Musique classique: Erich Wolfgang Korngold et Richard Strauss réunis sur un CD. Un très beau diptyque concocté par la violoniste Liya Petrova
A l’instar de Mozart dont il hérite le prénom, Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) fut salué comme un prodige dès sa prime jeunesse par la société cultivée de Vienne. Elève surdoué d’Alexander von Zemlinsky (le beau-frère de Schönberg), génie précoce natif de Brünn, ville alors intégrée à l’empire Austro-Hongrois (l’actuelle Brno, en République tchèque), justement célébré en son temps par Mahler, le compositeur demeure essentiellement connu, de nos jours, pour son œuvre lyrique – hélas trop rarement donnée sur les grandes scènes européennes : Violanta (1914), Die tote Stadt (1920), d’après Bruge-la-Morte, de Rodenbach, sommet de la littérature symboliste, et enfin son opus magnum tragique, Das Wunter der Heliane [le Miracle d’Héliane] (1927)…
A Korngold, cornaqué de bonne heure, tout comme l’avait été Mozart, par un père autoritaire et quelque peu envahissant, s’ouvrait une carrière glorieuse sur le Vieux continent. Il n’avait qu’un défaut : être juif. En 1934, à l’instigation de l’immense metteur en scène et coreligionnaire Max Reinhardt (avec qui il avait déjà collaboré et qui, dès l’Anschluss proclamé, vient lui-même de fuir outre atlantique les persécutions nazies), Korngold s’exile avec femme et enfants aux Etats-Unis (il prendra la nationalité américaine en 1943), et entame une nouvelle carrière à Hollywood : aucun cinéphile n’ignore que Korngold y signe les bandes-son de films fameux, tels les deux Adventures of Robin Hood, celui, muet, de William Dieterle puis celui, parlant, de Michael Curtiz ; sans compter Capitaine Blood, L’Aigle des mers, Le Vaisseau fantôme, du même Curtiz, etc. Le Septième art doit à Korngold près d’une vingtaine de partitions ! Mais outre ballets, lieder, sonates pour piano, le compositeur incroyablement fécond a produit quantité de musique symphonique, de concertos, de musique de chambre, œuvres décidément trop méconnues, elles aussi.
Écrit entre 1937 et 1945 et dédié à Alma Mahler, la veuve de Gustav, le Concerto pour violon en ré majeur op. 35, en trois mouvements, reste pourtant assez célèbre. De fait, c’est un sommet de ce lyrisme opulent où se débondent les torrents d’arrière-saison du post-romantisme tardif, dans ce qu’il a de plus suave, diapré et flamboyant à la fois. Ce chef-d’œuvre est à redécouvrir, dans l’interprétation de toute beauté qui, gravée en CD sous le label Mirare, vient de paraître.
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Directrice artistique, en outre, de la Musikfest parisienne, salle Cortot, festival chambriste dont l’édition 2025 avait lieu début mars, la violoniste bulgare Liya Petrova avait eu l’idée d’une confrontation entre le concerto pour violon de William Walton (1902-1983) et la sonate pour violon de Respighi (1879-1936). Résultat, baptisé « Momentum 1 » et déjà sous les auspices de Mirare, un premier disque en tous points remarquable. « Momentum 2 », édition très attendue donc, promettait d’associer, au diamant de Korngold mentionné plus haut, la Sonate pour violon et piano op.18 de Richard Strauss, œuvre de jeunesse certes moins surprenante que le premier Concerto pour cor écrit à 19 ans, avant que ne s’affirme la patte inimitable du compositeur avec, entre autres, l’inoubliable Tod und Verklrung [Mort et transfiguration]…
L’articulation du morceau virtuose, infiniment raffiné d’un Korngold dans la maturité de son art, avec le jaillissement juvénile d’un Richard Strauss encore alors très nettement sous influence de Brahms ou de Mendelssohn n’a rien d’arbitraire, si l’on se souvient qu’après avoir été l’un de ses premiers soutiens, Strauss, nommé à la tête du Staatoper de Vienne en 1918 et devenu un ami très fidèle, y engagera Korngold comme chef d’orchestre en 1922. De fait, entre la moirure propre au futur créateur d’Elektra ou d’Ariane à Naxos et la luxuriance mélodique polytonale, dissonante et cuivrée du cadet, la parenté est saisissante. Reste que si Richard Strauss est, à raison, un compositeur définitivement adoubé par la postérité, on mesure mal aujourd’hui l’extrême fortune critique dont a joui la musique de Korngold en Europe, dans les débuts du XXème siècle…
L’onctueux nappage orchestral commun aux deux compositeurs est ici restitué par une prise de son exemplaire : sous la baguette du très jeune chef britannique Duncan Ward, le Royal Philharmonic Orchestra pare la texture si finement ouvragée de Korngold d’une rutilance et d’un phrasé éblouissants. Nettes, véhémentes, les attaques de Liya Petrova comme le vibrato si expressif de son archet se marie au jeu perlé, subtil et ardent du jeune pianiste Alexandre Kantorov, prince du clavier à qui, rappelons-le, on doit un enregistrement magistral des sonates de Brahms, et qui accompagne maintenant les effluves maniéristes du jeune Richard Strauss avec une clarté d’exécution sommitale.
A écouter : 1CD Momentum 2. Sonate pour violon et piano op.18, de Richard Strauss/ Concerto pour violon op.35, de Erich Wolfgang Korngold. Royal Philharmonic Orchestra. Direction : Duncan Ward. Violon : Liya Petrova. Piano : Alexandre Kantorow. Label Mirare.