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Relire Baudrillard

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Selon Jean Baudrillard (1929-2007), la société de consommation a « maquillé » l’homme et a détruit en lui tout ce qu’il y a de véritable. Deux ouvrages récents reviennent sur sa pensée et notamment sur ses analyses concernant l’architecture.


En octobre dernier, l’écrin arboré, discret, quasi monacal de l’antenne parisienne de la Columbia University, rue de Chevreuse, dans le 6ème arrondissement de Paris, abritait autour de sa veuve Marine, sous l’intitulé Penser Baudrillard un conclave de vieux amis, savants exégètes et autres passeurs de la pensée de ce grand iconoclaste devant l’Eternel. Plus de quinze ans après la mort de l’impertinent métaphysicien de la « Réalité intégrale », poète et photographe à ses heures, il n’était pas inutile, dans cet entre-soi détendu, de prendre toute la mesure de la portée visionnaire de L’Echange symbolique et la mort, Cool memories (I, II, III, IV), La Transparence du Mal, Le Crime parfait et j’en passe… Films, table ronde, performance, intervenants, cocktail…  Du philosophe François L’Yvonnet (qui en 2004 dirigea le Cahier de L’Herne Baudrillard) à Marc Guillaume, Françoise Gaillard ou Benoît Heilbrunn, ce petit monde a ravivé la flamme.

Précoces intuitions

Parmi ces aficionados de la première heure, l’excellent Ludovic Leonelli. Sous les auspices des Beaux-Arts de Paris, éditeur, à la marge, d’une collection baptisée « D’art en questions » – au pluriel -, cet ancien étudiant de Baudrillard à l’Université de Nanterre et historien de formation, interroge sans flagornerie aucune mais tout au contraire avec une singulière liberté d’esprit, assortie d’une impeccable clarté d’expression, ce qui, en 2024, rendent tellement stimulantes les précoces intuitions de Jean Baudrillard (1929-2007). Loin de paraphraser l’écriture imagée, radicalement originale du théoricien, son Baudrillard Spirit a le mérite de dégager, dans une remarquable synthèse critique, les lignes de force qui font rétrospectivement de cette œuvre une grille de lecture salutaire du monde tel qu’il va.  

De fait, ce que Baudrillard, au fil de ses ouvrages, a nommé tour à tour « Simulacre », « Virtuel », « Réalité Intégrale », est advenu bel et bien. Le « Système », ou la « Matrice » est en place. Pour reprendre l’intitulé d’un des chapitres de cet essai : « L’au-delà est ici ». C’est-à-dire que les formes de l’échange social sont désormais parfaitement dévitalisées, le politique vidé de sa substance, la sexualité veuve de sa finalité, l’art dit « contemporain » congédié de toute visée transcendante, le « peuple », désormais remplacé par « les masses », privé de la moindre once de souveraineté – les derniers soubresauts des carpes agonisantes dans le  marigot élyséen en sont la preuve ! Le « pouvoir » n’offre plus que le visage de sa propre caricature dans le miroir déformant des médias. A l’heure de l’histrionisme généralisé et de la surenchère dans l’abjection, les analyses de Baudrillard demeurent de saison, plus que jamais.

Le portable, comble de l’obscénité

Pour autant, comme l’observe l’auteur à juste titre, « les écrits de Baudrillard (…) n’ont de valeur que conjointement aux autres discours en place. C’est exactement l’inverse d’un discours de vérité. Ceux qui n’y voient que sentences et énoncés performatifs sont, disons-le clairement, totalement à côté de la plaque ».  Comme le dit très bien Léonelli, « nous sommes là au cœur d’une singularité du système baudrillardien : penser systématiquement deux hypothèses contradictoires […], ne pas les annuler, mais au contraire les enrichir par effet de frottement et de contamination ».

Ainsi « la Réalité Intégrale, c’est lorsque les techniques de représentation ne renvoient plus qu’à elles-mêmes » […] «  le smartphone en est la figure exemplaire : c’est le premier média qui abolit la frontière entre envoyeur et destinataire, entre public, privé et intime. Mieux : c’est un outil qui permet à chacun de devenir le propre média de soi-même. Ce qui pour Baudrillard est le comble de l’obscénité ». Le « mécréant radical », comme Leonelli titre un chapitre de son volume, n’ignore pas que « face à cette réalité intégrale, nous n’avons plus de position critique, nous décodons. […] Court- circuit sidérant. Le terrorisme en est la terrible illustration [qui] n’est que la visibilité monstrueuse de cette coagulation entre l’événement et sa représentation ».

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La posture décidément très « abrasive » de Baudrillard sur les questions tournant autour du rapport de la civilisation occidentale aux « sociétés primitives » (les « peuples du Miroir » dans le vocabulaire baudrillardien) tout comme aux peuples anciennement colonisés serait-elle recevable aujourd’hui, tant l’opinion publique est soumise à la terreur du politiquement correct ? Pour Baudrillard, l’assimilation est un leurre. « ‘’L’exotisme radical contre le proxénétisme de la différence’’ – telle est sa conviction fondamentale », commente Leonelli, sur la foi de citations qu’en 2024 on ne proférerait plus qu’à grand risque – l’autocensure bâillonne, et les tribunaux veillent ! Tel cet article de 2005 où Baudrillard assure qu’« une société  elle-même en voie de désintégration n’a aucune chance de pouvoir intégrer ses immigrés […] je ne suis pas sûr, poursuit-il, qu’ils aient comme nous l’espérons, tellement envie d’être réintégrés ni pris en charge […] Nous ferions bien de revoir notre psychologie humanitaire ».

Ironie mordante

Baudrillard n’est ni glamour, ni œcuménique. Son ironie mordante à l’endroit des bonnes intentions « droits-de-l’hommistes » s’attaque de la même manière à toutes les disciplines patentées : économie, psychanalyse, anthropologie, philosophie, histoire de l’art et Histoire tout court… Pour lui, « ce ne sont que des métalangages autistes dont les effets de vérité n’ont de valeur que par rapport à leurs propres postulats ».  Ceux qui assignent Baudrillard  à la corporation des « sociologues » se trompent d’aiguillage : au sociologue, « aucun privilège d’extériorité ne doit lui être réservé » ; la même endogamie lie sa parole à l’objet de son étude ; ce n’est jamais que la sociologie qui invente le « social ».

De La Guerre du Golfe n’aura pas lieu à L’Esprit du terrorisme en passant par La transparence du Mal et jusqu’à L’Echange impossible, Baudrillard oppose systématiquement l’ordre symbolique à la réalité tangible. Mais alors, le penseur ne graviterait-il lui-même que dans sa propre bulle théorique ?  Leonelli est bien obligé d’admettre que « JB fait défiler toutes les hypothèses, les plus contradictoires et les plus paradoxales, dans un gigantesque festival pyrotechnique de la pensée où le lecteur médusé ne cherche plus le sens de l’événement, dont Baudrillard l’a délivré, mais la fulgurance des concepts qui éclairent de mille feux le ciel des idées ».

Délirante ? Chimérique, cette pensée, alors ? Hors norme en tous cas reste « celui qui a si bien décrypté notre société » dont il anticipe les plans de campagne de façon si percutante par le sortilège de sa plume : clonage, contagion virale, pandémie de la numérisation, servitude du smart et du selfie, déréalisation du sexe, despotisme du féminisme, obscénité des prétendues formes de libération, vacuité du politique, mirage de l’exponentiel (l’IA) sous le signe du virtuel, etc., etc.  Opposant ses intuitions conceptuelles à la rationalité philistine, Jean Baudrillard sidère, avant que de chercher à tout prix à convaincre.  En fin connaisseur de son œuvre, Ludovic Leonelli restitue l’auteur de l’ouvrage De la séduction à ce qui, précisément, fait l’attrait incomparable de cette langue : son élégance, son acidité, son efficacité dans la formulation des paradoxes les plus radicaux.

Chose plaisante, c’est à un sociologue de profession, spécialiste reconnu de l’architecture qu’on doit, presque concomitante avec l’éclairant Baudrillard Spirit de Ludovic Leonelli, la parution d’un autre essai : Baudrillard et le monstre (l’architecture) –  signé Jean-Louis Violeau. Touffu, digressif, abondamment illustré de photos d’édifices, de projets d’urbanisme, de vignettes exhumant publications ou hautes figures du métier, tel l’ami Jean Nouvel, le texte envisage l’œuvre entier de J.B. au prisme de l’architecture, mais avec les lunettes du sociologue.

Erudit, extrêmement documenté, le texte traverse la création architecturale et urbanistique contemporaine avec une faconde réjouissante.  Ce qui est un peu gênant, dans cet ouvrage, c’est qu’au lieu de dispenser un commentaire critique qui renvoie à Baudrillard selon la posture modestement effacée de l’exégète par rapport à son objet d’étude, le style logorrhéique, abscons par moments, de Jean-Louis Violeau, scandé en courts chapitres numérotés de1 à… 37,2 (sic), aux intitulés gourmands  (par exemple : 7, la valeur ; 21, la transparence monstrueuse ou le rachat d’un concept en perdition ;  34, renverser le mythe de l’auteur pour redonner vie à l’architecture…) égare le lecteur dans un labyrinthe de considérations et d’aperçus foisonnants, en soi fort intéressants, mais dont Baudrillard paraît davantage l’alibi que le sujet.

Si l’auteur admet que Baudrillard fut « seulement un interprète qui s’amusait à tirer les pointillés du présent, surenchérissant pour tendre régulièrement vers le paroxysme – et sans vraiment chercher à clarifier quoique ce soit, ce n’était pas son problème », et s’il est vrai que « Baudrillard était un critique d’architecture qui ne s’intéressait pas à l’architecture, mais qui prenait le réel pour une œuvre d’architecture tout en l’étoffant de considérations finalement métaphysiques », alors ce mince fil conducteur est vite enfoui sous la quantité d’aperçus adventices dont ce petit livre de 140 pages est chargé. Cela dit, ce « monstre » nous réserve quelques pages assez succulentes sur Disney, par exemple, ou encore sur le fameux projet avorté d’EuropaCity lancé par l’agence BIG du jeune ambitieux Bjarke Ingels… Le style fleuri de Violeau déshabille la profession avec la verve d’un pamphlétaire qui parodierait Baudrillard. Comme quoi la réversibilité – maître-mot du penseur regretté – est toujours à l’œuvre.

Baudrillard Spirit, par Ludovic Leonelli. Collection D’art en questions.  Beaux-Arts de Paris éditions. 237p.

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Baudrillard et le monstre (L’architecture), par Jean-Louis Violeau. Parenthèses. 140p.

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La Corse: une France qui résiste…

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Loin des turpitudes de l’hexagone, la Corse jouit d’une simplicité de vie qui a séduit le Pape François. Une île qui ne cesse de se battre pour rester elle-même que cela soit dans le culte de ses qualités que dans sa criminalité « distinguée »…


Loin de moi l’idée de mythifier la Corse en oubliant les violences, les meurtres, les assassinats et le terrorisme qui ont tragiquement endeuillé des familles et dévoyé cette île magnifique.

Vertus anciennes…

Mais comment ne pas être saisi par l’empathie et une forme d’estime, voire de respect que les Français éprouvent de plus en plus pour la vie en Corse, ses grandeurs, son honneur, ses vertus anciennes ?

Ce pape obstiné qui a préféré la foi populaire et cette immense et intense ferveur corse à la solennité officielle, splendide autrement, de Notre-Dame de Paris, a sans doute tout compris de ce qu’il y avait d’unique sur ce territoire, cette croyance naïve, sans apprêt, pour les symboles religieux et l’évidente relation du catholicisme avec cette île. Fi, ici, des doctes scepticismes, d’une conception intégriste de la laïcité, du refus des crèches, de cette volonté d’éradiquer tout ce qui de près ou de loin renvoie aux origines chrétiennes de la France. La Corse m’est apparue en ces derniers jours comme la revanche de l’émotion simple, spontanée, heureuse de s’exprimer sans la moindre honte ni la plus petite réserve, sur la rationalité contente d’elle-même.

A lire aussi, Aurélien Marq: Le Pape, la Corse et des tartufferies sur la laïcité

Comment passer sous silence le culte de ces qualités tellement intériorisées parfois qu’elles se passaient de mots, qu’elles n’avaient besoin que de ces visages et de ces mains accordés ? La confiance, la fidélité, l’amitié, le goût et la protection de l’enfance, la dignité, le souci des personnes âgées et de leur expérience.

L’identité n’est pas un gros mot, là-bas

Longtemps, sur le plan de la sécurité, il y a eu en Corse des personnes auxquelles on ne touchait pas. Les viols étaient inexistants et les enfants sacrés. Les personnes âgées également. Une sorte d’immunité laissait à l’abri tout ce qui relevait de la vie intime, de l’existence familiale. Les délits et les crimes se situaient dans un autre monde, une autre sphère. Les choses ont un peu changé dit-on mais je continue à penser que la Corse échappe encore à cette terrifiante dérive du continent où plus aucune limite n’existe, où plus aucun frein n’est mis à la libération des pires instincts. Avec une précocité de plus en plus constatée et une voyoucratie arrêtée par rien, et pas seulement dans le domaine de la drogue et du narcotrafic.

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La Corse ne cesse de se battre pour rester elle-même. L’identité n’est pas un gros mot, là-bas. Qu’on se rappelle certains incidents, des affrontements dans les cités, sur des plages, où pour défendre leur communauté contre ceux qui prétendaient imposer leur loi et leur force, les Corses unis ont mis le holà. Et les avertissements ont été compris. Là où le continent trop souvent cède par faiblesse ou fatalisme, la Corse est trop fière de ce qu’elle est pour laisser se perdre ce qui la constitue. Avec la conscience que sa résistance est légitime.

Je ne pousserai pas la provocation jusqu’à considérer que même dans la criminalité corse, il reste des éléments la distinguant. Il ne faut pas abuser de cette pente trop française, cultivée médiatiquement, qui cherche à donner du lustre à l’odieux ou à l’ignoble.

Nous n’avons pas besoin de cela pour aimer la Corse, sa population, ces êtres parfois sombres d’apparence, ne s’abandonnant pas à une amabilité facile mais attendant que le temps ait construit, démontré, fait son œuvre. Mais alors c’est pour la vie ! La Corse est une France qui n’a pas encore pris l’habitude de plier. Loin d’être dépassée, j’espère qu’elle annonce ce qu’un jour nous pourrons redevenir. Si les touristes nombreux qui s’y rendent et admirent ses magnifiques paysages et ses points de vue inouïs pouvaient aussi s’imprégner de ce que je n’hésite pas à nommer sa morale, ils y gagneraient en humanité vraie.

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ONU: un Conseil des droits de l’homme qui n’est pas de bon conseil

À l’heure où la société syrienne et le reste du monde essaient de prendre la mesure de tous les crimes commis par le régime inhumain de Bachar al-Assad et d’en faire l’inventaire, c’est l’occasion de revenir sur la façon dont certaines institutions de l’Organisation des Nations Unies ont traité le cas du dictateur et de se demander si ces institutions sont à la hauteur de leur tâche.


Toutes les institutions faisant partie de l’ONU sont-elles vraiment aptes à atteindre les objectifs définis par leur mission ? Il est permis d’en douter dans un certain nombre de cas, comme celui du Conseil des droits de l’homme. Créé en 2006 et composé de 47 États-membres (qui changent tous les trois ans), il a pris la relève de la Commission des droits de l’homme, datant de 1946. La Commission avait été accusée d’être le jouet d’États-membres qui, ne respectant pas eux-mêmes les droits de l’homme, rechignaient à condamner d’autres États qui les bafouaient aussi.

Pourtant, une étude publiée par l’École de droit de l’université de Chicago en 2016, fondée sur l’analyse des données de la période de 1998 à 2013, est déjà arrivée à des conclusions décevantes. Si les membres du Conseil des droits de l’homme étaient en moyenne plus respectueux de ces droits que les membres de l’ancienne Commission, « le bilan des droits de l’homme des membres du Conseil […] est toujours pire que celui de la moyenne des membres de l’ONU qui ne font pas partie du Conseil […]. » Et les choses ne se sont pas améliorées depuis.

Avis orientés

Quelle est la mission du Conseil ? Selon ses propres termes, il est « chargé de renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme dans le monde. » De manière générale, il est censé faire « face aux différentes situations d’urgence en matière de droits de l’homme et formule[r] des recommandations pour les faire respecter sur le terrain. » Parmi ses objectifs spécifiques, il doit établir « des commissions d’enquête et des missions d’établissement des faits qui produisent des preuves irréfutables sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. » 

A lire aussi, Jeremy Stubbs: «Chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix»

Quel est donc son bilan ? Prenons le cas d’un dictateur parmi d’autres – celui de Bachar al-Assad qui vient d’être chassé du pouvoir et de se réfugier auprès d’un autre dirigeant autoritaire, Vladimir Poutine. Au cours de la guerre civile qui a dévasté la Syrie à partir de 2011, au moins 300 000 civils sont morts. Au moins 100 000 autres personnes ont été portées disparues, assassinées ou emprisonnées. Le régime n’a pas hésité à avoir recours aux armes chimiques et aux armes à sous-munitions. Il y a largement de quoi condamner l’ex-dictateur pour des crimes de guerre, voire pour des crimes contre l’humanité. Le Conseil des droits de l’homme l’a-t-il fait ?

Il y a presque trois ans, le régime du dirigeant sanguinaire était, non pas censuré mais encensé par le Conseil des droits de l’homme, comme l’a récemment rappelé UN Watch, l’ONG basée à Genève dont la mission est d’apprécier la façon dont l’ONU respecte sa propre Charte. Le 24 janvier 2022 a eu lieu pour la Syrie l’Examen périodique universel, un exercice par lequel chaque État-membre de l’ONU livre un compte-rendu de son action en faveur des droits humains et reçoit des recommandations d’autres États-membres quant aux progrès qu’il doit encore faire. Or, des 91 membres de l’ONU qui ont parlé du cas syrien ce jour-là, pas moins de 50 ont loué les progrès accomplis par le régime en termes de droits de l’homme.

À la tête du client

Parmi ces 50 membres, des pays comme l’Iran, la Biélorussie, la Russie, la Chine, le Venezuela, ou Cuba, des pays qui n’ont pas intérêt à attirer l’attention sur leur propre bilan en matière de respect des droits humains. Il y avait aussi la Palestine qui jouit du statut d’État observateur à l’ONU et, étant donné son implication dans les relations complexes entre les acteurs au Moyen Orient, qu’on peut soupçonner de donner un avis orienté. Tous ces pays ont félicité le régime syrien spécifiquement pour son combat contre le « terrorisme », un cacophémisme désignant les différentes forces rebelles, et pour sa résistance aux sanctions imposées par les gouvernements occidentaux, désignées elles, par le cacophémisme « mesures coercitives ». Une véritable leçon dans la manière d’exonérer un criminel patent au nez et à la barbe des pays démocratiques.

Comment donc faire confiance aux opinions et recommandations émanant du Conseil des droits de l’homme ? C’est de ce conseil que dépend la fonction de Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Or, cette fonction est remplie actuellement par Francesca Albanese, la militante propalestinienne qui n’a cessé de proclamer qu’Israël est coupable d’avoir commis un génocide à Gaza. En revanche, la Conseillère spéciale pour la prévention du génocide, la Kenyane, Alice Wairimu Nderitu, a été limogée pour des raisons apparemment obscures mais sans doute liées à sa réticence à condamner Israël publiquement pour le crime de génocide.

Décidément, à l’ONU en général et au Conseil des droits de l’homme en particulier, la justice est à la tête du client.

La claque perdue de M. Bayrou

Dans les quartiers perdus de la République, la gifle de 2002 n’a pas eu les effets escomptés. BFM Alsace a retrouvé le gamin…


Depuis l’auto-nomination de François Bayrou à Matignon l’image est revenue en force sur les écrans. Elle remonte à 2002. L’intéressé bat alors la campagne des élections présidentielles. Il y est candidat sous la bannière de l’Union pour la Démocratie Française. La scène a lieu à Strasbourg dans le quartier de la Meinau. Au cours d’une sorte de bain de foule, un garnement, un sauvageon comme on disait encore à l’époque, se risque à glisser sa mimine dans la poche du visiteur. Aussitôt, une gifle fuse. « Tu ne me fais pas les poches », tance le politique, courroucé. Bien entendu, l’anecdote fait le tour des médias. Deux camps se dessinent aussitôt. Les outragés : « Quelle horreur ! Gifler un enfant, frapper un plus petit que soi ! Et l’individu capable de se laisser aller à un tel acte de violence se verrait en président de la République ! Impensable. » En face, il y a les compréhensifs, les indulgents qui gloussent, goguenards : « Sa torgnole, le petit merdeux l’a bien méritée ! »

Et voilà donc que, ces jours-ci, l’épisode revient sur les écrans. Les grands des TV et les petits des smartphones, qui, ceux-là, n’existaient guère voilà vingt ans. Une chose est à noter. Les deux camps de l’époque se retrouvent à l’identique. De son côté, BFM Alsace1 a cherché et retrouvé le souffleté de la Meinau. Il s’appelle Yacine G. Il avait onze ans en 2002. Il en a donc trente-trois aujourd’hui.

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Le moins qu’on puisse dire est que le la claque balancée par l’actuel Premier ministre n’a pas eu la vertu pédagogique qu’on aurait pu espérer, car tout ce temps-là, le garçon n’aura point chômé. Qu’on en juge ! En 2012, à 21 ans donc, il a déjà six condamnations à son palmarès, essentiellement prononcées par des tribunaux pour enfants. Suit alors une peine de quatre mois de prison ferme pour « outrages et violences à l’encontre de policiers. » (Seulement quatre mois, soit dit en passant…) En 2020, notre sémillant jeune homme est pris dans une affaire de trafic de stupéfiants entre les Pays-Bas et Strasbourg. Huit kilos d’héroïne et un kilo de cocaïne sont saisis. Arrêté en 2021, jugé en 2022, il purge aujourd’hui une peine de prison de dix années assortie de dix mille euros d’amende. Carrière bien remplie, on en conviendra.

Chaque jour, devant la prolifération d’incivilités, de délits, voire de crimes perpétrés par des individus plus ou moins pubères, on se persuade sans peine que des claques se perdent. Celle balancée par M. Bayrou à la Meinau en 2002 est évidemment du lot. C’est même la claque perdue par excellence quand on constate le peu d’effet qu’elle a eu. C’est pourquoi nous nous permettrons de souhaiter au nouvel arrivant qu’il rencontre davantage d’efficacité dans sa lutte à venir contre la délinquance, notamment celle, tellement inquiétante, tellement terrifiante, de tous ces mômes perdus de la République.

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  1. https://www.bfmtv.com/alsace/info-bfm-alsace-ce-qu-est-devenu-l-enfant-gifle-par-francois-bayrou-a-strasbourg-en-2002_AV-202412170776.html ↩︎

Sarkozy sous bracelet électronique: not in my name

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La justice a tranché : Nicolas Sarkozy recevra un beau bracelet électronique pour Noël ! Les détracteurs de l’ancien président et la majorité des éditorialistes assurent la bouche en cœur que les juges n’ont fait que leur travail… Reste qu’ils ont condamné Nicolas Sarkozy pour une simple intention, s’indigne Elisabeth Lévy.


Nicolas Sarkozy a été définitivement condamné le 18 décembre à une peine de prison de trois ans dont un an ferme sous bracelet dans l’affaire dite des « écoutes ». On a changé de monde. La Cour de cassation, de soi-disant sages qui appliquent le droit, confirme une condamnation délirante.  

L’ancien chef de l’Etat est condamné pour une conversation avec son avocat. Une conversation secrète obtenue dans le cadre d’écoutes scandaleuses, selon la méthode des filets dérivants – on ne sait pas bien ce que l’on cherche, mais on écoute et on verra bien. Les juges enquêtaient sur une corruption supposée, mais n’ont jamais trouvé la trace de l’argent. 50 millions, ça se voit non ?

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Janvier 2022

Ce qui est reproché à Nicolas Sarkozy ? Il aurait envisagé de pistonner un magistrat contre des infos. Bon, c’est la vie du pouvoir. Donner un coup de main à quelqu’un, dans la vie d’un homme de pouvoir, cela se fait tous les jours. Les politiques ne font que ça. Tous le font. Sauf qu’il n’y a pas eu de piston, ni de commencement supposé d’exécution. Le juge Azibert n’a jamais été nommé à Monaco. Sarkozy est donc condamné pour une intention. Et pourquoi pas pour une pensée ? Je cambriolerais bien la Banque de France (c’est stupide, puisqu’il n’y a pas d’argent à y trouver), vais-je être condamnée pour avoir émis cette intention ?

Est-ce à dire qu’un ancien président n’est pas un justiciable comme les autres ? Si, justement. Mais tous les jours, des délinquants qui ont frappé un flic, un prof, un pompier, ou qui pourrissent la vie de leurs concitoyens ou mettent des filles en danger sortent libres des tribunaux. Et Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, serait lui empêché de circuler ?

Des juges veulent se le payer parce que Mediapart a dit qu’il était coupable. Au nom de l’Etat de droit, c’est l’arbitraire. Des magistrats qui ne répondent jamais de rien se prennent pour des chevaliers blancs, fantasment sur le Watergate et rêvent de se faire des puissants. Mais, le gouvernement des juges, c’est la fin de la démocratie. Il parait qu’on juge au nom du peuple français ? Not in my name ! Pas en mon nom, s’il vous plait !!


Elisabeth Lévy sur la condamnation de Nicolas Sarkozy : « Je suis folle de rage »

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio

Tuer le père

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La notion de « bon père de famille », autrefois associée à la respectabilité, est aujourd’hui critiquée. Selon les progressistes, elle servirait en réalité à masquer les « violences sexistes et sexuelles ».


Voici que touche à sa fin le procès de ce qu’on appelle improprement l’affaire des viols de Mazan, comme si cette localité s’était fait une spécialité de ces monstruosités peu ou prou sur le même mode de ce qu’on a ailleurs avec, par exemple, les bêtises de Cambrai ou le nougat de Montélimar. Il est bien évident que cette barbarie sexuelle n’est nullement imputable à la cité mais bien exclusivement à un de ses habitants, le monstre Dominique Pelicot flanqué de ses non moins abjects complices, au nombre d’une cinquantaine. À l’issue de ce procès une forme de peine capitale aura été prononcée. La mise à mort du père. Ce qu’exprime fort nettement le titre d’un article du Monde de ce jour, signé Clara Cini : « La disqualification définitive des bons pères de famille »[1]. Oui, définitive…

A lire aussi, Vincent Roy: Mazan, c’était écrit?

Depuis le début de l’affaire et plus particulièrement de son traitement judiciaire, le courant féministe relayé avec ardeur par la bonne presse, celle qui pense comme il est convenable de penser, instruit en parallèle le procès de ce que ces gens se plaisent à ranger sous le terme générique de patriarcat. Pelicot ne serait pas une ignoble exception, une aberration, mais seulement la traduction paroxystique dans les faits d’une perversion inhérente à l’état de mâle, et plus spécifiquement de pater familias, ce chef de famille prétendument nanti de tous pouvoirs sur les siens, y compris de vie et de mort sur son épouse, cela jusqu’à une période récente en cas d’adultère, la fameuse et – il est vrai scandaleuse – circonstance jadis atténuante du « crime passionnel ».

En d’autres termes, il conviendrait que nous admettions, nous autres, époux et pères, qu’un Pelicot sommeillerait en chacun de nous. Ne sommeillerait que d’un œil, qui plus est. De ce fait, il serait également souhaitable que nous prenions notre part dans la condamnation du coupable. Ainsi, l’inquisition féministe wokisante ayant atteint-là son but suprême, revendiqué on ne peut plus clairement dans le titre de l’article du Monde, pourrait se faire une gloire d’avoir rivé à jamais le dernier clou du cercueil du père, et concomitamment de l’autorité paternelle.

A lire aussi, Philippe Bilger: Procès Pelicot: l’occasion de se taire

Cela dit, on doit à un élémentaire souci de vérité de reconnaître que le mouvement de désertion de cette autorité est très largement entamé depuis quelques décennies. La délinquance de gamins de treize ou quinze ans livrés à eux-mêmes, laissés à la dérive est là pour nous le rappeler quasi quotidiennement. Or, face à cela, ce qui semblerait salutaire à la fois pour ces enfants et le paisible fonctionnement de notre société serait tout au contraire et tout simplement le rétablissement de l’autorité du père. Le père si souvent – et si complaisamment – absent, ce pathétique et lâche fantôme de ce qu’on appelle pudiquement les familles monoparentales. Et si le mot père est à bannir là aussi définitivement de notre vocabulaire, qu’on ait le courage d’exiger autorité et responsabilité du géniteur. Car tout gosse – du moins tant que la pseudo-science wokiste n’aura pas aboli aussi cette vérité millénaire  – a bien un géniteur. À lui donc d’assumer sa désertion, son refus d’autorité. À lui, par exemple, d’exécuter à la place du gamin l’humiliant travail d’intérêt général. Croyez-moi, quand ce géniteur aura eu à curer cinq ou six week-ends de suite les fossés de la commune, quand il se « sera tapé la honte » de ramasser les feuilles et les papiers gras, il veillera d’un peu plus près à ce que sa progéniture reste bien dans les clous.

En un mot comme en cent : puisqu’on tient tant à ce que le père soit mort, saluons donc gaiement l’avènement du géniteur !

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[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/18/la-disqualification-definitive-des-bons-peres-de-famille_6454623_3232.html

Sonia Mabrouk: dernier appel avant la catastrophe

Et si demain tout s’inversait, demande Sonia Mabrouk. Et si demain les Européens débarquaient massivement sur les côtes d’Afrique du Nord, s’adapteraient-ils aux mœurs de pays hôtes en se convertissant à l’islam ? Renieraient-ils leur identité, comme certains le font déjà dans leur propre pays ?


© D.R.

De nos jours, les plus vives manifestations de patriotisme se trouvent chez certains Français de fraîche date : nés à l’étranger puis naturalisés ou nés en France dans des familles issues de l’immigration. Ils n’ont pas le monopole du cœur, mais peut-être celui du courage de dire des évidences que les Français de souche balaient d’un revers de main ou dissimulent par peur des conséquences.

Ces Français de fraîche date connaissent les réalités du monde, à commencer par sa laideur et son intolérance systémique. Ils savent ce qu’est un Arabe, un Pakistanais ou un Peul. Ils sont ouverts sur le monde tandis que le bobo l’imagine au lieu de le connaître, il projette sur lui sa conception rousseauiste de la nature humaine où la gentillesse et la fragilité forment l’horizon définitif de l’histoire. Or, il est sorti de l’histoire et l’ignore.

Il y a longtemps, il y eut Romain Gary. Aujourd’hui, il y a Éric Zemmour (son origine étrangère est décisive dans son engagement et sa radicalité). Il y a bien sûr Boualem Sansal, Claire Koç, Sabrina Medjebeur, Naïma M’Faddel… Et sans aucun doute Sonia Mabrouk.

Boat people improbables

Au lieu d’écrire un essai pour formuler crûment son message d’alerte (Réveillez-vous bon sang !), elle a choisi la forme romanesque.

Et si demain tout s’inversait relate le périple de Louise et d’Aurélien, un couple aisé qui décide de s’exiler en Afrique du Nord. La vie en France est devenue impossible à cause de la guerre civile interethnique et des incessants bombardements russes. La femme représente tout ce qu’il reste de bon dans l’Hexagone (bon sens, sensibilité, amour des belles lettres et des belles choses, fidélité à la tradition judéo-chrétienne) ; l’homme, tout ce qu’il y a de méprisable (déni, arrogance, opportunisme, absence de convictions). On a envie de lui donner des baffes et de demander à Louise : qu’est-ce que tu lui trouves, jusqu’à te marier et lui faire un gosse ?

Aurélien incarne l’archétype du winner, le gagnant de la mondialisation. Médecin, il a prospéré en réalisant des chirurgies de transition de genre sur des enfants et des adolescents. Quand sa femme l’interroge sur l’éthique de sa démarche, il répond qu’il s’agit du progrès et que l’on ne peut rien contre le progrès car « il nous dépasse ». Il nous dépasse et remplit son compte en banque.

Aurélien se croit extraordinaire. Il symbolise une époque où l’ultra-spécialisation technique détermine l’ascension sociale alors que la culture générale a perdu ses lettres de noblesse. Aurélien n’a tout simplement pas les moyens de comprendre qu’il risque de disparaître, et son pays avec lui, s’il ne se comporte pas comme un homme !

Chemin à double sain

Sonia Mabrouk s’adresse à tous les Aurélien de France avec la subtilité et la finesse qui font sa signature. Elle place le lecteur dans un scénario hypothétique, tellement invraisemblable qu’il désarme les résistances de ceux qui prennent toute référence à la réalité comme une micro-agression.

Qui pourrait imaginer que les Français, et les Européens en général, prennent le chemin de l’exil ? Qu’ils soient réduits au rang de boat people rançonnés par des passeurs et malmenés par les garde-côtes des pays arabes ? Qui pourrait croire que les populations arabes leur imposent la conversion à l’islam sans « droit à la différence » ni « touche pas à mon pote » ?

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Ce scénario n’est pas inédit. La Méditerranée est une voie à double sain depuis toujours. Il n’y a pas si longtemps, des républicains espagnols ont fui Franco au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Avant eux, d’autres Espagnols ont repeuplé l’Oranie au xixe siècle, espérant y trouver un refuge contre la misère et la disette. À la marge, des Allemands entachés par le nazisme se sont installés en Égypte après 1945. Si on ouvre davantage la focale, on voit des similitudes entre le scénario de Sonia Mabrouk et la grande migration des juifs expulsés par Isabelle la Catholique en 1492, éclatés en plusieurs diasporas du Maghreb au Levant.

Sonia Mabrouk a-t-elle lu Jean Raspail ?

Et si demain tout s’inversait pose plusieurs questions essentielles, la première étant celle du courage. Le courage de voir le défi identitaire qui s’impose à la France. Le courage d’admettre qu’une société n’a aucune chance de perdurer si elle n’arrive pas à se faire respecter chez elle. Le courage de reconnaître qu’un pays sans âme, avec des hommes sans contenu, est voué à la disparition.

On ne peut manquer de tracer un parallèle entre la démarche de Sonia Mabrouk et Le Camp des saints de Jean Raspail, paru il y a cinquante ans. Les deux partent du principe que l’islam est capable de dire non, de refuser la différence. Dans le livre de Raspail, les hordes misérables venues d’Inde reçoivent une fin de non-recevoir dans les pays musulmans qui les déroutent vers la France. Dans le roman de Sonia Mabrouk, les pays du Maghreb conditionnent leur accueil à l’abandon de l’identité européenne. Les deux pensent que l’Europe est malade et que son mal est moral, seulement moral.

Les similitudes s’arrêtent là, car Jean Raspail ne croit plus dans la morale chrétienne. Il pense qu’elle fait crever l’Europe qui aime plus l’étranger qu’elle-même. Sonia Mabrouk semble appeler de ses vœux à un retour à l’identité judéo-chrétienne, non comme un réveil spirituel stricto sensu, mais une sorte de vaccin contre le suicide culturel en cours.

Enfin, votre humble serviteur, citoyen d’un pays du Sud, ne peut s’empêcher de pousser plus loin l’exercice engagé par Sonia Mabrouk. Et si ces centaines de milliers d’Européens obligés de se convertir à l’islam en contrepartie du droit d’asile étaient la salvation des pays d’Afrique du Nord ? Ces nouveaux venus auraient le même impact bénéfique que les pieds noirs d’Algérie avaient dans les années 1950, lorsque le pays a eu une réelle chance de décoller. Des pieds noirs inexpugnables, car musulmans et assimilés… Et si le renouveau de la terre d’islam dépendait de l’arrivée en masse d’Occidentaux convertis y apportant l’éthique du travail, la confiance dans le progrès et l’amour de l’innovation ?

De quoi écrire une autre fiction. Son titre serait Le Printemps arabe.

Sonia Mabrouk, Et si demain tout s’inversait, Fayard, 2024.

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Un classique pour Noël…

Casse-Noisette est mis à l’honneur sur la scène du Grand-Théâtre de Bordeaux. Dans cet écrin, le ballet de l’Opéra national de Bordeaux déploie un savoir-faire admirable pour donner vie au chef-d’œuvre de Tchaïkovski.   


À Bordeaux, le simple fait de se rendre au Grand-Théâtre est en soi un plaisir. Que l’on soit face au magnifique édifice de Victor Louis avec, depuis sa chambre, une vue superbe sur la façade, ou que l’on chemine, pour y accéder, à travers une ville d’une beauté classique si harmonieuse, le parcours est un enchantement. Et lorsqu’on parvient au Grand-Théâtre, la noblesse de son vestibule monumental constitue un sujet d’admiration supplémentaire.

Convenu mais plaisant

En ce mois de décembre, divertissements de fin d’année obligent, le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux affiche une production de Casse-Noisette. Rien de plus traditionnel, sinon de plus convenu. Et pourtant, rien de plus plaisant, tant la musique de Tchaïkovski, un chef-d’œuvre du genre, est spirituelle, envoûtante, et tant est séduisante l’histoire imaginée par E.T.A. Hoffmann, remaniée par Alexandre Dumas.

Pour cette réalisation hivernale honorablement portée par l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine, sous la conduite du Lituanien Robertas Servenikas, on a eu recours, la chose n’est pas ordinaire, à un chorégraphe bulgare, Kaloyan Bojadjiev. Oui, un Bulgare, un vrai, né à Sofia au cours du crépuscule de l’effroyable dictature communiste, formé à la danse dans sa ville natale, danseur soliste à Pretoria, puis à Oslo où il s’essaie à la chorégraphie jusqu’à créer cette version de Casse-Noisette en 2016, laquelle obtient un franc succès dans son pays d’adoption. Assez pour qu’elle en vienne à débarquer (considérablement modifiée) à Bordeaux. Et cela en coproduction avec le Ballet de l’Opéra de Leipzig, en Saxe.

Salle comble pour 17 représentations

Longtemps dirigé par un ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris, Charles Jude, et aujourd’hui par un ancien premier danseur de la même institution, Éric Quilleré, le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux a déjà à son actif un vaste répertoire où l’on n’oubliera pas l’envoûtant Pneuma, création de Carolyn Carlson au cours de laquelle la compagnie fit des merveilles. Elle compte encore d’innombrables pièces du répertoire classique et néo-classique ou des créations contemporaines qu’elle a généralement su défendre avec vaillance.

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Comptant quarante danseurs qui forment un beau groupe homogène, cette excellente troupe ne peut cependant s’attaquer à de grosses productions sans faire appel à des surnuméraires. Ils sont vingt-cinq danseurs supplémentaires pour permettre d’assurer, en alternance, les dix-sept représentations de ce Casse-Noisette qui fait salle comble. À eux s’ajoutent seize enfants venus du Conservatoire de Bordeaux.

Plus que la chorégraphie proprement dite, c’est bien le travail de mise-en-scène qui fait ici l’excellence du premier acte. Faut-il, plus qu’au chorégraphe bulgare, en être redevable au dramaturge et metteur-en-scène anglais Jon Bausor (associé à la Royal Shakespeare Company) qui a également conçu l’ensemble de la scénographie, des décors et des costumes ?

Tableaux plein de vie

Toujours est-il que les tableaux qui se succèdent – scènes de rue tout d’abord, où les auteurs envoient une flèche empoisonnée à la brutalité aveugle des militaires figurés sur le plateau ; scènes dans les salons des parents de la jeune héroïne, Clara, saisissante bataille rangée entre les rats, leur roi (excellente interprétation du titulaire du rôle) et les soldats de bois – ces tableaux sont pleins de vie, de naturel et magnifiquement exécutés. Pour ne rien dire de la danse des flocons de neige, si habilement chorégraphiée qu’elle donne l’illusion surprenante de vrais tourbillons neigeux quand débute leur chute. L’ensemble s’insère dans un décor remarquable d’élégance et de sobriété, mais d’où sourd aussi un inquiétant climat d’étrangeté.

© Julien Benhamou / Opéra de Bordeaux

Un décor qui, dans le songe de Clara, grandit démesurément, ce qui, sous les yeux des spectateurs, offre un effet théâtral extrêmement convaincant… avant que la jeune fille (Mathilde Froustey) et le jeune prince de ses rêves (Riku Ota), l’un et l’autre excellents techniciens, on le verra au second acte, s’envolent poétiquement sur un énorme lustre de cristal qui les transporte à Confiturembourg, le royaume de la fée Dragée.

Hélas, aussi enthousiasmante que peut être la première partie du ballet, le seconde apparaît en revanche bien quelconque. Il est vrai que l’action y est quasiment nulle, qu’elle n’est constituée que de divertissements, de pas-de-deux et de variations peu propres à exciter les neurones d’un dramaturge. Et ce n’est pas en travestissant les danseurs en bonbons, sucres d’orge et autres pièces en chocolat, qu’on les sort de l’ornière. Toutefois, le chorégraphe aurait pu imaginer des scènes originales sur les pages exquises de Tchaïkovski, plutôt que de s’en tenir à un modèle terriblement conventionnel. Aussi remarquables qu’aient été les décors du premier acte, ceux du second sont curieusement insignifiants. Et le contraste est si flagrant entre les deux parties qu’on en vient à se demander si la production n’a pas été victime de cruelles restrictions budgétaires. C’est infiniment regrettable, car le Ballet de Bordeaux, qui a fait pour cette grosse entreprise un effort considérable, tenait là quelque chose de parfait pour asseoir davantage encore sa belle réputation.    


Casse-Noisette, Ballet de l’Opéra national de Bordeaux, au Grand-Théâtre de Bordeaux. Jusqu’au 31 décembre 2024.

05 56 00 85 95 ou https://www.opera-bordeaux.com/danse-famille-casse-noisette-54772#a-propos

Endettement public: massacre à la tronçonneuse, chiche?

Éric Ciotti a fait un rêve: le libéralisme venait au secours de l’État surendetté.


François Bayrou sera-t-il l’homme des premières coupes claires dans le fonctionnement de l’État ? Ses précédentes alertes sur l’endettement public offrent au Premier ministre l’occasion de passer à l’acte. Lui-même a d’ailleurs admis, mardi devant l’Assemblée nationale, qu’ « il n’y aura pas de redressement sans faire des économies ».
Toutefois, son idée saugrenue, lundi soir, d’utiliser un Falcon de la République pour aller présider dans un aller-retour le conseil municipal de Pau n’a pas donné l’exemple de la tempérance budgétaire ni de la lucidité sur les priorités. C’est à Mayotte, dévastée par les ouragans, que l’hôte de Matignon, en quête de proximité avec les gens, aurait été sans doute plus utile. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur démissionnaire, a été plus avisé en s’installant auprès du département sinistré.

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Passons sur la bourde. Reste à savoir si le successeur de Michel Barnier saura corriger un projet de loi de finance qui avait été construit sur la facilité du recours à l’impôt. « Je n’ai jamais cru que c’était dans la fiscalité que se trouvait la réponse à tous les problèmes du pays », a-t-il déclaré mardi devant les députés. En attendant, le Léviathan bureaucratique reste un totem qui surplombe la France suradministrée et sous-gouvernée. Au XVIe siècle, Montaigne déplorait déjà les lois trop nombreuses. Pour la seule année 2023, le pays a enregistré 8000 lois, décrets, arrêtés ou circulaires. De 1994 à 2022, un million de fonctionnaires sont venus renforcer une fonction publique déjà pléthorique. On ne compte plus les centaines agences d’État ou de hautes autorités inutiles. À commencer par le Haut commissariat au plan, où pantouflait le Béarnais. L’audace serait de supprimer déjà ce comité Théodule…

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Il est peu probable que Bayrou, en équilibre politique instable, s’aventure sur cette voie courageuse. Pour s’y être engagée, la présidente (Horizons) de la région des Pays de la Loire, Christelle Morançais, doit affronter une bruyante opposition de gauche, qui conteste son plan de 100 millions d’euros d’économies et de 100 postes non remplacés. Or cet impératif de désendettement devient incontournable. Même Marine Le Pen, qu’une partie de la droite qualifie de « socialiste », se rapproche en réalité d’une vision libérale de l’économie (moins d’impôts, moins de normes, moins d’État) quand elle déclare, comme ce mercredi dans Le Parisien en parlant de Bayrou : « Il sait ce que nous ne voulons pas : des taxes et des impôts supplémentaires pour la France. Nous voulons aussi des économies structurelles sur le fonctionnement de l’État ». Son allié Éric Ciotti va plus loin dans Le Figaro de ce jour en annonçant préparer pour janvier « une grande loi tronçonneuse » qui supprimerait les régions et les métropoles, mais aussi notamment le Conseil économique et social, le Haut commissariat au plan, l’Arcom, les agences régionales de santé, et autres « Hautes autorités » qui ne servent le plus souvent à rien ou qui, comme la Haute autorité de la santé, prône un accès gratuit au changement de sexe pour tous à partir de 16 ans, après avoir cautionné l’emprise étatique durant le Covid. Ce moins d’État est plus généralement le crédo libéral défendu par l’Argentin Javer Milei, mais aussi aux États-Unis par Elon Musk et Donald Trump. Autant d’exemples à suivre pour que maigrisse enfin l’État ventripotent.

Journal d'un paria: Bloc-notes 2020-21

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Murée dans la haine

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Jessica, flic américaine trop zélée, transforme le désert qu’elle est chargée de surveiller en Arizona nightmare


La solitaire Jessica Combey ne rit jamais. Même pas lorsque – envie subite – elle décide de se faire tringler rapidos, en déboursant quelques dollars, par un gringo corpulent qu’elle a levé au coin de la rue – non sans le cagouler pendant l’aller-retour en caisse jusqu’au plumard – on ne sait jamais ce que le gigolo d’occasion pourrait raconter.  A-t-elle joui ? Pas sûr : son visage restera de marbre pendant le coït.

Voilà pour l’entrée en matière de The Wall, film belge tourné aux States, en anglais, par Philippe Van Leeuw, 70 ans, Bruxellois de souche établi à Paris, connu dans le milieu comme chef op. au moins autant que comme scénariste et réalisateur. Bardé de prix, son dernier film remonte à 2017 : Une famille syrienne, dont l’action se situait à Damas pendant la guerre civile. Sorti en 2009, son film précédent, Le jour où Dieu est parti en voyage, se passait à Kigali pendant le génocide rwandais : le cinéaste Van Leew aime décidément tourner au loin.  

Build the wall !

Pour revenir à The Wall, la jeune femme passablement glaçante (l’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps, excellente au demeurant, a pris des leçons d’anglais pour le rôle) s’avère être Federal Agent des US Border Patrols, ces gardes-frontière yankee qui patrouillent dans l’Arizona, au pied du mur de séparation entre les States et le Mexique. Seule femelle dans ce milieu de mâles (forcément dominants), Jessica Combey n’a pas, il est vrai, une vie marrante : sa belle-sœur et semble-t-il unique amie, atteinte d’un cancer, est à l’article de la mort… Patriote jusqu’au fanatisme, tirée à quatre épingles dans son uniforme malgré ses fêlures intimes, la soldate à catogan ne manque pas d’invoquer Dieu et ses saints pour la soutenir dans l’épreuve du quotidien.

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Pas de spoiler

Vraiment sur les nerfs, la Combey ! Conjugué à sa frustration libidinale, son nationalisme véhément la poussera aux dernières extrémités : chasseuse frénétique de ces migrants clandestins qui tentent le coup à leurs risques et périls dans le four de ce désert hostile, elle soupçonne les Amérindiens du cru d’être des passeurs : Mike Wilson (indigène qui joue ici son propre rôle) et son fils Zick. S’estimant légitimes sur leur territoire ancestral, ils ne traversent jamais par le poste-frontière légal, mais par un chemin connu d’eux seuls. Et les voilà mêlés, bien malgré eux, à un sanglant incident de frontière qu’aggrave tragiquement la présence de cette hystérique de la gâchette, murée dans la haine. N’en disons pas plus.

Il y a deux lectures contradictoires (mais pas incompatibles) à faire de The Wall : soit le film est le procès bien-pensant de la corruption, de la brutalité, de l’impunité qui règneraient dans ces parages au sein de l’engeance des exécutants (à la peau blanche) de l’ignominieuse loi étasunienne ; soit il dépeint, à travers le personnage antipathique de Jessica, un cas d’espèce qui, par les temps qui courent, ne manquera pas de scandaliser les vigies du woke, toujours sur le qui-vive quand la Femme chute de son piédestal. Philippe Van Leeuw balance ainsi entre posture vertueuse et risque assumé du bannissement par les amazones suractives du féminisme militant.

Durée : 1h36


Relire Baudrillard

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Le philosophe Jean Baudrillard photographié en Finlande en 1993 © SELDERS/SIPA

Selon Jean Baudrillard (1929-2007), la société de consommation a « maquillé » l’homme et a détruit en lui tout ce qu’il y a de véritable. Deux ouvrages récents reviennent sur sa pensée et notamment sur ses analyses concernant l’architecture.


En octobre dernier, l’écrin arboré, discret, quasi monacal de l’antenne parisienne de la Columbia University, rue de Chevreuse, dans le 6ème arrondissement de Paris, abritait autour de sa veuve Marine, sous l’intitulé Penser Baudrillard un conclave de vieux amis, savants exégètes et autres passeurs de la pensée de ce grand iconoclaste devant l’Eternel. Plus de quinze ans après la mort de l’impertinent métaphysicien de la « Réalité intégrale », poète et photographe à ses heures, il n’était pas inutile, dans cet entre-soi détendu, de prendre toute la mesure de la portée visionnaire de L’Echange symbolique et la mort, Cool memories (I, II, III, IV), La Transparence du Mal, Le Crime parfait et j’en passe… Films, table ronde, performance, intervenants, cocktail…  Du philosophe François L’Yvonnet (qui en 2004 dirigea le Cahier de L’Herne Baudrillard) à Marc Guillaume, Françoise Gaillard ou Benoît Heilbrunn, ce petit monde a ravivé la flamme.

Précoces intuitions

Parmi ces aficionados de la première heure, l’excellent Ludovic Leonelli. Sous les auspices des Beaux-Arts de Paris, éditeur, à la marge, d’une collection baptisée « D’art en questions » – au pluriel -, cet ancien étudiant de Baudrillard à l’Université de Nanterre et historien de formation, interroge sans flagornerie aucune mais tout au contraire avec une singulière liberté d’esprit, assortie d’une impeccable clarté d’expression, ce qui, en 2024, rendent tellement stimulantes les précoces intuitions de Jean Baudrillard (1929-2007). Loin de paraphraser l’écriture imagée, radicalement originale du théoricien, son Baudrillard Spirit a le mérite de dégager, dans une remarquable synthèse critique, les lignes de force qui font rétrospectivement de cette œuvre une grille de lecture salutaire du monde tel qu’il va.  

De fait, ce que Baudrillard, au fil de ses ouvrages, a nommé tour à tour « Simulacre », « Virtuel », « Réalité Intégrale », est advenu bel et bien. Le « Système », ou la « Matrice » est en place. Pour reprendre l’intitulé d’un des chapitres de cet essai : « L’au-delà est ici ». C’est-à-dire que les formes de l’échange social sont désormais parfaitement dévitalisées, le politique vidé de sa substance, la sexualité veuve de sa finalité, l’art dit « contemporain » congédié de toute visée transcendante, le « peuple », désormais remplacé par « les masses », privé de la moindre once de souveraineté – les derniers soubresauts des carpes agonisantes dans le  marigot élyséen en sont la preuve ! Le « pouvoir » n’offre plus que le visage de sa propre caricature dans le miroir déformant des médias. A l’heure de l’histrionisme généralisé et de la surenchère dans l’abjection, les analyses de Baudrillard demeurent de saison, plus que jamais.

Le portable, comble de l’obscénité

Pour autant, comme l’observe l’auteur à juste titre, « les écrits de Baudrillard (…) n’ont de valeur que conjointement aux autres discours en place. C’est exactement l’inverse d’un discours de vérité. Ceux qui n’y voient que sentences et énoncés performatifs sont, disons-le clairement, totalement à côté de la plaque ».  Comme le dit très bien Léonelli, « nous sommes là au cœur d’une singularité du système baudrillardien : penser systématiquement deux hypothèses contradictoires […], ne pas les annuler, mais au contraire les enrichir par effet de frottement et de contamination ».

Ainsi « la Réalité Intégrale, c’est lorsque les techniques de représentation ne renvoient plus qu’à elles-mêmes » […] «  le smartphone en est la figure exemplaire : c’est le premier média qui abolit la frontière entre envoyeur et destinataire, entre public, privé et intime. Mieux : c’est un outil qui permet à chacun de devenir le propre média de soi-même. Ce qui pour Baudrillard est le comble de l’obscénité ». Le « mécréant radical », comme Leonelli titre un chapitre de son volume, n’ignore pas que « face à cette réalité intégrale, nous n’avons plus de position critique, nous décodons. […] Court- circuit sidérant. Le terrorisme en est la terrible illustration [qui] n’est que la visibilité monstrueuse de cette coagulation entre l’événement et sa représentation ».

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La posture décidément très « abrasive » de Baudrillard sur les questions tournant autour du rapport de la civilisation occidentale aux « sociétés primitives » (les « peuples du Miroir » dans le vocabulaire baudrillardien) tout comme aux peuples anciennement colonisés serait-elle recevable aujourd’hui, tant l’opinion publique est soumise à la terreur du politiquement correct ? Pour Baudrillard, l’assimilation est un leurre. « ‘’L’exotisme radical contre le proxénétisme de la différence’’ – telle est sa conviction fondamentale », commente Leonelli, sur la foi de citations qu’en 2024 on ne proférerait plus qu’à grand risque – l’autocensure bâillonne, et les tribunaux veillent ! Tel cet article de 2005 où Baudrillard assure qu’« une société  elle-même en voie de désintégration n’a aucune chance de pouvoir intégrer ses immigrés […] je ne suis pas sûr, poursuit-il, qu’ils aient comme nous l’espérons, tellement envie d’être réintégrés ni pris en charge […] Nous ferions bien de revoir notre psychologie humanitaire ».

Ironie mordante

Baudrillard n’est ni glamour, ni œcuménique. Son ironie mordante à l’endroit des bonnes intentions « droits-de-l’hommistes » s’attaque de la même manière à toutes les disciplines patentées : économie, psychanalyse, anthropologie, philosophie, histoire de l’art et Histoire tout court… Pour lui, « ce ne sont que des métalangages autistes dont les effets de vérité n’ont de valeur que par rapport à leurs propres postulats ».  Ceux qui assignent Baudrillard  à la corporation des « sociologues » se trompent d’aiguillage : au sociologue, « aucun privilège d’extériorité ne doit lui être réservé » ; la même endogamie lie sa parole à l’objet de son étude ; ce n’est jamais que la sociologie qui invente le « social ».

De La Guerre du Golfe n’aura pas lieu à L’Esprit du terrorisme en passant par La transparence du Mal et jusqu’à L’Echange impossible, Baudrillard oppose systématiquement l’ordre symbolique à la réalité tangible. Mais alors, le penseur ne graviterait-il lui-même que dans sa propre bulle théorique ?  Leonelli est bien obligé d’admettre que « JB fait défiler toutes les hypothèses, les plus contradictoires et les plus paradoxales, dans un gigantesque festival pyrotechnique de la pensée où le lecteur médusé ne cherche plus le sens de l’événement, dont Baudrillard l’a délivré, mais la fulgurance des concepts qui éclairent de mille feux le ciel des idées ».

Délirante ? Chimérique, cette pensée, alors ? Hors norme en tous cas reste « celui qui a si bien décrypté notre société » dont il anticipe les plans de campagne de façon si percutante par le sortilège de sa plume : clonage, contagion virale, pandémie de la numérisation, servitude du smart et du selfie, déréalisation du sexe, despotisme du féminisme, obscénité des prétendues formes de libération, vacuité du politique, mirage de l’exponentiel (l’IA) sous le signe du virtuel, etc., etc.  Opposant ses intuitions conceptuelles à la rationalité philistine, Jean Baudrillard sidère, avant que de chercher à tout prix à convaincre.  En fin connaisseur de son œuvre, Ludovic Leonelli restitue l’auteur de l’ouvrage De la séduction à ce qui, précisément, fait l’attrait incomparable de cette langue : son élégance, son acidité, son efficacité dans la formulation des paradoxes les plus radicaux.

Chose plaisante, c’est à un sociologue de profession, spécialiste reconnu de l’architecture qu’on doit, presque concomitante avec l’éclairant Baudrillard Spirit de Ludovic Leonelli, la parution d’un autre essai : Baudrillard et le monstre (l’architecture) –  signé Jean-Louis Violeau. Touffu, digressif, abondamment illustré de photos d’édifices, de projets d’urbanisme, de vignettes exhumant publications ou hautes figures du métier, tel l’ami Jean Nouvel, le texte envisage l’œuvre entier de J.B. au prisme de l’architecture, mais avec les lunettes du sociologue.

Erudit, extrêmement documenté, le texte traverse la création architecturale et urbanistique contemporaine avec une faconde réjouissante.  Ce qui est un peu gênant, dans cet ouvrage, c’est qu’au lieu de dispenser un commentaire critique qui renvoie à Baudrillard selon la posture modestement effacée de l’exégète par rapport à son objet d’étude, le style logorrhéique, abscons par moments, de Jean-Louis Violeau, scandé en courts chapitres numérotés de1 à… 37,2 (sic), aux intitulés gourmands  (par exemple : 7, la valeur ; 21, la transparence monstrueuse ou le rachat d’un concept en perdition ;  34, renverser le mythe de l’auteur pour redonner vie à l’architecture…) égare le lecteur dans un labyrinthe de considérations et d’aperçus foisonnants, en soi fort intéressants, mais dont Baudrillard paraît davantage l’alibi que le sujet.

Si l’auteur admet que Baudrillard fut « seulement un interprète qui s’amusait à tirer les pointillés du présent, surenchérissant pour tendre régulièrement vers le paroxysme – et sans vraiment chercher à clarifier quoique ce soit, ce n’était pas son problème », et s’il est vrai que « Baudrillard était un critique d’architecture qui ne s’intéressait pas à l’architecture, mais qui prenait le réel pour une œuvre d’architecture tout en l’étoffant de considérations finalement métaphysiques », alors ce mince fil conducteur est vite enfoui sous la quantité d’aperçus adventices dont ce petit livre de 140 pages est chargé. Cela dit, ce « monstre » nous réserve quelques pages assez succulentes sur Disney, par exemple, ou encore sur le fameux projet avorté d’EuropaCity lancé par l’agence BIG du jeune ambitieux Bjarke Ingels… Le style fleuri de Violeau déshabille la profession avec la verve d’un pamphlétaire qui parodierait Baudrillard. Comme quoi la réversibilité – maître-mot du penseur regretté – est toujours à l’œuvre.

Baudrillard Spirit, par Ludovic Leonelli. Collection D’art en questions.  Beaux-Arts de Paris éditions. 237p.

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Baudrillard et le monstre (L’architecture), par Jean-Louis Violeau. Parenthèses. 140p.

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La Corse: une France qui résiste…

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Le Pape François lors de la prière de l'Angélus avec les évêques, prêtres, diacres, personnes consacrées et séminaristes dans la cathédrale Notre-Dame de l'Assomption. Ajaccio, le 15 décembre 2024 © Grzegorz Galazka/SIPA

Loin des turpitudes de l’hexagone, la Corse jouit d’une simplicité de vie qui a séduit le Pape François. Une île qui ne cesse de se battre pour rester elle-même que cela soit dans le culte de ses qualités que dans sa criminalité « distinguée »…


Loin de moi l’idée de mythifier la Corse en oubliant les violences, les meurtres, les assassinats et le terrorisme qui ont tragiquement endeuillé des familles et dévoyé cette île magnifique.

Vertus anciennes…

Mais comment ne pas être saisi par l’empathie et une forme d’estime, voire de respect que les Français éprouvent de plus en plus pour la vie en Corse, ses grandeurs, son honneur, ses vertus anciennes ?

Ce pape obstiné qui a préféré la foi populaire et cette immense et intense ferveur corse à la solennité officielle, splendide autrement, de Notre-Dame de Paris, a sans doute tout compris de ce qu’il y avait d’unique sur ce territoire, cette croyance naïve, sans apprêt, pour les symboles religieux et l’évidente relation du catholicisme avec cette île. Fi, ici, des doctes scepticismes, d’une conception intégriste de la laïcité, du refus des crèches, de cette volonté d’éradiquer tout ce qui de près ou de loin renvoie aux origines chrétiennes de la France. La Corse m’est apparue en ces derniers jours comme la revanche de l’émotion simple, spontanée, heureuse de s’exprimer sans la moindre honte ni la plus petite réserve, sur la rationalité contente d’elle-même.

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Comment passer sous silence le culte de ces qualités tellement intériorisées parfois qu’elles se passaient de mots, qu’elles n’avaient besoin que de ces visages et de ces mains accordés ? La confiance, la fidélité, l’amitié, le goût et la protection de l’enfance, la dignité, le souci des personnes âgées et de leur expérience.

L’identité n’est pas un gros mot, là-bas

Longtemps, sur le plan de la sécurité, il y a eu en Corse des personnes auxquelles on ne touchait pas. Les viols étaient inexistants et les enfants sacrés. Les personnes âgées également. Une sorte d’immunité laissait à l’abri tout ce qui relevait de la vie intime, de l’existence familiale. Les délits et les crimes se situaient dans un autre monde, une autre sphère. Les choses ont un peu changé dit-on mais je continue à penser que la Corse échappe encore à cette terrifiante dérive du continent où plus aucune limite n’existe, où plus aucun frein n’est mis à la libération des pires instincts. Avec une précocité de plus en plus constatée et une voyoucratie arrêtée par rien, et pas seulement dans le domaine de la drogue et du narcotrafic.

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La Corse ne cesse de se battre pour rester elle-même. L’identité n’est pas un gros mot, là-bas. Qu’on se rappelle certains incidents, des affrontements dans les cités, sur des plages, où pour défendre leur communauté contre ceux qui prétendaient imposer leur loi et leur force, les Corses unis ont mis le holà. Et les avertissements ont été compris. Là où le continent trop souvent cède par faiblesse ou fatalisme, la Corse est trop fière de ce qu’elle est pour laisser se perdre ce qui la constitue. Avec la conscience que sa résistance est légitime.

Je ne pousserai pas la provocation jusqu’à considérer que même dans la criminalité corse, il reste des éléments la distinguant. Il ne faut pas abuser de cette pente trop française, cultivée médiatiquement, qui cherche à donner du lustre à l’odieux ou à l’ignoble.

Nous n’avons pas besoin de cela pour aimer la Corse, sa population, ces êtres parfois sombres d’apparence, ne s’abandonnant pas à une amabilité facile mais attendant que le temps ait construit, démontré, fait son œuvre. Mais alors c’est pour la vie ! La Corse est une France qui n’a pas encore pris l’habitude de plier. Loin d’être dépassée, j’espère qu’elle annonce ce qu’un jour nous pourrons redevenir. Si les touristes nombreux qui s’y rendent et admirent ses magnifiques paysages et ses points de vue inouïs pouvaient aussi s’imprégner de ce que je n’hésite pas à nommer sa morale, ils y gagneraient en humanité vraie.

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ONU: un Conseil des droits de l’homme qui n’est pas de bon conseil

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Warda, originaire d'Alep, qui a deux fils portés disparus, recherche ses proches à la morgue de l'hôpital de Damas où des corps récupérés de la prison de Saydnaya ont été rapportés, Syrie, 16 décembre 2024 © Carol Guzy/ZUMA Press Wire/Shutt/SIPA

À l’heure où la société syrienne et le reste du monde essaient de prendre la mesure de tous les crimes commis par le régime inhumain de Bachar al-Assad et d’en faire l’inventaire, c’est l’occasion de revenir sur la façon dont certaines institutions de l’Organisation des Nations Unies ont traité le cas du dictateur et de se demander si ces institutions sont à la hauteur de leur tâche.


Toutes les institutions faisant partie de l’ONU sont-elles vraiment aptes à atteindre les objectifs définis par leur mission ? Il est permis d’en douter dans un certain nombre de cas, comme celui du Conseil des droits de l’homme. Créé en 2006 et composé de 47 États-membres (qui changent tous les trois ans), il a pris la relève de la Commission des droits de l’homme, datant de 1946. La Commission avait été accusée d’être le jouet d’États-membres qui, ne respectant pas eux-mêmes les droits de l’homme, rechignaient à condamner d’autres États qui les bafouaient aussi.

Pourtant, une étude publiée par l’École de droit de l’université de Chicago en 2016, fondée sur l’analyse des données de la période de 1998 à 2013, est déjà arrivée à des conclusions décevantes. Si les membres du Conseil des droits de l’homme étaient en moyenne plus respectueux de ces droits que les membres de l’ancienne Commission, « le bilan des droits de l’homme des membres du Conseil […] est toujours pire que celui de la moyenne des membres de l’ONU qui ne font pas partie du Conseil […]. » Et les choses ne se sont pas améliorées depuis.

Avis orientés

Quelle est la mission du Conseil ? Selon ses propres termes, il est « chargé de renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme dans le monde. » De manière générale, il est censé faire « face aux différentes situations d’urgence en matière de droits de l’homme et formule[r] des recommandations pour les faire respecter sur le terrain. » Parmi ses objectifs spécifiques, il doit établir « des commissions d’enquête et des missions d’établissement des faits qui produisent des preuves irréfutables sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. » 

A lire aussi, Jeremy Stubbs: «Chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix»

Quel est donc son bilan ? Prenons le cas d’un dictateur parmi d’autres – celui de Bachar al-Assad qui vient d’être chassé du pouvoir et de se réfugier auprès d’un autre dirigeant autoritaire, Vladimir Poutine. Au cours de la guerre civile qui a dévasté la Syrie à partir de 2011, au moins 300 000 civils sont morts. Au moins 100 000 autres personnes ont été portées disparues, assassinées ou emprisonnées. Le régime n’a pas hésité à avoir recours aux armes chimiques et aux armes à sous-munitions. Il y a largement de quoi condamner l’ex-dictateur pour des crimes de guerre, voire pour des crimes contre l’humanité. Le Conseil des droits de l’homme l’a-t-il fait ?

Il y a presque trois ans, le régime du dirigeant sanguinaire était, non pas censuré mais encensé par le Conseil des droits de l’homme, comme l’a récemment rappelé UN Watch, l’ONG basée à Genève dont la mission est d’apprécier la façon dont l’ONU respecte sa propre Charte. Le 24 janvier 2022 a eu lieu pour la Syrie l’Examen périodique universel, un exercice par lequel chaque État-membre de l’ONU livre un compte-rendu de son action en faveur des droits humains et reçoit des recommandations d’autres États-membres quant aux progrès qu’il doit encore faire. Or, des 91 membres de l’ONU qui ont parlé du cas syrien ce jour-là, pas moins de 50 ont loué les progrès accomplis par le régime en termes de droits de l’homme.

À la tête du client

Parmi ces 50 membres, des pays comme l’Iran, la Biélorussie, la Russie, la Chine, le Venezuela, ou Cuba, des pays qui n’ont pas intérêt à attirer l’attention sur leur propre bilan en matière de respect des droits humains. Il y avait aussi la Palestine qui jouit du statut d’État observateur à l’ONU et, étant donné son implication dans les relations complexes entre les acteurs au Moyen Orient, qu’on peut soupçonner de donner un avis orienté. Tous ces pays ont félicité le régime syrien spécifiquement pour son combat contre le « terrorisme », un cacophémisme désignant les différentes forces rebelles, et pour sa résistance aux sanctions imposées par les gouvernements occidentaux, désignées elles, par le cacophémisme « mesures coercitives ». Une véritable leçon dans la manière d’exonérer un criminel patent au nez et à la barbe des pays démocratiques.

Comment donc faire confiance aux opinions et recommandations émanant du Conseil des droits de l’homme ? C’est de ce conseil que dépend la fonction de Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Or, cette fonction est remplie actuellement par Francesca Albanese, la militante propalestinienne qui n’a cessé de proclamer qu’Israël est coupable d’avoir commis un génocide à Gaza. En revanche, la Conseillère spéciale pour la prévention du génocide, la Kenyane, Alice Wairimu Nderitu, a été limogée pour des raisons apparemment obscures mais sans doute liées à sa réticence à condamner Israël publiquement pour le crime de génocide.

Décidément, à l’ONU en général et au Conseil des droits de l’homme en particulier, la justice est à la tête du client.

La claque perdue de M. Bayrou

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DR.

Dans les quartiers perdus de la République, la gifle de 2002 n’a pas eu les effets escomptés. BFM Alsace a retrouvé le gamin…


Depuis l’auto-nomination de François Bayrou à Matignon l’image est revenue en force sur les écrans. Elle remonte à 2002. L’intéressé bat alors la campagne des élections présidentielles. Il y est candidat sous la bannière de l’Union pour la Démocratie Française. La scène a lieu à Strasbourg dans le quartier de la Meinau. Au cours d’une sorte de bain de foule, un garnement, un sauvageon comme on disait encore à l’époque, se risque à glisser sa mimine dans la poche du visiteur. Aussitôt, une gifle fuse. « Tu ne me fais pas les poches », tance le politique, courroucé. Bien entendu, l’anecdote fait le tour des médias. Deux camps se dessinent aussitôt. Les outragés : « Quelle horreur ! Gifler un enfant, frapper un plus petit que soi ! Et l’individu capable de se laisser aller à un tel acte de violence se verrait en président de la République ! Impensable. » En face, il y a les compréhensifs, les indulgents qui gloussent, goguenards : « Sa torgnole, le petit merdeux l’a bien méritée ! »

Et voilà donc que, ces jours-ci, l’épisode revient sur les écrans. Les grands des TV et les petits des smartphones, qui, ceux-là, n’existaient guère voilà vingt ans. Une chose est à noter. Les deux camps de l’époque se retrouvent à l’identique. De son côté, BFM Alsace1 a cherché et retrouvé le souffleté de la Meinau. Il s’appelle Yacine G. Il avait onze ans en 2002. Il en a donc trente-trois aujourd’hui.

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Le moins qu’on puisse dire est que le la claque balancée par l’actuel Premier ministre n’a pas eu la vertu pédagogique qu’on aurait pu espérer, car tout ce temps-là, le garçon n’aura point chômé. Qu’on en juge ! En 2012, à 21 ans donc, il a déjà six condamnations à son palmarès, essentiellement prononcées par des tribunaux pour enfants. Suit alors une peine de quatre mois de prison ferme pour « outrages et violences à l’encontre de policiers. » (Seulement quatre mois, soit dit en passant…) En 2020, notre sémillant jeune homme est pris dans une affaire de trafic de stupéfiants entre les Pays-Bas et Strasbourg. Huit kilos d’héroïne et un kilo de cocaïne sont saisis. Arrêté en 2021, jugé en 2022, il purge aujourd’hui une peine de prison de dix années assortie de dix mille euros d’amende. Carrière bien remplie, on en conviendra.

Chaque jour, devant la prolifération d’incivilités, de délits, voire de crimes perpétrés par des individus plus ou moins pubères, on se persuade sans peine que des claques se perdent. Celle balancée par M. Bayrou à la Meinau en 2002 est évidemment du lot. C’est même la claque perdue par excellence quand on constate le peu d’effet qu’elle a eu. C’est pourquoi nous nous permettrons de souhaiter au nouvel arrivant qu’il rencontre davantage d’efficacité dans sa lutte à venir contre la délinquance, notamment celle, tellement inquiétante, tellement terrifiante, de tous ces mômes perdus de la République.

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  1. https://www.bfmtv.com/alsace/info-bfm-alsace-ce-qu-est-devenu-l-enfant-gifle-par-francois-bayrou-a-strasbourg-en-2002_AV-202412170776.html ↩︎

Sarkozy sous bracelet électronique: not in my name

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© Alain ROBERT/SIPA

La justice a tranché : Nicolas Sarkozy recevra un beau bracelet électronique pour Noël ! Les détracteurs de l’ancien président et la majorité des éditorialistes assurent la bouche en cœur que les juges n’ont fait que leur travail… Reste qu’ils ont condamné Nicolas Sarkozy pour une simple intention, s’indigne Elisabeth Lévy.


Nicolas Sarkozy a été définitivement condamné le 18 décembre à une peine de prison de trois ans dont un an ferme sous bracelet dans l’affaire dite des « écoutes ». On a changé de monde. La Cour de cassation, de soi-disant sages qui appliquent le droit, confirme une condamnation délirante.  

L’ancien chef de l’Etat est condamné pour une conversation avec son avocat. Une conversation secrète obtenue dans le cadre d’écoutes scandaleuses, selon la méthode des filets dérivants – on ne sait pas bien ce que l’on cherche, mais on écoute et on verra bien. Les juges enquêtaient sur une corruption supposée, mais n’ont jamais trouvé la trace de l’argent. 50 millions, ça se voit non ?

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Janvier 2022

Ce qui est reproché à Nicolas Sarkozy ? Il aurait envisagé de pistonner un magistrat contre des infos. Bon, c’est la vie du pouvoir. Donner un coup de main à quelqu’un, dans la vie d’un homme de pouvoir, cela se fait tous les jours. Les politiques ne font que ça. Tous le font. Sauf qu’il n’y a pas eu de piston, ni de commencement supposé d’exécution. Le juge Azibert n’a jamais été nommé à Monaco. Sarkozy est donc condamné pour une intention. Et pourquoi pas pour une pensée ? Je cambriolerais bien la Banque de France (c’est stupide, puisqu’il n’y a pas d’argent à y trouver), vais-je être condamnée pour avoir émis cette intention ?

Est-ce à dire qu’un ancien président n’est pas un justiciable comme les autres ? Si, justement. Mais tous les jours, des délinquants qui ont frappé un flic, un prof, un pompier, ou qui pourrissent la vie de leurs concitoyens ou mettent des filles en danger sortent libres des tribunaux. Et Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, serait lui empêché de circuler ?

Des juges veulent se le payer parce que Mediapart a dit qu’il était coupable. Au nom de l’Etat de droit, c’est l’arbitraire. Des magistrats qui ne répondent jamais de rien se prennent pour des chevaliers blancs, fantasment sur le Watergate et rêvent de se faire des puissants. Mais, le gouvernement des juges, c’est la fin de la démocratie. Il parait qu’on juge au nom du peuple français ? Not in my name ! Pas en mon nom, s’il vous plait !!


Elisabeth Lévy sur la condamnation de Nicolas Sarkozy : « Je suis folle de rage »

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio

Tuer le père

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Gisele Pelicot, Avignon, 10 décembre 2024 © Alain ROBERT/SIPA

La notion de « bon père de famille », autrefois associée à la respectabilité, est aujourd’hui critiquée. Selon les progressistes, elle servirait en réalité à masquer les « violences sexistes et sexuelles ».


Voici que touche à sa fin le procès de ce qu’on appelle improprement l’affaire des viols de Mazan, comme si cette localité s’était fait une spécialité de ces monstruosités peu ou prou sur le même mode de ce qu’on a ailleurs avec, par exemple, les bêtises de Cambrai ou le nougat de Montélimar. Il est bien évident que cette barbarie sexuelle n’est nullement imputable à la cité mais bien exclusivement à un de ses habitants, le monstre Dominique Pelicot flanqué de ses non moins abjects complices, au nombre d’une cinquantaine. À l’issue de ce procès une forme de peine capitale aura été prononcée. La mise à mort du père. Ce qu’exprime fort nettement le titre d’un article du Monde de ce jour, signé Clara Cini : « La disqualification définitive des bons pères de famille »[1]. Oui, définitive…

A lire aussi, Vincent Roy: Mazan, c’était écrit?

Depuis le début de l’affaire et plus particulièrement de son traitement judiciaire, le courant féministe relayé avec ardeur par la bonne presse, celle qui pense comme il est convenable de penser, instruit en parallèle le procès de ce que ces gens se plaisent à ranger sous le terme générique de patriarcat. Pelicot ne serait pas une ignoble exception, une aberration, mais seulement la traduction paroxystique dans les faits d’une perversion inhérente à l’état de mâle, et plus spécifiquement de pater familias, ce chef de famille prétendument nanti de tous pouvoirs sur les siens, y compris de vie et de mort sur son épouse, cela jusqu’à une période récente en cas d’adultère, la fameuse et – il est vrai scandaleuse – circonstance jadis atténuante du « crime passionnel ».

En d’autres termes, il conviendrait que nous admettions, nous autres, époux et pères, qu’un Pelicot sommeillerait en chacun de nous. Ne sommeillerait que d’un œil, qui plus est. De ce fait, il serait également souhaitable que nous prenions notre part dans la condamnation du coupable. Ainsi, l’inquisition féministe wokisante ayant atteint-là son but suprême, revendiqué on ne peut plus clairement dans le titre de l’article du Monde, pourrait se faire une gloire d’avoir rivé à jamais le dernier clou du cercueil du père, et concomitamment de l’autorité paternelle.

A lire aussi, Philippe Bilger: Procès Pelicot: l’occasion de se taire

Cela dit, on doit à un élémentaire souci de vérité de reconnaître que le mouvement de désertion de cette autorité est très largement entamé depuis quelques décennies. La délinquance de gamins de treize ou quinze ans livrés à eux-mêmes, laissés à la dérive est là pour nous le rappeler quasi quotidiennement. Or, face à cela, ce qui semblerait salutaire à la fois pour ces enfants et le paisible fonctionnement de notre société serait tout au contraire et tout simplement le rétablissement de l’autorité du père. Le père si souvent – et si complaisamment – absent, ce pathétique et lâche fantôme de ce qu’on appelle pudiquement les familles monoparentales. Et si le mot père est à bannir là aussi définitivement de notre vocabulaire, qu’on ait le courage d’exiger autorité et responsabilité du géniteur. Car tout gosse – du moins tant que la pseudo-science wokiste n’aura pas aboli aussi cette vérité millénaire  – a bien un géniteur. À lui donc d’assumer sa désertion, son refus d’autorité. À lui, par exemple, d’exécuter à la place du gamin l’humiliant travail d’intérêt général. Croyez-moi, quand ce géniteur aura eu à curer cinq ou six week-ends de suite les fossés de la commune, quand il se « sera tapé la honte » de ramasser les feuilles et les papiers gras, il veillera d’un peu plus près à ce que sa progéniture reste bien dans les clous.

En un mot comme en cent : puisqu’on tient tant à ce que le père soit mort, saluons donc gaiement l’avènement du géniteur !

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[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/18/la-disqualification-definitive-des-bons-peres-de-famille_6454623_3232.html

Sonia Mabrouk: dernier appel avant la catastrophe

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Sonia Mabrouk © Hannah Assouline

Et si demain tout s’inversait, demande Sonia Mabrouk. Et si demain les Européens débarquaient massivement sur les côtes d’Afrique du Nord, s’adapteraient-ils aux mœurs de pays hôtes en se convertissant à l’islam ? Renieraient-ils leur identité, comme certains le font déjà dans leur propre pays ?


© D.R.

De nos jours, les plus vives manifestations de patriotisme se trouvent chez certains Français de fraîche date : nés à l’étranger puis naturalisés ou nés en France dans des familles issues de l’immigration. Ils n’ont pas le monopole du cœur, mais peut-être celui du courage de dire des évidences que les Français de souche balaient d’un revers de main ou dissimulent par peur des conséquences.

Ces Français de fraîche date connaissent les réalités du monde, à commencer par sa laideur et son intolérance systémique. Ils savent ce qu’est un Arabe, un Pakistanais ou un Peul. Ils sont ouverts sur le monde tandis que le bobo l’imagine au lieu de le connaître, il projette sur lui sa conception rousseauiste de la nature humaine où la gentillesse et la fragilité forment l’horizon définitif de l’histoire. Or, il est sorti de l’histoire et l’ignore.

Il y a longtemps, il y eut Romain Gary. Aujourd’hui, il y a Éric Zemmour (son origine étrangère est décisive dans son engagement et sa radicalité). Il y a bien sûr Boualem Sansal, Claire Koç, Sabrina Medjebeur, Naïma M’Faddel… Et sans aucun doute Sonia Mabrouk.

Boat people improbables

Au lieu d’écrire un essai pour formuler crûment son message d’alerte (Réveillez-vous bon sang !), elle a choisi la forme romanesque.

Et si demain tout s’inversait relate le périple de Louise et d’Aurélien, un couple aisé qui décide de s’exiler en Afrique du Nord. La vie en France est devenue impossible à cause de la guerre civile interethnique et des incessants bombardements russes. La femme représente tout ce qu’il reste de bon dans l’Hexagone (bon sens, sensibilité, amour des belles lettres et des belles choses, fidélité à la tradition judéo-chrétienne) ; l’homme, tout ce qu’il y a de méprisable (déni, arrogance, opportunisme, absence de convictions). On a envie de lui donner des baffes et de demander à Louise : qu’est-ce que tu lui trouves, jusqu’à te marier et lui faire un gosse ?

Aurélien incarne l’archétype du winner, le gagnant de la mondialisation. Médecin, il a prospéré en réalisant des chirurgies de transition de genre sur des enfants et des adolescents. Quand sa femme l’interroge sur l’éthique de sa démarche, il répond qu’il s’agit du progrès et que l’on ne peut rien contre le progrès car « il nous dépasse ». Il nous dépasse et remplit son compte en banque.

Aurélien se croit extraordinaire. Il symbolise une époque où l’ultra-spécialisation technique détermine l’ascension sociale alors que la culture générale a perdu ses lettres de noblesse. Aurélien n’a tout simplement pas les moyens de comprendre qu’il risque de disparaître, et son pays avec lui, s’il ne se comporte pas comme un homme !

Chemin à double sain

Sonia Mabrouk s’adresse à tous les Aurélien de France avec la subtilité et la finesse qui font sa signature. Elle place le lecteur dans un scénario hypothétique, tellement invraisemblable qu’il désarme les résistances de ceux qui prennent toute référence à la réalité comme une micro-agression.

Qui pourrait imaginer que les Français, et les Européens en général, prennent le chemin de l’exil ? Qu’ils soient réduits au rang de boat people rançonnés par des passeurs et malmenés par les garde-côtes des pays arabes ? Qui pourrait croire que les populations arabes leur imposent la conversion à l’islam sans « droit à la différence » ni « touche pas à mon pote » ?

A lire aussi, Gilles-William Goldnadel: ABC de la morale à sens inique

Ce scénario n’est pas inédit. La Méditerranée est une voie à double sain depuis toujours. Il n’y a pas si longtemps, des républicains espagnols ont fui Franco au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Avant eux, d’autres Espagnols ont repeuplé l’Oranie au xixe siècle, espérant y trouver un refuge contre la misère et la disette. À la marge, des Allemands entachés par le nazisme se sont installés en Égypte après 1945. Si on ouvre davantage la focale, on voit des similitudes entre le scénario de Sonia Mabrouk et la grande migration des juifs expulsés par Isabelle la Catholique en 1492, éclatés en plusieurs diasporas du Maghreb au Levant.

Sonia Mabrouk a-t-elle lu Jean Raspail ?

Et si demain tout s’inversait pose plusieurs questions essentielles, la première étant celle du courage. Le courage de voir le défi identitaire qui s’impose à la France. Le courage d’admettre qu’une société n’a aucune chance de perdurer si elle n’arrive pas à se faire respecter chez elle. Le courage de reconnaître qu’un pays sans âme, avec des hommes sans contenu, est voué à la disparition.

On ne peut manquer de tracer un parallèle entre la démarche de Sonia Mabrouk et Le Camp des saints de Jean Raspail, paru il y a cinquante ans. Les deux partent du principe que l’islam est capable de dire non, de refuser la différence. Dans le livre de Raspail, les hordes misérables venues d’Inde reçoivent une fin de non-recevoir dans les pays musulmans qui les déroutent vers la France. Dans le roman de Sonia Mabrouk, les pays du Maghreb conditionnent leur accueil à l’abandon de l’identité européenne. Les deux pensent que l’Europe est malade et que son mal est moral, seulement moral.

Les similitudes s’arrêtent là, car Jean Raspail ne croit plus dans la morale chrétienne. Il pense qu’elle fait crever l’Europe qui aime plus l’étranger qu’elle-même. Sonia Mabrouk semble appeler de ses vœux à un retour à l’identité judéo-chrétienne, non comme un réveil spirituel stricto sensu, mais une sorte de vaccin contre le suicide culturel en cours.

Enfin, votre humble serviteur, citoyen d’un pays du Sud, ne peut s’empêcher de pousser plus loin l’exercice engagé par Sonia Mabrouk. Et si ces centaines de milliers d’Européens obligés de se convertir à l’islam en contrepartie du droit d’asile étaient la salvation des pays d’Afrique du Nord ? Ces nouveaux venus auraient le même impact bénéfique que les pieds noirs d’Algérie avaient dans les années 1950, lorsque le pays a eu une réelle chance de décoller. Des pieds noirs inexpugnables, car musulmans et assimilés… Et si le renouveau de la terre d’islam dépendait de l’arrivée en masse d’Occidentaux convertis y apportant l’éthique du travail, la confiance dans le progrès et l’amour de l’innovation ?

De quoi écrire une autre fiction. Son titre serait Le Printemps arabe.

Sonia Mabrouk, Et si demain tout s’inversait, Fayard, 2024.

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Un classique pour Noël…

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© Julien Benhamou / Opéra de Bordeaux

Casse-Noisette est mis à l’honneur sur la scène du Grand-Théâtre de Bordeaux. Dans cet écrin, le ballet de l’Opéra national de Bordeaux déploie un savoir-faire admirable pour donner vie au chef-d’œuvre de Tchaïkovski.   


À Bordeaux, le simple fait de se rendre au Grand-Théâtre est en soi un plaisir. Que l’on soit face au magnifique édifice de Victor Louis avec, depuis sa chambre, une vue superbe sur la façade, ou que l’on chemine, pour y accéder, à travers une ville d’une beauté classique si harmonieuse, le parcours est un enchantement. Et lorsqu’on parvient au Grand-Théâtre, la noblesse de son vestibule monumental constitue un sujet d’admiration supplémentaire.

Convenu mais plaisant

En ce mois de décembre, divertissements de fin d’année obligent, le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux affiche une production de Casse-Noisette. Rien de plus traditionnel, sinon de plus convenu. Et pourtant, rien de plus plaisant, tant la musique de Tchaïkovski, un chef-d’œuvre du genre, est spirituelle, envoûtante, et tant est séduisante l’histoire imaginée par E.T.A. Hoffmann, remaniée par Alexandre Dumas.

Pour cette réalisation hivernale honorablement portée par l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine, sous la conduite du Lituanien Robertas Servenikas, on a eu recours, la chose n’est pas ordinaire, à un chorégraphe bulgare, Kaloyan Bojadjiev. Oui, un Bulgare, un vrai, né à Sofia au cours du crépuscule de l’effroyable dictature communiste, formé à la danse dans sa ville natale, danseur soliste à Pretoria, puis à Oslo où il s’essaie à la chorégraphie jusqu’à créer cette version de Casse-Noisette en 2016, laquelle obtient un franc succès dans son pays d’adoption. Assez pour qu’elle en vienne à débarquer (considérablement modifiée) à Bordeaux. Et cela en coproduction avec le Ballet de l’Opéra de Leipzig, en Saxe.

Salle comble pour 17 représentations

Longtemps dirigé par un ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris, Charles Jude, et aujourd’hui par un ancien premier danseur de la même institution, Éric Quilleré, le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux a déjà à son actif un vaste répertoire où l’on n’oubliera pas l’envoûtant Pneuma, création de Carolyn Carlson au cours de laquelle la compagnie fit des merveilles. Elle compte encore d’innombrables pièces du répertoire classique et néo-classique ou des créations contemporaines qu’elle a généralement su défendre avec vaillance.

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Comptant quarante danseurs qui forment un beau groupe homogène, cette excellente troupe ne peut cependant s’attaquer à de grosses productions sans faire appel à des surnuméraires. Ils sont vingt-cinq danseurs supplémentaires pour permettre d’assurer, en alternance, les dix-sept représentations de ce Casse-Noisette qui fait salle comble. À eux s’ajoutent seize enfants venus du Conservatoire de Bordeaux.

Plus que la chorégraphie proprement dite, c’est bien le travail de mise-en-scène qui fait ici l’excellence du premier acte. Faut-il, plus qu’au chorégraphe bulgare, en être redevable au dramaturge et metteur-en-scène anglais Jon Bausor (associé à la Royal Shakespeare Company) qui a également conçu l’ensemble de la scénographie, des décors et des costumes ?

Tableaux plein de vie

Toujours est-il que les tableaux qui se succèdent – scènes de rue tout d’abord, où les auteurs envoient une flèche empoisonnée à la brutalité aveugle des militaires figurés sur le plateau ; scènes dans les salons des parents de la jeune héroïne, Clara, saisissante bataille rangée entre les rats, leur roi (excellente interprétation du titulaire du rôle) et les soldats de bois – ces tableaux sont pleins de vie, de naturel et magnifiquement exécutés. Pour ne rien dire de la danse des flocons de neige, si habilement chorégraphiée qu’elle donne l’illusion surprenante de vrais tourbillons neigeux quand débute leur chute. L’ensemble s’insère dans un décor remarquable d’élégance et de sobriété, mais d’où sourd aussi un inquiétant climat d’étrangeté.

© Julien Benhamou / Opéra de Bordeaux

Un décor qui, dans le songe de Clara, grandit démesurément, ce qui, sous les yeux des spectateurs, offre un effet théâtral extrêmement convaincant… avant que la jeune fille (Mathilde Froustey) et le jeune prince de ses rêves (Riku Ota), l’un et l’autre excellents techniciens, on le verra au second acte, s’envolent poétiquement sur un énorme lustre de cristal qui les transporte à Confiturembourg, le royaume de la fée Dragée.

Hélas, aussi enthousiasmante que peut être la première partie du ballet, le seconde apparaît en revanche bien quelconque. Il est vrai que l’action y est quasiment nulle, qu’elle n’est constituée que de divertissements, de pas-de-deux et de variations peu propres à exciter les neurones d’un dramaturge. Et ce n’est pas en travestissant les danseurs en bonbons, sucres d’orge et autres pièces en chocolat, qu’on les sort de l’ornière. Toutefois, le chorégraphe aurait pu imaginer des scènes originales sur les pages exquises de Tchaïkovski, plutôt que de s’en tenir à un modèle terriblement conventionnel. Aussi remarquables qu’aient été les décors du premier acte, ceux du second sont curieusement insignifiants. Et le contraste est si flagrant entre les deux parties qu’on en vient à se demander si la production n’a pas été victime de cruelles restrictions budgétaires. C’est infiniment regrettable, car le Ballet de Bordeaux, qui a fait pour cette grosse entreprise un effort considérable, tenait là quelque chose de parfait pour asseoir davantage encore sa belle réputation.    


Casse-Noisette, Ballet de l’Opéra national de Bordeaux, au Grand-Théâtre de Bordeaux. Jusqu’au 31 décembre 2024.

05 56 00 85 95 ou https://www.opera-bordeaux.com/danse-famille-casse-noisette-54772#a-propos

Endettement public: massacre à la tronçonneuse, chiche?

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François Bayrou s'exprime lors d'une séance de questions au Premier ministre à l'Assemblée nationale à Paris, le 17 décembre © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Éric Ciotti a fait un rêve: le libéralisme venait au secours de l’État surendetté.


François Bayrou sera-t-il l’homme des premières coupes claires dans le fonctionnement de l’État ? Ses précédentes alertes sur l’endettement public offrent au Premier ministre l’occasion de passer à l’acte. Lui-même a d’ailleurs admis, mardi devant l’Assemblée nationale, qu’ « il n’y aura pas de redressement sans faire des économies ».
Toutefois, son idée saugrenue, lundi soir, d’utiliser un Falcon de la République pour aller présider dans un aller-retour le conseil municipal de Pau n’a pas donné l’exemple de la tempérance budgétaire ni de la lucidité sur les priorités. C’est à Mayotte, dévastée par les ouragans, que l’hôte de Matignon, en quête de proximité avec les gens, aurait été sans doute plus utile. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur démissionnaire, a été plus avisé en s’installant auprès du département sinistré.

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Passons sur la bourde. Reste à savoir si le successeur de Michel Barnier saura corriger un projet de loi de finance qui avait été construit sur la facilité du recours à l’impôt. « Je n’ai jamais cru que c’était dans la fiscalité que se trouvait la réponse à tous les problèmes du pays », a-t-il déclaré mardi devant les députés. En attendant, le Léviathan bureaucratique reste un totem qui surplombe la France suradministrée et sous-gouvernée. Au XVIe siècle, Montaigne déplorait déjà les lois trop nombreuses. Pour la seule année 2023, le pays a enregistré 8000 lois, décrets, arrêtés ou circulaires. De 1994 à 2022, un million de fonctionnaires sont venus renforcer une fonction publique déjà pléthorique. On ne compte plus les centaines agences d’État ou de hautes autorités inutiles. À commencer par le Haut commissariat au plan, où pantouflait le Béarnais. L’audace serait de supprimer déjà ce comité Théodule…

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Il est peu probable que Bayrou, en équilibre politique instable, s’aventure sur cette voie courageuse. Pour s’y être engagée, la présidente (Horizons) de la région des Pays de la Loire, Christelle Morançais, doit affronter une bruyante opposition de gauche, qui conteste son plan de 100 millions d’euros d’économies et de 100 postes non remplacés. Or cet impératif de désendettement devient incontournable. Même Marine Le Pen, qu’une partie de la droite qualifie de « socialiste », se rapproche en réalité d’une vision libérale de l’économie (moins d’impôts, moins de normes, moins d’État) quand elle déclare, comme ce mercredi dans Le Parisien en parlant de Bayrou : « Il sait ce que nous ne voulons pas : des taxes et des impôts supplémentaires pour la France. Nous voulons aussi des économies structurelles sur le fonctionnement de l’État ». Son allié Éric Ciotti va plus loin dans Le Figaro de ce jour en annonçant préparer pour janvier « une grande loi tronçonneuse » qui supprimerait les régions et les métropoles, mais aussi notamment le Conseil économique et social, le Haut commissariat au plan, l’Arcom, les agences régionales de santé, et autres « Hautes autorités » qui ne servent le plus souvent à rien ou qui, comme la Haute autorité de la santé, prône un accès gratuit au changement de sexe pour tous à partir de 16 ans, après avoir cautionné l’emprise étatique durant le Covid. Ce moins d’État est plus généralement le crédo libéral défendu par l’Argentin Javer Milei, mais aussi aux États-Unis par Elon Musk et Donald Trump. Autant d’exemples à suivre pour que maigrisse enfin l’État ventripotent.

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Murée dans la haine

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Vicky Krieps, "The Wall" (2024) de Philippe Van Leeuw © Bodega Films

Jessica, flic américaine trop zélée, transforme le désert qu’elle est chargée de surveiller en Arizona nightmare


La solitaire Jessica Combey ne rit jamais. Même pas lorsque – envie subite – elle décide de se faire tringler rapidos, en déboursant quelques dollars, par un gringo corpulent qu’elle a levé au coin de la rue – non sans le cagouler pendant l’aller-retour en caisse jusqu’au plumard – on ne sait jamais ce que le gigolo d’occasion pourrait raconter.  A-t-elle joui ? Pas sûr : son visage restera de marbre pendant le coït.

Voilà pour l’entrée en matière de The Wall, film belge tourné aux States, en anglais, par Philippe Van Leeuw, 70 ans, Bruxellois de souche établi à Paris, connu dans le milieu comme chef op. au moins autant que comme scénariste et réalisateur. Bardé de prix, son dernier film remonte à 2017 : Une famille syrienne, dont l’action se situait à Damas pendant la guerre civile. Sorti en 2009, son film précédent, Le jour où Dieu est parti en voyage, se passait à Kigali pendant le génocide rwandais : le cinéaste Van Leew aime décidément tourner au loin.  

Build the wall !

Pour revenir à The Wall, la jeune femme passablement glaçante (l’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps, excellente au demeurant, a pris des leçons d’anglais pour le rôle) s’avère être Federal Agent des US Border Patrols, ces gardes-frontière yankee qui patrouillent dans l’Arizona, au pied du mur de séparation entre les States et le Mexique. Seule femelle dans ce milieu de mâles (forcément dominants), Jessica Combey n’a pas, il est vrai, une vie marrante : sa belle-sœur et semble-t-il unique amie, atteinte d’un cancer, est à l’article de la mort… Patriote jusqu’au fanatisme, tirée à quatre épingles dans son uniforme malgré ses fêlures intimes, la soldate à catogan ne manque pas d’invoquer Dieu et ses saints pour la soutenir dans l’épreuve du quotidien.

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Pas de spoiler

Vraiment sur les nerfs, la Combey ! Conjugué à sa frustration libidinale, son nationalisme véhément la poussera aux dernières extrémités : chasseuse frénétique de ces migrants clandestins qui tentent le coup à leurs risques et périls dans le four de ce désert hostile, elle soupçonne les Amérindiens du cru d’être des passeurs : Mike Wilson (indigène qui joue ici son propre rôle) et son fils Zick. S’estimant légitimes sur leur territoire ancestral, ils ne traversent jamais par le poste-frontière légal, mais par un chemin connu d’eux seuls. Et les voilà mêlés, bien malgré eux, à un sanglant incident de frontière qu’aggrave tragiquement la présence de cette hystérique de la gâchette, murée dans la haine. N’en disons pas plus.

Il y a deux lectures contradictoires (mais pas incompatibles) à faire de The Wall : soit le film est le procès bien-pensant de la corruption, de la brutalité, de l’impunité qui règneraient dans ces parages au sein de l’engeance des exécutants (à la peau blanche) de l’ignominieuse loi étasunienne ; soit il dépeint, à travers le personnage antipathique de Jessica, un cas d’espèce qui, par les temps qui courent, ne manquera pas de scandaliser les vigies du woke, toujours sur le qui-vive quand la Femme chute de son piédestal. Philippe Van Leeuw balance ainsi entre posture vertueuse et risque assumé du bannissement par les amazones suractives du féminisme militant.

Durée : 1h36