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Elon Musk, Deus ex machina

Déjà engagé dans la conquête spatiale, le développement des voitures électriques et l’IA, Elon Musk relève un nouveau défi : recaser à la Maison Blanche son super-héros Donald Trump. Comme dans les affaires, le militant le plus riche du monde bouscule tous les codes.


Le 5 octobre, Donald Trump tient meeting à Butler, en Pennsylvanie, là où en juillet il avait été blessé dans une tentative d’assassinat. Soudainement, un homme habillé comme un geek typique, la casquette de base-ball vissée sur la tête, saute sur scène, fait quelques bonds disgracieux avec les bras en l’air en signe de victoire, et vient se positionner devant le micro que Trump lui cède. C’est Elon Musk, l’homme le plus riche de la planète, qui vient apporter son soutien total à la candidature de l’ancien président. Il lance à la foule les paroles de défi scandées par Trump en juillet : « Fight, fight, fight! » (« Luttez, luttez, luttez ! ») avant d’annoncer, alarmiste, que cette élection pourrait être la dernière : « Le président Trump doit gagner pour préserver la Constitution, pour préserver la démocratie en Amérique. » À la différence d’autres milliardaires, Musk ne s’est pas contenté de donner plus de 118 millions de dollars à Donald Trump, il a personnellement fait campagne pour lui en organisant ses propres meetings dans l’État pivot de Pennsylvanie. Il a même inventé une astuce originale pour influencer les électeurs, en lançant une pétition pour soutenir les deux premiers amendements de la Constitution – sur la liberté d’expression et le droit de porter des armes – qui, selon Musk, sont menacés par le Parti démocrate. Chaque jour jusqu’au vote du 5 novembre, une loterie a été organisée parmi les citoyens signataires résidant dans un État pivot, le gagnant empochant un chèque d’un million de dollars. Le département de la Justice a écrit à Musk pour l’avertir que ce procédé pourrait être contraire à la loi électorale, mais plus rien ne semble arrêter le milliardaire que ses critiques accusent de se croire au-dessus des lois.

Dark MAGA

À Butler, Musk, pointant sa casquette frappée du slogan « Make America Great Again », qui n’était pas rouge mais noire, a proclamé : « Je ne suis pas seulement MAGA, je suis Dark MAGA ». « Dark MAGA » est un mème partagé depuis 2022 par des internautes ultra-trumpistes souhaitant le retour au pouvoir d’un Donald plus fort que jamais. Certains commentateurs n’ont pas manqué de flairer des relents d’extrême droite dans son esthétique visuelle – tirée des films Terminator. Mais Musk ne craint pas de flirter avec le complotisme, et « Dark Maga » marque surtout la force de son engagement pour Trump. Il représente aussi le côté sombre de son personnage, le double énigmatique qui, même aux pays des utopies capitalistes, sort de tous les cadres conventionnels.

Tout, chez Musk, est surdimensionné. Cinq jours après son intervention à Butler, il présentait les dernières inventions de Tesla : un taxi autonome, sans conducteur, et un robot polyvalent destiné à servir dans la maison, presque un sosie du C-3PO de la Guerre des étoiles, qui – à en croire le milliardaire – pourrait être commercialisé fin 2025 à un prix d’environ 20 000 dollars. Trois jours après, Musk a bluffé le monde entier quand la nouvelle fusée de SpaceX, Starship, est redescendue sur son pas de tir pour être attrapée par deux bras mécaniques – une étape importante dans le développement de son projet martien. Bien que né en Afrique du Sud en 1971, cet homme-orchestre de la technologie et des affaires est devenu un héros américain que Trump compare à Thomas Edison. Il a commencé sa carrière d’homme d’affaires, comme tant d’autres, dans la Silicon Valley, mais il a rapidement dépassé ce milieu par la diversité et l’ambition de ses projets. S’établissant aux États-Unis en 1992 (il devient citoyen américain en 2002), il abandonne un doctorat en physique à Stanford pour cofonder avec son frère une société qui développe des logiciels de guide touristique. L’entreprise est rachetée en 1999, lui permettant de créer une banque en ligne, X.com, qui fusionne avec une autre pour créer PayPal. Quand cette dernière est rachetée en 2002, Musk investit ses gains dans la création de SpaceX dont le but ultime est de coloniser Mars. L’entreprise se met à fabriquer des fusées partiellement réutilisables – la série des Falcon –, qui aujourd’hui ont permis de diviser par dix les coûts de l’accès à l’espace. À partir de 2006, SpaceX décroche des contrats avec la NASA pour desservir la station spatiale internationale et préparer de futures missions lunaires. Accomplissant ce dont l’État est incapable, écrasant la concurrence, SpaceX commence en 2019 à développer le fameux Starship, un lanceur entièrement réutilisable, capable de porter huit fois plus de poids que les Falcon et destiné à révolutionner encore les voyages spatiaux. Musk compte envoyer cinq vaisseaux sans équipage sur Mars en 2026 et des humains quatre ans plus tard. Pour l’instant, la vraie profitabilité de SpaceX vient de Starlink, l’immense réseau de satellites que ses fusées ont mis en orbite pour fournir un accès internet à des endroits isolés.

SpaceX teste son lanceur Starship depuis le site de lancement de Boca Chica au Texas, 7 juin 2024. Une nouvelle étape a été franchie le 13 octobre avec la capture inédite du booster par les bras mécaniques de la tour. SpaceX/UPI Photo via Newscom/SIPA

Tesla concurrencée par la concurrence chinoise de BYD

Son autre entreprise phare, Tesla, a été créée en 2003 pour produire des voitures électriques. L’année suivante, Musk, qui prend au sérieux le changement climatique, y investit et en devient l’actionnaire principal, avant de prendre la tête de la société en 2008. En 2021, la capitalisation boursière de Tesla atteint 1 000 milliards de dollars. Lancé en 2020, le crossover Model Y est devenu le véhicule électrique le plus vendu dans le monde. Néanmoins, Tesla est concurrencée par la marque chinoise BYD. Pour faire face, elle parie sur sa capacité à produire des véhicules autonomes moins chers, comme son cybertaxi. Les investisseurs restent confiants : en octobre, les actions Tesla ont augmenté de 22 %. Mais les ambitions de Musk ne s’arrêtent pas là. En 2016, il crée la Boring Company pour creuser des tunnels destinés à de nouveaux moyens de transports collectifs. Bien qu’il décrive le développement d’une intelligence artificielle superpuissante comme « la plus grande menace existentielle pour l’humanité » en 2014, il investit dans l’IA. En 2015, il cofonde OpenAI qui commercialise aujourd’hui des programmes comme ChatGPT. Il quitte le conseil d’administration en 2018, mais crée sa propre société xAI en 2023 pour concurrencer OpenAI et Google. Entretemps, il a lancé Neuralink en 2016 dont l’objectif est de développer des interfaces entre le cerveau humain et des ordinateurs grâce à des implants cérébraux. Il s’agit dans un premier temps de combattre des maladies neurodégénératives comme celle d’Alzheimer, mais dans un deuxième d’augmenter les capacités mentales de l’homme. Pourquoi cet intérêt pour l’IA dont il dit redouter le développement ? D’abord, ses voitures – surtout les autonomes – et ses fusées dépendent de systèmes IA. Ensuite il y a la FOMO (fear of missing out) – la peur de rater un coche technologique et commercial. Il croit aussi que, grâce à Neuralink, un être humain augmenté sera capable de tenir tête à une super-IA. Musk n’est pas un transhumaniste, comme l’affirment la plupart des médias français : il ne partage pas cette croyance répandue dans la Silicon Valley que le destin de l’homme est de devenir immortel en téléchargeant son esprit dans une machine. Du cerveau à l’espace, cet entrepreneur en série sous stéroïdes incarne plutôt un retour à l’imaginaire futuriste des années 1960, fondé sur l’ingénierie lourde plutôt que l’informatique. Pour devenir enfin une réalité, cet imaginaire avait besoin de la révolution numérique, mais aujourd’hui cette réalité la transcende.

Pourquoi un tel futuriste a-t-il jeté son dévolu sur Trump qui n’est pas un grand technophile et émet des doutes sur l’utilité des véhicules électriques ? Dans le passé, Musk s’est montré plutôt centriste. Il dit avoir voté pour Hillary Clinton en 2016 et Biden en 2020. Ses relations avec Trump ont connu des hauts et des bas, et les deux hommes ont parfois eu des prises de bec acrimonieuses. Après l’élection de Trump, Musk a participé à deux organes conseillant le président, mais en a démissionné en 2017 quand ce dernier a quitté l’accord de Paris sur le climat. Ce n’est qu’après la tentative d’assassinat en juillet dernier qu’il s’est pleinement engagé pour Trump.

La grande mue de Musk commence à l’époque du Covid, quand les autorités démocrates en Californie lui ordonnent de fermer les usines Tesla. Cette ingérence de l’État dans ses affaires le révolte. Musk n’est pas antivax, mais dénonce les confinements. En 2022, il annonce laisser tomber les démocrates qui sont le parti « de la division et de la haine », et soutiennent trop les syndicats. Comme l’indique cette dernière référence, Musk a des raisons économiques d’être trumpiste. Il accuse les syndicats de brider l’efficacité de ses entreprises. Ces dernières dépendent en partie de l’État qui leur a accordé des milliards de contrats et octroyé des crédits d’impôt au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Pourtant, Musk rechigne contre tout ce qu’il considère comme une réglementation excessive. Actuellement, ses sociétés font l’objet de plus de vingt enquêtes de la part de régulateurs gouvernementaux. Si Tesla mise sur ses véhicules autonomes moins chers, leurs systèmes de contrôle risquent d’avoir du mal à obtenir l’agrément du régulateur pour des questions de sécurité routière. Il serait donc très utile pour Musk d’avoir un ami ultralibéral à la Maison-Blanche. Trump et lui ont même parlé de sa nomination possible à la tête d’une commission sur l’efficacité gouvernementale. Les deux hommes partagent le même enthousiasme pour les cryptomonnaies qui, en contournant les banques centrales, représentent l’outil antiétatique par excellence.

Musk a aussi des raisons personnelles d’être pro-Trump. En 2022, il rachète Twitter, sa sixième entreprise, qu’il fusionne avec une nouvelle société pour créer X. Il l’a payée 44 milliards et elle n’en vaut aujourd’hui que 19, à la grande joie de ses ennemis de gauche. Mais cette acquisition est plus une manœuvre politique qu’un investissement économique. En effet, Musk se déclare le champion de la liberté d’expression et accuse la plateforme dans son avatar précédent d’avoir censuré les opinions et les internautes de droite. Il condamne comme « une faute morale » la décision de bannir Trump de Twitter en 2021 et il lève l’interdit. Il livre à des journalistes les « Twitter Papers », une sélection de documents censés prouver les tropismes politiques de l’ancienne direction. Le réseau, qui compte 202 millions d’abonnés, sert aujourd’hui de mégaphone personnel à Musk qui l’a rebaptisé de sa marque fétiche, « X ». Pour prouver que sa liberté d’expression passe avant tout, il envoie balader tous ceux qui voudraient le faire chanter en lui refusant des contrats de publicité : « Allez vous faire foutre ! » Il utilise X pour interpeller directement des politiques. Il a croisé le fer avec Thierry Breton cet été, quand ce dernier était encore commissaire au Marché intérieur de l’UE, et plus récemment avec Véra Jourovà, une vice-présidente sortante. Elle l’a qualifié de « promoteur du mal » et il l’a accusée d’incarner « le mal banal, bureaucratique ». Il s’est attaqué cet été au Premier ministre britannique Keir Starmer et à l’ancien leader écossais Humza Yousaf, qu’il accuse de racisme anti-Blancs. Il dénonce aussi l’immigration aux États-Unis qui, selon lui, est instrumentalisée par les démocrates, soucieux de se garantir de futurs électeurs. Sans surprise, la gauche traite Musk de raciste et l’accuse même de manier des tropes antisémites dans ses dénonciations de Justin Trudeau et George Soros. En réponse, il s’est dit « plutôt philosémite » et en novembre 2023, il a banni de X les termes « décolonisation » et « de la rivière à la mer ». Il est surtout contre le wokisme sous toutes ses formes, en partie pour des raisons très personnelles. En effet, un de ses fils, Xavier, né en 2004, a décidé en 2020 de devenir une femme transgenre. Elle est allée jusqu’à adopter officiellement le nom de sa mère, devenant Vivian Jenna Wilson en 2022, pour mettre le plus de distance entre elle et son père, qu’elle accuse d’avoir été absent et d’être un « fornicateur en série ». Musk prétend que s’il a autorisé le changement de genre, c’est qu’il avait été piégé par le « virus mental woke » et considère désormais comme « mort » ce fils qui « pense que tous les riches sont malfaisants ».

En devenant Dark Maga, Musk semble assumer d’être associé au Mal, peut-être parce qu’il affectionne les films de super-héros qu’il affectionne – il a même fait une apparition-éclair dans Iron Man 2 en 2010. Comme un super-vilain qui travaillerait pour le bien, il ne cherche rien de moins qu’à recréer l’État, le monde et l’humanité à sa propre image.

Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

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Les relations franco-algériennes n’en finissent pas de ressembler à un concours de mauvaise foi, de mauvaise conscience et de mauvaise grâce. Plus de soixante ans après l’indépendance, il est temps qu’Alger et Paris fassent enfin (et vraiment) la paix. Afin de normaliser leurs relations, il faut que la France mette fin à sa propension à l’autoflagellation au sujet de la colonisation, tandis que, comme le disent Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques dans leur introduction à notre dossier, « il est temps que notre ancienne colonie devienne indépendante. Pour elle comme pour nous ». Mais « comment ne plus être l’otage d’Alger ? » C’est la question que pose Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie (de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020). Il propose des solutions pour que les deux pays établissent enfin une relation adulte, sans chantage affectif ni délire de persécution, afin de normaliser, voire banaliser, des rapports bilatéraux. Jusqu’ici, la politique de la repentance a coûté cher à la France. Malgré la tentative d’intimidation du gouvernement algérien, l’eurodéputée Sarah Knafo a décidé de révéler à combien s’élève l’addition. Se confiant à Élisabeth Lévy, elle affirme que, plus de soixante ans après l’indépendance, il est temps de divorcer pour de bon. Selon Driss Ghali, le pouvoir algérien n’a jamais cessé de cultiver le même ressentiment envers la France. Une intoxication mémorielle très utile pour faire oublier les errements de sa politique sociale et économique ; et pour culpabiliser les bonnes âmes françaises qui ne demandent qu’à faire repentance. 

Le numéro de novembre est disponible aujourd’hui dans le kiosque numérique, et demain chez votre marchand de journaux.

Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy nous parle de cette « Maison des mondes africains » que, « dans un esprit de réparation coloniale » (nous dit Libération), Emmanuel Macron a accepté de loger dans une aile de l’hôtel de la Monnaie à Paris, la plus vieille institution française encore en activité. Conclusion ? « Pour se faire pardonner son passé criminel, la vieille France raciste et colonialiste doit cesser d’exister et même faire oublier qu’elle a existé pour se vouer tout entière à l’Autre ». Faut-il canoniser Charles de Gaulle ?  Voilà la question que se pose Paul Thibaud. Le Général incarne la témérité mais n’a pas accompli de miracles. Comme Jeanne d’Arc, qui a pourtant été canonisée. L’Église pouvant faire des exceptions, elle pourrait ouvrir le « procès » en béatification de l’homme du 18-Juin, moins pour célébrer un exploit que pour défendre un modèle d’exigence.

MeToo, ça suffit ! Élisabeth Lévy déplore que ce mouvement ait libéré la furie des lyncheurs en ligne et des délateurs à carte de presse. La lourde condamnation de Nicolas Bedos en première instance prouve qu’un féminisme révolutionnaire, assoiffé de morts sociales et de bannissements, a désormais investi les palais de justice. Se confiant à Yannis Ezziadi et Élisabeth Lévy, Cyrille Eldin raconte l’histoire terrifiante qu’il a vécue avec son ex-compagne. Condamné pour « violences psychologiques » sur elle, l’ancien animateur-vedette de Canal+ est aujourd’hui séparé du fils qu’ils ont eu ensemble, au chômage et sans possibilité de travailler. En attendant l’appel de cette condamnation, il veut rétablir la vérité. Après la condamnation de Nicolas Bedos à un an de prison pour agression sexuelle (avec sursis probatoire de six mois), sa compagne Pauline Desmonts a dénoncé sur Instagram l’« injustice » d’une décision « tyrannique ». L’avocat pénaliste Randall Schwerdorffer, qui officie sur BFMTV, lui répond dans une lettre ouverte. Sa conclusion est alarmante : « Aujourd’hui, tous les hommes sont en danger face à ce lynchage permanent, à la violence des médias et parfois de la justice ». Caroline Fourest vient de publier Le Vertige MeToo aux éditions Grasset. Elle continue à approuver MeToo mais pointe la dérive fanatique de certains de ses zélateurs. Selon Yannis Ezziadi, c’est une nuance inadmissible pour les défenseurs de la cause : les néo-féministes et la presse comme-il-faut lui tombent dessus. Alerte : Caroline a viré à droite.  

En politique étrangère, constance et fermeté sont indispensables pour être respectés. Emmanuel Macron a enfreint cette règle élémentaire tout en démantelant la diplomatie française. Selon le journaliste Vincent Hervouët, s’entretenant avec Gil Mihaely, la « voix de la France » est devenue inaudible du Liban à l’Ukraine en passant par Bruxelles. Il affirme que « depuis qu’Emmanuel Macron est à l’Élysée, le Quai d’Orsay a perdu toute autorité au sein de l’administration ». Hillel Neuer, le directeur d’UN Watch, dont j’ai recueilli les propos, nous livre son témoignage d’expert sur les dérives de l’Organisation des nations unies. Israël vient d’interdire à l’UNRWA d’exercer ses activités sur son territoire. L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, notoirement corrompue par le Hamas, œuvre depuis sa création à délégitimer l’État hébreu, quand elle n’aide pas à le combattre. Selon Neuer, « chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix ».

Nos pages culture s’ouvrent sur un entretien avec l’écrivain Abel Quentin qui s’est confié à Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques. Dans son nouveau roman, Cabane, le prix de Flore 2021 brosse le portrait de quatre universitaires des années 1970 qui, grâce à l’informatique naissante, parviennent à mesurer les dangers écologiques de la croissance, et alertent sur la catastrophe à venir. Un récit passionnant et troublant, dont même les lecteurs climato-sceptiques ne sortiront pas indemnes. Georgia Ray s’est rendue à l’exposition Caillebotte au musée d’Orsay qui se révèle être une succession de chefs-d’œuvre. C’est aussi un concentré de bêtise. Le peintre de la vie bourgeoise au XIXe siècle est présenté comme le chantre de la déconstruction, venu « bousculer les stéréotypes de genre » en tentant d’« échapper à sa condition de riche rentier ». On s’émerveille et on rigole.

Au fil de ses livres et de ses articles dans Causeur, Thomas Morales célèbre la France d’hier, celle de sa jeunesse et des Trente glorieuses. Ses deux nouveaux recueils de chroniques, Les Bouquinistes et Tendre est la province, qu’a lus Philippe Lacoche, font la part belle aux souvenirs personnels et aux portraits littéraires. Emmanuel de Waresquiel, lui, dynamite les mythes. Selon le grand historien du XVIIIe siècle, se confiant à Vincent Roy, la Révolution française est encore bien vivante. Il suffit de voir comment ses « mythes noirs » sont instrumentalisés, de LFI aux JO de Paris. Son nouvel ouvrage (Il nous fallait des mythes, aux éditions Tallendier) remet les pendules à l’heure et démontre que la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés dès 1789.

Emmanuel Tresmontant nous recommande le Bistrot du Maquis à Montmartre. André Le Letty est passé par les meilleures maisons, de Bretagne et de Paris, avant de devenir citoyen de Montmartre et d’y ouvrir son propre restaurant où il mijote une cuisine traditionnelle tout en délicatesse et pleine de fraîcheur. Priorité est donnée aux produits de qualité, et aux prix bistrot ! De son côté, Jean Chauvet nous recommande pour le mois de novembre un film d’animation digne de ce nom et trois films du grand Ophüls en version restaurée.

Pour Ivan Rioufol, « la fin de règne des incapables a sonné ». Non contents de subir une libanisation accélérée de leur pays, les Français vont devoir payer pour les flambeurs qui ont endetté la nation pour acheter la paix sociale. Les faillis doivent partir. Et avec eux les idéologues de la post-nation. Enfin, Gilles-William Goldnadel lance un grand concours : il s’agit de célébrer le membre du Nouveau Front populaire qui se sera le plus distingué pour sa sottise, sa bassesse, son ignorance ou sa turpitude. La compétition s’annonce très serrée !

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L’âge de l’insulte

La campagne américaine a été marquée par les insultes. La démocratie américaine est-elle en danger ? La France est-elle, elle aussi, menacée par ce que les éditocrates nomment au choix « trumpisation » ou « polarisation » de la vie politique ? Pire, est-elle déjà gravement atteinte ?


À en croire la majorité des médias français, la campagne présidentielle américaine aurait opposé un Donald Trump déchaîné dans l’outrance et l’insulte à une gentille Kamala Harris respectueuse des usages… En langage d’éditorialiste, on parle de polarisation extrême dont M. Trump serait le seul responsable. Quant aux rares journalistes pro-Trump, ils nous servent un récit symétrique où le pauvre Trump est systématiquement attaqué et diffamé.
Soyons honnêtes : durant la période récente, c’est certainement M. Trump qui a normalisé l’insulte et l’affabulation en politique. Rappelez-vous de tous ses tweets (c’est au point que l’on parle désormais de « trumpisme »).  Mais, cette fois, ça a volé haut des deux côtés. Kamala Harris a traité Trump de « fasciste », d’ »inapte », de « dérangé ». Lui a répliqué par « communiste », « idiote », « attardée » ou « bête comme une pierre ». Donald Trump a aussi traité ses opposants d’ennemis de l’intérieur, et Porto-Rico a été comparé à une poubelle flottante lors de son meeting de New-York. Réponse de Biden à cette dernière outrance : les seules ordures que je voie, ce sont les électeurs de Trump. Bref : c’était l’école maternelle, et pas la mieux fréquentée.
Résultat des courses, selon 75% des Américains, leur démocratie est menacée. Ils ont raison. La démocratie, ce n’est pas seulement des procédures et des règles à respecter, mais aussi un état d’esprit ; le désaccord civilisé veut que l’autre soit légitime et appartienne à la même communauté politique que moi, et que j’accepte éventuellement sa victoire et son existence dans le même champ que moi. Quand des magasins se barricadent avant une élection, cet accord minimal pour le désaccord n’existe pas.

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On nous dit que nous n’en sommes pas encore là en France. Croyez-vous vraiment ? La veille du 2ème tour des législatives, c’était pourtant pareil à Paris. Des magasins étaient barricadés, car on attendait des troubles voire des émeutes en cas de victoire du Rassemblement national.
La « trumpisation », c’est-à-dire la montée aux extrêmes, a gagné la vie publique et l’Assemblée nationale. Les LFIstes traitent leurs adversaires de fascistes ou de racistes quotidiennement. Au-delà de l’insulte, le bobard, le mensonge conscient et l’affabulation sont frappants. Le Nouveau Front populaire raconte qu’on lui a volé l’élection, et donc que le gouvernement actuel n’est pas légitime. Lucie Castets a prétendu pendant des semaines être le choix du « groupe majoritaire » à l’Assemblée – un mensonge éhonté. Par ailleurs, même le discours sur le fameux front républicain durant l’entre deux tours relevait aussi du mensonge en bande organisée. Qui croyait vraiment à la menace fasciste ? Personne.
Comment expliquer cette montée aux extrêmes ? Tout d’abord, il faut rappeler la baisse générale du niveau d’éducation. Qu’attendre franchement d’un Louis Boyard ou d’une Ersilia Soudais ? C’est ce que j’appellerais la trumpisation par le haut.
Ensuite, le rôle des réseaux sociaux est immense. C’est la trumpisation par le bas. Nous sommes face à une force ravageuse de désocialisation. Les réseaux sociaux lèvent les inhibitions. Il n’y a plus de surmoi, c’est-à-dire plus de civilisation : on ne dit pas tout ce qui nous passe en permanence par la tête normalement. Eh bien derrière son clavier, si. La menace de mort est banale, presque naturelle ; l’adversaire devient un ennemi, donc tout est permis, y compris bien sûr la calomnie.
Ce climat dégoûtant navre beaucoup de Français. Il explique sûrement pour bonne partie le capital-sympathie de Michel Barnier, l’homme qui dit à Mathilde Panot qu’il la respecte malgré la grande agressivité de cette dernière.
N’en déplaise aux rebelles d’opérette, aujourd’hui, la bonne éducation est d’avant-garde et la courtoisie, révolutionnaire.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Quincy Jones, touche-à-tout de génie

La disparition d’un géant du jazz


Trompettiste américain, compositeur, producteur de jazz, Quincy Jones vient de mourir le 3 novembre, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Cette disparition a suscité une émotion dans le monde entier et un hommage unanime, par-delà les styles et les tendances – fait assez rare pour être souligné. Chez nous, une chaîne de radio comme France-Musique a bouleversé ses programmes pour lui rendre un hommage mérité. Semblable réflexe à la télévision où la chaîne C8 a ressorti des documents inédits, parmi lesquels une rencontre historique avec Charles Aznavour.

28 Grammy Awards !

Une telle mobilisation médiatique s’explique par le fait que la renommée de ce Chicagoan excède largement le seul domaine du jazz. Son talent, qui lui valut quelque quatre-vingt nominations dont vingt-huit victoires aux Grammy Awards, sans compter un Grammy Legend Award en 1992, était assez étendu pour rallier les suffrages les plus divers. Ancien élève du fameux Berklee College of Music de Boston, il se révèlera un trompettiste des plus honorables. C’est, toutefois, outre sa capacité d’adaptation aux courants novateurs du jazz, tels la bossa nova, ses dons d’arrangeur et de compositeur qui le propulseront vers les sommets. Sa collaboration, dans les années 80, avec l’ingénieur du son Bruce Swedien et Michaël Jackson déboucha sur des albums qui restent dans toutes les mémoires.

Sans retracer dans le détail une carrière entamée comme trompettiste dans l’orchestre de Lionel Hampton, poursuivie comme arrangeur auprès de musiciens les plus divers, de Sarah Vaughan à Dizzy Gillespie en passant par Count Basie ou Miles Davis, on retiendra, outre ses tournées dans le monde entier au sein de diverses formations, son séjour à Paris, à la fin des années 50. Il y poursuivra des études auprès de Nadia Boulanger, alors directrice du conservatoire américain de Fontainebleau. Il sera ainsi conduit à travailler avec Jacques Brel, Henri Salvador et Charles Aznavour, tandis que Les Double Six enregistreront un album consacré à ses compositions. Depuis cette période, il gardera toujours une certaine affection pour notre pays.

Son sens des affaires conduisit enfin Quincy Jones à fonder plusieurs sociétés productrices de films de cinéma et de télévision, de pièces de théâtre, tout cela aboutissant à la création de son propre label, Qwest records, en 2017.

Une activité à donner le tournis

La première leçon à tirer d’une telle carrière, c’est que l’art ignore les frontières et se joue des tabous. Si la société des Etats-Unis, voire l’Occident tout entier, avaient été, au XXe siècle, aussi ségrégationnistes, aussi racistes que le prétendent leurs actuels dénonciateurs, jamais un tel parcours, une telle réussite n’eussent été envisageables.

Le second enseignement, et là réside sans doute une clé essentielle, c’est l’ouverture d’esprit qui a permis à Quincy Jones de franchir toutes les barrières de genre et de style. Mieux encore, d’anticiper les évolutions d’une musique qu’il aura largement contribué à enrichir. Son génie des affaires a fait le reste. Qui pourrait le lui reprocher ?

À Valence, la crise politique aggrave la catastrophe climatique

La catastrophe naturelle valencienne met à nu pour la énième fois la jungle institutionnelle et administrative espagnole, où le système des communautés autonomes (issu d’un processus de décentralisation débuté à la fin des années 70) est tellement flou que plus personne ne sait très bien ce qui est du ressort des uns et des autres.


Les images du dimanche 3 novembre 2024 à Paiporta, bourgade de 27 000 habitants située dans la banlieue de Valence (Est de l’Espagne), ont fait le tour des médias internationaux. Dévastée par les pluies torrentielles qui sont tombées sur la région quelques jours auparavant, la commune accueille ce jour-là une délégation composée du président du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sánchez, et du président régional valencien, le conservateur Carlos Mazón. Ils accompagnent tous deux le couple royal, Philippe vi et Letizia, qui se rend pour la première fois sur les lieux. Cette ville est un des épicentres de la « goutte froide » qui a aussi ravagé Picaña, Sedaví, Alfafar, Benetúser, Masanasa et Catarroja, dans la comarque de la Huerta Sur.

Un cortège pris à partie

À son arrivée, le cortège est la cible d’insultes ainsi que de jets de boue et d’objets divers de la part des habitants. Excédés, épuisés, s’estimant abandonnés par les autorités, pleurant leurs morts, cherchant désespérément les disparus, déblayant les rues avec l’aide de dizaines de bénévoles, les locaux voient rouge. La tension monte à Paiporta et Pedro Sánchez prend le large, craignant pour son intégrité physique. Pour leur part, le roi et la reine décident de rompre le cordon policier et de se rendre au contact des paiportinos, qui vident leur sac, s’énervent, supplient, exigent la démission de Sánchez et Mazón, expliquent qu’ils ont tout perdu (logement, véhicule, entreprise ou commerce). Letizia, qui a reçu de la boue sur le visage, serre des femmes dans ses bras et s’effondre en larmes avec elles. Plusieurs habitants s’excusent : « Ce n’était pas pour vous, ce n’était pas pour vous ! ». La plupart des gens présents, indignés et à bout de nerfs, ont voulu manifester leur profonde colère alors que plus de 200 morts et des centaines (voire des milliers) de personnes manquant à l’appel nourrissent leur chagrin.

Contrairement à ce que les journaux télévisés et quotidiens de nombreux pays ont laissé entendre, ni Philippe vi, ni Letizia n’étaient réellement la cible des manifestants. Ces derniers ont pu perdre leur calme face au couple royal mais ils avaient avant tout besoin d’être écoutés. Ils ont vécu une journée d’enfer, puis des heures d’incertitude et de travail harassant pour nettoyer maisons, appartements et rues. Le chef d’État et son épouse restent un certain temps sur place et, bien qu’ils doivent remettre à plus tard leur visite à Chiva, ils repartent grandis de ce douloureux épisode. C’est bien davantage le monde politique espagnol qui est dans le collimateur des paiportinos.

L’AEMET dans la tourmente

Même si elle est localisée, la tragédie de la Huerta Sur a une résonance nationale en raison du nombre de victimes et des discussions qu’elle entraîne. D’un côté, le réchauffement climatique a très certainement joué un rôle car la chaleur toujours plus élevée de la mer Méditerranée déclenche des gouttes froides d’une rare violence. De l’autre, le phénomène n’est pas nouveau, loin de là. La ville même de Valence, épargnée en octobre 2024, avait été submergée sensiblement à la même période en 1957, lorsque le Turia avait débordé de son lit.

Cette fois-ci, cependant, les autorités sont en cause. Beaucoup accusent Carlos Mazón et le gouvernement régional d’avoir réagi tardivement et d’avoir transmis les avertissements automatiques par SMS alors même que l’eau engloutissait déjà les villes. Bien d’autres pointent du doigt l’AEMET (équivalent espagnol de Météo France), qui avait annoncé l’événement pluvieux tout en n’anticipant pas suffisamment sa gravité. Nombreux sont aussi ceux qui reprochent à Pedro Sánchez d’avoir laissé les dirigeants valenciens se débrouiller seuls pendant plusieurs jours avant d’envoyer des effectifs militaires… un peu tard. Au milieu, les habitants de la Huerta Sur ont été privés d’électricité et d’eau pendant plusieurs jours, constatant le chaos qui s’était emparé de leurs communes.

Pendant une semaine au moins, droite et gauche espagnoles confondues ont rejeté la faute l’une sur l’autre. Chaque échelon administratif a juré qu’il ne pouvait agir qu’avec l’aide ou l’accord d’autres responsables, que ce soit à Madrid ou à Valence. Si la scène est bien connue dans d’autres pays (dont la France), elle prend une tournure particulièrement dramatique au vu des conséquences. Plus encore, elle met à nu pour la énième fois la jungle institutionnelle et administrative espagnole, où le système des communautés autonomes (issu d’un processus de décentralisation débuté à la fin des années 70) est tellement flou que plus personne ne sait très bien ce qui est du ressort des uns et des autres. Le dôme froid de l’automne 2024 (qui a aussi touché une partie de la Castille, de la Catalogne, des Baléares et de l’Andalousie) n’est qu’un exemple supplémentaire d’une situation tantôt ubuesque, tantôt alarmante.

La crise séparatiste catalane avait déjà porté un énorme coup à la crédibilité de l’organisation institutionnelle espagnole. Dans un autre registre, la catastrophe valencienne de cette année enfonce le clou, alors que la polarisation idéologique est à son comble.

La détestation que suscite Pedro Sánchez dans une large frange de la société est renforcée par ses manières, que certains trouvent méprisantes et autoritaires. Ses alliances controversées avec les sécessionnistes catalans et basques achèvent de dresser le portrait d’un homme qui semble n’avoir aucune limite à partir du moment où sa survie politique est en jeu. Il a pourtant ses partisans, qui voient en lui le seul rempart contre une droite qu’ils jugent fascisante (pour ce qui est de Vox, troisième formation du pays) ou vendue aux forces réactionnaires (dans le cas du Parti populaire, présidé par le très compassé Alberto Núñez Feijóo, chef de l’opposition).

Ainsi donc, si la reprise économique post-pandémie semble vigoureuse et place notre voisin ibérique dans le peloton de tête des puissances dynamiques de l’UE, le débat public s’avère éminemment crispé.

La politique écologique en ligne de mire

La goutte froide de Paiporta, Chiva et autres communes adjacentes relance aussi les débats sur les mesures qu’il conviendrait de prendre face au réchauffement planétaire. Socialistes et gauche « radicale » se positionnent en pionniers dans le domaine. Ils défendent ainsi davantage de taxes sur les grandes entreprises (notamment celles du secteur de l’énergie) ou encore la mise en place des zones à faibles émissions dans toutes les communes de plus de 50 000 habitants.

Ils promeuvent également la destruction de bon nombre de retenues d’eau, souvent modestes en taille mais que les milieux ruraux estiment indispensables à leur approvisionnement et leur production agricole. Pour cette partie du spectre idéologique espagnol, il faut rompre avec les politiques hydriques du passé, menées à bien tant par la Restauration (1874-1931) que par la Seconde République (1931-1939) et la dictature franquiste (1939-1975). En d’autres termes, les représentants de la gauche veulent réduire la consommation d’eau du pays (notamment dans le secteur primaire et le monde du tourisme), laisser les cours d’eau vaquer à leur « vie naturelle » et cesser les transferts d’« or bleu » entre régions. Ils critiquent dans le même mouvement la politique d’urbanisme pratiquée depuis des décennies outre-Pyrénées, alors que 700 000 citoyens vivent dans des zones menacées par les crues.

La droite, de son côté, s’insurge contre un programme qu’elle estime mortel pour les intérêts du pays et pour sa souveraineté alimentaire. Elle cite en exemple le Plan Sud (1958-1973), organisé par le franquisme après la gran riada de 1957 à Valence. Entre Cuart de Poblet et la mer Méditerranée, le cours du Turia prend un détour artificiel afin de protéger la troisième ville la plus peuplée d’Espagne. Parti populaire et Vox rappellent dans la foulée que le barrage de Forata, inauguré en 1969 sur le Magro (affluent du fleuve Júcar, qui passe au sud de l’agglomération valencienne), a évité des dégâts plus massifs au mois d’octobre en retenant 37 millions de litres d’eau tombée du ciel. Les deux grands partis de droite exigent enfin que la loi interdisant le nettoyage des sous-bois et des vallées, soutenue par la gauche, soit abrogée. Les troncs, branches et débris accumulés dans le sillage de plusieurs cours d’eau et charriés par la crue ont effectivement constitué autant de pièges mortels pour la Huerta Sur.

Alors que la polémique fait rage, la Cour des Comptes espagnole semble aller dans le sens d’Alberto Núñez Feijóo et Santiago Abascal (président de Vox). De fait, elle n’a cessé de rappeler ces dernières années que les investissements manquaient pour entretenir les infrastructures gérées par la Confédération hydrographique du Júcar (mais aussi par celle du Guadalquivir, en Andalousie, et celle du Segura, dans la Région de Murcie et le sud de la Communauté de Valence).

Alors que les secours s’attaquent désormais aux recherches dans les garages privés et les parkings publics de l’agglomération de Valence (en particulier celui de Bonaire, dont on craint qu’il ne soit plus qu’un immense cimetière sous l’eau), la controverse n’est pas près de s’éteindre.

Rendez la Monnaie!

L’éditorial de novembre d’Elisabeth Lévy


Il paraît qu’Emmanuel Macron est très soucieux de la trace qu’il laissera dans l’Histoire. Des esprits chagrins insinueront qu’il y restera comme le président qui a battu les records d’endettement ou celui qui a réussi à enfermer les Français chez eux – cela expliquant ceci car il a bien fallu sortir le chéquier pour que nous acceptions de passer nos jours devant Netflix. D’autres, taquins, se demanderont s’il ne sera pas éternellement le prédécesseur de Marine Le Pen (ou d’un autre méchant). C’est injuste. Le président a aussi de grands projets culturels. L’ultime legs de son décennat sera certainement la « Maison des mondes africains » – dans le jargon de l’inclusivité, tout est au pluriel : les cultures, les Afrique, les France, seul le racisme n’a qu’une adresse. Je me demande quel crâne d’œuf a trouvé judicieux de baptiser ce projet MansA, nom dont la presse explique avec ravissement qu’il résulte d’une « hybridation entre mansio, “habitation” en latin, et Mansa Moussa, souverain malien du xive siècle ». Mansio et Moussa, ça parlera certainement au cœur des Africains.

Le MansA n’a pas vocation à émerveiller mais à faire penser et bien penser. Ce projet, apprend-on dans Libération, est « porté par le président dans un esprit de réparation coloniale ». Nous y voilà. Sa future directrice, la journaliste franco-sénégalaise Élisabeth Gomis promet de « bâtir un lieu d’échange autour de la question des répercussions de l’histoire coloniale dans la société contemporaine ». Le MansA « va décloisonner, faire de la culture pour tous, parler de colonial et de décolonial dans un lieu hybride. » Il était temps vu que, dans notre pays, personne n’ose jamais parler de colonial et de décolonial. Certes, ce galimatias, omniprésent dans les universités et les médias, est aussi le credo du Musée national de l’histoire de l’immigration, dont l’imam caché, Patrick Boucheron, veut défranciser l’histoire de France. Rappelons que, pour sa réouverture, ce musée s’était offert une campagne avec Louis XIV comme symbole des étrangers qui ont fait la France – sans rire. Si j’étais réac, je vous dirais que, la repentance, il y a déjà une maison pour ça.

Nous n’avons pas dû assez expier, car il nous en faut une deuxième. Mais ce n’est pas tout. Comme il n’a pas les moyens de s’offrir sa pyramide du Louvre, Emmanuel Macron a accepté la proposition de Rachida Dati de loger son bidule africain dans une aile de l’hôtel de la Monnaie à Paris, qui bénéficiera pour cela de réaménagements et, ce qui est plus inquiétant, d’un « geste architectural ajouté en façade ». Créée en 864 la Monnaie de Paris est la plus vieille institution française encore en activité et sans doute la plus vieille entreprise du monde. Le bâtiment, sis sur la rive gauche de la Seine, a été inauguré en 1775, aussi une journaliste de Beaux Arts observe-t-elle avec ravissement qu’on « parlera de décolonisation au sein d’un riche symbole de pouvoir né à l’époque coloniale ». Le message est limpide. Pour se faire pardonner son passé criminel, la vieille France raciste et colonialiste doit cesser d’exister et même faire oublier qu’elle a existé pour se vouer tout entière à l’Autre. D’ailleurs, c’est peut-être la seule cohérence d’Emmanuel Macron, sa véritable colonne vertébrale : pour lui, les nations ont fait leur temps. Place à la partouze des cultures !

Le plus rigolo, c’est que c’est la dissolution qui a sauvé cette belle initiative. Le ministère de la Culture avait lâché l’affaire, mais s’est de nouveau engagé face à la menace d’une arrivée au pouvoir du RN. S’il s’agit de lutter contre le fascisme, on s’incline. Du reste, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? S’il veut frapper un grand coup et montrer au monde entier que la France est prête à abjurer son passé, Emmanuel Macron doit frapper un grand coup et lancer la transformation de Notre-Dame en mosquée. Après tout, on pourra quand même faire payer l’entrée.

Trump, champion du politiquement incorrect

La victoire de Trump serait révolutionnaire, selon notre chroniqueur. Si la personnalité extravagante du candidat républicain heurte une majorité de Français, beaucoup de citoyens engagés dans la « guerre culturelle » contre le wokisme, ou simplement inquiets de la disparition des peuples, ne sont pas insensibles aux propos du milliardaire américain. Voici pourquoi.


La gauche ? C’est le refuge des puissants et l’obstacle à la révolte des opprimés. Cette inversion des rôles, qui rend la droite dépositaire de la question sociale, se lit aux Etats-Unis comme en France. C’est pourquoi la perspective d’une réélection de Donald Trump, à l’issue du scrutin de mardi, est déjà un désaveu pour les « progressistes », confrontés à leur trahison des faibles. Des deux côtés de l’Atlantique, les maîtres de ballet crachent les mêmes insultes sur le peuple qui refuse d’obéir. Quand L’Humanité titre : « Le péril fasciste » sous la photo de Trump, Kamala Harris soutient semblablement : « Oui, nous pouvons le dire, la vision de Donald Trump est celle du fascisme ». Quand Joe Biden laisse échapper son mépris pour les électeurs républicains en les comparant à des « ordures », Alain Minc les qualifie de « sous-développés ». Ce même promoteur de la « mondialisation heureuse » avait dit en 2016, parlant du référendum britannique approuvant le Brexit : « Ce référendum n’est pas la victoire d’un peuple sur les élites mais celle de gens peu formés sur des gens éduqués ». La gauche américaine partage avec la gauche française une même répulsion pour les « ploucs », ces damnés qui n’entendent rien aux certitudes des experts en chaises longues. Ces prétendus humanistes n’ont aucune empathie pour la classe moyenne. D’ailleurs, l’électorat de Trump ne se réduit pas à la seule sociologie des « petits blancs » déclassés. Non content d’avoir été rejoint par d’anciens démocrates comme Robert Kennedy et Elon Musk, Trump attire davantage parmi les minorités, hispaniques et noires. Certes, ces électeurs votent encore majoritairement démocrate. Mais beaucoup n’en peuvent plus d’un système bureaucratique et oligarchique qui se paye de mots et oublie de regarder comment vivent les pauvres. Bref, une victoire de Trump serait une heureuse sanction contre ceux qui se disent démocrates mais hurlent au populisme – voire au fascisme – quand les gens leur tournent le dos.

La délivrance idéologique est à portée de mains. Le politiquement correct, déjà ébranlé par le trumpisme d’atmosphère qui imprègne les États-Unis depuis 2016 et la première élection surprise, peut s’effondrer. Ce système étouffant de la pensée autorisée est aussi oppressif aux États-Unis qu’en France. En ce sens, la victoire de Trump serait révolutionnaire. La personnalité extravagante du candidat, qui heurte en France, n’est plus un obstacle pour l’écarter du pouvoir. Une partie de la Silicon Valley et de Wall Street s’est laissée convaincre par le pragmatisme trumpien, sa culture de la transaction, son rejet du wokisme totalitaire, sa défense de la liberté d’expression, son opposition aux guerres attisées par le complexe militaro-industriel, sa défiance vis-à-vis de Big Pharma et de son scientisme rémunérateur.

Trump ne brille pas par ses analyses ni par sa subtilité. Cependant, il est le symptôme plus complexe d’une rupture avec le mondialisme. Or, en France comme aux États-Unis, la gauche se montre incapable de penser la nouvelle vague politique autrement qu’un invectivant ceux qui prônent le retour aux frontières et aux protections. Pour avoir caricaturé les alertes contre le « péril migratoire », le camp du Bien ne peut, en France, aligner que des banalités pour commenter l’envolée des « narco-racailles » (Bruno Retailleau) et des violences urbaines claniques, qui se sont multipliées ce week-end. Samedi, Libération tirait sur « Les morts évitables » en accusant les autorités espagnoles dans les inondations de Valence. Mais combien de morts évitables la gauche a-t-elle sur la conscience pour avoir menti sur le « vivre ensemble » ? Pour ces raisons, une victoire de Kamala Harris serait une mauvaise nouvelle pour les peuples qui ne veulent pas disparaître.

« Houris » et Kamel Daoud Prix Goncourt !

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Notre chroniqueur, qui dès le 6 septembre pronostiquait Kamel Daoud comme futur Prix Goncourt exulte : les jurés du plus beau Prix français, malgré les menaces du gouvernement algérien, ont couronné le très beau roman de l’écrivain français né dans la wilaya de Mostaganem, qui raconte les années de fer et de sang de la « décennie noire » (1990-2000), une évocation interdite au pays des militaires et des imams.


« Les jurés du Goncourt, qui ont sélectionné Houris dans leur première sélection, seraient bien avisés de donner à Kamel Daoud, couronné jadis pour le Goncourt du meilleur premier roman, un prix qui mettra en lumière ce que l’histoire officielle — celle qu’enseignent les manuels scolaires et, chez nous, les pédagogues qui refusent de parler de la traite saharienne ou des razzias opérées sur les côtes européennes — tente en vain de glisser sous le tapis de prière. »

Monsieur Brighelli ou Madame Irma ?

Ainsi concluais-je, début septembre, mon article sur le roman de Kamel Daoud, Houris. Je ne me donne pas une importance que je n’ai pas. Mais l’année dernière, j’avais contribué, autant que possible, à écarter cette buse d’Eric Reinhardt, auquel on promettait le Prix et qui est reparti avec son livre entre les jambes. Et cette année, j’ai pronostiqué la victoire de Kamel Daoud, qui est l’heureux élu. Gloire à lui !

Daoud avait eu, fin 2014, la consécration plus douteuse d’une fatwa émise par un imam salafiste : « Nous appelons le régime algérien à le condamner à mort publiquement, à cause de sa guerre contre Dieu, son Prophète, son livre, les musulmans et leurs pays. » À la suite de quoi, après que l’écrivain eut déposé plainte, ledit imam fut condamné à trois mois de prison et l’équivalent de 450€ d’amende — condamnation annulée en appel sous prétexte d’incompétence territoriale du tribunal. L’Algérie a avec la justice des relations difficiles.

Il est plus que temps que la France, au lieu de reconnaître les horreurs du colonialisme (pensez, nous avons inventé un pays qui n’existait pas, mis fin aux affrontements entre tribus, assaini un territoire dévoré de fièvres, définitivement renvoyé chez eux les Ottomans qui s’y étaient installé quelques siècles auparavant, construit des routes, des chemins de fer, des entreprises, labouré la terre, planté des vignes et des arbres fruitiers — que de crimes impardonnables…) mette fin à l’assistanat d’un pays qui nous coûte cher et qui nous abreuve d’injures. Qu’ils aillent se faire voir — et offrons-leur Benjamin Stora pour écrire leur guerre à leur manière, ils ne sont plus à quelques mensonges près.

Une belle leçon d’écriture

Pourtant, la France continue à s’humilier devant quelques poignées d’imams et de généraux nonagénaires et chamarrés comme des arbres de Noël. Elle s’excuse pour ceci, s’agenouille pour cela, promet de rendre les artefacts des uns, et de rembourser les autres pour les crimes commis contre les harkis. Le président de la République se rapproche du Maroc, c’est une bonne idée ; il aurait dû en profiter pour tirer un trait sur l’Algérie, et cesser de payer les retraites de gens morts depuis des lustres.

Lisez le roman de Kamel Daoud, il vous permettra de comprendre — je m’adresse ici à ceux qui n’étaient pas nés pendant la guerre dite d’indépendance — comment fonctionnent des islamistes dès qu’on leur tend les clefs du pouvoir. Et il vous donnera une très belle leçon d’écriture.

Le gouvernement algérien avait menacé par avance. Comme dit un journaliste bien informé : « À la veille de cette annonce, nos sources nous ont informé que les services d’Alger s’activent dans l’ombre en exerçant des pressions et des intimidations sournoises, directement sur les membres jury du Prix Goncourt et sur Kamel Daoud lui-même à l’heure où nous écrivons, dans le but de torpiller cette récompense. Nos sources nous ont signalé des intimidations et menaces qui vont des menaces diplomatiques discrètes à des messages anonymes, accusant l’auteur de trahison, de calomnie, et allant jusqu’à déterrer son passé supposé d’islamiste ou des allégations de violence conjugale. La machine à salir tourne à plein régime. » Ces gens-là croient qu’ils peuvent imposer à la France la censure qu’ils font régner chez eux. Eh bien, qu’ils gardent leur censure, leurs sables, leurs rues jonchées d’ordures et leurs revendications d’indemnités pour les crimes terroristes qu’ils ont perpétrés pendant des décennies.

Houris

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Purple Reine

Une femme, un parti, une révolution ? Kemi Badenoch récupère un Parti conservateur en piteux état. Les premiers pas de cette femme d’origine nigériane à la tête de l’opposition sont scrutés de près outre-Manche. Portrait.


L’ascension de Kemi Badenoch à la tête des conservateurs britanniques constitue une étape marquante et historique dans le paysage politique du Royaume-Uni. À seulement 44 ans, elle devient la première femme noire à diriger un grand parti politique britannique, remportant un vote décisif contre Robert Jenrick lors d’une élection interne. Cette victoire ne se limite pas à briser des barrières ; elle s’inscrit dans un mouvement plus vaste, celui de l’émergence de députés conservateurs noirs et asiatiques qui ont récemment occupé des postes de responsabilité, tels que James Cleverly, Suella Braverman, Priti Patel et Sajid Javid. Rishi Sunak, battu aux élections de juillet, ne manquait pas de faire valoir sa fierté d’être le premier Premier ministre britannique d’origine asiatique. En 2023, Kemi Badenoch a osé déclarer la Grande-Bretagne comme « le meilleur pays au monde pour être noir », une affirmation qui a suscité l’enthousiasme des journaux de droite tout en déclenchant une avalanche de critiques de la part des experts progressistes. Pour les conservateurs, encore secoués par une défaite électorale majeure en juillet, cette élection revêt une importance particulière : ils viennent d’élire leur deuxième chef consécutif issu d’une minorité ethnique et leur quatrième femme à la tête du parti. Benjamin Disraeli, d’origine juive, devenu Premier ministre en 1868, représentait le premier dirigeant de minorité ethnique dans l’histoire du parti.

Aujourd’hui, Mme Badenoch ouvre une nouvelle voie, porteuse d’espoir et de diversité, inscrivant son nom dans les annales de l’histoire politique britannique.

Retour en arrière : la montée de Kemi Badenoch

En 2022, alors que le Parti conservateur traversait une période tumultueuse, Kemi Badenoch, alors âgée de 42 ans et ancienne ministre de l’Égalité, a décidé de se lancer dans la course à la direction du parti. Elle s’est retrouvée parmi cinq candidats, dont des figures plus établies comme l’ancien Premier ministre et chancelier, Rishi Sunak, et la ministre des Affaires étrangères Liz Truss. Avec le soutien notable de Michael Gove, Mme Badenoch a affirmé sa volonté de « dire la vérité » et de prôner un gouvernement resserré, signalant ainsi une rupture potentielle avec l’ère de Boris Johnson. Ce tournant a préparé le terrain pour son ascension, la menant aujourd’hui à être la première femme noire à diriger un grand parti politique britannique.

Parcours d’une pionnière aux racines multiples

Olukemi Olufunto Badenoch, née Adegoke un 2 janvier 1980 à Wimbledon, Londres, se dresse comme une figure singulière et puissante du paysage politique britannique, la première femme noire à gravir les échelons du Parti conservateur. Son histoire tisse le fil d’une identité façonnée par la diversité culturelle et la résilience, un destin intimement lié aux multiples lieux qu’elle a habités. Fille de Femi, médecin généraliste, et de Deyi, professeure de physiologie, elle est née d’un coup du sort : une simple visite médicale de sa mère au Royaume-Uni lui ouvre plus tard la voie à un passeport britannique. Ce privilège inattendu façonne sa vision du monde, lui permettant de trouver un juste équilibre entre ses racines nigérianes et son appartenance britannique.

Mme Badenoch grandit au croisement de Lagos et des États-Unis, héritant d’une perspective unique et d’un enracinement solide, qui la distinguent de ses pairs. Au Nigeria, elle fréquente l’International School de l’Université de Lagos, où elle se voit comme une écolière Yoruba de classe moyenne, apprenant à naviguer dans la complexité des cultures et des traditions. Cette enfance éclatée, faite de voyages et de contrastes, devient le terreau d’une personnalité capable de jongler avec aplomb entre des mondes divers, une qualité précieuse pour celle qui incarne désormais l’ascension des minorités au cœur du pouvoir britannique.

C’est donc avec un bagage riche d’influences multiples que Kemi Badenoch entame sa propre aventure en Grande-Bretagne.

De l’héritage nigérian à l’autonomie britannique

À 16 ans, poussée par les bouleversements politiques et économiques au Nigeria, elle retourne au Royaume-Uni, seule, avec la ferme intention de tracer sa route. Bien que sa famille soit de classe moyenne, son quotidien se distingue de celui des autres candidats conservateurs : elle doit travailler dans un McDonald’s tout en préparant ses Advanced Levels. Elle évoque cette expérience formatrice, une leçon de dignité du travail, comme un chapitre fondamental de sa jeunesse.

Elle poursuit des études en informatique à l’Université du Sussex, devient ingénieure logiciel chez Logica, puis décroche un diplôme de droit à Birkbeck College tout en travaillant. Elle évolue ensuite dans le secteur financier, devenant analyste systèmes à la Royal Bank of Scotland, puis directrice adjointe chez Coutts, la banque de la reine. En parallèle, elle prend les rênes du magazineconservateur The Spectator, forgeant ainsi sa carrière au sein de l’élite britannique.

Ses premiers pas sur la scène politique

Kemi Badenoch entre dans l’arène politique britannique en 2005, à seulement 25 ans, en rejoignant les rangs du Parti conservateur. Animée par une conviction profonde et une vision claire, elle tente sa chance à plusieurs élections locales et législatives dès 2010, sans succès initial. Mais chaque échec n’a fait qu’aiguiser sa détermination, et elle se prépare à marquer le paysage politique de son empreinte.

Fervente partisane du Brexit, Mme Badenoch perçoit la sortie de l’Union européenne comme une renaissance nationale, un retour à une autonomie dont elle admire la force. Lors de sa première élection en tant que députée en 2017, elle remporte haut la main la circonscription de Saffron Walden avec plus de 37 000 voix, une victoire éclatante qui la consacre au sein des conservateurs. Dans son discours inaugural, elle qualifie le vote du Brexit de « plus grand acte de confiance envers le Royaume-Uni » et revendique son héritage politique auprès des géants conservateurs, évoquant Winston Churchill et Margaret Thatcher comme ses modèles. Ce même mois, elle est invitée à rejoindre le comité influent des députés conservateurs, le Comité 1922, affirmant ainsi sa place parmi les voix montantes du parti.

Pour Mme Badenoch, entrer en politique n’est pas seulement une ambition : c’est un engagement viscéral pour un Royaume-Uni souverain, une foi inébranlable en un pays capable de s’élever par lui-même.

Pour Badenoch, les défis qui l’attendent sont d’autant plus complexes qu’elle doit non seulement relever le défi de diriger l’opposition, mais aussi restaurer la confiance des électeurs dans un contexte politique en mutation.

La route semée d’embûches vers la rédemption Conservatrice

L’attention de Kemi Badenoch se tourne désormais vers la manière d’affronter un gouvernement travailliste qui vient de présenter le plus important paquet d’augmentations d’impôts au Royaume-Uni depuis plus de 30 ans. Cependant, le chemin ne sera pas facile pour cette nouvelle leader conservatrice. Victorieuse dans une course à la direction acharnée, elle se retrouve désormais chargée d’unir un parti fracturé tout en dirigeant l’opposition contre Sir Keir Starmer. « Nous devons ramener ceux qui nous ont abandonnés », a-t-elle déclaré, soulignant l’importance vitale du Parti conservateur pour l’avenir du pays. « Pour être entendus, nous devons être honnêtes. »

Elle a également affirmé qu’il était « temps de se mettre au travail » pour « renouveler » le Parti conservateur. Dans ses propres mots, « le temps est venu de dire la vérité, de défendre nos principes, de planifier notre avenir, de repenser notre politique et notre façon de penser, et de donner à notre parti et à notre pays le nouveau départ qu’ils méritent. » Ce nouvel élan se heurte néanmoins à un contexte difficile : alors que Mme Badenoch devient la première femme noire à diriger un grand parti politique au Royaume-Uni, Keir Starmer, le Premier ministre travailliste, a qualifié cette avancée de « moment de fierté pour notre pays ». Pourtant, le scepticisme demeure. Ellie Reeves, présidente du Parti travailliste, a fait entendre sa voix : « L’élection à la direction du parti a été longue, mais une chose est sûre : les conservateurs n’ont rien appris depuis que le peuple britannique les a rejetés en masse en juillet. »

À ce stade, Kemi Badenoch se trouve à un carrefour, balançant entre un héritage chargé et des promesses d’innovation.

Saura-t-elle naviguer dans ces eaux tumultueuses et insuffler au Parti conservateur le souffle nouveau dont il a tant besoin ? Car à l’heure où le navire politique prend l’eau, un bon capitaine saura toujours tirer parti des vents favorables pour redresser la barre, même dans les tempêtes les plus violentes. Est-elle prête à devenir le phare qui guidera son parti à travers cette nuit politique incertaine ?

Canal plus, comme un air de campagne…

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Monsieur Nostalgie se souvient du lancement de Canal Plus, il y a, jour pour jour, 40 ans. À l’origine, le canal 4 n’était pas cette chaîne critiquée comme trop « parisienne » par la suite, révèle-t-il.


Le logo de la chaine de 1984 à 1995.

Les historiens s’écharpent sur le point de bascule. À partir de quand, « l’esprit Canal » insufflé par Alain De Greef, tête chercheuse du PAF, est retombé comme un soufflé au fromage. Un jour, il n’a plus fait rire. Il a même commencé à sacrément agacer par son impunité médiatique et son insolence moralisatrice. Il s’est mué en un arbitre du bon goût et en baromètre d’une liberté d’expression à sens unique. De la maison de toutes les audaces au grand gloubi-boulga globalisé. Tout ça semble si loin, aujourd’hui, l’irrévérence et le ricanement ont fait leur temps, et n’amusent plus que quelques passéistes à bandes molletières.

Un 4 novembre 1984…

Notre pays a traversé une crise d’identité et une perte totale de ses repères en quarante ans. La France a tourné le dos au second degré. L’humour segmenté est devenu un nouveau casernement de la pensée. Il est communautaire et parcellaire. On ne rit plus ensemble mais contre quelqu’un. Si « l’esprit Canal » s’est dilué dans une mondialisation faussement émancipatrice, nous n’oublierons pas ses débuts, en novembre 1984. Nous avions dix ans au lancement de la première chaîne payante qui inventait le décodeur et le porno à domicile, le foot par abonnement et les nouveautés cinéma dans son canapé. Dans les campagnes, un réseau parallèle de décodeurs bricolés au fer à souder dans les garages florissait et le film interdit au moins de 18 ans du samedi soir motivait l’ingéniosité des adolescents en rut. De la passoire aux spasmes cathodiques, la pamoison ne tenait qu’à un fil d’antenne. Pour la première fois, nous avions accès au basket américain et aux matchs de boxe en direct. Et les programmes en clair auront été le meilleur produit d’appel pour débourser 120 francs par mois. Ne croyez pas que Canal était parisienne et élitiste ; au contraire, à son origine, elle était provinciale et populaire. Après quelques ajustements marketing, les responsables commerciaux ont compris que le salut de la chaîne passerait par les départements et les sous-préfectures, et non les CSP ++ comme on les apprenait au lycée en cours de sciences économiques. Ce sont les classes moyennes qui l’ont adoptée et ont adhéré à son projet potache.

A lire aussi, Gilles-William Goldnadel: Tous les défauts du Monde 

Secrets d’histoire

Je vous révèle aujourd’hui une vérité longtemps cachée par les salisseurs de mémoire. Canal Plus a été créée par des berrichons. Sans le Berry, point de Mademoiselle Agnès, de Didier L’embrouille, de gadgets foireux de Bonaldi ou de la Maxi-Tête de Sophie Favier. Aux manettes de ce canal historique, on retrouve la fine fleur des hommes du Centre de la France, du Cher et de l’Indre, Michel Denisot en monsieur loyal castelroussin, pas encore patron de la « Berrichonne » accompagné par un Gérard Depardieu parrain de l’événement qui, pour l’occasion, était venu faire la promotion de Rive droite, rive gauche de Philippe Labro, sorti le 31 octobre, soit quelques jours avant la mise en orbite de la 4ème chaîne. Sans oublier, la présence tutélaire de Philippe Gildas qui ne vient pas de nulle part. Le journaliste s’est toujours senti breton mais a passé toute son enfance à Bourges, à l’ombre la cathédrale Saint-Etienne. Et que dire enfin d’André Rousselet, le grand manitou de Canal Plus, taximan de Mitterrand, qui avait des attaches anciennes avec l’Indre, ne fut-il pas sous-préfet à Issoudun en 1953 ? Simone Veil, dont le mari était en stage à la préfecture de Châteauroux, a raconté leur escapade chez les antiquaires de la région quand les hauts fonctionnaires n’étaient pas accablés par une charge de travail excessive et des émeutes urbaines éruptives. Nos confrères de La Nouvelle République rapportaient les propos de Simone, en 2016 qui s’amusait de cette douce léthargie : « Drôle d’époque où les hauts fonctionnaires de la République bénéficiaient de temps libre ! ».

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Alors, même si on est parfois sévère avec les dérives modeuses et affranchies d’une chaîne qui s’est voulue prescriptrice et guide spirituelle de toute une génération, la première décennie de son existence nous ramène au temps des doudounes Chevignon et des jeans Liberto, du Top 50 à 18h45 et de Jean-Claude Bouttier nous initiant au noble art. Une époque où Marc Toesca annonçait à la France médusée que Peter et Sloane et Cookie Dingler étaient devant Scorpions et Stevie Wonder au classement des 45 tours n’est pas totalement mauvaise, et cette parenthèse enchantée où Sardou chantait les deux écoles et Isabelle se noyait dans son pull marine nous ramène dans les limbes. En ce jour anniversaire, je veux avoir une pensée et verser une larme pour Martine Mauléon disparue en 2003 qui nous parlait déjà de la crise de l’emploi et tentait de « réindustrialiser » nos campagnes.

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Elon Musk, Deus ex machina

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Elon Musk au meeting de campagne de Donald Trump à Butler, Pennsylvanie, 5 octobre 2024 © Jasper Colt-USA TODAY NETWORK/Sipa USA

Déjà engagé dans la conquête spatiale, le développement des voitures électriques et l’IA, Elon Musk relève un nouveau défi : recaser à la Maison Blanche son super-héros Donald Trump. Comme dans les affaires, le militant le plus riche du monde bouscule tous les codes.


Le 5 octobre, Donald Trump tient meeting à Butler, en Pennsylvanie, là où en juillet il avait été blessé dans une tentative d’assassinat. Soudainement, un homme habillé comme un geek typique, la casquette de base-ball vissée sur la tête, saute sur scène, fait quelques bonds disgracieux avec les bras en l’air en signe de victoire, et vient se positionner devant le micro que Trump lui cède. C’est Elon Musk, l’homme le plus riche de la planète, qui vient apporter son soutien total à la candidature de l’ancien président. Il lance à la foule les paroles de défi scandées par Trump en juillet : « Fight, fight, fight! » (« Luttez, luttez, luttez ! ») avant d’annoncer, alarmiste, que cette élection pourrait être la dernière : « Le président Trump doit gagner pour préserver la Constitution, pour préserver la démocratie en Amérique. » À la différence d’autres milliardaires, Musk ne s’est pas contenté de donner plus de 118 millions de dollars à Donald Trump, il a personnellement fait campagne pour lui en organisant ses propres meetings dans l’État pivot de Pennsylvanie. Il a même inventé une astuce originale pour influencer les électeurs, en lançant une pétition pour soutenir les deux premiers amendements de la Constitution – sur la liberté d’expression et le droit de porter des armes – qui, selon Musk, sont menacés par le Parti démocrate. Chaque jour jusqu’au vote du 5 novembre, une loterie a été organisée parmi les citoyens signataires résidant dans un État pivot, le gagnant empochant un chèque d’un million de dollars. Le département de la Justice a écrit à Musk pour l’avertir que ce procédé pourrait être contraire à la loi électorale, mais plus rien ne semble arrêter le milliardaire que ses critiques accusent de se croire au-dessus des lois.

Dark MAGA

À Butler, Musk, pointant sa casquette frappée du slogan « Make America Great Again », qui n’était pas rouge mais noire, a proclamé : « Je ne suis pas seulement MAGA, je suis Dark MAGA ». « Dark MAGA » est un mème partagé depuis 2022 par des internautes ultra-trumpistes souhaitant le retour au pouvoir d’un Donald plus fort que jamais. Certains commentateurs n’ont pas manqué de flairer des relents d’extrême droite dans son esthétique visuelle – tirée des films Terminator. Mais Musk ne craint pas de flirter avec le complotisme, et « Dark Maga » marque surtout la force de son engagement pour Trump. Il représente aussi le côté sombre de son personnage, le double énigmatique qui, même aux pays des utopies capitalistes, sort de tous les cadres conventionnels.

Tout, chez Musk, est surdimensionné. Cinq jours après son intervention à Butler, il présentait les dernières inventions de Tesla : un taxi autonome, sans conducteur, et un robot polyvalent destiné à servir dans la maison, presque un sosie du C-3PO de la Guerre des étoiles, qui – à en croire le milliardaire – pourrait être commercialisé fin 2025 à un prix d’environ 20 000 dollars. Trois jours après, Musk a bluffé le monde entier quand la nouvelle fusée de SpaceX, Starship, est redescendue sur son pas de tir pour être attrapée par deux bras mécaniques – une étape importante dans le développement de son projet martien. Bien que né en Afrique du Sud en 1971, cet homme-orchestre de la technologie et des affaires est devenu un héros américain que Trump compare à Thomas Edison. Il a commencé sa carrière d’homme d’affaires, comme tant d’autres, dans la Silicon Valley, mais il a rapidement dépassé ce milieu par la diversité et l’ambition de ses projets. S’établissant aux États-Unis en 1992 (il devient citoyen américain en 2002), il abandonne un doctorat en physique à Stanford pour cofonder avec son frère une société qui développe des logiciels de guide touristique. L’entreprise est rachetée en 1999, lui permettant de créer une banque en ligne, X.com, qui fusionne avec une autre pour créer PayPal. Quand cette dernière est rachetée en 2002, Musk investit ses gains dans la création de SpaceX dont le but ultime est de coloniser Mars. L’entreprise se met à fabriquer des fusées partiellement réutilisables – la série des Falcon –, qui aujourd’hui ont permis de diviser par dix les coûts de l’accès à l’espace. À partir de 2006, SpaceX décroche des contrats avec la NASA pour desservir la station spatiale internationale et préparer de futures missions lunaires. Accomplissant ce dont l’État est incapable, écrasant la concurrence, SpaceX commence en 2019 à développer le fameux Starship, un lanceur entièrement réutilisable, capable de porter huit fois plus de poids que les Falcon et destiné à révolutionner encore les voyages spatiaux. Musk compte envoyer cinq vaisseaux sans équipage sur Mars en 2026 et des humains quatre ans plus tard. Pour l’instant, la vraie profitabilité de SpaceX vient de Starlink, l’immense réseau de satellites que ses fusées ont mis en orbite pour fournir un accès internet à des endroits isolés.

SpaceX teste son lanceur Starship depuis le site de lancement de Boca Chica au Texas, 7 juin 2024. Une nouvelle étape a été franchie le 13 octobre avec la capture inédite du booster par les bras mécaniques de la tour. SpaceX/UPI Photo via Newscom/SIPA

Tesla concurrencée par la concurrence chinoise de BYD

Son autre entreprise phare, Tesla, a été créée en 2003 pour produire des voitures électriques. L’année suivante, Musk, qui prend au sérieux le changement climatique, y investit et en devient l’actionnaire principal, avant de prendre la tête de la société en 2008. En 2021, la capitalisation boursière de Tesla atteint 1 000 milliards de dollars. Lancé en 2020, le crossover Model Y est devenu le véhicule électrique le plus vendu dans le monde. Néanmoins, Tesla est concurrencée par la marque chinoise BYD. Pour faire face, elle parie sur sa capacité à produire des véhicules autonomes moins chers, comme son cybertaxi. Les investisseurs restent confiants : en octobre, les actions Tesla ont augmenté de 22 %. Mais les ambitions de Musk ne s’arrêtent pas là. En 2016, il crée la Boring Company pour creuser des tunnels destinés à de nouveaux moyens de transports collectifs. Bien qu’il décrive le développement d’une intelligence artificielle superpuissante comme « la plus grande menace existentielle pour l’humanité » en 2014, il investit dans l’IA. En 2015, il cofonde OpenAI qui commercialise aujourd’hui des programmes comme ChatGPT. Il quitte le conseil d’administration en 2018, mais crée sa propre société xAI en 2023 pour concurrencer OpenAI et Google. Entretemps, il a lancé Neuralink en 2016 dont l’objectif est de développer des interfaces entre le cerveau humain et des ordinateurs grâce à des implants cérébraux. Il s’agit dans un premier temps de combattre des maladies neurodégénératives comme celle d’Alzheimer, mais dans un deuxième d’augmenter les capacités mentales de l’homme. Pourquoi cet intérêt pour l’IA dont il dit redouter le développement ? D’abord, ses voitures – surtout les autonomes – et ses fusées dépendent de systèmes IA. Ensuite il y a la FOMO (fear of missing out) – la peur de rater un coche technologique et commercial. Il croit aussi que, grâce à Neuralink, un être humain augmenté sera capable de tenir tête à une super-IA. Musk n’est pas un transhumaniste, comme l’affirment la plupart des médias français : il ne partage pas cette croyance répandue dans la Silicon Valley que le destin de l’homme est de devenir immortel en téléchargeant son esprit dans une machine. Du cerveau à l’espace, cet entrepreneur en série sous stéroïdes incarne plutôt un retour à l’imaginaire futuriste des années 1960, fondé sur l’ingénierie lourde plutôt que l’informatique. Pour devenir enfin une réalité, cet imaginaire avait besoin de la révolution numérique, mais aujourd’hui cette réalité la transcende.

Pourquoi un tel futuriste a-t-il jeté son dévolu sur Trump qui n’est pas un grand technophile et émet des doutes sur l’utilité des véhicules électriques ? Dans le passé, Musk s’est montré plutôt centriste. Il dit avoir voté pour Hillary Clinton en 2016 et Biden en 2020. Ses relations avec Trump ont connu des hauts et des bas, et les deux hommes ont parfois eu des prises de bec acrimonieuses. Après l’élection de Trump, Musk a participé à deux organes conseillant le président, mais en a démissionné en 2017 quand ce dernier a quitté l’accord de Paris sur le climat. Ce n’est qu’après la tentative d’assassinat en juillet dernier qu’il s’est pleinement engagé pour Trump.

La grande mue de Musk commence à l’époque du Covid, quand les autorités démocrates en Californie lui ordonnent de fermer les usines Tesla. Cette ingérence de l’État dans ses affaires le révolte. Musk n’est pas antivax, mais dénonce les confinements. En 2022, il annonce laisser tomber les démocrates qui sont le parti « de la division et de la haine », et soutiennent trop les syndicats. Comme l’indique cette dernière référence, Musk a des raisons économiques d’être trumpiste. Il accuse les syndicats de brider l’efficacité de ses entreprises. Ces dernières dépendent en partie de l’État qui leur a accordé des milliards de contrats et octroyé des crédits d’impôt au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Pourtant, Musk rechigne contre tout ce qu’il considère comme une réglementation excessive. Actuellement, ses sociétés font l’objet de plus de vingt enquêtes de la part de régulateurs gouvernementaux. Si Tesla mise sur ses véhicules autonomes moins chers, leurs systèmes de contrôle risquent d’avoir du mal à obtenir l’agrément du régulateur pour des questions de sécurité routière. Il serait donc très utile pour Musk d’avoir un ami ultralibéral à la Maison-Blanche. Trump et lui ont même parlé de sa nomination possible à la tête d’une commission sur l’efficacité gouvernementale. Les deux hommes partagent le même enthousiasme pour les cryptomonnaies qui, en contournant les banques centrales, représentent l’outil antiétatique par excellence.

Musk a aussi des raisons personnelles d’être pro-Trump. En 2022, il rachète Twitter, sa sixième entreprise, qu’il fusionne avec une nouvelle société pour créer X. Il l’a payée 44 milliards et elle n’en vaut aujourd’hui que 19, à la grande joie de ses ennemis de gauche. Mais cette acquisition est plus une manœuvre politique qu’un investissement économique. En effet, Musk se déclare le champion de la liberté d’expression et accuse la plateforme dans son avatar précédent d’avoir censuré les opinions et les internautes de droite. Il condamne comme « une faute morale » la décision de bannir Trump de Twitter en 2021 et il lève l’interdit. Il livre à des journalistes les « Twitter Papers », une sélection de documents censés prouver les tropismes politiques de l’ancienne direction. Le réseau, qui compte 202 millions d’abonnés, sert aujourd’hui de mégaphone personnel à Musk qui l’a rebaptisé de sa marque fétiche, « X ». Pour prouver que sa liberté d’expression passe avant tout, il envoie balader tous ceux qui voudraient le faire chanter en lui refusant des contrats de publicité : « Allez vous faire foutre ! » Il utilise X pour interpeller directement des politiques. Il a croisé le fer avec Thierry Breton cet été, quand ce dernier était encore commissaire au Marché intérieur de l’UE, et plus récemment avec Véra Jourovà, une vice-présidente sortante. Elle l’a qualifié de « promoteur du mal » et il l’a accusée d’incarner « le mal banal, bureaucratique ». Il s’est attaqué cet été au Premier ministre britannique Keir Starmer et à l’ancien leader écossais Humza Yousaf, qu’il accuse de racisme anti-Blancs. Il dénonce aussi l’immigration aux États-Unis qui, selon lui, est instrumentalisée par les démocrates, soucieux de se garantir de futurs électeurs. Sans surprise, la gauche traite Musk de raciste et l’accuse même de manier des tropes antisémites dans ses dénonciations de Justin Trudeau et George Soros. En réponse, il s’est dit « plutôt philosémite » et en novembre 2023, il a banni de X les termes « décolonisation » et « de la rivière à la mer ». Il est surtout contre le wokisme sous toutes ses formes, en partie pour des raisons très personnelles. En effet, un de ses fils, Xavier, né en 2004, a décidé en 2020 de devenir une femme transgenre. Elle est allée jusqu’à adopter officiellement le nom de sa mère, devenant Vivian Jenna Wilson en 2022, pour mettre le plus de distance entre elle et son père, qu’elle accuse d’avoir été absent et d’être un « fornicateur en série ». Musk prétend que s’il a autorisé le changement de genre, c’est qu’il avait été piégé par le « virus mental woke » et considère désormais comme « mort » ce fils qui « pense que tous les riches sont malfaisants ».

En devenant Dark Maga, Musk semble assumer d’être associé au Mal, peut-être parce qu’il affectionne les films de super-héros qu’il affectionne – il a même fait une apparition-éclair dans Iron Man 2 en 2010. Comme un super-vilain qui travaillerait pour le bien, il ne cherche rien de moins qu’à recréer l’État, le monde et l’humanité à sa propre image.

Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

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© Causeur

Découvrez le sommaire de notre numéro de novembre


Les relations franco-algériennes n’en finissent pas de ressembler à un concours de mauvaise foi, de mauvaise conscience et de mauvaise grâce. Plus de soixante ans après l’indépendance, il est temps qu’Alger et Paris fassent enfin (et vraiment) la paix. Afin de normaliser leurs relations, il faut que la France mette fin à sa propension à l’autoflagellation au sujet de la colonisation, tandis que, comme le disent Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques dans leur introduction à notre dossier, « il est temps que notre ancienne colonie devienne indépendante. Pour elle comme pour nous ». Mais « comment ne plus être l’otage d’Alger ? » C’est la question que pose Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie (de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020). Il propose des solutions pour que les deux pays établissent enfin une relation adulte, sans chantage affectif ni délire de persécution, afin de normaliser, voire banaliser, des rapports bilatéraux. Jusqu’ici, la politique de la repentance a coûté cher à la France. Malgré la tentative d’intimidation du gouvernement algérien, l’eurodéputée Sarah Knafo a décidé de révéler à combien s’élève l’addition. Se confiant à Élisabeth Lévy, elle affirme que, plus de soixante ans après l’indépendance, il est temps de divorcer pour de bon. Selon Driss Ghali, le pouvoir algérien n’a jamais cessé de cultiver le même ressentiment envers la France. Une intoxication mémorielle très utile pour faire oublier les errements de sa politique sociale et économique ; et pour culpabiliser les bonnes âmes françaises qui ne demandent qu’à faire repentance. 

Le numéro de novembre est disponible aujourd’hui dans le kiosque numérique, et demain chez votre marchand de journaux.

Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy nous parle de cette « Maison des mondes africains » que, « dans un esprit de réparation coloniale » (nous dit Libération), Emmanuel Macron a accepté de loger dans une aile de l’hôtel de la Monnaie à Paris, la plus vieille institution française encore en activité. Conclusion ? « Pour se faire pardonner son passé criminel, la vieille France raciste et colonialiste doit cesser d’exister et même faire oublier qu’elle a existé pour se vouer tout entière à l’Autre ». Faut-il canoniser Charles de Gaulle ?  Voilà la question que se pose Paul Thibaud. Le Général incarne la témérité mais n’a pas accompli de miracles. Comme Jeanne d’Arc, qui a pourtant été canonisée. L’Église pouvant faire des exceptions, elle pourrait ouvrir le « procès » en béatification de l’homme du 18-Juin, moins pour célébrer un exploit que pour défendre un modèle d’exigence.

MeToo, ça suffit ! Élisabeth Lévy déplore que ce mouvement ait libéré la furie des lyncheurs en ligne et des délateurs à carte de presse. La lourde condamnation de Nicolas Bedos en première instance prouve qu’un féminisme révolutionnaire, assoiffé de morts sociales et de bannissements, a désormais investi les palais de justice. Se confiant à Yannis Ezziadi et Élisabeth Lévy, Cyrille Eldin raconte l’histoire terrifiante qu’il a vécue avec son ex-compagne. Condamné pour « violences psychologiques » sur elle, l’ancien animateur-vedette de Canal+ est aujourd’hui séparé du fils qu’ils ont eu ensemble, au chômage et sans possibilité de travailler. En attendant l’appel de cette condamnation, il veut rétablir la vérité. Après la condamnation de Nicolas Bedos à un an de prison pour agression sexuelle (avec sursis probatoire de six mois), sa compagne Pauline Desmonts a dénoncé sur Instagram l’« injustice » d’une décision « tyrannique ». L’avocat pénaliste Randall Schwerdorffer, qui officie sur BFMTV, lui répond dans une lettre ouverte. Sa conclusion est alarmante : « Aujourd’hui, tous les hommes sont en danger face à ce lynchage permanent, à la violence des médias et parfois de la justice ». Caroline Fourest vient de publier Le Vertige MeToo aux éditions Grasset. Elle continue à approuver MeToo mais pointe la dérive fanatique de certains de ses zélateurs. Selon Yannis Ezziadi, c’est une nuance inadmissible pour les défenseurs de la cause : les néo-féministes et la presse comme-il-faut lui tombent dessus. Alerte : Caroline a viré à droite.  

En politique étrangère, constance et fermeté sont indispensables pour être respectés. Emmanuel Macron a enfreint cette règle élémentaire tout en démantelant la diplomatie française. Selon le journaliste Vincent Hervouët, s’entretenant avec Gil Mihaely, la « voix de la France » est devenue inaudible du Liban à l’Ukraine en passant par Bruxelles. Il affirme que « depuis qu’Emmanuel Macron est à l’Élysée, le Quai d’Orsay a perdu toute autorité au sein de l’administration ». Hillel Neuer, le directeur d’UN Watch, dont j’ai recueilli les propos, nous livre son témoignage d’expert sur les dérives de l’Organisation des nations unies. Israël vient d’interdire à l’UNRWA d’exercer ses activités sur son territoire. L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, notoirement corrompue par le Hamas, œuvre depuis sa création à délégitimer l’État hébreu, quand elle n’aide pas à le combattre. Selon Neuer, « chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix ».

Nos pages culture s’ouvrent sur un entretien avec l’écrivain Abel Quentin qui s’est confié à Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques. Dans son nouveau roman, Cabane, le prix de Flore 2021 brosse le portrait de quatre universitaires des années 1970 qui, grâce à l’informatique naissante, parviennent à mesurer les dangers écologiques de la croissance, et alertent sur la catastrophe à venir. Un récit passionnant et troublant, dont même les lecteurs climato-sceptiques ne sortiront pas indemnes. Georgia Ray s’est rendue à l’exposition Caillebotte au musée d’Orsay qui se révèle être une succession de chefs-d’œuvre. C’est aussi un concentré de bêtise. Le peintre de la vie bourgeoise au XIXe siècle est présenté comme le chantre de la déconstruction, venu « bousculer les stéréotypes de genre » en tentant d’« échapper à sa condition de riche rentier ». On s’émerveille et on rigole.

Au fil de ses livres et de ses articles dans Causeur, Thomas Morales célèbre la France d’hier, celle de sa jeunesse et des Trente glorieuses. Ses deux nouveaux recueils de chroniques, Les Bouquinistes et Tendre est la province, qu’a lus Philippe Lacoche, font la part belle aux souvenirs personnels et aux portraits littéraires. Emmanuel de Waresquiel, lui, dynamite les mythes. Selon le grand historien du XVIIIe siècle, se confiant à Vincent Roy, la Révolution française est encore bien vivante. Il suffit de voir comment ses « mythes noirs » sont instrumentalisés, de LFI aux JO de Paris. Son nouvel ouvrage (Il nous fallait des mythes, aux éditions Tallendier) remet les pendules à l’heure et démontre que la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés dès 1789.

Emmanuel Tresmontant nous recommande le Bistrot du Maquis à Montmartre. André Le Letty est passé par les meilleures maisons, de Bretagne et de Paris, avant de devenir citoyen de Montmartre et d’y ouvrir son propre restaurant où il mijote une cuisine traditionnelle tout en délicatesse et pleine de fraîcheur. Priorité est donnée aux produits de qualité, et aux prix bistrot ! De son côté, Jean Chauvet nous recommande pour le mois de novembre un film d’animation digne de ce nom et trois films du grand Ophüls en version restaurée.

Pour Ivan Rioufol, « la fin de règne des incapables a sonné ». Non contents de subir une libanisation accélérée de leur pays, les Français vont devoir payer pour les flambeurs qui ont endetté la nation pour acheter la paix sociale. Les faillis doivent partir. Et avec eux les idéologues de la post-nation. Enfin, Gilles-William Goldnadel lance un grand concours : il s’agit de célébrer le membre du Nouveau Front populaire qui se sera le plus distingué pour sa sottise, sa bassesse, son ignorance ou sa turpitude. La compétition s’annonce très serrée !

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L’âge de l’insulte

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© Patrick Sison/AP/SIPA

La campagne américaine a été marquée par les insultes. La démocratie américaine est-elle en danger ? La France est-elle, elle aussi, menacée par ce que les éditocrates nomment au choix « trumpisation » ou « polarisation » de la vie politique ? Pire, est-elle déjà gravement atteinte ?


À en croire la majorité des médias français, la campagne présidentielle américaine aurait opposé un Donald Trump déchaîné dans l’outrance et l’insulte à une gentille Kamala Harris respectueuse des usages… En langage d’éditorialiste, on parle de polarisation extrême dont M. Trump serait le seul responsable. Quant aux rares journalistes pro-Trump, ils nous servent un récit symétrique où le pauvre Trump est systématiquement attaqué et diffamé.
Soyons honnêtes : durant la période récente, c’est certainement M. Trump qui a normalisé l’insulte et l’affabulation en politique. Rappelez-vous de tous ses tweets (c’est au point que l’on parle désormais de « trumpisme »).  Mais, cette fois, ça a volé haut des deux côtés. Kamala Harris a traité Trump de « fasciste », d’ »inapte », de « dérangé ». Lui a répliqué par « communiste », « idiote », « attardée » ou « bête comme une pierre ». Donald Trump a aussi traité ses opposants d’ennemis de l’intérieur, et Porto-Rico a été comparé à une poubelle flottante lors de son meeting de New-York. Réponse de Biden à cette dernière outrance : les seules ordures que je voie, ce sont les électeurs de Trump. Bref : c’était l’école maternelle, et pas la mieux fréquentée.
Résultat des courses, selon 75% des Américains, leur démocratie est menacée. Ils ont raison. La démocratie, ce n’est pas seulement des procédures et des règles à respecter, mais aussi un état d’esprit ; le désaccord civilisé veut que l’autre soit légitime et appartienne à la même communauté politique que moi, et que j’accepte éventuellement sa victoire et son existence dans le même champ que moi. Quand des magasins se barricadent avant une élection, cet accord minimal pour le désaccord n’existe pas.

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On nous dit que nous n’en sommes pas encore là en France. Croyez-vous vraiment ? La veille du 2ème tour des législatives, c’était pourtant pareil à Paris. Des magasins étaient barricadés, car on attendait des troubles voire des émeutes en cas de victoire du Rassemblement national.
La « trumpisation », c’est-à-dire la montée aux extrêmes, a gagné la vie publique et l’Assemblée nationale. Les LFIstes traitent leurs adversaires de fascistes ou de racistes quotidiennement. Au-delà de l’insulte, le bobard, le mensonge conscient et l’affabulation sont frappants. Le Nouveau Front populaire raconte qu’on lui a volé l’élection, et donc que le gouvernement actuel n’est pas légitime. Lucie Castets a prétendu pendant des semaines être le choix du « groupe majoritaire » à l’Assemblée – un mensonge éhonté. Par ailleurs, même le discours sur le fameux front républicain durant l’entre deux tours relevait aussi du mensonge en bande organisée. Qui croyait vraiment à la menace fasciste ? Personne.
Comment expliquer cette montée aux extrêmes ? Tout d’abord, il faut rappeler la baisse générale du niveau d’éducation. Qu’attendre franchement d’un Louis Boyard ou d’une Ersilia Soudais ? C’est ce que j’appellerais la trumpisation par le haut.
Ensuite, le rôle des réseaux sociaux est immense. C’est la trumpisation par le bas. Nous sommes face à une force ravageuse de désocialisation. Les réseaux sociaux lèvent les inhibitions. Il n’y a plus de surmoi, c’est-à-dire plus de civilisation : on ne dit pas tout ce qui nous passe en permanence par la tête normalement. Eh bien derrière son clavier, si. La menace de mort est banale, presque naturelle ; l’adversaire devient un ennemi, donc tout est permis, y compris bien sûr la calomnie.
Ce climat dégoûtant navre beaucoup de Français. Il explique sûrement pour bonne partie le capital-sympathie de Michel Barnier, l’homme qui dit à Mathilde Panot qu’il la respecte malgré la grande agressivité de cette dernière.
N’en déplaise aux rebelles d’opérette, aujourd’hui, la bonne éducation est d’avant-garde et la courtoisie, révolutionnaire.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Quincy Jones, touche-à-tout de génie

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Quincy Jones au Radio City Music Hall à New York, 20 février 1991 © Susan Ragan/AP/SIPA

La disparition d’un géant du jazz


Trompettiste américain, compositeur, producteur de jazz, Quincy Jones vient de mourir le 3 novembre, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Cette disparition a suscité une émotion dans le monde entier et un hommage unanime, par-delà les styles et les tendances – fait assez rare pour être souligné. Chez nous, une chaîne de radio comme France-Musique a bouleversé ses programmes pour lui rendre un hommage mérité. Semblable réflexe à la télévision où la chaîne C8 a ressorti des documents inédits, parmi lesquels une rencontre historique avec Charles Aznavour.

28 Grammy Awards !

Une telle mobilisation médiatique s’explique par le fait que la renommée de ce Chicagoan excède largement le seul domaine du jazz. Son talent, qui lui valut quelque quatre-vingt nominations dont vingt-huit victoires aux Grammy Awards, sans compter un Grammy Legend Award en 1992, était assez étendu pour rallier les suffrages les plus divers. Ancien élève du fameux Berklee College of Music de Boston, il se révèlera un trompettiste des plus honorables. C’est, toutefois, outre sa capacité d’adaptation aux courants novateurs du jazz, tels la bossa nova, ses dons d’arrangeur et de compositeur qui le propulseront vers les sommets. Sa collaboration, dans les années 80, avec l’ingénieur du son Bruce Swedien et Michaël Jackson déboucha sur des albums qui restent dans toutes les mémoires.

Sans retracer dans le détail une carrière entamée comme trompettiste dans l’orchestre de Lionel Hampton, poursuivie comme arrangeur auprès de musiciens les plus divers, de Sarah Vaughan à Dizzy Gillespie en passant par Count Basie ou Miles Davis, on retiendra, outre ses tournées dans le monde entier au sein de diverses formations, son séjour à Paris, à la fin des années 50. Il y poursuivra des études auprès de Nadia Boulanger, alors directrice du conservatoire américain de Fontainebleau. Il sera ainsi conduit à travailler avec Jacques Brel, Henri Salvador et Charles Aznavour, tandis que Les Double Six enregistreront un album consacré à ses compositions. Depuis cette période, il gardera toujours une certaine affection pour notre pays.

Son sens des affaires conduisit enfin Quincy Jones à fonder plusieurs sociétés productrices de films de cinéma et de télévision, de pièces de théâtre, tout cela aboutissant à la création de son propre label, Qwest records, en 2017.

Une activité à donner le tournis

La première leçon à tirer d’une telle carrière, c’est que l’art ignore les frontières et se joue des tabous. Si la société des Etats-Unis, voire l’Occident tout entier, avaient été, au XXe siècle, aussi ségrégationnistes, aussi racistes que le prétendent leurs actuels dénonciateurs, jamais un tel parcours, une telle réussite n’eussent été envisageables.

Le second enseignement, et là réside sans doute une clé essentielle, c’est l’ouverture d’esprit qui a permis à Quincy Jones de franchir toutes les barrières de genre et de style. Mieux encore, d’anticiper les évolutions d’une musique qu’il aura largement contribué à enrichir. Son génie des affaires a fait le reste. Qui pourrait le lui reprocher ?

À Valence, la crise politique aggrave la catastrophe climatique

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Catarroja (sud de Valence), Espagne, lundi 4 novembre 2024 © Manu Fernandez/AP/SIPA

La catastrophe naturelle valencienne met à nu pour la énième fois la jungle institutionnelle et administrative espagnole, où le système des communautés autonomes (issu d’un processus de décentralisation débuté à la fin des années 70) est tellement flou que plus personne ne sait très bien ce qui est du ressort des uns et des autres.


Les images du dimanche 3 novembre 2024 à Paiporta, bourgade de 27 000 habitants située dans la banlieue de Valence (Est de l’Espagne), ont fait le tour des médias internationaux. Dévastée par les pluies torrentielles qui sont tombées sur la région quelques jours auparavant, la commune accueille ce jour-là une délégation composée du président du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sánchez, et du président régional valencien, le conservateur Carlos Mazón. Ils accompagnent tous deux le couple royal, Philippe vi et Letizia, qui se rend pour la première fois sur les lieux. Cette ville est un des épicentres de la « goutte froide » qui a aussi ravagé Picaña, Sedaví, Alfafar, Benetúser, Masanasa et Catarroja, dans la comarque de la Huerta Sur.

Un cortège pris à partie

À son arrivée, le cortège est la cible d’insultes ainsi que de jets de boue et d’objets divers de la part des habitants. Excédés, épuisés, s’estimant abandonnés par les autorités, pleurant leurs morts, cherchant désespérément les disparus, déblayant les rues avec l’aide de dizaines de bénévoles, les locaux voient rouge. La tension monte à Paiporta et Pedro Sánchez prend le large, craignant pour son intégrité physique. Pour leur part, le roi et la reine décident de rompre le cordon policier et de se rendre au contact des paiportinos, qui vident leur sac, s’énervent, supplient, exigent la démission de Sánchez et Mazón, expliquent qu’ils ont tout perdu (logement, véhicule, entreprise ou commerce). Letizia, qui a reçu de la boue sur le visage, serre des femmes dans ses bras et s’effondre en larmes avec elles. Plusieurs habitants s’excusent : « Ce n’était pas pour vous, ce n’était pas pour vous ! ». La plupart des gens présents, indignés et à bout de nerfs, ont voulu manifester leur profonde colère alors que plus de 200 morts et des centaines (voire des milliers) de personnes manquant à l’appel nourrissent leur chagrin.

Contrairement à ce que les journaux télévisés et quotidiens de nombreux pays ont laissé entendre, ni Philippe vi, ni Letizia n’étaient réellement la cible des manifestants. Ces derniers ont pu perdre leur calme face au couple royal mais ils avaient avant tout besoin d’être écoutés. Ils ont vécu une journée d’enfer, puis des heures d’incertitude et de travail harassant pour nettoyer maisons, appartements et rues. Le chef d’État et son épouse restent un certain temps sur place et, bien qu’ils doivent remettre à plus tard leur visite à Chiva, ils repartent grandis de ce douloureux épisode. C’est bien davantage le monde politique espagnol qui est dans le collimateur des paiportinos.

L’AEMET dans la tourmente

Même si elle est localisée, la tragédie de la Huerta Sur a une résonance nationale en raison du nombre de victimes et des discussions qu’elle entraîne. D’un côté, le réchauffement climatique a très certainement joué un rôle car la chaleur toujours plus élevée de la mer Méditerranée déclenche des gouttes froides d’une rare violence. De l’autre, le phénomène n’est pas nouveau, loin de là. La ville même de Valence, épargnée en octobre 2024, avait été submergée sensiblement à la même période en 1957, lorsque le Turia avait débordé de son lit.

Cette fois-ci, cependant, les autorités sont en cause. Beaucoup accusent Carlos Mazón et le gouvernement régional d’avoir réagi tardivement et d’avoir transmis les avertissements automatiques par SMS alors même que l’eau engloutissait déjà les villes. Bien d’autres pointent du doigt l’AEMET (équivalent espagnol de Météo France), qui avait annoncé l’événement pluvieux tout en n’anticipant pas suffisamment sa gravité. Nombreux sont aussi ceux qui reprochent à Pedro Sánchez d’avoir laissé les dirigeants valenciens se débrouiller seuls pendant plusieurs jours avant d’envoyer des effectifs militaires… un peu tard. Au milieu, les habitants de la Huerta Sur ont été privés d’électricité et d’eau pendant plusieurs jours, constatant le chaos qui s’était emparé de leurs communes.

Pendant une semaine au moins, droite et gauche espagnoles confondues ont rejeté la faute l’une sur l’autre. Chaque échelon administratif a juré qu’il ne pouvait agir qu’avec l’aide ou l’accord d’autres responsables, que ce soit à Madrid ou à Valence. Si la scène est bien connue dans d’autres pays (dont la France), elle prend une tournure particulièrement dramatique au vu des conséquences. Plus encore, elle met à nu pour la énième fois la jungle institutionnelle et administrative espagnole, où le système des communautés autonomes (issu d’un processus de décentralisation débuté à la fin des années 70) est tellement flou que plus personne ne sait très bien ce qui est du ressort des uns et des autres. Le dôme froid de l’automne 2024 (qui a aussi touché une partie de la Castille, de la Catalogne, des Baléares et de l’Andalousie) n’est qu’un exemple supplémentaire d’une situation tantôt ubuesque, tantôt alarmante.

La crise séparatiste catalane avait déjà porté un énorme coup à la crédibilité de l’organisation institutionnelle espagnole. Dans un autre registre, la catastrophe valencienne de cette année enfonce le clou, alors que la polarisation idéologique est à son comble.

La détestation que suscite Pedro Sánchez dans une large frange de la société est renforcée par ses manières, que certains trouvent méprisantes et autoritaires. Ses alliances controversées avec les sécessionnistes catalans et basques achèvent de dresser le portrait d’un homme qui semble n’avoir aucune limite à partir du moment où sa survie politique est en jeu. Il a pourtant ses partisans, qui voient en lui le seul rempart contre une droite qu’ils jugent fascisante (pour ce qui est de Vox, troisième formation du pays) ou vendue aux forces réactionnaires (dans le cas du Parti populaire, présidé par le très compassé Alberto Núñez Feijóo, chef de l’opposition).

Ainsi donc, si la reprise économique post-pandémie semble vigoureuse et place notre voisin ibérique dans le peloton de tête des puissances dynamiques de l’UE, le débat public s’avère éminemment crispé.

La politique écologique en ligne de mire

La goutte froide de Paiporta, Chiva et autres communes adjacentes relance aussi les débats sur les mesures qu’il conviendrait de prendre face au réchauffement planétaire. Socialistes et gauche « radicale » se positionnent en pionniers dans le domaine. Ils défendent ainsi davantage de taxes sur les grandes entreprises (notamment celles du secteur de l’énergie) ou encore la mise en place des zones à faibles émissions dans toutes les communes de plus de 50 000 habitants.

Ils promeuvent également la destruction de bon nombre de retenues d’eau, souvent modestes en taille mais que les milieux ruraux estiment indispensables à leur approvisionnement et leur production agricole. Pour cette partie du spectre idéologique espagnol, il faut rompre avec les politiques hydriques du passé, menées à bien tant par la Restauration (1874-1931) que par la Seconde République (1931-1939) et la dictature franquiste (1939-1975). En d’autres termes, les représentants de la gauche veulent réduire la consommation d’eau du pays (notamment dans le secteur primaire et le monde du tourisme), laisser les cours d’eau vaquer à leur « vie naturelle » et cesser les transferts d’« or bleu » entre régions. Ils critiquent dans le même mouvement la politique d’urbanisme pratiquée depuis des décennies outre-Pyrénées, alors que 700 000 citoyens vivent dans des zones menacées par les crues.

La droite, de son côté, s’insurge contre un programme qu’elle estime mortel pour les intérêts du pays et pour sa souveraineté alimentaire. Elle cite en exemple le Plan Sud (1958-1973), organisé par le franquisme après la gran riada de 1957 à Valence. Entre Cuart de Poblet et la mer Méditerranée, le cours du Turia prend un détour artificiel afin de protéger la troisième ville la plus peuplée d’Espagne. Parti populaire et Vox rappellent dans la foulée que le barrage de Forata, inauguré en 1969 sur le Magro (affluent du fleuve Júcar, qui passe au sud de l’agglomération valencienne), a évité des dégâts plus massifs au mois d’octobre en retenant 37 millions de litres d’eau tombée du ciel. Les deux grands partis de droite exigent enfin que la loi interdisant le nettoyage des sous-bois et des vallées, soutenue par la gauche, soit abrogée. Les troncs, branches et débris accumulés dans le sillage de plusieurs cours d’eau et charriés par la crue ont effectivement constitué autant de pièges mortels pour la Huerta Sur.

Alors que la polémique fait rage, la Cour des Comptes espagnole semble aller dans le sens d’Alberto Núñez Feijóo et Santiago Abascal (président de Vox). De fait, elle n’a cessé de rappeler ces dernières années que les investissements manquaient pour entretenir les infrastructures gérées par la Confédération hydrographique du Júcar (mais aussi par celle du Guadalquivir, en Andalousie, et celle du Segura, dans la Région de Murcie et le sud de la Communauté de Valence).

Alors que les secours s’attaquent désormais aux recherches dans les garages privés et les parkings publics de l’agglomération de Valence (en particulier celui de Bonaire, dont on craint qu’il ne soit plus qu’un immense cimetière sous l’eau), la controverse n’est pas près de s’éteindre.

Rendez la Monnaie!

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La journaliste Elisabeth Lévy © Eric Fougère

L’éditorial de novembre d’Elisabeth Lévy


Il paraît qu’Emmanuel Macron est très soucieux de la trace qu’il laissera dans l’Histoire. Des esprits chagrins insinueront qu’il y restera comme le président qui a battu les records d’endettement ou celui qui a réussi à enfermer les Français chez eux – cela expliquant ceci car il a bien fallu sortir le chéquier pour que nous acceptions de passer nos jours devant Netflix. D’autres, taquins, se demanderont s’il ne sera pas éternellement le prédécesseur de Marine Le Pen (ou d’un autre méchant). C’est injuste. Le président a aussi de grands projets culturels. L’ultime legs de son décennat sera certainement la « Maison des mondes africains » – dans le jargon de l’inclusivité, tout est au pluriel : les cultures, les Afrique, les France, seul le racisme n’a qu’une adresse. Je me demande quel crâne d’œuf a trouvé judicieux de baptiser ce projet MansA, nom dont la presse explique avec ravissement qu’il résulte d’une « hybridation entre mansio, “habitation” en latin, et Mansa Moussa, souverain malien du xive siècle ». Mansio et Moussa, ça parlera certainement au cœur des Africains.

Le MansA n’a pas vocation à émerveiller mais à faire penser et bien penser. Ce projet, apprend-on dans Libération, est « porté par le président dans un esprit de réparation coloniale ». Nous y voilà. Sa future directrice, la journaliste franco-sénégalaise Élisabeth Gomis promet de « bâtir un lieu d’échange autour de la question des répercussions de l’histoire coloniale dans la société contemporaine ». Le MansA « va décloisonner, faire de la culture pour tous, parler de colonial et de décolonial dans un lieu hybride. » Il était temps vu que, dans notre pays, personne n’ose jamais parler de colonial et de décolonial. Certes, ce galimatias, omniprésent dans les universités et les médias, est aussi le credo du Musée national de l’histoire de l’immigration, dont l’imam caché, Patrick Boucheron, veut défranciser l’histoire de France. Rappelons que, pour sa réouverture, ce musée s’était offert une campagne avec Louis XIV comme symbole des étrangers qui ont fait la France – sans rire. Si j’étais réac, je vous dirais que, la repentance, il y a déjà une maison pour ça.

Nous n’avons pas dû assez expier, car il nous en faut une deuxième. Mais ce n’est pas tout. Comme il n’a pas les moyens de s’offrir sa pyramide du Louvre, Emmanuel Macron a accepté la proposition de Rachida Dati de loger son bidule africain dans une aile de l’hôtel de la Monnaie à Paris, qui bénéficiera pour cela de réaménagements et, ce qui est plus inquiétant, d’un « geste architectural ajouté en façade ». Créée en 864 la Monnaie de Paris est la plus vieille institution française encore en activité et sans doute la plus vieille entreprise du monde. Le bâtiment, sis sur la rive gauche de la Seine, a été inauguré en 1775, aussi une journaliste de Beaux Arts observe-t-elle avec ravissement qu’on « parlera de décolonisation au sein d’un riche symbole de pouvoir né à l’époque coloniale ». Le message est limpide. Pour se faire pardonner son passé criminel, la vieille France raciste et colonialiste doit cesser d’exister et même faire oublier qu’elle a existé pour se vouer tout entière à l’Autre. D’ailleurs, c’est peut-être la seule cohérence d’Emmanuel Macron, sa véritable colonne vertébrale : pour lui, les nations ont fait leur temps. Place à la partouze des cultures !

Le plus rigolo, c’est que c’est la dissolution qui a sauvé cette belle initiative. Le ministère de la Culture avait lâché l’affaire, mais s’est de nouveau engagé face à la menace d’une arrivée au pouvoir du RN. S’il s’agit de lutter contre le fascisme, on s’incline. Du reste, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? S’il veut frapper un grand coup et montrer au monde entier que la France est prête à abjurer son passé, Emmanuel Macron doit frapper un grand coup et lancer la transformation de Notre-Dame en mosquée. Après tout, on pourra quand même faire payer l’entrée.

Trump, champion du politiquement incorrect

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Donald Trump à Grand Rapids, Michigan, 5 novembre 2024 © Evan Vucci/AP/SIPA

La victoire de Trump serait révolutionnaire, selon notre chroniqueur. Si la personnalité extravagante du candidat républicain heurte une majorité de Français, beaucoup de citoyens engagés dans la « guerre culturelle » contre le wokisme, ou simplement inquiets de la disparition des peuples, ne sont pas insensibles aux propos du milliardaire américain. Voici pourquoi.


La gauche ? C’est le refuge des puissants et l’obstacle à la révolte des opprimés. Cette inversion des rôles, qui rend la droite dépositaire de la question sociale, se lit aux Etats-Unis comme en France. C’est pourquoi la perspective d’une réélection de Donald Trump, à l’issue du scrutin de mardi, est déjà un désaveu pour les « progressistes », confrontés à leur trahison des faibles. Des deux côtés de l’Atlantique, les maîtres de ballet crachent les mêmes insultes sur le peuple qui refuse d’obéir. Quand L’Humanité titre : « Le péril fasciste » sous la photo de Trump, Kamala Harris soutient semblablement : « Oui, nous pouvons le dire, la vision de Donald Trump est celle du fascisme ». Quand Joe Biden laisse échapper son mépris pour les électeurs républicains en les comparant à des « ordures », Alain Minc les qualifie de « sous-développés ». Ce même promoteur de la « mondialisation heureuse » avait dit en 2016, parlant du référendum britannique approuvant le Brexit : « Ce référendum n’est pas la victoire d’un peuple sur les élites mais celle de gens peu formés sur des gens éduqués ». La gauche américaine partage avec la gauche française une même répulsion pour les « ploucs », ces damnés qui n’entendent rien aux certitudes des experts en chaises longues. Ces prétendus humanistes n’ont aucune empathie pour la classe moyenne. D’ailleurs, l’électorat de Trump ne se réduit pas à la seule sociologie des « petits blancs » déclassés. Non content d’avoir été rejoint par d’anciens démocrates comme Robert Kennedy et Elon Musk, Trump attire davantage parmi les minorités, hispaniques et noires. Certes, ces électeurs votent encore majoritairement démocrate. Mais beaucoup n’en peuvent plus d’un système bureaucratique et oligarchique qui se paye de mots et oublie de regarder comment vivent les pauvres. Bref, une victoire de Trump serait une heureuse sanction contre ceux qui se disent démocrates mais hurlent au populisme – voire au fascisme – quand les gens leur tournent le dos.

La délivrance idéologique est à portée de mains. Le politiquement correct, déjà ébranlé par le trumpisme d’atmosphère qui imprègne les États-Unis depuis 2016 et la première élection surprise, peut s’effondrer. Ce système étouffant de la pensée autorisée est aussi oppressif aux États-Unis qu’en France. En ce sens, la victoire de Trump serait révolutionnaire. La personnalité extravagante du candidat, qui heurte en France, n’est plus un obstacle pour l’écarter du pouvoir. Une partie de la Silicon Valley et de Wall Street s’est laissée convaincre par le pragmatisme trumpien, sa culture de la transaction, son rejet du wokisme totalitaire, sa défense de la liberté d’expression, son opposition aux guerres attisées par le complexe militaro-industriel, sa défiance vis-à-vis de Big Pharma et de son scientisme rémunérateur.

Trump ne brille pas par ses analyses ni par sa subtilité. Cependant, il est le symptôme plus complexe d’une rupture avec le mondialisme. Or, en France comme aux États-Unis, la gauche se montre incapable de penser la nouvelle vague politique autrement qu’un invectivant ceux qui prônent le retour aux frontières et aux protections. Pour avoir caricaturé les alertes contre le « péril migratoire », le camp du Bien ne peut, en France, aligner que des banalités pour commenter l’envolée des « narco-racailles » (Bruno Retailleau) et des violences urbaines claniques, qui se sont multipliées ce week-end. Samedi, Libération tirait sur « Les morts évitables » en accusant les autorités espagnoles dans les inondations de Valence. Mais combien de morts évitables la gauche a-t-elle sur la conscience pour avoir menti sur le « vivre ensemble » ? Pour ces raisons, une victoire de Kamala Harris serait une mauvaise nouvelle pour les peuples qui ne veulent pas disparaître.

« Houris » et Kamel Daoud Prix Goncourt !

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Le Prix Goncourt 2024 a été attribué à Kamel Daoud pour son livre : "Houris" aux Editions Gallimard, le 4 novembre 2024, au Restaurant Drouant a Paris © ISA HARSIN/SIPA

Notre chroniqueur, qui dès le 6 septembre pronostiquait Kamel Daoud comme futur Prix Goncourt exulte : les jurés du plus beau Prix français, malgré les menaces du gouvernement algérien, ont couronné le très beau roman de l’écrivain français né dans la wilaya de Mostaganem, qui raconte les années de fer et de sang de la « décennie noire » (1990-2000), une évocation interdite au pays des militaires et des imams.


« Les jurés du Goncourt, qui ont sélectionné Houris dans leur première sélection, seraient bien avisés de donner à Kamel Daoud, couronné jadis pour le Goncourt du meilleur premier roman, un prix qui mettra en lumière ce que l’histoire officielle — celle qu’enseignent les manuels scolaires et, chez nous, les pédagogues qui refusent de parler de la traite saharienne ou des razzias opérées sur les côtes européennes — tente en vain de glisser sous le tapis de prière. »

Monsieur Brighelli ou Madame Irma ?

Ainsi concluais-je, début septembre, mon article sur le roman de Kamel Daoud, Houris. Je ne me donne pas une importance que je n’ai pas. Mais l’année dernière, j’avais contribué, autant que possible, à écarter cette buse d’Eric Reinhardt, auquel on promettait le Prix et qui est reparti avec son livre entre les jambes. Et cette année, j’ai pronostiqué la victoire de Kamel Daoud, qui est l’heureux élu. Gloire à lui !

Daoud avait eu, fin 2014, la consécration plus douteuse d’une fatwa émise par un imam salafiste : « Nous appelons le régime algérien à le condamner à mort publiquement, à cause de sa guerre contre Dieu, son Prophète, son livre, les musulmans et leurs pays. » À la suite de quoi, après que l’écrivain eut déposé plainte, ledit imam fut condamné à trois mois de prison et l’équivalent de 450€ d’amende — condamnation annulée en appel sous prétexte d’incompétence territoriale du tribunal. L’Algérie a avec la justice des relations difficiles.

Il est plus que temps que la France, au lieu de reconnaître les horreurs du colonialisme (pensez, nous avons inventé un pays qui n’existait pas, mis fin aux affrontements entre tribus, assaini un territoire dévoré de fièvres, définitivement renvoyé chez eux les Ottomans qui s’y étaient installé quelques siècles auparavant, construit des routes, des chemins de fer, des entreprises, labouré la terre, planté des vignes et des arbres fruitiers — que de crimes impardonnables…) mette fin à l’assistanat d’un pays qui nous coûte cher et qui nous abreuve d’injures. Qu’ils aillent se faire voir — et offrons-leur Benjamin Stora pour écrire leur guerre à leur manière, ils ne sont plus à quelques mensonges près.

Une belle leçon d’écriture

Pourtant, la France continue à s’humilier devant quelques poignées d’imams et de généraux nonagénaires et chamarrés comme des arbres de Noël. Elle s’excuse pour ceci, s’agenouille pour cela, promet de rendre les artefacts des uns, et de rembourser les autres pour les crimes commis contre les harkis. Le président de la République se rapproche du Maroc, c’est une bonne idée ; il aurait dû en profiter pour tirer un trait sur l’Algérie, et cesser de payer les retraites de gens morts depuis des lustres.

Lisez le roman de Kamel Daoud, il vous permettra de comprendre — je m’adresse ici à ceux qui n’étaient pas nés pendant la guerre dite d’indépendance — comment fonctionnent des islamistes dès qu’on leur tend les clefs du pouvoir. Et il vous donnera une très belle leçon d’écriture.

Le gouvernement algérien avait menacé par avance. Comme dit un journaliste bien informé : « À la veille de cette annonce, nos sources nous ont informé que les services d’Alger s’activent dans l’ombre en exerçant des pressions et des intimidations sournoises, directement sur les membres jury du Prix Goncourt et sur Kamel Daoud lui-même à l’heure où nous écrivons, dans le but de torpiller cette récompense. Nos sources nous ont signalé des intimidations et menaces qui vont des menaces diplomatiques discrètes à des messages anonymes, accusant l’auteur de trahison, de calomnie, et allant jusqu’à déterrer son passé supposé d’islamiste ou des allégations de violence conjugale. La machine à salir tourne à plein régime. » Ces gens-là croient qu’ils peuvent imposer à la France la censure qu’ils font régner chez eux. Eh bien, qu’ils gardent leur censure, leurs sables, leurs rues jonchées d’ordures et leurs revendications d’indemnités pour les crimes terroristes qu’ils ont perpétrés pendant des décennies.

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Purple Reine

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Mme Badenoch désignée chef des conservateurs britanniques, Westminster, Londres, 2 novembre 2024 © Mark Thomas/Shutterstock/SIPA

Une femme, un parti, une révolution ? Kemi Badenoch récupère un Parti conservateur en piteux état. Les premiers pas de cette femme d’origine nigériane à la tête de l’opposition sont scrutés de près outre-Manche. Portrait.


L’ascension de Kemi Badenoch à la tête des conservateurs britanniques constitue une étape marquante et historique dans le paysage politique du Royaume-Uni. À seulement 44 ans, elle devient la première femme noire à diriger un grand parti politique britannique, remportant un vote décisif contre Robert Jenrick lors d’une élection interne. Cette victoire ne se limite pas à briser des barrières ; elle s’inscrit dans un mouvement plus vaste, celui de l’émergence de députés conservateurs noirs et asiatiques qui ont récemment occupé des postes de responsabilité, tels que James Cleverly, Suella Braverman, Priti Patel et Sajid Javid. Rishi Sunak, battu aux élections de juillet, ne manquait pas de faire valoir sa fierté d’être le premier Premier ministre britannique d’origine asiatique. En 2023, Kemi Badenoch a osé déclarer la Grande-Bretagne comme « le meilleur pays au monde pour être noir », une affirmation qui a suscité l’enthousiasme des journaux de droite tout en déclenchant une avalanche de critiques de la part des experts progressistes. Pour les conservateurs, encore secoués par une défaite électorale majeure en juillet, cette élection revêt une importance particulière : ils viennent d’élire leur deuxième chef consécutif issu d’une minorité ethnique et leur quatrième femme à la tête du parti. Benjamin Disraeli, d’origine juive, devenu Premier ministre en 1868, représentait le premier dirigeant de minorité ethnique dans l’histoire du parti.

Aujourd’hui, Mme Badenoch ouvre une nouvelle voie, porteuse d’espoir et de diversité, inscrivant son nom dans les annales de l’histoire politique britannique.

Retour en arrière : la montée de Kemi Badenoch

En 2022, alors que le Parti conservateur traversait une période tumultueuse, Kemi Badenoch, alors âgée de 42 ans et ancienne ministre de l’Égalité, a décidé de se lancer dans la course à la direction du parti. Elle s’est retrouvée parmi cinq candidats, dont des figures plus établies comme l’ancien Premier ministre et chancelier, Rishi Sunak, et la ministre des Affaires étrangères Liz Truss. Avec le soutien notable de Michael Gove, Mme Badenoch a affirmé sa volonté de « dire la vérité » et de prôner un gouvernement resserré, signalant ainsi une rupture potentielle avec l’ère de Boris Johnson. Ce tournant a préparé le terrain pour son ascension, la menant aujourd’hui à être la première femme noire à diriger un grand parti politique britannique.

Parcours d’une pionnière aux racines multiples

Olukemi Olufunto Badenoch, née Adegoke un 2 janvier 1980 à Wimbledon, Londres, se dresse comme une figure singulière et puissante du paysage politique britannique, la première femme noire à gravir les échelons du Parti conservateur. Son histoire tisse le fil d’une identité façonnée par la diversité culturelle et la résilience, un destin intimement lié aux multiples lieux qu’elle a habités. Fille de Femi, médecin généraliste, et de Deyi, professeure de physiologie, elle est née d’un coup du sort : une simple visite médicale de sa mère au Royaume-Uni lui ouvre plus tard la voie à un passeport britannique. Ce privilège inattendu façonne sa vision du monde, lui permettant de trouver un juste équilibre entre ses racines nigérianes et son appartenance britannique.

Mme Badenoch grandit au croisement de Lagos et des États-Unis, héritant d’une perspective unique et d’un enracinement solide, qui la distinguent de ses pairs. Au Nigeria, elle fréquente l’International School de l’Université de Lagos, où elle se voit comme une écolière Yoruba de classe moyenne, apprenant à naviguer dans la complexité des cultures et des traditions. Cette enfance éclatée, faite de voyages et de contrastes, devient le terreau d’une personnalité capable de jongler avec aplomb entre des mondes divers, une qualité précieuse pour celle qui incarne désormais l’ascension des minorités au cœur du pouvoir britannique.

C’est donc avec un bagage riche d’influences multiples que Kemi Badenoch entame sa propre aventure en Grande-Bretagne.

De l’héritage nigérian à l’autonomie britannique

À 16 ans, poussée par les bouleversements politiques et économiques au Nigeria, elle retourne au Royaume-Uni, seule, avec la ferme intention de tracer sa route. Bien que sa famille soit de classe moyenne, son quotidien se distingue de celui des autres candidats conservateurs : elle doit travailler dans un McDonald’s tout en préparant ses Advanced Levels. Elle évoque cette expérience formatrice, une leçon de dignité du travail, comme un chapitre fondamental de sa jeunesse.

Elle poursuit des études en informatique à l’Université du Sussex, devient ingénieure logiciel chez Logica, puis décroche un diplôme de droit à Birkbeck College tout en travaillant. Elle évolue ensuite dans le secteur financier, devenant analyste systèmes à la Royal Bank of Scotland, puis directrice adjointe chez Coutts, la banque de la reine. En parallèle, elle prend les rênes du magazineconservateur The Spectator, forgeant ainsi sa carrière au sein de l’élite britannique.

Ses premiers pas sur la scène politique

Kemi Badenoch entre dans l’arène politique britannique en 2005, à seulement 25 ans, en rejoignant les rangs du Parti conservateur. Animée par une conviction profonde et une vision claire, elle tente sa chance à plusieurs élections locales et législatives dès 2010, sans succès initial. Mais chaque échec n’a fait qu’aiguiser sa détermination, et elle se prépare à marquer le paysage politique de son empreinte.

Fervente partisane du Brexit, Mme Badenoch perçoit la sortie de l’Union européenne comme une renaissance nationale, un retour à une autonomie dont elle admire la force. Lors de sa première élection en tant que députée en 2017, elle remporte haut la main la circonscription de Saffron Walden avec plus de 37 000 voix, une victoire éclatante qui la consacre au sein des conservateurs. Dans son discours inaugural, elle qualifie le vote du Brexit de « plus grand acte de confiance envers le Royaume-Uni » et revendique son héritage politique auprès des géants conservateurs, évoquant Winston Churchill et Margaret Thatcher comme ses modèles. Ce même mois, elle est invitée à rejoindre le comité influent des députés conservateurs, le Comité 1922, affirmant ainsi sa place parmi les voix montantes du parti.

Pour Mme Badenoch, entrer en politique n’est pas seulement une ambition : c’est un engagement viscéral pour un Royaume-Uni souverain, une foi inébranlable en un pays capable de s’élever par lui-même.

Pour Badenoch, les défis qui l’attendent sont d’autant plus complexes qu’elle doit non seulement relever le défi de diriger l’opposition, mais aussi restaurer la confiance des électeurs dans un contexte politique en mutation.

La route semée d’embûches vers la rédemption Conservatrice

L’attention de Kemi Badenoch se tourne désormais vers la manière d’affronter un gouvernement travailliste qui vient de présenter le plus important paquet d’augmentations d’impôts au Royaume-Uni depuis plus de 30 ans. Cependant, le chemin ne sera pas facile pour cette nouvelle leader conservatrice. Victorieuse dans une course à la direction acharnée, elle se retrouve désormais chargée d’unir un parti fracturé tout en dirigeant l’opposition contre Sir Keir Starmer. « Nous devons ramener ceux qui nous ont abandonnés », a-t-elle déclaré, soulignant l’importance vitale du Parti conservateur pour l’avenir du pays. « Pour être entendus, nous devons être honnêtes. »

Elle a également affirmé qu’il était « temps de se mettre au travail » pour « renouveler » le Parti conservateur. Dans ses propres mots, « le temps est venu de dire la vérité, de défendre nos principes, de planifier notre avenir, de repenser notre politique et notre façon de penser, et de donner à notre parti et à notre pays le nouveau départ qu’ils méritent. » Ce nouvel élan se heurte néanmoins à un contexte difficile : alors que Mme Badenoch devient la première femme noire à diriger un grand parti politique au Royaume-Uni, Keir Starmer, le Premier ministre travailliste, a qualifié cette avancée de « moment de fierté pour notre pays ». Pourtant, le scepticisme demeure. Ellie Reeves, présidente du Parti travailliste, a fait entendre sa voix : « L’élection à la direction du parti a été longue, mais une chose est sûre : les conservateurs n’ont rien appris depuis que le peuple britannique les a rejetés en masse en juillet. »

À ce stade, Kemi Badenoch se trouve à un carrefour, balançant entre un héritage chargé et des promesses d’innovation.

Saura-t-elle naviguer dans ces eaux tumultueuses et insuffler au Parti conservateur le souffle nouveau dont il a tant besoin ? Car à l’heure où le navire politique prend l’eau, un bon capitaine saura toujours tirer parti des vents favorables pour redresser la barre, même dans les tempêtes les plus violentes. Est-elle prête à devenir le phare qui guidera son parti à travers cette nuit politique incertaine ?

Canal plus, comme un air de campagne…

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Antoine de Caunes alias "Didier l'embrouille", sur le plateau de l'émission de Philippe Gildas. DR.

Monsieur Nostalgie se souvient du lancement de Canal Plus, il y a, jour pour jour, 40 ans. À l’origine, le canal 4 n’était pas cette chaîne critiquée comme trop « parisienne » par la suite, révèle-t-il.


Le logo de la chaine de 1984 à 1995.

Les historiens s’écharpent sur le point de bascule. À partir de quand, « l’esprit Canal » insufflé par Alain De Greef, tête chercheuse du PAF, est retombé comme un soufflé au fromage. Un jour, il n’a plus fait rire. Il a même commencé à sacrément agacer par son impunité médiatique et son insolence moralisatrice. Il s’est mué en un arbitre du bon goût et en baromètre d’une liberté d’expression à sens unique. De la maison de toutes les audaces au grand gloubi-boulga globalisé. Tout ça semble si loin, aujourd’hui, l’irrévérence et le ricanement ont fait leur temps, et n’amusent plus que quelques passéistes à bandes molletières.

Un 4 novembre 1984…

Notre pays a traversé une crise d’identité et une perte totale de ses repères en quarante ans. La France a tourné le dos au second degré. L’humour segmenté est devenu un nouveau casernement de la pensée. Il est communautaire et parcellaire. On ne rit plus ensemble mais contre quelqu’un. Si « l’esprit Canal » s’est dilué dans une mondialisation faussement émancipatrice, nous n’oublierons pas ses débuts, en novembre 1984. Nous avions dix ans au lancement de la première chaîne payante qui inventait le décodeur et le porno à domicile, le foot par abonnement et les nouveautés cinéma dans son canapé. Dans les campagnes, un réseau parallèle de décodeurs bricolés au fer à souder dans les garages florissait et le film interdit au moins de 18 ans du samedi soir motivait l’ingéniosité des adolescents en rut. De la passoire aux spasmes cathodiques, la pamoison ne tenait qu’à un fil d’antenne. Pour la première fois, nous avions accès au basket américain et aux matchs de boxe en direct. Et les programmes en clair auront été le meilleur produit d’appel pour débourser 120 francs par mois. Ne croyez pas que Canal était parisienne et élitiste ; au contraire, à son origine, elle était provinciale et populaire. Après quelques ajustements marketing, les responsables commerciaux ont compris que le salut de la chaîne passerait par les départements et les sous-préfectures, et non les CSP ++ comme on les apprenait au lycée en cours de sciences économiques. Ce sont les classes moyennes qui l’ont adoptée et ont adhéré à son projet potache.

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Secrets d’histoire

Je vous révèle aujourd’hui une vérité longtemps cachée par les salisseurs de mémoire. Canal Plus a été créée par des berrichons. Sans le Berry, point de Mademoiselle Agnès, de Didier L’embrouille, de gadgets foireux de Bonaldi ou de la Maxi-Tête de Sophie Favier. Aux manettes de ce canal historique, on retrouve la fine fleur des hommes du Centre de la France, du Cher et de l’Indre, Michel Denisot en monsieur loyal castelroussin, pas encore patron de la « Berrichonne » accompagné par un Gérard Depardieu parrain de l’événement qui, pour l’occasion, était venu faire la promotion de Rive droite, rive gauche de Philippe Labro, sorti le 31 octobre, soit quelques jours avant la mise en orbite de la 4ème chaîne. Sans oublier, la présence tutélaire de Philippe Gildas qui ne vient pas de nulle part. Le journaliste s’est toujours senti breton mais a passé toute son enfance à Bourges, à l’ombre la cathédrale Saint-Etienne. Et que dire enfin d’André Rousselet, le grand manitou de Canal Plus, taximan de Mitterrand, qui avait des attaches anciennes avec l’Indre, ne fut-il pas sous-préfet à Issoudun en 1953 ? Simone Veil, dont le mari était en stage à la préfecture de Châteauroux, a raconté leur escapade chez les antiquaires de la région quand les hauts fonctionnaires n’étaient pas accablés par une charge de travail excessive et des émeutes urbaines éruptives. Nos confrères de La Nouvelle République rapportaient les propos de Simone, en 2016 qui s’amusait de cette douce léthargie : « Drôle d’époque où les hauts fonctionnaires de la République bénéficiaient de temps libre ! ».

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Alors, même si on est parfois sévère avec les dérives modeuses et affranchies d’une chaîne qui s’est voulue prescriptrice et guide spirituelle de toute une génération, la première décennie de son existence nous ramène au temps des doudounes Chevignon et des jeans Liberto, du Top 50 à 18h45 et de Jean-Claude Bouttier nous initiant au noble art. Une époque où Marc Toesca annonçait à la France médusée que Peter et Sloane et Cookie Dingler étaient devant Scorpions et Stevie Wonder au classement des 45 tours n’est pas totalement mauvaise, et cette parenthèse enchantée où Sardou chantait les deux écoles et Isabelle se noyait dans son pull marine nous ramène dans les limbes. En ce jour anniversaire, je veux avoir une pensée et verser une larme pour Martine Mauléon disparue en 2003 qui nous parlait déjà de la crise de l’emploi et tentait de « réindustrialiser » nos campagnes.

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