Accueil Site Page 7

SUV Assassin! SUV Assassin!

Vivre-ensemble. En garde à vue pour meurtre, l’automobiliste du Boulevard Malesherbes accuse le cycliste qu’il a écrasé mardi de l’avoir « terrorisé ».


Mardi, en fin d’après-midi, à Paris, Boulevard Malesherbes, alors que, à cette heure, la circulation est particulièrement dense et donc la cohabitation auto-vélo encore plus tendue qu’en heure creuse, un différend oppose Paul, cycliste de vingt-sept ans, et le conducteur d’une voiture. À dire de témoins et selon ce que montre la vidéo surveillance, ce dernier aurait délibérément écrasé le jeune homme, lui roulant dessus et le tuant. La bêtise dans toute son horreur. Or, que conduisait cet assassin sur roues ? Un SUV, la bête noire de Madame Hidalgo et de sa très fine équipe. La levée de boucliers ne se fait pas attendre. Le coupable, on le tient. Et il devra payer, passer en jugement, être condamné au bûcher en place de Grève, pratiquement sous les fenêtres de la mairie de Paris. Ah, le beau, le salutaire spectacle !

Le coupable, le SUV, bien sûr, l’engin diabolique, honni, contre quoi on mène une obsessionnelle croisade dans ces murs. Ian Brossat, ex-adjoint communiste à la mairie de Paris et actuellement sénateur, y va de son couplet bien-pensant : « En milieu urbain, la présence du SUV représente un danger pour les piétons, les cyclistes et même pour les autres conducteurs. » Et David Belliard, adjoint écologiste au transport de surenchérir, réaffirmant la sacro-sainte doctrine mise en œuvre ces dernières années : « Réduire encore, encore et encore la place de la voiture». Cela vaut pour Paris aujourd’hui, en attendant plus et mieux demain, bien sûr. Mme Hidalgo elle-même y est allée de son commentaire, livrant un de ces propos éclairés dont elle n’est pas avare: « C’est inacceptable de mourir aujourd’hui à Paris, à vingt-sept ans en faisant du vélo. Ces actes doivent être condamnés sévèrement. » On le constate, ça ne rigole pas ! Cependant, on voudra bien ne pas s’appesantir sur le fait que la formulation laisse quand même à désirer. À prendre le propos au pied de la lettre on serait fondé à se demander si ce ne serait pas l’acte de mourir à vingt-sept ans à Paris en faisant du vélo qui devrait être condamné sévèrement. On espère se tromper. Passons. Cela dit, la formulation de l’appel à la votation du 4 février dernier ne brillait pas non plus par sa clarté. « Plus ou moins de SUV à Paris ? » lisait-on sur les affiches. Poser la question en ces termes, c’était évidemment y répondre. D’ailleurs, la votation n’a soulevé qu’un enthousiasme des plus modérés. Sur un million trois cent mille inscrits, seuls soixante-dix huit mille Parisiens se sont déplacés. Les autres, sans doute, étaient-ils occupés à se délier le mollet au Bois. Ainsi, même ardemment soutenue par le lobby de la pince à vélo, l’affaire ne fit pas recette.

Le coupable, le SUV, disais-je, et non pas le fou furieux au volant, l’assassin motorisé ! Pas plus qu’une Kalachnikov ne flingue toute seule, ne lâche d’elle-même sa rafale, pas plus une auto, puissant SUV ou bringuebalante dodoche, n’écrase son monde sans personne au volant. Le réel est bien là. Mais voir et analyser le réel, pour les exaltés de l’idéologie, c’est quasiment mission impossible. On le voit une fois encore. Ainsi, dans la logique de Madame Hidalgo, et selon son souhait, nous devrions nous attendre à ce que le SUV assassin passe en justice et soit sévèrement châtié. Quinze ou vingt ans de fourrière, je présume ? Peine incompressible, espère-t-on. Quant à la préconisation de l’adjoint Belliard – réduire encore, encore et encore la place de la voiture – si elle devait aboutir et que seuls les cyclistes et piétons aient droit de cité à Paris, enfin purgée de ces enfoirés de banlieusards, de provinciaux à quatre roues, Madame Hidalgo aurait réussi à instaurer en France, en sa capitale, le plus formidable système d’apartheid qu’on puisse imaginer. Chapeau bas ! Applaudissements nourris, je vous prie !

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

1 used & new available from 14,77 €

La France invertébrée

0

Pendant que les médias progressistes exorcisent le réel, nos politiques continuent de cabrioler dans l’égalitaire, le diversitaire, le multiculturel (100 % de multi, 0 % de culture), les postures et impostures…


España invertebrada, c’est un essai fameux sur les affres de la modernisation de l’Espagne des années 20. Les forces de « désintégration et dépeçage » – pour reprendre les mots d’Ortega y Gasset – sont puissamment à l’œuvre, en France, aujourd’hui. Sept ans de macronisme, 3250 milliards de dette publique (112% du PIB), une succession de déroutes électorales, un pays en pleine crise de nerfs, gangréné par le narcotrafic, ne pesant plus rien dans le monde… Bateau perdu jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, dans un monde parallèle, Gabriel Attal ne se laisse pas abattre : « Le dépassement c’est une audace : aller plus loin que la gauche ne l’a été sur l’écologie ou les services publics et aller plus loin que la droite ne l’a été sur l’ordre, la sécurité ou l’économie… J’ai une histoire à écrire avec les Français » (Le Point). Gabegie le Magnifisc ? Caius Iulius Caesar Birotteau ? La France en s’ébattant.

Les dépeceurs

Le patron de La Ferme des animaux du NFP, c’est le cochon. Protégé par une garde de silentiaires, grizzlis végétariens, hétaïres atterrantes, Jean-Luc Mélenchon se prend pour Napoléon. LFI souffle sur les braises de la traite négrière, la guerre d’Algérie et le conflit israélo-palestinien. Rima Hassan, Mathilde Panot, Manuel Bompard draguent les imams, les rappeurs racaille, défendent le Hamas, le Hezbollah et les traditions. En 1972, dans Rouge (LCR), Edwy Plenel (alias Joseph Krasny) appelait à « défendre inconditionnellement » le commando palestinien Septembre Noir qui venait d’assassiner onze athlètes israéliens.

L’agenda islamo-gauchiste insoumis est clair : agitprop dans les campus, immigrationisme, clientélisme, marginalisation des Français de souche, libanisation du pays, la haine à offrir en partage. Cette stratégie d’hystérie et chaos est assumée comme un préalable à la prise du pouvoir, avant les camps de déconstruction rousseauiste. Moins frontal, le wokisme libéral-libertaire, triomphe des fils déguisés en père, est aussi délétère. Ils ont aboli jusqu’au principe de raison. « Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez » (Lacan aux étudiants de Vincennes, 1968).

Ce rien qui les dévore : Oui-Oui au pays des Marvels 

Comment rebondir après deux générations de naufrage éducatif, effondrement culturel, chaos migratoire, communautarisme, « self-service normatif » ? La crétinisation numérique et les rezzous sociaux parachèvent la débâcle. L’éditorial de Louis Pauwels sur « les écoliers de la vulgarité pédagogique nourris de soupe infra idéologique cuite au show-biz », n’a pas pris une ride. « Ils ont reçu une imprégnation morale qui leur fait prendre le bas pour le haut. Rien ne leur paraît meilleur que n’être rien, mais tous ensemble, pour n’aller nulle part. Leur rêve est un monde indifférencié où végéter tièdement. Ils sont ivres d’une générosité au degré zéro, qui ressemble à de l’amour mais se retourne contre tout exemple ou projet d’ordre (…) Nous nous demandons ce qui se passe dans leurs têtes. Rien, mais ce rien les dévore » (1986).

La cuisson est terminée, tout le monde est à point (et à poil) : Philippe Katerine, Patrick Boucheron, Télérama, l’Université, Aurélien Bellanger, Léa Salamé, Greta Thunberg, Ursula von der Leyen, l’Occident « pourtousiste ». Les zombis acéphales, encordés, indignés, narcissiques, sur LinkedIn, leurs applis, prêchent « l’en commun bienveillant ». Ils « like » les drag-queens gazaouis oppressées par Tsahal, un piquenique d’entreprise sans Nutella, un webinaire sur l’intelligence artificielle de confiance à Bratislava. Ils veulent changer de sexe, sauver la planète, la tortue luth, les femmes.

A lire aussi, Ivan Rioufol: L’irresponsabilité en politique mériterait la sanction judiciaire

Nos politiques cabriolent dans l’égalitaire, le diversitaire, le multiculturel (100 % de multi, 0 % de culture), les postures et impostures. Senhor Oliveira da Figueira du progressisme, Raphaël Glucksmann pitche large : « la gauche sociale, européenne, humaniste, écologiste et féministe ». Après la grosse caisse prolétarienne, la musique de chambre citoyenne pour clarinette et Tamtam inclusif. Sur le manège enchanté du « réalisme de gauche », la soucoupe volante clignotante de Bernard Cazeneuve talonne le destrier de Raphaël. Carole Delga, à l’affut, pilote une voiture de pompier. Pour qui le pompon ?

Le drame du camp du bien, c’est Le Massacre des illusions, le fouet des événements. La guerre, les pogroms, les décapiteurs, le religieux, les déficits, le réel, sont de retour, à Lampedusa, Beyrouth, Bercy, dans les urnes. Longtemps, la gauche a snobé le passé (ringard, réac) et auto-absous ses aveuglements, lâchetés, crimes, au nom du progrès, du monde d’après. Demain on rose gratuit. Aujourd’hui, le futur n’est plus un alibi. Y’a la foi qui ne va pas, c’est la droite qui s’dilate, les sondages raplapla, le climat est en bas et l’IA fait débat… Où sont passés la recette du cake d’amour, les robes couleur du temps, de soleil, de lune, la peau d’âne, les pièces d’or, pierres précieuses ? Ça interroge.

Pour exorciser le réel, France Inter, Le Monde, des légions de chercheurs engagés, nous abreuvent de bourdieuseries, sophismes rassurants, contre-enquêtes pipeau, slogans éculés coulés dans le gaufrier du lieu commun sociologique : « faire société », « l’en commun », le « socialement construit ». Les hérauts du « toutlemondisme » dansent le rap sur des arcs, barrages, trajectoires bidon : la frugalité productive, le tchador laïque. Les sceptiques sont racistes et crypto-fascistoïdes.

Le dernier bluff de la Sainte Alliance progressiste c’est la manipulation des pleurs et des peurs. L’ultime joker, la ligne Maginot, qui abrite plus qu’elle ne hante le camp du bien, c’est le spectre de l’extrême-droite. Un seul Maistre vous manque, et tout est dépeuplé. « Le vrai se donne le faux pour ancêtre, pour cause, pour auteur, pour origine et pour fin, sans exception ni remède, – et le vrai engendre ce faux dont il exige d’être soi-même engendré. […] Que serions-nous donc sans le secours de ce qui n’existe pas ? » (Valéry).

L’oubli des enjeux anthropologiques

Oublieux de l’être, possédé par la technique et la volonté de puissance, l’Occident a refoulé les énigmes, les questions scabreuses méditées par Pierre Legendre, Gérard Guest et quelques autres : la reféodalisation du monde, la guerre des Textes, les transgressions généalogiques, le sujet possédé par l’institution, le grand Tiers inaugural rapportable à un texte idéal « qui nous parle » et « institue la vie », ce qui fait tenir une société debout.

Dans la seringue de l’IA, le bateau ivre de la « calculabilité intégrale », les juristes, économistes, scientifiques, politiques sont pris de vertige. Ils se raccrochent aux branches des saules pleureurs, directives européennes, miroirs aux alouettes à ailes rousses, usines à gaz hilarant : les audits de durabilité, la RSE, la vigilance des devoirs, l’huile de palme responsable, la moraline inclusive de l’éthique de la discussion.

« Il faut du théâtre, des rites des cérémonies d’écriture pour faire exister un État, lui donner forme, en faire une fiction animée (…) On n’a jamais vu, on ne verra jamais, une société vivre et se gouverner sans scénario fondateur, sans narrations totémiques, sans musiques, sans chorégraphies… sans préceptes et sans interdits » (Pierre Legendre).

L’assiette du voisin

0

« Rétropédalage » et « exemplarité ». Après avoir suscité un tollé, la hausse du budget de l’Élysée et des Assemblées, prévue par le projet de loi de finances, est annulée. C’est que l’augmentation des dotations initialement prévue était un « symbole » qui ne passait pas auprès des citoyens, explique-t-on.


C’est un des rares sujets qui fasse la quasi-unanimité des Français. Et j’assume de ne pas partager l’indignation de mes concitoyens. Le projet de Michel Barnier prévoyait une hausse de la dotation des Assemblées de 1,7% et de l’Élysée de 2,5 %. Bien sûr, c’est cette dernière qui a fait le plus scandale, tout le weekend dernier, prétendument parce qu’elle était supérieure à l’inflation. En réalité, parce que haïr Macron est un sport pratiqué par tout le monde, et que cela fait de vous un résistant (sans prendre le moindre risque).

« Pas audible »

Sur TF1, le 12 octobre, le ministre du Budget Laurent Saint-Martin renvoie la balle aux parlementaires, tout en essayant vaguement et prudemment de défendre la mesure : les Français ont besoin d’institutions fortes. Un argument balayé par la journaliste, saluée depuis en héroïne pour cela: Vous ne pouvez pas dire aux Français qu’ils doivent faire des efforts quand l’Élysée, l’Assemblée et le Sénat sont épargnés, ce n’est « pas audible ». Sur les réseaux sociaux, on assiste à un festival de criailleries un peu dégoutantes. C’est nous les victimes du méchant pouvoir qui s’en met plein les poches.

Le ressentiment, affect dominant de la société française ?

Mais il y a le symbole, assure-t-on… Symbole de quoi, sinon du ressentiment général ? Nous parlons d’une hausse de 3 millions d’euros pour l’Élysée, de 11 millions pour l’Assemblée nationale, et de 6 millions pour le Sénat. Soit 20 millions au total, alors que nous recherchons à faire 60 milliards d’économies ! Je m’épargne la règle de trois – il y aurait trop de zéros… – mais c’est donc assurément négligeable. Supprimer cette augmentation n’améliorera pas le sort d’un seul Français. Et on ne devrait pas regarder à la dépense pour recevoir des chefs d’État étrangers, ou pour les déplacements du président de la République. On est la France.

À lire aussi, un autre son de cloche: L’irresponsabilité en politique mériterait la sanction judiciaire

Dégoutants homards

Cette petite affaire est symptomatique des passions tristes qui empoisonnent la vie politique française depuis la Révolution. L’envie, la jalousie et la haine impuissante. Les salauds de puissants… C’est ce que j’appelle la théorie de l’assiette du voisin : l’important, ce n’est pas tant ce que j’ai, mais c’est que l’autre n’ait pas plus. Rappelez-vous du scandale des homards de François de Rugy, contraint de quitter son poste de président de l’Assemblée nationale en 2019 après la publication de photos d’un dîner par Mediapart.

Ces passions tristes accompagnent un autre mal français : l’irresponsabilité. C’est toujours la faute des autres. Selon Thierry Breton, invité de plusieurs médias cette semaine (après avoir démissionné de son poste de Commissaire européen), notre endettement s’explique largement par notre état social trop généreux, les 35 heures, etc. Mais, il ajoute que dès qu’on essaie de revenir sur une dépense en France, politiques et médias ne manquent pas de hurler immédiatement à la chasse aux pauvres (on se souvient par exemple de l’augmentation des APL de quelques euros) et tout le monde pense qu’on est revenu dans l’Angleterre du XIXe siècle… Si nous en sommes là, ce n’est pas seulement à cause d’Emmanuel Macron et des autres mais à cause de nous tous, qui nous comportons comme des créanciers à qui la collectivité doit toujours quelque chose et qui refusons obstinément de travailler une heure de plus. Quant à nos gouvernants soi-disant privilégiés, beaucoup, Macron en tête, gagneraient évidemment bien plus dans le privé et ne se feraient pas insulter toute la journée. Un jour, seuls des ignares et des imbéciles accepteront de faire de la politique.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Jean-Jacques Bourdin, dans la matinale

Un crime impuni: la maltraitance langagière

0

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Albert Camus nous a avertis. Désinvolte ou volontaire, la distorsion lexicale ajoute surtout à la violence de ce monde. Son origine ? Gérard Rabinovitch la dévoile dans son Philosophie clinique – Au chevet de l’animal parlant.


On sait avec quel aplomb au lendemain du pogrom du 7-Octobre une mélenchoniste, réélue au premier tour dans l’une de ces circonscriptions gentrifiées où s’ébat le bobo-land parisien, s’est autorisée à qualifier le Hamas de « mouvement de résistance ». À titre de justification. Au mépris du classement d’après les Nations-Unies parmi les organisations terroristes, du type Daech et Al-Qaida.

Antinomie

Cette permutation, saluer l’abattage terroriste comme s’il s’agissait d’un exploit de résistance, un homme avait eu toute raison de la redouter.

En effet, dès 2014, Gérard Rabinovitch dénonçait cet abus de langage. Dans Terrorisme/Résistance – D’une confusion lexicale à l’époque des sociétés de masse (Ed. Le Bord de l’Eau), le sociologue et philosophe rappelait à quel point terrorisme et résistance sont antinomiques. Ça ne peut être le recours aux armes qui les rapproche, d’autant que le résistant se fait violence d’entrer dans cette voie quand le terroriste se promet d’en jouir. Les amalgamer ruine le droit de résistance et par contrecoup, odieuse supercherie, sanctifie la violence terroriste.

« Le terrorisme distribue la mort, souligne Gérard Rabinovitch, et donne sa mort pour la mort. Alors que la résistance et son héroïsme font don de sa mort probable, et porte la mort sur l’ennemi, pour la vie. » La résistance est une guerre ciblée. Le terrorisme est une guerre totale, « de quelque drapeau qu’il se revendique, serait-ce celui des humiliés, ce nouveau lexème flou qui a remplacé aujourd’hui celui de prolétaires. » En s’adressant jour après jour à leurs compatriotes comme à autant d’humiliés, les nazis les ont enrôlés ou neutralisés contre la promesse de les venger de la défaite et du traité de Versailles. Les peuples n’ayant rien appris de l’Histoire, il se trouvera toujours quelque insoumis (côté rue) aspirant à la domination (côté cour) pour espérer se faire porter au pouvoir par les dominés de son choix, ceux-là même qu’il a enflammés.

Car les mots sont inflammables. L’abus de langage était en gestation ; dix ans après, nous y sommes ! C’est dans ce contexte que Gérard Rabinovitch publie aujourd’hui Philosophie clinique – Au chevet de l’animal parlant (éd. Hermann). En cent pages, il pointe dans quelle impasse nous enferme la conception moderne de l’homme, en dénonce le soubassement avant d’en désigner l’issue.

Le propre de l’homme

Attendu qu’on a fait son deuil d’une illusion : non, le progrès de l’humain dans l’homme et celui des sciences ne sont pas symétriques. D’un côté, le stop and go, au mieux la droiture, au pire la régression. De l’autre, savoir et techniques, des progrès aux effets heureux ou désarmants et des pauses. D’où le devoir de vigilance exigeant de discerner l’impensé qui, par réflexe et mimétisme, gouverne l’opinion commune.

À l’opposé d’un Pierre Bourdieu se flattant d’examiner la nature sociale de la langue, contre Saussure qui disait l’envisager « en elle-même et pour elle-même », c’est en anthropologue et historien sensible aux limites du sociologisme que Rabinovitch la considère. En convoquant les grands maîtres de l’Antiquité, d’Athènes et de Jérusalem, et leur définition concordante de l’homme : « animal parlant » chez Aristote et « vivant parlant » pour la tradition judaïque, le premier monothéisme.

Le langage est le propre de l’homme. Il n’aurait pas valeur souveraine s’il n’était qu’un instrument de communication, une gamme de signaux comme en font usage les animaux. L’homme pense, sent et s’exprime dans et par le langage. La parole interpelle, crée, infuse et transforme. La bouche est le foyer de la parole et celui de la manducation de la nourriture. Parole de salut à mémoriser et à transmettre. Ezéchiel 2,7 – 3,4 : « Tu leur porteras mes paroles, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas… Et toi, fils d’homme, écoute ce que je vais te dire… Ouvre la bouche et mange ce que je vais te donner. »

Il s’est trouvé un esprit moderne pour relayer et actualiser la sagesse des Anciens : Freud, avec la révélation de l’Inconscient, l’interaction de l’intime pulsionnel et de l’extérieur culturel, la dualité des pulsions de vie et de destruction, du sexuel et, pour le traitement psychique, la valeur des mots qui, au quotidien, « ne sont rien d’autre, dit-il, que de la magie qui a perdu de son éclat ».

Entretemps, quelque chose s’était perdu. Depuis qu’à partir du XIIIe siècle, une autre conception de l’homme a pris cours : non plus en tant qu’« être parlant », mais à la suite de St-Thomas d’Aquin – sur ce point lecteur borgne d’Aristote – en tant qu’« animal social ». Évacuées, l’essence spirituelle et politique, la valeur du secret. Verrouillée, l’assignation sociale. Voici l’homme animalisé. Le coût de cette substitution ? « La déliaison du politique et de l’éthique, tranche Rabinovitch à la suite de Hannah Arendt. Tant qu’il était enchaîné au langage, le politique restait condition de possibilité des montages et partages éthiques. »

Et c’est sur cette même pente, celle de la réduction à l’assignation sociale et de l’instrumentalisation du langage que s’engagera la fanatisation des masses. Klemperer, l’auteur de LTI, la langue du IIIe Reich, décrit magistralement la portée d’éléments de langage toxiques inlassablement ressassés : « Le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires et qui furent adoptés de façon mécanique. » En quête de métaphores, de néologismes, d’euphémismes, de litotes ou de périphrases, pareille propagande exige une inventivité sans limite. Au point, note l’historien des sciences Robert Proctor, que « les nazis finirent par avoir autant de mots pour désigner le meurtre que les esquimaux en ont pour évoquer la neige. »

Hier la fanatisation, aujourd’hui la domestication, l’infantilisation. Par le jeu des simplifications clivantes entre « pro » et « anti » et des habillages indolores. Par exemple, non pas le droit à l’euthanasie, mais le secours de « l’aide active à mourir ».

La philosophie clinique, avertit Rabinovitch, ne cherche pas à « guérir » le monde. Au chevet de l’homme désorienté, c’est d’abord à réparer et à paver la voie du bien dire qu’elle peut concourir. En accord avec les finalités que Leo Strauss fixait à la philosophie politique : orienter vers une vie bonne, un bon agir en commun, une société bonne. Sans jamais prétendre épuiser la question du langage. À l’exemple de l’anthropologue Marcel Jousse (1886-1961), élève de Marcel Mauss, l’auteur de La manducation de la parole :

 « Celui qui sait parler, sent qu’il y a en lui quelque chose qui n’est pas lui et qui fait onduler la phrase selon le besoin, ou qui la rend abrupte, cassée, quand il est nécessaire de la casser, de la broyer, pour l’adapter. Vous croyez que l’être qui sait parler n’est pas en effroi de lui-même, parfois ? Qui donc fait les phrases de quelqu’un qui sait parler ? C’est cela qui est un mystère et ce sera toujours un mystère pour les hommes qui pensent. »

Philosophie clinique: Au chevet de l animal parlant

Price: 15,00 €

6 used & new available from 15,00 €

Sinwar, la plume et le keffieh

Le leader du Hamas, «cerveau» des attaques islamistes du 7-Octobre en Israël, a été tué à Gaza. L’AFP affirme que l’armée israélienne procède à «des analyses ADN sur le corps d’un combattant» pour confirmer la mort du chef politique palestinien. Il y a peu, on pouvait encore acheter son autobiographie sur le site de la Fnac!


Il y a peu, on pouvait encore acheter L’Épine et l’Œillet, un livre vanté pour ses qualités « touchantes ». Son auteur : Yahya Sinwar, le chef du Hamas. Cette autobiographie, sorte de Mein Kampf islamiste publiée en 2004, a été traduite en français en avril 2024, six mois après les atrocités qu’il a commanditées.

En menant des recherches bibliographiques sur le Hamas, je suis tombée sur une notice affichée par la FNAC qui promeut un roman « profondément touchant » offrant « un aperçu unique sur une histoire de résilience et l’esprit de résistance ». La FNAC incite les lecteurs à « plonger dans les profondeurs de la psyché de l’auteur à travers ses années d’emprisonnement, révélant un esprit inébranlable malgré les limites de sa cellule ». Cette œuvre littéraire est marquée par « la passion et la détermination de l’homme qui continue d’influencer le paysage politique ». Cet homme n’est autre que Yahya Sinwar, le chef du Hamas et le responsable des atrocités de 7 octobre.

Le boucher de Khan Younès 

Or, si ce livre est écrit en 2004 quand l’auteur purgeait une peine de prison, l’édition française paraît en avril 2024 en version ebook sous le titre L’Épine et l’Œillet, traduit de l’anglais « The Thorn and the Carnation » (la traduction anglaise est celle de la version arabe Al-Shawk wa’l Qurunful), c’est-à-dire six mois après l’attaque de 7 octobre.

Avant son emprisonnement, Sinwar était responsable du service de sécurité interne du Hamas, « Al-Majd ». Connu sous le nom de « Boucher de Khan Younès », il était responsable des opérations punitives contre les Palestiniens qui collaboraient avec Israël. Accusé d’avoir organisé l’enlèvement, la torture et l’assassinat de deux soldats israéliens et de quatre Palestiniens soupçonnés de collaboration avec Israël, Sinwar a été condamné à quatre peines de perpétuité. Il sort en 2011, avec d’autres prisonniers échangés contre le soldat Gilad Shalit, capturé par le Hamas.

En 2018, dans une interview accordée à la journaliste de la Reppublica, Francesca Borri[1], Sinwar explique que pour lui le seul moyen d’exister dans les médias est le sang : « No blood, no news. » Affirmation vérifiée le 7 octobre.

Le narrateur de Sinwar met en scène un militant du Hamas et du programme de destruction d’Israël qu’on lui connaît. Grâce aux exégèses du site propalestinien Chronique de Palestine, on apprend que pour Sinwar « le lien exceptionnel entre la religion et le nationalisme » s’exprime à travers « l’obligation du djihad, ou guerre sainte, qui imprègne la cause nationale de sainteté et l’enracine dans l’individu[2] ». Autrement dit, cette biographie romancée n’est qu’un appel au djihad, à la guerre sainte contre les juifs et ceux qui les soutiennent.

A lire aussi, Jean-Michel Blanquer: Penser le 7-Octobre en exorciste

On s’interroge sur la parution en français de cet appel au meurtre romancé en 2024, quelques mois après le massacre du 7 octobre, alors qu’il a été écrit en 2004. Pourquoi maintenant, alors que des otages israéliens sont tués et torturés à Gaza par les assassins du Hamas, alors que des millions d’islamistes et d’antisémites se réjouissent du déluge de sang qu’il a provoqué ?

Pourquoi les grandes enseignes françaises s’attendrissent-elles devant les écrits de l’homme responsable de la mort de tant de juifs, de tant de viols, de tant de massacres, commis selon les prescriptions précises et détaillées pensées par Sinwar ? Identification morbide ? Énorme clientèle qui n’attendait que le nouveau Mein Kampf islamique ? Présence des Frères musulmans au sein de ces enseignes ? J’émets cette hypothèse pour la raison suivante. La traduction anglaise, que j’ai consultée, commence par une dédicace : « Je dédie ce livre à tous ceux dont les cœurs battent pour la terre de Isra et Mir’aj, de l’océan jusqu’au golfe, vraiment, de l’océan jusqu’à l’océan[3]. » Isra et Mir’aj est le voyage nocturne, suivi de l’ascension du prophète Muhammad. Selon la légende, ces événements ont eu lieu sur le mont du Temple où le calife Abd al-Malik construit le dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa sur les ruines du Temple juif.

Sulfureux entre guillemets

Force est de constater que par suite des réactions sur les réseaux sociaux, le livre a été retiré des enseignes françaises qui vantaient ses qualités profondément « touchantes » : la FNAC et Decitre. Pour marquer le coup, le site Actualitté[4] a décidé de publier un article qui s’inspire en partie des contributeurs de Chronique de Palestinecitée ci-dessus. « Mais qu’y a-t-il dans l’ouvrage du très sulfureux [sic] Yahya Sinwar ? D’abord, il s’agit d’une autobiographie. Le chef du Hamas à Gaza y décrit son engagement dans la construction d’une infrastructure de résistance à Gaza. Publié initialement en 2004 et écrit en prison, il présente les réflexions et expériences tirées d’une vie marquée par la résistance armée. Il explore en outre les défis de la résistance face à l’occupation israélienne et la dynamique entre les différentes factions palestiniennes. Le livre offre notamment un aperçu des tensions internes et des aspirations palestiniennes. Il s’y décrit comme un homme de foi, dédié à la cause palestinienne, et qui évite tous les sentiments antisémites, se concentrant sur la lutte contre l’occupation. À chacun de juger si on doit le croire ou non, en fonction de ses actes… »

Sinwar qualifié de « sulfureux » entre guillemets quand, en revanche, le syntagme « résistance » est utilisé sans guillemets : pour l’auteur de l’article, il semble que l’organisation d’assassinats de juifs et de Palestiniens collaborant avec Israël relève de la résistance. Cependant, bon prince, il laisse pudiquement et démocratiquement le choix aux lecteurs : « à chacun de juger » si oui ou non Sinwar est antisémite. On s’émeut de tant d’impartialité.


[1] « It’s time for a change, end the siege », ynetnews.com, 10 mai 2018.

[2] « La philosophie de la résistance, par Yahya Sinwar », chroniquepalestine.com, 11 juillet 2024.

[3] “I dedicate this to those whose hearts cling to the land of Isra and Mir’aj, from the Ocean to the Gulf, indeed, from ocean to ocean.”

[4] « La Fnac vend l’autobiographie du chef du Hamas, avant de la retirer », actualitte.com, 21 août 2024.

Elon Musk, le frappadingue de génie

0

Tout semble réussir au patron futuriste de Tesla, Space X et Twitter! La nouvelle capacité à réutiliser des fusées super-lourdes, dont a fait preuve Starship le 13 octobre, a éberlué le monde entier. Au grand désespoir des contempteurs de Musk, le fan de science-fiction étant aussi un soutien inconditionnel de Donald Trump…


On pouvait croire être entré par effraction dans le rêve fou d’un enfant qui ne le serait pas moins. Ou embarqué dans la séquence hallucinée d’un jeu vidéo avant-gardiste. Un corps de fusée de soixante-dix mètres de haut s’en revenant de l’espace tout feu tout flamme, passant d’une vitesse de quelque six-mille kilomètres / heures au pas d’un piéton, corrigeant l’angle d’approche pour venir, telle une amoureuse transie, se lover dans les bras articulés du bon géant qui, patiemment, n’attend qu’elle sur le plancher des vaches. Tout cela réalisé à la seconde près.

L’enfant à l’imagination allumée en rêvait sans doute en feuilletant ses illustrés de science-fiction. Elon Musk, lui, l’a fait.

Sous nos yeux, nous assistions donc ce dimanche 13 octobre à une phase authentiquement historique de l’épopée spatiale. Un pas de géant qui a laissé sur place ses concurrents les plus en pointe, la Chine, la Russie. Mais aussi l’Europe qui, avec Ariane et ses récentes déconvenues, semble avoir quelque peu perdu de fil de cette odyssée quasi prométhéenne. En avril, pour la mise en orbite de Galileo, le système satellitaire censé garantir la souveraineté européenne des applications GPS, Ariane 6 étant portée pâle, il fallut se résigner à aller toquer à la porte de Musk et embarquer le bazar à bord de son engin. Souveraineté un brin écornée de ce fait, on en conviendra.

A lire aussi: Elon Musk: Mais pourquoi est-il si méchant?

Avec Starship, Musk invente donc la fusée qui devrait réjouir jusqu’aux écolos les plus sourcilleux, la fusée durable et solidaire. Durable puisque réutilisable, et solidaire, comme nous venons de le voir. En outre, elle présente l’atout remarquable entre tous d’être la plus puissante jamais construite. Tant qu’à faire, on fait, telle est la règle chez les Musk et frappadingues de cet acabit.

De toute évidence, il faut bien l’être quelque peu, frappadingue, pour oser se lancer dans de telles aventures, d’y consacrer sa vie entière. Des aventures à peine envisageables pour un État qui ne serait pas une superpuissance, et combien moins encore pour un simple individu. Nous sommes là dans le domaine réservé des têtes folles, celles dont l’impossible est le terrain de jeu privilégié et pour qui le déraisonnable est la raison ordinaire. La vieille Europe, la France à bout de souffle en manqueraient-elles ?

Musk lui-même revendique sa différence, ne faisant pas mystère d’être porteur du syndrome d’Asperger. « Je sais bien que je dis ou je poste des choses étranges, mais c’est la façon dont travaille mon cerveau », confesse-t-il. Non sans une certaine complaisance, une certaine ostentation, car l’homme aime le paraître, la mise en scène chic et choc. Il a cela en commun avec un autre frappadingue de génie, Nikola Tesla, sous le parrainage de qui il a placé sa marque d’automobiles, lui donnant son nom. Ce découvreur, ce visionnaire lui aussi des plus prolifiques en son temps – plus de trois cents brevets à son actif – donnait volontiers dans l’exubérance, voire la provoc’. Cela agaçait beaucoup. Tout comme Musk agace. Il exaspère d’autant plus que, figurez-vous, dans la présente campagne des élections présidentielles américaines il pousse le bouchon de l’inconvenance jusqu’à soutenir la mauvaise personne, le contempteur du système ronronnant, Donald Trump soi-même ! Un personnage qu’il n’est guère exagéré de ranger lui aussi dans la catégorie frappadingue. À un tout autre niveau, cependant.

A lire aussi: Qui a cramé la caisse?

Mme Kamala Harris se glorifie d’avoir à ses côtés la star Taylor Swift et le past president Barack Obama. L’un et l’autre n’ayant à ce jour jamais réussi – pour autant que je sache – à faire entrer le dentifrice dans le tube une fois qu’il en est sorti – la prouesse de Starship est bel et bien de cet ordre-là ! – Madame Harris, indéfectible sourire dents blanches 24H/24, doit trouver ces soutiens bien ternes ces derniers jours. Plus sérieusement, j’ignore si l’exploit de Musk peut bénéficier à son poulain Trump. Néanmoins, je sais pertinemment que des voix – y compris chez nous, suivez mon regard – n’auraient pas manqué, en cas d’échec de les associer l’un et l’autre dans un procès en incompétence et imposture. Cette contre-fusée incendiaire-là n’aura donc même pas eu à quitter son pas de tir. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas…

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

1 used & new available from 14,77 €

Une révocation politique?

0

Réflexion sur la lourde sentence du Conseil d’État qui s’est abattue sur le professeur Jean-Luc Coronel de Boissezon, à la suite de l’évacuation musclée d’étudiants gauchistes de la fac de Montpellier, en 2018.


Vendredi 27 septembre 2024, aux termes d’une décision très discutable, le Conseil d’État a révoqué définitivement de ses fonctions Monsieur Jean-Luc Coronel de Boissezon, professeur agrégé d’histoire du droit à l’université de Montpellier (CE, 27 septembre 2024, Université de Montpellier, req. n°488978).

Pour rappel, il est reproché à Monsieur Coronel de Boissezon d’avoir participé, dans la nuit du 22 au 23 mars 2018, à l’évacuation musclée d’un amphithéâtre de la faculté de droit, occupé par un « collectif » d’organisations d’extrême-gauche dans le cadre d’un mouvement d’opposition à la loi ORE.

Une peine sensiblement aggravée

Si l’on peut entendre que des poursuites judiciaires et disciplinaires aient été diligentées, on relèvera que la sanction de révocation – la plus grave – est l’aboutissement d’un acharnement certain à l’encontre du professeur, qui avait le défaut supplémentaire d’avoir un cœur penchant à droite.

Le déroulé de la procédure disciplinaire est significatif de cet acharnement. Après une première décision de révocation de la section disciplinaire de Sorbonne Université, le CNESER[1] – juridiction compétente à l’égard des enseignants-chercheurs – a sensiblement allégé la sanction en prononçant, le 23 mars 2022, une interdiction d’exercer toute fonction d’enseignement pour une durée de quatre ans avec privation de traitement. Le 30 décembre 2022, le Conseil d’État, saisi par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, juge la sanction prononcée par le CNESER trop clémente. Mais le 4 septembre 2023, sur renvoi du Conseil d’Etat, l’indocile CNESER a prononcé une sanction identique à celle du 23 mars 2022. Mauvais joueurs, le président de l’université de Montpellier et la ministre chargée de l’Enseignement supérieur se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’État, qui a révoqué définitivement Jean-Luc Coronel de Boissezon.

Cette dernière décision soulève un certain nombre questions.

Tout d’abord, celle des pouvoirs du juge de cassation. En matière de révocation, le juge a de longue date introduit un critère de proportionnalité : la révocation doit être en adéquation avec la gravité des faits reprochés au fonctionnaire, condition dont l’appréciation appartient aux juges du fond (CE, 21 juin 2000, Ville de Paris, req. n°179218). Ainsi, lorsque le juge de cassation intervient, il peut certes annuler la décision prise par la juridiction d’appel s’il la juge disproportionnée par rapport à la gravité des faits, mais toujours pour prononcer une sanction moins sévère. Or, en prononçant la révocation définitive de Monsieur Coronel de Boissezon, le Conseil d’État a substitué son appréciation à celle, en principe souveraine, du CNESER, pour aggraver sensiblement la peine.

Ensuite, comme cela avait été souligné par Anne-Marie Le Pourhiet et François-Xavier Lucas à propos de la précédente décision du 30 décembre 2022 (cf. Le Figaro, 17 janvier 2023) ; la motivation du Conseil d’État est bâclée, car elle occulte la question de la responsabilité personnelle du professeur, qui n’était ni armé ni cagoulé, en retenant une forme de responsabilité collective. Le Conseil d’État se contente en effet de retenir que Monsieur Coronel de Boissezon a « participé, à la tête d’un groupe comprenant des personnes extérieures à l’université, pour certaines cagoulées et munies de planches de bois et d’un pistolet à impulsion électrique, et en portant lui-même des coups, à l’expulsion violente des occupants d’un amphithéâtre de l’UFR de droit et science politique de l’université de Montpellier ». Or, cette notion de « responsabilité collective » qui sous-tend le raisonnement, est en décalage avec la propre jurisprudence du Conseil d’État en matière de révocation. Il s’attache en effet habituellement à identifier de manière très circonstanciée la responsabilité personnelle de l’auteur des faits. Il en va ainsi, par exemple, d’un agent public ayant agressé sexuellement une mineure handicapée (CAA Douai, 6 octobre 2011, req. n°10DA01437) ; ou d’un médecin ayant porté des mentions mensongères, en termes de vaccination, sur le carnet de santé d’un enfant (CE, 22 décembre 2017, M.X, req. n°406360).

Phalange factieuse 

Enfin, le point le plus confondant vient des conclusions du rapporteur public. Pour justifier la révocation, il est indiqué que le professeur a « pris la tête d’une phalange factieuse » (cf. conclusions de Monsieur Jean-François de Montgolfier, p. 9). On reste interdit devant l’usage de ces termes, qui n’ont pas été choisis au hasard et qui travestissent la réalité. Si l’on se réfère à une définition simple donnée par le Trésor de la langue française, l’adjectif « factieux » s’entend d’un groupe « qui exerce ou tente d’exercer contre un gouvernement légalement établi une action violente visant à provoquer des troubles » (passons sur le terme « phalange », si ridiculement outrancier qu’il ne mérite pas que l’on s’y attarde).

Or, comme cela a été souligné par le rapport de l’IGAENR[2], l’occupation de l’amphithéâtre « par des étudiants » et « quelques personnes extérieures, qui n’ont pas le statut d’usager […] est illégale » (Rapport IGAENR n° 2018-036, mai 2018, page 9). Cette occupation illégale a en outre été émaillée de déprédations, violences, injures et brutalités. Quelques exemples, non exhaustifs :

  • « Un enseignant reçoit un coup de poing au visage, sa montre est arrachée. Un syndicaliste, postier, secrétaire départemental de l’union syndicale Solidaires a ses lunettes de vue cassées » (Rapport IGAENR, p. 8) ;
  • « Vers 23 heures, des étudiantes accrochent des tampons et des serviettes hygiéniques souillées à la barrière qui ferme l’accès au sous-sol où se trouvent les toilettes, elles en brandissent sous le nez du doyen. Une jeune fille met une serviette hygiénique dans la poche de son veston. Un tampon est jeté à la tête d’un agent de sécurité, un autre à celle du doyen. » (Rapport IGAENR, p. 8) ;
  • « Une personne présente une bouteille d’urine à la responsable administrative qui préfère la prendre de peur qu’elle ne la lui jette. La vice-doyenne et une enseignante sont également présentes et assistent à cette scène. » (Rapport IGAENR, p. 8).

Ainsi, pour le rapporteur public, il n’y a pas de factieux du côté de ceux qui occupent un amphithéâtre sans droit ni titre, qui insultent, méprisent, violentent et dégradent ; mais exclusivement du côté de ceux qui ont cherché à redonner à un amphithéâtre sa vocation naturelle. D’ailleurs, les premiers n’ont fait l’objet d’aucune poursuite pénale, civile ou disciplinaire. On comprend que si Monsieur de Boissezon avait apporté son concours à l’occupation illégale, aux insultes et déprédations, il n’aurait pas été inquiété.

Il est donc difficile de voir autre chose, dans cette décision de révocation obtenue au forceps, qu’une volonté de juger Jean-Luc Coronel de Boissezon au pied du mur de l’exemple. Il n’est pas non plus certain que cette décision, adoptée sur pourvoi de la ministre de l’Enseignement supérieur et de l’université de Montpellier, eux-mêmes soumis à la pression de certains syndicats étudiants, soit de nature à tempérer le sentiment de partialité idéologique des juridictions françaises.

Penser la démocratie sociale

Price: 36,00 €

6 used & new available from 36,00 €


[1] Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche

[2] Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche

7-Octobre – Manifeste contre l’effacement d’un crime

0

Un an après le 7 octobre 2023, un hommage a été rendu à la synagogue Copernic aux morts, aux blessés et aux otages du Hamas.

Y sont intervenus, entre autres, un Georges Bensoussan étincelant, un Manuel Valls bouleversant de sincérité et de fraternité, un Mohamed Sifaoui désespérant de lucidité.

Mais avant eux, discret, timide, l’éditeur David Reinharc avait présenté l’ouvrage initié par Guy Bensoussan, sur lequel il a travaillé, avec Sarah Fainberg (notre photo) pendant onze mois et qu’il publie en partenariat avec les Éditions Descartes : 7-Octobre – Manifeste contre l’effacement d’un crime.

Un best-seller dont chaque exemplaire est unique

Il s’agit d’une encyclopédie en 285 pages, dont tous les exemplaires sont uniques, car chacun porte, sur la couverture, le nom d’une des victimes du pogrom et sur le rabat, sa biographie : un livre, un nom. Mille cent soixante noms. 1160 êtres humains dans leur unicité.

Qu’est-ce qui a motivé les concepteurs de cette œuvre ? 

« C’est un livre en deux mouvements », explique Sarah Fainberg. Normale sup, Doctorat de Sciences-Po, directrice de recherches à l’université de Tel Aviv, spécialiste des questions de défense et de sécurité, auteur d’un livre sur l’antisémitisme soviétique post-stalinien[1], elle a pourtant été « sidérée par le décalage entre le pogrom que les Israéliens étaient en train de vivre et le masquage du crime sur les médias d’État français, dès les premières heures qui l’ont suivi. J’étais suffoquée par l’écart entre des enfants brûlés vifs et la phraséologie bienpensante qui a recouvert le réel, y compris au sein des centres du savoir. »

« Il fallait revenir sur la façon dont les Israéliens ont été suppliciés, avant d’être tués », enchaîne David Reinharc, qui rappelle que les terroristes, sur les vidéos qu’ils ont eux-mêmes mis en ligne, parlaient de « juifs », pas « d’Israéliens ». Et ce Juif non croyant d’ajouter que le sens premier du projet « Un livre, un nom » qu’il a initié est de « remettre au langage et au monde les sans-nom et sans-visage du 7-Octobre, qui furent exclus du symbolique tout court, et ainsi permettre de réciter le Kaddish, la prière des morts. » 

A ne pas manquer: Causeur #127: 7-Octobre, un jour sans fin

D’où les deux mouvements de ce livre kaléidoscope de voix plurielles, juives, non juives, croyants, athées, qui pensent ensemble cette question de l’effacement : d’une part, pour l’annuler en restaurant le crime masqué, voire excusé, et d’autre part, pour réfléchir, articuler et analyser ses raisons multiples en le prenant par tous les angles. C’est aussi une œuvre de création puisqu’elle redonne vie à chacune des victimes, « afin qu’ils ne soient pas réduits à leur mort et qu’on ne les oublie jamais. C’est un monument de papier ».

« Il s’agit pour la première fois d’un crime contre l’humanité contemporain de sa négation », affirment les deux promoteurs, « une négation aussi insidieuse que perverse, en ce qu’elle justifie subrepticement les massacres en les contextualisant. »

Best-of des 80 contributeurs

Rendons à César les politiques : la sincérité de Manuel Valls et de Gérard Larcher, le courage de Jean-Eric Schoettl, la constance de François Zimeray, l’opportunisme d’Anne Hidalgo ;

Le troisième pouvoir, celui des avocats, souvent du diable, mais pas toujours, puisque plusieurs signent, dont Nathanaël Majster et deux Klarsfeld, sans oublier ceux qui ont une double casquette ;

Des psychanalystes, juifs comme Daniel Sibony, Michel-Gad Wolkowicz et Judith Cohen-Solal (la différence entre un tailleur juif et un psychanalyste ? Une génération) et non juifs comme Sonya Zadig, qui explique le 7-Octobre par « un changement de paradigme : ce qu’on a pris pour un conflit territorial n’est qu’un conflit de civilisation, un choc entre des visions diamétralement opposées du monde » ;

Des citoyens courageux qui risquent leur vie : Hassen Chalghoumi (imam sur qui pèse une fatwa), Nora Bussigny (journaliste qui va vraiment sur le terrain), Patrick Desbois (prêtre dénonciateur de la Shoah par balles), Robert Redeker (professeur menacé de mort pour blasphème… en France), Boualem Sansal (traité de « dhimmi de l’Occident, le protégé des sionistes[2] », autant dire mort en sursis, pour avoir émis une opinion haram sur le conflit israélo-palestinien) ;

Et juste avant les raton-laveurs, enfin, des intellectuels sincères et lucides, plus nombreux qu’on imagine :

Georges Bensoussan, historien des faits, des chiffres, pas des fantasmes,

Abnousse Shalmani, Irano-française chevelue, laïque et écrivain[3],

Luc Ferry, philosophe, ancien ministre de l’Éducation nationale qui donne la meilleure définition du crime contre l’humanité, quelle qu’en soit la forme : il est commis « dans une logique exterminatrice… et il massacre des personnes pour ce qu’elles sont ou sont censées être et non pour ce qu’elles font ou sont censées avoir fait ».

Renée Fregosi qui, après n’avoir pas fait carrière au PS[4], a étudié les 50 nuances de la dictature[5],

Gilles-William Goldnadel, avocat dont la parole est d’or et l’esprit vif argent, qui résume « la détestation du Juif au fait qu’il n’est plus le « métèque » des années 1930. Il est jugé nationaliste et belliqueux. »

Martine Gozlan, journaliste, note que « l’État d’Israël est le seul au monde que l’on veut détruire pour le sauver. »

A lire aussi, Alain Finkielkraut: «On n’a pas le droit de s’installer dans la tragédie»

Yana Grinshpun, une Mohammed Ali juive dans un corps de Marylin Monroe brune,

Michel Houellebecq, qui se signale par son malin plaisir à Anéantir[6] les cons de tout poil avec sa plume,

Marc Knobel, spécialiste de la haine des juifs sous toutes ses formes, dont la Cyberhaine[7],

Éric Naulleau, qui a vu « de fort distinguées représentantes de la classe bobo descendre un instant de leur bicyclette pour arracher les photographies des otages du Hamas… »

Eric Marty, professeur émérite, militant non juif contre la délégitimation d’Israël[8],

Iannis Roder,[9] prof d’Histoire-Géo dans le 9-3, encore vivant,

Georges-Elia Sarfati, philosophe, linguiste, poète et psychanalyste français et juif, comme son nom l’indique[10],

Jean Szlamowicz, normalien, professeur des universités, linguiste, traducteur, qui traduit le 7-Octobre à la lumière d’un narratif : « le récit politique contemporain fait (des Juifs) les bourreaux nécessaires des Arabes de Palestine (pour contrer) l’évidence de l’agression arabe et du sadisme antijuif » ;

Pierre-André Taguieff, dont une citation vaut mille images : « Du pédantisme déconstructionniste est né ce monstre qu’est le “wokisme“»[11],

Jacques Tarnero, ex-soixante-huitard, publié abondamment par Le Monde jusqu’à son coming-out comme sioniste. « Les nazis n’ont pas cherché à immortaliser leurs exploits. Le Hamas, oui », dit-il.

Sylvain Tesson, écrivain voyageur qui porte haut l’étoile[12] (de David),

Shmuel Trigano, philosophe et sociologue, spécialiste de l’exclusion des Juifs du monde arabe[13], encore plus pessimiste qu’un ashkénaze, qui rappelle que « les amis d’Israël… lui ont imposé, après le massacre, de nourrir son ennemi, de lui fournir de l’essence pour aérer ses tunnels et lui permettre de résister plus longtemps, sous la menace d’une condamnation internationale, qui effacerait le scandale de sa déshumanisation sous la main du Hamas. »

Alexandre del Valle, Docteur en histoire contemporaine, lanceur d’alerte sur l’entrisme islamiste depuis plus de 20 ans…

Pour ne pas être complice du silence qui finira par nous tuer aussi, car « l’antisémitisme, c’est aussi la haine de la France et de ses valeurs » (Gérard Larcher), il faut lire 7 Octobre – Manifeste contre l’effacement d’un crime – David Reinharc éditeur. Et réagir.

285 pages.

7 octobre, manifeste contre l'effacement d'un crime

Price: 20,00 €

9 used & new available from 20,00 €


[1] www.amazon.fr/discrimin%C3%A9s-Lantis%C3%A9mitisme-sovi%C3%A9tique-apr%C3%A8s-Staline/dp/2213662843/

[2] www.lnr-dz.com/2023/12/11/le-pro-israelien-boualem-sansal-profere-de-graves-accusations-contre-lalgerie/

[3] www.amazon.fr/La%C3%AFcit%C3%A9-j%C3%A9cris-ton-Abnousse-Shalmani/dp/B0CTQ9VHRW/

[4] www.amazon.fr/Comment-nai-fait-carri%C3%A8re-social-d%C3%A9mocratie/dp/2940632723

[5] www.youtube.com/watch?v=RA0FwO3rdjU

[6] www.amazon.fr/An%C3%A9antir-Michel-Houellebecq/dp/2290404330/

[7] www.amazon.fr/Cyberhaine-propagande-antis%C3%A9mitisme-sur-Internet-ebook/dp/B09N7KRR23/

[8] www.amazon.fr/Bref-s%C3%A9jour-J%C3%A9rusalem-%C3%89ric-Marty/dp/2070768961/

[9] www.amazon.fr/Sortir-l%C3%A8re-victimaire-Iannis-Roder/dp/2738150756/

[10] « Sarfati » veut dire « français » en hébreu.

[11] www.lefigaro.fr/vox/culture/pierre-andre-taguieff-du-pedantisme-deconstructionniste-est-ne-ce-monstre-qu-est-le-wokisme-20220107

[12] www.jforum.fr/porter-haut-letoile-sylvain-tesson.html

[13] www.amazon.fr/LExclusion-juifs-arabes-contentieux-isra%C3%A9lo-arabe/dp/2848350113/ref

Check-point Olaf

Les annonces du chancelier allemand pour contrôler l’immigration rompent avec une décennie de politique d’accueil inconditionnel. Mais la plupart d’entre elles sont conformes au traité de Schengen. Nos voisins pourront, sans se contredire, rouvrir les vannes de travailleurs étrangers lorsque leur économie le jugera utile.


Touchée ces derniers mois par une série d’attaques terroristes commises par des ressortissants étrangers (dont la plus récente et meurtrière, un attentat au couteau perpétré par un Syrien ayant demandé l’asile dans le pays, a coûté la vie à trois personnes), l’Allemagne semble aujourd’hui chercher à reprendre en main sa politique migratoire – en apparente rupture avec la décennie écoulée.

Au cours des années 2010, notre voisin d’outre-Rhin a pratiqué une politique de l’asile largement ouverte, dont les justifications mêlaient considérations humanitaires et calculs économiques, l’accélération des flux étant perçue comme une opportunité d’apport en main-d’œuvre et une solution de mitigation du vieillissement démographique. Entre 2013 et 2023, on estime que près de 2,8 millions de primo-demandeurs d’asile ont été reçus en Allemagne, soit l’équivalent de la population cumulée des villes de Cologne et Hambourg (et un tiers du total des demandes dans l’UE). Le record annuel sur cette période a été atteint en 2016, avec 722 000 premières demandes d’asile en douze mois. Après un tassement observable durant les années qui ont suivi, cette dynamique semble aujourd’hui repartir fortement à la hausse, avec 329 120 premières demandes d’asile enregistrées en 2023 – ce qui représente une augmentation de 51 % par rapport à 2022.

Le chancelier social-démocrate Olaf Scholz multiplie les « annonces fortes » depuis plusieurs semaines, destinées explicitement à endiguer ce redémarrage rapide des flux d’asile : suppression des aides pour les demandeurs entrés dans un autre pays de l’UE avant l’Allemagne ; réexamen de l’asile accordé si les intéressés voyagent dans leur pays d’origine ; recherche de solutions pour reprendre les expulsions de criminels dangereux vers l’Afghanistan et la Syrie. Mais la plus commentée et la plus symbolique de ces décisions réside dans le rétablissement des contrôles à l’ensemble des frontières terrestres allemandes, depuis le 16 septembre et pour une durée de dix mois. Selon les mots de la ministre sociale-démocrate de l’Intérieur Nancy Faeser, l’objectif est « de limiter davantage l’immigration irrégulière et de nous protéger des dangers aigus du terrorisme islamiste et de la grande criminalité ».

Mais s’agit-il là d’une véritable révolution copernicienne accomplie par la nation du « Wir schaffen das » (« Nous y arriverons ! »), ou de simples effets de communication visant des citoyens allemands déboussolés – qui seraient tentés d’amplifier les succès électoraux de l’AfD ?

Tout d’abord, rappelons que la plupart de ces mesures ne sont pas aussi spectaculaires qu’elles y paraissent. Si l’expulsion de ressortissants afghans et syriens vers leur pays d’origine pourrait se heurter à certains obstacles du droit européen (ces pays étant en guerre), le rétablissement des contrôles aux « frontières intérieures » – entre États européens – est quant à lui parfaitement conforme au Code Schengen, en cas de menaces pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, et à condition d’être limité dans le temps. Pour preuve : au moins un quart des États membres de Schengen ont activé ce type de clause en 2023, à l’instar de la France depuis les attentats de 2015.

De manière plus large, la constance très relative des dirigeants allemands en matière migratoire invite à la prudence. En 2010, au cœur d’un débat politique enflammé par la parution de l’essai L’Allemagne disparaît de Thilo Sarrazin (haut fonctionnaire développant une approche radicalement critique de l’immigration reçue par le pays depuis les années 1970), la chancelière Angela Merkel avait prononcé l’oraison funèbre de la société multiculturelle allemande devant les jeunes de la CDU, en affirmant que la nation allemande n’avait « pas besoin d’une immigration qui pèse sur notre système social ». Quelques années plus tard, au cœur de la crise migratoire de 2015-2016, la même Angela Merkel ouvrait largement les frontières allemandes à près de 1,2 million de demandeurs d’asile en deux ans (venus notamment de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran et d’Érythrée).

En janvier dernier encore, le chancelier Scholz faisait adopter une loi visant à faciliter les naturalisations, en abaissant la durée du séjour préalable de huit à cinq ans et en autorisant désormais la double nationalité pour les ressortissants extra-européens (notamment au bénéfice des 1,5 million de ressortissants turcs). Le gouvernement du même Scholz a fait adopter la loi du 23 juin 2023, qui facilite l’immigration de travailleurs extra-européens en Allemagne – ignorant ainsi la corrélation nette entre la hausse des flux légaux et celle de l’immigration illégale, qui s’observe partout en Europe.

Tergiversations à poser un diagnostic, incohérences dans les politiques mises en œuvre, mise en balance de la volonté populaire et d’intérêts économiques de court-terme… Un même mal étrange semble frapper les responsables politiques des deux rives du Rhin. Il n’en demeure pas moins que plusieurs de nos voisins européens ont annoncé des mesures migratoires restrictives ces dernières semaines, quelles que soient les majorités politiques au pouvoir : après le Danemark, l’Italie, la Suède, les Pays-Bas, ou encore le Royaume-Uni, une véritable réaction en chaîne semble être à l’œuvre.

Dans ce contexte, la France court le risque d’être, en comparaison, toujours plus attractive pour les candidats à l’immigration, alors qu’elle subit déjà aujourd’hui d’importants « flux migratoires secondaires ». Dans un avis de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2018, le ministère de l’Intérieur avait souligné que près de la moitié des demandeurs d’asile qui se présentaient en France étaient déjà connus ailleurs en Europe et que près de 500 000 déboutés du droit d’asile circulaient de pays en pays dans l’espace Schengen.

En définitive, c’est un choix crucial que doit opérer le nouveau gouvernement français : répondre aux attentes de l’opinion publique et s’inscrire dans la dynamique européenne engagée sur ces sujets, ou se résigner à l’immobilisme et accroître ainsi la vulnérabilité migratoire de la France.

Qui a cramé la caisse?

0

Nous sommes tous responsables du dérapage des comptes publics, observe notre directrice de la rédaction


La commission des Finances de l’Assemblée nationale se transforme en commission d’enquête sur le dérapage des comptes publics.
Rappel de quelques chiffres, désormais connus de presque tout le monde: dans le précédent budget, le déficit du présent exercice était annoncé à 4,4% du PIB. Il a ensuite été relevé à 5,1% en cours d’exercice. Finalement, nous sommes à 6%. Résultat : une différence de 60 milliards d’euros à trouver en urgence.

Menteurs

Certes, il faudra effectivement savoir comment ce dérapage budgétaire a été possible. Mais en attendant, l’affaire est déjà devenue une nouvelle arme de notre guéguerre politique. On entend tous la petite musique qui monte: « ils ont menti, voire maquillé. Ils savaient et n’ont rien dit… » Ces trémolos sur la transparence et le mensonge sont rigolos. En dehors de ces questions, le mensonge est en temps normal l’huile dans les rouages de la vie sociale et publique. Chers lecteurs, essayez donc de dire tout ce que vous pensez pendant une journée ! Le mensonge est aussi parfois une stratégie politique. Par exemple, la gauche a raconté durant des semaines qu’elle avait gagné les élections législatives, ce qui est faux, et pourtant personne ne hurle qu’on doit la vérité aux électeurs. Donc il faut arrêter le délire. En l’occurrence, je ne crois pas que nos dirigeants aient menti volontairement, et encore moins falsifié : ils ont laissé filer et regardé ailleurs. Bruno Le Maire avait demandé un collectif budgétaire en cours de route; le président Macron a refusé parce qu’il a un peu pris cela par-dessus la jambe (l’intendance suivra…) et que les européennes arrivaient.

Le droit de savoir

Ensuite, nous avons connu deux mois de vacance du pouvoir. Personne ne se sentait responsable du sujet, et il n’y avait pas de Premier ministre à qui rendre compte. Bref, nos gouvernants sont peut-être incompétents – il ne faut pas l’exclure(!) – mais j’en ai assez d’entendre dire qu’ils sont malhonnêtes. Les Français ont bien le droit de savoir, dit-on. Encore faudrait-il qu’ils veuillent savoir. Tout le monde veut réduire la dette… à condition que ça tape sur les autres. Et on adore croire qu’en taxant les riches, tout changera. La commission d’enquête nous dira quels postes précisément (c’est la polémique du jour…) ont dérapé. Et c’est important de le savoir. Mais, elle devrait aussi s’intéresser aux gabegies structurelles. On ferait de sacrées économies en supprimant d’un décret tous les doublons, triplons et quadruplons d’officines inutiles. Le CESE par exemple ne sert à rien, mais pourtant il existe aussi des doublons à l’échelle des régions et parfois des intercommunalités ! La vérité, c’est que nous sommes tous responsables. De la distribution d’argent public contre rien, du clientélisme… Si les dépenses ont dérapé, ce n’est pas parce que Bruno Le Maire et les autres s’en sont mis plein les poches, mais parce qu’ils ont répondu à de multiples pressions, demandes et revendications. Elles sont souvent légitimes: moi aussi, je voudrais plus de profs, plus de médecins, plus de flics et plus de magistrats. Moi aussi, je ne veux que le bonheur des retraités, des étudiants ou des chômeurs.
Mais j’aimerais aussi qu’on sorte de ce rapport névrotique à l’État, considéré comme l’Oncle Picsou à qui il faut arracher son magot. Désolée: il n’y a pas d’Oncle Picsou. Et pas de solution indolore. Si nous voulons nous en sortir, il faudra travailler plus et moins attendre de la collectivité.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

SUV Assassin! SUV Assassin!

0
Anne Hidalgo entourée d'électeurs, décembre 2017 © CHAMUSSY/SIPA

Vivre-ensemble. En garde à vue pour meurtre, l’automobiliste du Boulevard Malesherbes accuse le cycliste qu’il a écrasé mardi de l’avoir « terrorisé ».


Mardi, en fin d’après-midi, à Paris, Boulevard Malesherbes, alors que, à cette heure, la circulation est particulièrement dense et donc la cohabitation auto-vélo encore plus tendue qu’en heure creuse, un différend oppose Paul, cycliste de vingt-sept ans, et le conducteur d’une voiture. À dire de témoins et selon ce que montre la vidéo surveillance, ce dernier aurait délibérément écrasé le jeune homme, lui roulant dessus et le tuant. La bêtise dans toute son horreur. Or, que conduisait cet assassin sur roues ? Un SUV, la bête noire de Madame Hidalgo et de sa très fine équipe. La levée de boucliers ne se fait pas attendre. Le coupable, on le tient. Et il devra payer, passer en jugement, être condamné au bûcher en place de Grève, pratiquement sous les fenêtres de la mairie de Paris. Ah, le beau, le salutaire spectacle !

Le coupable, le SUV, bien sûr, l’engin diabolique, honni, contre quoi on mène une obsessionnelle croisade dans ces murs. Ian Brossat, ex-adjoint communiste à la mairie de Paris et actuellement sénateur, y va de son couplet bien-pensant : « En milieu urbain, la présence du SUV représente un danger pour les piétons, les cyclistes et même pour les autres conducteurs. » Et David Belliard, adjoint écologiste au transport de surenchérir, réaffirmant la sacro-sainte doctrine mise en œuvre ces dernières années : « Réduire encore, encore et encore la place de la voiture». Cela vaut pour Paris aujourd’hui, en attendant plus et mieux demain, bien sûr. Mme Hidalgo elle-même y est allée de son commentaire, livrant un de ces propos éclairés dont elle n’est pas avare: « C’est inacceptable de mourir aujourd’hui à Paris, à vingt-sept ans en faisant du vélo. Ces actes doivent être condamnés sévèrement. » On le constate, ça ne rigole pas ! Cependant, on voudra bien ne pas s’appesantir sur le fait que la formulation laisse quand même à désirer. À prendre le propos au pied de la lettre on serait fondé à se demander si ce ne serait pas l’acte de mourir à vingt-sept ans à Paris en faisant du vélo qui devrait être condamné sévèrement. On espère se tromper. Passons. Cela dit, la formulation de l’appel à la votation du 4 février dernier ne brillait pas non plus par sa clarté. « Plus ou moins de SUV à Paris ? » lisait-on sur les affiches. Poser la question en ces termes, c’était évidemment y répondre. D’ailleurs, la votation n’a soulevé qu’un enthousiasme des plus modérés. Sur un million trois cent mille inscrits, seuls soixante-dix huit mille Parisiens se sont déplacés. Les autres, sans doute, étaient-ils occupés à se délier le mollet au Bois. Ainsi, même ardemment soutenue par le lobby de la pince à vélo, l’affaire ne fit pas recette.

Le coupable, le SUV, disais-je, et non pas le fou furieux au volant, l’assassin motorisé ! Pas plus qu’une Kalachnikov ne flingue toute seule, ne lâche d’elle-même sa rafale, pas plus une auto, puissant SUV ou bringuebalante dodoche, n’écrase son monde sans personne au volant. Le réel est bien là. Mais voir et analyser le réel, pour les exaltés de l’idéologie, c’est quasiment mission impossible. On le voit une fois encore. Ainsi, dans la logique de Madame Hidalgo, et selon son souhait, nous devrions nous attendre à ce que le SUV assassin passe en justice et soit sévèrement châtié. Quinze ou vingt ans de fourrière, je présume ? Peine incompressible, espère-t-on. Quant à la préconisation de l’adjoint Belliard – réduire encore, encore et encore la place de la voiture – si elle devait aboutir et que seuls les cyclistes et piétons aient droit de cité à Paris, enfin purgée de ces enfoirés de banlieusards, de provinciaux à quatre roues, Madame Hidalgo aurait réussi à instaurer en France, en sa capitale, le plus formidable système d’apartheid qu’on puisse imaginer. Chapeau bas ! Applaudissements nourris, je vous prie !

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

1 used & new available from 14,77 €

La France invertébrée

0
L'eurodéputé Raphaël Glucksmann et la présidente de la Région Occitanie Carole Delga, la Réole (33), 5 octobre 2024 © Alain ROBERT/SIPA

Pendant que les médias progressistes exorcisent le réel, nos politiques continuent de cabrioler dans l’égalitaire, le diversitaire, le multiculturel (100 % de multi, 0 % de culture), les postures et impostures…


España invertebrada, c’est un essai fameux sur les affres de la modernisation de l’Espagne des années 20. Les forces de « désintégration et dépeçage » – pour reprendre les mots d’Ortega y Gasset – sont puissamment à l’œuvre, en France, aujourd’hui. Sept ans de macronisme, 3250 milliards de dette publique (112% du PIB), une succession de déroutes électorales, un pays en pleine crise de nerfs, gangréné par le narcotrafic, ne pesant plus rien dans le monde… Bateau perdu jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, dans un monde parallèle, Gabriel Attal ne se laisse pas abattre : « Le dépassement c’est une audace : aller plus loin que la gauche ne l’a été sur l’écologie ou les services publics et aller plus loin que la droite ne l’a été sur l’ordre, la sécurité ou l’économie… J’ai une histoire à écrire avec les Français » (Le Point). Gabegie le Magnifisc ? Caius Iulius Caesar Birotteau ? La France en s’ébattant.

Les dépeceurs

Le patron de La Ferme des animaux du NFP, c’est le cochon. Protégé par une garde de silentiaires, grizzlis végétariens, hétaïres atterrantes, Jean-Luc Mélenchon se prend pour Napoléon. LFI souffle sur les braises de la traite négrière, la guerre d’Algérie et le conflit israélo-palestinien. Rima Hassan, Mathilde Panot, Manuel Bompard draguent les imams, les rappeurs racaille, défendent le Hamas, le Hezbollah et les traditions. En 1972, dans Rouge (LCR), Edwy Plenel (alias Joseph Krasny) appelait à « défendre inconditionnellement » le commando palestinien Septembre Noir qui venait d’assassiner onze athlètes israéliens.

L’agenda islamo-gauchiste insoumis est clair : agitprop dans les campus, immigrationisme, clientélisme, marginalisation des Français de souche, libanisation du pays, la haine à offrir en partage. Cette stratégie d’hystérie et chaos est assumée comme un préalable à la prise du pouvoir, avant les camps de déconstruction rousseauiste. Moins frontal, le wokisme libéral-libertaire, triomphe des fils déguisés en père, est aussi délétère. Ils ont aboli jusqu’au principe de raison. « Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez » (Lacan aux étudiants de Vincennes, 1968).

Ce rien qui les dévore : Oui-Oui au pays des Marvels 

Comment rebondir après deux générations de naufrage éducatif, effondrement culturel, chaos migratoire, communautarisme, « self-service normatif » ? La crétinisation numérique et les rezzous sociaux parachèvent la débâcle. L’éditorial de Louis Pauwels sur « les écoliers de la vulgarité pédagogique nourris de soupe infra idéologique cuite au show-biz », n’a pas pris une ride. « Ils ont reçu une imprégnation morale qui leur fait prendre le bas pour le haut. Rien ne leur paraît meilleur que n’être rien, mais tous ensemble, pour n’aller nulle part. Leur rêve est un monde indifférencié où végéter tièdement. Ils sont ivres d’une générosité au degré zéro, qui ressemble à de l’amour mais se retourne contre tout exemple ou projet d’ordre (…) Nous nous demandons ce qui se passe dans leurs têtes. Rien, mais ce rien les dévore » (1986).

La cuisson est terminée, tout le monde est à point (et à poil) : Philippe Katerine, Patrick Boucheron, Télérama, l’Université, Aurélien Bellanger, Léa Salamé, Greta Thunberg, Ursula von der Leyen, l’Occident « pourtousiste ». Les zombis acéphales, encordés, indignés, narcissiques, sur LinkedIn, leurs applis, prêchent « l’en commun bienveillant ». Ils « like » les drag-queens gazaouis oppressées par Tsahal, un piquenique d’entreprise sans Nutella, un webinaire sur l’intelligence artificielle de confiance à Bratislava. Ils veulent changer de sexe, sauver la planète, la tortue luth, les femmes.

A lire aussi, Ivan Rioufol: L’irresponsabilité en politique mériterait la sanction judiciaire

Nos politiques cabriolent dans l’égalitaire, le diversitaire, le multiculturel (100 % de multi, 0 % de culture), les postures et impostures. Senhor Oliveira da Figueira du progressisme, Raphaël Glucksmann pitche large : « la gauche sociale, européenne, humaniste, écologiste et féministe ». Après la grosse caisse prolétarienne, la musique de chambre citoyenne pour clarinette et Tamtam inclusif. Sur le manège enchanté du « réalisme de gauche », la soucoupe volante clignotante de Bernard Cazeneuve talonne le destrier de Raphaël. Carole Delga, à l’affut, pilote une voiture de pompier. Pour qui le pompon ?

Le drame du camp du bien, c’est Le Massacre des illusions, le fouet des événements. La guerre, les pogroms, les décapiteurs, le religieux, les déficits, le réel, sont de retour, à Lampedusa, Beyrouth, Bercy, dans les urnes. Longtemps, la gauche a snobé le passé (ringard, réac) et auto-absous ses aveuglements, lâchetés, crimes, au nom du progrès, du monde d’après. Demain on rose gratuit. Aujourd’hui, le futur n’est plus un alibi. Y’a la foi qui ne va pas, c’est la droite qui s’dilate, les sondages raplapla, le climat est en bas et l’IA fait débat… Où sont passés la recette du cake d’amour, les robes couleur du temps, de soleil, de lune, la peau d’âne, les pièces d’or, pierres précieuses ? Ça interroge.

Pour exorciser le réel, France Inter, Le Monde, des légions de chercheurs engagés, nous abreuvent de bourdieuseries, sophismes rassurants, contre-enquêtes pipeau, slogans éculés coulés dans le gaufrier du lieu commun sociologique : « faire société », « l’en commun », le « socialement construit ». Les hérauts du « toutlemondisme » dansent le rap sur des arcs, barrages, trajectoires bidon : la frugalité productive, le tchador laïque. Les sceptiques sont racistes et crypto-fascistoïdes.

Le dernier bluff de la Sainte Alliance progressiste c’est la manipulation des pleurs et des peurs. L’ultime joker, la ligne Maginot, qui abrite plus qu’elle ne hante le camp du bien, c’est le spectre de l’extrême-droite. Un seul Maistre vous manque, et tout est dépeuplé. « Le vrai se donne le faux pour ancêtre, pour cause, pour auteur, pour origine et pour fin, sans exception ni remède, – et le vrai engendre ce faux dont il exige d’être soi-même engendré. […] Que serions-nous donc sans le secours de ce qui n’existe pas ? » (Valéry).

L’oubli des enjeux anthropologiques

Oublieux de l’être, possédé par la technique et la volonté de puissance, l’Occident a refoulé les énigmes, les questions scabreuses méditées par Pierre Legendre, Gérard Guest et quelques autres : la reféodalisation du monde, la guerre des Textes, les transgressions généalogiques, le sujet possédé par l’institution, le grand Tiers inaugural rapportable à un texte idéal « qui nous parle » et « institue la vie », ce qui fait tenir une société debout.

Dans la seringue de l’IA, le bateau ivre de la « calculabilité intégrale », les juristes, économistes, scientifiques, politiques sont pris de vertige. Ils se raccrochent aux branches des saules pleureurs, directives européennes, miroirs aux alouettes à ailes rousses, usines à gaz hilarant : les audits de durabilité, la RSE, la vigilance des devoirs, l’huile de palme responsable, la moraline inclusive de l’éthique de la discussion.

« Il faut du théâtre, des rites des cérémonies d’écriture pour faire exister un État, lui donner forme, en faire une fiction animée (…) On n’a jamais vu, on ne verra jamais, une société vivre et se gouverner sans scénario fondateur, sans narrations totémiques, sans musiques, sans chorégraphies… sans préceptes et sans interdits » (Pierre Legendre).

L’assiette du voisin

0
Laurent Saint-Martin invité du journal de 13 heures de TF1, 12 octobre 2024. Image: Capture YouTube.

« Rétropédalage » et « exemplarité ». Après avoir suscité un tollé, la hausse du budget de l’Élysée et des Assemblées, prévue par le projet de loi de finances, est annulée. C’est que l’augmentation des dotations initialement prévue était un « symbole » qui ne passait pas auprès des citoyens, explique-t-on.


C’est un des rares sujets qui fasse la quasi-unanimité des Français. Et j’assume de ne pas partager l’indignation de mes concitoyens. Le projet de Michel Barnier prévoyait une hausse de la dotation des Assemblées de 1,7% et de l’Élysée de 2,5 %. Bien sûr, c’est cette dernière qui a fait le plus scandale, tout le weekend dernier, prétendument parce qu’elle était supérieure à l’inflation. En réalité, parce que haïr Macron est un sport pratiqué par tout le monde, et que cela fait de vous un résistant (sans prendre le moindre risque).

« Pas audible »

Sur TF1, le 12 octobre, le ministre du Budget Laurent Saint-Martin renvoie la balle aux parlementaires, tout en essayant vaguement et prudemment de défendre la mesure : les Français ont besoin d’institutions fortes. Un argument balayé par la journaliste, saluée depuis en héroïne pour cela: Vous ne pouvez pas dire aux Français qu’ils doivent faire des efforts quand l’Élysée, l’Assemblée et le Sénat sont épargnés, ce n’est « pas audible ». Sur les réseaux sociaux, on assiste à un festival de criailleries un peu dégoutantes. C’est nous les victimes du méchant pouvoir qui s’en met plein les poches.

Le ressentiment, affect dominant de la société française ?

Mais il y a le symbole, assure-t-on… Symbole de quoi, sinon du ressentiment général ? Nous parlons d’une hausse de 3 millions d’euros pour l’Élysée, de 11 millions pour l’Assemblée nationale, et de 6 millions pour le Sénat. Soit 20 millions au total, alors que nous recherchons à faire 60 milliards d’économies ! Je m’épargne la règle de trois – il y aurait trop de zéros… – mais c’est donc assurément négligeable. Supprimer cette augmentation n’améliorera pas le sort d’un seul Français. Et on ne devrait pas regarder à la dépense pour recevoir des chefs d’État étrangers, ou pour les déplacements du président de la République. On est la France.

À lire aussi, un autre son de cloche: L’irresponsabilité en politique mériterait la sanction judiciaire

Dégoutants homards

Cette petite affaire est symptomatique des passions tristes qui empoisonnent la vie politique française depuis la Révolution. L’envie, la jalousie et la haine impuissante. Les salauds de puissants… C’est ce que j’appelle la théorie de l’assiette du voisin : l’important, ce n’est pas tant ce que j’ai, mais c’est que l’autre n’ait pas plus. Rappelez-vous du scandale des homards de François de Rugy, contraint de quitter son poste de président de l’Assemblée nationale en 2019 après la publication de photos d’un dîner par Mediapart.

Ces passions tristes accompagnent un autre mal français : l’irresponsabilité. C’est toujours la faute des autres. Selon Thierry Breton, invité de plusieurs médias cette semaine (après avoir démissionné de son poste de Commissaire européen), notre endettement s’explique largement par notre état social trop généreux, les 35 heures, etc. Mais, il ajoute que dès qu’on essaie de revenir sur une dépense en France, politiques et médias ne manquent pas de hurler immédiatement à la chasse aux pauvres (on se souvient par exemple de l’augmentation des APL de quelques euros) et tout le monde pense qu’on est revenu dans l’Angleterre du XIXe siècle… Si nous en sommes là, ce n’est pas seulement à cause d’Emmanuel Macron et des autres mais à cause de nous tous, qui nous comportons comme des créanciers à qui la collectivité doit toujours quelque chose et qui refusons obstinément de travailler une heure de plus. Quant à nos gouvernants soi-disant privilégiés, beaucoup, Macron en tête, gagneraient évidemment bien plus dans le privé et ne se feraient pas insulter toute la journée. Un jour, seuls des ignares et des imbéciles accepteront de faire de la politique.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Jean-Jacques Bourdin, dans la matinale

Un crime impuni: la maltraitance langagière

0
Deux oiseaux donnent l'impression de se disputer. DR.

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Albert Camus nous a avertis. Désinvolte ou volontaire, la distorsion lexicale ajoute surtout à la violence de ce monde. Son origine ? Gérard Rabinovitch la dévoile dans son Philosophie clinique – Au chevet de l’animal parlant.


On sait avec quel aplomb au lendemain du pogrom du 7-Octobre une mélenchoniste, réélue au premier tour dans l’une de ces circonscriptions gentrifiées où s’ébat le bobo-land parisien, s’est autorisée à qualifier le Hamas de « mouvement de résistance ». À titre de justification. Au mépris du classement d’après les Nations-Unies parmi les organisations terroristes, du type Daech et Al-Qaida.

Antinomie

Cette permutation, saluer l’abattage terroriste comme s’il s’agissait d’un exploit de résistance, un homme avait eu toute raison de la redouter.

En effet, dès 2014, Gérard Rabinovitch dénonçait cet abus de langage. Dans Terrorisme/Résistance – D’une confusion lexicale à l’époque des sociétés de masse (Ed. Le Bord de l’Eau), le sociologue et philosophe rappelait à quel point terrorisme et résistance sont antinomiques. Ça ne peut être le recours aux armes qui les rapproche, d’autant que le résistant se fait violence d’entrer dans cette voie quand le terroriste se promet d’en jouir. Les amalgamer ruine le droit de résistance et par contrecoup, odieuse supercherie, sanctifie la violence terroriste.

« Le terrorisme distribue la mort, souligne Gérard Rabinovitch, et donne sa mort pour la mort. Alors que la résistance et son héroïsme font don de sa mort probable, et porte la mort sur l’ennemi, pour la vie. » La résistance est une guerre ciblée. Le terrorisme est une guerre totale, « de quelque drapeau qu’il se revendique, serait-ce celui des humiliés, ce nouveau lexème flou qui a remplacé aujourd’hui celui de prolétaires. » En s’adressant jour après jour à leurs compatriotes comme à autant d’humiliés, les nazis les ont enrôlés ou neutralisés contre la promesse de les venger de la défaite et du traité de Versailles. Les peuples n’ayant rien appris de l’Histoire, il se trouvera toujours quelque insoumis (côté rue) aspirant à la domination (côté cour) pour espérer se faire porter au pouvoir par les dominés de son choix, ceux-là même qu’il a enflammés.

Car les mots sont inflammables. L’abus de langage était en gestation ; dix ans après, nous y sommes ! C’est dans ce contexte que Gérard Rabinovitch publie aujourd’hui Philosophie clinique – Au chevet de l’animal parlant (éd. Hermann). En cent pages, il pointe dans quelle impasse nous enferme la conception moderne de l’homme, en dénonce le soubassement avant d’en désigner l’issue.

Le propre de l’homme

Attendu qu’on a fait son deuil d’une illusion : non, le progrès de l’humain dans l’homme et celui des sciences ne sont pas symétriques. D’un côté, le stop and go, au mieux la droiture, au pire la régression. De l’autre, savoir et techniques, des progrès aux effets heureux ou désarmants et des pauses. D’où le devoir de vigilance exigeant de discerner l’impensé qui, par réflexe et mimétisme, gouverne l’opinion commune.

À l’opposé d’un Pierre Bourdieu se flattant d’examiner la nature sociale de la langue, contre Saussure qui disait l’envisager « en elle-même et pour elle-même », c’est en anthropologue et historien sensible aux limites du sociologisme que Rabinovitch la considère. En convoquant les grands maîtres de l’Antiquité, d’Athènes et de Jérusalem, et leur définition concordante de l’homme : « animal parlant » chez Aristote et « vivant parlant » pour la tradition judaïque, le premier monothéisme.

Le langage est le propre de l’homme. Il n’aurait pas valeur souveraine s’il n’était qu’un instrument de communication, une gamme de signaux comme en font usage les animaux. L’homme pense, sent et s’exprime dans et par le langage. La parole interpelle, crée, infuse et transforme. La bouche est le foyer de la parole et celui de la manducation de la nourriture. Parole de salut à mémoriser et à transmettre. Ezéchiel 2,7 – 3,4 : « Tu leur porteras mes paroles, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas… Et toi, fils d’homme, écoute ce que je vais te dire… Ouvre la bouche et mange ce que je vais te donner. »

Il s’est trouvé un esprit moderne pour relayer et actualiser la sagesse des Anciens : Freud, avec la révélation de l’Inconscient, l’interaction de l’intime pulsionnel et de l’extérieur culturel, la dualité des pulsions de vie et de destruction, du sexuel et, pour le traitement psychique, la valeur des mots qui, au quotidien, « ne sont rien d’autre, dit-il, que de la magie qui a perdu de son éclat ».

Entretemps, quelque chose s’était perdu. Depuis qu’à partir du XIIIe siècle, une autre conception de l’homme a pris cours : non plus en tant qu’« être parlant », mais à la suite de St-Thomas d’Aquin – sur ce point lecteur borgne d’Aristote – en tant qu’« animal social ». Évacuées, l’essence spirituelle et politique, la valeur du secret. Verrouillée, l’assignation sociale. Voici l’homme animalisé. Le coût de cette substitution ? « La déliaison du politique et de l’éthique, tranche Rabinovitch à la suite de Hannah Arendt. Tant qu’il était enchaîné au langage, le politique restait condition de possibilité des montages et partages éthiques. »

Et c’est sur cette même pente, celle de la réduction à l’assignation sociale et de l’instrumentalisation du langage que s’engagera la fanatisation des masses. Klemperer, l’auteur de LTI, la langue du IIIe Reich, décrit magistralement la portée d’éléments de langage toxiques inlassablement ressassés : « Le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires et qui furent adoptés de façon mécanique. » En quête de métaphores, de néologismes, d’euphémismes, de litotes ou de périphrases, pareille propagande exige une inventivité sans limite. Au point, note l’historien des sciences Robert Proctor, que « les nazis finirent par avoir autant de mots pour désigner le meurtre que les esquimaux en ont pour évoquer la neige. »

Hier la fanatisation, aujourd’hui la domestication, l’infantilisation. Par le jeu des simplifications clivantes entre « pro » et « anti » et des habillages indolores. Par exemple, non pas le droit à l’euthanasie, mais le secours de « l’aide active à mourir ».

La philosophie clinique, avertit Rabinovitch, ne cherche pas à « guérir » le monde. Au chevet de l’homme désorienté, c’est d’abord à réparer et à paver la voie du bien dire qu’elle peut concourir. En accord avec les finalités que Leo Strauss fixait à la philosophie politique : orienter vers une vie bonne, un bon agir en commun, une société bonne. Sans jamais prétendre épuiser la question du langage. À l’exemple de l’anthropologue Marcel Jousse (1886-1961), élève de Marcel Mauss, l’auteur de La manducation de la parole :

 « Celui qui sait parler, sent qu’il y a en lui quelque chose qui n’est pas lui et qui fait onduler la phrase selon le besoin, ou qui la rend abrupte, cassée, quand il est nécessaire de la casser, de la broyer, pour l’adapter. Vous croyez que l’être qui sait parler n’est pas en effroi de lui-même, parfois ? Qui donc fait les phrases de quelqu’un qui sait parler ? C’est cela qui est un mystère et ce sera toujours un mystère pour les hommes qui pensent. »

Philosophie clinique: Au chevet de l animal parlant

Price: 15,00 €

6 used & new available from 15,00 €

Sinwar, la plume et le keffieh

0
Yahya Sinwar © AP Photo/John Minchillo

Le leader du Hamas, «cerveau» des attaques islamistes du 7-Octobre en Israël, a été tué à Gaza. L’AFP affirme que l’armée israélienne procède à «des analyses ADN sur le corps d’un combattant» pour confirmer la mort du chef politique palestinien. Il y a peu, on pouvait encore acheter son autobiographie sur le site de la Fnac!


Il y a peu, on pouvait encore acheter L’Épine et l’Œillet, un livre vanté pour ses qualités « touchantes ». Son auteur : Yahya Sinwar, le chef du Hamas. Cette autobiographie, sorte de Mein Kampf islamiste publiée en 2004, a été traduite en français en avril 2024, six mois après les atrocités qu’il a commanditées.

En menant des recherches bibliographiques sur le Hamas, je suis tombée sur une notice affichée par la FNAC qui promeut un roman « profondément touchant » offrant « un aperçu unique sur une histoire de résilience et l’esprit de résistance ». La FNAC incite les lecteurs à « plonger dans les profondeurs de la psyché de l’auteur à travers ses années d’emprisonnement, révélant un esprit inébranlable malgré les limites de sa cellule ». Cette œuvre littéraire est marquée par « la passion et la détermination de l’homme qui continue d’influencer le paysage politique ». Cet homme n’est autre que Yahya Sinwar, le chef du Hamas et le responsable des atrocités de 7 octobre.

Le boucher de Khan Younès 

Or, si ce livre est écrit en 2004 quand l’auteur purgeait une peine de prison, l’édition française paraît en avril 2024 en version ebook sous le titre L’Épine et l’Œillet, traduit de l’anglais « The Thorn and the Carnation » (la traduction anglaise est celle de la version arabe Al-Shawk wa’l Qurunful), c’est-à-dire six mois après l’attaque de 7 octobre.

Avant son emprisonnement, Sinwar était responsable du service de sécurité interne du Hamas, « Al-Majd ». Connu sous le nom de « Boucher de Khan Younès », il était responsable des opérations punitives contre les Palestiniens qui collaboraient avec Israël. Accusé d’avoir organisé l’enlèvement, la torture et l’assassinat de deux soldats israéliens et de quatre Palestiniens soupçonnés de collaboration avec Israël, Sinwar a été condamné à quatre peines de perpétuité. Il sort en 2011, avec d’autres prisonniers échangés contre le soldat Gilad Shalit, capturé par le Hamas.

En 2018, dans une interview accordée à la journaliste de la Reppublica, Francesca Borri[1], Sinwar explique que pour lui le seul moyen d’exister dans les médias est le sang : « No blood, no news. » Affirmation vérifiée le 7 octobre.

Le narrateur de Sinwar met en scène un militant du Hamas et du programme de destruction d’Israël qu’on lui connaît. Grâce aux exégèses du site propalestinien Chronique de Palestine, on apprend que pour Sinwar « le lien exceptionnel entre la religion et le nationalisme » s’exprime à travers « l’obligation du djihad, ou guerre sainte, qui imprègne la cause nationale de sainteté et l’enracine dans l’individu[2] ». Autrement dit, cette biographie romancée n’est qu’un appel au djihad, à la guerre sainte contre les juifs et ceux qui les soutiennent.

A lire aussi, Jean-Michel Blanquer: Penser le 7-Octobre en exorciste

On s’interroge sur la parution en français de cet appel au meurtre romancé en 2024, quelques mois après le massacre du 7 octobre, alors qu’il a été écrit en 2004. Pourquoi maintenant, alors que des otages israéliens sont tués et torturés à Gaza par les assassins du Hamas, alors que des millions d’islamistes et d’antisémites se réjouissent du déluge de sang qu’il a provoqué ?

Pourquoi les grandes enseignes françaises s’attendrissent-elles devant les écrits de l’homme responsable de la mort de tant de juifs, de tant de viols, de tant de massacres, commis selon les prescriptions précises et détaillées pensées par Sinwar ? Identification morbide ? Énorme clientèle qui n’attendait que le nouveau Mein Kampf islamique ? Présence des Frères musulmans au sein de ces enseignes ? J’émets cette hypothèse pour la raison suivante. La traduction anglaise, que j’ai consultée, commence par une dédicace : « Je dédie ce livre à tous ceux dont les cœurs battent pour la terre de Isra et Mir’aj, de l’océan jusqu’au golfe, vraiment, de l’océan jusqu’à l’océan[3]. » Isra et Mir’aj est le voyage nocturne, suivi de l’ascension du prophète Muhammad. Selon la légende, ces événements ont eu lieu sur le mont du Temple où le calife Abd al-Malik construit le dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa sur les ruines du Temple juif.

Sulfureux entre guillemets

Force est de constater que par suite des réactions sur les réseaux sociaux, le livre a été retiré des enseignes françaises qui vantaient ses qualités profondément « touchantes » : la FNAC et Decitre. Pour marquer le coup, le site Actualitté[4] a décidé de publier un article qui s’inspire en partie des contributeurs de Chronique de Palestinecitée ci-dessus. « Mais qu’y a-t-il dans l’ouvrage du très sulfureux [sic] Yahya Sinwar ? D’abord, il s’agit d’une autobiographie. Le chef du Hamas à Gaza y décrit son engagement dans la construction d’une infrastructure de résistance à Gaza. Publié initialement en 2004 et écrit en prison, il présente les réflexions et expériences tirées d’une vie marquée par la résistance armée. Il explore en outre les défis de la résistance face à l’occupation israélienne et la dynamique entre les différentes factions palestiniennes. Le livre offre notamment un aperçu des tensions internes et des aspirations palestiniennes. Il s’y décrit comme un homme de foi, dédié à la cause palestinienne, et qui évite tous les sentiments antisémites, se concentrant sur la lutte contre l’occupation. À chacun de juger si on doit le croire ou non, en fonction de ses actes… »

Sinwar qualifié de « sulfureux » entre guillemets quand, en revanche, le syntagme « résistance » est utilisé sans guillemets : pour l’auteur de l’article, il semble que l’organisation d’assassinats de juifs et de Palestiniens collaborant avec Israël relève de la résistance. Cependant, bon prince, il laisse pudiquement et démocratiquement le choix aux lecteurs : « à chacun de juger » si oui ou non Sinwar est antisémite. On s’émeut de tant d’impartialité.


[1] « It’s time for a change, end the siege », ynetnews.com, 10 mai 2018.

[2] « La philosophie de la résistance, par Yahya Sinwar », chroniquepalestine.com, 11 juillet 2024.

[3] “I dedicate this to those whose hearts cling to the land of Isra and Mir’aj, from the Ocean to the Gulf, indeed, from ocean to ocean.”

[4] « La Fnac vend l’autobiographie du chef du Hamas, avant de la retirer », actualitte.com, 21 août 2024.

Elon Musk, le frappadingue de génie

0
Elon Musk à Boca Chica, Texas, 29 mai 2023 © SpaceX/UPI/Shutterstock/SIPA

Tout semble réussir au patron futuriste de Tesla, Space X et Twitter! La nouvelle capacité à réutiliser des fusées super-lourdes, dont a fait preuve Starship le 13 octobre, a éberlué le monde entier. Au grand désespoir des contempteurs de Musk, le fan de science-fiction étant aussi un soutien inconditionnel de Donald Trump…


On pouvait croire être entré par effraction dans le rêve fou d’un enfant qui ne le serait pas moins. Ou embarqué dans la séquence hallucinée d’un jeu vidéo avant-gardiste. Un corps de fusée de soixante-dix mètres de haut s’en revenant de l’espace tout feu tout flamme, passant d’une vitesse de quelque six-mille kilomètres / heures au pas d’un piéton, corrigeant l’angle d’approche pour venir, telle une amoureuse transie, se lover dans les bras articulés du bon géant qui, patiemment, n’attend qu’elle sur le plancher des vaches. Tout cela réalisé à la seconde près.

L’enfant à l’imagination allumée en rêvait sans doute en feuilletant ses illustrés de science-fiction. Elon Musk, lui, l’a fait.

Sous nos yeux, nous assistions donc ce dimanche 13 octobre à une phase authentiquement historique de l’épopée spatiale. Un pas de géant qui a laissé sur place ses concurrents les plus en pointe, la Chine, la Russie. Mais aussi l’Europe qui, avec Ariane et ses récentes déconvenues, semble avoir quelque peu perdu de fil de cette odyssée quasi prométhéenne. En avril, pour la mise en orbite de Galileo, le système satellitaire censé garantir la souveraineté européenne des applications GPS, Ariane 6 étant portée pâle, il fallut se résigner à aller toquer à la porte de Musk et embarquer le bazar à bord de son engin. Souveraineté un brin écornée de ce fait, on en conviendra.

A lire aussi: Elon Musk: Mais pourquoi est-il si méchant?

Avec Starship, Musk invente donc la fusée qui devrait réjouir jusqu’aux écolos les plus sourcilleux, la fusée durable et solidaire. Durable puisque réutilisable, et solidaire, comme nous venons de le voir. En outre, elle présente l’atout remarquable entre tous d’être la plus puissante jamais construite. Tant qu’à faire, on fait, telle est la règle chez les Musk et frappadingues de cet acabit.

De toute évidence, il faut bien l’être quelque peu, frappadingue, pour oser se lancer dans de telles aventures, d’y consacrer sa vie entière. Des aventures à peine envisageables pour un État qui ne serait pas une superpuissance, et combien moins encore pour un simple individu. Nous sommes là dans le domaine réservé des têtes folles, celles dont l’impossible est le terrain de jeu privilégié et pour qui le déraisonnable est la raison ordinaire. La vieille Europe, la France à bout de souffle en manqueraient-elles ?

Musk lui-même revendique sa différence, ne faisant pas mystère d’être porteur du syndrome d’Asperger. « Je sais bien que je dis ou je poste des choses étranges, mais c’est la façon dont travaille mon cerveau », confesse-t-il. Non sans une certaine complaisance, une certaine ostentation, car l’homme aime le paraître, la mise en scène chic et choc. Il a cela en commun avec un autre frappadingue de génie, Nikola Tesla, sous le parrainage de qui il a placé sa marque d’automobiles, lui donnant son nom. Ce découvreur, ce visionnaire lui aussi des plus prolifiques en son temps – plus de trois cents brevets à son actif – donnait volontiers dans l’exubérance, voire la provoc’. Cela agaçait beaucoup. Tout comme Musk agace. Il exaspère d’autant plus que, figurez-vous, dans la présente campagne des élections présidentielles américaines il pousse le bouchon de l’inconvenance jusqu’à soutenir la mauvaise personne, le contempteur du système ronronnant, Donald Trump soi-même ! Un personnage qu’il n’est guère exagéré de ranger lui aussi dans la catégorie frappadingue. À un tout autre niveau, cependant.

A lire aussi: Qui a cramé la caisse?

Mme Kamala Harris se glorifie d’avoir à ses côtés la star Taylor Swift et le past president Barack Obama. L’un et l’autre n’ayant à ce jour jamais réussi – pour autant que je sache – à faire entrer le dentifrice dans le tube une fois qu’il en est sorti – la prouesse de Starship est bel et bien de cet ordre-là ! – Madame Harris, indéfectible sourire dents blanches 24H/24, doit trouver ces soutiens bien ternes ces derniers jours. Plus sérieusement, j’ignore si l’exploit de Musk peut bénéficier à son poulain Trump. Néanmoins, je sais pertinemment que des voix – y compris chez nous, suivez mon regard – n’auraient pas manqué, en cas d’échec de les associer l’un et l’autre dans un procès en incompétence et imposture. Cette contre-fusée incendiaire-là n’aura donc même pas eu à quitter son pas de tir. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas…

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

1 used & new available from 14,77 €

Une révocation politique?

0
© JPDN/SIPA

Réflexion sur la lourde sentence du Conseil d’État qui s’est abattue sur le professeur Jean-Luc Coronel de Boissezon, à la suite de l’évacuation musclée d’étudiants gauchistes de la fac de Montpellier, en 2018.


Vendredi 27 septembre 2024, aux termes d’une décision très discutable, le Conseil d’État a révoqué définitivement de ses fonctions Monsieur Jean-Luc Coronel de Boissezon, professeur agrégé d’histoire du droit à l’université de Montpellier (CE, 27 septembre 2024, Université de Montpellier, req. n°488978).

Pour rappel, il est reproché à Monsieur Coronel de Boissezon d’avoir participé, dans la nuit du 22 au 23 mars 2018, à l’évacuation musclée d’un amphithéâtre de la faculté de droit, occupé par un « collectif » d’organisations d’extrême-gauche dans le cadre d’un mouvement d’opposition à la loi ORE.

Une peine sensiblement aggravée

Si l’on peut entendre que des poursuites judiciaires et disciplinaires aient été diligentées, on relèvera que la sanction de révocation – la plus grave – est l’aboutissement d’un acharnement certain à l’encontre du professeur, qui avait le défaut supplémentaire d’avoir un cœur penchant à droite.

Le déroulé de la procédure disciplinaire est significatif de cet acharnement. Après une première décision de révocation de la section disciplinaire de Sorbonne Université, le CNESER[1] – juridiction compétente à l’égard des enseignants-chercheurs – a sensiblement allégé la sanction en prononçant, le 23 mars 2022, une interdiction d’exercer toute fonction d’enseignement pour une durée de quatre ans avec privation de traitement. Le 30 décembre 2022, le Conseil d’État, saisi par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, juge la sanction prononcée par le CNESER trop clémente. Mais le 4 septembre 2023, sur renvoi du Conseil d’Etat, l’indocile CNESER a prononcé une sanction identique à celle du 23 mars 2022. Mauvais joueurs, le président de l’université de Montpellier et la ministre chargée de l’Enseignement supérieur se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’État, qui a révoqué définitivement Jean-Luc Coronel de Boissezon.

Cette dernière décision soulève un certain nombre questions.

Tout d’abord, celle des pouvoirs du juge de cassation. En matière de révocation, le juge a de longue date introduit un critère de proportionnalité : la révocation doit être en adéquation avec la gravité des faits reprochés au fonctionnaire, condition dont l’appréciation appartient aux juges du fond (CE, 21 juin 2000, Ville de Paris, req. n°179218). Ainsi, lorsque le juge de cassation intervient, il peut certes annuler la décision prise par la juridiction d’appel s’il la juge disproportionnée par rapport à la gravité des faits, mais toujours pour prononcer une sanction moins sévère. Or, en prononçant la révocation définitive de Monsieur Coronel de Boissezon, le Conseil d’État a substitué son appréciation à celle, en principe souveraine, du CNESER, pour aggraver sensiblement la peine.

Ensuite, comme cela avait été souligné par Anne-Marie Le Pourhiet et François-Xavier Lucas à propos de la précédente décision du 30 décembre 2022 (cf. Le Figaro, 17 janvier 2023) ; la motivation du Conseil d’État est bâclée, car elle occulte la question de la responsabilité personnelle du professeur, qui n’était ni armé ni cagoulé, en retenant une forme de responsabilité collective. Le Conseil d’État se contente en effet de retenir que Monsieur Coronel de Boissezon a « participé, à la tête d’un groupe comprenant des personnes extérieures à l’université, pour certaines cagoulées et munies de planches de bois et d’un pistolet à impulsion électrique, et en portant lui-même des coups, à l’expulsion violente des occupants d’un amphithéâtre de l’UFR de droit et science politique de l’université de Montpellier ». Or, cette notion de « responsabilité collective » qui sous-tend le raisonnement, est en décalage avec la propre jurisprudence du Conseil d’État en matière de révocation. Il s’attache en effet habituellement à identifier de manière très circonstanciée la responsabilité personnelle de l’auteur des faits. Il en va ainsi, par exemple, d’un agent public ayant agressé sexuellement une mineure handicapée (CAA Douai, 6 octobre 2011, req. n°10DA01437) ; ou d’un médecin ayant porté des mentions mensongères, en termes de vaccination, sur le carnet de santé d’un enfant (CE, 22 décembre 2017, M.X, req. n°406360).

Phalange factieuse 

Enfin, le point le plus confondant vient des conclusions du rapporteur public. Pour justifier la révocation, il est indiqué que le professeur a « pris la tête d’une phalange factieuse » (cf. conclusions de Monsieur Jean-François de Montgolfier, p. 9). On reste interdit devant l’usage de ces termes, qui n’ont pas été choisis au hasard et qui travestissent la réalité. Si l’on se réfère à une définition simple donnée par le Trésor de la langue française, l’adjectif « factieux » s’entend d’un groupe « qui exerce ou tente d’exercer contre un gouvernement légalement établi une action violente visant à provoquer des troubles » (passons sur le terme « phalange », si ridiculement outrancier qu’il ne mérite pas que l’on s’y attarde).

Or, comme cela a été souligné par le rapport de l’IGAENR[2], l’occupation de l’amphithéâtre « par des étudiants » et « quelques personnes extérieures, qui n’ont pas le statut d’usager […] est illégale » (Rapport IGAENR n° 2018-036, mai 2018, page 9). Cette occupation illégale a en outre été émaillée de déprédations, violences, injures et brutalités. Quelques exemples, non exhaustifs :

  • « Un enseignant reçoit un coup de poing au visage, sa montre est arrachée. Un syndicaliste, postier, secrétaire départemental de l’union syndicale Solidaires a ses lunettes de vue cassées » (Rapport IGAENR, p. 8) ;
  • « Vers 23 heures, des étudiantes accrochent des tampons et des serviettes hygiéniques souillées à la barrière qui ferme l’accès au sous-sol où se trouvent les toilettes, elles en brandissent sous le nez du doyen. Une jeune fille met une serviette hygiénique dans la poche de son veston. Un tampon est jeté à la tête d’un agent de sécurité, un autre à celle du doyen. » (Rapport IGAENR, p. 8) ;
  • « Une personne présente une bouteille d’urine à la responsable administrative qui préfère la prendre de peur qu’elle ne la lui jette. La vice-doyenne et une enseignante sont également présentes et assistent à cette scène. » (Rapport IGAENR, p. 8).

Ainsi, pour le rapporteur public, il n’y a pas de factieux du côté de ceux qui occupent un amphithéâtre sans droit ni titre, qui insultent, méprisent, violentent et dégradent ; mais exclusivement du côté de ceux qui ont cherché à redonner à un amphithéâtre sa vocation naturelle. D’ailleurs, les premiers n’ont fait l’objet d’aucune poursuite pénale, civile ou disciplinaire. On comprend que si Monsieur de Boissezon avait apporté son concours à l’occupation illégale, aux insultes et déprédations, il n’aurait pas été inquiété.

Il est donc difficile de voir autre chose, dans cette décision de révocation obtenue au forceps, qu’une volonté de juger Jean-Luc Coronel de Boissezon au pied du mur de l’exemple. Il n’est pas non plus certain que cette décision, adoptée sur pourvoi de la ministre de l’Enseignement supérieur et de l’université de Montpellier, eux-mêmes soumis à la pression de certains syndicats étudiants, soit de nature à tempérer le sentiment de partialité idéologique des juridictions françaises.

Penser la démocratie sociale

Price: 36,00 €

6 used & new available from 36,00 €


[1] Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche

[2] Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche

7-Octobre – Manifeste contre l’effacement d’un crime

0
Sarah Fainberg. DR.

Un an après le 7 octobre 2023, un hommage a été rendu à la synagogue Copernic aux morts, aux blessés et aux otages du Hamas.

Y sont intervenus, entre autres, un Georges Bensoussan étincelant, un Manuel Valls bouleversant de sincérité et de fraternité, un Mohamed Sifaoui désespérant de lucidité.

Mais avant eux, discret, timide, l’éditeur David Reinharc avait présenté l’ouvrage initié par Guy Bensoussan, sur lequel il a travaillé, avec Sarah Fainberg (notre photo) pendant onze mois et qu’il publie en partenariat avec les Éditions Descartes : 7-Octobre – Manifeste contre l’effacement d’un crime.

Un best-seller dont chaque exemplaire est unique

Il s’agit d’une encyclopédie en 285 pages, dont tous les exemplaires sont uniques, car chacun porte, sur la couverture, le nom d’une des victimes du pogrom et sur le rabat, sa biographie : un livre, un nom. Mille cent soixante noms. 1160 êtres humains dans leur unicité.

Qu’est-ce qui a motivé les concepteurs de cette œuvre ? 

« C’est un livre en deux mouvements », explique Sarah Fainberg. Normale sup, Doctorat de Sciences-Po, directrice de recherches à l’université de Tel Aviv, spécialiste des questions de défense et de sécurité, auteur d’un livre sur l’antisémitisme soviétique post-stalinien[1], elle a pourtant été « sidérée par le décalage entre le pogrom que les Israéliens étaient en train de vivre et le masquage du crime sur les médias d’État français, dès les premières heures qui l’ont suivi. J’étais suffoquée par l’écart entre des enfants brûlés vifs et la phraséologie bienpensante qui a recouvert le réel, y compris au sein des centres du savoir. »

« Il fallait revenir sur la façon dont les Israéliens ont été suppliciés, avant d’être tués », enchaîne David Reinharc, qui rappelle que les terroristes, sur les vidéos qu’ils ont eux-mêmes mis en ligne, parlaient de « juifs », pas « d’Israéliens ». Et ce Juif non croyant d’ajouter que le sens premier du projet « Un livre, un nom » qu’il a initié est de « remettre au langage et au monde les sans-nom et sans-visage du 7-Octobre, qui furent exclus du symbolique tout court, et ainsi permettre de réciter le Kaddish, la prière des morts. » 

A ne pas manquer: Causeur #127: 7-Octobre, un jour sans fin

D’où les deux mouvements de ce livre kaléidoscope de voix plurielles, juives, non juives, croyants, athées, qui pensent ensemble cette question de l’effacement : d’une part, pour l’annuler en restaurant le crime masqué, voire excusé, et d’autre part, pour réfléchir, articuler et analyser ses raisons multiples en le prenant par tous les angles. C’est aussi une œuvre de création puisqu’elle redonne vie à chacune des victimes, « afin qu’ils ne soient pas réduits à leur mort et qu’on ne les oublie jamais. C’est un monument de papier ».

« Il s’agit pour la première fois d’un crime contre l’humanité contemporain de sa négation », affirment les deux promoteurs, « une négation aussi insidieuse que perverse, en ce qu’elle justifie subrepticement les massacres en les contextualisant. »

Best-of des 80 contributeurs

Rendons à César les politiques : la sincérité de Manuel Valls et de Gérard Larcher, le courage de Jean-Eric Schoettl, la constance de François Zimeray, l’opportunisme d’Anne Hidalgo ;

Le troisième pouvoir, celui des avocats, souvent du diable, mais pas toujours, puisque plusieurs signent, dont Nathanaël Majster et deux Klarsfeld, sans oublier ceux qui ont une double casquette ;

Des psychanalystes, juifs comme Daniel Sibony, Michel-Gad Wolkowicz et Judith Cohen-Solal (la différence entre un tailleur juif et un psychanalyste ? Une génération) et non juifs comme Sonya Zadig, qui explique le 7-Octobre par « un changement de paradigme : ce qu’on a pris pour un conflit territorial n’est qu’un conflit de civilisation, un choc entre des visions diamétralement opposées du monde » ;

Des citoyens courageux qui risquent leur vie : Hassen Chalghoumi (imam sur qui pèse une fatwa), Nora Bussigny (journaliste qui va vraiment sur le terrain), Patrick Desbois (prêtre dénonciateur de la Shoah par balles), Robert Redeker (professeur menacé de mort pour blasphème… en France), Boualem Sansal (traité de « dhimmi de l’Occident, le protégé des sionistes[2] », autant dire mort en sursis, pour avoir émis une opinion haram sur le conflit israélo-palestinien) ;

Et juste avant les raton-laveurs, enfin, des intellectuels sincères et lucides, plus nombreux qu’on imagine :

Georges Bensoussan, historien des faits, des chiffres, pas des fantasmes,

Abnousse Shalmani, Irano-française chevelue, laïque et écrivain[3],

Luc Ferry, philosophe, ancien ministre de l’Éducation nationale qui donne la meilleure définition du crime contre l’humanité, quelle qu’en soit la forme : il est commis « dans une logique exterminatrice… et il massacre des personnes pour ce qu’elles sont ou sont censées être et non pour ce qu’elles font ou sont censées avoir fait ».

Renée Fregosi qui, après n’avoir pas fait carrière au PS[4], a étudié les 50 nuances de la dictature[5],

Gilles-William Goldnadel, avocat dont la parole est d’or et l’esprit vif argent, qui résume « la détestation du Juif au fait qu’il n’est plus le « métèque » des années 1930. Il est jugé nationaliste et belliqueux. »

Martine Gozlan, journaliste, note que « l’État d’Israël est le seul au monde que l’on veut détruire pour le sauver. »

A lire aussi, Alain Finkielkraut: «On n’a pas le droit de s’installer dans la tragédie»

Yana Grinshpun, une Mohammed Ali juive dans un corps de Marylin Monroe brune,

Michel Houellebecq, qui se signale par son malin plaisir à Anéantir[6] les cons de tout poil avec sa plume,

Marc Knobel, spécialiste de la haine des juifs sous toutes ses formes, dont la Cyberhaine[7],

Éric Naulleau, qui a vu « de fort distinguées représentantes de la classe bobo descendre un instant de leur bicyclette pour arracher les photographies des otages du Hamas… »

Eric Marty, professeur émérite, militant non juif contre la délégitimation d’Israël[8],

Iannis Roder,[9] prof d’Histoire-Géo dans le 9-3, encore vivant,

Georges-Elia Sarfati, philosophe, linguiste, poète et psychanalyste français et juif, comme son nom l’indique[10],

Jean Szlamowicz, normalien, professeur des universités, linguiste, traducteur, qui traduit le 7-Octobre à la lumière d’un narratif : « le récit politique contemporain fait (des Juifs) les bourreaux nécessaires des Arabes de Palestine (pour contrer) l’évidence de l’agression arabe et du sadisme antijuif » ;

Pierre-André Taguieff, dont une citation vaut mille images : « Du pédantisme déconstructionniste est né ce monstre qu’est le “wokisme“»[11],

Jacques Tarnero, ex-soixante-huitard, publié abondamment par Le Monde jusqu’à son coming-out comme sioniste. « Les nazis n’ont pas cherché à immortaliser leurs exploits. Le Hamas, oui », dit-il.

Sylvain Tesson, écrivain voyageur qui porte haut l’étoile[12] (de David),

Shmuel Trigano, philosophe et sociologue, spécialiste de l’exclusion des Juifs du monde arabe[13], encore plus pessimiste qu’un ashkénaze, qui rappelle que « les amis d’Israël… lui ont imposé, après le massacre, de nourrir son ennemi, de lui fournir de l’essence pour aérer ses tunnels et lui permettre de résister plus longtemps, sous la menace d’une condamnation internationale, qui effacerait le scandale de sa déshumanisation sous la main du Hamas. »

Alexandre del Valle, Docteur en histoire contemporaine, lanceur d’alerte sur l’entrisme islamiste depuis plus de 20 ans…

Pour ne pas être complice du silence qui finira par nous tuer aussi, car « l’antisémitisme, c’est aussi la haine de la France et de ses valeurs » (Gérard Larcher), il faut lire 7 Octobre – Manifeste contre l’effacement d’un crime – David Reinharc éditeur. Et réagir.

285 pages.

7 octobre, manifeste contre l'effacement d'un crime

Price: 20,00 €

9 used & new available from 20,00 €


[1] www.amazon.fr/discrimin%C3%A9s-Lantis%C3%A9mitisme-sovi%C3%A9tique-apr%C3%A8s-Staline/dp/2213662843/

[2] www.lnr-dz.com/2023/12/11/le-pro-israelien-boualem-sansal-profere-de-graves-accusations-contre-lalgerie/

[3] www.amazon.fr/La%C3%AFcit%C3%A9-j%C3%A9cris-ton-Abnousse-Shalmani/dp/B0CTQ9VHRW/

[4] www.amazon.fr/Comment-nai-fait-carri%C3%A8re-social-d%C3%A9mocratie/dp/2940632723

[5] www.youtube.com/watch?v=RA0FwO3rdjU

[6] www.amazon.fr/An%C3%A9antir-Michel-Houellebecq/dp/2290404330/

[7] www.amazon.fr/Cyberhaine-propagande-antis%C3%A9mitisme-sur-Internet-ebook/dp/B09N7KRR23/

[8] www.amazon.fr/Bref-s%C3%A9jour-J%C3%A9rusalem-%C3%89ric-Marty/dp/2070768961/

[9] www.amazon.fr/Sortir-l%C3%A8re-victimaire-Iannis-Roder/dp/2738150756/

[10] « Sarfati » veut dire « français » en hébreu.

[11] www.lefigaro.fr/vox/culture/pierre-andre-taguieff-du-pedantisme-deconstructionniste-est-ne-ce-monstre-qu-est-le-wokisme-20220107

[12] www.jforum.fr/porter-haut-letoile-sylvain-tesson.html

[13] www.amazon.fr/LExclusion-juifs-arabes-contentieux-isra%C3%A9lo-arabe/dp/2848350113/ref

Check-point Olaf

0
Des policiers allemands contrôlent les véhicules en provenance de Pologne au poste-frontière de Görlitz, 16 septembre 2023 © Future Image/M Wehnert/Shutterstock/Sipa

Les annonces du chancelier allemand pour contrôler l’immigration rompent avec une décennie de politique d’accueil inconditionnel. Mais la plupart d’entre elles sont conformes au traité de Schengen. Nos voisins pourront, sans se contredire, rouvrir les vannes de travailleurs étrangers lorsque leur économie le jugera utile.


Touchée ces derniers mois par une série d’attaques terroristes commises par des ressortissants étrangers (dont la plus récente et meurtrière, un attentat au couteau perpétré par un Syrien ayant demandé l’asile dans le pays, a coûté la vie à trois personnes), l’Allemagne semble aujourd’hui chercher à reprendre en main sa politique migratoire – en apparente rupture avec la décennie écoulée.

Au cours des années 2010, notre voisin d’outre-Rhin a pratiqué une politique de l’asile largement ouverte, dont les justifications mêlaient considérations humanitaires et calculs économiques, l’accélération des flux étant perçue comme une opportunité d’apport en main-d’œuvre et une solution de mitigation du vieillissement démographique. Entre 2013 et 2023, on estime que près de 2,8 millions de primo-demandeurs d’asile ont été reçus en Allemagne, soit l’équivalent de la population cumulée des villes de Cologne et Hambourg (et un tiers du total des demandes dans l’UE). Le record annuel sur cette période a été atteint en 2016, avec 722 000 premières demandes d’asile en douze mois. Après un tassement observable durant les années qui ont suivi, cette dynamique semble aujourd’hui repartir fortement à la hausse, avec 329 120 premières demandes d’asile enregistrées en 2023 – ce qui représente une augmentation de 51 % par rapport à 2022.

Le chancelier social-démocrate Olaf Scholz multiplie les « annonces fortes » depuis plusieurs semaines, destinées explicitement à endiguer ce redémarrage rapide des flux d’asile : suppression des aides pour les demandeurs entrés dans un autre pays de l’UE avant l’Allemagne ; réexamen de l’asile accordé si les intéressés voyagent dans leur pays d’origine ; recherche de solutions pour reprendre les expulsions de criminels dangereux vers l’Afghanistan et la Syrie. Mais la plus commentée et la plus symbolique de ces décisions réside dans le rétablissement des contrôles à l’ensemble des frontières terrestres allemandes, depuis le 16 septembre et pour une durée de dix mois. Selon les mots de la ministre sociale-démocrate de l’Intérieur Nancy Faeser, l’objectif est « de limiter davantage l’immigration irrégulière et de nous protéger des dangers aigus du terrorisme islamiste et de la grande criminalité ».

Mais s’agit-il là d’une véritable révolution copernicienne accomplie par la nation du « Wir schaffen das » (« Nous y arriverons ! »), ou de simples effets de communication visant des citoyens allemands déboussolés – qui seraient tentés d’amplifier les succès électoraux de l’AfD ?

Tout d’abord, rappelons que la plupart de ces mesures ne sont pas aussi spectaculaires qu’elles y paraissent. Si l’expulsion de ressortissants afghans et syriens vers leur pays d’origine pourrait se heurter à certains obstacles du droit européen (ces pays étant en guerre), le rétablissement des contrôles aux « frontières intérieures » – entre États européens – est quant à lui parfaitement conforme au Code Schengen, en cas de menaces pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, et à condition d’être limité dans le temps. Pour preuve : au moins un quart des États membres de Schengen ont activé ce type de clause en 2023, à l’instar de la France depuis les attentats de 2015.

De manière plus large, la constance très relative des dirigeants allemands en matière migratoire invite à la prudence. En 2010, au cœur d’un débat politique enflammé par la parution de l’essai L’Allemagne disparaît de Thilo Sarrazin (haut fonctionnaire développant une approche radicalement critique de l’immigration reçue par le pays depuis les années 1970), la chancelière Angela Merkel avait prononcé l’oraison funèbre de la société multiculturelle allemande devant les jeunes de la CDU, en affirmant que la nation allemande n’avait « pas besoin d’une immigration qui pèse sur notre système social ». Quelques années plus tard, au cœur de la crise migratoire de 2015-2016, la même Angela Merkel ouvrait largement les frontières allemandes à près de 1,2 million de demandeurs d’asile en deux ans (venus notamment de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran et d’Érythrée).

En janvier dernier encore, le chancelier Scholz faisait adopter une loi visant à faciliter les naturalisations, en abaissant la durée du séjour préalable de huit à cinq ans et en autorisant désormais la double nationalité pour les ressortissants extra-européens (notamment au bénéfice des 1,5 million de ressortissants turcs). Le gouvernement du même Scholz a fait adopter la loi du 23 juin 2023, qui facilite l’immigration de travailleurs extra-européens en Allemagne – ignorant ainsi la corrélation nette entre la hausse des flux légaux et celle de l’immigration illégale, qui s’observe partout en Europe.

Tergiversations à poser un diagnostic, incohérences dans les politiques mises en œuvre, mise en balance de la volonté populaire et d’intérêts économiques de court-terme… Un même mal étrange semble frapper les responsables politiques des deux rives du Rhin. Il n’en demeure pas moins que plusieurs de nos voisins européens ont annoncé des mesures migratoires restrictives ces dernières semaines, quelles que soient les majorités politiques au pouvoir : après le Danemark, l’Italie, la Suède, les Pays-Bas, ou encore le Royaume-Uni, une véritable réaction en chaîne semble être à l’œuvre.

Dans ce contexte, la France court le risque d’être, en comparaison, toujours plus attractive pour les candidats à l’immigration, alors qu’elle subit déjà aujourd’hui d’importants « flux migratoires secondaires ». Dans un avis de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2018, le ministère de l’Intérieur avait souligné que près de la moitié des demandeurs d’asile qui se présentaient en France étaient déjà connus ailleurs en Europe et que près de 500 000 déboutés du droit d’asile circulaient de pays en pays dans l’espace Schengen.

En définitive, c’est un choix crucial que doit opérer le nouveau gouvernement français : répondre aux attentes de l’opinion publique et s’inscrire dans la dynamique européenne engagée sur ces sujets, ou se résigner à l’immobilisme et accroître ainsi la vulnérabilité migratoire de la France.

Qui a cramé la caisse?

0
16 octobre 2024 © SEBA/SIPA

Nous sommes tous responsables du dérapage des comptes publics, observe notre directrice de la rédaction


La commission des Finances de l’Assemblée nationale se transforme en commission d’enquête sur le dérapage des comptes publics.
Rappel de quelques chiffres, désormais connus de presque tout le monde: dans le précédent budget, le déficit du présent exercice était annoncé à 4,4% du PIB. Il a ensuite été relevé à 5,1% en cours d’exercice. Finalement, nous sommes à 6%. Résultat : une différence de 60 milliards d’euros à trouver en urgence.

Menteurs

Certes, il faudra effectivement savoir comment ce dérapage budgétaire a été possible. Mais en attendant, l’affaire est déjà devenue une nouvelle arme de notre guéguerre politique. On entend tous la petite musique qui monte: « ils ont menti, voire maquillé. Ils savaient et n’ont rien dit… » Ces trémolos sur la transparence et le mensonge sont rigolos. En dehors de ces questions, le mensonge est en temps normal l’huile dans les rouages de la vie sociale et publique. Chers lecteurs, essayez donc de dire tout ce que vous pensez pendant une journée ! Le mensonge est aussi parfois une stratégie politique. Par exemple, la gauche a raconté durant des semaines qu’elle avait gagné les élections législatives, ce qui est faux, et pourtant personne ne hurle qu’on doit la vérité aux électeurs. Donc il faut arrêter le délire. En l’occurrence, je ne crois pas que nos dirigeants aient menti volontairement, et encore moins falsifié : ils ont laissé filer et regardé ailleurs. Bruno Le Maire avait demandé un collectif budgétaire en cours de route; le président Macron a refusé parce qu’il a un peu pris cela par-dessus la jambe (l’intendance suivra…) et que les européennes arrivaient.

Le droit de savoir

Ensuite, nous avons connu deux mois de vacance du pouvoir. Personne ne se sentait responsable du sujet, et il n’y avait pas de Premier ministre à qui rendre compte. Bref, nos gouvernants sont peut-être incompétents – il ne faut pas l’exclure(!) – mais j’en ai assez d’entendre dire qu’ils sont malhonnêtes. Les Français ont bien le droit de savoir, dit-on. Encore faudrait-il qu’ils veuillent savoir. Tout le monde veut réduire la dette… à condition que ça tape sur les autres. Et on adore croire qu’en taxant les riches, tout changera. La commission d’enquête nous dira quels postes précisément (c’est la polémique du jour…) ont dérapé. Et c’est important de le savoir. Mais, elle devrait aussi s’intéresser aux gabegies structurelles. On ferait de sacrées économies en supprimant d’un décret tous les doublons, triplons et quadruplons d’officines inutiles. Le CESE par exemple ne sert à rien, mais pourtant il existe aussi des doublons à l’échelle des régions et parfois des intercommunalités ! La vérité, c’est que nous sommes tous responsables. De la distribution d’argent public contre rien, du clientélisme… Si les dépenses ont dérapé, ce n’est pas parce que Bruno Le Maire et les autres s’en sont mis plein les poches, mais parce qu’ils ont répondu à de multiples pressions, demandes et revendications. Elles sont souvent légitimes: moi aussi, je voudrais plus de profs, plus de médecins, plus de flics et plus de magistrats. Moi aussi, je ne veux que le bonheur des retraités, des étudiants ou des chômeurs.
Mais j’aimerais aussi qu’on sorte de ce rapport névrotique à l’État, considéré comme l’Oncle Picsou à qui il faut arracher son magot. Désolée: il n’y a pas d’Oncle Picsou. Et pas de solution indolore. Si nous voulons nous en sortir, il faudra travailler plus et moins attendre de la collectivité.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin