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Le bistrot: dernier refuge du réalisme poétique

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Mi-mars, les députés ont adopté une loi visant à faciliter l’obtention de la « précieuse » licence IV dans les communes rurales de moins de 3 500 habitants pour que les bistrots ne meurent pas. En attendant que ce texte soit approuvé par le Sénat, Thomas Morales se félicite de cette action en faveur du dynamisme, de l’attractivité et de la solidarité dans nos campagnes


Quand un bistrot disparaît dans un village, c’est une forme d’humanité silencieuse que l’on abat. On supprime un lieu de rendez-vous, une échappatoire à la solitude, une aire d’apaisement dans le fracas du monde, un lieu de vie qui serait à la fois une borne temporelle et une République en miniature. Ces derniers temps, on médit beaucoup sur le travail parlementaire, sur l’impossibilité de trouver un compromis politique ; il semble pourtant que lorsque notre Nation est en danger, nos députés savent encore se mobiliser en votant une proposition de loi pour enrayer le déclin du zinc et assouplir le cadre législatif pour l’octroi de la célèbre licence IV dans les communes rurales. Le réseau 1000 cafés a largement œuvré à cette prise de conscience en remettant le café au centre du village, c’est-à-dire en lui attribuant des vertus économiques et solidaires, touristiques et civilisationnelles. Il fallait oser dans un pays neurasthénique sur les addictions affirmer que le bistrot était le vecteur de l’intérêt général. Que le débit de boisson était intimement lié à la santé mentale de nos concitoyens les plus éloignés des centres urbains.  « Quand le bistrot va, tout va » me disait ma grand-mère, négociante en vins des terres reculées. Elle se souvenait de l’époque bénie où chaque petite municipalité disposait d’une dizaine, voire plus, de cafés ; certains peuplés du matin au soir, brassant des ouvriers et des notables, d’autres tenus par une seule patronne sans âge, modeste troquet ressemblant à une salle à manger en formica avec napperons accordés qui ne voyait qu’un client par jour, lui arrondissant ainsi sa pension de veuve de guerre. Sans le bistrot, sans cet épicentre, la province perdrait son socle unificateur et son forum nécessaire à toute cohabitation heureuse. Sans cette halte au milieu d’autres humains, dans leur différence et leur complexité, leur joie et leur peine, la vie de chacun serait seulement orchestrée, régie, cadenassée par la virtualité des réseaux. Voulons-nous que les campagnes soient des citadelles à l’abandon ? Car les chiffres font froid dans le dos, la désertification s’est même accélérée ces dernières années. On comptait 500 000 bistrots au début du XXème siècle, 200 000 il y a 50 ans et moins de 35 000 en 2020. Le Covid et son long cortège de restrictions auront achevé ce processus de délitement. On pourrait s’en amuser, figer le bistrot dans un folklore dépassé, une bigoterie populaire charmante mais complètement anachronique, le discréditer en raison des ravages de l’alcool et oublier sa participation active à la cohésion d’un « territoire ». Au bistrot, on retrouve les copains, ceux de toujours, de l’école communale et même ses ennemis héréditaires, on y parle, on y joue, on y philosophe, on y marchande, on y dit beaucoup de conneries, c’est la grandeur d’une vieille nation, on y boit aussi de la limonade, parfois on y mange, on y lit la Presse Quotidienne Régionale, on y commente le match du dimanche et les interventions télévisées d’un candidat putatif, on y blague, on se moque et on pleure quand nous apprenons le décès d’une connaissance. Il est notre frise chronologique, notre Lavisse couleur café. Le bistrot est le contraire d’un vase clos, d’un entre-soi délétère, les générations s’y rencontrent, peut-être est-ce l’unique endroit où des retraités et des jeunes travailleurs causent encore ensemble ? Ce lien fragile, qui paraît dérisoire dans l’Océan des interconnexions planétaires, est une source d’espoir. Tant qu’il y aura des bistrots, nous aurons quelque chose à nous raconter, à partager, à batailler. Il suffit de se promener partout en France, du Berry au Pays du Léon pour constater qu’une pléiade de gens n’appartenant pas aux mêmes classes d’âge s’y croise. Dans quel autre lieu, un tel miracle se produit-il ? Plus à l’école et bientôt plus à l’hôpital. Je repense à cette phrase de Jacques Perret dans son roman, Les biffins de Gonesse : « La rue ne bougeait pas, les bruits de la ville s’étouffaient dans la chaleur ». Cette chaleur-là nous est vitale. C’est pourquoi je suis bistrot comme Guy Marchand affirmait : je suis tango !

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Les « Contes de Perrault », une féérie lyrique

Le Théâtre de l’Athénée accueille une remarquable production des Contes de Perrault, avec les musiciens de l’ensemble Les Folies parisiennes. Les costumes sont superbes, la musique est légère, et l’esprit léger.


Avec Europera, John Cage avait eu l’idée poétique et loufoque, une idée à la John Cage, de faire chanter de grands airs lyriques dans des costumes, des décors emblématiques et des environnements sonores d’ouvrages différents. De façon à faire entendre une walkyrie costumée en Tosca s’époumoner dans un décor d’Aïda, ou « La donna e mobile » dans un environnement sonore et visuel japonais.

C’est un peu ce qu’ont osé, il y a légèrement plus de cent ans, le compositeur Félix Fourdrain et ses deux librettistes, Arthur Bernède et Paul de Choudens dans ces Contes de Perrault que ressuscite aujourd’hui l’ensemble des Frivolités parisiennes. À ceci près que les héros conservent leurs tenues emblématiques, mais glissent de personnage en personnage au gré des délires du livret.

Dans ces Contes de Perrault Belle Époque, le premier venu d’entre eux, le Petit Poucet, sera métamorphosé successivement en prince Charmant et en Riquet à la houppe, cependant que Cendrillon se glissera dans Peau d’âne et se réveillera en Belle au bois dormant.  

En 1913, à la Gaîté Lyrique

L’ouvrage avait a été créé un 27 décembre 1913, dans ce Théâtre de la Gaité lyrique qui accueillera plus tard une saison des Ballets Russes, sera saccagé par la municipalité chiraquienne dans les années 1980, transformé hideusement dans les années 2010, et qui sera occupé en 2025 durant plusieurs mois par quelques centaines de jeunes migrants. Et c’est une magnifique, voire une héroïque entreprise de la part des Frivolités parisiennes que d’avoir osé rendre vie à un auteur à succès totalement oublié aujourd’hui, et à quelque chose oscillant entre l’opéra-bouffe et l’opéra comique, qu’on nommerait désormais comédie musicale. L’entreprise est d’autant plus extraordinaire que cette production considérable qui a vu le jour à l’Opéra de Reims mobilise un orchestre de trente musiciens, une vingtaine d’exécutants sur scène, solistes, choristes et danseurs, et un nombre incalculable de collaborateurs. Ce qui, par les temps qui courent, apparaît comme infiniment courageux et très bénéfique pour les artistes.

Allante et spirituelle

Sous la direction enjouée et complice de Dylan Corday, les musiciens de l’Orchestre des Frivolités parisiennes s’engagent sans restriction et sans bouder leur évident plaisir à œuvrer ensemble. Tout en ne rompant pas tout à fait avec l’aimable mièvrerie de l’opérette à la française, la musique est allante et spirituelle. Et l’orchestre l’est aussi qui exécute avec allégresse une partition tout en fraîcheur, délivrant ici et là de jolies mélodies. Sur scène, les artistes s’engouffrent avec énergie dans une fantaisie conteuse qui vire dès les premières scènes à la hardie bouffonnerie. 

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Las ! Même s’il leur arrive d’inventer des textes loufoques et versifiés avec une drôlerie bien dans l’esprit de l’époque, Bernède et Choudens n’ont ni l’abatage ni l’humour iconoclaste de Meilhac et Halévy, quoi qu’ils leur emboîtent parfois le pas avec bonheur. Fourdrain, il s’en faut de beaucoup, n’est pas non plus Offenbach. Du coup, l’on rêve de ce que ce dernier et ses acolytes eussent pu faire d’explosif  avec ces Contes de Perrault. Quant aux textes  parlés, actualisés, ils ont parfois une saveur de fête de fin d’année qu’on se serait volontiers épargnée.

De multiples trouvailles

Aussi admirable que soit cette entreprise, aussi  franchement engagés que soient les artistes, il manque à cette fantaisie lyrique, à tout ce travail remarquable des Frivolités parisiennes, un je ne sais quoi  de canaille ou d’acide, un quelque chose de suprêmement frivole ou insolent qui emporteraient vers d’autres dimensions un spectacle qui demeure un peu gentillet, dans un esprit de pensionnaires dont on n’a su se défaire.  On peut accabler les Frivolités parisiennes de compliments, ainsi que cela se fait dans les journaux, en hommage sans doute à de précédentes et heureuses productions. ; on peut même qualifier le spectacle de désopilant… Mais pourtant, c’est bien précisément ce qui lui manque : être désopilant. Comme si en France, à force de goût pour la mesure et la bienséance, à force d’être soucieux de son image,  on ne savait pas délirer et se dégager d’un esprit d’opérette aux relents  provinciaux d’avant-guerre. Comme si les artistes lyriques ne parvenaient pas à se faire bons acteurs.

Et c’est dommage au vu des multiples trouvailles qui pimentent la réalisation de ces Contes de Perrault. Aussi bons chanteurs qu’ils soient, les artistes ne parviennent pas à se départir d’un esprit de pensionnat versaillais. Et à l’exception de quelques-uns d’entre eux, malgré un engagement sans faille, ils manquent de chien, Chat botté compris.

Il eut fallu une direction d’acteurs plus audacieuse, grinçante, un peu déjantée. Et plus que de belles voix, de l’ironie mordante,  une dégaine d’un chic ravageur. De façon à  éviter à ces Contes une trop aimable et trop sage apparence.  

On se souvient qu’Offenbach préférait avoir pour interprètes de ses chefs-d’œuvre débordant d’humour des comédiens plutôt que des chanteurs.

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Des costumes d’une ingéniosité époustouflante

S’il est en revanche un terrain où cette réalisation des Contes de Perrault fait merveille, c’est bien celui des costumes d’une folle fantaisie et d’une ingéniosité époustouflante. Ils ont été créés par Vanessa Sannino assistée de Ninon Le Chevalier, aidées dans leur réussite par les masques et marionnettes de Carole Allemand.

Costumes des hypocrites parents du Petit Poucet devenus roi et reine d’opérette,  de la marâtre de Cendrillon et des deux méchantes sœurs, de Barbe Bleue encore, ou du Chat botté, lui plus élégant que fantasque, ils sont aussi inventifs qu’extravagants, délirants même, mais sans faute de goût. Même si celui de Cendrillon au bal est fort décevant, et celui de la fée Morgane, figure du cycle arthurien étrangement collée dans l’univers de Perrault, moins féérique qu’on eut pu l’imaginer.  Cette fantaisie « hénaurme » des costumes, c’est sans doute la voie qu’auraient dû suivre plus résolument la mise en scène et la direction d’acteurs, pourtant efficaces, on le voit, avec la marâtre ou la Barbe Bleue.


Les Contes de Perrault avec Les Folies parisiennes

Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 17 avril ; 01 53 05 19 19 ou www.athenee-theatre.com
Théâtre impérial de Compiègne, le 24 avril.
Théâtre Raymond Devos de Tourcoing, le 27 avril.
Opéra de Dijon, du 21 au 26 novembre.

Musique de chambre et printemps normand

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Deauville s’apprête à vivre au rythme des concerts de son 29e festival de Pâques. Un rendez-vous incontournable pour tous les amateurs de musique de chambre. 


Ce samedi 12 avril marque le coup d’envoi du 29e festival de Pâques de Deauville. Sous la houlette d’Yves Petit de Voize, son fondateur, les générations de musiciens se succèdent et se rassemblent par l’excellence de leur art. Depuis 1996 et les premiers pas de Renaud Capuçon, pas moins de cinq générations se sont cooptées : les aînés tendent la main à leurs cadets au concert comme au disque – preuve en est avec la remarquable collection « Deauville Live », du label b-records.

Répétition à Deauville… sous le regard d’Yves Petit de Voize et du chef Pierre Dumoussaud. Photo: Claude Doaré

Jusqu’au 26 avril, la musique de chambre est donc mise à l’honneur, de Mozart à Debussy en passant par Schubert, Beethoven, Chausson et Webern. Des programmes exigeants qui permettent aux musiciens de se retrouver sur scène pour former un trio, un quatuor ou un orchestre et de faire éclater leur talent et leur complicité. Cette complicité qui fait partie de l’ADN de ce festival se partage avec le public. La salle Élie de Brignac-Arqana, vaisseau de bois posé face l’hippodrome, à deux pas des Planches, offre une rare proximité avec les instrumentistes et les chanteurs, ainsi qu’une magnifique acoustique.

A lire aussi, Raphaël de Gubernatis: Les « Contes de Perrault », une féérie lyrique

Lors de cette 29e édition, les amateurs retrouveront ceux qu’ils ont vus « grandir » et gagner en maturité, tels l’altiste Lise Berthaud, le violoncelliste Yan Levionnois, les pianistes Adam Laloum et Théo Fouchenneret ainsi que beaucoup d’autres pépites. Quant aux fidèles, ils seront heureux d’écouter lors de ce week-end d’ouverture le non moins fidèle parrain du festival, le violoniste et chef d’orchestre Augustin Dumay dans un programme Chausson, Debussy, Ravel, le samedi 12, puis Richard Strauss, le dimanche 13.

Mozart, Bach et Tchaïkovski, entre autres, seront applaudis lors des concerts du week-end suivant, et il en sera ainsi jusqu’à la fin du mois… en attendant l’Août musical (du 31 juillet au 9 août), le pendant estival de ce rendez-vous pascal à ne pas manquer.


Tout le programme sur : https://musiqueadeauville.com/

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L’Occident à l’Ouest

Pour avoir cru la fin de l’Histoire advenue avec la chute de l’URSS, les Européens se sont désarmés et donné pour mission sacrée d’abolir leurs singularités. Tirés brutalement de l’anesthésie générale par les bouleversements du monde, ils peinent aujourd’hui à répondre à cette question vitale : qui est notre ennemi ?


Les temps changent, comme disait l’autre. Les Français l’ont découvert le 25 mars, lors de l’avoinée en mondovision infligée à Volodymyr Zelensky par le duo exécutif américain. Sans doute étions-nous trop occupés, ces dernières années voire décennies, à sauver nos retraites, pour nous apercevoir que les cartes de la puissance étaient rebattues à l’échelle mondiale. Si on prend seulement les six derniers mois, l’actualité internationale donne le tournis : le 8 décembre 2024, le régime baasiste au pouvoir à Damas depuis 1963 tombe devant des islamistes parrainés par Erdogan ; le 1er janvier 2025, Xi Jinping déclare que « personne ne peut arrêter » la « réunification » avec Taïwan ; le 7 janvier, Donald Trump indique qu’il a l’intention de faire du Canada le 51e État américain, ainsi que d’annexer le canal de Panama et le Groenland ; et pour finir, le 18 mars, après des années de gel diplomatique entre leurs deux pays, Poutine et Trump copinent au téléphone et commencent à se partager le sous-sol ukrainien. Au même moment, l’Europe et l’Amérique se causent à coups de tarifs douaniers, et la Maison-Blanche se plaît à laisser penser que l’OTAN, de la mort clinique annoncée par Emmanuel Macron en 2019, est passée à la mort tout court – à ce jour, l’Alliance atlantique bouge encore.

La France rétrogradée

Pendant la même période, la France connaît une série de revers. Depuis novembre 2024, elle est défiée par son ancienne colonie algérienne, qui, non contente de détenir un otage, la nargue à coups d’influenceurs et d’OQTF. Le 30 janvier 2025, notre armée évacue au Tchad sa dernière base au Sahel, après avoir quitté le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger et le Sénégal. Cette déconfiture africaine conclut des décennies de déclin de notre puissance militaire, économique et culturelle. Il est plaisant d’en faire le reproche aux élites, mais ce déclin est une coproduction parfaite entre gouvernants et gouvernés. Si on nous a vendu des bobards, nous étions bien contents de les acheter. Du reste, encore aujourd’hui, une proportion notable de Français est convaincue que nous pouvons redevenir un pays avec lequel il faut compter sans sacrifier notre merveilleux modèle social, ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs.

À lire aussi, Pierre Manent : Nous avons épuisé les dividendes de notre puissance

Dans ce climat, quand les mauvaises manières américaines font souffler un vent de panique dans les capitales européennes et poussent Emmanuel Macron à agir, on est enclins à douter, voire à ricaner. On peut penser, comme Marcel Gauchet, que la parole présidentielle n’a aucune importance car plus personne ne la croit. S’amuser de sa prétention à rattraper, par la grâce de sa personne, quarante ans d’illusions, de renoncements et de confort. Observer que la réindustrialisation annoncée avec tambour et trompette n’a pas eu lieu et que nous sommes bien incapables de nous substituer aux Américains pour armer l’Ukraine. Souligner qu’un homme qui n’a jamais employé le mot « patrie » est mal placé pour nous appeler à la sauver. Craindre, à l’instar de Pierre Manent, qu’il profite de la situation pour essayer de nous faire faire le grand saut fédéral. Et pour finir, on voit bien le plaisir narcissique, quasi enfantin, qu’éprouve Emmanuel Macron à jouer au chef de guerre – « le président Top Gun » répétaient servilement ses communicants au début de la guerre en Ukraine. Ceci étant, on ne lui reprochera pas, pas ici en tout cas, d’avoir refusé de lâcher l’Ukraine en rase campagne et essayé d’incruster l’Europe à la table des négociations. Qu’il se fantasme en chef de futurs États-Unis d’Europe, c’est autre chose, heureusement il y a peu de risque que ce fantasme se réalise.

Le confort comme idéologie

Pour les Européens et singulièrement pour les Français, le réveil est d’autant plus rude qu’il est tardif. Tout heureux d’avoir troqué les affres de l’indépendance contre les certitudes du confort – les fameux dividendes de la paix –, nous espérions nous la couler douce encore longtemps, protégés des désagréments de l’Histoire par la Sécurité sociale et l’Amérique. Et voilà qu’on tire le tapis sous nos pieds. Nous découvrons que le monde est plein d’étrangers qui ne nous aiment pas. Or, pour Marcel Gauchet il y a sur ce sujet un grand malentendu : comme beaucoup veulent venir chez nous, on croit qu’ils veulent nous ressembler, mais pas du tout : « L’Europe est l’endroit idéal pour développer une autre culture. »

Dans un tourbillon d’événements dont on peine à hiérarchiser l’ampleur et à anticiper les conséquences, on aurait aimé que l’affrontement des arguments éclairât notre lanterne. Bien entendu, c’est le contraire qui s’est passé. De tous côtés, on s’est jeté certitudes et invectives à la tête – les uns qualifiant leurs adversaires de « bellicistes », les autres de « munichois ». Peut-être même que ce moment restera comme le premier où on a vu deux « politiquement correct » s’affronter presque à égalité.

Dans le camp progressiste, aucun doute, on est en 1938, il faut empêcher Hitler d’avaler la Tchécoslovaquie, qui est juste l’amuse-bouche. L’Ukraine, c’est l’avant-poste de la démocratie, le symbole de notre détermination face au Mal. Quant à l’Amérique trumpiste, elle est la preuve que la peste brune menace l’Occident tout entier, ce qui a le grand avantage de faire passer au second plan le combat contre l’islamisation, qui gratouille les bonnes consciences de gauche. Autant dire que les beaux esprits exultent, convaincus d’avoir enfin trouvé une cause à leur mesure : la résistance à l’internationale réac, c’est la guerre d’Espagne en mieux.

De l’autre côté, on est convaincus que nous sommes en 1914, qu’une étincelle peut nous plonger dans la Troisième Guerre mondiale et qu’en conséquence, il ne faut pas trop chatouiller les puissants. De plus, une partie de la droite a vu dans l’élection de Trump le début de la reconquête idéologique. Et beaucoup ne sont pas loin de penser, sans se l’avouer clairement, que Poutine, avec ses manières viriles et ses gros biscotos, est un rempart efficace contre le wokisme. Ce n’est pas en Russie qu’on encouragerait votre ado à changer de sexe. Certes. Comme le dit un de nos amis : « Va-t-on céder à Poutine parce qu’on ne veut pas de la théorie du genre à l’école ? » L’anti-macronisme enragé fait le reste : si Macron parle de guerre, c’est forcément pour de mauvaises raisons. Il veut faire diversion. Il prétend nous préparer aux conflits qui auront lieu dans trente ans, pas parce que c’est la meilleure manière de les éviter, mais pour faire oublier les ratés de la guerre contre le séparatisme musulman.

Penser l’urgence

Les deux camps pourraient s’accorder sur la nécessité de recouvrer notre capacité d’action, à défaut de prôner les mêmes moyens pour y parvenir. Mais aucune vérité ne naît du choc des certitudes. Il y a pourtant urgence à penser ce qui nous arrive et à élaborer des réponses collectives aux problèmes qui nous sont posés, à commencer par la question classique de la politique : qui est notre ennemi ? Que signifie « nous » ? Quel rang peut encore tenir un confetti démographique comme l’Europe ? Comment un pays endetté, divisé et désenchanté peut-il retrouver le goût du futur ?

Faute d’une boule de cristal pour prédire l’avenir ou d’une baguette magique qui, en un tournemain, sortirait le peuple français de sa léthargie, nous avons choisi de solliciter des penseurs et non les moindres[1]. Nous avons donc demandé à Marcel Gauchet et Pierre Manent, qui figurent parmi les meilleurs analystes de la dissolution française en particulier et des collectivités humaines en général, de nous dire si nous sommes définitivement sortis de l’Histoire ou si, tels des enfants prodigues, nous serons bientôt de retour au banquet des hommes tragiques.


[1] Il manque notre cher Alain Finkielkraut qui a demandé un délai pour affiner sa réflexion.

Fichu foulard

Dans le match qui les oppose à la FFF, les hidjabeuses ont un net avantage: à l’étranger, personne ne comprend vraiment la laïcité à la française…


Le Parlement travaille sur une loi destinée à mettre définitivement hors jeu le hidjab, ou voile islamique, sur les terrains de sport français. La ministre des Sports, Marie Barsacq, a toutefois émis quelques bémols, et le torchon brûle. Même si elle ne le sait pas, madame le ministre a quelque part raison. Une loi franco-française se heurtera fatalement aux exigences internationales…

Prenons le football. Au nom de la laïcité, pour les compétitions nationales, la FFF (Fédération française) prohibe déjà le hidjab. Mais si la FFF est sous tutelle de l’État (via le ministère des Sports), elle est également une association membre de la FIFA (Fédération internationale). Or la FIFA (bien que son règlement stipule que l’équipement ne doit présenter aucun signe « à caractère politique, religieux ou personnel ») accepte depuis 2014 le port du voile, grâce à un article, un artifice, qui autorise tous les couvre-chefs, à condition qu’ils ne soient pas dangereux. Cela permettrait ainsi aux Anglais de jouer avec un chapeau melon, ou aux Français avec un béret, mais plus concrètement cela permet aux joueuses musulmanes de jouer avec ce fichu foulard. Et dans les statuts, il est souligné que les associations membres ont l’obligation « d’observer en tout temps règlements et directives de la FIFA ». Qu’à défaut elles peuvent être suspendues, voire exclues des compétitions internationales. Ainsi une joueuse ou une équipe sanctionnée pour port du voile par la FFF pourrait faire appel à la FIFA, qui aurait le droit d’infliger un carton jaune ou rouge à la FFF !

Si la FIFA est aussi tolérante, ce n’est pas par souci œcuménique, mais par intérêt économique, elle apprécie les gros chèques des émirs qui investissent dans le sport, tous les sports, pour soigner leur image, et l’imposer. Le Qatar a organisé la Coupe du monde 2022, l’Arabie saoudite sera le pays hôte en 2034. Une seule religion, celle de l’argent, comme au CIO, qui accepte les athlètes voilées aux Jeux olympiques. Il n’y a que dans les sports nautiques que les voiles ne font pas débat au port.

Résurrection du loup sinistre: Dé-Extinction Rébellion!

Résurrection d’espèces éteintes. L’annonce spectaculaire de l’entreprise américaine Colossal Biosciences soulève des questions éthiques assez vertigineuses. Analyse.


Il n’y a pas de moment plus propice pour parler de résurrection que la Semaine sainte, et c’est peut-être pour cette raison que Colossal, une entreprise pionnière dans le domaine de la bio-ingénierie, a récemment fait une annonce spectaculaire qui a captivé l’imagination du public : le retour du loup sinistre (Canis dirus), une espèce disparue depuis 10 000 ans ! Trois spécimens, nommés Remus, Romulus et Khaleesi (ce dernier, dont le nom est issu de la série télévisée et littéraire « Game of Thrones », n’a pas encore été présenté au public), ont vu le jour grâce à ce projet à la fois surprenant et prévisible.

Une projet secret ayant abouti l’automne dernier

La surprise réside dans le secret qui a entouré cette entreprise, prenant de court de nombreux experts, ainsi que dans le choix de l’espèce « ressuscitée », le loup sinistre, qui ne figurait pas parmi les candidats en tête pour la dé-extinction. En même temps, ce résultat semble prévisible — ou plutôt inévitable — tant il découle de la convergence entre les principes de la conservation et les avancées de la biotechnologie.

Les concepts de conservation regroupent un ensemble de principes et de stratégies destinés à préserver la biodiversité, les écosystèmes et les ressources naturelles de la planète. Ils recouvrent des approches variées, allant de la protection des espèces menacées et de leurs habitats à la restauration des milieux dégradés, tout en intégrant la promotion de pratiques durables dans l’usage des ressources. Plus récemment, grâce aux avancées scientifiques et technologiques, un champ nouveau est venu enrichir cette réflexion : la dé-extinction. L’objectif global de ces démarches est de renforcer la santé et la résilience de la biosphère, dans l’espoir d’assurer un avenir durable à l’ensemble des formes de vie, y compris l’humanité.

C’est trop injuste !

Les principes de conservation soulèvent néanmoins des questions épineuses quant à leur application et à leurs implications. L’un des écueils majeurs réside dans la définition et l’évaluation de la valeur écologique. Déterminer objectivement l’importance d’une espèce ou d’un écosystème demeure une tâche complexe, souvent teintée de subjectivité. Les critères employés — qu’ils soient économiques, esthétiques ou éthiques — varient considérablement, menant parfois à des décisions contestables et souvent contestées : c’est le cas de la réintroduction des loups et des ours en France. De surcroît, la focalisation sur certaines espèces ou certains milieux peut se faire au détriment d’autres, créant des déséquilibres et des formes d’injustice écologique.

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La restauration des habitats comporte également ses inconvénients. Les projets dans ce domaine sont souvent coûteux et complexes, nécessitant une expertise technique pointue ainsi que d’importantes ressources. Cette tâche se heurte à la complexité des interactions écologiques. Comprendre et anticiper les effets des interventions sur les chaînes alimentaires, les relations de symbiose ou les interdépendances naturelles représente un défi majeur. De plus, le succès de ces entreprises n’est jamais garanti, car elles peuvent être compromises par des facteurs imprévisibles, tels que les changements climatiques ou les invasions biologiques. Il convient aussi de souligner que restaurer un habitat ne signifie pas nécessairement revenir à un état originel, mais implique plutôt la création d’un nouvel équilibre écologique, potentiellement différent de celui qui prévalait autrefois.

La durabilité, bien que largement promue, demeure un concept souvent flou et sujet à interprétation. Sa mise en œuvre se heurte à des obstacles économiques, sociaux et politiques significatifs. Les intérêts à court terme, qu’ils soient industriels ou gouvernementaux, prennent fréquemment le pas sur les objectifs de durabilité à long terme, engendrant des compromis qui nuisent à la protection de l’environnement. En outre, la définition même de la durabilité varie selon les acteurs et les contextes, ce qui complique l’élaboration de politiques cohérentes et efficaces.

Enthousiasme médiatique, doutes scientifiques

Enfin, la dé-extinction, malgré l’enthousiasme qu’elle suscite dans les médias, soulève des interrogations éthiques et écologiques fondamentales. Ramener à la vie des espèces disparues pose des problèmes liés au bien-être animal, à la gestion des populations et aux risques pour les écosystèmes actuels. Par ailleurs, cette démarche pourrait détourner l’attention et les ressources de la conservation des espèces menacées, dont la protection constitue une priorité plus immédiate. Comme le rappelle l’exemple du bucardo, un chevreau cloné qui n’a survécu que quelques minutes après sa naissance, ce qui illustre bien les défis techniques et moraux que soulève cette approche.

Retournons à nos loups. Le retour des « terrifiants » créés par Colossal soulève dès lors des questions complexes, à commencer par celle de leur authenticité : sont-ils véritablement les répliques exactes de leurs ancêtres disparus ? En réalité, ces créatures issues de la biotechnologie ne sont pas des clones au sens strict, mais des recréations génétiquement modifiées, conçues à partir de l’ADN d’espèces proches et de fragments extraits de spécimens fossiles. Leur apparence et certains traits comportementaux peuvent rappeler ceux des loups préhistoriques, mais il ne s’agit pas d’une résurrection fidèle : leur génome comporte nécessairement des zones d’incertitude, voire des éléments d’innovation. Ces loups, aussi impressionnants soient-ils, résultent donc d’une reconstruction partielle où la science comble les lacunes par des choix technologiques. Ils ne peuvent ainsi être considérés comme de parfaits clones, mais plutôt comme des hybrides, à la croisée du passé reconstitué et du présent reconfiguré.

Dans le cas précis des loups terrifiants, Colossal a procédé en combinant des techniques avancées de génie génétique, notamment l’édition du génome à l’aide du célèbre outil CRISPR-Cas9, avec des cellules d’espèces proches encore vivantes, comme le loup gris ou le chien. En insérant dans leur ADN des fragments d’anciennes séquences génétiques extraites de fossiles, l’entreprise a conçu un organisme hybride reproduisant certaines caractéristiques physiques et comportementales des loups disparus. Il ne s’agit donc pas d’un clone parfait, mais d’une recréation partielle, issue d’une reconstruction génétique ciblée. La réussite de ce projet a été rendue possible par l’édition génétique de l’ADN du loup gris, incluant vingt modifications ciblées sur quatorze gènes. Des chiennes domestiques ont été utilisées comme mères porteuses pour mener à bien ces gestations inédites.

Ainsi, la réintroduction de ces loups à peu près « terrifiants » soulève une interrogation essentielle : ne risquons-nous pas de créer des monstres ? C’est effectivement toute l’ambivalence des biotechnologies : une prouesse scientifique porteuse d’espoirs écologiques, mais aussi de risques profonds. Les hybrides génétiques, mélange d’ADN fossile et moderne, ne sont pas des clones fidèles et leur viabilité à long terme reste incertaine, tout comme leur comportement dans des écosystèmes qu’ils n’ont jamais connus.

Si les « ciseaux génétiques » permettent des modifications ciblées, ils génèrent des altérations imprévues, mutations silencieuses ou effets hors cible, pouvant déclencher des cancers ou des déséquilibres métaboliques. La réparation cellulaire, souvent approximative, ajoute une couche de risques.

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Introduire une espèce hybride dans la nature revient à jouer aux apprentis sorciers. Ces organismes pourraient supplanter des prédateurs locaux, perturber les chaînes alimentaires ou transmettre des gènes anciens à des populations sauvages, menaçant la biodiversité qu’ils devaient enrichir.

On peut donc poser une autre question : vus les risques, cette résurrection ou réintroduction répond-elle à un impératif écologique ou s’agit-il surtout d’une démonstration de puissance technologique ?

Jusqu’à présent, les experts en conservation ont soutenu la dé-extinction lorsqu’elle visait à restaurer des équilibres écologiques perturbés, en réintroduisant notamment des espèces clés capables de revitaliser des habitats dégradés ou de réactiver des dynamiques naturelles. Ces choix s’appuyaient sur une évaluation rigoureuse des bénéfices attendus pour les écosystèmes. Dans le cas de Colossal, cependant, la communication semble privilégier l’exploit scientifique, mettant en avant la prouesse génétique plutôt que les bénéfices concrets pour la biodiversité. Cette orientation risque de transformer profondément la finalité de la conservation, en l’éloignant de ses objectifs écologiques pour en faire une vitrine de l’innovation technologique. La question n’est donc plus seulement de savoir si l’on peut ressusciter une espèce disparue, mais de comprendre pourquoi, et dans quel but, on choisit de le faire.

Il sera intéressant d’observer comment le monde de la conservation réagira à ce changement de paradigme, et si la logique qui sous-tend la dé-extinction évoluera. En attendant, les réactions à cette annonce sont diverses. Le ministre américain de l’Intérieur et Joe Rogan ont salué l’initiative, tandis que le compte Twitter de l’entreprise débat publiquement avec des journalistes sur la nature exacte de ce loup.

Profitant de l’engouement médiatique, l’entreprise a dévoilé ses ambitions futures, notamment le retour du mammouth laineux d’ici 2028, ainsi que celui du loup de Tasmanie. D’autres espèces emblématiques, telles que le dodo ou le pigeon voyageur noble, figurent également sur la liste des projets envisagés.

Le projet de réintroduction du loup de Tasmanie suit une approche similaire, reposant sur le clonage à partir de cellules prélevées sur un spécimen conservé dans un musée. Le pigeon voyageur noble, disparu en 1914 après une chasse massive, représente un autre défi, notamment du fait de la complexité que représente le clonage d’oiseaux, qui nécessite des manipulations génétiques particulièrement délicates. Quant au mammouth, l’idée consiste à modifier le génome de l’éléphant d’Asie pour créer un équivalent capable de survivre dans le climat sibérien.

L’idée serait de réintroduire cet éléphant-mammouth hybride dans le Parc du Pléistocène en Sibérie, un projet initié par l’écologiste Sergueï Zimov et son fils Nikita visant à restaurer un écosystème de steppe datant d’environ 12 000 ans. Cet environnement reconstitué pourrait non seulement offrir un habitat adapté au mammouth, mais aussi contribuer à limiter le changement climatique : en stabilisant le pergélisol, il réduirait les émissions de gaz à effet de serre libérés par son dégel, qui s’accélère dans la région. Cependant, le conflit en Ukraine a ralenti les avancées, plusieurs partenaires internationaux ayant suspendu leur collaboration avec le parc de Zimov.

D’autres initiatives de dé-extinction sont en cours, bien qu’à un stade moins avancé. L’aurochs européen et le quagga, une sous-espèce de zèbre, font l’objet d’expérimentations de reproduction sélective.

Jurassik Park ? Pas pour tout de suite

Aujourd’hui, le loup sinistre devance tous ces projets, marquant une étape décisive dans le domaine de la dé-extinction. Si cette discipline fascine autant qu’elle inquiète, une espèce semble écartée des tentatives : les dinosaures. Ils ne figurent pas sur les listes, bien que certains évoquent la possibilité de modifier génétiquement des oiseaux actuels, comme l’autruche, pour créer des créatures inspirées des dinosaures. Jusqu’ici rejetée au nom de la restauration des écosystèmes, cette idée pourrait être réévaluée au fur et à mesure que la technologie progresse et devient plus accessible.

Avec ce coup de communication et de technologie, Colossal, dirigée par Ben Lamm et le généticien George Church, s’impose aujourd’hui comme un acteur central dans ce domaine. Son modèle économique, fondé sur la propriété intellectuelle et, potentiellement, le tourisme, soulève des interrogations sur la nature de ses motivations et sur la place réelle accordée à la conservation, bref la question se pose s’il ne s’agit pas d’un loup de Wall Street. L’entreprise, financée par des fonds privés, devra désormais naviguer entre les espoirs nés de ses avancées scientifiques et les inquiétudes suscitées par leurs implications éthiques et écologiques.

Viva la muerte !

Euthanasie, IVG, ZFE… Y’a de la joie…


Il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin les signes de la décadence vertigineuse de notre société. Il suffit de se reporter aux sujets sur lesquels elle entend réformer, légiférer en priorité. Et l’on a alors vite fait de constater que c’est à une société gangrénée par le morbide, fascinée par la mort que nous avons affaire.

Dans ce registre, elle a commencé par vouloir à tout prix inscrire dans la constitution le droit à l’avortement, pratique qui n’est autre que la mise à mort d’un être vivant, le fœtus. Mise à mort possible désormais à un stade de l’évolution de cet humain en devenir où, pour le supprimer, il faut en passer par l’acte symboliquement barbare entre tous, broyer le crâne, le cerveau.

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Et voilà qu’il s’agit à présent de faciliter le passage volontaire de vie à trépas, l’euthanasie, le suicide assisté. Faciliter en effet, parce que à lire le projet de loi, il semble bien que, si ce projet devait être voté en l’état, ce qu’à Dieu ne plaise, il deviendrait plus aisé de se faire expédier ad patres que de dénicher un médecin traitant en province. Un comble.

Fascination du morbide, en effet, que cette intention législative dont le résultat, si elle entrait en vigueur, ne ferait qu’ajouter un tourment à ceux qu’endurent déjà le malade. Le tourment de la culpabilisation de désirer vivre encore un peu. Le tourment de devoir se poser la question : stop ou encore ? Car le problème sera bien celui-là. S’entêter à demeurer en ce bas monde risquerait fort de devenir une sorte d’incongruité, une faute sociale, une lubie de mauvais citoyen, la norme progressiste en ce domaine étant de ne pas encombrer le plancher dès lors qu’on n’y serait plus convenablement alerte, dans un état conforme aux critères de vitalité prévus par les manuels.

Courage fuyons ! voilà la règle nouvelle. La société se découvrant incapable d’accompagner avec décence et dignité la vie jusque dans la faiblesse des derniers moments, capitule en rase campagne et se dote des moyens de précipiter l’issue. Aveu de terrifiante impuissance ! Mais qu’importe ! On n’est pas à un renoncement près. Et puis, mon bon monsieur, les retraites – ainsi d’ailleurs que les soins longue durée – coûtent si cher qu’abréger autant qu’on peut les vies improductives n’est pas loin de devenir un impératif économique.

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Et puis, il y a les petites morts, sociales celles-là. Les gueux exclus de ZFE, par exemple. Ce n’est pas la mise à mort, seulement l’envoi en purgatoire. L’interdiction de pénétrer dans le saint des saints, là où règne l’entre-soi de ceux qui ont de quoi. De quoi rouler propre. Les autres, ceux qui ne disposent d’autre moyen de déplacement que leur bagnole époumonée, qu’ils crèvent donc ! D’ailleurs, la ministre l’a dit. Les précaires n’ont pas d’auto. En fieffée technocrate qu’elle est, elle se trompe lourdement. Le précaire, notamment en campagne, n’a même que cela pour vivre encore, aller au pain, se rendre chez le lointain médecin, etc. Il n’a plus que sa bagnole trentenaire si ce n’est quadragénaire, en effet.  Et qui, avec cette belle trouvaille, ne sera même plus autorisée à le conduire en cas de besoin jusqu’au grand hôpital urbain. Mais quelle importance ! Le progressisme veille, qui ne résistera guère sans doute à proposer une solution particulièrement intelligente. Faisant d’une pierre deux coups, l’auto moribonde et le quidam qui ne l’est pas moins, oui, les deux ensemble à la casse.

Bien triste vision de l’avenir, bien sinistre conception de la vie qu’illustrent de telles priorités politiques ! Ce seraient les ultimes soubresauts d’une société désespérée d’elle-même que l’on ne s’en étonnerait guère.

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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Où il sera beaucoup question de l’Algérie mais pas que…

L’Algérie et ses OQTF nous préoccupent depuis des semaines. Mais l’actualité a aussi été marquée par le retour des retraites dans le débat public et celui des gens du voyage à Béziers, ainsi que celui de… La Belle et la Bête.


Ramadan

En plein bras de fer avec l’Algérie, on apprend que le gouvernement français vient d’accorder des visas à des « récitateurs » algériens du Coran durant la période du ramadan. Alors qu’Alger refuse d’admettre sur son sol ses ressortissants que la France souhaite expulser – on est juste après l’attentat de Mulhouse, où l’Algérie a refusé de reprendre Brahim A. « à dix reprises », d’après Bruno Retailleau. Alors que l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal – âgé de 80 ans et atteint d’un cancer – croupit toujours en prison depuis plus de quatre mois… Malgré les explications du ministre de l’Intérieur – « entraver la liberté de culte reviendrait à donner raison aux extrémistes […], à désespérer les patriotes musulmans sincères » –, l’effet est désastreux. Et le Rassemblement national se réjouit d’avoir enfin un angle d’attaque contre Bruno Retailleau…

OQTF (suite)

Madame Eva Marty, la fiancée de l’OQTF que Robert Ménard a refusé de marier en juillet 2023, a convoqué une conférence de presse le 4 mars. Elle souhaitait revenir sur son audition par les services de l’état civil de la ville de Béziers le matin même. Eva Marty ayant engagé une procédure pour se marier en Algérie, le consulat de France à Oran a demandé à la mairie de Béziers de procéder à un nouvel entretien, ce qui est la procédure normale. On se souviendra que la jeune fiancée n’avait cessé de se plaindre de la médiatisation faite autour de cette affaire : visiblement, elle en a trouvé les bons côtés puisque c’est elle à présent qui convoque la presse… On apprendra à cette occasion par la bouche de son avocate que le mariage ne pourra pas être prononcé par les autorités algériennes car… la future mariée n’y est pas en règle !

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Conclave

Quelle erreur ! Quelle faute ! Je ne comprends pas François Bayrou. J’entends toutes les raisons liées à la situation internationale qui nous obligent à faire des efforts, et donc, au choix, payer plus ou travailler davantage. Mais quelle mouche l’a donc piqué de déclarer, en plein conclave des retraites, qu’il n’était pas question de revenir à un âge de départ à la retraite à 62 ans ? Pourquoi donc ne pas laisser patrons et syndicats discuter jusqu’au bout ? Avec une toute petite chance qu’ils trouvent une solution économiquement viable – ce serait une belle surprise. Ou au contraire, que le conclave finisse par un constat d’échec dont le Premier ministre n’aurait pas été jugé responsable. Bref, lui qui ne dit jamais grand-chose a ici loupé une belle occasion de se taire.

OQTF (encore !)

Vendredi 14 mars. Le tribunal administratif de Montpellier a rendu sa décision concernant la demande d’annulation de l’expulsion de Mustapha, le fiancé sous OQTF d’Eva… Demande rejetée.

Contes de fées

Après les polémiques à répétition autour du film Blanche-Neige – pas si blanche que ça et sans les sept nains –, c’est au tour de La Belle et la Bête de faire scandale. Élisabeth Borne vient en effet d’annuler la commande destinée aux CM2 d’une version revisitée du conte, jugée « trop adulte ». Son dessinateur Jul crie à la « censure intempestive » et se demande si « le “grand remplacement” des princesses blondes par des jeunes filles méditerranéennes serait la limite à ne pas franchir pour l’administration versaillaise du ministère ». On apprend que la version modernisée met notamment en scène un père alcoolique qui chante du… Michel Sardou ! L’horreur, non ? Mais somme toute pas très original. Quitte à faire encore plus caricatural, on suggère à l’auteur – pour sa prochaine réécriture – de lui faire fredonner du Jean-Pax Méfret !

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Dimanche ordinaire

Dimanche 16 mars à 14 heures, je suis appelée pour intervenir auprès d’un convoi de gens du voyage qui ont décidé d’élire domicile sur le parking de notre stade de rugby, en forçant les grilles, cela va de soi… Après une bonne heure de discussion – durant laquelle j’essaie de trouver une solution de repli puisqu’il est hors de question qu’ils restent sur ce parking –, je tente de joindre le service de « médiation départementale », chargé de gérer ce genre de situation. Problème, on m’informe qu’ils ne travaillent pas le week-end. Pendant ce temps, j’ai le droit aux gesticulations habituelles – l’un hurle, l’autre pleure, pendant qu’un troisième fait semblant de les calmer. Ouf, le maire d’une commune proche accepte d’ouvrir son aire de passage avec quelques semaines d’avance. Tout ce petit monde s’en va dans le calme et en souriant. Il ne nous reste plus qu’à changer le cadenas…

Manifestation contre le racisme… et l’antisémitisme ?

Ce 22 mars a eu lieu un peu partout en France une marche contre – au choix – le racisme, l’antisémitisme, le fascisme, l’extrême droite. On pouvait d’ailleurs lire sur une des pancartes brandies à Paris : « Face au racisme et à l’antisémitisme, submersion antiraciste ». Quand on sait que La France insoumise notamment était à l’origine de cette manifestation, il y a de quoi s’étrangler. C’est bien ce parti d’extrême gauche qui, depuis des mois, des années maintenant, « joue » avec l’antisémitisme en vue d’un électoralisme effréné. C’est bien LFI aussi qui, pour appeler à cette marche, a publié une affiche représentant le visage démoniaque de Cyril Hanouna, dans la droite ligne des caricatures antisémites des années 1930. On attend toujours les excuses de J.-L. Mélenchon…

Élisabeth Badinter, peu suspecte d’accointances avec la droite dénoncée ici, dit d’ailleurs de LFI qu’elle est « farouchement antisémite ». À Béziers, on a eu le droit à l’inévitable « Béziers mérite mieux qu’un maire fasciste ». Vous avez dit caricature ?

Prise de conscience

On apprend en cette fin de mois de mars, dans une interview de Gérald Darmanin au JDD, que « les détenus étrangers représentent 24,5 % de la population carcérale » (alors que les étrangers ne représentent que 8,2 % de la population totale – chiffres Insee) et que « les étrangers doivent purger leur peine dans leur pays ». Le 12 décembre 2023, alors députée, je questionnais – ce n’était pas la première fois ! – le ministre de la Justice (alors Éric Dupont-Moretti) sur le nombre important de personnes étrangères détenues dans les prisons françaises. Je proposais, « afin de désengorger les prisons, de les rendre plus vivables et de ne plus faire peser le poids financier de l’incarcération des étrangers sur les Français, […] que les personnes de nationalité étrangère ayant été condamnées sur le sol français puissent purger leur peine de prison dans leur pays d’origine. » On dirait bien que Monsieur Darmanin a réfléchi à ma proposition…

Beauté italienne

Dans Vermiglio, Maura Delpero capte avec délicatesse la fin d’un monde rural pris dans les remous de la guerre. Entre solitude des hauteurs, amour clandestin et poids des traditions, elle signe une œuvre sensible et picturale, récompensée à juste titre par le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise


Vermiglio ou la Mariée des montagnes de Maura Delpero a reçu le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise en 2024, une récompense justement méritée pour ce très beau film.

L’action se déroule au milieu des années quarante, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, au moment de la débâcle italienne et de la proche défaite des nazis. Elle débute à l’hiver 1944, dans les montagnes du Trentin-Haut-Adige, en Italie, dans un petit village isolé, Vermiglio, où la vie suit le rythme des saisons. Un jeune soldat arrive, cherchant refuge. Le jeune homme Pietro et la fille aînée Lucia tombent amoureux, bouleversant à jamais la dynamique familiale de l’instituteur local, Cesare. Le destin bascule…

Beauté des forêts, des sommets enneigés, des prairies en fleurs : loin de la fureur des combats, la quiétude de la communauté est troublée par l’arrivée de deux soldats italiens déserteurs fuyant la déroute. Filmer la nature, les femmes et les hommes, la force et la beauté des traditions chrétiennes, filmer la guerre sans la montrer : c’est la belle réussite de Maura Delpero. Elle signe ici un deuxième long-métrage de fiction, épuré et âpre, tendre et tendu, après le remarquable Maternal sorti en 2019, qui suivait une religieuse arrivant dans un couvent pour jeunes filles en Argentine.

La cinéaste est retournée dans le village du nord-est de l’Italie où a grandi son père, récemment décédé. À travers le cycle complet des quatre saisons, elle montre la vie quotidienne des habitants, fidèles à leurs traditions rurales et chrétiennes.

À lire aussi, Jean Chauvet : Coup pour rien

Vermiglio déborde de douceur. La beauté irradie chacun de ses plans, filmés comme des tableaux inspirés par les œuvres de Giovanni Segantini et Caspar David Friedrich pour les scènes extérieures, et par la peinture flamande pour les scènes d’intérieur, éclairées à la bougie. Cette lumière intime accentue la profondeur des échanges, notamment entre les nombreuses sœurs très proches du couple. Paysages de haute montagne hivernaux et immaculés, vert printanier des prairies, cimes ensoleillées d’été, roux automnal : tout est magnifié par la mise en scène tranchante et elliptique de Delpero, la lumière douce et les cadres acérés de la photographie de Mikhaïl Kritchman. Les Quatre Saisons de Vivaldi et les Nocturnes de Chopin accompagnent la narration et soulignent le caractère romanesque de cette fiction très documentée.

La mise en scène, mêlant austérité et puissance, permet à la réalisatrice d’instaurer une atmosphère intime et sensorielle dans ce village où la vie des femmes est marquée par la solitude, la rudesse du quotidien, mais aussi la force des traditions. C’est un grand film sur la disparition d’un monde montagnard, un portrait intelligent et touchant de la vie de famille vue à hauteur d’enfant. Il interroge la place sociale et traditionnelle des hommes et des femmes, en particulier celle d’un père instituteur, cultivé et sensible, autoritaire dans son foyer mais profondément attaché à l’éveil de ses élèves à la langue, à la poésie et à la musique. À la fois maître exemplaire et père faillible, il incarne toute l’ambiguïté d’un monde en mutation.

1h59

Pourquoi Frédéric Taddéï est-il si convaincant ?

Celui que le quotidien de gauche Le Monde qualifie de « dandy du débat télévisé » – pour mieux critiquer tout de suite après ses prestations sur RT France ou CNews -, est désormais directeur de l’hebdomadaire Marianne.


Directeur de Marianne, Frédéric Taddéï écrit à la dernière page, comme il se doit, « Le mot de la fin ». Dans le numéro en cours : « … Il faut abolir cette peine de mort politique qu’est la peine d’inéligibilité ». Je sais que son point de vue sera contredit aussi bien pour des motifs politiques que médiatiques. C’est le propre des idées fortes et ce n’est pas Frédéric Taddéï qui s’en plaindra ! Je n’ignore pas avoir déjà écrit sur Frédéric Taddéï et je ne ressens pas le besoin de m’en excuser. D’abord pour ma propre satisfaction. Je déplais trop souvent par une envie, à laquelle je ne veux résister, de dire le fond de ma pensée, la nature de mes humeurs, pour ne pas me féliciter de cette opportunité renouvelée de pouvoir estimer quelqu’un.

J’ajoute que le Frédéric Taddéï d’aujourd’hui a changé de registre. L’indépassable animateur de « Ce soir (ou jamais ! ») – dont l’effacement et la discrétion apparents valaient toutes les présences ostensibles – a été remplacé par le responsable d’une publication qui, sur le plan judiciaire notamment, est remarquable et par l’auteur libre et indépendant du Mot de la fin.

Un fervent défenseur de la liberté d’expression

À plusieurs reprises, j’ai soutenu Frédéric Taddéï qui n’avait pas besoin de moi pour se défendre. Le paradoxe est qu’on osait lui reprocher une conception intelligemment intégriste de la liberté d’expression contre celle rigide et sectaire cultivée chaque jour par Patrick Cohen. Frédéric Taddéï n’était pas un justicier qui choisissait de laisser parler seulement ceux que sa vision politique tolérait : il ouvrait la porte médiatique à tous, et d’abord à ceux auxquels l’accès à la visibilité était devenu impossible, voire interdit. Sa seule exigence toujours parfaitement respectée, à la télévision, tenait à cette limite : on ne transgressait pas la loi sur son plateau. Cette éthique et ce pluralisme du débat ont donné lieu à de passionnantes joutes où la contradiction, contrairement à tant de confrontations d’aujourd’hui, n’était pas de pure forme.

Frédéric Taddéï est d’abord pour moi un modèle dans la mise en œuvre, sans la moindre concession, d’une liberté d’expression exemplaire. J’aime pouvoir le rapprocher d’une journaliste essayiste atypique, Peggy Sastre, dont les points de vue, développés dans Causeur ou dans Le Point, offrent à qui les lit un champ stimulant de réflexions et de paradoxes. Elle s’attache à définir rigoureusement la liberté d’expression en faisait appel, notamment dans le dernier hebdomadaire cité, à des intellectuels qui confirment sa vision d’une plénitude irréprochable.

À lire aussi : Diabolisation 2.0

Quand elle écrit qu’ « une liberté d’expression qui n’oserait plus froisser personne deviendrait vite une liberté à usage limité », nul doute que Frédéric Taddéï partage sa conviction. Lorsqu’elle reprend à son compte l’analyse de Greg Lukianoff, un avocat, journaliste et militant américain, pour qui la liberté d’expression « est et restera toujours une idée ÉTERNELLEMENT RADICALE… pas seulement une garantie juridique mais un principe culturel exigeant dont la valeur ne se révèle qu’à l’épreuve de l’inconfort », je suis sûr que Frédéric Taddéï approuve cette approche irréprochable d’une liberté qui est beaucoup moins pour soi que pour les autres.

Un homme convaincant

Quand j’ai commencé à lire son « Mot de la fin » dans Marianne, j’ai éprouvé comme une émotion intellectuelle à voir le changement de cap de Frédéric Taddéï qui s’assignait, sur un certain nombre de thèmes, à penser et à dire ce que longtemps il avait eu pour déontologie de taire. J’ai naturellement pris son parti et je ne me suis pratiquement jamais trouvé en désaccord avec lui. Moins, pour être franc, parce que le fond de son écrit était forcément pertinent qu’à cause de la confiance immédiate, évidente, limpide dont je créditais un esprit et une personnalité qui, n’ayant jamais eu pour perversion d’étouffer ou de limiter le verbe d’autrui, bénéficiaient de mon assentiment quand ils s’aventuraient dans l’imprévisibilité de l’opinion et les nuances de la conviction.

À lire aussi du même auteur : De la cour d’assises à la cour médiatique…

Je me défie de plus en plus des censeurs officiels ou officieux qui, ayant toujours eu la vocation d’éradiquer, sur le plan politique, médiatique, judiciaire ou culturel, la liberté des autres, n’ont jamais su la pratiquer pour eux-mêmes.

Parce que Frédéric Taddéï est aux antipodes d’une telle petitesse, qu’il a passé son existence médiatique à se battre pour la liberté des autres, il me semble que porter sur celui qu’il a décidé d’être aujourd’hui, sur ses débuts brillants dans le Mot de la fin, un regard favorable, au moins une bienveillance critique, est la moindre des choses. Il est convaincant parce qu’il n’a aucune rançon à payer.

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Le bistrot: dernier refuge du réalisme poétique

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© GILE Michel/SIPA

Mi-mars, les députés ont adopté une loi visant à faciliter l’obtention de la « précieuse » licence IV dans les communes rurales de moins de 3 500 habitants pour que les bistrots ne meurent pas. En attendant que ce texte soit approuvé par le Sénat, Thomas Morales se félicite de cette action en faveur du dynamisme, de l’attractivité et de la solidarité dans nos campagnes


Quand un bistrot disparaît dans un village, c’est une forme d’humanité silencieuse que l’on abat. On supprime un lieu de rendez-vous, une échappatoire à la solitude, une aire d’apaisement dans le fracas du monde, un lieu de vie qui serait à la fois une borne temporelle et une République en miniature. Ces derniers temps, on médit beaucoup sur le travail parlementaire, sur l’impossibilité de trouver un compromis politique ; il semble pourtant que lorsque notre Nation est en danger, nos députés savent encore se mobiliser en votant une proposition de loi pour enrayer le déclin du zinc et assouplir le cadre législatif pour l’octroi de la célèbre licence IV dans les communes rurales. Le réseau 1000 cafés a largement œuvré à cette prise de conscience en remettant le café au centre du village, c’est-à-dire en lui attribuant des vertus économiques et solidaires, touristiques et civilisationnelles. Il fallait oser dans un pays neurasthénique sur les addictions affirmer que le bistrot était le vecteur de l’intérêt général. Que le débit de boisson était intimement lié à la santé mentale de nos concitoyens les plus éloignés des centres urbains.  « Quand le bistrot va, tout va » me disait ma grand-mère, négociante en vins des terres reculées. Elle se souvenait de l’époque bénie où chaque petite municipalité disposait d’une dizaine, voire plus, de cafés ; certains peuplés du matin au soir, brassant des ouvriers et des notables, d’autres tenus par une seule patronne sans âge, modeste troquet ressemblant à une salle à manger en formica avec napperons accordés qui ne voyait qu’un client par jour, lui arrondissant ainsi sa pension de veuve de guerre. Sans le bistrot, sans cet épicentre, la province perdrait son socle unificateur et son forum nécessaire à toute cohabitation heureuse. Sans cette halte au milieu d’autres humains, dans leur différence et leur complexité, leur joie et leur peine, la vie de chacun serait seulement orchestrée, régie, cadenassée par la virtualité des réseaux. Voulons-nous que les campagnes soient des citadelles à l’abandon ? Car les chiffres font froid dans le dos, la désertification s’est même accélérée ces dernières années. On comptait 500 000 bistrots au début du XXème siècle, 200 000 il y a 50 ans et moins de 35 000 en 2020. Le Covid et son long cortège de restrictions auront achevé ce processus de délitement. On pourrait s’en amuser, figer le bistrot dans un folklore dépassé, une bigoterie populaire charmante mais complètement anachronique, le discréditer en raison des ravages de l’alcool et oublier sa participation active à la cohésion d’un « territoire ». Au bistrot, on retrouve les copains, ceux de toujours, de l’école communale et même ses ennemis héréditaires, on y parle, on y joue, on y philosophe, on y marchande, on y dit beaucoup de conneries, c’est la grandeur d’une vieille nation, on y boit aussi de la limonade, parfois on y mange, on y lit la Presse Quotidienne Régionale, on y commente le match du dimanche et les interventions télévisées d’un candidat putatif, on y blague, on se moque et on pleure quand nous apprenons le décès d’une connaissance. Il est notre frise chronologique, notre Lavisse couleur café. Le bistrot est le contraire d’un vase clos, d’un entre-soi délétère, les générations s’y rencontrent, peut-être est-ce l’unique endroit où des retraités et des jeunes travailleurs causent encore ensemble ? Ce lien fragile, qui paraît dérisoire dans l’Océan des interconnexions planétaires, est une source d’espoir. Tant qu’il y aura des bistrots, nous aurons quelque chose à nous raconter, à partager, à batailler. Il suffit de se promener partout en France, du Berry au Pays du Léon pour constater qu’une pléiade de gens n’appartenant pas aux mêmes classes d’âge s’y croise. Dans quel autre lieu, un tel miracle se produit-il ? Plus à l’école et bientôt plus à l’hôpital. Je repense à cette phrase de Jacques Perret dans son roman, Les biffins de Gonesse : « La rue ne bougeait pas, les bruits de la ville s’étouffaient dans la chaleur ». Cette chaleur-là nous est vitale. C’est pourquoi je suis bistrot comme Guy Marchand affirmait : je suis tango !

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Les « Contes de Perrault », une féérie lyrique

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© Fabrice Robin

Le Théâtre de l’Athénée accueille une remarquable production des Contes de Perrault, avec les musiciens de l’ensemble Les Folies parisiennes. Les costumes sont superbes, la musique est légère, et l’esprit léger.


Avec Europera, John Cage avait eu l’idée poétique et loufoque, une idée à la John Cage, de faire chanter de grands airs lyriques dans des costumes, des décors emblématiques et des environnements sonores d’ouvrages différents. De façon à faire entendre une walkyrie costumée en Tosca s’époumoner dans un décor d’Aïda, ou « La donna e mobile » dans un environnement sonore et visuel japonais.

C’est un peu ce qu’ont osé, il y a légèrement plus de cent ans, le compositeur Félix Fourdrain et ses deux librettistes, Arthur Bernède et Paul de Choudens dans ces Contes de Perrault que ressuscite aujourd’hui l’ensemble des Frivolités parisiennes. À ceci près que les héros conservent leurs tenues emblématiques, mais glissent de personnage en personnage au gré des délires du livret.

Dans ces Contes de Perrault Belle Époque, le premier venu d’entre eux, le Petit Poucet, sera métamorphosé successivement en prince Charmant et en Riquet à la houppe, cependant que Cendrillon se glissera dans Peau d’âne et se réveillera en Belle au bois dormant.  

En 1913, à la Gaîté Lyrique

L’ouvrage avait a été créé un 27 décembre 1913, dans ce Théâtre de la Gaité lyrique qui accueillera plus tard une saison des Ballets Russes, sera saccagé par la municipalité chiraquienne dans les années 1980, transformé hideusement dans les années 2010, et qui sera occupé en 2025 durant plusieurs mois par quelques centaines de jeunes migrants. Et c’est une magnifique, voire une héroïque entreprise de la part des Frivolités parisiennes que d’avoir osé rendre vie à un auteur à succès totalement oublié aujourd’hui, et à quelque chose oscillant entre l’opéra-bouffe et l’opéra comique, qu’on nommerait désormais comédie musicale. L’entreprise est d’autant plus extraordinaire que cette production considérable qui a vu le jour à l’Opéra de Reims mobilise un orchestre de trente musiciens, une vingtaine d’exécutants sur scène, solistes, choristes et danseurs, et un nombre incalculable de collaborateurs. Ce qui, par les temps qui courent, apparaît comme infiniment courageux et très bénéfique pour les artistes.

Allante et spirituelle

Sous la direction enjouée et complice de Dylan Corday, les musiciens de l’Orchestre des Frivolités parisiennes s’engagent sans restriction et sans bouder leur évident plaisir à œuvrer ensemble. Tout en ne rompant pas tout à fait avec l’aimable mièvrerie de l’opérette à la française, la musique est allante et spirituelle. Et l’orchestre l’est aussi qui exécute avec allégresse une partition tout en fraîcheur, délivrant ici et là de jolies mélodies. Sur scène, les artistes s’engouffrent avec énergie dans une fantaisie conteuse qui vire dès les premières scènes à la hardie bouffonnerie. 

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Las ! Même s’il leur arrive d’inventer des textes loufoques et versifiés avec une drôlerie bien dans l’esprit de l’époque, Bernède et Choudens n’ont ni l’abatage ni l’humour iconoclaste de Meilhac et Halévy, quoi qu’ils leur emboîtent parfois le pas avec bonheur. Fourdrain, il s’en faut de beaucoup, n’est pas non plus Offenbach. Du coup, l’on rêve de ce que ce dernier et ses acolytes eussent pu faire d’explosif  avec ces Contes de Perrault. Quant aux textes  parlés, actualisés, ils ont parfois une saveur de fête de fin d’année qu’on se serait volontiers épargnée.

De multiples trouvailles

Aussi admirable que soit cette entreprise, aussi  franchement engagés que soient les artistes, il manque à cette fantaisie lyrique, à tout ce travail remarquable des Frivolités parisiennes, un je ne sais quoi  de canaille ou d’acide, un quelque chose de suprêmement frivole ou insolent qui emporteraient vers d’autres dimensions un spectacle qui demeure un peu gentillet, dans un esprit de pensionnaires dont on n’a su se défaire.  On peut accabler les Frivolités parisiennes de compliments, ainsi que cela se fait dans les journaux, en hommage sans doute à de précédentes et heureuses productions. ; on peut même qualifier le spectacle de désopilant… Mais pourtant, c’est bien précisément ce qui lui manque : être désopilant. Comme si en France, à force de goût pour la mesure et la bienséance, à force d’être soucieux de son image,  on ne savait pas délirer et se dégager d’un esprit d’opérette aux relents  provinciaux d’avant-guerre. Comme si les artistes lyriques ne parvenaient pas à se faire bons acteurs.

Et c’est dommage au vu des multiples trouvailles qui pimentent la réalisation de ces Contes de Perrault. Aussi bons chanteurs qu’ils soient, les artistes ne parviennent pas à se départir d’un esprit de pensionnat versaillais. Et à l’exception de quelques-uns d’entre eux, malgré un engagement sans faille, ils manquent de chien, Chat botté compris.

Il eut fallu une direction d’acteurs plus audacieuse, grinçante, un peu déjantée. Et plus que de belles voix, de l’ironie mordante,  une dégaine d’un chic ravageur. De façon à  éviter à ces Contes une trop aimable et trop sage apparence.  

On se souvient qu’Offenbach préférait avoir pour interprètes de ses chefs-d’œuvre débordant d’humour des comédiens plutôt que des chanteurs.

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Des costumes d’une ingéniosité époustouflante

S’il est en revanche un terrain où cette réalisation des Contes de Perrault fait merveille, c’est bien celui des costumes d’une folle fantaisie et d’une ingéniosité époustouflante. Ils ont été créés par Vanessa Sannino assistée de Ninon Le Chevalier, aidées dans leur réussite par les masques et marionnettes de Carole Allemand.

Costumes des hypocrites parents du Petit Poucet devenus roi et reine d’opérette,  de la marâtre de Cendrillon et des deux méchantes sœurs, de Barbe Bleue encore, ou du Chat botté, lui plus élégant que fantasque, ils sont aussi inventifs qu’extravagants, délirants même, mais sans faute de goût. Même si celui de Cendrillon au bal est fort décevant, et celui de la fée Morgane, figure du cycle arthurien étrangement collée dans l’univers de Perrault, moins féérique qu’on eut pu l’imaginer.  Cette fantaisie « hénaurme » des costumes, c’est sans doute la voie qu’auraient dû suivre plus résolument la mise en scène et la direction d’acteurs, pourtant efficaces, on le voit, avec la marâtre ou la Barbe Bleue.


Les Contes de Perrault avec Les Folies parisiennes

Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 17 avril ; 01 53 05 19 19 ou www.athenee-theatre.com
Théâtre impérial de Compiègne, le 24 avril.
Théâtre Raymond Devos de Tourcoing, le 27 avril.
Opéra de Dijon, du 21 au 26 novembre.

Musique de chambre et printemps normand

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© Claude Doaré

Deauville s’apprête à vivre au rythme des concerts de son 29e festival de Pâques. Un rendez-vous incontournable pour tous les amateurs de musique de chambre. 


Ce samedi 12 avril marque le coup d’envoi du 29e festival de Pâques de Deauville. Sous la houlette d’Yves Petit de Voize, son fondateur, les générations de musiciens se succèdent et se rassemblent par l’excellence de leur art. Depuis 1996 et les premiers pas de Renaud Capuçon, pas moins de cinq générations se sont cooptées : les aînés tendent la main à leurs cadets au concert comme au disque – preuve en est avec la remarquable collection « Deauville Live », du label b-records.

Répétition à Deauville… sous le regard d’Yves Petit de Voize et du chef Pierre Dumoussaud. Photo: Claude Doaré

Jusqu’au 26 avril, la musique de chambre est donc mise à l’honneur, de Mozart à Debussy en passant par Schubert, Beethoven, Chausson et Webern. Des programmes exigeants qui permettent aux musiciens de se retrouver sur scène pour former un trio, un quatuor ou un orchestre et de faire éclater leur talent et leur complicité. Cette complicité qui fait partie de l’ADN de ce festival se partage avec le public. La salle Élie de Brignac-Arqana, vaisseau de bois posé face l’hippodrome, à deux pas des Planches, offre une rare proximité avec les instrumentistes et les chanteurs, ainsi qu’une magnifique acoustique.

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Lors de cette 29e édition, les amateurs retrouveront ceux qu’ils ont vus « grandir » et gagner en maturité, tels l’altiste Lise Berthaud, le violoncelliste Yan Levionnois, les pianistes Adam Laloum et Théo Fouchenneret ainsi que beaucoup d’autres pépites. Quant aux fidèles, ils seront heureux d’écouter lors de ce week-end d’ouverture le non moins fidèle parrain du festival, le violoniste et chef d’orchestre Augustin Dumay dans un programme Chausson, Debussy, Ravel, le samedi 12, puis Richard Strauss, le dimanche 13.

Mozart, Bach et Tchaïkovski, entre autres, seront applaudis lors des concerts du week-end suivant, et il en sera ainsi jusqu’à la fin du mois… en attendant l’Août musical (du 31 juillet au 9 août), le pendant estival de ce rendez-vous pascal à ne pas manquer.


Tout le programme sur : https://musiqueadeauville.com/

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L’Occident à l’Ouest

Rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine au Kremlin pour discuter du renforcement de la coopération stratégique et économique entre la Chine et la Russie, ainsi que de la situation en Ukraine, Moscou, 21 mars 2023 © Pavel Byrkin/TASS/SIPA

Pour avoir cru la fin de l’Histoire advenue avec la chute de l’URSS, les Européens se sont désarmés et donné pour mission sacrée d’abolir leurs singularités. Tirés brutalement de l’anesthésie générale par les bouleversements du monde, ils peinent aujourd’hui à répondre à cette question vitale : qui est notre ennemi ?


Les temps changent, comme disait l’autre. Les Français l’ont découvert le 25 mars, lors de l’avoinée en mondovision infligée à Volodymyr Zelensky par le duo exécutif américain. Sans doute étions-nous trop occupés, ces dernières années voire décennies, à sauver nos retraites, pour nous apercevoir que les cartes de la puissance étaient rebattues à l’échelle mondiale. Si on prend seulement les six derniers mois, l’actualité internationale donne le tournis : le 8 décembre 2024, le régime baasiste au pouvoir à Damas depuis 1963 tombe devant des islamistes parrainés par Erdogan ; le 1er janvier 2025, Xi Jinping déclare que « personne ne peut arrêter » la « réunification » avec Taïwan ; le 7 janvier, Donald Trump indique qu’il a l’intention de faire du Canada le 51e État américain, ainsi que d’annexer le canal de Panama et le Groenland ; et pour finir, le 18 mars, après des années de gel diplomatique entre leurs deux pays, Poutine et Trump copinent au téléphone et commencent à se partager le sous-sol ukrainien. Au même moment, l’Europe et l’Amérique se causent à coups de tarifs douaniers, et la Maison-Blanche se plaît à laisser penser que l’OTAN, de la mort clinique annoncée par Emmanuel Macron en 2019, est passée à la mort tout court – à ce jour, l’Alliance atlantique bouge encore.

La France rétrogradée

Pendant la même période, la France connaît une série de revers. Depuis novembre 2024, elle est défiée par son ancienne colonie algérienne, qui, non contente de détenir un otage, la nargue à coups d’influenceurs et d’OQTF. Le 30 janvier 2025, notre armée évacue au Tchad sa dernière base au Sahel, après avoir quitté le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger et le Sénégal. Cette déconfiture africaine conclut des décennies de déclin de notre puissance militaire, économique et culturelle. Il est plaisant d’en faire le reproche aux élites, mais ce déclin est une coproduction parfaite entre gouvernants et gouvernés. Si on nous a vendu des bobards, nous étions bien contents de les acheter. Du reste, encore aujourd’hui, une proportion notable de Français est convaincue que nous pouvons redevenir un pays avec lequel il faut compter sans sacrifier notre merveilleux modèle social, ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs.

À lire aussi, Pierre Manent : Nous avons épuisé les dividendes de notre puissance

Dans ce climat, quand les mauvaises manières américaines font souffler un vent de panique dans les capitales européennes et poussent Emmanuel Macron à agir, on est enclins à douter, voire à ricaner. On peut penser, comme Marcel Gauchet, que la parole présidentielle n’a aucune importance car plus personne ne la croit. S’amuser de sa prétention à rattraper, par la grâce de sa personne, quarante ans d’illusions, de renoncements et de confort. Observer que la réindustrialisation annoncée avec tambour et trompette n’a pas eu lieu et que nous sommes bien incapables de nous substituer aux Américains pour armer l’Ukraine. Souligner qu’un homme qui n’a jamais employé le mot « patrie » est mal placé pour nous appeler à la sauver. Craindre, à l’instar de Pierre Manent, qu’il profite de la situation pour essayer de nous faire faire le grand saut fédéral. Et pour finir, on voit bien le plaisir narcissique, quasi enfantin, qu’éprouve Emmanuel Macron à jouer au chef de guerre – « le président Top Gun » répétaient servilement ses communicants au début de la guerre en Ukraine. Ceci étant, on ne lui reprochera pas, pas ici en tout cas, d’avoir refusé de lâcher l’Ukraine en rase campagne et essayé d’incruster l’Europe à la table des négociations. Qu’il se fantasme en chef de futurs États-Unis d’Europe, c’est autre chose, heureusement il y a peu de risque que ce fantasme se réalise.

Le confort comme idéologie

Pour les Européens et singulièrement pour les Français, le réveil est d’autant plus rude qu’il est tardif. Tout heureux d’avoir troqué les affres de l’indépendance contre les certitudes du confort – les fameux dividendes de la paix –, nous espérions nous la couler douce encore longtemps, protégés des désagréments de l’Histoire par la Sécurité sociale et l’Amérique. Et voilà qu’on tire le tapis sous nos pieds. Nous découvrons que le monde est plein d’étrangers qui ne nous aiment pas. Or, pour Marcel Gauchet il y a sur ce sujet un grand malentendu : comme beaucoup veulent venir chez nous, on croit qu’ils veulent nous ressembler, mais pas du tout : « L’Europe est l’endroit idéal pour développer une autre culture. »

Dans un tourbillon d’événements dont on peine à hiérarchiser l’ampleur et à anticiper les conséquences, on aurait aimé que l’affrontement des arguments éclairât notre lanterne. Bien entendu, c’est le contraire qui s’est passé. De tous côtés, on s’est jeté certitudes et invectives à la tête – les uns qualifiant leurs adversaires de « bellicistes », les autres de « munichois ». Peut-être même que ce moment restera comme le premier où on a vu deux « politiquement correct » s’affronter presque à égalité.

Dans le camp progressiste, aucun doute, on est en 1938, il faut empêcher Hitler d’avaler la Tchécoslovaquie, qui est juste l’amuse-bouche. L’Ukraine, c’est l’avant-poste de la démocratie, le symbole de notre détermination face au Mal. Quant à l’Amérique trumpiste, elle est la preuve que la peste brune menace l’Occident tout entier, ce qui a le grand avantage de faire passer au second plan le combat contre l’islamisation, qui gratouille les bonnes consciences de gauche. Autant dire que les beaux esprits exultent, convaincus d’avoir enfin trouvé une cause à leur mesure : la résistance à l’internationale réac, c’est la guerre d’Espagne en mieux.

De l’autre côté, on est convaincus que nous sommes en 1914, qu’une étincelle peut nous plonger dans la Troisième Guerre mondiale et qu’en conséquence, il ne faut pas trop chatouiller les puissants. De plus, une partie de la droite a vu dans l’élection de Trump le début de la reconquête idéologique. Et beaucoup ne sont pas loin de penser, sans se l’avouer clairement, que Poutine, avec ses manières viriles et ses gros biscotos, est un rempart efficace contre le wokisme. Ce n’est pas en Russie qu’on encouragerait votre ado à changer de sexe. Certes. Comme le dit un de nos amis : « Va-t-on céder à Poutine parce qu’on ne veut pas de la théorie du genre à l’école ? » L’anti-macronisme enragé fait le reste : si Macron parle de guerre, c’est forcément pour de mauvaises raisons. Il veut faire diversion. Il prétend nous préparer aux conflits qui auront lieu dans trente ans, pas parce que c’est la meilleure manière de les éviter, mais pour faire oublier les ratés de la guerre contre le séparatisme musulman.

Penser l’urgence

Les deux camps pourraient s’accorder sur la nécessité de recouvrer notre capacité d’action, à défaut de prôner les mêmes moyens pour y parvenir. Mais aucune vérité ne naît du choc des certitudes. Il y a pourtant urgence à penser ce qui nous arrive et à élaborer des réponses collectives aux problèmes qui nous sont posés, à commencer par la question classique de la politique : qui est notre ennemi ? Que signifie « nous » ? Quel rang peut encore tenir un confetti démographique comme l’Europe ? Comment un pays endetté, divisé et désenchanté peut-il retrouver le goût du futur ?

Faute d’une boule de cristal pour prédire l’avenir ou d’une baguette magique qui, en un tournemain, sortirait le peuple français de sa léthargie, nous avons choisi de solliciter des penseurs et non les moindres[1]. Nous avons donc demandé à Marcel Gauchet et Pierre Manent, qui figurent parmi les meilleurs analystes de la dissolution française en particulier et des collectivités humaines en général, de nous dire si nous sommes définitivement sortis de l’Histoire ou si, tels des enfants prodigues, nous serons bientôt de retour au banquet des hommes tragiques.


[1] Il manque notre cher Alain Finkielkraut qui a demandé un délai pour affiner sa réflexion.

Fichu foulard

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© Jeanne Accorsini/SIPA

Dans le match qui les oppose à la FFF, les hidjabeuses ont un net avantage: à l’étranger, personne ne comprend vraiment la laïcité à la française…


Le Parlement travaille sur une loi destinée à mettre définitivement hors jeu le hidjab, ou voile islamique, sur les terrains de sport français. La ministre des Sports, Marie Barsacq, a toutefois émis quelques bémols, et le torchon brûle. Même si elle ne le sait pas, madame le ministre a quelque part raison. Une loi franco-française se heurtera fatalement aux exigences internationales…

Prenons le football. Au nom de la laïcité, pour les compétitions nationales, la FFF (Fédération française) prohibe déjà le hidjab. Mais si la FFF est sous tutelle de l’État (via le ministère des Sports), elle est également une association membre de la FIFA (Fédération internationale). Or la FIFA (bien que son règlement stipule que l’équipement ne doit présenter aucun signe « à caractère politique, religieux ou personnel ») accepte depuis 2014 le port du voile, grâce à un article, un artifice, qui autorise tous les couvre-chefs, à condition qu’ils ne soient pas dangereux. Cela permettrait ainsi aux Anglais de jouer avec un chapeau melon, ou aux Français avec un béret, mais plus concrètement cela permet aux joueuses musulmanes de jouer avec ce fichu foulard. Et dans les statuts, il est souligné que les associations membres ont l’obligation « d’observer en tout temps règlements et directives de la FIFA ». Qu’à défaut elles peuvent être suspendues, voire exclues des compétitions internationales. Ainsi une joueuse ou une équipe sanctionnée pour port du voile par la FFF pourrait faire appel à la FIFA, qui aurait le droit d’infliger un carton jaune ou rouge à la FFF !

Si la FIFA est aussi tolérante, ce n’est pas par souci œcuménique, mais par intérêt économique, elle apprécie les gros chèques des émirs qui investissent dans le sport, tous les sports, pour soigner leur image, et l’imposer. Le Qatar a organisé la Coupe du monde 2022, l’Arabie saoudite sera le pays hôte en 2034. Une seule religion, celle de l’argent, comme au CIO, qui accepte les athlètes voilées aux Jeux olympiques. Il n’y a que dans les sports nautiques que les voiles ne font pas débat au port.

Résurrection du loup sinistre: Dé-Extinction Rébellion!

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La société de « dé-extinction » Colossal Biosciences a annoncé la naissance en bonne santé d'animaux issus de sa dernière tentative de ramener des animaux préhistoriques d’entre les morts : des loups géants ou « loups terribles ». Dallas, 7 avril 2025 © Colossal Inc./Cover Images/SIPA

Résurrection d’espèces éteintes. L’annonce spectaculaire de l’entreprise américaine Colossal Biosciences soulève des questions éthiques assez vertigineuses. Analyse.


Il n’y a pas de moment plus propice pour parler de résurrection que la Semaine sainte, et c’est peut-être pour cette raison que Colossal, une entreprise pionnière dans le domaine de la bio-ingénierie, a récemment fait une annonce spectaculaire qui a captivé l’imagination du public : le retour du loup sinistre (Canis dirus), une espèce disparue depuis 10 000 ans ! Trois spécimens, nommés Remus, Romulus et Khaleesi (ce dernier, dont le nom est issu de la série télévisée et littéraire « Game of Thrones », n’a pas encore été présenté au public), ont vu le jour grâce à ce projet à la fois surprenant et prévisible.

Une projet secret ayant abouti l’automne dernier

La surprise réside dans le secret qui a entouré cette entreprise, prenant de court de nombreux experts, ainsi que dans le choix de l’espèce « ressuscitée », le loup sinistre, qui ne figurait pas parmi les candidats en tête pour la dé-extinction. En même temps, ce résultat semble prévisible — ou plutôt inévitable — tant il découle de la convergence entre les principes de la conservation et les avancées de la biotechnologie.

Les concepts de conservation regroupent un ensemble de principes et de stratégies destinés à préserver la biodiversité, les écosystèmes et les ressources naturelles de la planète. Ils recouvrent des approches variées, allant de la protection des espèces menacées et de leurs habitats à la restauration des milieux dégradés, tout en intégrant la promotion de pratiques durables dans l’usage des ressources. Plus récemment, grâce aux avancées scientifiques et technologiques, un champ nouveau est venu enrichir cette réflexion : la dé-extinction. L’objectif global de ces démarches est de renforcer la santé et la résilience de la biosphère, dans l’espoir d’assurer un avenir durable à l’ensemble des formes de vie, y compris l’humanité.

C’est trop injuste !

Les principes de conservation soulèvent néanmoins des questions épineuses quant à leur application et à leurs implications. L’un des écueils majeurs réside dans la définition et l’évaluation de la valeur écologique. Déterminer objectivement l’importance d’une espèce ou d’un écosystème demeure une tâche complexe, souvent teintée de subjectivité. Les critères employés — qu’ils soient économiques, esthétiques ou éthiques — varient considérablement, menant parfois à des décisions contestables et souvent contestées : c’est le cas de la réintroduction des loups et des ours en France. De surcroît, la focalisation sur certaines espèces ou certains milieux peut se faire au détriment d’autres, créant des déséquilibres et des formes d’injustice écologique.

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La restauration des habitats comporte également ses inconvénients. Les projets dans ce domaine sont souvent coûteux et complexes, nécessitant une expertise technique pointue ainsi que d’importantes ressources. Cette tâche se heurte à la complexité des interactions écologiques. Comprendre et anticiper les effets des interventions sur les chaînes alimentaires, les relations de symbiose ou les interdépendances naturelles représente un défi majeur. De plus, le succès de ces entreprises n’est jamais garanti, car elles peuvent être compromises par des facteurs imprévisibles, tels que les changements climatiques ou les invasions biologiques. Il convient aussi de souligner que restaurer un habitat ne signifie pas nécessairement revenir à un état originel, mais implique plutôt la création d’un nouvel équilibre écologique, potentiellement différent de celui qui prévalait autrefois.

La durabilité, bien que largement promue, demeure un concept souvent flou et sujet à interprétation. Sa mise en œuvre se heurte à des obstacles économiques, sociaux et politiques significatifs. Les intérêts à court terme, qu’ils soient industriels ou gouvernementaux, prennent fréquemment le pas sur les objectifs de durabilité à long terme, engendrant des compromis qui nuisent à la protection de l’environnement. En outre, la définition même de la durabilité varie selon les acteurs et les contextes, ce qui complique l’élaboration de politiques cohérentes et efficaces.

Enthousiasme médiatique, doutes scientifiques

Enfin, la dé-extinction, malgré l’enthousiasme qu’elle suscite dans les médias, soulève des interrogations éthiques et écologiques fondamentales. Ramener à la vie des espèces disparues pose des problèmes liés au bien-être animal, à la gestion des populations et aux risques pour les écosystèmes actuels. Par ailleurs, cette démarche pourrait détourner l’attention et les ressources de la conservation des espèces menacées, dont la protection constitue une priorité plus immédiate. Comme le rappelle l’exemple du bucardo, un chevreau cloné qui n’a survécu que quelques minutes après sa naissance, ce qui illustre bien les défis techniques et moraux que soulève cette approche.

Retournons à nos loups. Le retour des « terrifiants » créés par Colossal soulève dès lors des questions complexes, à commencer par celle de leur authenticité : sont-ils véritablement les répliques exactes de leurs ancêtres disparus ? En réalité, ces créatures issues de la biotechnologie ne sont pas des clones au sens strict, mais des recréations génétiquement modifiées, conçues à partir de l’ADN d’espèces proches et de fragments extraits de spécimens fossiles. Leur apparence et certains traits comportementaux peuvent rappeler ceux des loups préhistoriques, mais il ne s’agit pas d’une résurrection fidèle : leur génome comporte nécessairement des zones d’incertitude, voire des éléments d’innovation. Ces loups, aussi impressionnants soient-ils, résultent donc d’une reconstruction partielle où la science comble les lacunes par des choix technologiques. Ils ne peuvent ainsi être considérés comme de parfaits clones, mais plutôt comme des hybrides, à la croisée du passé reconstitué et du présent reconfiguré.

Dans le cas précis des loups terrifiants, Colossal a procédé en combinant des techniques avancées de génie génétique, notamment l’édition du génome à l’aide du célèbre outil CRISPR-Cas9, avec des cellules d’espèces proches encore vivantes, comme le loup gris ou le chien. En insérant dans leur ADN des fragments d’anciennes séquences génétiques extraites de fossiles, l’entreprise a conçu un organisme hybride reproduisant certaines caractéristiques physiques et comportementales des loups disparus. Il ne s’agit donc pas d’un clone parfait, mais d’une recréation partielle, issue d’une reconstruction génétique ciblée. La réussite de ce projet a été rendue possible par l’édition génétique de l’ADN du loup gris, incluant vingt modifications ciblées sur quatorze gènes. Des chiennes domestiques ont été utilisées comme mères porteuses pour mener à bien ces gestations inédites.

Ainsi, la réintroduction de ces loups à peu près « terrifiants » soulève une interrogation essentielle : ne risquons-nous pas de créer des monstres ? C’est effectivement toute l’ambivalence des biotechnologies : une prouesse scientifique porteuse d’espoirs écologiques, mais aussi de risques profonds. Les hybrides génétiques, mélange d’ADN fossile et moderne, ne sont pas des clones fidèles et leur viabilité à long terme reste incertaine, tout comme leur comportement dans des écosystèmes qu’ils n’ont jamais connus.

Si les « ciseaux génétiques » permettent des modifications ciblées, ils génèrent des altérations imprévues, mutations silencieuses ou effets hors cible, pouvant déclencher des cancers ou des déséquilibres métaboliques. La réparation cellulaire, souvent approximative, ajoute une couche de risques.

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Introduire une espèce hybride dans la nature revient à jouer aux apprentis sorciers. Ces organismes pourraient supplanter des prédateurs locaux, perturber les chaînes alimentaires ou transmettre des gènes anciens à des populations sauvages, menaçant la biodiversité qu’ils devaient enrichir.

On peut donc poser une autre question : vus les risques, cette résurrection ou réintroduction répond-elle à un impératif écologique ou s’agit-il surtout d’une démonstration de puissance technologique ?

Jusqu’à présent, les experts en conservation ont soutenu la dé-extinction lorsqu’elle visait à restaurer des équilibres écologiques perturbés, en réintroduisant notamment des espèces clés capables de revitaliser des habitats dégradés ou de réactiver des dynamiques naturelles. Ces choix s’appuyaient sur une évaluation rigoureuse des bénéfices attendus pour les écosystèmes. Dans le cas de Colossal, cependant, la communication semble privilégier l’exploit scientifique, mettant en avant la prouesse génétique plutôt que les bénéfices concrets pour la biodiversité. Cette orientation risque de transformer profondément la finalité de la conservation, en l’éloignant de ses objectifs écologiques pour en faire une vitrine de l’innovation technologique. La question n’est donc plus seulement de savoir si l’on peut ressusciter une espèce disparue, mais de comprendre pourquoi, et dans quel but, on choisit de le faire.

Il sera intéressant d’observer comment le monde de la conservation réagira à ce changement de paradigme, et si la logique qui sous-tend la dé-extinction évoluera. En attendant, les réactions à cette annonce sont diverses. Le ministre américain de l’Intérieur et Joe Rogan ont salué l’initiative, tandis que le compte Twitter de l’entreprise débat publiquement avec des journalistes sur la nature exacte de ce loup.

Profitant de l’engouement médiatique, l’entreprise a dévoilé ses ambitions futures, notamment le retour du mammouth laineux d’ici 2028, ainsi que celui du loup de Tasmanie. D’autres espèces emblématiques, telles que le dodo ou le pigeon voyageur noble, figurent également sur la liste des projets envisagés.

Le projet de réintroduction du loup de Tasmanie suit une approche similaire, reposant sur le clonage à partir de cellules prélevées sur un spécimen conservé dans un musée. Le pigeon voyageur noble, disparu en 1914 après une chasse massive, représente un autre défi, notamment du fait de la complexité que représente le clonage d’oiseaux, qui nécessite des manipulations génétiques particulièrement délicates. Quant au mammouth, l’idée consiste à modifier le génome de l’éléphant d’Asie pour créer un équivalent capable de survivre dans le climat sibérien.

L’idée serait de réintroduire cet éléphant-mammouth hybride dans le Parc du Pléistocène en Sibérie, un projet initié par l’écologiste Sergueï Zimov et son fils Nikita visant à restaurer un écosystème de steppe datant d’environ 12 000 ans. Cet environnement reconstitué pourrait non seulement offrir un habitat adapté au mammouth, mais aussi contribuer à limiter le changement climatique : en stabilisant le pergélisol, il réduirait les émissions de gaz à effet de serre libérés par son dégel, qui s’accélère dans la région. Cependant, le conflit en Ukraine a ralenti les avancées, plusieurs partenaires internationaux ayant suspendu leur collaboration avec le parc de Zimov.

D’autres initiatives de dé-extinction sont en cours, bien qu’à un stade moins avancé. L’aurochs européen et le quagga, une sous-espèce de zèbre, font l’objet d’expérimentations de reproduction sélective.

Jurassik Park ? Pas pour tout de suite

Aujourd’hui, le loup sinistre devance tous ces projets, marquant une étape décisive dans le domaine de la dé-extinction. Si cette discipline fascine autant qu’elle inquiète, une espèce semble écartée des tentatives : les dinosaures. Ils ne figurent pas sur les listes, bien que certains évoquent la possibilité de modifier génétiquement des oiseaux actuels, comme l’autruche, pour créer des créatures inspirées des dinosaures. Jusqu’ici rejetée au nom de la restauration des écosystèmes, cette idée pourrait être réévaluée au fur et à mesure que la technologie progresse et devient plus accessible.

Avec ce coup de communication et de technologie, Colossal, dirigée par Ben Lamm et le généticien George Church, s’impose aujourd’hui comme un acteur central dans ce domaine. Son modèle économique, fondé sur la propriété intellectuelle et, potentiellement, le tourisme, soulève des interrogations sur la nature de ses motivations et sur la place réelle accordée à la conservation, bref la question se pose s’il ne s’agit pas d’un loup de Wall Street. L’entreprise, financée par des fonds privés, devra désormais naviguer entre les espoirs nés de ses avancées scientifiques et les inquiétudes suscitées par leurs implications éthiques et écologiques.

Viva la muerte !

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Nice, mars 2025 © SYSPEO/SIPA

Euthanasie, IVG, ZFE… Y’a de la joie…


Il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin les signes de la décadence vertigineuse de notre société. Il suffit de se reporter aux sujets sur lesquels elle entend réformer, légiférer en priorité. Et l’on a alors vite fait de constater que c’est à une société gangrénée par le morbide, fascinée par la mort que nous avons affaire.

Dans ce registre, elle a commencé par vouloir à tout prix inscrire dans la constitution le droit à l’avortement, pratique qui n’est autre que la mise à mort d’un être vivant, le fœtus. Mise à mort possible désormais à un stade de l’évolution de cet humain en devenir où, pour le supprimer, il faut en passer par l’acte symboliquement barbare entre tous, broyer le crâne, le cerveau.

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Et voilà qu’il s’agit à présent de faciliter le passage volontaire de vie à trépas, l’euthanasie, le suicide assisté. Faciliter en effet, parce que à lire le projet de loi, il semble bien que, si ce projet devait être voté en l’état, ce qu’à Dieu ne plaise, il deviendrait plus aisé de se faire expédier ad patres que de dénicher un médecin traitant en province. Un comble.

Fascination du morbide, en effet, que cette intention législative dont le résultat, si elle entrait en vigueur, ne ferait qu’ajouter un tourment à ceux qu’endurent déjà le malade. Le tourment de la culpabilisation de désirer vivre encore un peu. Le tourment de devoir se poser la question : stop ou encore ? Car le problème sera bien celui-là. S’entêter à demeurer en ce bas monde risquerait fort de devenir une sorte d’incongruité, une faute sociale, une lubie de mauvais citoyen, la norme progressiste en ce domaine étant de ne pas encombrer le plancher dès lors qu’on n’y serait plus convenablement alerte, dans un état conforme aux critères de vitalité prévus par les manuels.

Courage fuyons ! voilà la règle nouvelle. La société se découvrant incapable d’accompagner avec décence et dignité la vie jusque dans la faiblesse des derniers moments, capitule en rase campagne et se dote des moyens de précipiter l’issue. Aveu de terrifiante impuissance ! Mais qu’importe ! On n’est pas à un renoncement près. Et puis, mon bon monsieur, les retraites – ainsi d’ailleurs que les soins longue durée – coûtent si cher qu’abréger autant qu’on peut les vies improductives n’est pas loin de devenir un impératif économique.

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Et puis, il y a les petites morts, sociales celles-là. Les gueux exclus de ZFE, par exemple. Ce n’est pas la mise à mort, seulement l’envoi en purgatoire. L’interdiction de pénétrer dans le saint des saints, là où règne l’entre-soi de ceux qui ont de quoi. De quoi rouler propre. Les autres, ceux qui ne disposent d’autre moyen de déplacement que leur bagnole époumonée, qu’ils crèvent donc ! D’ailleurs, la ministre l’a dit. Les précaires n’ont pas d’auto. En fieffée technocrate qu’elle est, elle se trompe lourdement. Le précaire, notamment en campagne, n’a même que cela pour vivre encore, aller au pain, se rendre chez le lointain médecin, etc. Il n’a plus que sa bagnole trentenaire si ce n’est quadragénaire, en effet.  Et qui, avec cette belle trouvaille, ne sera même plus autorisée à le conduire en cas de besoin jusqu’au grand hôpital urbain. Mais quelle importance ! Le progressisme veille, qui ne résistera guère sans doute à proposer une solution particulièrement intelligente. Faisant d’une pierre deux coups, l’auto moribonde et le quidam qui ne l’est pas moins, oui, les deux ensemble à la casse.

Bien triste vision de l’avenir, bien sinistre conception de la vie qu’illustrent de telles priorités politiques ! Ce seraient les ultimes soubresauts d’une société désespérée d’elle-même que l’on ne s’en étonnerait guère.

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Où il sera beaucoup question de l’Algérie mais pas que…

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L’Algérie et ses OQTF nous préoccupent depuis des semaines. Mais l’actualité a aussi été marquée par le retour des retraites dans le débat public et celui des gens du voyage à Béziers, ainsi que celui de… La Belle et la Bête.


Ramadan

En plein bras de fer avec l’Algérie, on apprend que le gouvernement français vient d’accorder des visas à des « récitateurs » algériens du Coran durant la période du ramadan. Alors qu’Alger refuse d’admettre sur son sol ses ressortissants que la France souhaite expulser – on est juste après l’attentat de Mulhouse, où l’Algérie a refusé de reprendre Brahim A. « à dix reprises », d’après Bruno Retailleau. Alors que l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal – âgé de 80 ans et atteint d’un cancer – croupit toujours en prison depuis plus de quatre mois… Malgré les explications du ministre de l’Intérieur – « entraver la liberté de culte reviendrait à donner raison aux extrémistes […], à désespérer les patriotes musulmans sincères » –, l’effet est désastreux. Et le Rassemblement national se réjouit d’avoir enfin un angle d’attaque contre Bruno Retailleau…

OQTF (suite)

Madame Eva Marty, la fiancée de l’OQTF que Robert Ménard a refusé de marier en juillet 2023, a convoqué une conférence de presse le 4 mars. Elle souhaitait revenir sur son audition par les services de l’état civil de la ville de Béziers le matin même. Eva Marty ayant engagé une procédure pour se marier en Algérie, le consulat de France à Oran a demandé à la mairie de Béziers de procéder à un nouvel entretien, ce qui est la procédure normale. On se souviendra que la jeune fiancée n’avait cessé de se plaindre de la médiatisation faite autour de cette affaire : visiblement, elle en a trouvé les bons côtés puisque c’est elle à présent qui convoque la presse… On apprendra à cette occasion par la bouche de son avocate que le mariage ne pourra pas être prononcé par les autorités algériennes car… la future mariée n’y est pas en règle !

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Conclave

Quelle erreur ! Quelle faute ! Je ne comprends pas François Bayrou. J’entends toutes les raisons liées à la situation internationale qui nous obligent à faire des efforts, et donc, au choix, payer plus ou travailler davantage. Mais quelle mouche l’a donc piqué de déclarer, en plein conclave des retraites, qu’il n’était pas question de revenir à un âge de départ à la retraite à 62 ans ? Pourquoi donc ne pas laisser patrons et syndicats discuter jusqu’au bout ? Avec une toute petite chance qu’ils trouvent une solution économiquement viable – ce serait une belle surprise. Ou au contraire, que le conclave finisse par un constat d’échec dont le Premier ministre n’aurait pas été jugé responsable. Bref, lui qui ne dit jamais grand-chose a ici loupé une belle occasion de se taire.

OQTF (encore !)

Vendredi 14 mars. Le tribunal administratif de Montpellier a rendu sa décision concernant la demande d’annulation de l’expulsion de Mustapha, le fiancé sous OQTF d’Eva… Demande rejetée.

Contes de fées

Après les polémiques à répétition autour du film Blanche-Neige – pas si blanche que ça et sans les sept nains –, c’est au tour de La Belle et la Bête de faire scandale. Élisabeth Borne vient en effet d’annuler la commande destinée aux CM2 d’une version revisitée du conte, jugée « trop adulte ». Son dessinateur Jul crie à la « censure intempestive » et se demande si « le “grand remplacement” des princesses blondes par des jeunes filles méditerranéennes serait la limite à ne pas franchir pour l’administration versaillaise du ministère ». On apprend que la version modernisée met notamment en scène un père alcoolique qui chante du… Michel Sardou ! L’horreur, non ? Mais somme toute pas très original. Quitte à faire encore plus caricatural, on suggère à l’auteur – pour sa prochaine réécriture – de lui faire fredonner du Jean-Pax Méfret !

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Dimanche ordinaire

Dimanche 16 mars à 14 heures, je suis appelée pour intervenir auprès d’un convoi de gens du voyage qui ont décidé d’élire domicile sur le parking de notre stade de rugby, en forçant les grilles, cela va de soi… Après une bonne heure de discussion – durant laquelle j’essaie de trouver une solution de repli puisqu’il est hors de question qu’ils restent sur ce parking –, je tente de joindre le service de « médiation départementale », chargé de gérer ce genre de situation. Problème, on m’informe qu’ils ne travaillent pas le week-end. Pendant ce temps, j’ai le droit aux gesticulations habituelles – l’un hurle, l’autre pleure, pendant qu’un troisième fait semblant de les calmer. Ouf, le maire d’une commune proche accepte d’ouvrir son aire de passage avec quelques semaines d’avance. Tout ce petit monde s’en va dans le calme et en souriant. Il ne nous reste plus qu’à changer le cadenas…

Manifestation contre le racisme… et l’antisémitisme ?

Ce 22 mars a eu lieu un peu partout en France une marche contre – au choix – le racisme, l’antisémitisme, le fascisme, l’extrême droite. On pouvait d’ailleurs lire sur une des pancartes brandies à Paris : « Face au racisme et à l’antisémitisme, submersion antiraciste ». Quand on sait que La France insoumise notamment était à l’origine de cette manifestation, il y a de quoi s’étrangler. C’est bien ce parti d’extrême gauche qui, depuis des mois, des années maintenant, « joue » avec l’antisémitisme en vue d’un électoralisme effréné. C’est bien LFI aussi qui, pour appeler à cette marche, a publié une affiche représentant le visage démoniaque de Cyril Hanouna, dans la droite ligne des caricatures antisémites des années 1930. On attend toujours les excuses de J.-L. Mélenchon…

Élisabeth Badinter, peu suspecte d’accointances avec la droite dénoncée ici, dit d’ailleurs de LFI qu’elle est « farouchement antisémite ». À Béziers, on a eu le droit à l’inévitable « Béziers mérite mieux qu’un maire fasciste ». Vous avez dit caricature ?

Prise de conscience

On apprend en cette fin de mois de mars, dans une interview de Gérald Darmanin au JDD, que « les détenus étrangers représentent 24,5 % de la population carcérale » (alors que les étrangers ne représentent que 8,2 % de la population totale – chiffres Insee) et que « les étrangers doivent purger leur peine dans leur pays ». Le 12 décembre 2023, alors députée, je questionnais – ce n’était pas la première fois ! – le ministre de la Justice (alors Éric Dupont-Moretti) sur le nombre important de personnes étrangères détenues dans les prisons françaises. Je proposais, « afin de désengorger les prisons, de les rendre plus vivables et de ne plus faire peser le poids financier de l’incarcération des étrangers sur les Français, […] que les personnes de nationalité étrangère ayant été condamnées sur le sol français puissent purger leur peine de prison dans leur pays d’origine. » On dirait bien que Monsieur Darmanin a réfléchi à ma proposition…

Beauté italienne

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© Paname distribution

Dans Vermiglio, Maura Delpero capte avec délicatesse la fin d’un monde rural pris dans les remous de la guerre. Entre solitude des hauteurs, amour clandestin et poids des traditions, elle signe une œuvre sensible et picturale, récompensée à juste titre par le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise


Vermiglio ou la Mariée des montagnes de Maura Delpero a reçu le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise en 2024, une récompense justement méritée pour ce très beau film.

L’action se déroule au milieu des années quarante, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, au moment de la débâcle italienne et de la proche défaite des nazis. Elle débute à l’hiver 1944, dans les montagnes du Trentin-Haut-Adige, en Italie, dans un petit village isolé, Vermiglio, où la vie suit le rythme des saisons. Un jeune soldat arrive, cherchant refuge. Le jeune homme Pietro et la fille aînée Lucia tombent amoureux, bouleversant à jamais la dynamique familiale de l’instituteur local, Cesare. Le destin bascule…

Beauté des forêts, des sommets enneigés, des prairies en fleurs : loin de la fureur des combats, la quiétude de la communauté est troublée par l’arrivée de deux soldats italiens déserteurs fuyant la déroute. Filmer la nature, les femmes et les hommes, la force et la beauté des traditions chrétiennes, filmer la guerre sans la montrer : c’est la belle réussite de Maura Delpero. Elle signe ici un deuxième long-métrage de fiction, épuré et âpre, tendre et tendu, après le remarquable Maternal sorti en 2019, qui suivait une religieuse arrivant dans un couvent pour jeunes filles en Argentine.

La cinéaste est retournée dans le village du nord-est de l’Italie où a grandi son père, récemment décédé. À travers le cycle complet des quatre saisons, elle montre la vie quotidienne des habitants, fidèles à leurs traditions rurales et chrétiennes.

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Vermiglio déborde de douceur. La beauté irradie chacun de ses plans, filmés comme des tableaux inspirés par les œuvres de Giovanni Segantini et Caspar David Friedrich pour les scènes extérieures, et par la peinture flamande pour les scènes d’intérieur, éclairées à la bougie. Cette lumière intime accentue la profondeur des échanges, notamment entre les nombreuses sœurs très proches du couple. Paysages de haute montagne hivernaux et immaculés, vert printanier des prairies, cimes ensoleillées d’été, roux automnal : tout est magnifié par la mise en scène tranchante et elliptique de Delpero, la lumière douce et les cadres acérés de la photographie de Mikhaïl Kritchman. Les Quatre Saisons de Vivaldi et les Nocturnes de Chopin accompagnent la narration et soulignent le caractère romanesque de cette fiction très documentée.

La mise en scène, mêlant austérité et puissance, permet à la réalisatrice d’instaurer une atmosphère intime et sensorielle dans ce village où la vie des femmes est marquée par la solitude, la rudesse du quotidien, mais aussi la force des traditions. C’est un grand film sur la disparition d’un monde montagnard, un portrait intelligent et touchant de la vie de famille vue à hauteur d’enfant. Il interroge la place sociale et traditionnelle des hommes et des femmes, en particulier celle d’un père instituteur, cultivé et sensible, autoritaire dans son foyer mais profondément attaché à l’éveil de ses élèves à la langue, à la poésie et à la musique. À la fois maître exemplaire et père faillible, il incarne toute l’ambiguïté d’un monde en mutation.

1h59

Pourquoi Frédéric Taddéï est-il si convaincant ?

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Frédéric Taddéï, août 2018 © Hannah Assouline

Celui que le quotidien de gauche Le Monde qualifie de « dandy du débat télévisé » – pour mieux critiquer tout de suite après ses prestations sur RT France ou CNews -, est désormais directeur de l’hebdomadaire Marianne.


Directeur de Marianne, Frédéric Taddéï écrit à la dernière page, comme il se doit, « Le mot de la fin ». Dans le numéro en cours : « … Il faut abolir cette peine de mort politique qu’est la peine d’inéligibilité ». Je sais que son point de vue sera contredit aussi bien pour des motifs politiques que médiatiques. C’est le propre des idées fortes et ce n’est pas Frédéric Taddéï qui s’en plaindra ! Je n’ignore pas avoir déjà écrit sur Frédéric Taddéï et je ne ressens pas le besoin de m’en excuser. D’abord pour ma propre satisfaction. Je déplais trop souvent par une envie, à laquelle je ne veux résister, de dire le fond de ma pensée, la nature de mes humeurs, pour ne pas me féliciter de cette opportunité renouvelée de pouvoir estimer quelqu’un.

J’ajoute que le Frédéric Taddéï d’aujourd’hui a changé de registre. L’indépassable animateur de « Ce soir (ou jamais ! ») – dont l’effacement et la discrétion apparents valaient toutes les présences ostensibles – a été remplacé par le responsable d’une publication qui, sur le plan judiciaire notamment, est remarquable et par l’auteur libre et indépendant du Mot de la fin.

Un fervent défenseur de la liberté d’expression

À plusieurs reprises, j’ai soutenu Frédéric Taddéï qui n’avait pas besoin de moi pour se défendre. Le paradoxe est qu’on osait lui reprocher une conception intelligemment intégriste de la liberté d’expression contre celle rigide et sectaire cultivée chaque jour par Patrick Cohen. Frédéric Taddéï n’était pas un justicier qui choisissait de laisser parler seulement ceux que sa vision politique tolérait : il ouvrait la porte médiatique à tous, et d’abord à ceux auxquels l’accès à la visibilité était devenu impossible, voire interdit. Sa seule exigence toujours parfaitement respectée, à la télévision, tenait à cette limite : on ne transgressait pas la loi sur son plateau. Cette éthique et ce pluralisme du débat ont donné lieu à de passionnantes joutes où la contradiction, contrairement à tant de confrontations d’aujourd’hui, n’était pas de pure forme.

Frédéric Taddéï est d’abord pour moi un modèle dans la mise en œuvre, sans la moindre concession, d’une liberté d’expression exemplaire. J’aime pouvoir le rapprocher d’une journaliste essayiste atypique, Peggy Sastre, dont les points de vue, développés dans Causeur ou dans Le Point, offrent à qui les lit un champ stimulant de réflexions et de paradoxes. Elle s’attache à définir rigoureusement la liberté d’expression en faisait appel, notamment dans le dernier hebdomadaire cité, à des intellectuels qui confirment sa vision d’une plénitude irréprochable.

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Quand elle écrit qu’ « une liberté d’expression qui n’oserait plus froisser personne deviendrait vite une liberté à usage limité », nul doute que Frédéric Taddéï partage sa conviction. Lorsqu’elle reprend à son compte l’analyse de Greg Lukianoff, un avocat, journaliste et militant américain, pour qui la liberté d’expression « est et restera toujours une idée ÉTERNELLEMENT RADICALE… pas seulement une garantie juridique mais un principe culturel exigeant dont la valeur ne se révèle qu’à l’épreuve de l’inconfort », je suis sûr que Frédéric Taddéï approuve cette approche irréprochable d’une liberté qui est beaucoup moins pour soi que pour les autres.

Un homme convaincant

Quand j’ai commencé à lire son « Mot de la fin » dans Marianne, j’ai éprouvé comme une émotion intellectuelle à voir le changement de cap de Frédéric Taddéï qui s’assignait, sur un certain nombre de thèmes, à penser et à dire ce que longtemps il avait eu pour déontologie de taire. J’ai naturellement pris son parti et je ne me suis pratiquement jamais trouvé en désaccord avec lui. Moins, pour être franc, parce que le fond de son écrit était forcément pertinent qu’à cause de la confiance immédiate, évidente, limpide dont je créditais un esprit et une personnalité qui, n’ayant jamais eu pour perversion d’étouffer ou de limiter le verbe d’autrui, bénéficiaient de mon assentiment quand ils s’aventuraient dans l’imprévisibilité de l’opinion et les nuances de la conviction.

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Je me défie de plus en plus des censeurs officiels ou officieux qui, ayant toujours eu la vocation d’éradiquer, sur le plan politique, médiatique, judiciaire ou culturel, la liberté des autres, n’ont jamais su la pratiquer pour eux-mêmes.

Parce que Frédéric Taddéï est aux antipodes d’une telle petitesse, qu’il a passé son existence médiatique à se battre pour la liberté des autres, il me semble que porter sur celui qu’il a décidé d’être aujourd’hui, sur ses débuts brillants dans le Mot de la fin, un regard favorable, au moins une bienveillance critique, est la moindre des choses. Il est convaincant parce qu’il n’a aucune rançon à payer.

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