante de Frédéric Chatillon sur son parcours politique, enquête qu’a présentée Caroline Fourest dans Franc-Tireur, suggère que les fondamentaux n’ont malheureusement pas changé. Que peut-on en conclure? Dans un milieu catholique, que les Juifs ne doivent pas donner au Rassemblement national le Bon Dieu sans confession. En milieu juif, je dirais qu’il faudra se fier aux actes plutôt qu’aux paroles. 

Charles Pasqua disait, avec le cynisme goguenard dont il était coutumier, que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Mais il arrive aussi que les paroles obligent et qu’on adapte ses actes aux paroles qu’on a prononcées parfois avec légèreté. En dehors de certains obsessionnels manipulateurs, les individus n’aiment pas se révéler incohérents ou hypocrites dans notre culture dont la dissimulation (certains diront la taqiya…) ne fait pas encore partie. L’hypocrisie, dit La Rochefoucauld, est l’hommage que le vice rend à la vertu. À force d’être hypocrite on finit parfois par devenir vertueux. Le Rassemblement national prétend désormais être un rempart contre l’antisémitisme. S’il vient au pouvoir, nous observerons ses actions et nous ne l’estimerons pas à l’aune de nos préjugés.

La main du diable: Comment l'extrême droite a voulu séduire les Juifs de France

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Judith Magre, une vie à jouer

Judith Magre a tout donné au théâtre et au cinéma. Elle a travaillé avec Julien Duvivier et Sacha Guitry, Jean Vilar et Gaby Morlay, Fernandel et Jean Poiret, jusqu’à François Ozon et Paul Verhoeven. Et à 97 ans, elle continue de brûler les planches ! Rencontre avec une actrice qui ne se prive de rien.


Judith Magre est une reine des planches. Un monstre de théâtre. À 97 ans, elle est l’histoire du théâtre. Des aventures et des époques, elle en a traversé. Jean-Louis Barrault, Claude Régy, Jean Le Poulain, Jacques Charon, Jean Vilar, Jorge Lavelli ou encore Georges Wilson l’ont mise en scène. Au cinéma aussi ! On l’a vue tourner sous la direction de Sacha Guitry, Julien Duvivier, Louis Malle, René Clair, Claude Lelouch ou plus récemment François Ozon et Paul Verhoeven. Elle a partagé la scène avec Jacqueline Maillan, Madeleine Renaud, Laurent Terzieff, Denise Grey, Suzanne Flon, Charles Denner, Jean-Louis Trintignant, Jean Poiret, Michel Serrault et Gaby Morlay. Depuis ses débuts, à la fin des années 1940, elle n’a jamais arrêté un seul instant. Jouer, jouer et jouer encore. Quand elle n’est pas sur scène, elle a l’impression d’être « un tas inutile ». Mais Judith Magre est avant tout une curiosité, une créature. Une apparition ! Elle intrigue, elle fascine. Elle distille le mystère. Son visage est un masque antique. On ne sait ce qui se cache derrière. On s’interroge. C’est un masque de théâtre. Judith Magre n’est pas une actrice, c’est l’Actrice. Elle est là, sur les planches, elle profère. Elle prête son corps, sa voix et sa musique aux personnages et aux textes qu’elle incarne. La psychologie des personnages, ce n’est pas son truc. Elle croit aux mots. À une journaliste qui lui demandait comment elle s’était préparée pour jouer au théâtre le rôle de la sublime putain et écrivain Grisélidis Réal, en 2014, elle avait répondu : « On m’a donné un texte à dire. Vous savez, les mots, ce n’est pas innocent. » Elle est une femme d’instinct. Elle apprend son texte laborieusement, elle déteste cela. Et lorsqu’enfin il a imprimé sa mémoire, c’est le miracle. Le miracle des acteurs, des grands. Elle est. C’est fait. D’ailleurs, elle a très peu suivi de cours de théâtre. Seulement trois mois au cours Simon ! C’est sur scène qu’elle a tout appris, en jouant. Et, peut-être, en regardant les autres. 

La première fois que j’ai vu Judith Magre, c’était en 2013, dans Dramuscules de Thomas Bernhard. Je me souviens d’un grand frisson parcourant mon corps lors de son entrée en scène et de ses premières répliques. Elle possède cette chose inexplicable : la présence. Il suffit qu’elle soit sur une scène pour que la magie opère, pour que théâtre il y ait. C’est une sorcière. Elle envoûte le spectateur. Comme si elle lui jetait un sort. Sa voix grave et profonde, si particulière, et la cadence mécanique de ses mots décortiqués hypnotisent. Elle charme le public, ce tas de serpents. Judith Magre a tout fait, en tout cas beaucoup. Le confort ? Elle ne connaît pas ! Elle s’engouffre dans les aventures, aujourd’hui encore. Elle a joué le boulevard, la comédie, la tragédie et le drame bourgeois. Les mots d’Eschyle, Sartre, Racine, Shakespeare, Molière, Giraudoux, Anouilh, Claudel, Vauthier, Tennessee Williams, Tchekhov, Bourdet, Ray Cooney, Camus, Copi, Cocteau, Barillet et Grédy, Koltès ou encore Jean-Marie Besset sont sortis de sa bouche teintés de sa voix. Elle a chanté aussi. Un album de chanson française produit par Jacques Canetti. Judith Magre est inclassable. C’est d’ailleurs au cabaret qu’elle s’est fait remarquer. Elle jouait à La Fontaine des Quatre-Saisons le spectacle « Marie-Chantal » de Jacques Chazot, aux côtés de Guy Bedos. Voilà maintenant près de quatre-vingts ans que chaque soir – ou presque – inlassablement, elle se retrouve fardée, sous les projecteurs, pour accomplir ce geste magnifique et absurde : jouer.

Aujourd’hui encore, chaque lundi, elle retrouve la scène du Poche-Montparnasse sur laquelle elle joue les grands monologues des tragédies de Racine. Tour à tour, elle incarne Hermione, Bérénice, Athalie, Phèdre, Agrippine et Roxane. Assise sur un vieux fauteuil de style, dans sa grande robe de velours noir, elle est une apparition éternelle. Son récital de monologues raciniens est plus qu’un simple spectacle. C’est un rite, une messe, un culte dont elle est la déesse. Ses adorateurs, réunis dans l’ombre, profitent encore et encore de son apparition magique. Ils profitent de cette particularité, de cette chose étrange, de cette sensation unique : Judith Magre. 

Judith Magre et Laurent Terzieff dans Nicomède de Corneille, 1964. © AGIP/Bridgeman Images

Elle trouvera que j’en fais trop ; tant pis ! C’est la vérité.

Pour Causeur, je me rends chez elle. Il est 15 heures. Judith hésite entre du champagne et du whisky. Mais il n’est que 15 heures. Qu’importe, Judith veut un whisky. Moi aussi ! Et la bouteille nous accompagne tout l’après-midi. « J’aime boire ! J’ai toujours aimé ça. Le whisky et le champagne. C’est mon petit plaisir ! Et… le caviar ! » Qu’importe l’heure, qu’importe l’âge et le « comme il faut ». Judith Magre est une femme libre, sans tabou. « Je fais ce que je veux, et je ne veux pas qu’on m’emmerde ! » Et ce qu’elle ne veut pas, elle ne le fait pas. Les enfants, par exemple ! Comme Carmen, « libre elle est née, libre elle mourra ». Elle vit pour son art et pour son plaisir. Comme Tosca qui chante « Vissi d’arte, vissi d’amore », elle vit d’art et d’amour. Et la retraite, Judith ? « La retraite ?! 97 ans, c’est un peu tard pour prendre sa retraite ! »


Causeur. Vous êtes ce que l’on appelle une personnalité. Vous avez une voix particulière, une diction et une musicalité bien à vous. Pensez-vous qu’une personnalité, ça se travaille, ça se construit ? Les influences sont-elles importantes ?

Judith Magre. On subit l’influence de tout et de tout le monde. Forcément ! Je n’ai jamais cherché à imiter les grands acteurs que j’ai vus, mais ils ont forcément influencé ma personnalité. 

Qui étaient les acteurs qui vous fascinaient ?

Raimu, Jouvet, Gaby Morlay, Michel Simon… Je garde un grand souvenir de Laurence Olivier et Vivien Leigh que j’avais vus jouer ensemble au Théâtre de l’Odéon dans Titus Andronicus de Shakespeare. J’y étais allée avec Julien Duvivier pour qui je tournais à ce moment-là L’Homme à l’imperméable aux côtés de Fernandel et Bernard Blier. J’admirais aussi beaucoup Marie Bell.

Vous avez vu jouer Marie Bell ? 

Oui ! Je l’ai même bien connue. J’ai joué dans le théâtre qu’elle dirigeait. On s’aimait beaucoup. Et surtout, on a bu beaucoup de coups ensemble. On rigolait bien. On garde aujourd’hui l’image de la tragédienne, mais c’était une bonne femme très marrante. J’ai connu tellement de gens, de grands acteurs, de grands auteurs… quand on les connaît dans la vie, quand on devient amis avec eux, ils deviennent des amis comme les autres. Sartre par exemple ! J’ai joué trois pièces de lui. Nous sommes devenus très proches. Je l’admirais beaucoup, mais quand j’étais avec lui on ne pensait qu’a rire et à boire.

Vous avez souvent joué la tragédie ?

Non, très peu. J’ai joué Bajazet pour la télévision. Phèdre, en tournée. Et Horace de Corneille pour la télévision aussi. Ce n’est pas ma spécialité. Je n’ai d’ailleurs pas de spécialité. J’ai fait tout et n’importe quoi, selon ce qu’on me proposait. Si les propositions me plaisaient, quel que soit le style, je les acceptais.

Quel rapport avez-vous à l’alexandrin ?

Pas de rapport spécial ! Je respecte ses douze pieds et voilà tout. Je me souviens que lorsque Maurice Escande – qui était un acteur extraordinaire – jouait l’alexandrin, quand il avait un trou de texte, comme il ne pouvait pas improviser afin de respecter le nombre de pieds, disait « tatatatata… » avec le bon nombre de « ta » pour ne pas casser la musique !

Parlons de l’actualité… Vous avez signé la tribune de soutien à Gérard Depardieu. Cela vous a-t-il causé des ennuis ? 

Sûrement pas ! Personne ne m’a emmerdée. D’ailleurs, si on avait essayé… (Rires.) Mais qui voulez-vous qui m’emmerde ? Dans le théâtre dans lequel je jouais à ce moment-là, le Poche-Montparnasse, personne n’a fait la moindre remarque. Notez que dans ce théâtre, dans lequel plusieurs spectacles se jouent en même temps, toutes les actrices ont alors signé : Myriam Boyer, Brigitte Fossey et moi. Gérard Depardieu est un ami. Je l’ai bien connu. Pour moi, ce n’est pas un violeur, point. Je l’aime.

Vous, on ne vous a pas embêtée. Mais beaucoup de signataires ont eu des pressions de leur agent, de directeurs de théâtre, de producteurs…

Même si j’avais été dans cette situation, je n’aurais pas retiré ma signature. J’ai signé, j’ai signé. Point. Il y en a qui ont la trouille, ça les regarde. Je ne peux pas me mettre à leur place. Une fois qu’on a signé, comment peut-on retirer sa signature ? Franchement… c’est ridicule.

Que vous inspire la moralisation de la vie artistique ?

Je ne me suis jamais vraiment préoccupée de la morale. Ni de la mienne, ni de celle des autres ! Je n’ai jamais fait de mal à personne. Mais là, ce qui se passe dépasse la morale. Je ne peux pas comprendre qu’on vive avec un mec pendant cinq ans puis, qu’un beau jour, on se rende compte qu’on était sous emprise, qu’on n’était pas consentante. Tout cela est pathétique. Et ça détruit des vies. La connerie, la méchanceté et la haine ont toujours existé. MeToo est le mode d’expression actuelle de toute cette horreur.

Que pensez-vous de la notion d’emprise ?

C’est tellement con. On découvre la lune ! Quand on est amoureux, on est sous emprise. C’est ça l’amour.

Dans votre vie d’actrice, vous n’avez jamais été victime d’agression sexuelle ?

Jamais. On ne m’a même jamais mis la main aux fesses, et pourtant elles étaient belles ! Et si quelqu’un l’avait mise, je lui aurais demandé de la retirer. Sans en être choquée. J’ai toujours été une femme libre et ne me suis jamais sentie la victime de qui que ce soit.

En parlant de liberté, avez-vous vécu Mai 68 comme une libération, notamment sexuelle ?

J’ai toujours été libérée sexuellement : je n’ai pas attendu Mai 68 ! J’ai toujours fait ce que je voulais. Je n’attends pas les modes ou les autorisations pour faire ce qui me plaît.

Vous êtes anti-MeToo, mais autrefois, vous étiez féministe.

Moi féministe ? Non !

Vous aviez pourtant signé le « Manifeste des 343 salopes » en faveur de l’avortement.

Ah, oui ! Oui… bon. Je l’avais signé pour faire plaisir à ma copine Simone de Beauvoir. Et puis, je trouve que c’est horrible d’être enceinte quand on ne l’a pas désiré, et de ne pas pouvoir s’en débarrasser. Mais, à mon sens, plutôt que de faire de la pub pour l’avortement, on devrait en faire pour les moyens contraceptifs. En dehors de cela, je n’ai jamais été engagée dans le combat féministe.

Revenons-en à la morale. Vous avez connu Louis-Ferdinand Céline, non ?

Oui, très bien. J’allais souvent chez lui, à Meudon, avec Marcel Aymé. Parfois avec Roger Nimier. J’ai passé des moments extraordinaires avec lui. C’est l’être le plus brillant et le plus généreux que j’ai connu. Tout ce qu’il racontait était passionnant, fascinant. Il m’avait offert une petite chienne perdue qu’il avait recueillie. Il m’avait dit : « Je vous donne cette chienne, ça va vous faire le caractère. » Je l’ai gardée pendant vingt ans.

Vous n’avez jamais été gênée de nouer une relation amicale avec lui, sachant les accusations d’antisémitisme dont il faisait l’objet ?

Je ne l’ai jamais entendu prononcer la moindre phrase antisémite. Pourtant j’ai beaucoup parlé avec lui. Je n’ai pas lu les pamphlets dans lesquels il faisait, paraît-il, profession d’antisémitisme. Et de toute façon, je ne juge qu’avec ce que je vois. Ce qu’il a écrit, c’est une chose. Mais l’être que j’avais en face de moi était extraordinaire, intellectuellement et humainement. C’est tout.

Nous parlons dans ce numéro de Causeur de Roman Polanski. Si, aujourd’hui, il vous proposait un rôle, l’accepteriez-vous ?

Tout de suite ! Je trouve que c’est un être magnifique et, en plus, un génie. Tout ce qui lui arrive me dégoûte. C’est immonde. Je l’aime, je l’admire, point.

Mais vous est-il arrivé de rencontrer et d’admirer des salauds ?

Non. Tous les génies que j’ai rencontrés étaient des gens formidables. Avec parfois des défauts, des caractères particuliers. Mais pas des salauds, non.

Auriez-vous pu admirer un salaud ? La morale tient-elle une place dans votre admiration ? Plus généralement, pensez-vous qu’un génie puisse aussi être un salaud ?

Je ne peux parler que de mon expérience. J’ai eu la chance de rencontrer quelques génies qui n’étaient pas des salauds. J’ai donc tendance à croire que les génies sont plutôt des êtres rares et d’une grande qualité humaine. D’une grande générosité.

Claude Lanzman – qui a été votre mari – ne vous a jamais reproché votre amitié avec Céline ?

Non. Il ne m’a jamais fait la morale là-dessus.

Comme beaucoup de gens, êtes-vous inquiète de la tournure que prend le monde ?

Inquiète ? À mon âge ? Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute !


À voir

« Judith prend Racine au Poche », Théâtre de Poche-Montparnasse. Tous les lundis à 19 heures, tél. : 01 45 44 50 21, theatredepoche-montparnasse.com

Pendant ce temps, aux Pays-Bas, «l’union nationale» prend les commandes

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Il n’y a pas qu’en France où intellectuels, artistes et politiques de gauche poussent des cris d’orfraie contre l’horreur qu’impliquerait un gouvernement « d’extrême droite ». Aux Pays-Bas également, ils sont dans le plus grand désarroi, le peuple ayant ignoré, lors des élections législatives de 2023, leurs consignes de vote « anti-fascistes ».


Témoin l’entrée en fonctions, ce mardi 2 juillet, de la très droitière coalition gouvernementale sortie des urnes. Gouvernement qui porte le sceau, mais pas le nom, de M. Geert Wilders. Le champion anti-immigration batave est jugé trop clivant pour être Premier ministre, poste auquel son succès électoral lui donnait cependant droit. « Voici le gouvernement de la honte nationale! » tonna l’autre jour un professeur de l’université d’Amsterdam, Thomas von der Dunk. Et d’énumérer longuement, dans le journal NRC, les dangers qui selon lui planent désormais sur la démocratie néerlandaise. Seraient gravement menacées les libertés d’expression, de la presse, académiques et culturelles. L’indépendance de la justice, l’Etat de droit et les « minorités ethniques » en prendraient aussi pour leur grade, à le croire. Selon M. Von der Dunk, la théorie du « grand remplacement » guiderait les pas du gouvernement du nouveau Premier ministre Dick Schoof,  ancien patron des services de renseignement. Un autre enseignant, de l’université de Leyde cette fois-ci, n’avait pas craint de son côté d’établir un parallèle entre l’ambiance politique aux Pays-Bas et celle régnant dans l’Allemagne de 1933… Une collègue à lui prévoit un régime autoritaire calqué sur le modèle hongrois, pour « preuve » l’amitié entre M. Wilders, dont l’épouse est hongroise, et le Premier ministre hongrois Viktor Orbán… Un autre universitaire encore a relevé des « préférences raciales » dans les posters électoraux du Parti pour la Liberté (PVV) de M. Wilders, « ne montrant que des Néerlandais hyper blancs ». Drôle de reproche pour accabler M. Wilders toutefois, homme de ce qui s’appelait jadis de « sang mêlé », indonésien et néerlandais.

Le « vivre-ensemble » sonné

On a eu beau bien chercher, dans les projets de la coalition quadripartite (PVV-VVD-NSC-BBB), aucune atteinte aux libertés fondamentales n’y figure. Le voudraient-ils, que la Constitution en empêcherait Wilders et compagnie. Le Conseil d’État néerlandais, équivalent du Conseil Constitutionnel, y veillera également. Les surdiplômés en état d’alerte anti-fasciste prennent donc le peuple pour des ignares. Mépris de classe de ce que M. Wilders appelle la gauche aigrie ? Mais ne les moquons pas (trop) et montrons un minimum de compassion envers celles et ceux dont les opinions lénifiantes sur l’immigration furent partagées par une bonne partie des médias néerlandais. Et cela depuis plusieurs décennies, au point que le multiculturalisme et vivre-ensemble imposés prirent l’allure d’une doctrine d’État.

A lire aussi, Lucien Rabouille: Nicolas Conquer: l’union nationale «made in Normandy»

Avec le gouvernement Wilders-qui-ne-dit-pas-son-nom, il y a effectivement comme un parfum de revanche dans l’air, marqué par la fin de l’hégémonie culturelle de la gauche communautariste et de ses alliés de la droite molle. Celle-ci est personnifiée par le Premier ministre démissionnaire M. Mark Rutte, qui gouverna pendant près de 14 ans d’affilée avant d’être récemment désigné Secrétaire général de l’Otan. Son règne a vu les populations autochtones des grandes villes néerlandaises se réduire comme peau de chagrin au bénéfice d’immigrés non-européens et de leurs descendants, désormais majoritaires. Ce qui avait à plusieurs reprises amené des parlementaires du parti de M. Wilders à fustiger le « grand remplacement », bravant ainsi un tabou dans le petit monde politico-médiatique. Parmi ces politiciens honnis, on trouve… la nouvelle ministre des Migrations et de l’Asile, Mme Marjolein Faber. Laquelle, dans un passé récent et comme députée du parti PVV, avait accusé M. Rutte de ne rien faire contre l’immigration nord-africaine et de dérouler ainsi un « agenda d’antisémitisme, de terrorisme et de grand remplacement de la population néerlandaise ». En néerlandais le mot omvolking, changer de peuple, résume généralement la définition de Renaud Camus. Mme Faber s’était aussi illustrée en dirigeant une manifestation contre le maire de la ville d’Arnhem, M. Ahmed Marcouch, né au Maroc. La nouvelle ministre y déroula une bannière avec les mots « Pas d’Arnhemmistan, on perd notre pays! »

Décidément, la gauche néerlandaise ne cesse d’avaler des couleuvres. Car la nouvelle ministre du Commerce Extérieur et de l’Aide au Développement, Mme Reinette Klever, a, elle aussi, longtemps défendu cette théorie du grand remplacement. Comme parlementaire du PVV, elle s’était en plus distinguée en dressant un hit-parade des étrangers fraudeurs, selon elle, de l’Assurance Maladie. Les gens provenant des Antilles néerlandaises seraient les champions incontestés dans ce domaine, suivis des Marocains, des Turcs et des Surinamais. Etrangers qui, avec d’autres migrants et demandeurs d’asile, coupables de surcroît, selon la désormais ministre, « d’inonder le pays d’un tas de maladies exotiques ». Notons toutefois l’esprit de compromis de la ministre de l’Aide au Développement ! Car cette fameuse Aide, il y a encore quelques années, elle voulait l’abolir pour son inutilité supposée et les possibilités de fraude ou de corruption dans les pays qui en sont les destinataires…

La dernière provocation de M. Wilders

Peu avant leur installation, devant des parlementaires généralement hostiles, Mesdames Klever et Faber avaient pris leur distance avec ce fameux mot, omvolking, à connotation trop sulfureuse voire nazie, le remplaçant par « développements démographiques préoccupants ». Un geste d’apaisement envers des parlementaires constitués en Inquisition linguistique ces derniers temps en Hollande. Le nouveau vent réac soufflant sur les Pays-Bas est personnifié également par le président de la Chambre Basse du Parlement, M. Martin Bosma, l’intellectuel maison du PVV. Ce pourfendeur du « racisme anti-Blanc », quand il était député, voit d’un mauvais œil les cérémonies annuelles autour de l’abolition de l’esclavage dans d’anciennes colonies néerlandaises. Son parti exige d’ailleurs la révocation des excuses officielles pour l’esclavage, prononcées l’année dernière par le roi Willem-Alexander. Pas étonnant alors, que des immigrés des ex-colonies exigèrent et obtinrent que M. Bosma ne fût pas présent le 1er juillet pendant la commémoration de l’abolition, bien que son statut l’y oblige. Pour chambrer les perpétuels indignés du passé colonial néerlandais, M. Wilders proposa sur X de remplacer M. Bosma, et de prendre la parole lors de la cérémonie à Amsterdam… Ce qui aurait sûrement dégénéré en émeutes dans la capitale, qui compte un vaste quartier noir. M. Wilders devra s’abstenir de pareilles provocations à l’avenir, s’il tient à maintenir unie « sa » coalition, laquelle a promis de mener « la plus stricte politique d’asile et immigration jamais vue aux Pays-Bas ». Son parti a comme partenaires les libéraux conservateurs du Parti Populaire pour la Liberté et la Démocratie (VVD), les chrétiens-démocrates du Nouveau Contrat Social (NSC) et le Mouvement Citoyens-Paysans (BBB). Une députée du VVD a clamé quelques jours avant de prêter serment comme ministre qu’elle « ne tolérerait plus aucune allusion » au fameux grand remplacement. Elle menaça ainsi implicitement M. Wilders d’une crise… de colère, de larmes ou de gouvernement. Ce n’était pas très clair.

Rassemblement national: vers une majorité absolue?

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Militants de Jordan Bardella, Paris, 9 juin 2024 © Chang Martin/SIPA

Pour y parvenir, il faut que le parti de Jordan Bardella gagne un maximum de circonscriptions (environ 90%) où il a terminé en tête avec une large avance ainsi que de nombreuses triangulaires, et que le ni-ni et l’abstention jouent en sa faveur. Détails.


Ces élections législatives anticipées ont bouleversé la vie politique, en consacrant notamment au premier tour le Rassemblement national qui a terminé en tête du scrutin et se qualifie dans 447 circonscriptions sur 577. Similaire à celle de la gauche en 1981 ou celle de Macron en 2017, cette vague RN a permis au parti de Jordan Bardella d’être présent dans toutes les circonscriptions métropolitaines, sauf quelques-unes dans les grandes métropoles (Ile-de-France, Lyon, Marseille, Rennes, etc.).

Seulement, si cette performance est historique, le retour du Front républicain rend incertaine une majorité absolue pour le RN.

Le Rassemblement national est sur un socle élevé

Le bloc du Rassemblement national est en forte progression. Alors que l’on pouvait penser que le parti lepéniste avait atteint un plafond à la présidentielle de 2022, il a réalisé un record ce dimanche 30 juin 2024. En effet, il a enregistré un record de voix avec 10,6 millions de voix, soit 6 millions de voix supplémentaires qu’au premier tour des législatives de 2022 et 2 millions de voix supplémentaires par rapport au score de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle 2022. D’autant plus que le score du Rassemblement national a progressé malgré une participation moins forte aux législatives qu’à la présidentielle (66% contre 73,69% en 2022), ce qui traduit un élargissement électoral du Rassemblement national.

Le Rassemblement national n’est plus isolé politiquement. S’il a longtemps été le seul parti du bloc national induisant ainsi de faibles reports de voix lors de seconds tours, il est désormais au cœur d’une galaxie de partis satellites grâce aux alliances avec Eric Ciotti, Marion Maréchal ou encore Eric Dupont-Aignan. Cette situation permet au Rassemblement national d’agréger de nouvelles sensibilités politiques (libérale, souverainiste, conservatrice, etc.) qui lui reconnaissent le leadership politique malgré les différences idéologiques. Ainsi, selon les territoires et les configurations de second tour, le Rassemblement national peut espérer de meilleurs reports de voix au second tour d’une partie d’électeurs Les Républicains ou encore Reconquête qu’auparavant.

Victime du Front républicain

Le Front républicain est encore tenace face au Rassemblement national qui a été désigné comme l’ennemi à éliminer pour le second tour des élections législatives. En quelques heures, et malgré sept ans d’oppositions frontales, sur les 306 hypothèses de triangulaires, 220 candidats se sont désistés face au parti de Jordan Bardella, soit 72% des cas. Or, si les partis politiques ne sont pas les propriétaires de leurs électeurs, les désistements mettent le Rassemblement national dans une moins bonne situation.

D’une part, les reports de voix ne risquent pas d’être massifs dans la mesure où il s’agit d’un désistement de deux camps opposés (Ensemble et Nouveau Front Populaire) sur de nombreux sujets et qui ont connu des affrontements violents notamment ces deux dernières années. D’autre part, il est tout de même plus difficile pour le Rassemblement national de l’emporter dans un duel que dans une triangulaire, car l’adversaire du RN capte davantage les voix du candidat s’étant désisté. D’autant plus que l’unique argument invoqué pour justifier un désistement est de « battre le Rassemblement national » en faisant appel à l’imaginaire des républicains qui barraient la route des fascistes lors des années 1930…

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De plus, le Rassemblement national est dans une situation moins favorable que prévue. Il est plus simple pour lui de gagner un duel face à la gauche que face à un candidat du camp présidentiel ou des Républicains. En effet, en 2022, les duels face à la gauche avaient tourné à l’avantage du RN, qui en avait remporté 33 sur 59, soit plus de la moitié. Alors que le Nouveau Front Populaire a terminé deuxième derrière le Rassemblement national, il aurait été logique que le nombre de duels entre la gauche et le RN explose. Or, cela n’est pas le cas puisqu’il ne devrait y avoir que près de 149 duels entre le RN et la gauche (celle-ci s’étant beaucoup plus désistée) contre plus de 129 duels entre le RN et le camp présidentiel et une cinquantaine contre LR, deux configurations moins favorables au RN.

Une majorité absolue possible mais incertaine

Le Rassemblement national peut toujours remporter une majorité absolue mais cela devient plus incertain en raison du Front républicain et d’une performance moins bonne que prévue au premier tour. Ainsi, il est arrivé trop peu de fois en tête au premier tour, en terminant en tête dans seulement 297 circonscriptions sur les 447 où il s’est qualifié. Cela rend le parti à la flamme tributaire du niveau de reports de voix dont disposera son adversaire au second tour, et donc de l’efficacité du Front républicain. Or, nous assistons à la constitution d’un Front anti-RN, allant de l’aile droite de la macronie aux Insoumis sur le modèle des élections régionales de 2015. Les appels de la gauche et du camp présidentiel à se désister l’un pour l’autre renforceront les reports de voix entre les deux, puisque la bête noire n’est plus la Nupes de Mélenchon comme en 2022 mais le Rassemblement national de Jordan Bardella. Il s’agit désormais de savoir si ce dernier obtiendra une majorité absolue ou non, et l’ensemble des Français s’exprimeront dessus comme s’il s’agissait d’un référendum.

Seulement, un cumul de facteurs d’indécision peut encore permettre au Rassemblement national d’envisager une majorité absolue ou une majorité relative suffisamment solide (sur le modèle de ce qu’a été la majorité présidentielle jusqu’à présent). Premier facteur, le Rassemblement national doit gagner un maximum de circonscriptions (environ 90%) où il a terminé en tête avec une large avance ainsi que de nombreuses triangulaires, ce qui nécessite un front républicain moins efficace que prévu. À cause des désistements, des électeurs n’auront plus leur choix préférentiel au second tour, ce qui peut générer de l’abstention. Notamment dans l’hypothèse où de nombreux électeurs se retrouveront à choisir entre deux mauvais choix selon leur appartenance d’origine à savoir sauver Macron lorsqu’on est de gauche ou sauver le Nouveau Front Populaire lorsqu’on est macroniste. Dans ce cadre, le RN doit remporter près de 65% des duels contre la majorité présidentielle, en espérant que le report des voix de gauche notamment de la France Insoumise soit moins fort que lors de la dernière élection présidentielle. Deuxième facteur, le Rassemblement national doit bénéficier d’un report de voix d’une partie des électeurs centristes et de droite, notamment dans le cadre de duels face à LFI qui est jugée tout autant infréquentable voire pire depuis le 7 octobre et les soupçons d’antisémitisme. Ainsi, il faudrait remporter près de 70-75% des duels face au Front Populaire. Dernier facteur, le Rassemblement national doit éviter une remobilisation électorale comme en 2015 avec des électeurs qui voteront uniquement pour lui faire barrage, tout en profitant d’une petite remobilisation du camp national avec l’élan du premier tour.

La majorité absolue s’éloigne pour le Rassemblement national. Toutefois, il est toujours possible pour Jordan Bardella d’obtenir une majorité relative suffisamment solide lui permettant de gouverner. Le seul prérequis à cela serait qu’il y ait environ 300 députés RN et LR. Dans ces circonstances, la droite républicaine pourrait ne pas voter la motion de censure provenant de la gauche et des centristes. En contrepartie tacite, le RN devrait adresser des signaux aux LR. Jordan Bardella serait dans une situation finalement très proche de celle d’Elisabeth Borne qui a tout de même fait voter une cinquantaine de textes en 2023, y compris des textes emblématiques comme la réforme des retraites et la loi Immigration.

L’Élysée, maison d’un fou?

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Le journaliste Ivan Rioufol © Hannah Assouline

Emmanuel Macron est-il fou ? Oui, fou. « Fada », comme il dit. Depuis le 9 juin et sa dissolution rageuse de l’Assemblée nationale, annoncée 58 minutes après l’annonce de la défaite de son mouvement aux élections européennes (14,6%), la question se pose.


La question obsède son camp traumatisé qui, dans l’instant du verdict, a vu venir le crash. Mais « l’esprit de défaite » n’habite pas ce président haut perché, enamouré de lui-même. Ce soir-là, l’homme blessé (« cela m’a fait mal », avouera-t-il) se persuade de « prendre son risque ». Il se convainc de susciter un sursaut de confiance autour de sa personne, comme il le fit en agitant la peur du Covid (« Nous sommes en guerre ») et comme il aimerait tant le faire en attisant les braises d’un conflit généralisé contre la Russie. Macron pense, ce 9 juin, jouer le coup fumant qui le replacera en sauveur face au RN. Ne s’est-il pas engagé à en être le rempart ?

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Ce soir-là, Macron laisse donc sa photographe, Soazig de la Moissonnière, fixer et diffuser auprès des médias les mines atterrées de ses ministres et de la présidente de l’Assemblée, réunis pour entendre son bon plaisir, avalisé en coulisses par une bande de drôles. Au Monde, quelques jours plus tard, le chef de l’Etat expliquera fièrement : « Je prépare ça depuis des semaines et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils vont s’en sortir ». Mais la grenade allait évidemment rouler sous son fauteuil. Il aura fallu attendre le 30 juin, premier tour des législatives, pour qu’il en mesure la première déflagration avec un RN à 33,15%, un Nouveau Front Populaire à 27, 99% et une macronie défaite à 20,83 %, donc ne pouvant survivre qu’au prix d’accords avec la coalition « diversitaire » préemptée par Jean-Luc Mélenchon.

Seul un insensé peut ainsi s’amuser à la roulette belge (toutes les balles dans le barillet) en croyant pouvoir gagner. Un chef d’Etat si peu perméable aux assauts des réalités et aux attentes de son peuple indigène est un homme clos qui ne se fie qu’à lui-même et à ses cireurs de bottes. Macron est ce narcisse esseulé. Dès lors, comment ne pas s’interroger sur sa démesure égotique, sa négation des obstacles, sa fascination pour la foudre, son attirance pour la transgression, sa jouissance dans le caprice, son mépris des contradicteurs, son plaisir à agiter les peurs, sa propension à se défausser sur les autres ? Comment ne pas s’alarmer de son immaturité d’enfant-roi qui, pareil au jeune Abdallah de Tintin, jette ses pétards et trépigne d’être contrarié. Bref, comment ne pas se demander si Macron tourne rond ? C’est le Figaro Magazine qui, le 14 juin, pose directement la question au roi sans divertissement : « – Que répondez-vous à ceux qui disent ça ? Etes-vous fou, comme ils le prétendent ? -Non, pas du tout, je vous le confirme, je ne pense qu’à la France. C’était la bonne décision, dans l’intérêt du pays. Et je dis aux Français : n’ayez pas peur, aller voter ».

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Mais de quoi les Français auraient-il peur, sinon des foucades d’un personnage de roman qui s’ennuie d’attendre son destin ?

À dire vrai, Macron n’est pas le seul à avoir perdu la tête. Certes, il n’a jamais voulu entendre l’exaspération des Oubliés qui ébranlent le vieux monde politique. « Je ne sens pas la colère », déclare-t-il en 2018 à la veille de la fronde anti-parisienne des gilets jaunes, puis en 2023 alors que les agriculteurs ruent dans les brancards. C’est en province que la révolution du réel s’est échauffée. Cependant, ce président déphasé est aussi le produit de la crise de la politique, victime des idéologies bavardes et hors-sol. Les « élites » sont contestées pour avoir montré un même dérèglement intellectuel, incompatible avec le bon sens des Français ordinaires.


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Le désordre ou l’alternance

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Marine Le Pen à Paris, hier © Thibault Camus/AP/SIPA

Institutions. Que l’on ait voté, ou pas, pour les candidats du Rassemblement national, il faut reconnaitre que seule une majorité de « l’union des droites » à l’Assemblée nous éviterait la chienlit. Sans elle, Bardella a dit qu’il n’irait pas à Matignon… Mais, le RN devra aussi prendre un virage « post-populiste » et s’assumer « national conservateur » pour que la situation politique de la France ne reste pas bloquée.


Les résultats du premier tour des élections législatives n’offrent qu’un débouché politique limité. En réalité, deux choix, et deux choix seulement, restent possibles.

Le premier est sans aucun doute le pire. C’est celui que le président de la République et au moins une partie de sa majorité essaient de vendre au pays, depuis l’annonce désastreuse de la dissolution. Emmanuel Macron voulait l’élargissement de sa majorité. Il estimait que celui-ci n’était plus possible à froid, par le jeu régulier du dialogue parlementaire. Il a voulu le réaliser à chaud, à l’occasion d’un scrutin qu’il pensait décisif.

La confiance absolue que le président a en lui l’a empêché de s’assurer que le coup était jouable, et que ses éventuels partenaires, au PS ou à LR, étaient prêts à le suivre. Il a même refusé d’entendre tous les signaux qui lui disaient le contraire, à commencer par le refus poli, exprimé dès avant le résultat des Européennes, par Gérard Larcher. La main était trop faible, le bluff trop voyant : la partie de poker est perdue. Mais, depuis dimanche soir, alors que les jeux sont faits, la macronie s’acharne et tente de convaincre qu’une majorité centrale est encore possible et qu’elle est souhaitable… Elle n’est toutefois ni l’une, ni l’autre, pour au moins trois raisons.

Trois mauvaises raisons de mettre en place une grande coalition au centre

La première est arithmétique : le compte n’y est pas. En calculant le plus largement possible et en incluant les trois partenaires potentiels, c’est-à-dire toute la gauche à l’exclusion de LFI, le courant macroniste, dans ces différentes variations, et les Républicains « canal historique », amputés de l’aile ciottiste, on obtient moins de 250 députés. On est ainsi très loin de la majorité absolue de 289 sièges, et même très en deçà de la majorité relative sortante et difficilement gouvernable, qui s’élevait à 283 députés. En réalité, le résultat n’aurait pu être atteint qu’à une condition : si la majorité sortante s’était renforcée ; or, c’est le contraire qui s’est produit, et la macronie sort laminée du scrutin.

La seconde raison est davantage politique, au sens à la fois tactique et programmatique que ce terme induit. De cette alliance improbable, personne ne veut et surtout pas la gauche social-démocrate qui, malgré le bon score de Raphaël Glucksmann aux Européennes, est allée se jeter dans les bras de la France Insoumise, sans même respecter un délai de décence élémentaire. On peut gloser à l’infini sur les motivations de l’acte, qui se situent probablement quelque part entre le réflexe d’union conditionné par des cultures politiques de longue durée et l’attirance irrépressible pour la mangeoire. Quoi qu’il en soit, on voit mal aujourd’hui le PS, les Verts et le PCF rompre un programme commun signé l’avant-veille et jeter aux orties le Nouveau Front populaire. Quant au fond, il n’y en a pas et les hypothétiques partenaires ne sont d’accord sur aucun des grands dossiers nationaux (ni sur le nucléaire, ni sur les retraites, ni sur l’assurance chômage, ni sur la fiscalité, ni sur l’immigration, ni sur la sécurité…) Seuls l’attachement à l’Union européenne et l’attitude vis-à-vis de la Russie pourraient fournir un terrain de rapprochement (à condition d’exclure le PCF), mais on concédera qu’il est mince.

La troisième raison est sans doute la plus importante. Une telle alliance (si, malgré tous les obstacles, elle venait à se réaliser) aurait des effets délétères pour les institutions démocratiques. Les citoyens y verraient, non sans raison, une preuve de l’insincérité, voire du cynisme, des élites dirigeantes. Ils la considéreraient surtout comme un tour de passe-passe destiné à escamoter la volonté d’un peuple qui continue de penser mal, moins de 20 ans après le désastreux précédent du référendum sur la constitution européenne. La situation serait d’autant plus grave qu’elle se greffe sur un contexte déjà chargé, fait de défiance envers les élus, de fracturation de la société et de moindres performances économiques. Et surtout de violences ! Car, et il s’agit là d’un phénomène nouveau, grave et probablement sous-estimé dans l’histoire longue de France d’après 1945, avec les gilets jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites et les émeutes urbaines de juin 2023, la violence est redevenue un moyen d’expression politique récurent et presque banalisé. Les incertitudes à venir ne feraient que renforcer cette tendance.

Macron entend organiser le désordre

Tout cela, le président de la République le sait. Pourquoi alors agit-il de la sorte et que recherche-t-il vraiment ? Une majorité étendue et nouvelle ? Sans doute pas, tant elle semble lointaine. Un front du refus visant à isoler le RN ? Mais outre qu’il faudrait alors l’étendre à la France Insoumise (ce qu’Emmanuel Macron a explicitement rejeté le mercredi 3 juillet, mais ce que certains de ses partisans revendiquent et pratiquent par le biais des désistements) il ne s’agirait qu’une formule négative, incapable de prendre la moindre décision. En réalité, il est très probable que le chef de l’État estime pouvoir tirer son épingle du jeu avec une chambre ingouvernable et maintenir l’essentiel de ses prérogatives en organisant le désordre. Il envisage sans doute avec bonheur la constitution d’un gouvernement de techniciens à la recherche constante de majorités changeantes et d’équilibres instables. On pariera davantage sur son hybris que sur sa vista politique. Mais au-delà des interprétations psychologisantes, la situation qui en résulterait marquerait un retour à des jeux partidaires en circuits fermés, empêcherait le peuple de choisir souverainement sa majorité et sa politique et constituerait de ce fait une rupture majeure avec l’un des principaux acquis de la Ve République.

Que reste-il alors comme solution ? Ni plus ni moins qu’un gouvernement Bardella. La formule comporte un risque et génère une opportunité.

Le risque est limité. Le Rassemblement national n’est pas le Front National. Il n’est pas la dernière émanation du nationalisme français, ce courant politique né à la fin du XIXe siècle dans le traumatisme de la défaite de 1870, nourri pas l’aventure boulangiste, structuré sous l’Affaire Dreyfus, rallié à l’Union sacrée, connaissant son apogée durant l’entre-deux-guerres, soutenant, dans ses appareils politiques, notamment l’Action Française, le régime de Vichy et la collaboration (mais il y avait aussi des nationalistes, y compris issus de l’Action française, dans la Résistance), discrédité à la Libération, reprenant un peu d’oxygène pendant la guerre d’Algérie, unifié par Le Pen au début des années 1970 et porté par lui, dans un contexte de crise économique et sociale, jusqu’à moins de 20% de l’électorat. Ce courant, avec ces caractéristiques principales, son antisémitisme, son antiparlementarisme, son usage de la violence, fût-elle verbale, dans le champ politique, est mort, ou plutôt, pour reprendre un mot à la mode, il est « résiduel ». Qu’il reste des nationalistes au RN, c’est probable et on ne peut que le déplorer. Que ce parti comporte son lot d’énergumènes, c’est évident (mais au moins ne met-il pas au premier rang des individus que le 7 octobre fait rire à gorge déployée ou qui manient allègrement la barre de fer). Demeure l’évidence : Marine Le Pen a rompu avec son père, avec son discours, avec ses références. Certains n’y voient qu’une dissimulation tactique. C’est instituer la méfiance en système, récuser toute bonne foi et rendre ainsi impossible le débat démocratique. Et quand bien même une partie de son programme pourrait susciter l’inquiétude, le Premier ministre n’a pas tous les pouvoirs, surtout en période de cohabitation. Des forces de contrôle ou de rappel existent, au niveau national comme européen.

L’interrogation concernant le RN ne porte donc pas sur ce qu’il n’est pas (nationaliste ou d’extrême-droite) mais sur ce qu’il est. Cette élection imposée doit en effet être l’occasion d’une clarification programmatique à chaud. Là se situe l’opportunité et, pour le RN, elle se résume en un mot probablement difficile à entendre pour Marine Le Pen : la « melonisation ». Pour vaincre et surtout pour gouverner, le RN doit s’inspirer de la recette italienne et accommoder à sa façon ses quatre principaux ingrédients : une alliance en bonne et due forme avec la droite modérée ; l’acceptation franche de l’Union européenne, quitte à en infléchir le cours ; un programme économique et social libéral (l’une des premières décisions de Giorgia Meloni a été la suppression de l’équivalent italien du RSA) ; l’engagement dans le camp occidental. En résumé, le RN doit cesser d’être un parti populiste ou attrape-tout, en capitalisant sur les peurs et les colères, pour devenir un parti « post-populiste » (Muzergues, Baverez[1]) ou mieux encore un parti « national-conservateur » (Giovanni Orsina).

Cet aggiornamento, Jordan Bardella a commencé à le mener (c’est peut-être une des raisons de sa popularité). Il a infléchi la ligne du parti sur les retraites, mis de l’eau dans son vin budgétaire, dénoncé la « menace multidimensionnelle » que représente la Russie pour la France et pour l’Europe. Il doit, avec Marine Le Pen, aller plus loin dans ce sens. Tout l’enjeu des mois à venir, au gouvernement ou dans l’opposition, sera d’affirmer cette ligne sans se couper des catégories populaires et notamment les actifs modestes et moyens qui constituent les bases de son électorat. Sans rien éluder de la difficulté de l’exercice, on notera simplement qu’il a toujours existé des ouvriers « de droite » (qui votaient par exemple gaulliste dans les années 1960) et qu’à l’occasion de ces élections européennes et législatives, le RN a réussi (c’est un des grands enseignements du scrutin) a élargir sa base électorale et à gagner même des catégories qui lui était traditionnellement hostiles.

C’est en tout cas à ces conditions que pourra être rétabli un clivage droite-gauche modernisé, que pourra renaître la possibilité de l’alternance, c’est-à-dire le fonctionnement normal de la démocratie et, accessoirement, que pourra enfin être créé dans ce pays un grand parti conservateur et populaire.


[1] Postpopulisme: La nouvelle vague qui va secouer l’Occident, L’Observatoire, 2024

Pas tous si cons ces candidats RN…

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De gauche à droite, Charles Prats, Jérôme Sainte-Marie et Maxime Michelet. Photos DR et Hannah Assouline.

Les médias relèvent depuis plusieurs jours le passé sulfureux ou les perles embarrassantes de candidats RN incapables de répondre à des questions basiques sur leur programme. Pour un panorama plus varié (et honnête), nous sommes allés à la rencontre d’auteurs, historiens, ex-magistrats et intellectuels candidats dans leur circonscription.


Ils écrivent, ils pensent et ont aussi les mains sales. Habitués au commentaire de l’actualité, à l’étude des mouvements d’opinion ou à l’histoire parlementaire, certains intellectuels et auteurs ont délaissé le temps d’une campagne la théorie de la politique pour sa pratique. Candidats pour les législatives de 2024, Charles Prats, Jérôme Sainte-Marie et Maxime Michelet sont d’abord connus dans leur domaine de spécialité. Le premier est ex-magistrat et a écrit des livres remarqués sur les fraudes fiscales et sociales. Le second est sondeur et ancien directeur de l’institut CSA. Il a notamment analysé dans Bloc contre bloc : La dynamique du Macronisme la constitution en France d’un vote de classe. Le troisième est historien et universitaire, déjà auteur de plusieurs livres dont une biographie de l’impératrice Eugénie et un essai historique en défense du règne de Napoléon III. Ils ont en commun de posséder une certaine légitimité intellectuelle. Ils n’ont cependant jamais été éloignés du monde politique. Maxime Michelet a travaillé auprès d’Éric Ciotti comme conseiller aux discours, quand Jérôme Sainte-Marie dirige l’institut Héméra, chargé d’assurer la formation des cadres du RN. Charles Prats, a lui longtemps bataillé du côté du RPR et de l’UDI.

Racines familiales plutôt que parachutages

Tous se présentent dans une circonscription ultra-périphérique : M. Michelet est candidat dans la 3e circonscription de la Marne, Charles Prats dans la 6e de Haute-Savoie et Jérôme Sainte-Marie dans la 1e des Hautes-Alpes. Leur candidature effraie déjà la faune politique locale qui dénonce ces « parachutés ». Un argument qu’ils n’ont aucun mal à balayer : « C’est le seul et unique argument de mon adversaire. Démagogie de bas étage ! J’ai quitté la Champagne pour Paris en suivant le système méritocratique républicain et poursuivi mes études en khâgne à Henri IV » se défend Maxime Michelet. Charles Prats est plus ironique : « Je ne suis pas parachutiste, je suis pilote d’avion. Et un pilote, il n’a aucune raison de sauter en parachute d’un avion qu’il aime bien ! » Jérôme Sainte-Marie, lui, ne quitte jamais l’analyse : « Parler de parachutage évite d’assumer les positions peu consensuelles du programme du Front populaire ».

La faiblesse de l’argument traduit aussi une fébrilité. S’ils sont aperçus à Paris dans les médias, les candidats sont bien du cru. Jérôme Sainte-Marie réside à l’année avec sa famille dans sa circonscription. Charles Prats y est né, y possède sa maison, s’y est marié et y a toute sa famille. Loin des caricatures d’énarques parachutés par leur parti sur un territoire qu’ils découvrent à leur arrivée, certains ressembleraient presque à ces ducs de cour que la comtesse de Ségur portraiture dans ses romans et qui se partageaient entre intrigues politiques dans leur hôtel particulier et retraites passées à surveiller la moisson au milieu des anciennes gens et métayers…

A lire aussi, du même auteur: Nicolas Conquer: l’union nationale «made in Normandy»

S’ils connaissent le terrain, ils doivent aussi assurer l’intendance d’une campagne. « Je fais moi-même ma colle, colle moi-même mes affiches… L’expérience d’années de militantisme à l’UNI (le syndicat étudiant classé à droite NDLR) et au RPR », assure Charles Prats, qui doit aussi ménager les inévitables cancans politiques provinciaux : « On boit des verres avec les maires et sénateurs sans pouvoir l’afficher sur internet. Ils sont officiellement du camp d’en face ». « Beaucoup reste à faire, le maillage militant n’est pas encore très fort dans la circonscription qui est très vaste », nous confie Jérôme Sainte-Marie qui roule sans freiner dans sa large circonscription rurale. Intellectuel, législateur, militant, auxiliaire de vie, un député se doit d’être couteau suisse. Au fil des ans, l’élu est en effet devenu une assistante sociale qui recueille sur rendez-vous les doléances des électeurs. Tiendront-ils permanence ? « Bien sûr !  J’aime les gens, leurs problèmes, leurs histoires… Sinon je n’aurais pas fait magistrat. J’ai fait plein de rendez-vous avec des électeurs que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam mais j’ai écouté » s’enflamme Charles Prats.

Le savant et le politique

Reste que la conduite d’une campagne change un peu des plateaux TV et des maisons d’édition. Pour attirer le chaland, il faut savoir être concret. Max Weber dissociait dans un ouvrage fondateur le savant du politique : le premier a pour objet la recherche désintéressée et austère de la vérité, quand le second est d’abord un homme d’action. Sur le terrain, nos trois candidats parviennent finalement à bien accorder ces deux dimensions. Maxime Michelet assure sans corporatisme que : « les historiens ont un rôle citoyen vis-à-vis de la mémoire. Ils portent un message mémoriel pour que les Français puissent comprendre d’où ils viennent, quelle est leur identité et où ils veulent aller ». Jérôme Sainte-Marie reprend sur le terrain sa théorie des blocs : « Les campagnes dépendent des territoires où l’on se présente. Aujourd’hui, je dois insister sur la nécessité de renouer avec une économie productive. Ce discours est entendu des chefs d’entreprise, des artisans et des agriculteurs ».

Les scores du premier tour sont encourageants mais ne garantissent pas toujours une élection dimanche. Avec 43.83% contre 31.93% pour son adversaire d’Ensemble, Maxime Michelet aborde le second tour en position très favorable.  A 38.42% contre 30.47 % pour son adversaire socialiste, Jérôme Sainte-Marie bénéficie d’une certaine avance, mais devra compter sur quelques reports d’électeurs de la majorité. Avec 36.41% contre 34.68% pour son adversaire marconiste, Charles Prats jouera son siège à quitte ou double.

On n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise. À l’Université, dans les médias, dans l’édition… leur situation était pourtant acquise. Pourquoi alors s’engager en politique au Rassemblement national où il n’y a que des coups à prendre ? Pour Jérôme Sainte-Marie, les constats politiques pessimistes ne suffisaient plus : « J’ai toujours eu une grande préoccupation dans mes travaux pour la situation des classes populaires tout en les accordant à la nation. Cette deuxième dimension m’a semblé prioritaire au fil des ans et il y a vraiment urgence à relever la France ». Entreprenant, Charles Prats fait la liste des lois qu’il aimerait porter pour son territoire et pour la France : fermeture d’un incinérateur, promotion d’une zone industrielle. Maxime Michelet fend un peu l’armure et n’hésite pas à convoquer son imaginaire d’historien : « Les moments historiques sont souvent des moments de césure. Quand un homme d’État comprend la nécessité de l’instant et pose un acte de césure. C’est un peu ce qu’a fait Éric Ciotti en permettant l’union des droites et en mettant fin à 30 ans de piège mitterrandien ». Dans la future Assemblée nationale, le RN pourrait compter sur ces hommes de dossiers, redoutables débateurs dont le calibre intellectuel n’aura rien à envier aux élus de la start up nations marconistes ou aux apparatchiks du Nouveau Front populaire.

À la guerre culturelle comme à la guerre : la conquête du pouvoir restera une guerre des idées.

Populiste, la dernière injure à la mode

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DR.

La dernière tribune de notre bien-aimé chroniqueur lui a valu quelques tombereaux d’injures. « Fasciste », « extrême-droite », « bien digne de Causeur, torchon infâme inféodé à Israël », — et « populiste ». Cette dernière apostrophe l’a amusé, en ce qu’elle témoigne d’un retournement des valeurs bien dignes de notre époque orwellienne, où la gauche auto-proclamée adopte les positions de Big Brother : « L’Ignorance, c’est la Force », et « la Liberté, c’est l’Esclavage ».


« Populiste ! » Le mot est lâché avec une telle vigueur, il est censé me souffleter avec une telle force, que me voici bien obligé de rappeler aux incultes qui votent Mélenchon l’origine et le destin de ce mot.

Il apparaît en 1912 pour désigner des mouvements politiques russes. Il désigne les narodniki, partisans d’une révolution agraire, et il est alors peu ou prou synonyme de « socialiste ». Ce qui d’ores et déjà suggère un grand écart sémantique inouï pour arriver au sens moderne, où depuis les années 1980, il désigne le discours de droite censé séduire le peuple en flattant ses plus bas instincts — la xénophobie et la haine des castes intellectuello-parisiennes qui pensent, elles, paraît-il…
Étant entendu que la phrase précédente est pour lesdites castes, qui aimeraient bien confisquer le discours politique, un exemple frappant de populisme…

Plumes populistes d’autrefois

Je rappellerai pour mémoire à ces mêmes intellectuels, qui, pauvres chéris, ne peuvent tout savoir, qu’un Prix du roman populiste est fondé en 1931 pour récompenser une œuvre romanesque qui « préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité » — « le peuple plus le style ». Ma foi, cela m’agrée. Seront lauréats du Prix populiste Eugène Dabit (vous vous rappelez, Hôtel du Nord…), Jules Romains, Louis Guilloux, René Fallet ou Jean-Paul Sartre (pour La Nausée, et le philosophe-romancier l’accepta, lui qui trente années plus tard refuserait le Nobel). Des gens éminemment fréquentables.

Mais aujourd’hui, le peuple soi-disant parle par la plume d’Edouard Louis et d’Annie Ernaux, ces phares de la nullité littéraire.

A lire aussi, Paul Rafin: Portrait d’un journaliste aux abois

Il faut l’arrivée de la gauche caviar au pouvoir pour que le peuple perde de son aura : Mitterrand avait été élu avec des voix ouvrières, il s’en détacha très vite, avant que ses successeurs, sous l’influence des penseurs de Terra Nova (à qui le peuple devrait demander des comptes) le récuse et lui préfère les « nouveaux prolétaires » — i.e. les immigrés : d’ailleurs, ce sont eux qui ont assuré, dans les arrondissements maghrébins de Marseille et ailleurs, des élections de maréchaux à des Insoumis pas du tout antisémites… Le vrai populisme moderne, il est là, dans les promesses creuses et les éructations d’un vieux lambertiste éculé.

Alors, oui, je suis populiste : fils de personne élevé dans les Quartiers nord de Marseille, je me bats pour le peuple — afin que le peuple reconquière ses anciens pouvoirs. Je ne relaie ni les conversations de bistro (supposées stupides par des bobos qui blablatent dans des dîners en ville et autres pince-fesses parisiens), ni les rumeurs des stades. Juste la colère des petits, des obscurs, des sans-grades, ceux qui ont été privés de parole depuis quarante ans, et qui votent pour protester contre le mépris et la mainmise des hautes castes sur le pays tout entier.

Le peuple demande des comptes

Je ne prête au RN ni des capacités particulières, ni des idées révolutionnaires ; c’est au peuple, au peuple seul d’imposer ses idées. C’est au peuple de former des comités de salut public, qui expliqueront aux juges qu’on ne laisse pas en liberté des multi-récidivistes, et à la police qu’on arrête et qu’on expulse des gens en position d’OQTF, au lieu de les laisser perpétrer des attentats. Qui pèseront sur certains enseignants pour qu’ils apprennent à nouveau à leurs enfants la langue et les mathématiques, l’histoire et la géographie françaises — et qui demanderont des comptes, là aussi, à ceux qui depuis qu’ils se sont infiltrés grâce à Jospin, Meirieu, Lang, Vallaud-Belkacem et les autres, et ont organisé la classe de façon à ce que les gosses nés dans le ghetto y restent. Qui forceront les immigrés récalcitrants à s’intégrer — ou à partir. Et qui décideront des lois, directement — par le peuple et pour le peuple, comme disait Lincoln à Gettysburg.

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Tout mais pas ça!

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DR.

Les loups — quels loups ?


Ici, Radio Paris. Un Français parle aux Français. Le coq chantera trois fois. Je ne plaisante pas. Les loups vont siéger dans Paris. Tu peux sourire, charmante Elvire ! Résistance ! Résistance à la meute dans l’hémicycle, au loup à Matignon. Barrage ! Tout mais pas ça ! Pas une voix, pas une seule, pour les Loups… ouh… ouh !

Un sanglot long des violons a parcouru la France. Les briscards de la politique et des lettres,  de la philosophie politique et les politologues sont sortis du bois joli. En attente du tocsin, ils ont tiré la sonnette d’alarme. Tout mais pas ça ! Ah ! Si l’appel au muezzin pouvait retentir ! Si les cloches pouvaient résonner ! Et tandis que chacun, la main sur le cœur, y allait de son appel aux valeurs républicaines, sur le front se concluaient, fébriles, des alliances farfelues ou honteuses, des accords contre nature, des désistements crapoteux. Les loups sont aux portes de Paris ! Sors ton mouchoir, charmante Elvire !

Et les mots d’ordre, cryptés, de fleurir dans la cacophonie. Se rallier n’est pas s’allier, une carpe est un lapin, jouer c’est tricher. Il y a antisémitisme et antisémitisme. Mélenchon n’est pas Mélenchon. « Je est un autre ». Parce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Je dis blanc mais je pense noir / rouge selon la lune. Je vote NFP mais confesse R.N. Je m’abstiens parce que je suis résistant. Ni ni, c’est oui. Ou non. Ni vu ni connu, je t’embrouille.  De la vraie, de la haute voltige politique ! Et poétique, avec ça ! Inventive ! Non pasaran !

A lire aussi, Aurélien Marq: Le front républicain anti-RN a trouvé son hymne!

Un soir, à Public Sénat, on enquêtait sur les électeurs du R.N. Bien sûr, on le sait depuis toujours, il y a le voteur des villes et le voteur des champs. Mais il fallait affiner : le voteur R.N est jeune, issu des classes populaires, paysan, il n’a pas fait d’études. Souvent, il n’a pas le bac. Pas bas de plafond mais un peu quand même, attaché à sa glèbe. Les autres votants sont bac + 3, ils font des études dans des facultés, ils roulent à vélo et cultivent de la sarriette sur leur balcon. Résumons : face au voteur éclairé, il y a le voteur ignorant, fanatisé, violent. Toujours cette histoire de rillettes Bordeau-Chesnel, vous vous souvenez ?  « Vous et moi, nous n’avons pas les mêmes valeurs. »

Moi qui croyais que notre République était assez forte pour soutenir tous les assauts ! Que l’exercice de la parole, la liberté d’opinion y avaient cours ! Que le peuple y était souverain, égal devant la loi ! Que Marianne était une femme solide ! Je me trompais ! Ainsi, certaines voix, —beaucoup, dites donc !— sont à mettre à l’écart ! Le winner / looser au pouvoir, n’a-t-il pas eu tout son temps pour contrer les idées nauséabondes de l’immigration incontrôlée, de l’islamisme radical, de l’insécurité, de la souveraineté nationale, du naufrage de l’école ? Que n’a-t-il écouté son peuple, qu’il aime tant, crier vers lui de toutes ses forces au lieu de crier au loup ouh…ouh…Tout ça pour avoir recours, in extremis, au père, pour justifier la dissolution d’une Chambre incontrôlable ?

En attendant, parmi ses sujets, c’est l’excitation généralisée. Peur et violence font rage. Comme au temps de Dreyfus, les familles sont divisées. En France, régner, est devenu diviser. Gouverner, manipuler, faire peur et avoir peur. Peur du Covid, peur des gilets jaunes, peur de l’Ogre des Carpates, peur des émeutes, peur des banlieues, peur des extrêmes, peur des phobies, peur du RN, peur pour la planète : la peur, on n’a connu que ça avec le président Macron. Peur de certaines alliances, dame, ce serait plutôt, une peur de gazelle. Pour cause d’amnésie ? Trou de mémoire ? Oubli du pogrom du 7 octobre ?

En attendant Godot, sur les plateaux télé, on a ressorti le camembert multicolore, les statistiques et les projections en sièges, et les mêmes idées « qui viennent de loin ». Et tout le monde de jacasser assis sur son tabouret. Alors, ces loups ? Quels loups ? Parce qu’il y aurait loup et loup ? Ris donc, charmante Elvire ! C’est pour mieux te manger, mon enfant !

Débat raté de Joe Biden: même des médias démocrates demandent maintenant son départ

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Le président amércain Joe Biden et sa femme Jill, à la fin du débat l'opposant à Donald Trump retransmis sur CNN, Atlanta, 28 juin 2024 © Gerald Herbert/AP/SIPA

« Bad debate nights happen » observe Barack Obama. Reste que les voix se multiplient appelant le président américain à se désister, et des noms de remplaçants potentiels circulent déjà. Mais pour l’instant, Joe Biden tient bon, et maintient la candidature à sa réélection. Le prochain débat face à Trump aura lieu en septembre.


Le premier débat opposant les deux candidats, Donald Trump et Joe Biden, a largement tourné en faveur du candidat républicain. Or cette victoire ressemble plus à une défaite de la part de l’actuel président américain qui, déboussolé, s’est même vu attaqué par les médias de son propre camp qui demandent son remplacement par un autre démocrate.

C’était un débat à sens unique. Face à un Donald Trump sûr de lui-même, ne craignant pas de réaffirmer ses positions sur les élections de 2021, s’avançait un Joe Biden malade (comme l’a confirmé un communiqué de la Maison-Blanche quelque temps après le début du débat[1]), impuissant et bien souvent incompréhensible.

Le candidat démocrate a payé cher la déroute occasionnée par ce mauvais débat, nouveau signe de sa faiblesse. À 81 ans pourtant, il était essentiel pour Joe Biden de montrer à l’ensemble de ses partisans qu’il a les capacités de tenir sa place à la Maison-Blanche pour les quatre prochaines années. Malgré lui, ce n’est pas l’image qu’il a montrée à l’ensemble de la nation américaine.

Joe Biden : un président affaibli

Joe Biden est sorti de ce débat encore plus affaibli qu’il ne l’était en y entrant. Un mois plus tôt, une étude menée par Gallup présentait déjà le président sortant comme le président américain le moins bien coté de l’histoire des États-Unis au treizième mois de son premier mandat (cf. notre tableau ci-dessous). La situation alarmante de sa cote de popularité, qui n’a fait que baisser lors des quatre dernières années, est aussi à souligner[2].

Le taux d’approbation des présidents américains lors de leur dernier semestre à la Maison-Blanche (seulement sur leur premier terme électoral). © Gallup


Mais s’il partait déjà en position de vaincu, le débat du 28 juin n’a fait qu’empirer son image, les internautes ne se privant pas de ridiculiser encore plus le candidat démocrate à travers de nombreux memes. Les vidéos d’un Biden désorienté, incapable de finir ses phrases ou même de quitter le plateau télé sans aide, tournent en boucle sur les réseaux.

A lire aussi: Ultraorthodoxes en Israël – du noir au kaki?

La vidéo la plus connue est certainement celle avec cette pique lancée par Donald Trump à la suite d’une énième phrase incompréhensible du président américain : « I really don’t know what he said at the end of that sentence. And I don’t think he knows what he said, either ». Mais si Biden a tant souffert de la comparaison avec son homologue républicain, c’est bel et bien son camp qui en a subi les conséquences.

La réaction du camp démocrate

Au lendemain du débat, Joe Biden se retrouve accablé par de nombreux médias de son propre camp, analysant la situation comme catastrophique. Pour certains, comme John King, correspondant national en chef de CNN, le débat n’a fait qu’accentuer la panique dans le camp démocrate : « There is a deep, wide, and very aggressive panic in the Democratic Party »[3]. Cette panique généralisée a même poussé les démocrates à chercher des alternatives en vue des élections de novembre. Ainsi, les noms de Gavin Newsome, actuel gouverneur de Californie, et celui de Gretchen Whitmer, actuel gouverneur du Michigan, sont sortis, même si l’actuelle vice-présidente de Biden, Kamala Harris, reste en position de tête. Dans la même soirée, le New York Times, pourtant média à tendance démocrate, n’a pas hésité à appeler le président Biden à partir : « To serve his country, president Biden should leave the race »[4].

Depuis vendredi dernier, les tribunes appelant le président Biden à laisser sa place se sont multipliées. Que ce soit le NY Times, The Hill, The Chicago Tribune, The Atlanta Journal-Constitution ou encore The New Yorker, pour eux, c’est clair, le camp démocrate doit ouvrir les yeux et remplacer au plus vite un Joe Biden souffrant. Selon une toute récente étude menée par Reuters et Ipsos datant du mardi 2 juillet, soit quatre jours après le débat, un démocrate sur trois pense que l’actuel candidat du parti démocrate devrait abandonner au profit d’un autre candidat[5]. Malgré cela, aucun autre candidat hypothétique n’apparaît assez puissant pour faire tomber Donald Trump.

Comment rebondir pour les démocrates

Si le camp démocrate semble s’être remis de ce « mauvais débat », comme le qualifiait Barack Obama sur X (« Bad debate nights happen »[6]), c’est bien plutôt qu’il tente de…

La fin de l’article est à retrouver sur le site de la revue Conflits


[1] Biden has a cold, sources says

[2] Biden’s 13th-Quarter Approval Average Lowest Historically

[3] https://x.com/_waleedshahid/status/1806528042291896360

[4] Opinion | To Serve His Country, President Biden Should Leave the Race – The New York Times

[5]https://www.reuters.com/world/us/one-three-democrats-think-biden-should-quit-race-reutersipsos-poll-finds-2024-07-02/

[6]https://x.com/BarackObama/status/1806758633230709017?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Etweet%7Ctwtr%5Etrue

Chocs et désistements

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Le député LFI islamo-gauchiste David Guiraud (ici photographié en avril à Roubaix) bénéficiera du retrait du candidat soutenu par Macron dans sa circonscription dimanche © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

Depuis le dimanche 9 juin, il y a moins d’un mois, nous avons subi une série de chocs et de surprises. Elles ont ébranlé certaines de mes convictions… La chronique politique de Richard Prasquier


Le premier choc ne fut pas le score du RN aux élections européennes, parfaitement conforme aux prévisions, mais évidemment l’annonce par le président de la République de la dissolution de l’Assemblée nationale. Je ne vais pas m’appesantir sur les ressorts probables de cette décision qui d’emblée m’a paru funeste comme elle l’a paru au commun des mortels. Nul doute que les historiens et les psychanalystes en feront un objet d’études. Le deuxième choc, ce fut la création dès le lendemain du Nouveau Front populaire entre LFI, le PS, les écologistes, les communistes et même le NPA, le groupuscule des extrêmes. Des gens qui s’insultaient copieusement et dont les positions sont parfaitement hétéroclites pouvaient faire un programme d’union auquel peu d’entre eux devaient croire qu’il pût aboutir à autre chose qu’un séisme économique, alors que les macroniens et les Républicains qui n’ont pas suivi Éric Ciotti, n’arrivaient même pas à passer un simple accord électoral, ce qui les a mis en loques pour le second tour, où ils seront souvent absents alors qu’ils représentent 40% de l’électorat. Des résultats du premier tour, je retiens deux images, et c’est mon troisième choc : la Place de la République couverte de drapeaux palestiniens et algériens et Jean-Luc Mélenchon appelant au barrage républicain contre le Rassemblement national. À ses côtés, une jeune femme en keffieh, Rima Hassan, qui venait d’accuser l’armée israélienne d’entrainer des chiens pour violer les prisonniers palestiniens. Pour Mélenchon, cette diffamation lui convient, ce qui compte c’est que Rima Hassan est très populaire chez les Insoumis, malgré ou plutôt à cause de ses mensonges. L’homme qui, à propos de la phrase ignoble qualifiant la mort de policiers de vote en moins pour le RN, a dit qu’on avait bien le droit de rigoler, vit dans un monde sans vérité où les mots n’importent que s’ils peuvent rapprocher du pouvoir. Ce pouvoir, chacun comprend que dans le Nouveau Front Populaire, c’est lui qui l’exerce, quoi qu’en disent ses ternes comparses, et que l’antisémitisme ne gêne en rien ses nombreux et jeunes partisans, puisqu’il porte le nom d’antisionisme et que le sionisme, chaque Insoumis le sait, c’est le nazisme.

Paris, 30 juin 2024. DR.

À Roubaix, un désistement incompréhensible de la majorité sortante

C’est ensuite que j’ai subi mon quatrième choc. À Roubaix, trois candidats sont qualifiés au second tour. Le LFI, c’est David Guiraud. Il est célèbre depuis ses propos particulièrement abjects envers les Israéliens prononcés à Tunis en novembre. Il y a ajouté plus tard des allusions aux « dragons célestes », personnages de mangas qui servent de nom de code pour parler des Juifs. Il tire sa connaissance du conflit israélo-arabe de sa fréquentation assidue de Dieudonné et Soral, deux personnages chez qui la haine des Juifs sert de passerelle entre l’extrême droite et l’extrême gauche. Son adversaire RN est un garçon de 21 ans, Ethan Leys, qui, en raison du harcèlement et des menaces de mort qu’il reçoit, et pour lesquels il dépose plainte, se terre et fait une campagne a minima. Il y a un troisième candidat qualifié, Tarik Mekki, du parti présidentiel, mais il se retire de la triangulaire en faveur de David Guiraud et explique que ce dernier incarne des valeurs plus proches des siennes que celles portées par le candidat du Rassemblement national. Sans commentaires…

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On dit que Tarik Mekki n’est qu’un candidat « soutenu » par Ensemble mais qu’il n’est membre d’aucun des partis de la coalition. Mais, on aurait au moins aimé une critique des dirigeants de cette coalition. Rien… M. Stéphane Séjourné, délégué général d’Ensemble et futur ex-Ministre des Affaires Étrangères, est particulièrement silencieux sur le sujet, tout à son bonheur d’être bien placé dans la circonscription sans risque qu’il s’est généreusement octroyée pour ces élections. Une soixantaine de candidats Ensemble se sont désistés pour le FNP, et parmi eux à plusieurs reprises pour un candidat LFI, ce qui facilite par réciprocité le sauvetage de candidats tels que Gérald Darmanin ou Elisabeth Borne. Certains diront que c’est de la bonne politique. Raymond Aron a rappelé que la politique est amorale, et souvent immorale. Des personnalités d’Ensemble ont heureusement protesté contre ces désistements en faveur du LFI. Pour moi, c’est une forfaiture. Soutenir David Guiraud ou Louis Boyard, qui a refusé la moindre critique du Hamas après le 7 octobre, signifie que l’on considère la lutte contre l’antisémitisme comme un thème complètement secondaire. Les Juifs ont connu cela tout au long de leur histoire. C’est pourquoi l’État d’Israël fut créé.

Les intrigantes noces des Juifs et du RN

Devant le danger représenté par LFI, le temps était peut-être venu de regarder différemment le Rassemblement national. Toute ma vie, j’ai tenu le parti de Jean-Marie Le Pen en abomination, mais il fallait cependant admettre que le discours de Marine Le Pen diffère depuis plusieurs années de celui de son père. Dans un récent article du Figaro, elle s’exprime de façon impeccable sur la collaboration, l’antisémitisme et la Shoah. Les paroles des dirigeants du RN après les événements du 7 octobre ont montré une empathie pour Israël qu’on aurait aimé trouver ailleurs. Petit accroc quand Bardella estime que Jean-Marie Le Pen n’est pas antisémite. Il se corrige vite, trop vite peut-être pour qu’on croie en la solidité de ses convictions. Je me suis rappelé de La Main du Diable, le livre de Jonathan Hayoun et Judith Cohen Solal sorti il y a cinq ans qui concluait que le discours contre l’antisémitisme n’était qu’une façade. Il y avait aussi le long compagnonnage de Marine le Pen avec les pires gudards du Front National, Loustau et Chatillon, les préposés à la castagne et à l’agit prop, les parrains, d’ailleurs, de Soral et Dieudonné. Mais on nous assurait que ces personnages avaient perdu leur influence.

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Certains Juifs, en colère contre l’impuissance envers l’emprise islamiste sur notre société et la haine d’Israël qu’elle véhicule, ont voté pour le RN dès le premier tour. En ce qui me concerne, j’ai toujours pensé au contraire que malgré les agacements, les frustrations et les colères, c’est dans les partis traditionnels que se trouvent les valeurs humanistes qui représentent les espoirs les plus solides pour Israël et les Juifs. Mais l’arrivée de LFI au pouvoir impliquerait que ceux-ci fassent leurs valises, sauf à devenir des dhimmis, interdits d’expression sous l’effet de cette cancel culture que des esprits dérangés prennent pour le summum de la démocratie. C’est pourquoi la mise en équivalence des deux extrémismes de droite et de gauche m’a paru dépassée: entre un candidat LFI et un candidat RN, je choisirais aujourd’hui le RN  et je ne voterais pas blanc car c’est voter pour le futur vainqueur et rien d’autre.

Mais, et c’est là mon cinquième choc, je sais aujourd’hui que je serais peut-être naïf. L’enquête du journaliste Pierre Stéphane Fort sur la face cachée de Jordan Bardella et sur l’influence déterminante de Frédéric Chatillon sur son parcours politique, enquête qu’a présentée Caroline Fourest dans Franc-Tireur, suggère que les fondamentaux n’ont malheureusement pas changé. Que peut-on en conclure? Dans un milieu catholique, que les Juifs ne doivent pas donner au Rassemblement national le Bon Dieu sans confession. En milieu juif, je dirais qu’il faudra se fier aux actes plutôt qu’aux paroles. 

Charles Pasqua disait, avec le cynisme goguenard dont il était coutumier, que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Mais il arrive aussi que les paroles obligent et qu’on adapte ses actes aux paroles qu’on a prononcées parfois avec légèreté. En dehors de certains obsessionnels manipulateurs, les individus n’aiment pas se révéler incohérents ou hypocrites dans notre culture dont la dissimulation (certains diront la taqiya…) ne fait pas encore partie. L’hypocrisie, dit La Rochefoucauld, est l’hommage que le vice rend à la vertu. À force d’être hypocrite on finit parfois par devenir vertueux. Le Rassemblement national prétend désormais être un rempart contre l’antisémitisme. S’il vient au pouvoir, nous observerons ses actions et nous ne l’estimerons pas à l’aune de nos préjugés.

La main du diable: Comment l'extrême droite a voulu séduire les Juifs de France

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Judith Magre, une vie à jouer

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Judith Magre joue les monologues de Racine, Théâtre du Poche-Montparnasse, 2024. © Sébastian Toubon

Judith Magre a tout donné au théâtre et au cinéma. Elle a travaillé avec Julien Duvivier et Sacha Guitry, Jean Vilar et Gaby Morlay, Fernandel et Jean Poiret, jusqu’à François Ozon et Paul Verhoeven. Et à 97 ans, elle continue de brûler les planches ! Rencontre avec une actrice qui ne se prive de rien.


Judith Magre est une reine des planches. Un monstre de théâtre. À 97 ans, elle est l’histoire du théâtre. Des aventures et des époques, elle en a traversé. Jean-Louis Barrault, Claude Régy, Jean Le Poulain, Jacques Charon, Jean Vilar, Jorge Lavelli ou encore Georges Wilson l’ont mise en scène. Au cinéma aussi ! On l’a vue tourner sous la direction de Sacha Guitry, Julien Duvivier, Louis Malle, René Clair, Claude Lelouch ou plus récemment François Ozon et Paul Verhoeven. Elle a partagé la scène avec Jacqueline Maillan, Madeleine Renaud, Laurent Terzieff, Denise Grey, Suzanne Flon, Charles Denner, Jean-Louis Trintignant, Jean Poiret, Michel Serrault et Gaby Morlay. Depuis ses débuts, à la fin des années 1940, elle n’a jamais arrêté un seul instant. Jouer, jouer et jouer encore. Quand elle n’est pas sur scène, elle a l’impression d’être « un tas inutile ». Mais Judith Magre est avant tout une curiosité, une créature. Une apparition ! Elle intrigue, elle fascine. Elle distille le mystère. Son visage est un masque antique. On ne sait ce qui se cache derrière. On s’interroge. C’est un masque de théâtre. Judith Magre n’est pas une actrice, c’est l’Actrice. Elle est là, sur les planches, elle profère. Elle prête son corps, sa voix et sa musique aux personnages et aux textes qu’elle incarne. La psychologie des personnages, ce n’est pas son truc. Elle croit aux mots. À une journaliste qui lui demandait comment elle s’était préparée pour jouer au théâtre le rôle de la sublime putain et écrivain Grisélidis Réal, en 2014, elle avait répondu : « On m’a donné un texte à dire. Vous savez, les mots, ce n’est pas innocent. » Elle est une femme d’instinct. Elle apprend son texte laborieusement, elle déteste cela. Et lorsqu’enfin il a imprimé sa mémoire, c’est le miracle. Le miracle des acteurs, des grands. Elle est. C’est fait. D’ailleurs, elle a très peu suivi de cours de théâtre. Seulement trois mois au cours Simon ! C’est sur scène qu’elle a tout appris, en jouant. Et, peut-être, en regardant les autres. 

La première fois que j’ai vu Judith Magre, c’était en 2013, dans Dramuscules de Thomas Bernhard. Je me souviens d’un grand frisson parcourant mon corps lors de son entrée en scène et de ses premières répliques. Elle possède cette chose inexplicable : la présence. Il suffit qu’elle soit sur une scène pour que la magie opère, pour que théâtre il y ait. C’est une sorcière. Elle envoûte le spectateur. Comme si elle lui jetait un sort. Sa voix grave et profonde, si particulière, et la cadence mécanique de ses mots décortiqués hypnotisent. Elle charme le public, ce tas de serpents. Judith Magre a tout fait, en tout cas beaucoup. Le confort ? Elle ne connaît pas ! Elle s’engouffre dans les aventures, aujourd’hui encore. Elle a joué le boulevard, la comédie, la tragédie et le drame bourgeois. Les mots d’Eschyle, Sartre, Racine, Shakespeare, Molière, Giraudoux, Anouilh, Claudel, Vauthier, Tennessee Williams, Tchekhov, Bourdet, Ray Cooney, Camus, Copi, Cocteau, Barillet et Grédy, Koltès ou encore Jean-Marie Besset sont sortis de sa bouche teintés de sa voix. Elle a chanté aussi. Un album de chanson française produit par Jacques Canetti. Judith Magre est inclassable. C’est d’ailleurs au cabaret qu’elle s’est fait remarquer. Elle jouait à La Fontaine des Quatre-Saisons le spectacle « Marie-Chantal » de Jacques Chazot, aux côtés de Guy Bedos. Voilà maintenant près de quatre-vingts ans que chaque soir – ou presque – inlassablement, elle se retrouve fardée, sous les projecteurs, pour accomplir ce geste magnifique et absurde : jouer.

Aujourd’hui encore, chaque lundi, elle retrouve la scène du Poche-Montparnasse sur laquelle elle joue les grands monologues des tragédies de Racine. Tour à tour, elle incarne Hermione, Bérénice, Athalie, Phèdre, Agrippine et Roxane. Assise sur un vieux fauteuil de style, dans sa grande robe de velours noir, elle est une apparition éternelle. Son récital de monologues raciniens est plus qu’un simple spectacle. C’est un rite, une messe, un culte dont elle est la déesse. Ses adorateurs, réunis dans l’ombre, profitent encore et encore de son apparition magique. Ils profitent de cette particularité, de cette chose étrange, de cette sensation unique : Judith Magre. 

Judith Magre et Laurent Terzieff dans Nicomède de Corneille, 1964. © AGIP/Bridgeman Images

Elle trouvera que j’en fais trop ; tant pis ! C’est la vérité.

Pour Causeur, je me rends chez elle. Il est 15 heures. Judith hésite entre du champagne et du whisky. Mais il n’est que 15 heures. Qu’importe, Judith veut un whisky. Moi aussi ! Et la bouteille nous accompagne tout l’après-midi. « J’aime boire ! J’ai toujours aimé ça. Le whisky et le champagne. C’est mon petit plaisir ! Et… le caviar ! » Qu’importe l’heure, qu’importe l’âge et le « comme il faut ». Judith Magre est une femme libre, sans tabou. « Je fais ce que je veux, et je ne veux pas qu’on m’emmerde ! » Et ce qu’elle ne veut pas, elle ne le fait pas. Les enfants, par exemple ! Comme Carmen, « libre elle est née, libre elle mourra ». Elle vit pour son art et pour son plaisir. Comme Tosca qui chante « Vissi d’arte, vissi d’amore », elle vit d’art et d’amour. Et la retraite, Judith ? « La retraite ?! 97 ans, c’est un peu tard pour prendre sa retraite ! »


Causeur. Vous êtes ce que l’on appelle une personnalité. Vous avez une voix particulière, une diction et une musicalité bien à vous. Pensez-vous qu’une personnalité, ça se travaille, ça se construit ? Les influences sont-elles importantes ?

Judith Magre. On subit l’influence de tout et de tout le monde. Forcément ! Je n’ai jamais cherché à imiter les grands acteurs que j’ai vus, mais ils ont forcément influencé ma personnalité. 

Qui étaient les acteurs qui vous fascinaient ?

Raimu, Jouvet, Gaby Morlay, Michel Simon… Je garde un grand souvenir de Laurence Olivier et Vivien Leigh que j’avais vus jouer ensemble au Théâtre de l’Odéon dans Titus Andronicus de Shakespeare. J’y étais allée avec Julien Duvivier pour qui je tournais à ce moment-là L’Homme à l’imperméable aux côtés de Fernandel et Bernard Blier. J’admirais aussi beaucoup Marie Bell.

Vous avez vu jouer Marie Bell ? 

Oui ! Je l’ai même bien connue. J’ai joué dans le théâtre qu’elle dirigeait. On s’aimait beaucoup. Et surtout, on a bu beaucoup de coups ensemble. On rigolait bien. On garde aujourd’hui l’image de la tragédienne, mais c’était une bonne femme très marrante. J’ai connu tellement de gens, de grands acteurs, de grands auteurs… quand on les connaît dans la vie, quand on devient amis avec eux, ils deviennent des amis comme les autres. Sartre par exemple ! J’ai joué trois pièces de lui. Nous sommes devenus très proches. Je l’admirais beaucoup, mais quand j’étais avec lui on ne pensait qu’a rire et à boire.

Vous avez souvent joué la tragédie ?

Non, très peu. J’ai joué Bajazet pour la télévision. Phèdre, en tournée. Et Horace de Corneille pour la télévision aussi. Ce n’est pas ma spécialité. Je n’ai d’ailleurs pas de spécialité. J’ai fait tout et n’importe quoi, selon ce qu’on me proposait. Si les propositions me plaisaient, quel que soit le style, je les acceptais.

Quel rapport avez-vous à l’alexandrin ?

Pas de rapport spécial ! Je respecte ses douze pieds et voilà tout. Je me souviens que lorsque Maurice Escande – qui était un acteur extraordinaire – jouait l’alexandrin, quand il avait un trou de texte, comme il ne pouvait pas improviser afin de respecter le nombre de pieds, disait « tatatatata… » avec le bon nombre de « ta » pour ne pas casser la musique !

Parlons de l’actualité… Vous avez signé la tribune de soutien à Gérard Depardieu. Cela vous a-t-il causé des ennuis ? 

Sûrement pas ! Personne ne m’a emmerdée. D’ailleurs, si on avait essayé… (Rires.) Mais qui voulez-vous qui m’emmerde ? Dans le théâtre dans lequel je jouais à ce moment-là, le Poche-Montparnasse, personne n’a fait la moindre remarque. Notez que dans ce théâtre, dans lequel plusieurs spectacles se jouent en même temps, toutes les actrices ont alors signé : Myriam Boyer, Brigitte Fossey et moi. Gérard Depardieu est un ami. Je l’ai bien connu. Pour moi, ce n’est pas un violeur, point. Je l’aime.

Vous, on ne vous a pas embêtée. Mais beaucoup de signataires ont eu des pressions de leur agent, de directeurs de théâtre, de producteurs…

Même si j’avais été dans cette situation, je n’aurais pas retiré ma signature. J’ai signé, j’ai signé. Point. Il y en a qui ont la trouille, ça les regarde. Je ne peux pas me mettre à leur place. Une fois qu’on a signé, comment peut-on retirer sa signature ? Franchement… c’est ridicule.

Que vous inspire la moralisation de la vie artistique ?

Je ne me suis jamais vraiment préoccupée de la morale. Ni de la mienne, ni de celle des autres ! Je n’ai jamais fait de mal à personne. Mais là, ce qui se passe dépasse la morale. Je ne peux pas comprendre qu’on vive avec un mec pendant cinq ans puis, qu’un beau jour, on se rende compte qu’on était sous emprise, qu’on n’était pas consentante. Tout cela est pathétique. Et ça détruit des vies. La connerie, la méchanceté et la haine ont toujours existé. MeToo est le mode d’expression actuelle de toute cette horreur.

Que pensez-vous de la notion d’emprise ?

C’est tellement con. On découvre la lune ! Quand on est amoureux, on est sous emprise. C’est ça l’amour.

Dans votre vie d’actrice, vous n’avez jamais été victime d’agression sexuelle ?

Jamais. On ne m’a même jamais mis la main aux fesses, et pourtant elles étaient belles ! Et si quelqu’un l’avait mise, je lui aurais demandé de la retirer. Sans en être choquée. J’ai toujours été une femme libre et ne me suis jamais sentie la victime de qui que ce soit.

En parlant de liberté, avez-vous vécu Mai 68 comme une libération, notamment sexuelle ?

J’ai toujours été libérée sexuellement : je n’ai pas attendu Mai 68 ! J’ai toujours fait ce que je voulais. Je n’attends pas les modes ou les autorisations pour faire ce qui me plaît.

Vous êtes anti-MeToo, mais autrefois, vous étiez féministe.

Moi féministe ? Non !

Vous aviez pourtant signé le « Manifeste des 343 salopes » en faveur de l’avortement.

Ah, oui ! Oui… bon. Je l’avais signé pour faire plaisir à ma copine Simone de Beauvoir. Et puis, je trouve que c’est horrible d’être enceinte quand on ne l’a pas désiré, et de ne pas pouvoir s’en débarrasser. Mais, à mon sens, plutôt que de faire de la pub pour l’avortement, on devrait en faire pour les moyens contraceptifs. En dehors de cela, je n’ai jamais été engagée dans le combat féministe.

Revenons-en à la morale. Vous avez connu Louis-Ferdinand Céline, non ?

Oui, très bien. J’allais souvent chez lui, à Meudon, avec Marcel Aymé. Parfois avec Roger Nimier. J’ai passé des moments extraordinaires avec lui. C’est l’être le plus brillant et le plus généreux que j’ai connu. Tout ce qu’il racontait était passionnant, fascinant. Il m’avait offert une petite chienne perdue qu’il avait recueillie. Il m’avait dit : « Je vous donne cette chienne, ça va vous faire le caractère. » Je l’ai gardée pendant vingt ans.

Vous n’avez jamais été gênée de nouer une relation amicale avec lui, sachant les accusations d’antisémitisme dont il faisait l’objet ?

Je ne l’ai jamais entendu prononcer la moindre phrase antisémite. Pourtant j’ai beaucoup parlé avec lui. Je n’ai pas lu les pamphlets dans lesquels il faisait, paraît-il, profession d’antisémitisme. Et de toute façon, je ne juge qu’avec ce que je vois. Ce qu’il a écrit, c’est une chose. Mais l’être que j’avais en face de moi était extraordinaire, intellectuellement et humainement. C’est tout.

Nous parlons dans ce numéro de Causeur de Roman Polanski. Si, aujourd’hui, il vous proposait un rôle, l’accepteriez-vous ?

Tout de suite ! Je trouve que c’est un être magnifique et, en plus, un génie. Tout ce qui lui arrive me dégoûte. C’est immonde. Je l’aime, je l’admire, point.

Mais vous est-il arrivé de rencontrer et d’admirer des salauds ?

Non. Tous les génies que j’ai rencontrés étaient des gens formidables. Avec parfois des défauts, des caractères particuliers. Mais pas des salauds, non.

Auriez-vous pu admirer un salaud ? La morale tient-elle une place dans votre admiration ? Plus généralement, pensez-vous qu’un génie puisse aussi être un salaud ?

Je ne peux parler que de mon expérience. J’ai eu la chance de rencontrer quelques génies qui n’étaient pas des salauds. J’ai donc tendance à croire que les génies sont plutôt des êtres rares et d’une grande qualité humaine. D’une grande générosité.

Claude Lanzman – qui a été votre mari – ne vous a jamais reproché votre amitié avec Céline ?

Non. Il ne m’a jamais fait la morale là-dessus.

Comme beaucoup de gens, êtes-vous inquiète de la tournure que prend le monde ?

Inquiète ? À mon âge ? Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute !


À voir

« Judith prend Racine au Poche », Théâtre de Poche-Montparnasse. Tous les lundis à 19 heures, tél. : 01 45 44 50 21, theatredepoche-montparnasse.com

Pendant ce temps, aux Pays-Bas, «l’union nationale» prend les commandes

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La nouvelle ministre néerlandaise de l'Asile et de la Migration Marjolein Faber © John Beckmann/Orange Pictures/Sh/SIPA

Il n’y a pas qu’en France où intellectuels, artistes et politiques de gauche poussent des cris d’orfraie contre l’horreur qu’impliquerait un gouvernement « d’extrême droite ». Aux Pays-Bas également, ils sont dans le plus grand désarroi, le peuple ayant ignoré, lors des élections législatives de 2023, leurs consignes de vote « anti-fascistes ».


Témoin l’entrée en fonctions, ce mardi 2 juillet, de la très droitière coalition gouvernementale sortie des urnes. Gouvernement qui porte le sceau, mais pas le nom, de M. Geert Wilders. Le champion anti-immigration batave est jugé trop clivant pour être Premier ministre, poste auquel son succès électoral lui donnait cependant droit. « Voici le gouvernement de la honte nationale! » tonna l’autre jour un professeur de l’université d’Amsterdam, Thomas von der Dunk. Et d’énumérer longuement, dans le journal NRC, les dangers qui selon lui planent désormais sur la démocratie néerlandaise. Seraient gravement menacées les libertés d’expression, de la presse, académiques et culturelles. L’indépendance de la justice, l’Etat de droit et les « minorités ethniques » en prendraient aussi pour leur grade, à le croire. Selon M. Von der Dunk, la théorie du « grand remplacement » guiderait les pas du gouvernement du nouveau Premier ministre Dick Schoof,  ancien patron des services de renseignement. Un autre enseignant, de l’université de Leyde cette fois-ci, n’avait pas craint de son côté d’établir un parallèle entre l’ambiance politique aux Pays-Bas et celle régnant dans l’Allemagne de 1933… Une collègue à lui prévoit un régime autoritaire calqué sur le modèle hongrois, pour « preuve » l’amitié entre M. Wilders, dont l’épouse est hongroise, et le Premier ministre hongrois Viktor Orbán… Un autre universitaire encore a relevé des « préférences raciales » dans les posters électoraux du Parti pour la Liberté (PVV) de M. Wilders, « ne montrant que des Néerlandais hyper blancs ». Drôle de reproche pour accabler M. Wilders toutefois, homme de ce qui s’appelait jadis de « sang mêlé », indonésien et néerlandais.

Le « vivre-ensemble » sonné

On a eu beau bien chercher, dans les projets de la coalition quadripartite (PVV-VVD-NSC-BBB), aucune atteinte aux libertés fondamentales n’y figure. Le voudraient-ils, que la Constitution en empêcherait Wilders et compagnie. Le Conseil d’État néerlandais, équivalent du Conseil Constitutionnel, y veillera également. Les surdiplômés en état d’alerte anti-fasciste prennent donc le peuple pour des ignares. Mépris de classe de ce que M. Wilders appelle la gauche aigrie ? Mais ne les moquons pas (trop) et montrons un minimum de compassion envers celles et ceux dont les opinions lénifiantes sur l’immigration furent partagées par une bonne partie des médias néerlandais. Et cela depuis plusieurs décennies, au point que le multiculturalisme et vivre-ensemble imposés prirent l’allure d’une doctrine d’État.

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Avec le gouvernement Wilders-qui-ne-dit-pas-son-nom, il y a effectivement comme un parfum de revanche dans l’air, marqué par la fin de l’hégémonie culturelle de la gauche communautariste et de ses alliés de la droite molle. Celle-ci est personnifiée par le Premier ministre démissionnaire M. Mark Rutte, qui gouverna pendant près de 14 ans d’affilée avant d’être récemment désigné Secrétaire général de l’Otan. Son règne a vu les populations autochtones des grandes villes néerlandaises se réduire comme peau de chagrin au bénéfice d’immigrés non-européens et de leurs descendants, désormais majoritaires. Ce qui avait à plusieurs reprises amené des parlementaires du parti de M. Wilders à fustiger le « grand remplacement », bravant ainsi un tabou dans le petit monde politico-médiatique. Parmi ces politiciens honnis, on trouve… la nouvelle ministre des Migrations et de l’Asile, Mme Marjolein Faber. Laquelle, dans un passé récent et comme députée du parti PVV, avait accusé M. Rutte de ne rien faire contre l’immigration nord-africaine et de dérouler ainsi un « agenda d’antisémitisme, de terrorisme et de grand remplacement de la population néerlandaise ». En néerlandais le mot omvolking, changer de peuple, résume généralement la définition de Renaud Camus. Mme Faber s’était aussi illustrée en dirigeant une manifestation contre le maire de la ville d’Arnhem, M. Ahmed Marcouch, né au Maroc. La nouvelle ministre y déroula une bannière avec les mots « Pas d’Arnhemmistan, on perd notre pays! »

Décidément, la gauche néerlandaise ne cesse d’avaler des couleuvres. Car la nouvelle ministre du Commerce Extérieur et de l’Aide au Développement, Mme Reinette Klever, a, elle aussi, longtemps défendu cette théorie du grand remplacement. Comme parlementaire du PVV, elle s’était en plus distinguée en dressant un hit-parade des étrangers fraudeurs, selon elle, de l’Assurance Maladie. Les gens provenant des Antilles néerlandaises seraient les champions incontestés dans ce domaine, suivis des Marocains, des Turcs et des Surinamais. Etrangers qui, avec d’autres migrants et demandeurs d’asile, coupables de surcroît, selon la désormais ministre, « d’inonder le pays d’un tas de maladies exotiques ». Notons toutefois l’esprit de compromis de la ministre de l’Aide au Développement ! Car cette fameuse Aide, il y a encore quelques années, elle voulait l’abolir pour son inutilité supposée et les possibilités de fraude ou de corruption dans les pays qui en sont les destinataires…

La dernière provocation de M. Wilders

Peu avant leur installation, devant des parlementaires généralement hostiles, Mesdames Klever et Faber avaient pris leur distance avec ce fameux mot, omvolking, à connotation trop sulfureuse voire nazie, le remplaçant par « développements démographiques préoccupants ». Un geste d’apaisement envers des parlementaires constitués en Inquisition linguistique ces derniers temps en Hollande. Le nouveau vent réac soufflant sur les Pays-Bas est personnifié également par le président de la Chambre Basse du Parlement, M. Martin Bosma, l’intellectuel maison du PVV. Ce pourfendeur du « racisme anti-Blanc », quand il était député, voit d’un mauvais œil les cérémonies annuelles autour de l’abolition de l’esclavage dans d’anciennes colonies néerlandaises. Son parti exige d’ailleurs la révocation des excuses officielles pour l’esclavage, prononcées l’année dernière par le roi Willem-Alexander. Pas étonnant alors, que des immigrés des ex-colonies exigèrent et obtinrent que M. Bosma ne fût pas présent le 1er juillet pendant la commémoration de l’abolition, bien que son statut l’y oblige. Pour chambrer les perpétuels indignés du passé colonial néerlandais, M. Wilders proposa sur X de remplacer M. Bosma, et de prendre la parole lors de la cérémonie à Amsterdam… Ce qui aurait sûrement dégénéré en émeutes dans la capitale, qui compte un vaste quartier noir. M. Wilders devra s’abstenir de pareilles provocations à l’avenir, s’il tient à maintenir unie « sa » coalition, laquelle a promis de mener « la plus stricte politique d’asile et immigration jamais vue aux Pays-Bas ». Son parti a comme partenaires les libéraux conservateurs du Parti Populaire pour la Liberté et la Démocratie (VVD), les chrétiens-démocrates du Nouveau Contrat Social (NSC) et le Mouvement Citoyens-Paysans (BBB). Une députée du VVD a clamé quelques jours avant de prêter serment comme ministre qu’elle « ne tolérerait plus aucune allusion » au fameux grand remplacement. Elle menaça ainsi implicitement M. Wilders d’une crise… de colère, de larmes ou de gouvernement. Ce n’était pas très clair.