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Miscellanées d’avril

Morales et le passé, vieille rengaine, nostalgie des roudoudous et des pétrolettes, siphons à l’eau de Seltz et cravates en tricotine, on connaît la chanson. Films en noir et blanc, zinc dépoli, écrivains réprouvés et Weston aux pieds, ce garage des souvenirs n’amuse plus que les boomers déprimés et quelques lecteurs égarés. À trop lustrer le monde d’avant, à vénérer le faisandé et le « 50 ans d’âge », on finit par lasser et passer à côté d’auteurs bien vivants. Old chap ! J’ai toujours une réticence à parler de mes contemporains. Nous n’avons pas le recul nécessaire pour bien juger leur œuvre, il est encore trop tôt pour se prononcer. Attendons un délai de décence, disons une précaution d’usage d’une dizaine d’années après la mort, on pourra alors commencer à tresser des lauriers ou à napalmer. 

Désarroi mécanique et littéraire

Mea culpa ! Je ne me ferais jamais à cette modernité qui diffame mes Trente Glorieuses et salit ma mémoire. Sachez pourtant que je lutte contre mon atavisme. J’ai été élevé à la mélopée rocailleuse du V8 Mustang et je dois m’incliner devant le sifflement névrotique des batteries électriques. C’est dire mon désarroi autant mécanique que littéraire. Plus d’une fois, vous m’avez entendu pester ici-même contre l’absence de style des romans en cours et de l’affadissement en marche. La belle phrase « hecho a mano » roulée par une torcedores cubaine aux cuisses larges dans la moiteur de la Havane se rencontre de moins en moins souvent. Eh bien, c’est faux. Au mois d’avril, dans un confinement lymphatique, il existe des livres qui nous arrachent à notre léthargie sanitaire. Ils viennent de sortir là, maintenant, ils sont frais comme la rosée, aussi fermes que les futurs saints de glace de mai. Leur couverture brille et leurs pages craquent comme du bon pain. Je vous offre ce bouquet d’odeurs, de saveurs et d’aigreurs, de formules saillantes qui réveilleront les plus blasés d’entre nous. Parfois, c’est un mot qui déclenche l’imaginaire et la lyre. 

Grisaille sixties

Dans Silence radio (La Table Ronde) de Thierry Dancourt, cet habile diffuseur d’ambiances interlopes, se vautrant avec délice dans la grisaille des Sixties, c’est le mot Alka-Seltzer qui condense sa mélancolie policière. Il a l’art de brouiller les ondes et de pratiquer un pointillisme mystérieux. Dans Épopée minuscule du boomer (Les impliqués Éditeur), Éric Desmons, facétieux pourfendeur de nos travers, portraitiste talentueux du loser à l’arrêt, fait apparaître une fille qui fume des Kool Menthol et porte un short trop court. Assez pour désarçonner un héros fatigué du progressisme ambiant, égaré sur une île grecque. Je ne peux vous cacher que j’aime les écrivains vivants qui portent sur le passé, un regard tendre, les inquisiteurs m’ennuient profondément. 

Souvenir de Michel Mohrt

La fournée d’avril est aussi riche en découvertes, quand un auteur s’empare, par exemple, d’un artiste méconnu du grand public. On peut faire confiance à Guy Darol qui publie avec l’illustrateur Laurent Bourlaud Moondog (Éditions de la Philharmonie de Paris), ce musicien américain tantôt viking ou navajo, disparu en Allemagne, après avoir longtemps vécu dans la rue new-yorkaise, autour de la 6ème avenue. Expert en Frank Zappa et André Hardellet, entre autres, Darol est décidément notre maître en musique et poésie. Sa plume jamais banale, toujours mélodique perce les artistes à jour. On se coule dans ses phrases comme dans le jazz erratique et hypnotique de Moondog. Avec Pierre Joannon, diplomate et écrivain, Irlandais de cœur, hussard d’esprit, on rend hommage à Michel Mohrt, réfractaire stendhalien (La Thébaïde). Joannon a été son ami, il lui élève une stèle sensible et malicieuse, érudite sans être assommante, pleine de charme écorché. Qui n’a pas encore lu Mohrt, l’armoricain américain de la campagne d’Italie ou des campus mixtes ne sait rien du plaisir intense d’une langue parfaitement dosée. « Trop lucide pour se glisser dans la peau d’un militant politique, trop sceptique vis-à-vis des idéologies à prétentions salvatrices, davantage attiré par les femmes, l’amour et la littérature que par l’activisme désordonné de ses anciens compagnons d’armes, Michel Mohrt choisit d’être le chroniqueur de ces temps d’infortune » écrit-il, avec justesse. 

Le journal de Roland J.

Et puis dans cette fournée, il y a les flibustiers, les tirailleurs de formules, ceux qui font danser la phrase et dégonfler les fats. L’ironie jouissive est leur arme de dissuasion massive. Comment ne pas succomber à la douceur vipérine de Roland Jaccard dans « Le Monde d’avant Journal 1983-1988 » (Serge Safran éditeur) quand il dégomme À nos amours de Pialat : « c’est la Boum 3 en plus veule ou À nous les petites anglaises en plus prétentieux ». Enfin gardons pour clore ce bouquet d’avril, le jongleur chantant, le Palois conquérant qui, de sa prose vibrante, plaque l’assaillant. Dans Le Bazar de l’hôtel de ville (Le Castor Astral), Christian Laborde avoue : « Je n’étais pas un écolier, je n’étais pas leur camarade, j’étais la rivière : je débordais ». Son débord, cette propension à faire tinter le verbe, est notre bonheur de printemps.

Silence radio de Thierry Dancourt – La Table Ronde –

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Épopée minuscule du boomer d’Éric Desmons – Les impliqués Editeur –

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Moondog racontée par Guy Darol & Laurent Bourlaud – Éditions de la Philharmonie de Paris – 

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Michel Mohrt, réfractaire stendhalien de Pierre Joannon – La Thébaïde –

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Le Monde d’avant Journal 1983-1988 de Roland Jaccard – Serge Safran éditeur –

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Le Bazar de l’Hôtel de ville de Christian Laborde – Le Castor Astral –

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Glaçant, mais passionnant, le futur selon Antoine Buéno

Dans le sillage de Harari, Antoine Buéno dessine notre avenir. S’il écarte les scénarios apocalyptiques des écolos, il prédit l’avènement d’une nouvelle humanité augmentée et d’un système politique et social vertueux fondé sur l’intelligence artificielle. Dans cet avenir techno nous n’allons pas tous mourir, mais ça ne va pas être très marrant.


Antoine Buéno, spécialiste des utopies, avait jadis suscité la polémique avec Le Petit Livre bleu, essai consacré au village des Schtroumpfs (!), dans lequel il brossait le portrait surprenant d’une microsociété empreinte de nazisme et de stalinisme. Dans Futur, notre avenir de A à Z, cette alternative figure parmi les évolutions possibles de l’humanité et cela prête moins à sourire.

Énergie, alimentation, démocratie, génétique et même sexualité, l’ambition se veut large et impose le respect. Adossée à trois années de travail ainsi qu’à de multiples sources, voici sans dogmatisme la réflexion d’un honnête homme sur les défis que nous allons devoir nous colleter – enfin surtout nos enfants. Alternant les pistes optimistes et celles plus sombres, il expose avec clarté les profondes mutations dont nous vivons les prémices. L’une des grandes qualités du livre, sa hauteur de vue, peut également être regardée comme son principal défaut – celui de voir l’humanité comme un tout, sujet d’une histoire-évolution vouée à former une civilisation unique. Dans la lignée de Harari ou Pinker– dont il réfute au passage certaines thèses –, Antoine Buéno prédit un avenir commun aux nations : l’effacement. Ne pas partager cette conviction ne remet pourtant pas en cause la pertinence des questions soulevées par Futur.

Démographie et nucléaire

Les enjeux climatiques occupent évidemment une place importante, mais l’essayiste aborde sans fard les deux dossiers sur lesquels les écolos se ridiculisent avec constance : la démographie et le nucléaire. Chiffres à l’appui, il démontre que tenir les objectifs de décarbonation de l’économie mondiale en se privant de l’atome reviendrait à s’infliger trente années de crise du Covid. Trois décennies de décroissance, voilà de quoi enthousiasmer la frange la plus radicale des militants verts – et surtout de quoi conduire à la mort de façon certaine des millions d’hommes et de femmes (de faim, de maladies, de guerres). Tout ça pour les protéger d’un risque nucléaire infiniment plus faible que celui de la disette généralisée et permanente. Visiblement peu soucieux de complaire aux amis d’Éric Piolle, Antoine Buéno nous livre une intuition aussi brillante que sinistre : la possible fusion des deux totalitarismes verts, l’islamisme et l’écologisme. Les salafistes pourraient finir par décréter que la civilisation thermo-industrielle abîme l’œuvre de Dieu. Symétriquement, côté écolo, on réaliserait que la société moyenâgeuse talibane possède un bilan carbone flatteur. Les islamo-gauchistes attendent sans doute avec impatience le renfort des écosalafistes…

À lire aussi : Six Français sur 10 favorables au nucléaire

Autre sujet abordé sans tabou, la démographie. Buéno met les pieds dans le plat en affirmant que le développement du planning familial en Afrique subsaharienne ou en Inde permettrait d’atteindre 30 % des objectifs du GIEC et cela pour un coût dérisoire. Même si c’est de façon beaucoup moins caricaturale, il s’inscrit en somme dans la lignée du « tweet banquise » de Renaud Camus :« Une boîte de préservatifs offerte en Afrique, c’est trois noyés en moins en Méditerranée, cent mille euros d’économie pour la CAF, deux cellules de prison libérées et trois centimètres de banquise préservée. »

Que ce tweet (pour lequel Camus a été relaxé en première instance) vous fasse rire ou pas, les générations futures, elles, ne vont pas rigoler. Selon Buéno, dans tous les cas, l’homme est condamné à disparaître.

S’il estime inatteignables les objectifs du GIEC, il pense crédible une limitation de nos émissions échappant aux prévisions les plus pessimistes. Entre-temps, il mise sur des avancées technologiques qui permettraient, à terme, d’atteindre un développement durable qu’il qualifie de « fort » (par analogie avec l’intelligence artificielle « faible » aujourd’hui, « forte » demain peut-être). L’humanité pourrait ainsi maîtriser des techniques qui autoriseraient le recyclage du carbone déjà présent dans l’atmosphère ou tirerait une partie de ses ressources minières de l’espace. Des perspectives enthousiasmantes, tempérées hélas par des alternatives plus rudes, dont les grands principes commencent à nous être familiers : hausse brutale du mercure, famines, guerres, migrations massives débouchant sur de nouvelles guerres, etc. Nous en arrivons à l’hypothèse chère à Yves Cochet, celle de l’effondrement civilisationnel, démographique et climatique – un scénario du pire auquel l’auteur ne croit pas (ouf !).

Vers une humanité augmentée

S’il écarte donc les pistes apocalyptiques, il penche en revanche pour l’avènement d’une post-humanité augmentée par la génétique ou l’implant d’une puce informatique cérébrale. Une telle évolution reléguerait au statut actuel des grands singes les Homo sapiens non trafiqués. Ces derniers devraient d’ailleurs être le moins nombreux possible pour éviter un scénario de type nazi. Antoine Buéno craint en effet qu’une posthumanité minoritaire, et pourquoi pas immortelle, réduise rapidement les autres en esclavage. L’appel à l’apparition d’un homme nouveau, moralement meilleur, suscite forcément l’inquiétude. Serait-ce un avatar de celui promis jadis par Hitler ou Staline ? Pas dans l’esprit de l’auteur qui prédit cette fois le fruit d’un processus non violent… Certes. Pour tous ceux qui doutent que l’implant cérébral soit spécialement conçu pour développer notre sens de l’humour – rupture de stock récurrente du TX 300 GrouchoMarx –, il n’en reste pas moins qu’affronter la concurrence de Super Chinois ne nous laissera sans doute guère de choix. Aujourd’hui, la question du smartphone (en avoir ou pas ?) se pose peut-être dans les lamaseries, mais plus dans aucune métropole. Il pourrait en aller de même demain avec toutes les techniques d’augmentation détaillées par l’auteur…

Si les réseaux sociaux augmentent quelque chose, c’est moins l’homme que son agressive bêtise.

Il n’y a au demeurant pas que la compétition avec la Chine qui pourrait nous inciter à devenir un mélange de silicium et de chair – sans oublier une possible combinaison de sexes et de différents emprunts aux animaux (!). L’émergence d’une intelligence artificielle (IA) capable de surpasser le cerveau humain, avancée probable, quoique toujours repoussée, conduirait à une cohabitation périlleuse pour notre espèce. Le scénario dans lequel une IA forte et bienveillante prendrait le pouvoir sert d’assise à l’hypothèse anarcho-communiste (sans aller jusqu’à proposer de cloner Alain Badiou, Dieu merci). En charge de toute production, l’IA et ses robots esclaves nous délivreraient du labeur. Le bonheur ? Rien n’est moins sûr. Privés de travail, nous voici inutiles, relégués à un état quasi végétatif. Néanmoins, qui sait si la génération X, Y, ou Z n’applaudira pas à l’idée d’être allongée toute la journée ? Plongée dans une réalité virtuelle immersive – dans laquelle, Buéno, farceur, nous imagine éventuellement… travailler !

Un homme amputé calligraphie avec un bras prothétique intelligent développé par la start-up américano-chinoise BrainCo,
Hangzhou (province du Zhejiang), 6 juin 2019 © Xinhua/Xu Yu/AFP

Ne jamais sous-estimer la bêtise naturelle

Comme toute entreprise de prospective, Futur prend le risque de se tromper, mais nombre de ses réflexions amusent, surprennent ou dérangent. Ressusciterons-nous les mammouths pour brouter la toundra et éviter le relâchement des gigantesques quantités de gaz à effet de serre aujourd’hui piégés dans le permafrost ? Les modifications génétiques permettront-elles effectivement la survie du type « caucasien » puisque la blancheur de peau ou le débridage des yeux a la cote sur tous les continents ? La disparition de la frontière entre le groupe et l’individu – par la mise en réseau de tous nos implants cérébraux – aboutira-t-elle à une forme de démocratie parfaite et permanente ? Si les cerveaux des progressistes votaient à leur insu, il pourrait y avoir des surprises, tant l’écart semble grand entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Rien de tout cela n’arrivera peut-être, car les présupposés d’Antoine Buéno font la part trop belle à la rationalité scientifique ainsi qu’à notre capacité à défendre l’intérêt général. Il pressent que l’intelligence artificielle pourrait agréablement nous surprendre, mais il sous-estime probablement la bêtise naturelle (100 % bio) qui ne paraît pas avoir dit son dernier mot. À l’heure de l’exacerbation des individualismes, il faudrait effectivement une IA forte (et même à poigne !) capable de prendre des décisions contrariant les différents égoïsmes à courte vue. Sans doute le modèle chinois (une espèce de nazisme qui a réussi) préfigure-t-il ce futur holiste décrit par l’auteur, mais lui-même s’interroge. Le choc démographique – moins 400 millions de Chinois à l’horizon 2100 ! – accompagné d’une libération des individus du joug du Parti unique pourrait rapidement remettre en cause la prééminence chinoise émergente. Buéno ne fait parfois qu’effleurer ces disruptions passionnantes. Que la Chine « vieille avant d’être riche » subisse des troubles ou que l’Europe occidentale se ferme brutalement à l’arrivée massive d’une Afrique débordante incapable de maîtriser sa natalité, voilà de quoi constituer des futurs divergents. Buéno évoque seulement « la fin de l’humanisme » européen (ou plutôt de son dévoiement, mais c’est un autre débat). La focale trop large de l’histoire-évolution ne permet hélas pas d’approfondir les conséquences de tels bouleversements au niveau des peuples et des civilisations. Dommage.

À lire aussi : Un futur de folie ou de raison?

Le relativisme culturel et son hostilité à la « science des Blancs » n’augurent non plus rien de bon en matière d’intelligence collective. Le moins que l’on puisse dire du cybermonde que nous expérimentons, c’est qu’il n’a pas fait que développer la connaissance. Si les réseaux sociaux augmentent quelque chose, c’est moins l’homme que son agressive bêtise. On voit mal comment des trolls individualistes bas du front ou des djihadistes du « like » engendreraient cet homme nouveau, altruiste et prêt à se fondre dans une collectivité bienveillante. Antoine Buéno nous donne envie d’y croire, ce qui n’est déjà pas négligeable.

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Ça va mal finir

Stephen King n’a pas (encore) eu le prix Nobel de littérature, contrairement à la Polonaise Olga Tokarczuk. Mais tous les deux se révèlent des maîtres de la littérature fantastique comme moyen d’affronter ce que Freud appelait l’«inquiétante étrangeté» du monde.


Stephen King est un des plus grands écrivains américains vivants. On sait que la cause n’est pas entendue. L’essentiel de son œuvre appartient à la littérature fantastique et le fantastique est un « mauvais genre », quand bien même il compte quelques chefs-d’œuvre de la littérature mondiale comme les nouvelles d’Edgar Poe, La Peau de chagrin de Balzac ou même La Métamorphose de Kafka. Concernant Stephen King, il est vrai que ses éditeurs le vendent depuis toujours sous l’étiquette commode de « maître de l’épouvante ». Des couvertures accrocheuses, des tirages phénoménaux, des traductions dans des dizaines de langues, une multitude d’adaptations télévisuelles ou cinématographiques ont fait le reste. King est l’auteur « bankable » par excellence, une vraie machine à cash pour le monde de l’édition. Cette popularité est mauvais signe. Qu’il soit, en plus, un écrivain majeur, ce serait trop pour un seul homme…

Stephen King parle à tout le monde

On pourrait au passage se demander pourquoi un gros tirage équivaudrait forcément à une qualité moindre, façon de voir assez française au demeurant. Rappelons, pour mémoire, que Victor Hugo a en son temps aligné les best-sellers avec Notre-Dame de Paris ou Les Misérables. Comme lui, Stephen King porte aujourd’hui cette double casquette : symbole d’une certaine littérature populaire qui baigne dans un imaginaire typiquement national et, en même temps, inventeur de sa propre mythologie, et de son propre style. Stephen King parle comme personne de la petite ville américaine ou du recours à la nature, des enseignes clinquantes des diners et des profondeurs de la forêt primitive où l’on trouve d’anciens cimetières indiens. Il est, encore comme l’était Hugo, une manière de folkloriste en même temps qu’un fabricant d’intrigues élaborées aux chausse-trappes multiples. Et pourtant, malgré ce côté typiquement américain, ses innombrables lecteurs appartiennent à toutes les classes sociales, à tous les continents et à toutes les générations.

Des personnages universels

C’est que Stephen King, avec ses personnages de mômes menacés par des clowns diaboliques, touche à quelque chose d’universel, comme Hugo avec Cosette et Gavroche, personnages si français devenus pourtant des archétypes planétaires. Il faut sans doute, pour comprendre la vraie raison du succès de Stephen King, chercher du côté d’une angoisse archaïque, commune à toute l’humanité : celle du rapport au mal. Est-ce que le mal existe, quelle est sa nature, son origine et à quelles manifestations peut-on le reconnaître ?

Ce caractère protéiforme du mal est au cœur de Si ça saigne, le dernier recueil de King, composé du court roman éponyme et de trois nouvelles. Le roman raconte l’histoire de Holly Gibney, une femme détective que King avait déjà utilisée comme personnage secondaire dans Mr Mercedes et L’Outsider. Un attentat a lieu dans un lycée, faisant des dizaines de morts. Le responsable a été filmé par les caméras de surveillance. Particulièrement observatrice, Holly éprouve un malaise en s’apercevant qu’un des premiers reporters sur les lieux, qui participe même aux secours, présente une ressemblance vague avec l’homme qui a déposé la bombe. Or, cette ressemblance se retrouve aussi chez d’autres reporters envoyés sur les lieux de tous les attentats au cours des dernières années. Se souvenant d’une enquête menée naguère, Holly pense qu’il pourrait s’agir d’un « outsider », le nom qu’elle a trouvé pour décrire des espèces de charognards psychiques qui se nourrissent de la souffrance et de la détresse des blessés tout en étant capables de changer de physionomie. King explique que l’idée de ce récit lui est venue en observant qu’il y avait un air de famille dans les visages des journalistes qui couvrent les catastrophes. De là à imaginer qu’il s’agit d’une seule et même personne…

Pour King, la littérature fantastique est avant tout la meilleure manière de répondre aux questions qui le hantent. Il est un écrivain parfaitement conscient de son art, de ses buts et des outils nécessaires pour y parvenir. On conseillera son autobiographie, Écriture, où il s’exprime à la fois en professionnel pragmatique, à l’américaine, et en fin connaisseur de la littérature et des dangers dont elle est porteuse, pour le lecteur comme pour l’écrivain.

La métaphore de l’écrivain

Écrire n’est pas anodin, écrire sur le mal encore moins. Dans la nouvelle « Le Rat », King imagine un personnage d’écrivain, comme il l’avait déjà fait dans La Part des ténèbres ou Misery. L’écrivain selon King est un obsessionnel qui peut vite sombrer dans la folie. Il est aussi, malgré lui, une façon rêvée pour le mal de s’incarner, soit à travers sa personne, soit à travers une œuvre qui peut tuer. On retrouve dans « Le Rat » cette technique habituelle chez King qui consiste à prendre une métaphore au sens propre. Un écrivain possédé tuerait n’importe qui pour terminer son livre et c’est ce qui se passe dans cette nouvelle qui est en même temps, l’air de rien, une définition du travail de l’écrivain. Mais comme on est chez Stephen King, cette définition est donnée par un rat dans un chalet isolé par la tempête, quelque part dans le Maine, territoire qui est à King ce que la Provence est à Giono : « Ce n’est pas que tu n’as plus de mots. C’est que tu perds la capacité de choisir les mots justes. Ils te semblent tous également appropriés ou inappropriés. »

Autre exemple de métaphore prise au pied de la lettre, dans la nouvelle intitulée « La Vie de Chuck », celle d’un vers de Walt Whitman, « Je suis vaste, je contiens des multitudes ». Le petit Chuck découvre ce poème à la fin de sa classe de sixième. Il ne le comprend pas, mais le lecteur lui, comprendra en quoi il illustre, littéralement, la vie ordinaire et pourtant unique de Chuck qui devient comptable avant de mourir à 39 ans d’une insuffisance cardiaque. Des affiches en son honneur apparaissent un peu partout après son décès coïncidant avec une catastrophe cosmique qui va faire disparaître la Terre. Toute la virtuosité de King réside dans la construction inversée de ce récit humaniste qui montre que la mort d’un homme, même le plus banal, est toujours une perte irréparable pour le monde entier.

À lire aussi : Laurent Dandrieu et la littérature intranquille

On a évoqué, à un moment, le nom de Stephen King pour le prix Nobel 2020 de littérature. Sans doute lassé des polémiques après une affaire #metoo en 2018 et un lauréat contesté pour ses positions pro-serbes, Peter Handke en 2019, le jury est revenu à des choix plus classiques, c’est-à-dire plus élitistes. On lui sera néanmoins reconnaissant d’avoir mis en lumière l’œuvre de la Polonaise Olga Tokarczuk dont le recueil de nouvelles Histoires bizarroïdes est une excellente introduction à l’univers inclassable de cette psychologue de formation.

Le pessimisme d’Olga Tokarczuk

Dix textes où le fantastique est à l’honneur, un fantastique qui n’appartient qu’à elle. Certes, comme Kafka, Olga Tokarczuk plonge son lecteur dans une réalité à la fois familière et insituable : on prend des avions, on regarde la télé en méditant sur ses chaussettes, on subit des transplantations cardiaques, on fait des conférences à l’université, mais il est bien difficile de se situer dans le temps et dans l’espace, le lecteur éprouvant une forme d’incertitude constante devant ce que Freud avait si bien nommé, sans se douter qu’il donnait là une des clefs de la littérature fantastique, « l’inquiétante étrangeté » du monde. Les personnages d’Olga Tokarczuk sont tous plus ou moins à l’image de ce professeur de la nouvelle « Une histoire vraie » qui, portant secours à une femme tombée d’un escalator, cherche « à se rappeler comment on disait au secours dans ce pays ». Ce professeur, vite égaré, couvert du sang de la femme, erre dans une ville où personne ne le comprend et ne retrouvera jamais le banquet auquel il devait se rendre après un colloque, avant de finir sous les coups de vigiles dans une fontaine glacée où il tentait de se laver, réduit à un corps nu dans la nuit. Comment ne pas songer à Joseph K. à la fin du Procès ? Dans « Le Calendrier des fêtes humaines », une société à bout de souffle, crépusculaire, vit les Jours de Grisaille dans un décor à la Chirico où l’on passe des Jardins aux Palais et surtout aux Cliniques comme dans une hallucination trop précise.

Mais il n’est pas possible de réduire l’étonnant talent de notre autrice polonaise à cette influence kafkaïenne. La colonne vertébrale de ces Histoires bizarroïdes est plutôt un pessimisme lié à l’impossibilité de connaître et de comprendre l’autre.

Si le mal est l’inquiétude de Stephen King, ce qui court dans les récits d’Olga Tokarczuk, c’est l’angoisse d’une altérité impossible à saisir, même avec la meilleure volonté du monde, comme celle du narrateur des « Enfants verts », qui se présente comme le récit d’un médecin écossais, ami de Descartes, et au service du roi de Pologne en 1656. Suivant le monarque aux confins du royaume, en Volhynie, il se blesse, doit rester dans les marais et découvre des enfants sauvages, dont la peau verte indique une nature mi-végétale, mi-humaine. Ils viendraient d’une contrée encore plus lointaine que la Volhynie, un monde d’harmonie dont le médecin ne saura jamais s’il existe, ce pour quoi il éprouvera l’éternel regret.

Si l’on pouvait douter du pessimisme total d’Olga Tokarczuk malgré son humour et sa poésie, il suffit de lire la dernière phrase de la dernière nouvelle de ces Histoires bizarroïdes : « Les ténèbres s’abattaient rapidement, mais, cette fois-là, de façon définitive. »

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Zemmour après la relaxe

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Rétablir un enseignement patriotique de l’histoire est la première marche d’une reconstruction nationale


Eric Zemmour fut donc relaxé dans cette mystérieuse affaire Pétain. Ne revenons pas sur les raisons du procès ou les attendus du délibéré. Constatons simplement que la relaxe est logique, du moins si l’on considère que la justice est illégitime à trancher un point d’histoire. Les partisans d’Eric Zemmour peuvent-ils aujourd’hui trouver une utilité à cet acharnement judiciaire contre leur héros ?

On peut raisonnablement penser que la prochaine présidentielle se jouera sur la question identitaire et les défis civilisationnels auxquels le pays est confronté. Selon une enquête récente, nos compatriotes commencent ainsi à accepter l’idée que la France fait face à un danger mortel. Disparition non pas physique mais spirituelle, ontologique. Nation humiliée, attaquée, niée. Peuple remplacé. Peu importent les mots, la réalité seule compte et elle est cruelle. Enfin, pas vraiment. Lorsqu’un président explique à la chaîne américaine CBS, de façon décomplexée, qu’il nous faut « déconstruire » notre histoire, quatre ans après avoir – à Alger- taxé la colonisation de « crime contre l’humanité », les mots comptent un peu.

L’histoire est écrite par les vainqueurs

Zemmour pense que tout affrontement historique est politique… et il n’est pas le seul.

« L’histoire est écrite par les vainqueurs » affirmait déjà Brasillach, un an avant sa condamnation à mort par la cour d’assises de la Seine. Sans se référer à Guy Béart (« le premier qui dit la vérité doit être exécuté ») une journaliste explique la formule restée célèbre. L’intellectuel collaborationniste a ainsi « interrogé l’histoire du point de vue de son objectivité » et en a déduit que « à l’issue d’un conflit, elle sert toujours un projet politique »… en l’occurrence celui de la reconstruction nationale. Bingo! « La nécessité de développer une mémoire collective ferait ainsi un récit l’emporter sur un autre en occultant la version de la partie adverse. Ce qui pose la question : l’histoire peut-elle être une science exacte? » (J. Martin in Le Point, 14 novembre 2017).

La réponse est dans la question et ce qui importe est la place que doit tenir l’histoire de France au sein d’un processus de reconstruction nationale. Allègrement réécrite, cette science humaine qu’est l’histoire sert l’idéologie des dictatures comme des démocraties les plus « inclusives ». Propagande, roman national, bien-pensance euro-libérale. Rien n’a varié du point de vue de l’utilisation de l’histoire. Un mensonge répété dix mille fois devient-il vérité, comme le disait Goebbels? Il semble en tout cas que, hors les débats byzantins entre chercheurs, il n’y a jamais d’histoire qu’officielle pour les masses. Histoire partielle et donc partiale au service de l’idéologie au pouvoir, à l’image de celle libérale-libertaire relayée à l’école dite républicaine auprès de nos chères têtes de moins en moins blondes. Irritation des parents adversaires dudit pouvoir.

A lire aussi: Éric Zemmour: “Quand la France était grande”

De quoi parlons-nous? Zemmour mais aussi Brighelli, spécialiste de l’éducation, nous ont averti, études et enquêtes à l’appui. Baisse drastique du niveau général des connaissances, prismes de l’Education dite nationale repris avec enthousiasme par de jeunes instituteurs mal formés: droit-de-lhommisme, féminisme, écologisme, antiracisme, LGBT. Quel rapport avec l’histoire? Personne ne sait, mais chacun constate. Ma fille, cette année en classe de septième dans une école communale parisienne, a ainsi vu résumer le chapitre consacré à Louis XIV… à la traite triangulaire. Vu de mes yeux vus, juré craché! Ceci répondant, à l’autre bout de la chaîne – coïncidence sémantique savoureuse- à la multiplication de « départements d’études décoloniales » au sein des universités hexagonales. Lesquelles se rapprochent des campus américains. Lesquels nous renvoient en pleine figure notre French Theory. Le chanoine Robert de Sorbon, fils de paysan devenu confesseur de saint Louis et fondateur de la plus brillante université du monde, doit se retourner dans sa tombe lorsqu’il entend le jargon anti national qui emplit l’amphi Richelieu.

Refaire de petits Français

Ni instituteur ni pédagogiste, j’ai eu le privilège d’enseigner l’expression orale et entrevu le niveau en histoire des plus brillants élèves du pays et leur goût pour la chose historique. C’était déjà attristant. Aujourd’hui « parent 1 » d’une fille de cinq ans scolarisée au même endroit que son aînée, je ne puis que lui souhaiter une scolarité différente, uniquement envisageable si divine surprise il y a l’an prochain.

Puisque l’histoire n’est pas science exacte et ne saurait prétendre à l’objectivité, nombreux sont convaincus de la nécessité de réécrire le roman national. « Marronnier » repris par nombre de responsables politiques en référence à l’idée d’Ernest Lavisse, aucun ne mit en œuvre cette idée une fois arrivé aux affaires. N’en déplaise à Pierre Nora, faudra-t-il demain aller chercher chez Bainville ou Taine un nouveau regard sur la Grande Révolution? Rééditer Michelet pour remettre la République, ce mot devenu mantra et coquille vide, au cœur et à l’esprit de nos enfants? Accepter de confronter Paxton à Hilberg, Aron et Poliakov dans l’enseignement de l’Occupation? Plus complexe encore peut-être, ré-enseigner la géographie puisque, pour paraphraser Queneau, la géographie d’aujourd’hui est l’histoire de demain? Epargner aux élèves les prêches quotidiens (oui, quotidiens) sur les énergies renouvelables et le tri sélectif pour exiger des maîtres qu’ils enseignent, au moyen des cartes 2.0 projetées sur smartboards, la géographie physique, humaine et administrative? Que, à défaut d’avoir la chance de parcourir le pays à pied, en train ou à cheval, tout élève devenant collégien ait appris (grâce aux écrans ou au papier, peu me chaut) montagnes et fleuves qui font de la France le pays le plus visité du monde. Que chacun récite dans l’ordre et le désordre les départements aussi facilement que les anciennes provinces. Les rois de France et les dirigeants des cinq républiques. La liste des batailles glorieuses aussi, lesquelles permirent à notre pays, à leur pays, de demeurer libre et souverain depuis 1500 ans. Histoire et géographie comme les doigts d’une seule main, en somme. Et ce, aux fins de « refaire des petits Français », comme le propose Villiers, fondateur bien connu d’un lieu d’histoire élu en 2014 meilleur parc d’attraction du monde. Quand notre tête blonde, rousse ou brune aura cessé de subir la maltraitance du lavage de cerveau, ou plutôt de l’absence de cerveau, l’élève sera redevenu ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être, un Français. Il aura alors tout le temps de s’intéresser au changement climatique mondial ou aux couleurs des conteneurs dans lesquels il est sommé de jeter ses ordures ménagères.

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L’histoire de France, un instrument d’assimilation

La remise d’équerre de l’enseignement de l’histoire comme instrument d’assimilation aussi. Pour les mêmes raisons qu’un petit Français de Bretagne ou de Corse avait – à juste titre, peut-être- interdiction de parler la langue régionale dans les cours d’école il y a encore cinquante ans. Tout simplement parce que la France est « une et indivisible » et que sa seule langue est le français. Il devrait être interdit d’ignorer dates et actions des hommes qui ont fait le pays « à coups d’épée » (De Gaulle). Pourquoi la future ex ENA est-elle de facto réservée aux fils de profs, comme le rappelle Zemmour ? Parce que ce sont les seuls qui ont droit à des cours d’histoire de rattrapage (et du reste, évidemment) à la maison! Les seuls dont les parents souffrent de cette Bérézina pédagogique comme Zemmour pleurait, jeune homme, devant le fleuve russe. Quelle injustice, quel recul, quelle plus belle gifle à la promesse d’universalité de l’instruction depuis Ferry! Ce n’est ni aux parents ni à de talentueux présentateurs (Decaux ou Guillemin hier, Menant et Ferrand aujourd’hui), d’enseigner l’histoire. Encore moins aux imams qui captent la confiance des géniteurs des enfants des territoires islamisés, alors qu’ils n’ont aucune connaissance de la France éternelle. C’est aux instituteurs de la République française de tenir ce rôle en tous points d’un territoire reconquis.

Apprendre aux enfants de France d’où ils viennent pour leur permettre de savoir où ils vont, de refaire nation pour qu’ils puissent in fine se lever contre leurs ennemis. Pas à l’issue d’un pseudo service national, mais bien après avoir été formé par de nouveaux hussards. Permettre à notre jeunesse, pour citer Péguy, de faire l’inverse de ses parents et grands-parents. L’inciter à reconstruire ce que ces derniers ont déconstruit avec tant d’ardeur et d’efficacité, suite à une digestion douteuse des sociologues et philosophes Deleuze, Bourdieu, Derrida ou Foucault. L’enseignement de l’histoire comme première marche d’une reconstruction nationale, laquelle permettra seule la reprise en main de notre destin. Que voilà un beau point de programme pour un candidat patriote! Un point fédérateur, certainement.

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L’Amérique ne pouvait pas ne pas condamner Chauvin

On peut aussi voir dans le procès hors normes de Derek Chauvin une inquiétante parodie de justice.


Dans une nouvelle et si touchante unanimité, la presse américaine comme française a salué le verdict de culpabilité de Derek Chauvin dans la mort de George Floyd. Peu ou pas de voix dissonantes dans le concert de louanges pour une Amérique « soulagée », comme l’écrit même un grand quotidien classé à droite.

Les systèmes judiciaires des pays occidentaux sont basés sur quelques principes communs, progressivement élevés au rang de dogme au cours des siècles : l’indépendance de la justice, la présomption d’innocence, une procédure équitable, l’égalité des armes entre le procureur et la défense ainsi que l’impartialité des juges. Ces principes ont-ils vraiment été respectés dans le procès du policier Derek Chauvin ? Si non, ce précédent devrait inquiéter.

Un procès très politique

L’affaire est présentée dans les médias comme une étape dans un combat forcément jamais achevé contre le « racisme systémique » de la police aux Etats-Unis. Pourtant, l’éventuel mobile racial n’a pas été une seule fois évoqué par l’accusation lors du procès. Dès le début, il a cependant été présenté comme coupable parce que Floyd était noir et Chauvin un policier blanc. « Croyez ce que vous voyez » (les désormais célèbres neuf minutes) n’a cessé d’affirmer le procureur, sans prendre en compte l’ensemble de la séquence où l’on voit Floyd résister activement à son arrestation, ou se plaindre dès avant l’arrivée de Chauvin sur les lieux qu’il ne peut pas respirer. Sans tenir compte de sa cardiopathie. Sans tenir compte des six grammes de Fentanyl dans son sang, un taux trois fois supérieur à la dose mortelle.

L’accusation a même réussi à présenter la toxicomanie de Floyd comme un problème médical contre lequel il luttait héroïquement. Face à une équipe de procureurs se relayant à la barre, avec le renfort de onze juristes privés, Chauvin disposait d’un seul avocat choisi sur un rôle de garde, sans grands moyens pour un procès spectacle de ce type. Le même département de la justice qui a refusé de poursuivre la majorité des casseurs lors des émeutes de l’année dernière a dépensé des dizaines de millions de dollars pour faire condamner Derek Chauvin…

Sans tenir compte non plus de l’indemnité de 27 millions de dollars accordée par la ville de Minneapolis à la famille de Floyd avant même l’ouverture du procès qui faisait peser une pression inacceptable sur les jurés.

Un jury sous pression de la foule et des médias

Sans tenir compte aussi des circonstances atténuantes mises en évidence par la défense : l’hostilité de la foule que Chauvin et ses collègues devaient surveiller les empêchant de prendre conscience de l’état de Floyd, le droit, non contesté par le procureur, qu’aurait eu Chauvin d’utiliser son Taser, ce qui n’aurait pas arrangé la condition physique de Floyd, mais aurait évité le film de cette insupportable scène.

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Le plus grave est l’intimidation du jury. Le procès s’est déroulé à Minneapolis alors qu’il aurait dû être délocalisé. De façon incompréhensible, le juge a refusé d’isoler les jurés dès le début des débats. Ces derniers savaient donc parfaitement qu’un acquittement provoquerait émeutes et destructions à travers les États-Unis. Ils ont vu les nouveaux pillages dans la ville, leur ville, après la mort de Daunte Wright tué par une policière confondant son révolver et son Taser.  Ils ont vu ce qui est arrivé à l’un des rares témoins de la défense, une tête de porc étant retrouvée devant sa précédente maison et sa porte badigeonnée. Ils ont entendu la députée Maxine Waters en appeler à une confrontation s’ils rendaient le « mauvais verdict ». Ils ont sans doute légitimement pensé à eux-mêmes, à leurs biens et à leur famille. Aucun – et on le comprend – n’a eu le courage du juré numéro huit dans le film magistral de Sydney Lumet « Douze hommes en colère » qui, seul au départ, parvient à travers des questions légitimes, à retourner les autres jurés.

Avant même l’énoncé du verdict, lorsque le jury est entré en délibération, en violation de la séparation des pouvoirs, le président Biden a souhaité que Chauvin soit condamné.

La police dévalorisée ?

Ce qui est inquiétant n’est pas le verdict en soi (Chauvin est peut-être coupable, je n’en sais rien) mais la façon dont il a été rendu, en l’absence de « due process ». « Justice must not only be done; it must also be seen to be done”  dit le célèbre adage, consacré par la doctrine sous le nom de “théorie des apparences”. A Minneapolis, on a assisté à une caricature de justice, à une pression insupportable de la foule (the mob en anglais) face à laquelle l’appareil judiciaire américain a failli. Les conséquences sont graves. C’est l’ensemble de ce système qui est ébranlé dans ses fondements. Quelle confiance les citoyens peuvent-ils désormais accorder à une justice aussi sensible à la pression de la foule et des médias ?  

Depuis la mort de George Floyd, le métier de policier est complètement dévalorisé et les policiers démotivés. Conséquence, la violence explose dans les grandes villes, 32 meurtres et 158 fusillades de plus à Chicago depuis le début de l’année par rapport à 2020 et 13% de meurtres supplémentaires à New York. En dépit de tout ce qui a été écrit depuis un an, si l’on tient compte de la « race » (terme utilisé couramment aux Etats-Unis) des auteurs de crimes, il n’y a pas de preuves statistiques que la police est plus violente vis-à-vis des noirs que des blancs.

Malgré les réactions unanimes de la presse et de personnalités d’Obama à Zuckergerg, l’Amérique n’est pas « soulagée » par le verdict de Minneapolis, pas plus qu’elle ne l’a été par l’élection de Biden. L’Amérique est profondément divisée et une grande partie est profondément inquiète de voir des groupes minoritaires imposer leur agenda politique à travers l’intimidation et la violence, cette fois à l’encontre de la justice, avec la complicité des grands médias américains. L’ironie de l’histoire est que la majorité des victimes supplémentaires de la violence depuis un an sont des noirs. Mais ce vrai sujet ne semble intéresser personne.

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Idées noires

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer nos lanternes !


Et voilà. Le boss du Musée de l’histoire de l’immigration, racialophile qui s’est découvert « noir sur le tard » (Libé dixit), secondé par une Défenseuse des droits, a rendu son Rapport sur la diversité à l’Opéra national de Paris. Méthode en 60 pages pour guérir ce grand corps trop pâle. « L’Opéra national de Paris n’est pas un lieu de diversité. Disons-le franchement : dans l’ensemble, c’est un monde blanc fort éloigné de ce à quoi ressemble la société française contemporaine. »

Répertoire blanc, ballet blanc, orchestre blanc, bureaux blancs. À cause de quoi on s’y grime. Triste souvenir du « blackface », caricature d’artistes noirs par des chansonniers blancs dans ces minstrel shows qui faisaient rire les ségrégationnistes. Américain, le blackface ? Pas du tout, assurent les rapporteurs. « Il trouve son origine dans la Commedia dell’arte avec le personnage d’Arlequin, ce valet bouffon stupide, paresseux et menteur, affublé d’un masque noir. » Masque et maquillage, poubelle. Jaunes, blancs, noirs, comiques, tragiques, exotiques, vous les voyez ? C’étaient des accessoires de théâtre. Abracadabra, ce sont des insultes. Roberto Alagna en Othello et Michel Leeb en Banania, même combat.

Passons le reste du rapport, propagande floydotraoriste sur le racisme systémique, déroulée au pas de charge faute de temps par deux amis qui nous veulent du bien. Dommage ! Dommage parce que les ballets kitschissimes du regretté Noureev sont un vrai sujet. Comme est un vrai sujet l’absence de musiciens « issus de la diversité » dans nos orchestres, Opéra compris. Sujet, pas procès. Le non-vivre-ensemble dans l’orchestre est-il un règlement administratif ou un tort partagé ? En banlieue, « demandez à des enfants qui n’ont pas grandi avec cette musique, ils vous décriront un corps étranger, un truc pour “les autres” » : ce sont les enfants qui ne veulent pas (et c’est l’authentique mélomane Lilian Thuram qui le dit).

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Dommage, dommage. Énième rapport pour rien. Rangeons-le. Mais avant, deux mots. Premier mot : les rapporteurs dressent une liste de personnalités qui « pourraient être valorisées », parmi lesquelles évidemment la soprano martiniquaise Christiane Eda-Pierre, mozartienne en titre (mais pas que) du palais Garnier dans les années 1970-1980. Gloire nationale et internationale disparue le 6 septembre dernier. Peu avant le rapport, Notre Président Macron recevait d’un « conseil scientifique » choisi par l’Élysée une autre liste. La liste des personnalités « qui ont rendu service à la République ou ont contribué à la richesse et à la diversité de notre histoire », que nos bâtiments publics ou nos rues s’honoreraient d’honorer, honneur auquel l’origine ou la couleur font obstacle. 318 noms de Berenice Abbott à Émile Zola. Pas de Christiane Eda-Pierre. Nos vigiles accusent l’Opéra de mésestimer sa valeur, et en même temps, au palais, tout le monde s’en fout.

Deuxième mot. Anthony, 11 ans, aime à la folie le ballet classique. Mais qui s’intéresse aux entrechats d’un élève perdu dans une petite école de la côte nigériane ? Anthony réalise donc une vidéo devant chez lui, à Lagos, sans musique, sur le béton, sous la pluie (tapez « anthonynigeria »). Solo si gracieux qu’il dépasse en quelques jours les 300 000 clics. Une ancienne étoile de l’American Ballet le trouve, lui obtient une bourse, et voilà Anthony dans l’avion de New York. Hollywood a déjà un scénariste sur le coup. Mais qu’attend l’Opéra de Paris ?

Britney Spears: la girl next door du Mississippi

Un documentaire sur la vie d’une icône, entre petite fiancée de l’Amérique et bad girl déjantée. Sur Amazon Prime Vidéo.

L’icône pop des années 2000, Britney Spears, que nous avions un peu oubliée, revient sur le devant de la scène en la faveur d’un documentaire : Framing Britney, disponible sur Amazon. Il retrace l’itinéraire de cette ex-petite fiancée de l’Amérique, qui, rendue folle par la pression médiatique et la traque des paparazzis, fut hospitalisée en psychiatrie et mise sous tutelle. « Free Britney » s’écrient ses fans, pour qui la mise sous tutelle est une mesure injuste et abusive voulue par son père, afin d’avoir la main mise sur sa fortune.

Ils sont plusieurs millions à vouloir sa libération, à l’exprimer dans la rue et sur les réseaux sociaux. Plusieurs millions de jeunes filles banales et malmenées par la vie ou d’homosexuels timides qui disent que Britney, girl next door du Mississippi les a aidés à vivre. Britney, c’est un destin comme seule l’Amérique sait en produire, à la fois grandiose, et banalement tragique.

Enfant prodige et télé-crochets

Elle est née en 1981 dans une petite ville du sud des Etats-Unis, au coeur de ce qu’on appelle la « Bible Belt », un concentré de bigoterie qui peut vite s’avérer mortifère. Son père a des problèmes d’alcoolisme et sa mère, une jolie femme digne, fait comme elle peut. Le décor est planté.

La petite Britney adore chanter et se débrouille plutôt bien. Ses parents parcourent donc le pays en train, ils ne sont pas assez riches pour se payer l’avion, pour présenter l’enfant prodige à des télé-crochets.

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Cela paya, car elle fut choisie pour animer le très populaire Mickey Mouse Club. La voilà propulsée enfant star, autre spécialité du showbiz américain qui se finit le plus souvent en tragédie pour les malheureux élus.

En 1998, avec le single Baby one more time elle devient en quelques semaines l’immense star que l’on sait. Elle même avoua ne pas y avoir compris grand-chose.

Fantasme sexy pour ados

Comme souvent dans un documentaire sur une personnalité, Framing Britney donne la parole à des proches. Le témoignage de son assistante des débuts, un amie de la famille qui joua le rôle de nounou, émerge. Cette femme transpire la sincérité, son visage s’illumine lorsqu’elle évoque ses souvenirs avec Britney, lorsque celle-ci n’était pas encore gâtée par la célébrité qui lui rendit la vie insupportable. Elle se remémore la fois où elles ont pris l’Eurostar, comme deux touristes américaines lambda : « Nous avons pris un train qui allait sous la mer entre Paris et Londres, jamais nous nous étions autant amusées ». À travers les images d’archives de ses débuts de grande star, nous voyons en effet que Britney semble s’amuser. Son visage aux yeux un peu trop écartés lui donnent un air toujours étonné, il resplendit, ses cheveux sont toujours plus blonds et son sourire plus éclatant. Elle dégage une « sexitude » de bon aloi, entre la jolie fille du lycée qui fait rêver les garçons et la porn star habillée en écolière qui les fait bander.

Au fur et à mesure des extraits, on la voit s’étioler un peu, se mettre presque en colère lorsqu’on la traite de diva, lors des interviews, elle semble mal à l’aise et répond par des onomatopées dignes de Betty Boop, c’est à la fois touchant et ridicule.

La vengeance des puritains

Les histoires d’amour finissent mal en général, surtout celles des stars. Sa romance avec le chanteur pour minettes Justin Timberlake appartient à l’Amérique entière, ils font la couverture de dizaines de journaux, parcourent les shows télé. La petite culotte de Britney appartient aux Américains : leur grande préoccupation étant de savoir si celle ci est vierge. Bien sûr que oui, affirme-t-elle devant le pays entier, de sa voix de dessin animé.

Seulement, Britney a eu l’audace de croire qu’elle était une jeune fille comme les autres. Et là s’amorça la chute. Elle rompt avec Justin, celui-ci prétendit qu’elle l’avait trompé ; et pire, prononça le « f word » à son sujet : « I fucked her ». Elle commit le pêché de chair, et cela, est, aux yeux de l’Amérique profonde et puritaine qui constitue son public, impardonnable. Celle qui peuple les rêves érotiques de milliards de garçons n’a pas le droit de se donner à un seul. Une sénatrice déclare même sur un plateau télé qu’elle méritait pour cela la mort. S’emballe alors la deus ex machina. Un mariage éclair avec un vague chanteur aux allures de mauvais garçon, un enfant, puis deux.

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La girl next door se transforme en party girl en compagnie de la sulfureuse Lindsay Lohan. Les paparazzis l’étouffent littéralement. Elle divorce. On parle de lui retirer la garde de ses enfants. Pour la première fois elle éclate en sanglots sur un plateau télé. Et puis, un soir de février 2007, alors qu’elle se sait filmée, Britney, pour une fois décide de se réapproprier sa vie, en un geste fou et définitif. Elle pénètre dans un salon de coiffure, s’empare d’une tondeuse et se rase la tête. Geste hautement symbolique, la chevelure c’est la féminité, la métaphore de la sexualité, mais aussi dans son cas, à travers ses multiples transformations capillaires, le symbole de sa soumission à son personnage de star. En se rasant la tête, Britney hurle au pays entier d’aller se faire voir.

Mais la petite fiancée de l’Amérique ne peut pas se transformer comme ça en bad girl. Elle sera internée puis mise sous tutelle. Depuis, elle fait consciencieusement son métier de star toujours adulée du public. Et donne le change en se filmant en mère modèle sur Instagram. « My lonelyness is killing me » (ma solitude me tue), chantait-elle. Truffaut avait raison, les chansons populaires disent vrai.

Framing Britney Spears.
Documentaire à voir sur Amazon Prime Vidéo.

Le Pakistan, le « Pays des Purs»?

Face aux attaques contre la France et sa liberté d’expression, une stratégie uniquement défensive est vouée à l’échec: il faut contre-attaquer, sur les plans culturel, juridique et même militaire. Analyse


On sait depuis longtemps que l’obsession de la pureté conduit toujours à l’horreur. On sait aussi que le Pakistan est un cas « chimiquement pur » de « séparatisme islamique » : d’abord colonisation de l’Inde par les armées de l’islam, puis séparatisme au sens le plus littéral du terme, et maintenant place forte (parmi d’autres) de l’impérialisme islamique.

Ce pays est la base arrière des Talibans. Ce pays était le refuge d’Oussama Ben Laden. C’est aussi le pays où Asia Bibi a été condamnée à mort pour avoir, chrétienne, bu l’eau d’un puits réservé aux adeptes de la religion « de paix et de tolérance », et n’a été sauvée que grâce à une extraordinaire mobilisation internationale. La haine anti-française se fait de plus en plus intense au Pakistan, et de plus en plus visible, au point que plusieurs policiers sont morts ou ont été enlevés dans le cadre de manifestations anti-blasphème et anti-France. Le Quai d’Orsay recommande maintenant à nos ressortissants de quitter le pays.

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La « ministre des droits de l’Homme » (!) du Pakistan écrivait fin 2020 sur Twitter que « Macron fait aux musulmans ce que les nazis infligeaient aux juifs ». Le premier ministre Imran Khan a récemment déclaré, toujours sur Twitter : « J’appelle les gouvernements occidentaux qui ont interdit la négation de l’Holocauste à utiliser les mêmes principes pour condamner juridiquement ceux qui diffusent délibérément des messages de haine envers les musulmans via les injures faites à notre Prophète. » Le tout après des tweets évoquant l’islamophobie, le racisme anti-musulmans, et le fait que 1,3 milliards de croyants exigeraient les excuses de ceux qui insultent le prophète qu’ils aiment et portent dans le cœur. On dirait presque un condensé d’éditoriaux du New York Times et de tribunes de Médiapart !

Haine anti-française et comparaisons avec la Shoah

On voudrait en sourire, mais ce serait oublier l’influence de telles déclarations jusqu’en France, oublier que lorsqu’Imran Khan affirme « qu’il viendra un moment où les Occidentaux y réfléchiront à deux fois avant de manquer de respect au prophète » il dispose de l’arme nucléaire, que son pays a des liens avérés avec le terrorisme jihadiste, et une diaspora à l’incontestable pouvoir de nuisance – l’horreur des « grooming gangs » en constitue une terrible illustration (en même temps qu’elle montre l’abjection morale du soi-disant « antiracisme progressiste » qui a conduit à longtemps cacher ces crimes).

On pourrait évoquer les turpitudes de la politique intérieure du pays, ou sa volonté d’exister au sein du monde musulman en brandissant la bannière de l’honneur du Prophète. On pourrait analyser point par point les déclarations d’Imran Khan : l’indécence de la comparaison avec la Shoah, la fameuse « islamophobie », la fiction du « racisme anti-musulman », par définition impossible puisqu’une religion est une croyance et un choix, et non une caractéristique « raciale » c’est-à-dire génétique, et ainsi de suite. Mais ce serait se concentrer sur l’arbre qui cache la forêt : ces attaques du Pakistan contre la liberté d’expression s’inscrivent dans un mouvement bien plus vaste, et bien plus inquiétant.

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D’abord de la part du monde musulman, qui rêve d’imposer le délit de blasphème et une censure planétaire par le biais du droit international – c’est même l’un des principaux combats de la Ligue Islamique Mondiale comme de l’Organisation de la Coopération Islamique. Ensuite par le mouvement woke et sa « cancel culture », désormais dominante dans une grande partie du monde anglo-saxon, et qui hélas ne nous épargne pas. Par la modération de plus en plus ouvertement militante des réseaux sociaux. Enfin par nos propres lois mémorielles, dont l’instrumentalisation contre le remarquable historien Olivier Pétré-Grenouilleau suffirait à prouver qu’elles sont intrinsèquement problématiques.

Face à ces attaques répétées, permanentes même, se contenter de défendre la liberté d’expression ne saurait être suffisant : toute posture exclusivement défensive est vouée à l’échec, les vagues finissent toujours par ronger la falaise. Il faut contre-attaquer, et sur plusieurs fronts. J’en vois sept.

Le premier, proclamer la liberté d’expression comme un objectif à étendre au monde entier, car elle ne s’oppose pas à la liberté de conscience et de pensée, mais en est au contraire la condition concrète. On ne peut véritablement penser que ce dont on peut débattre, et on ne peut débattre que de ce que l’on peut dire, y compris pour le contredire. Il doit bien sûr y avoir des limites, en particulier l’incitation aux véritables crimes, mais toute borne mise à la liberté d’expression est en soi une chose grave. Soyons fiers d’avoir pour idéal la vitalité intellectuelle et la liberté paisible que Tacite attribuait aux règnes de Nerva et Trajan : « Bonheur d’une époque où l’on peut penser ce que l’on veut, et dire ce que l’on pense. » Les Occidentaux n’ont pas à rougir d’être les héritiers des Césars.

La France doit se trouver des alliés

Le second, utiliser cette liberté ! Ce n’est pas tout de dire que la liberté d’expression est nécessaire au plan théorique, si nous n’en faisons pas usage nous finirons par la perdre. Provoquons, caricaturons, blasphémons ! On peut préférer débattre de manière mutuellement respectueuse, seulement voilà : s’astreindre à respecter la susceptibilité d’autrui, c’est donner aux plus susceptibles le pouvoir de décider arbitrairement des limites du débat, et c’est donc empêcher tout débat puisqu’il y aura toujours des gens qui considéreront toute critique, si courtoise et argumentée soit-elle, comme une insulte. De même qu’il faut régulièrement tailler une haie, il faut régulièrement dire ce que certains voudraient que l’on ne dise pas, sous peine de laisser s’étendre le domaine déjà bien trop vaste de ce qu’il ne faut pas dire. #JeSuisCharlie Mais attention ! Ne laissons pas croire ou faire croire que la liberté d’expression se réduirait au droit de dessiner un personnage historico-mythologique en train de se faire enc…. : si ce n’est que ça, pas étonnant que beaucoup se disent qu’après tout, on peut bien y renoncer. Nous devons impérativement défier les tabous aussi par la beauté et l’élégance, en proclamant la célébration de la liberté par la beauté et l’élégance, dans la tradition des blasphèmes héroïques d’Homère, de la sensualité des drapés antiques, de la ferveur des vers de Sappho, de l’insolence de certaines enluminures médiévales et de l’irrévérence de Molière. La plume de Hugo ou le pinceau de Delacroix trouveraient bien des manières de s’opposer à la pudibonderie maladive de Facebook, aux susceptibilités sans cesse plus nombreuses des woke, ou aux innombrables interdits absurdes de l’islam, notamment en matière de musique et de représentations figurées.

Le troisième, chercher des alliés. Qui que vous soyez, il existe quelqu’un, quelque part, qui est offensé par les convictions auxquelles vous tenez, par ce que vous admirez, ou par ce qui vous fait rire. Par conséquent, qui que vous soyez, vous êtes susceptible d’être victime de la censure. Et où que vous soyez, viendra le jour où les woke et les islamistes tourneront leur regard vers vous. Il nous faut nous adresser à ceux qui ont soif de liberté au sein du monde arabo-musulman, dont l’exemple est une inspiration et une mise en garde, il nous faut parler avec les religions autres que l’islam, et notamment les instances bouddhistes ou l’Eglise Catholique. On sait l’ambiguïté d’une trop grande partie de son clergé sur le sujet, à commencer par le Pape. Et pourtant ! L’Eglise ferait bien de se souvenir que les arguments que l’on lit aujourd’hui sous la plume d’Imran Khan, de la LIM ou de certains sociologues bien-pensants sont très exactement ceux qui ont été utilisés contre le Pape Benoît XVI suite au discours qu’il prononça à Ratisbonne, il y a déjà 14 ans, discours qui n’avait rien d’injurieux ni de vulgaire, mais constituait une analyse de type universitaire, raisonnée, argumentée et de très haute volée.

Le quatrième, retourner les arguments de nos ennemis contre eux. Voilà la contre-attaque à proprement parler. Un dessin du prophète de l’islam serait un blasphème ? Mais l’islam tout entier est un blasphème ! Le Coran passe son temps à blasphémer contre toutes les autres religions, à insulter leurs fidèles, et à appeler à les haïr – avec hélas un incontestable et sanglant succès. « Les associateurs (polythéistes et chrétiens trinitaires) ne sont qu’impuretés » (s9v28), « l’association est plus grave que le meurtre » (s2v191) « Ce sont certes des mécréants ceux qui disent « En vérité, Allah c’est le messie, fils de Marie » (….) Quiconque associe à Allah, Allah lui interdit le Paradis, et son refuge sera le Feu ! » (s05v72) « Les Juifs disent « Uzayr est fils d’Allah » et les Chrétiens disent « le Christ est fils d’Allah ». (….) Qu’Allah les anéantisse ! » (s9v30) On pourrait continuer longtemps. Sans oublier que le Coran présente le Dieu Suprême comme un tyran arrogant, capricieux, d’une susceptibilité infantile, imposant des lois arbitraires, égocentrique au point de considérer qu’il est plus grave de vénérer quelqu’un d’autre que de massacrer des milliers d’innocents. Voilà ce qui s’appelle blasphémer, et dans les grandes largeurs ! Il faudrait criminaliser le blasphème ? Soit, mais alors dans ce cas commençons par criminaliser toute diffusion des textes sacrés de l’islam.

Gare au droit supranational

Le cinquième, juger sans hésiter ceux qui prétendent nous juger, dénoncer les turpitudes des donneurs de leçons. C’est vrai des woke qui se choisissent pour égéries une marxiste multi-millionnaire là, une famille de délinquants et un célèbre violeur ici, et des antisémites partout. C’est vrai des pays dont la constitution et les lois sont bâtis sur la « religion de paix et de tolérance » et qui criminalisent l’apostasie, donc la liberté de conscience : voilà bien un point sur lequel nous devons les condamner sans réserve, et qui devrait les mettre au ban de toute assemblée se voulant civilisée. La diplomatie et le réalisme imposent parfois de traiter avec les barbares, pas d’enseigner qu’il faudrait considérer leurs petits tabous comme des demandes raisonnables, n’en déplaise à ceux qui préfèrent le profit à la civilisation et sont prêts à toutes les compromissions au nom des affaires. Léonidas ne s’est pas soucié de commercer avec Xerxès, ni Churchill avec Hitler.

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Le sixième, prendre au sérieux le front du lawfare, la guerre juridique. Nous avons encore trop souvent des instances internationales une vision totalement biaisée, rémanence d’une époque où elles étaient habitées par un certain idéal hérité de l’Occident qui les avait créées. Mais quand on voit que l’ONU vient d’élire l’Iran et le Pakistan à sa Commission des Droits des Femmes, tout est dit ! N’oublions pas non plus qu’elle avait déjà admis l’Arabie Saoudite et le Soudan au sein de son Conseil des Droits de l’Homme, CDH qui, comme le disaient entre autres Elisabeth Badinter et Elie Wiesel dans une remarquable tribune publiée en 2008, est « devenu une machine de guerre idéologique à l’encontre de ses principes fondateurs. » Il suffit de la lire pour se convaincre du danger que le droit surpanational représente désormais pour nos libertés fondamentales, et donc de l’urgence de remettre en cause notre dépendance à ce droit qui nous échappe de plus en plus.

Le septième enfin, sécuritaire et militaire. Ne nous leurrons pas : s’ils en ont un jour le pouvoir, les inquisiteurs woke comme les fous d’Allah n’hésiteront pas une seconde à nous imposer leur idéologie et leur censure par la force, c’est ce qu’ils font déjà partout où ils en sont capables. Les manœuvres militaires turques contre la Grèce, les appels de certains prédicateurs pakistanais à frapper la France du feu nucléaire, la main-mise « progressiste » sur les réseaux sociaux, et j’en passe, sont des menaces géostratégiques majeures auxquelles nous ne pourrons répondre que si notre souveraineté est garantie, y compris par les armes.

Les mêmes personnes ne pourront pas se battre sur tous les fronts, ne serait-ce que parce qu’il serait difficile de concilier l’éloge de la liberté d’expression et le retournement des arguments de nos ennemis pour les censurer, eux ! Former des alliances n’en est donc que plus important, sans jamais perdre de vue l’objectif final, et sans jamais céder aux tentatives d’intimidation qui ne manqueront pas d’arriver. Voilà à quoi nous devons nous consacrer, par-delà les vieux clivages qui, face à de telles menaces, n’ont plus de raison d’être.

La France se porterait-elle mieux si elle était une monarchie républicaine?

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Nous pâtissons des vices de la République et nous sommes privés des vertus de la royauté, selon Philippe Bilger

Aujourd’hui on ne couperait plus la tête du roi…

Emmanuel Macron avait raison quand il soulignait la béance, le vide créés dans notre espace démocratique par la mort de Louis XVI et l’obscure nostalgie d’une période de notre Histoire, que les horreurs de 1793 et la guillotine fonctionnant à plein régime n’ont fait qu’aviver. Dans nos tréfonds, on s’habitue mal à l’absence d’une légitimité mise à mal par un bouleversement révolutionnaire malgré la mythologie dont on l’entoure et la volonté de nous faire croire que la France n’aurait vraiment commencé qu’en 1789.

Les partisans d’une monarchie, d’un roi, respectés parce que détachés du tout-venant et des ambitions dérangeantes, ne seraient plus autant tournés en dérision et trouveraient probablement une écoute moins ironique de la part de beaucoup. Certes le régime républicain continue à dominer très largement dans l’esprit public mais d’abord parce qu’il serait trop provocateur de l’estimer substituable par un autre.

A lire aussi: Deux rois pour un trône: les monarchistes en France

À considérer certains signes moins superficiels qu’on ne le pense, j’éprouve l’impression, chez moi le premier peut-être, d’une impossibilité et en même temps d’un regret lancinant.

L’engouement pour la couronne

La passion avec laquelle on a regardé The Crown, l’intérêt que nous portons à la monarchie britannique et à d’autres en Europe, l’admiration que nous éprouvons pour la reine Elisabeth II, la considération de la pompe et de l’allure dans lesquelles les obsèques du Prince Philip se sont déroulées, la distance émue qui a été la nôtre face à tant d’événements qui ne relevaient pas à proprement parler de notre monde, ont montré, et pas seulement chez les épris par principe de ces péripéties royales, comme un sentiment de familiarité, presque d’appartenance.

Un autre univers sans doute mais dont la tradition assumée, contre toutes les vulgarités du modernisme, nous faisaient du bien, parfois à notre grand étonnement.

Une monarchie républicaine factice

Nous serions, nous, en monarchie républicaine depuis l’élection du président de la République au suffrage universel ? Tristement je réponds affirmativement à cette interrogation mais avec le constat immédiat que nous pâtissons des vices de la République et que nous sommes privés des vertus de la royauté.

À lire aussi : Au Népal, on rêve du retour de la monarchie

Non pas que celle-ci, où qu’elle se trouve, n’ait pas connu de dysfonctionnements, de scandales ou d’injustices. Mais la plupart du temps, opposant aux débats politiques multiples, aux affrontements partisans, à l’écume sectaire et idéologique et à la droite ou à la gauche de gouvernement un comportement apparemment neutre, stable et serein, elle permet aux citoyens au moins de se garder d’une inimitié totale, d’une contradiction globale et systématique. Elle se sauve et elle est sauvée du désastre quotidien d’un engagement absolu. En surplomb elle n’est pas indifférente ni désengagée. Mais son engagement est pour le pays, pas pour le parti que l’élection, un temps, a rendu dominant.

Un président qui se prend pour un roi

Si peu de monarchie avec un président de la République qui, n’ayant jamais été un arbitre, ne cesse de s’abandonner avec volupté, avec un ascétisme feint, un sens du devoir forcé, à la jouissance d’un pouvoir de moins en moins limité. Surtout quand le Premier ministre est tenté de se laisser grignoter ses attributions par révérence, par complaisance.

Si peu de République avec un président usant et abusant du Conseil de défense, avec une vie parlementaire sans aucune équité démocratique (faute de proportionnelle), un groupe majoritaire où quelques personnalités choisies dissimulent une masse inconditionnelle, un pouvoir d’injonction plus que de délibération, une rétention plus qu’un partage, une apparence populaire mais une réalité régalienne…

Un roi trop plongé dans la mêlée pour être consensuel. Une République diminuée avec un monarque trop puissant.

Nous sommes les sujets, les citoyens d’une monarchie républicaine qui représente une synthèse médiocre et très imparfaite entre la grandeur, l’allure et l’impartialité d’une monarchie exemplaire et le caractère pluraliste, égalitaire d’une République digne de ce nom.

Miscellanées d’avril

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Eric Desmons publie "Épopée minuscule du boomer" – Les impliqués Editeur Photo: Hannah Assouline.

Morales et le passé, vieille rengaine, nostalgie des roudoudous et des pétrolettes, siphons à l’eau de Seltz et cravates en tricotine, on connaît la chanson. Films en noir et blanc, zinc dépoli, écrivains réprouvés et Weston aux pieds, ce garage des souvenirs n’amuse plus que les boomers déprimés et quelques lecteurs égarés. À trop lustrer le monde d’avant, à vénérer le faisandé et le « 50 ans d’âge », on finit par lasser et passer à côté d’auteurs bien vivants. Old chap ! J’ai toujours une réticence à parler de mes contemporains. Nous n’avons pas le recul nécessaire pour bien juger leur œuvre, il est encore trop tôt pour se prononcer. Attendons un délai de décence, disons une précaution d’usage d’une dizaine d’années après la mort, on pourra alors commencer à tresser des lauriers ou à napalmer. 

Désarroi mécanique et littéraire

Mea culpa ! Je ne me ferais jamais à cette modernité qui diffame mes Trente Glorieuses et salit ma mémoire. Sachez pourtant que je lutte contre mon atavisme. J’ai été élevé à la mélopée rocailleuse du V8 Mustang et je dois m’incliner devant le sifflement névrotique des batteries électriques. C’est dire mon désarroi autant mécanique que littéraire. Plus d’une fois, vous m’avez entendu pester ici-même contre l’absence de style des romans en cours et de l’affadissement en marche. La belle phrase « hecho a mano » roulée par une torcedores cubaine aux cuisses larges dans la moiteur de la Havane se rencontre de moins en moins souvent. Eh bien, c’est faux. Au mois d’avril, dans un confinement lymphatique, il existe des livres qui nous arrachent à notre léthargie sanitaire. Ils viennent de sortir là, maintenant, ils sont frais comme la rosée, aussi fermes que les futurs saints de glace de mai. Leur couverture brille et leurs pages craquent comme du bon pain. Je vous offre ce bouquet d’odeurs, de saveurs et d’aigreurs, de formules saillantes qui réveilleront les plus blasés d’entre nous. Parfois, c’est un mot qui déclenche l’imaginaire et la lyre. 

Grisaille sixties

Dans Silence radio (La Table Ronde) de Thierry Dancourt, cet habile diffuseur d’ambiances interlopes, se vautrant avec délice dans la grisaille des Sixties, c’est le mot Alka-Seltzer qui condense sa mélancolie policière. Il a l’art de brouiller les ondes et de pratiquer un pointillisme mystérieux. Dans Épopée minuscule du boomer (Les impliqués Éditeur), Éric Desmons, facétieux pourfendeur de nos travers, portraitiste talentueux du loser à l’arrêt, fait apparaître une fille qui fume des Kool Menthol et porte un short trop court. Assez pour désarçonner un héros fatigué du progressisme ambiant, égaré sur une île grecque. Je ne peux vous cacher que j’aime les écrivains vivants qui portent sur le passé, un regard tendre, les inquisiteurs m’ennuient profondément. 

Souvenir de Michel Mohrt

La fournée d’avril est aussi riche en découvertes, quand un auteur s’empare, par exemple, d’un artiste méconnu du grand public. On peut faire confiance à Guy Darol qui publie avec l’illustrateur Laurent Bourlaud Moondog (Éditions de la Philharmonie de Paris), ce musicien américain tantôt viking ou navajo, disparu en Allemagne, après avoir longtemps vécu dans la rue new-yorkaise, autour de la 6ème avenue. Expert en Frank Zappa et André Hardellet, entre autres, Darol est décidément notre maître en musique et poésie. Sa plume jamais banale, toujours mélodique perce les artistes à jour. On se coule dans ses phrases comme dans le jazz erratique et hypnotique de Moondog. Avec Pierre Joannon, diplomate et écrivain, Irlandais de cœur, hussard d’esprit, on rend hommage à Michel Mohrt, réfractaire stendhalien (La Thébaïde). Joannon a été son ami, il lui élève une stèle sensible et malicieuse, érudite sans être assommante, pleine de charme écorché. Qui n’a pas encore lu Mohrt, l’armoricain américain de la campagne d’Italie ou des campus mixtes ne sait rien du plaisir intense d’une langue parfaitement dosée. « Trop lucide pour se glisser dans la peau d’un militant politique, trop sceptique vis-à-vis des idéologies à prétentions salvatrices, davantage attiré par les femmes, l’amour et la littérature que par l’activisme désordonné de ses anciens compagnons d’armes, Michel Mohrt choisit d’être le chroniqueur de ces temps d’infortune » écrit-il, avec justesse. 

Le journal de Roland J.

Et puis dans cette fournée, il y a les flibustiers, les tirailleurs de formules, ceux qui font danser la phrase et dégonfler les fats. L’ironie jouissive est leur arme de dissuasion massive. Comment ne pas succomber à la douceur vipérine de Roland Jaccard dans « Le Monde d’avant Journal 1983-1988 » (Serge Safran éditeur) quand il dégomme À nos amours de Pialat : « c’est la Boum 3 en plus veule ou À nous les petites anglaises en plus prétentieux ». Enfin gardons pour clore ce bouquet d’avril, le jongleur chantant, le Palois conquérant qui, de sa prose vibrante, plaque l’assaillant. Dans Le Bazar de l’hôtel de ville (Le Castor Astral), Christian Laborde avoue : « Je n’étais pas un écolier, je n’étais pas leur camarade, j’étais la rivière : je débordais ». Son débord, cette propension à faire tinter le verbe, est notre bonheur de printemps.

Silence radio de Thierry Dancourt – La Table Ronde –

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Épopée minuscule du boomer d’Éric Desmons – Les impliqués Editeur –

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Moondog racontée par Guy Darol & Laurent Bourlaud – Éditions de la Philharmonie de Paris – 

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Michel Mohrt, réfractaire stendhalien de Pierre Joannon – La Thébaïde –

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Le Monde d’avant Journal 1983-1988 de Roland Jaccard – Serge Safran éditeur –

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Le Bazar de l’Hôtel de ville de Christian Laborde – Le Castor Astral –

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La semaine de Causeur du 25 avril 2021

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Chaque dimanche, la semaine de Causeur revient sur les cinq articles les plus consultés sur le site Causeur.fr durant la semaine écoulée.


Cette semaine : 

#1 Madame, votre problème, c’est vous!

#2 Sonia Mabrouk, réac aux dents blanches

#3 Quand “Le Monde” chante les louanges… d’un islamiste américain

#4 Christophe Fauquenoy: martyr négligé

#5 Madame Claude, première féministe de France

Glaçant, mais passionnant, le futur selon Antoine Buéno

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Antoine Buéno © Hannah Assouline

Dans le sillage de Harari, Antoine Buéno dessine notre avenir. S’il écarte les scénarios apocalyptiques des écolos, il prédit l’avènement d’une nouvelle humanité augmentée et d’un système politique et social vertueux fondé sur l’intelligence artificielle. Dans cet avenir techno nous n’allons pas tous mourir, mais ça ne va pas être très marrant.


Antoine Buéno, spécialiste des utopies, avait jadis suscité la polémique avec Le Petit Livre bleu, essai consacré au village des Schtroumpfs (!), dans lequel il brossait le portrait surprenant d’une microsociété empreinte de nazisme et de stalinisme. Dans Futur, notre avenir de A à Z, cette alternative figure parmi les évolutions possibles de l’humanité et cela prête moins à sourire.

Énergie, alimentation, démocratie, génétique et même sexualité, l’ambition se veut large et impose le respect. Adossée à trois années de travail ainsi qu’à de multiples sources, voici sans dogmatisme la réflexion d’un honnête homme sur les défis que nous allons devoir nous colleter – enfin surtout nos enfants. Alternant les pistes optimistes et celles plus sombres, il expose avec clarté les profondes mutations dont nous vivons les prémices. L’une des grandes qualités du livre, sa hauteur de vue, peut également être regardée comme son principal défaut – celui de voir l’humanité comme un tout, sujet d’une histoire-évolution vouée à former une civilisation unique. Dans la lignée de Harari ou Pinker– dont il réfute au passage certaines thèses –, Antoine Buéno prédit un avenir commun aux nations : l’effacement. Ne pas partager cette conviction ne remet pourtant pas en cause la pertinence des questions soulevées par Futur.

Démographie et nucléaire

Les enjeux climatiques occupent évidemment une place importante, mais l’essayiste aborde sans fard les deux dossiers sur lesquels les écolos se ridiculisent avec constance : la démographie et le nucléaire. Chiffres à l’appui, il démontre que tenir les objectifs de décarbonation de l’économie mondiale en se privant de l’atome reviendrait à s’infliger trente années de crise du Covid. Trois décennies de décroissance, voilà de quoi enthousiasmer la frange la plus radicale des militants verts – et surtout de quoi conduire à la mort de façon certaine des millions d’hommes et de femmes (de faim, de maladies, de guerres). Tout ça pour les protéger d’un risque nucléaire infiniment plus faible que celui de la disette généralisée et permanente. Visiblement peu soucieux de complaire aux amis d’Éric Piolle, Antoine Buéno nous livre une intuition aussi brillante que sinistre : la possible fusion des deux totalitarismes verts, l’islamisme et l’écologisme. Les salafistes pourraient finir par décréter que la civilisation thermo-industrielle abîme l’œuvre de Dieu. Symétriquement, côté écolo, on réaliserait que la société moyenâgeuse talibane possède un bilan carbone flatteur. Les islamo-gauchistes attendent sans doute avec impatience le renfort des écosalafistes…

À lire aussi : Six Français sur 10 favorables au nucléaire

Autre sujet abordé sans tabou, la démographie. Buéno met les pieds dans le plat en affirmant que le développement du planning familial en Afrique subsaharienne ou en Inde permettrait d’atteindre 30 % des objectifs du GIEC et cela pour un coût dérisoire. Même si c’est de façon beaucoup moins caricaturale, il s’inscrit en somme dans la lignée du « tweet banquise » de Renaud Camus :« Une boîte de préservatifs offerte en Afrique, c’est trois noyés en moins en Méditerranée, cent mille euros d’économie pour la CAF, deux cellules de prison libérées et trois centimètres de banquise préservée. »

Que ce tweet (pour lequel Camus a été relaxé en première instance) vous fasse rire ou pas, les générations futures, elles, ne vont pas rigoler. Selon Buéno, dans tous les cas, l’homme est condamné à disparaître.

S’il estime inatteignables les objectifs du GIEC, il pense crédible une limitation de nos émissions échappant aux prévisions les plus pessimistes. Entre-temps, il mise sur des avancées technologiques qui permettraient, à terme, d’atteindre un développement durable qu’il qualifie de « fort » (par analogie avec l’intelligence artificielle « faible » aujourd’hui, « forte » demain peut-être). L’humanité pourrait ainsi maîtriser des techniques qui autoriseraient le recyclage du carbone déjà présent dans l’atmosphère ou tirerait une partie de ses ressources minières de l’espace. Des perspectives enthousiasmantes, tempérées hélas par des alternatives plus rudes, dont les grands principes commencent à nous être familiers : hausse brutale du mercure, famines, guerres, migrations massives débouchant sur de nouvelles guerres, etc. Nous en arrivons à l’hypothèse chère à Yves Cochet, celle de l’effondrement civilisationnel, démographique et climatique – un scénario du pire auquel l’auteur ne croit pas (ouf !).

Vers une humanité augmentée

S’il écarte donc les pistes apocalyptiques, il penche en revanche pour l’avènement d’une post-humanité augmentée par la génétique ou l’implant d’une puce informatique cérébrale. Une telle évolution reléguerait au statut actuel des grands singes les Homo sapiens non trafiqués. Ces derniers devraient d’ailleurs être le moins nombreux possible pour éviter un scénario de type nazi. Antoine Buéno craint en effet qu’une posthumanité minoritaire, et pourquoi pas immortelle, réduise rapidement les autres en esclavage. L’appel à l’apparition d’un homme nouveau, moralement meilleur, suscite forcément l’inquiétude. Serait-ce un avatar de celui promis jadis par Hitler ou Staline ? Pas dans l’esprit de l’auteur qui prédit cette fois le fruit d’un processus non violent… Certes. Pour tous ceux qui doutent que l’implant cérébral soit spécialement conçu pour développer notre sens de l’humour – rupture de stock récurrente du TX 300 GrouchoMarx –, il n’en reste pas moins qu’affronter la concurrence de Super Chinois ne nous laissera sans doute guère de choix. Aujourd’hui, la question du smartphone (en avoir ou pas ?) se pose peut-être dans les lamaseries, mais plus dans aucune métropole. Il pourrait en aller de même demain avec toutes les techniques d’augmentation détaillées par l’auteur…

Si les réseaux sociaux augmentent quelque chose, c’est moins l’homme que son agressive bêtise.

Il n’y a au demeurant pas que la compétition avec la Chine qui pourrait nous inciter à devenir un mélange de silicium et de chair – sans oublier une possible combinaison de sexes et de différents emprunts aux animaux (!). L’émergence d’une intelligence artificielle (IA) capable de surpasser le cerveau humain, avancée probable, quoique toujours repoussée, conduirait à une cohabitation périlleuse pour notre espèce. Le scénario dans lequel une IA forte et bienveillante prendrait le pouvoir sert d’assise à l’hypothèse anarcho-communiste (sans aller jusqu’à proposer de cloner Alain Badiou, Dieu merci). En charge de toute production, l’IA et ses robots esclaves nous délivreraient du labeur. Le bonheur ? Rien n’est moins sûr. Privés de travail, nous voici inutiles, relégués à un état quasi végétatif. Néanmoins, qui sait si la génération X, Y, ou Z n’applaudira pas à l’idée d’être allongée toute la journée ? Plongée dans une réalité virtuelle immersive – dans laquelle, Buéno, farceur, nous imagine éventuellement… travailler !

Un homme amputé calligraphie avec un bras prothétique intelligent développé par la start-up américano-chinoise BrainCo,
Hangzhou (province du Zhejiang), 6 juin 2019 © Xinhua/Xu Yu/AFP

Ne jamais sous-estimer la bêtise naturelle

Comme toute entreprise de prospective, Futur prend le risque de se tromper, mais nombre de ses réflexions amusent, surprennent ou dérangent. Ressusciterons-nous les mammouths pour brouter la toundra et éviter le relâchement des gigantesques quantités de gaz à effet de serre aujourd’hui piégés dans le permafrost ? Les modifications génétiques permettront-elles effectivement la survie du type « caucasien » puisque la blancheur de peau ou le débridage des yeux a la cote sur tous les continents ? La disparition de la frontière entre le groupe et l’individu – par la mise en réseau de tous nos implants cérébraux – aboutira-t-elle à une forme de démocratie parfaite et permanente ? Si les cerveaux des progressistes votaient à leur insu, il pourrait y avoir des surprises, tant l’écart semble grand entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Rien de tout cela n’arrivera peut-être, car les présupposés d’Antoine Buéno font la part trop belle à la rationalité scientifique ainsi qu’à notre capacité à défendre l’intérêt général. Il pressent que l’intelligence artificielle pourrait agréablement nous surprendre, mais il sous-estime probablement la bêtise naturelle (100 % bio) qui ne paraît pas avoir dit son dernier mot. À l’heure de l’exacerbation des individualismes, il faudrait effectivement une IA forte (et même à poigne !) capable de prendre des décisions contrariant les différents égoïsmes à courte vue. Sans doute le modèle chinois (une espèce de nazisme qui a réussi) préfigure-t-il ce futur holiste décrit par l’auteur, mais lui-même s’interroge. Le choc démographique – moins 400 millions de Chinois à l’horizon 2100 ! – accompagné d’une libération des individus du joug du Parti unique pourrait rapidement remettre en cause la prééminence chinoise émergente. Buéno ne fait parfois qu’effleurer ces disruptions passionnantes. Que la Chine « vieille avant d’être riche » subisse des troubles ou que l’Europe occidentale se ferme brutalement à l’arrivée massive d’une Afrique débordante incapable de maîtriser sa natalité, voilà de quoi constituer des futurs divergents. Buéno évoque seulement « la fin de l’humanisme » européen (ou plutôt de son dévoiement, mais c’est un autre débat). La focale trop large de l’histoire-évolution ne permet hélas pas d’approfondir les conséquences de tels bouleversements au niveau des peuples et des civilisations. Dommage.

À lire aussi : Un futur de folie ou de raison?

Le relativisme culturel et son hostilité à la « science des Blancs » n’augurent non plus rien de bon en matière d’intelligence collective. Le moins que l’on puisse dire du cybermonde que nous expérimentons, c’est qu’il n’a pas fait que développer la connaissance. Si les réseaux sociaux augmentent quelque chose, c’est moins l’homme que son agressive bêtise. On voit mal comment des trolls individualistes bas du front ou des djihadistes du « like » engendreraient cet homme nouveau, altruiste et prêt à se fondre dans une collectivité bienveillante. Antoine Buéno nous donne envie d’y croire, ce qui n’est déjà pas négligeable.

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Ça va mal finir

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Stephen King © Witi De TERA/Opale via Leemage

Stephen King n’a pas (encore) eu le prix Nobel de littérature, contrairement à la Polonaise Olga Tokarczuk. Mais tous les deux se révèlent des maîtres de la littérature fantastique comme moyen d’affronter ce que Freud appelait l’«inquiétante étrangeté» du monde.


Stephen King est un des plus grands écrivains américains vivants. On sait que la cause n’est pas entendue. L’essentiel de son œuvre appartient à la littérature fantastique et le fantastique est un « mauvais genre », quand bien même il compte quelques chefs-d’œuvre de la littérature mondiale comme les nouvelles d’Edgar Poe, La Peau de chagrin de Balzac ou même La Métamorphose de Kafka. Concernant Stephen King, il est vrai que ses éditeurs le vendent depuis toujours sous l’étiquette commode de « maître de l’épouvante ». Des couvertures accrocheuses, des tirages phénoménaux, des traductions dans des dizaines de langues, une multitude d’adaptations télévisuelles ou cinématographiques ont fait le reste. King est l’auteur « bankable » par excellence, une vraie machine à cash pour le monde de l’édition. Cette popularité est mauvais signe. Qu’il soit, en plus, un écrivain majeur, ce serait trop pour un seul homme…

Stephen King parle à tout le monde

On pourrait au passage se demander pourquoi un gros tirage équivaudrait forcément à une qualité moindre, façon de voir assez française au demeurant. Rappelons, pour mémoire, que Victor Hugo a en son temps aligné les best-sellers avec Notre-Dame de Paris ou Les Misérables. Comme lui, Stephen King porte aujourd’hui cette double casquette : symbole d’une certaine littérature populaire qui baigne dans un imaginaire typiquement national et, en même temps, inventeur de sa propre mythologie, et de son propre style. Stephen King parle comme personne de la petite ville américaine ou du recours à la nature, des enseignes clinquantes des diners et des profondeurs de la forêt primitive où l’on trouve d’anciens cimetières indiens. Il est, encore comme l’était Hugo, une manière de folkloriste en même temps qu’un fabricant d’intrigues élaborées aux chausse-trappes multiples. Et pourtant, malgré ce côté typiquement américain, ses innombrables lecteurs appartiennent à toutes les classes sociales, à tous les continents et à toutes les générations.

Des personnages universels

C’est que Stephen King, avec ses personnages de mômes menacés par des clowns diaboliques, touche à quelque chose d’universel, comme Hugo avec Cosette et Gavroche, personnages si français devenus pourtant des archétypes planétaires. Il faut sans doute, pour comprendre la vraie raison du succès de Stephen King, chercher du côté d’une angoisse archaïque, commune à toute l’humanité : celle du rapport au mal. Est-ce que le mal existe, quelle est sa nature, son origine et à quelles manifestations peut-on le reconnaître ?

Ce caractère protéiforme du mal est au cœur de Si ça saigne, le dernier recueil de King, composé du court roman éponyme et de trois nouvelles. Le roman raconte l’histoire de Holly Gibney, une femme détective que King avait déjà utilisée comme personnage secondaire dans Mr Mercedes et L’Outsider. Un attentat a lieu dans un lycée, faisant des dizaines de morts. Le responsable a été filmé par les caméras de surveillance. Particulièrement observatrice, Holly éprouve un malaise en s’apercevant qu’un des premiers reporters sur les lieux, qui participe même aux secours, présente une ressemblance vague avec l’homme qui a déposé la bombe. Or, cette ressemblance se retrouve aussi chez d’autres reporters envoyés sur les lieux de tous les attentats au cours des dernières années. Se souvenant d’une enquête menée naguère, Holly pense qu’il pourrait s’agir d’un « outsider », le nom qu’elle a trouvé pour décrire des espèces de charognards psychiques qui se nourrissent de la souffrance et de la détresse des blessés tout en étant capables de changer de physionomie. King explique que l’idée de ce récit lui est venue en observant qu’il y avait un air de famille dans les visages des journalistes qui couvrent les catastrophes. De là à imaginer qu’il s’agit d’une seule et même personne…

Pour King, la littérature fantastique est avant tout la meilleure manière de répondre aux questions qui le hantent. Il est un écrivain parfaitement conscient de son art, de ses buts et des outils nécessaires pour y parvenir. On conseillera son autobiographie, Écriture, où il s’exprime à la fois en professionnel pragmatique, à l’américaine, et en fin connaisseur de la littérature et des dangers dont elle est porteuse, pour le lecteur comme pour l’écrivain.

La métaphore de l’écrivain

Écrire n’est pas anodin, écrire sur le mal encore moins. Dans la nouvelle « Le Rat », King imagine un personnage d’écrivain, comme il l’avait déjà fait dans La Part des ténèbres ou Misery. L’écrivain selon King est un obsessionnel qui peut vite sombrer dans la folie. Il est aussi, malgré lui, une façon rêvée pour le mal de s’incarner, soit à travers sa personne, soit à travers une œuvre qui peut tuer. On retrouve dans « Le Rat » cette technique habituelle chez King qui consiste à prendre une métaphore au sens propre. Un écrivain possédé tuerait n’importe qui pour terminer son livre et c’est ce qui se passe dans cette nouvelle qui est en même temps, l’air de rien, une définition du travail de l’écrivain. Mais comme on est chez Stephen King, cette définition est donnée par un rat dans un chalet isolé par la tempête, quelque part dans le Maine, territoire qui est à King ce que la Provence est à Giono : « Ce n’est pas que tu n’as plus de mots. C’est que tu perds la capacité de choisir les mots justes. Ils te semblent tous également appropriés ou inappropriés. »

Autre exemple de métaphore prise au pied de la lettre, dans la nouvelle intitulée « La Vie de Chuck », celle d’un vers de Walt Whitman, « Je suis vaste, je contiens des multitudes ». Le petit Chuck découvre ce poème à la fin de sa classe de sixième. Il ne le comprend pas, mais le lecteur lui, comprendra en quoi il illustre, littéralement, la vie ordinaire et pourtant unique de Chuck qui devient comptable avant de mourir à 39 ans d’une insuffisance cardiaque. Des affiches en son honneur apparaissent un peu partout après son décès coïncidant avec une catastrophe cosmique qui va faire disparaître la Terre. Toute la virtuosité de King réside dans la construction inversée de ce récit humaniste qui montre que la mort d’un homme, même le plus banal, est toujours une perte irréparable pour le monde entier.

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On a évoqué, à un moment, le nom de Stephen King pour le prix Nobel 2020 de littérature. Sans doute lassé des polémiques après une affaire #metoo en 2018 et un lauréat contesté pour ses positions pro-serbes, Peter Handke en 2019, le jury est revenu à des choix plus classiques, c’est-à-dire plus élitistes. On lui sera néanmoins reconnaissant d’avoir mis en lumière l’œuvre de la Polonaise Olga Tokarczuk dont le recueil de nouvelles Histoires bizarroïdes est une excellente introduction à l’univers inclassable de cette psychologue de formation.

Le pessimisme d’Olga Tokarczuk

Dix textes où le fantastique est à l’honneur, un fantastique qui n’appartient qu’à elle. Certes, comme Kafka, Olga Tokarczuk plonge son lecteur dans une réalité à la fois familière et insituable : on prend des avions, on regarde la télé en méditant sur ses chaussettes, on subit des transplantations cardiaques, on fait des conférences à l’université, mais il est bien difficile de se situer dans le temps et dans l’espace, le lecteur éprouvant une forme d’incertitude constante devant ce que Freud avait si bien nommé, sans se douter qu’il donnait là une des clefs de la littérature fantastique, « l’inquiétante étrangeté » du monde. Les personnages d’Olga Tokarczuk sont tous plus ou moins à l’image de ce professeur de la nouvelle « Une histoire vraie » qui, portant secours à une femme tombée d’un escalator, cherche « à se rappeler comment on disait au secours dans ce pays ». Ce professeur, vite égaré, couvert du sang de la femme, erre dans une ville où personne ne le comprend et ne retrouvera jamais le banquet auquel il devait se rendre après un colloque, avant de finir sous les coups de vigiles dans une fontaine glacée où il tentait de se laver, réduit à un corps nu dans la nuit. Comment ne pas songer à Joseph K. à la fin du Procès ? Dans « Le Calendrier des fêtes humaines », une société à bout de souffle, crépusculaire, vit les Jours de Grisaille dans un décor à la Chirico où l’on passe des Jardins aux Palais et surtout aux Cliniques comme dans une hallucination trop précise.

Mais il n’est pas possible de réduire l’étonnant talent de notre autrice polonaise à cette influence kafkaïenne. La colonne vertébrale de ces Histoires bizarroïdes est plutôt un pessimisme lié à l’impossibilité de connaître et de comprendre l’autre.

Si le mal est l’inquiétude de Stephen King, ce qui court dans les récits d’Olga Tokarczuk, c’est l’angoisse d’une altérité impossible à saisir, même avec la meilleure volonté du monde, comme celle du narrateur des « Enfants verts », qui se présente comme le récit d’un médecin écossais, ami de Descartes, et au service du roi de Pologne en 1656. Suivant le monarque aux confins du royaume, en Volhynie, il se blesse, doit rester dans les marais et découvre des enfants sauvages, dont la peau verte indique une nature mi-végétale, mi-humaine. Ils viendraient d’une contrée encore plus lointaine que la Volhynie, un monde d’harmonie dont le médecin ne saura jamais s’il existe, ce pour quoi il éprouvera l’éternel regret.

Si l’on pouvait douter du pessimisme total d’Olga Tokarczuk malgré son humour et sa poésie, il suffit de lire la dernière phrase de la dernière nouvelle de ces Histoires bizarroïdes : « Les ténèbres s’abattaient rapidement, mais, cette fois-là, de façon définitive. »

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Zemmour après la relaxe

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Eric Zemmour. Photo: Hannah Assouline.

Rétablir un enseignement patriotique de l’histoire est la première marche d’une reconstruction nationale


Eric Zemmour fut donc relaxé dans cette mystérieuse affaire Pétain. Ne revenons pas sur les raisons du procès ou les attendus du délibéré. Constatons simplement que la relaxe est logique, du moins si l’on considère que la justice est illégitime à trancher un point d’histoire. Les partisans d’Eric Zemmour peuvent-ils aujourd’hui trouver une utilité à cet acharnement judiciaire contre leur héros ?

On peut raisonnablement penser que la prochaine présidentielle se jouera sur la question identitaire et les défis civilisationnels auxquels le pays est confronté. Selon une enquête récente, nos compatriotes commencent ainsi à accepter l’idée que la France fait face à un danger mortel. Disparition non pas physique mais spirituelle, ontologique. Nation humiliée, attaquée, niée. Peuple remplacé. Peu importent les mots, la réalité seule compte et elle est cruelle. Enfin, pas vraiment. Lorsqu’un président explique à la chaîne américaine CBS, de façon décomplexée, qu’il nous faut « déconstruire » notre histoire, quatre ans après avoir – à Alger- taxé la colonisation de « crime contre l’humanité », les mots comptent un peu.

L’histoire est écrite par les vainqueurs

Zemmour pense que tout affrontement historique est politique… et il n’est pas le seul.

« L’histoire est écrite par les vainqueurs » affirmait déjà Brasillach, un an avant sa condamnation à mort par la cour d’assises de la Seine. Sans se référer à Guy Béart (« le premier qui dit la vérité doit être exécuté ») une journaliste explique la formule restée célèbre. L’intellectuel collaborationniste a ainsi « interrogé l’histoire du point de vue de son objectivité » et en a déduit que « à l’issue d’un conflit, elle sert toujours un projet politique »… en l’occurrence celui de la reconstruction nationale. Bingo! « La nécessité de développer une mémoire collective ferait ainsi un récit l’emporter sur un autre en occultant la version de la partie adverse. Ce qui pose la question : l’histoire peut-elle être une science exacte? » (J. Martin in Le Point, 14 novembre 2017).

La réponse est dans la question et ce qui importe est la place que doit tenir l’histoire de France au sein d’un processus de reconstruction nationale. Allègrement réécrite, cette science humaine qu’est l’histoire sert l’idéologie des dictatures comme des démocraties les plus « inclusives ». Propagande, roman national, bien-pensance euro-libérale. Rien n’a varié du point de vue de l’utilisation de l’histoire. Un mensonge répété dix mille fois devient-il vérité, comme le disait Goebbels? Il semble en tout cas que, hors les débats byzantins entre chercheurs, il n’y a jamais d’histoire qu’officielle pour les masses. Histoire partielle et donc partiale au service de l’idéologie au pouvoir, à l’image de celle libérale-libertaire relayée à l’école dite républicaine auprès de nos chères têtes de moins en moins blondes. Irritation des parents adversaires dudit pouvoir.

A lire aussi: Éric Zemmour: “Quand la France était grande”

De quoi parlons-nous? Zemmour mais aussi Brighelli, spécialiste de l’éducation, nous ont averti, études et enquêtes à l’appui. Baisse drastique du niveau général des connaissances, prismes de l’Education dite nationale repris avec enthousiasme par de jeunes instituteurs mal formés: droit-de-lhommisme, féminisme, écologisme, antiracisme, LGBT. Quel rapport avec l’histoire? Personne ne sait, mais chacun constate. Ma fille, cette année en classe de septième dans une école communale parisienne, a ainsi vu résumer le chapitre consacré à Louis XIV… à la traite triangulaire. Vu de mes yeux vus, juré craché! Ceci répondant, à l’autre bout de la chaîne – coïncidence sémantique savoureuse- à la multiplication de « départements d’études décoloniales » au sein des universités hexagonales. Lesquelles se rapprochent des campus américains. Lesquels nous renvoient en pleine figure notre French Theory. Le chanoine Robert de Sorbon, fils de paysan devenu confesseur de saint Louis et fondateur de la plus brillante université du monde, doit se retourner dans sa tombe lorsqu’il entend le jargon anti national qui emplit l’amphi Richelieu.

Refaire de petits Français

Ni instituteur ni pédagogiste, j’ai eu le privilège d’enseigner l’expression orale et entrevu le niveau en histoire des plus brillants élèves du pays et leur goût pour la chose historique. C’était déjà attristant. Aujourd’hui « parent 1 » d’une fille de cinq ans scolarisée au même endroit que son aînée, je ne puis que lui souhaiter une scolarité différente, uniquement envisageable si divine surprise il y a l’an prochain.

Puisque l’histoire n’est pas science exacte et ne saurait prétendre à l’objectivité, nombreux sont convaincus de la nécessité de réécrire le roman national. « Marronnier » repris par nombre de responsables politiques en référence à l’idée d’Ernest Lavisse, aucun ne mit en œuvre cette idée une fois arrivé aux affaires. N’en déplaise à Pierre Nora, faudra-t-il demain aller chercher chez Bainville ou Taine un nouveau regard sur la Grande Révolution? Rééditer Michelet pour remettre la République, ce mot devenu mantra et coquille vide, au cœur et à l’esprit de nos enfants? Accepter de confronter Paxton à Hilberg, Aron et Poliakov dans l’enseignement de l’Occupation? Plus complexe encore peut-être, ré-enseigner la géographie puisque, pour paraphraser Queneau, la géographie d’aujourd’hui est l’histoire de demain? Epargner aux élèves les prêches quotidiens (oui, quotidiens) sur les énergies renouvelables et le tri sélectif pour exiger des maîtres qu’ils enseignent, au moyen des cartes 2.0 projetées sur smartboards, la géographie physique, humaine et administrative? Que, à défaut d’avoir la chance de parcourir le pays à pied, en train ou à cheval, tout élève devenant collégien ait appris (grâce aux écrans ou au papier, peu me chaut) montagnes et fleuves qui font de la France le pays le plus visité du monde. Que chacun récite dans l’ordre et le désordre les départements aussi facilement que les anciennes provinces. Les rois de France et les dirigeants des cinq républiques. La liste des batailles glorieuses aussi, lesquelles permirent à notre pays, à leur pays, de demeurer libre et souverain depuis 1500 ans. Histoire et géographie comme les doigts d’une seule main, en somme. Et ce, aux fins de « refaire des petits Français », comme le propose Villiers, fondateur bien connu d’un lieu d’histoire élu en 2014 meilleur parc d’attraction du monde. Quand notre tête blonde, rousse ou brune aura cessé de subir la maltraitance du lavage de cerveau, ou plutôt de l’absence de cerveau, l’élève sera redevenu ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être, un Français. Il aura alors tout le temps de s’intéresser au changement climatique mondial ou aux couleurs des conteneurs dans lesquels il est sommé de jeter ses ordures ménagères.

A lire aussi, David Angevin: En finir avec la «déconstruction» de la France, enjeu vital de 2022

L’histoire de France, un instrument d’assimilation

La remise d’équerre de l’enseignement de l’histoire comme instrument d’assimilation aussi. Pour les mêmes raisons qu’un petit Français de Bretagne ou de Corse avait – à juste titre, peut-être- interdiction de parler la langue régionale dans les cours d’école il y a encore cinquante ans. Tout simplement parce que la France est « une et indivisible » et que sa seule langue est le français. Il devrait être interdit d’ignorer dates et actions des hommes qui ont fait le pays « à coups d’épée » (De Gaulle). Pourquoi la future ex ENA est-elle de facto réservée aux fils de profs, comme le rappelle Zemmour ? Parce que ce sont les seuls qui ont droit à des cours d’histoire de rattrapage (et du reste, évidemment) à la maison! Les seuls dont les parents souffrent de cette Bérézina pédagogique comme Zemmour pleurait, jeune homme, devant le fleuve russe. Quelle injustice, quel recul, quelle plus belle gifle à la promesse d’universalité de l’instruction depuis Ferry! Ce n’est ni aux parents ni à de talentueux présentateurs (Decaux ou Guillemin hier, Menant et Ferrand aujourd’hui), d’enseigner l’histoire. Encore moins aux imams qui captent la confiance des géniteurs des enfants des territoires islamisés, alors qu’ils n’ont aucune connaissance de la France éternelle. C’est aux instituteurs de la République française de tenir ce rôle en tous points d’un territoire reconquis.

Apprendre aux enfants de France d’où ils viennent pour leur permettre de savoir où ils vont, de refaire nation pour qu’ils puissent in fine se lever contre leurs ennemis. Pas à l’issue d’un pseudo service national, mais bien après avoir été formé par de nouveaux hussards. Permettre à notre jeunesse, pour citer Péguy, de faire l’inverse de ses parents et grands-parents. L’inciter à reconstruire ce que ces derniers ont déconstruit avec tant d’ardeur et d’efficacité, suite à une digestion douteuse des sociologues et philosophes Deleuze, Bourdieu, Derrida ou Foucault. L’enseignement de l’histoire comme première marche d’une reconstruction nationale, laquelle permettra seule la reprise en main de notre destin. Que voilà un beau point de programme pour un candidat patriote! Un point fédérateur, certainement.

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L’Amérique ne pouvait pas ne pas condamner Chauvin

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Des militants fêtent la condamnation de Derek Chauvin à Washington, 20 avril 2021 © Mihoko Owada/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22560374_000017

On peut aussi voir dans le procès hors normes de Derek Chauvin une inquiétante parodie de justice.


Dans une nouvelle et si touchante unanimité, la presse américaine comme française a salué le verdict de culpabilité de Derek Chauvin dans la mort de George Floyd. Peu ou pas de voix dissonantes dans le concert de louanges pour une Amérique « soulagée », comme l’écrit même un grand quotidien classé à droite.

Les systèmes judiciaires des pays occidentaux sont basés sur quelques principes communs, progressivement élevés au rang de dogme au cours des siècles : l’indépendance de la justice, la présomption d’innocence, une procédure équitable, l’égalité des armes entre le procureur et la défense ainsi que l’impartialité des juges. Ces principes ont-ils vraiment été respectés dans le procès du policier Derek Chauvin ? Si non, ce précédent devrait inquiéter.

Un procès très politique

L’affaire est présentée dans les médias comme une étape dans un combat forcément jamais achevé contre le « racisme systémique » de la police aux Etats-Unis. Pourtant, l’éventuel mobile racial n’a pas été une seule fois évoqué par l’accusation lors du procès. Dès le début, il a cependant été présenté comme coupable parce que Floyd était noir et Chauvin un policier blanc. « Croyez ce que vous voyez » (les désormais célèbres neuf minutes) n’a cessé d’affirmer le procureur, sans prendre en compte l’ensemble de la séquence où l’on voit Floyd résister activement à son arrestation, ou se plaindre dès avant l’arrivée de Chauvin sur les lieux qu’il ne peut pas respirer. Sans tenir compte de sa cardiopathie. Sans tenir compte des six grammes de Fentanyl dans son sang, un taux trois fois supérieur à la dose mortelle.

L’accusation a même réussi à présenter la toxicomanie de Floyd comme un problème médical contre lequel il luttait héroïquement. Face à une équipe de procureurs se relayant à la barre, avec le renfort de onze juristes privés, Chauvin disposait d’un seul avocat choisi sur un rôle de garde, sans grands moyens pour un procès spectacle de ce type. Le même département de la justice qui a refusé de poursuivre la majorité des casseurs lors des émeutes de l’année dernière a dépensé des dizaines de millions de dollars pour faire condamner Derek Chauvin…

Sans tenir compte non plus de l’indemnité de 27 millions de dollars accordée par la ville de Minneapolis à la famille de Floyd avant même l’ouverture du procès qui faisait peser une pression inacceptable sur les jurés.

Un jury sous pression de la foule et des médias

Sans tenir compte aussi des circonstances atténuantes mises en évidence par la défense : l’hostilité de la foule que Chauvin et ses collègues devaient surveiller les empêchant de prendre conscience de l’état de Floyd, le droit, non contesté par le procureur, qu’aurait eu Chauvin d’utiliser son Taser, ce qui n’aurait pas arrangé la condition physique de Floyd, mais aurait évité le film de cette insupportable scène.

A lire aussi, Alexandre Mendel: Le maccarthysme passe à gauche

Le plus grave est l’intimidation du jury. Le procès s’est déroulé à Minneapolis alors qu’il aurait dû être délocalisé. De façon incompréhensible, le juge a refusé d’isoler les jurés dès le début des débats. Ces derniers savaient donc parfaitement qu’un acquittement provoquerait émeutes et destructions à travers les États-Unis. Ils ont vu les nouveaux pillages dans la ville, leur ville, après la mort de Daunte Wright tué par une policière confondant son révolver et son Taser.  Ils ont vu ce qui est arrivé à l’un des rares témoins de la défense, une tête de porc étant retrouvée devant sa précédente maison et sa porte badigeonnée. Ils ont entendu la députée Maxine Waters en appeler à une confrontation s’ils rendaient le « mauvais verdict ». Ils ont sans doute légitimement pensé à eux-mêmes, à leurs biens et à leur famille. Aucun – et on le comprend – n’a eu le courage du juré numéro huit dans le film magistral de Sydney Lumet « Douze hommes en colère » qui, seul au départ, parvient à travers des questions légitimes, à retourner les autres jurés.

Avant même l’énoncé du verdict, lorsque le jury est entré en délibération, en violation de la séparation des pouvoirs, le président Biden a souhaité que Chauvin soit condamné.

La police dévalorisée ?

Ce qui est inquiétant n’est pas le verdict en soi (Chauvin est peut-être coupable, je n’en sais rien) mais la façon dont il a été rendu, en l’absence de « due process ». « Justice must not only be done; it must also be seen to be done”  dit le célèbre adage, consacré par la doctrine sous le nom de “théorie des apparences”. A Minneapolis, on a assisté à une caricature de justice, à une pression insupportable de la foule (the mob en anglais) face à laquelle l’appareil judiciaire américain a failli. Les conséquences sont graves. C’est l’ensemble de ce système qui est ébranlé dans ses fondements. Quelle confiance les citoyens peuvent-ils désormais accorder à une justice aussi sensible à la pression de la foule et des médias ?  

Depuis la mort de George Floyd, le métier de policier est complètement dévalorisé et les policiers démotivés. Conséquence, la violence explose dans les grandes villes, 32 meurtres et 158 fusillades de plus à Chicago depuis le début de l’année par rapport à 2020 et 13% de meurtres supplémentaires à New York. En dépit de tout ce qui a été écrit depuis un an, si l’on tient compte de la « race » (terme utilisé couramment aux Etats-Unis) des auteurs de crimes, il n’y a pas de preuves statistiques que la police est plus violente vis-à-vis des noirs que des blancs.

Malgré les réactions unanimes de la presse et de personnalités d’Obama à Zuckergerg, l’Amérique n’est pas « soulagée » par le verdict de Minneapolis, pas plus qu’elle ne l’a été par l’élection de Biden. L’Amérique est profondément divisée et une grande partie est profondément inquiète de voir des groupes minoritaires imposer leur agenda politique à travers l’intimidation et la violence, cette fois à l’encontre de la justice, avec la complicité des grands médias américains. L’ironie de l’histoire est que la majorité des victimes supplémentaires de la violence depuis un an sont des noirs. Mais ce vrai sujet ne semble intéresser personne.

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Idées noires

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© Soleil

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer nos lanternes !


Et voilà. Le boss du Musée de l’histoire de l’immigration, racialophile qui s’est découvert « noir sur le tard » (Libé dixit), secondé par une Défenseuse des droits, a rendu son Rapport sur la diversité à l’Opéra national de Paris. Méthode en 60 pages pour guérir ce grand corps trop pâle. « L’Opéra national de Paris n’est pas un lieu de diversité. Disons-le franchement : dans l’ensemble, c’est un monde blanc fort éloigné de ce à quoi ressemble la société française contemporaine. »

Répertoire blanc, ballet blanc, orchestre blanc, bureaux blancs. À cause de quoi on s’y grime. Triste souvenir du « blackface », caricature d’artistes noirs par des chansonniers blancs dans ces minstrel shows qui faisaient rire les ségrégationnistes. Américain, le blackface ? Pas du tout, assurent les rapporteurs. « Il trouve son origine dans la Commedia dell’arte avec le personnage d’Arlequin, ce valet bouffon stupide, paresseux et menteur, affublé d’un masque noir. » Masque et maquillage, poubelle. Jaunes, blancs, noirs, comiques, tragiques, exotiques, vous les voyez ? C’étaient des accessoires de théâtre. Abracadabra, ce sont des insultes. Roberto Alagna en Othello et Michel Leeb en Banania, même combat.

Passons le reste du rapport, propagande floydotraoriste sur le racisme systémique, déroulée au pas de charge faute de temps par deux amis qui nous veulent du bien. Dommage ! Dommage parce que les ballets kitschissimes du regretté Noureev sont un vrai sujet. Comme est un vrai sujet l’absence de musiciens « issus de la diversité » dans nos orchestres, Opéra compris. Sujet, pas procès. Le non-vivre-ensemble dans l’orchestre est-il un règlement administratif ou un tort partagé ? En banlieue, « demandez à des enfants qui n’ont pas grandi avec cette musique, ils vous décriront un corps étranger, un truc pour “les autres” » : ce sont les enfants qui ne veulent pas (et c’est l’authentique mélomane Lilian Thuram qui le dit).

À lire aussi : Pap Ndiaye nommé au Musée de l’Histoire de l’immigration: une décision dans l’air du temps

Dommage, dommage. Énième rapport pour rien. Rangeons-le. Mais avant, deux mots. Premier mot : les rapporteurs dressent une liste de personnalités qui « pourraient être valorisées », parmi lesquelles évidemment la soprano martiniquaise Christiane Eda-Pierre, mozartienne en titre (mais pas que) du palais Garnier dans les années 1970-1980. Gloire nationale et internationale disparue le 6 septembre dernier. Peu avant le rapport, Notre Président Macron recevait d’un « conseil scientifique » choisi par l’Élysée une autre liste. La liste des personnalités « qui ont rendu service à la République ou ont contribué à la richesse et à la diversité de notre histoire », que nos bâtiments publics ou nos rues s’honoreraient d’honorer, honneur auquel l’origine ou la couleur font obstacle. 318 noms de Berenice Abbott à Émile Zola. Pas de Christiane Eda-Pierre. Nos vigiles accusent l’Opéra de mésestimer sa valeur, et en même temps, au palais, tout le monde s’en fout.

Deuxième mot. Anthony, 11 ans, aime à la folie le ballet classique. Mais qui s’intéresse aux entrechats d’un élève perdu dans une petite école de la côte nigériane ? Anthony réalise donc une vidéo devant chez lui, à Lagos, sans musique, sur le béton, sous la pluie (tapez « anthonynigeria »). Solo si gracieux qu’il dépasse en quelques jours les 300 000 clics. Une ancienne étoile de l’American Ballet le trouve, lui obtient une bourse, et voilà Anthony dans l’avion de New York. Hollywood a déjà un scénariste sur le coup. Mais qu’attend l’Opéra de Paris ?

Britney Spears: la girl next door du Mississippi

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Justin Timberlake et Britney Spears, Philadelphie, 2002 © Chris Gardner/AP/SIPA Numéro de reportage: AP21950261_000001

Un documentaire sur la vie d’une icône, entre petite fiancée de l’Amérique et bad girl déjantée. Sur Amazon Prime Vidéo.

L’icône pop des années 2000, Britney Spears, que nous avions un peu oubliée, revient sur le devant de la scène en la faveur d’un documentaire : Framing Britney, disponible sur Amazon. Il retrace l’itinéraire de cette ex-petite fiancée de l’Amérique, qui, rendue folle par la pression médiatique et la traque des paparazzis, fut hospitalisée en psychiatrie et mise sous tutelle. « Free Britney » s’écrient ses fans, pour qui la mise sous tutelle est une mesure injuste et abusive voulue par son père, afin d’avoir la main mise sur sa fortune.

Ils sont plusieurs millions à vouloir sa libération, à l’exprimer dans la rue et sur les réseaux sociaux. Plusieurs millions de jeunes filles banales et malmenées par la vie ou d’homosexuels timides qui disent que Britney, girl next door du Mississippi les a aidés à vivre. Britney, c’est un destin comme seule l’Amérique sait en produire, à la fois grandiose, et banalement tragique.

Enfant prodige et télé-crochets

Elle est née en 1981 dans une petite ville du sud des Etats-Unis, au coeur de ce qu’on appelle la « Bible Belt », un concentré de bigoterie qui peut vite s’avérer mortifère. Son père a des problèmes d’alcoolisme et sa mère, une jolie femme digne, fait comme elle peut. Le décor est planté.

La petite Britney adore chanter et se débrouille plutôt bien. Ses parents parcourent donc le pays en train, ils ne sont pas assez riches pour se payer l’avion, pour présenter l’enfant prodige à des télé-crochets.

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Cela paya, car elle fut choisie pour animer le très populaire Mickey Mouse Club. La voilà propulsée enfant star, autre spécialité du showbiz américain qui se finit le plus souvent en tragédie pour les malheureux élus.

En 1998, avec le single Baby one more time elle devient en quelques semaines l’immense star que l’on sait. Elle même avoua ne pas y avoir compris grand-chose.

Fantasme sexy pour ados

Comme souvent dans un documentaire sur une personnalité, Framing Britney donne la parole à des proches. Le témoignage de son assistante des débuts, un amie de la famille qui joua le rôle de nounou, émerge. Cette femme transpire la sincérité, son visage s’illumine lorsqu’elle évoque ses souvenirs avec Britney, lorsque celle-ci n’était pas encore gâtée par la célébrité qui lui rendit la vie insupportable. Elle se remémore la fois où elles ont pris l’Eurostar, comme deux touristes américaines lambda : « Nous avons pris un train qui allait sous la mer entre Paris et Londres, jamais nous nous étions autant amusées ». À travers les images d’archives de ses débuts de grande star, nous voyons en effet que Britney semble s’amuser. Son visage aux yeux un peu trop écartés lui donnent un air toujours étonné, il resplendit, ses cheveux sont toujours plus blonds et son sourire plus éclatant. Elle dégage une « sexitude » de bon aloi, entre la jolie fille du lycée qui fait rêver les garçons et la porn star habillée en écolière qui les fait bander.

Au fur et à mesure des extraits, on la voit s’étioler un peu, se mettre presque en colère lorsqu’on la traite de diva, lors des interviews, elle semble mal à l’aise et répond par des onomatopées dignes de Betty Boop, c’est à la fois touchant et ridicule.

La vengeance des puritains

Les histoires d’amour finissent mal en général, surtout celles des stars. Sa romance avec le chanteur pour minettes Justin Timberlake appartient à l’Amérique entière, ils font la couverture de dizaines de journaux, parcourent les shows télé. La petite culotte de Britney appartient aux Américains : leur grande préoccupation étant de savoir si celle ci est vierge. Bien sûr que oui, affirme-t-elle devant le pays entier, de sa voix de dessin animé.

Seulement, Britney a eu l’audace de croire qu’elle était une jeune fille comme les autres. Et là s’amorça la chute. Elle rompt avec Justin, celui-ci prétendit qu’elle l’avait trompé ; et pire, prononça le « f word » à son sujet : « I fucked her ». Elle commit le pêché de chair, et cela, est, aux yeux de l’Amérique profonde et puritaine qui constitue son public, impardonnable. Celle qui peuple les rêves érotiques de milliards de garçons n’a pas le droit de se donner à un seul. Une sénatrice déclare même sur un plateau télé qu’elle méritait pour cela la mort. S’emballe alors la deus ex machina. Un mariage éclair avec un vague chanteur aux allures de mauvais garçon, un enfant, puis deux.

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La girl next door se transforme en party girl en compagnie de la sulfureuse Lindsay Lohan. Les paparazzis l’étouffent littéralement. Elle divorce. On parle de lui retirer la garde de ses enfants. Pour la première fois elle éclate en sanglots sur un plateau télé. Et puis, un soir de février 2007, alors qu’elle se sait filmée, Britney, pour une fois décide de se réapproprier sa vie, en un geste fou et définitif. Elle pénètre dans un salon de coiffure, s’empare d’une tondeuse et se rase la tête. Geste hautement symbolique, la chevelure c’est la féminité, la métaphore de la sexualité, mais aussi dans son cas, à travers ses multiples transformations capillaires, le symbole de sa soumission à son personnage de star. En se rasant la tête, Britney hurle au pays entier d’aller se faire voir.

Mais la petite fiancée de l’Amérique ne peut pas se transformer comme ça en bad girl. Elle sera internée puis mise sous tutelle. Depuis, elle fait consciencieusement son métier de star toujours adulée du public. Et donne le change en se filmant en mère modèle sur Instagram. « My lonelyness is killing me » (ma solitude me tue), chantait-elle. Truffaut avait raison, les chansons populaires disent vrai.

Framing Britney Spears.
Documentaire à voir sur Amazon Prime Vidéo.

Le Pakistan, le « Pays des Purs»?

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Partisans du parti islamiste Tehreek-e-Labbaik, Lahore, Pakistan, le 18 avril 2021 © Rana Sajid Hussain/Pacific Press/Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40843646_000030

Face aux attaques contre la France et sa liberté d’expression, une stratégie uniquement défensive est vouée à l’échec: il faut contre-attaquer, sur les plans culturel, juridique et même militaire. Analyse


On sait depuis longtemps que l’obsession de la pureté conduit toujours à l’horreur. On sait aussi que le Pakistan est un cas « chimiquement pur » de « séparatisme islamique » : d’abord colonisation de l’Inde par les armées de l’islam, puis séparatisme au sens le plus littéral du terme, et maintenant place forte (parmi d’autres) de l’impérialisme islamique.

Ce pays est la base arrière des Talibans. Ce pays était le refuge d’Oussama Ben Laden. C’est aussi le pays où Asia Bibi a été condamnée à mort pour avoir, chrétienne, bu l’eau d’un puits réservé aux adeptes de la religion « de paix et de tolérance », et n’a été sauvée que grâce à une extraordinaire mobilisation internationale. La haine anti-française se fait de plus en plus intense au Pakistan, et de plus en plus visible, au point que plusieurs policiers sont morts ou ont été enlevés dans le cadre de manifestations anti-blasphème et anti-France. Le Quai d’Orsay recommande maintenant à nos ressortissants de quitter le pays.

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La « ministre des droits de l’Homme » (!) du Pakistan écrivait fin 2020 sur Twitter que « Macron fait aux musulmans ce que les nazis infligeaient aux juifs ». Le premier ministre Imran Khan a récemment déclaré, toujours sur Twitter : « J’appelle les gouvernements occidentaux qui ont interdit la négation de l’Holocauste à utiliser les mêmes principes pour condamner juridiquement ceux qui diffusent délibérément des messages de haine envers les musulmans via les injures faites à notre Prophète. » Le tout après des tweets évoquant l’islamophobie, le racisme anti-musulmans, et le fait que 1,3 milliards de croyants exigeraient les excuses de ceux qui insultent le prophète qu’ils aiment et portent dans le cœur. On dirait presque un condensé d’éditoriaux du New York Times et de tribunes de Médiapart !

Haine anti-française et comparaisons avec la Shoah

On voudrait en sourire, mais ce serait oublier l’influence de telles déclarations jusqu’en France, oublier que lorsqu’Imran Khan affirme « qu’il viendra un moment où les Occidentaux y réfléchiront à deux fois avant de manquer de respect au prophète » il dispose de l’arme nucléaire, que son pays a des liens avérés avec le terrorisme jihadiste, et une diaspora à l’incontestable pouvoir de nuisance – l’horreur des « grooming gangs » en constitue une terrible illustration (en même temps qu’elle montre l’abjection morale du soi-disant « antiracisme progressiste » qui a conduit à longtemps cacher ces crimes).

On pourrait évoquer les turpitudes de la politique intérieure du pays, ou sa volonté d’exister au sein du monde musulman en brandissant la bannière de l’honneur du Prophète. On pourrait analyser point par point les déclarations d’Imran Khan : l’indécence de la comparaison avec la Shoah, la fameuse « islamophobie », la fiction du « racisme anti-musulman », par définition impossible puisqu’une religion est une croyance et un choix, et non une caractéristique « raciale » c’est-à-dire génétique, et ainsi de suite. Mais ce serait se concentrer sur l’arbre qui cache la forêt : ces attaques du Pakistan contre la liberté d’expression s’inscrivent dans un mouvement bien plus vaste, et bien plus inquiétant.

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D’abord de la part du monde musulman, qui rêve d’imposer le délit de blasphème et une censure planétaire par le biais du droit international – c’est même l’un des principaux combats de la Ligue Islamique Mondiale comme de l’Organisation de la Coopération Islamique. Ensuite par le mouvement woke et sa « cancel culture », désormais dominante dans une grande partie du monde anglo-saxon, et qui hélas ne nous épargne pas. Par la modération de plus en plus ouvertement militante des réseaux sociaux. Enfin par nos propres lois mémorielles, dont l’instrumentalisation contre le remarquable historien Olivier Pétré-Grenouilleau suffirait à prouver qu’elles sont intrinsèquement problématiques.

Face à ces attaques répétées, permanentes même, se contenter de défendre la liberté d’expression ne saurait être suffisant : toute posture exclusivement défensive est vouée à l’échec, les vagues finissent toujours par ronger la falaise. Il faut contre-attaquer, et sur plusieurs fronts. J’en vois sept.

Le premier, proclamer la liberté d’expression comme un objectif à étendre au monde entier, car elle ne s’oppose pas à la liberté de conscience et de pensée, mais en est au contraire la condition concrète. On ne peut véritablement penser que ce dont on peut débattre, et on ne peut débattre que de ce que l’on peut dire, y compris pour le contredire. Il doit bien sûr y avoir des limites, en particulier l’incitation aux véritables crimes, mais toute borne mise à la liberté d’expression est en soi une chose grave. Soyons fiers d’avoir pour idéal la vitalité intellectuelle et la liberté paisible que Tacite attribuait aux règnes de Nerva et Trajan : « Bonheur d’une époque où l’on peut penser ce que l’on veut, et dire ce que l’on pense. » Les Occidentaux n’ont pas à rougir d’être les héritiers des Césars.

La France doit se trouver des alliés

Le second, utiliser cette liberté ! Ce n’est pas tout de dire que la liberté d’expression est nécessaire au plan théorique, si nous n’en faisons pas usage nous finirons par la perdre. Provoquons, caricaturons, blasphémons ! On peut préférer débattre de manière mutuellement respectueuse, seulement voilà : s’astreindre à respecter la susceptibilité d’autrui, c’est donner aux plus susceptibles le pouvoir de décider arbitrairement des limites du débat, et c’est donc empêcher tout débat puisqu’il y aura toujours des gens qui considéreront toute critique, si courtoise et argumentée soit-elle, comme une insulte. De même qu’il faut régulièrement tailler une haie, il faut régulièrement dire ce que certains voudraient que l’on ne dise pas, sous peine de laisser s’étendre le domaine déjà bien trop vaste de ce qu’il ne faut pas dire. #JeSuisCharlie Mais attention ! Ne laissons pas croire ou faire croire que la liberté d’expression se réduirait au droit de dessiner un personnage historico-mythologique en train de se faire enc…. : si ce n’est que ça, pas étonnant que beaucoup se disent qu’après tout, on peut bien y renoncer. Nous devons impérativement défier les tabous aussi par la beauté et l’élégance, en proclamant la célébration de la liberté par la beauté et l’élégance, dans la tradition des blasphèmes héroïques d’Homère, de la sensualité des drapés antiques, de la ferveur des vers de Sappho, de l’insolence de certaines enluminures médiévales et de l’irrévérence de Molière. La plume de Hugo ou le pinceau de Delacroix trouveraient bien des manières de s’opposer à la pudibonderie maladive de Facebook, aux susceptibilités sans cesse plus nombreuses des woke, ou aux innombrables interdits absurdes de l’islam, notamment en matière de musique et de représentations figurées.

Le troisième, chercher des alliés. Qui que vous soyez, il existe quelqu’un, quelque part, qui est offensé par les convictions auxquelles vous tenez, par ce que vous admirez, ou par ce qui vous fait rire. Par conséquent, qui que vous soyez, vous êtes susceptible d’être victime de la censure. Et où que vous soyez, viendra le jour où les woke et les islamistes tourneront leur regard vers vous. Il nous faut nous adresser à ceux qui ont soif de liberté au sein du monde arabo-musulman, dont l’exemple est une inspiration et une mise en garde, il nous faut parler avec les religions autres que l’islam, et notamment les instances bouddhistes ou l’Eglise Catholique. On sait l’ambiguïté d’une trop grande partie de son clergé sur le sujet, à commencer par le Pape. Et pourtant ! L’Eglise ferait bien de se souvenir que les arguments que l’on lit aujourd’hui sous la plume d’Imran Khan, de la LIM ou de certains sociologues bien-pensants sont très exactement ceux qui ont été utilisés contre le Pape Benoît XVI suite au discours qu’il prononça à Ratisbonne, il y a déjà 14 ans, discours qui n’avait rien d’injurieux ni de vulgaire, mais constituait une analyse de type universitaire, raisonnée, argumentée et de très haute volée.

Le quatrième, retourner les arguments de nos ennemis contre eux. Voilà la contre-attaque à proprement parler. Un dessin du prophète de l’islam serait un blasphème ? Mais l’islam tout entier est un blasphème ! Le Coran passe son temps à blasphémer contre toutes les autres religions, à insulter leurs fidèles, et à appeler à les haïr – avec hélas un incontestable et sanglant succès. « Les associateurs (polythéistes et chrétiens trinitaires) ne sont qu’impuretés » (s9v28), « l’association est plus grave que le meurtre » (s2v191) « Ce sont certes des mécréants ceux qui disent « En vérité, Allah c’est le messie, fils de Marie » (….) Quiconque associe à Allah, Allah lui interdit le Paradis, et son refuge sera le Feu ! » (s05v72) « Les Juifs disent « Uzayr est fils d’Allah » et les Chrétiens disent « le Christ est fils d’Allah ». (….) Qu’Allah les anéantisse ! » (s9v30) On pourrait continuer longtemps. Sans oublier que le Coran présente le Dieu Suprême comme un tyran arrogant, capricieux, d’une susceptibilité infantile, imposant des lois arbitraires, égocentrique au point de considérer qu’il est plus grave de vénérer quelqu’un d’autre que de massacrer des milliers d’innocents. Voilà ce qui s’appelle blasphémer, et dans les grandes largeurs ! Il faudrait criminaliser le blasphème ? Soit, mais alors dans ce cas commençons par criminaliser toute diffusion des textes sacrés de l’islam.

Gare au droit supranational

Le cinquième, juger sans hésiter ceux qui prétendent nous juger, dénoncer les turpitudes des donneurs de leçons. C’est vrai des woke qui se choisissent pour égéries une marxiste multi-millionnaire là, une famille de délinquants et un célèbre violeur ici, et des antisémites partout. C’est vrai des pays dont la constitution et les lois sont bâtis sur la « religion de paix et de tolérance » et qui criminalisent l’apostasie, donc la liberté de conscience : voilà bien un point sur lequel nous devons les condamner sans réserve, et qui devrait les mettre au ban de toute assemblée se voulant civilisée. La diplomatie et le réalisme imposent parfois de traiter avec les barbares, pas d’enseigner qu’il faudrait considérer leurs petits tabous comme des demandes raisonnables, n’en déplaise à ceux qui préfèrent le profit à la civilisation et sont prêts à toutes les compromissions au nom des affaires. Léonidas ne s’est pas soucié de commercer avec Xerxès, ni Churchill avec Hitler.

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Le sixième, prendre au sérieux le front du lawfare, la guerre juridique. Nous avons encore trop souvent des instances internationales une vision totalement biaisée, rémanence d’une époque où elles étaient habitées par un certain idéal hérité de l’Occident qui les avait créées. Mais quand on voit que l’ONU vient d’élire l’Iran et le Pakistan à sa Commission des Droits des Femmes, tout est dit ! N’oublions pas non plus qu’elle avait déjà admis l’Arabie Saoudite et le Soudan au sein de son Conseil des Droits de l’Homme, CDH qui, comme le disaient entre autres Elisabeth Badinter et Elie Wiesel dans une remarquable tribune publiée en 2008, est « devenu une machine de guerre idéologique à l’encontre de ses principes fondateurs. » Il suffit de la lire pour se convaincre du danger que le droit surpanational représente désormais pour nos libertés fondamentales, et donc de l’urgence de remettre en cause notre dépendance à ce droit qui nous échappe de plus en plus.

Le septième enfin, sécuritaire et militaire. Ne nous leurrons pas : s’ils en ont un jour le pouvoir, les inquisiteurs woke comme les fous d’Allah n’hésiteront pas une seconde à nous imposer leur idéologie et leur censure par la force, c’est ce qu’ils font déjà partout où ils en sont capables. Les manœuvres militaires turques contre la Grèce, les appels de certains prédicateurs pakistanais à frapper la France du feu nucléaire, la main-mise « progressiste » sur les réseaux sociaux, et j’en passe, sont des menaces géostratégiques majeures auxquelles nous ne pourrons répondre que si notre souveraineté est garantie, y compris par les armes.

Les mêmes personnes ne pourront pas se battre sur tous les fronts, ne serait-ce que parce qu’il serait difficile de concilier l’éloge de la liberté d’expression et le retournement des arguments de nos ennemis pour les censurer, eux ! Former des alliances n’en est donc que plus important, sans jamais perdre de vue l’objectif final, et sans jamais céder aux tentatives d’intimidation qui ne manqueront pas d’arriver. Voilà à quoi nous devons nous consacrer, par-delà les vieux clivages qui, face à de telles menaces, n’ont plus de raison d’être.

La France se porterait-elle mieux si elle était une monarchie républicaine?

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Emmanuel Macron saluant la reine Elisabeth II lors de la commémoration du 75ème anniversaire du débarquement, Portsmouth, 5 juin 2019 © Jack Hill/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22343732_000053

Nous pâtissons des vices de la République et nous sommes privés des vertus de la royauté, selon Philippe Bilger

Aujourd’hui on ne couperait plus la tête du roi…

Emmanuel Macron avait raison quand il soulignait la béance, le vide créés dans notre espace démocratique par la mort de Louis XVI et l’obscure nostalgie d’une période de notre Histoire, que les horreurs de 1793 et la guillotine fonctionnant à plein régime n’ont fait qu’aviver. Dans nos tréfonds, on s’habitue mal à l’absence d’une légitimité mise à mal par un bouleversement révolutionnaire malgré la mythologie dont on l’entoure et la volonté de nous faire croire que la France n’aurait vraiment commencé qu’en 1789.

Les partisans d’une monarchie, d’un roi, respectés parce que détachés du tout-venant et des ambitions dérangeantes, ne seraient plus autant tournés en dérision et trouveraient probablement une écoute moins ironique de la part de beaucoup. Certes le régime républicain continue à dominer très largement dans l’esprit public mais d’abord parce qu’il serait trop provocateur de l’estimer substituable par un autre.

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À considérer certains signes moins superficiels qu’on ne le pense, j’éprouve l’impression, chez moi le premier peut-être, d’une impossibilité et en même temps d’un regret lancinant.

L’engouement pour la couronne

La passion avec laquelle on a regardé The Crown, l’intérêt que nous portons à la monarchie britannique et à d’autres en Europe, l’admiration que nous éprouvons pour la reine Elisabeth II, la considération de la pompe et de l’allure dans lesquelles les obsèques du Prince Philip se sont déroulées, la distance émue qui a été la nôtre face à tant d’événements qui ne relevaient pas à proprement parler de notre monde, ont montré, et pas seulement chez les épris par principe de ces péripéties royales, comme un sentiment de familiarité, presque d’appartenance.

Un autre univers sans doute mais dont la tradition assumée, contre toutes les vulgarités du modernisme, nous faisaient du bien, parfois à notre grand étonnement.

Une monarchie républicaine factice

Nous serions, nous, en monarchie républicaine depuis l’élection du président de la République au suffrage universel ? Tristement je réponds affirmativement à cette interrogation mais avec le constat immédiat que nous pâtissons des vices de la République et que nous sommes privés des vertus de la royauté.

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Non pas que celle-ci, où qu’elle se trouve, n’ait pas connu de dysfonctionnements, de scandales ou d’injustices. Mais la plupart du temps, opposant aux débats politiques multiples, aux affrontements partisans, à l’écume sectaire et idéologique et à la droite ou à la gauche de gouvernement un comportement apparemment neutre, stable et serein, elle permet aux citoyens au moins de se garder d’une inimitié totale, d’une contradiction globale et systématique. Elle se sauve et elle est sauvée du désastre quotidien d’un engagement absolu. En surplomb elle n’est pas indifférente ni désengagée. Mais son engagement est pour le pays, pas pour le parti que l’élection, un temps, a rendu dominant.

Un président qui se prend pour un roi

Si peu de monarchie avec un président de la République qui, n’ayant jamais été un arbitre, ne cesse de s’abandonner avec volupté, avec un ascétisme feint, un sens du devoir forcé, à la jouissance d’un pouvoir de moins en moins limité. Surtout quand le Premier ministre est tenté de se laisser grignoter ses attributions par révérence, par complaisance.

Si peu de République avec un président usant et abusant du Conseil de défense, avec une vie parlementaire sans aucune équité démocratique (faute de proportionnelle), un groupe majoritaire où quelques personnalités choisies dissimulent une masse inconditionnelle, un pouvoir d’injonction plus que de délibération, une rétention plus qu’un partage, une apparence populaire mais une réalité régalienne…

Un roi trop plongé dans la mêlée pour être consensuel. Une République diminuée avec un monarque trop puissant.

Nous sommes les sujets, les citoyens d’une monarchie républicaine qui représente une synthèse médiocre et très imparfaite entre la grandeur, l’allure et l’impartialité d’une monarchie exemplaire et le caractère pluraliste, égalitaire d’une République digne de ce nom.