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Nous avons perdu tout goût de la liberté, et cela ne date pas de la crise sanitaire!

Entretien avec l’essayiste Mathieu Slama, auteur de Adieu la liberté, essai sur la société disciplinaire (Presses de la Cité).



Gelés par la grande peur virale, nos esprits se figent. Prisonniers de la répétition automatique des gestes barrières, nos corps se robotisent. Masqués, les visages, autrefois sanctuaires inviolables de la personnalité, sont anonymisés, réduits à des yeux inquiets qui scrutent – certains appelant l’échange d’un regard, d’autres cachant l’âme d’un délateur.

Telle est la société “covidée” que décrit et rejette Mathieu Slama. Dans son dernier livre, Adieu Liberté, l’essayiste dresse non seulement un violent réquisitoire contre la politique sanitaire du gouvernement qu’il qualifie de disciplinaire, mais il dénonce aussi et surtout le consentement d’une large majorité de citoyens, qui a accepté ou plébiscité avec une docilité déconcertante des mesures de contrôle et de surveillance qui sont passées d’exceptionnelles à normatives. Hier, le peuple français était à l’avant garde de la liberté. Aujourd’hui, il est celui de la soumission volontaire à “l’idéologie du safe” et à un biopouvoir… Entretien.


Isabelle Marchandier. Des visages masqués devenus anonymes, des corps robotisés par la répétition de gestes barrières, une citoyenneté et une liberté conditionnées au statut vaccinal : a-t-on basculé dans une autre société ? 

Mathieu Slama. Si les racines de ce désastre viennent de plus loin, il est incontestable que la crise sanitaire a précipité notre basculement vers un nouveau modèle de société. Une société où la liberté cesse d’être un principe supérieur à tous les autres, une société où la liberté nous est accordée par le pouvoir en fonction de notre comportement, une société où l’ordre est la condition de la liberté, où les devoirs précèdent les droits (de l’aveu même du Président de la République !), où la morale remplace le droit. Une société, également, où l’individu s’efface devant le collectif, et où, au fond, tous nos principes républicains se retrouvent à l’envers, inversés. J’ai en tête un échange avec un grand spécialiste de droit public, défenseur reconnu des libertés publiques, qui affirmait, en défense des mesures sanitaires, que le principe même de la République est de mettre le collectif avant l’individu. Qu’une telle méprise vienne d’un juriste aussi capé montre bien l’ampleur de notre désarroi…

“Mesures de freinage”, “distanciation”, “gestes barrières”, “protocole”… jusqu’à la dernière trouvaille langagière en date, signée Olivier Véran, “la concordance” entre la carte d’identité et le passe vaccinal… Quel rôle joue cette novlangue ? 

Je suis convaincu que notre enfermement s’est d’abord joué sur le terrain de l’imaginaire et de la langue qui a, en quelque sorte, conditionné notre perception de la crise et donc notre acceptation des mesures prises. À partir du moment où la société toute entière reprend le lexique médical et scientifique, parle de « confinement » au lieu d’ « enfermement », euphémise les mesures les plus aberrantes en parlant de « mesures de freinage », alors nous sommes prêts à accepter l’inacceptable. Parler de « résilience », de « fragilité », de « vulnérabilité » etc. sous l’influence du pouvoir et de quelques intellectuels naïfs, revient à dépolitiser totalement la situation et à rendre les mesures les plus liberticides inéluctables. Et que dire du chantage à la « solidarité » et à la « responsabilité », mots martelés jour et nuit par le gouvernement pour culpabiliser les réfractaires (ce même gouvernement qui est responsable des mesures sociales les plus réactionnaires depuis des décennies…) ? Le langage a joué un rôle immense dans cette domestication des esprits et des corps, cela ne fait aucun doute. 

Face au terrorisme, on disait (à raison, selon moi) qu’il ne fallait rien céder sur nos valeurs. Mais face au virus, on a cédé sur tout…

Votre essai est aussi un coup de gueule adressé à nous, les citoyens qui avons consenti et même plébiscité les mesures restrictives de nos libertés sous prétexte sanitaire. « Nous fûmes jadis les avant-gardistes de la liberté ; nous avons été, dans cette crise, les avant-gardistes de la servitude » écrivez-vous en digne héritier de La Boétie. Comment peut-on se renier à ce point ? 

Je pense même qu’on peut aller plus loin : si le pouvoir a pris des mesures aussi liberticides et autoritaires, c’est parce qu’il y a eu une forte demande sociale pour ces mesures. Autrement dit : si les Français avaient été moins dociles, alors il ne fait aucun doute que le gouvernement aurait été plus prudent et moins autoritaire dans sa gestion de la crise. Rappelons qu’en janvier 2021, Emmanuel Macron prend la décision de ne pas reconfiner le pays en partie parce qu’il y a, dans l’opinion, un début de lassitude qui s’exprime. Nous sommes donc en partie responsables de ce qui nous est arrivé. On pourrait également évoquer la manière dont la délation s’est généralisée, la méfiance des uns vis-à-vis des autres, la manière dont le pays tout entier a fait des non-vaccinés les boucs émissaires de la crise… La pandémie a réveillé dans le pays des pulsions malsaines et grégaires. 

Preuve en est avec l’apparition d’une nouvelle figure, celle du citoyen policier, chargé d’être vigilant non seulement vis-à-vis de lui-même, mais aussi et surtout vis-à-vis des autres. « Soyez tous vigilants » : cette injonction permanente du pouvoir a quelque chose de très dérangeant, et pousse chacun à être le flic de l’autre. D’ailleurs, le fonctionnement même du passe implique que des citoyens ordinaires endossent le rôle de policier, vérifiant les QR code d’autres citoyens avec potentiellement des contrôles d’identité. Ce monde-là est effrayant. 

Vous écrivez qu’on a perdu le goût de la liberté et surtout le dégoût de la servitude. Peut-on dire qu’on a pris goût au contrôle ? 

Le fait que nous ayons perdu tout goût pour la liberté est un fait incontestable, et cela ne date pas de la crise sanitaire. Ce que cette crise a révélé en revanche, c’est la profondeur de ce mal et les conséquences désastreuses qu’il peut avoir sur notre démocratie. S’installe en France, pays de la liberté, ce que j’appelle une idéologie du « safe », c’est-à-dire un nouveau paradigme dans lequel les valeurs politiques essentielles sont la sécurité et la protection, tandis que la liberté devient non seulement secondaire mais aussi suspecte, dangereuse. Depuis quand la vie biologique est devenue l’alpha et l’omega de toute politique ? Depuis quand a-t-on abandonné l’idée qu’il y a des principes avec lesquels on ne transige pas, qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir, que la fin ne justifie pas tous les moyens ? Face au terrorisme, on disait (à raison) qu’il ne fallait rien céder sur nos valeurs. Mais face au virus, on a cédé sur tout. Et quand le Premier ministre tient en conférence de presse des propos comme « Le couvre-feu est maintenu jusqu’à nouvel ordre », tous les démocrates de ce pays devraient exprimer leur colère et leur révolte… Cela n’a pas été le cas !

Face à cette société disciplinaire qui a donc accepté de sacrifier la liberté sur l’autel de la sécurité, vous opposez la liberté absolue. Une liberté conditionnée à des injonctions sanitaires « se vide de sa substance” affirmez-vous carrément. Mais n’est-ce pas confondre la licence – je fais ce que je veux – et la liberté au sens être responsable des conséquences de ses actes ? 

Je pense qu’il n’y a pas de mal à être un peu libertaire et je pense même que c’est une nécessité dans le climat d’ordre et de discipline actuel. Je suis également très sceptique sur la formule « la liberté va avec la responsabilité » parce qu’elle revient souvent, dans la bouche de ceux qui la prononcent, à minimiser l’importance de la liberté et à justifier toutes les restrictions possibles et imaginables. La liberté n’a de bornes que la loi. Point. Un citoyen a des droits, ses seuls devoirs sont de respecter la loi. Et quand la loi empiète trop sur les libertés, alors il faut le dénoncer.

Certes, mais, de nouveau, que répondez-vous au discours rappelant cette vision collective de la liberté et qui serine à longueur de temps qu’une liberté individuelle qui nuit à la liberté des autres est irresponsable ? La liberté individuelle de ne pas se faire vacciner est-elle compatible avec un comportement citoyen et responsable ? 

Dire que le collectif est supérieur à l’individu est la marque des régimes autoritaires, qu’ils soient communistes ou réactionnaires. J’ajoute que toute liberté s’effectue au détriment de quelqu’un (une parole peut blesser quelqu’un, une mauvaise conduite peut provoquer un accident, une fête peut provoquer un cluster etc.)  : c’est ce désagrément lié à la liberté que notre société n’accepte plus. J’ajoute que la responsabilité, la vraie, consiste justement à faire confiance aux individus plutôt qu’à les contraindre et à normer les comportements !

Revenons tout simplement à ce qu’expliquait Rousseau dans le Contrat social : l’intérêt général doit se fonder sur un prérequis indispensable : l’adhésion rationnelle de chaque citoyen. Nous ne sommes pas des enfants, et nous sommes évidemment prêts à accepter des limitations de liberté quand elles sont proportionnées et rationnelles (port du casque, port de la ceinture etc.). Mais avec cette crise sanitaire, on parle de tout autre chose :  il s’agit de faire du pays entier une prison (confinement), d’imposer un masque permanent dans la rue, d’exclure de la vie sociale toute personne refusant la vaccination, alors même que le climat est très tendu et la cohésion sociale très abimée. La vraie irresponsabilité est là. 

Pour vous, la liberté absolue va-t-elle jusqu’à la désobéissance civile ? Ce serait l’anarchie !

Je ne pense pas que l’anarchie soit forcément une mauvaise chose en soi. Proudhon a d’ailleurs essayé de prouver qu’elle était consubstantielle à l’esprit de la République ! Je n’irai pas jusque-là, mais il y a un droit, pour chaque citoyen, d’adhérer et de consentir aux lois qui lui sont imposées, d’autant plus lorsqu’elles sont attentatoires à ses libertés fondamentales. Dans certaines situations, il faut savoir dire non. Mais j’insiste sur un point : dans une démocratie d’opinion comme la nôtre, nul besoin de désobéissance civile ! Un rejet massif d’une mesure dans l’opinion, des manifestations d’ampleur et d’autres actions indirectes peuvent suffire pour faire plier un gouvernement. Cela s’est vu à plusieurs reprises par le passé. Si une majorité de Français s’étaient levée contre le passe ; il ne fait aucun doute qu’Emmanuel Macron l’aurait supprimé. 

Hier, la guerre froide déclenchait des débats animés entre les intellectuels de gauche et de droite. C’était Sartre contre Aron. Aujourd’hui la « guerre sanitaire » a rendu presque mutiques les intellectuels à quelques rares exceptions. Le « sanitairement correct » a-t-il gagné tous les esprits? 

Les rares intellectuels à avoir compris ce qui se jouait dans cette crise sont deux représentants de la gauche critique héritée de Michel Foucault, l’intellectuel italien Giorgio Agamben et la philosophe Barbara Stiegler. Ce n’est pas un hasard. Les intellectuels marxistes se sont plantés, notamment parce que la politique sanitaire a été en partie communiste au sens où elle a instauré un ordre collectif au nom de la solidarité et de l’altruisme. D’où les errements de penseurs aussi importants que Badiou, Rancière, Zizek, Chomsky… Quant aux intellectuels de droite, eux, ils n’ont vu aucun problème à ce que l’état d’exception s’installe et que l’ordre et l’autorité s’imposent, puisque cela fait partie de leur logiciel ! D’autres intellectuels ont participé à la dépolitisation de la crise, évoquant pêle-mêle « Gaia qui respire », « Un autre monde est possible », « La respiration nécessaire ». Bref, toutes ces pensées naïves et creuses sont passées totalement à côté de l’immense problème que nous avions en face de nous.

Vous faites le parallèle entre le wokisme et le sanitarisme, entre les éveillés woke constamment offensés par la société jugée “systémiquement” discriminante et les « enfermistes » qui préfèrent vivre dans un bunker stérilisé. Les deux, dites-vous, sont animés par la même idéologie, l’idéologie du « safe ».  Comment la définissez-vous ?

Je vais vous surprendre, je pense que le mouvement woke pose certains constats très lucides sur la société française, sur la prévalence des discriminations et sur leur caractère systémique. Ce que je critique en revanche, c’est la réponse que ce mouvement apporte à ces problèmes majeurs. Une partie de la gauche, imitant sans s’en rendre compte les réflexes de la droite, est prise d’une frénésie autoritaire, punitive et je dirais même sécuritaire. Que fait le mouvement woke et ses avatars ? Il réclame des peines plus lourdes, une justice plus sévère, la fin de la présomption d’innocence et de la prescription, la censure, la fin de la libre parole et de la libre pensée etc. Il y a 40 ans, la gauche militait pour la liberté des mœurs, la fin des prisons et le démantèlement de la justice. C’est tout un esprit libertaire de gauche qui est en train de disparaître au profit d’un marxisme autoritaire mélangé à un puritanisme venu d’Amérique totalement étranger à notre culture républicaine.

 Et au fond, le mouvement woke comme l’hygiénisme tel qu’il s’est exprimé dans cette crise illustrent tout deux un même esprit du temps que je définis par l’idéologie du « safe ». On assiste en effet à l’avènement d’une société dans laquelle le nouveau paradigme dominant est la protection et la sécurité au détriment de la liberté. La droite ultra-sécuritaire et autoritaire participe de cette même idéologie, et c’est là où je pense que le vrai clivage aujourd’hui se situe entre partisans de l’ordre et partisans de la liberté. Et il dépasse largement le seul clivage droite-gauche. 

Ne craignez-vous pas que ce parti de la Liberté soit une coquille vide étant donné le consentement de la grande majorité des Français ? 

Oui, c’est une hypothèse très fragile. Je remarque que cette crise a dévoilé un clivage générationnel. Tous les sondages ont montré que globalement la jeunesse a été plus critique vis-à-vis des mesures sanitaires que leurs aînés qui ont plébiscité la société d’ordre et de discipline qui s’est installée. Pour beaucoup de jeunes, il y aura un avant et un après crise, au sens où ils ont vu ce que signifiait très concrètement un État autoritaire, comment il pouvait nous enfermer chez nous, nous empêcher de faire la fête, de voir nos proches etc. Ces jeunes l’ont vécu dans leur chair. Alors, peut-être que chez certains aura lieu une épiphanie et la révélation qu’une société de liberté est préférable à une société d’ordre. En réalité, c’est plus un souhait qu’un constat : mais pour moi, à titre personnel, le vrai combat est là. 

Adieu la liberté, c’est le titre funeste de votre essai.  Pourtant, cet adieu ne semble pas définitif : des parlementaires du RN et de LFI ont voté contre la loi sur le passe vaccinal, et n’oublions pas tous ceux que la presse désigne comme des antivax qui sont en majorité des anti-passes et crient ce mot de “liberté” qui vous tient à cœur dans leurs manifestations.  Diriez vous que la liberté a changé de camp ? 

Il se passe en effet une chose étrange, paradoxale, où les modérés et les libéraux défendent l’autoritarisme et les extrêmes défendent les libertés ! Je suis très critique sur cette extrême droite qui a selon moi exploité la crise de manière très opportuniste et a vu dans la défense des libertés un filon électoral. D’ailleurs, la plupart de ceux qui se font les résistants à l’ordre sanitaire aujourd’hui défendaient un confinement dur et autoritaire au début de la pandémie, ce qui est une réaction impossible quand on est réellement attaché aux libertés. L’extrême droite défend un État autoritaire et la sortie de l’État de droit : deux positions incompatibles, selon moi, avec la défense des libertés fondamentales. 

Concernant le parti de Jean-Luc Mélenchon, il a mis du temps à prendre position contre la politique sanitaire mais leur opposition à l’instauration du passe vaccinal a été exemplaire – et courageuse parce qu’ils n’avaient rien à gagner en faisant cela. J’y vois pour ma part l’influence de François Ruffin, qui est très proche de la philosophe Barbara Stiegler. 

Quant aux libéraux, il y aurait mille choses à dire sur la manière dont beaucoup d’entre eux ont trahi leurs idéaux, mais au fond cette crise a révélé qu’ils étaient bien plus préoccupés par la liberté d’entreprendre que par nos droits fondamentaux. 

Que répondez-vous à Emmanuel Macron qui veut “emmerder” les non-vaccinés et entend les traiter en citoyens de seconde zone ?

Que sa plus grande faute est d’encourager et de remuer les passions les plus tristes et les plus malsaines de notre société en vertu d’un médiocre calcul électoraliste. Qu’en encourageant la majorité à persécuter la minorité, il trahit non seulement sa fonction – mais tout notre héritage républicain dont il est pourtant le dépositaire. 

« Zone Interdite »: alors que nous tergiversons, les islamistes, eux, savent ce qu’ils veulent

Poupées pour enfants sans visage à Roubaix, écoles hors contrat à Marseille et ailleurs, restaurants non mixtes, fac de Bobigny: M6 a présenté hier un état des lieux alarmant de l’islamisation de la France. Eric Zemmour affirme ainsi qu’avec la ville de Roubaix, l’Afghanistan est désormais à 2 heures de Paris: « les us et coutumes de l’Afghanistan totalitaire prennent racine chez nous, sous le regard bienveillant des pouvoirs publics ». Élisabeth Lévy a également regardé cette émission consacrée à l’islamisation et à la lutte que l’État mène contre lui. Analyse.


M6 diffusait hier un document effrayant sur le séparatisme concret, dans « Zone interdite ».

Tous les gauchistes qui nient le réel en permanence devraient absolument le voir. La diffusion a déclenché un déluge numérique avec plus de 22 000 tweets évoquant le sujet à 23 heures.

Pas un phénomène nouveau, mais des images rares à la télévision

Dans un quartier de Roubaix, les jilbebs – de longues robes un peu informes – sont l’uniforme féminin et les librairies sont exclusivement islamiques. On y vend un guide conjugal expliquant que la bonne musulmane ne doit pas énerver son mari. Sinon quoi ? On ne le sait pas. Plus loin, un restaurant propose carrément des box fermés (!) pour que les femmes – qui sont « toutes voilées dans le quartier » selon le patron – puissent dîner sans voile et sans regards masculins.

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Mais au-delà de ces premières images, le plus inquiétant est la conquête des jeunes esprits par des moyens qui, d’ailleurs, sont souvent légaux. Un activiste le dit clairement dans le reportage : « Notre priorité, c’est l’éducation ». Toujours à Roubaix, une association de prétendu soutien scolaire endoctrinait ainsi la jeunesse avec la bienveillance de la mairie [1]. Dans certaines écoles, toujours à Roubaix ou bien à Marseille, les gosses sont soumis à une stricte non-mixité, parce qu’il faut leur inculquer « nos valeurs » pour l’avenir. 

La vision la plus terrible, du moins celle qui a fait le plus parler, c’est cette séquence des poupées, peluches et images pour enfants sans visage. L’interdiction de reproduire la création divine est invoquée… C’est peut-être le symbole le plus fort de ce séparatisme, car le visage, pour nous, pour notre civilisation, c’est la rencontre avec l’altérité, la première chose que l’on voit chez l’autre.

Encore un exemple ? À l’université de Bobigny, une jeune fille montre un endroit secret où prier tranquillement – alors que c’est interdit. Et enfin une étudiante en droit refuse d’enlever son voile malgré son désir ardent d’être avocate. Elle envisage de partir dans un pays plus ouvert, dit-elle. Désolé, mais ce n’est pas sûr qu’elle manquera à la France. 

Alors, ce constat terrible et ces phénomènes inquiétants présentés dans « Zone Interdite » sont-ils minoritaires ?

C’est ce qu’affirme d’emblée le commentaire: il y aurait seulement 90 000 fondamentalistes en France. 

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Certes, mais dans certains endroits perdus de la République, c’est 100%. Et il faut ensuite se demander quels adultes deviendront tous ces enfants élevés dans un ghetto mental volontaire ? Enfin, comme souvent, on voit que la frontière entre islam et islamisme est moins étanche qu’on ne le voudrait. Beaucoup de jeunes musulmans que l’on qualifierait volontiers de  modérés sont séduits par la chaleur communautaire, et plus encore, par le discours victimaire sans cesse ressassé : « L’État nous traque… Les Français ne nous aiment pas… ils sont contre l’islam… ». Même sans être observants religieusement, ces jeunes se séparent mentalement de reste la société. 

La journaliste de M6 interroge enfin le directeur d’un établissement hors contrat (qui abrite en plus une école totalement clandestine) sur la séparation des sexes. « Ce n’est pas la règle de vie en France, on n’est pas séparés » lui fait-elle remarquer. La réponse est cinglante : « Ce n’est pas la règle actuelle ». 

Pendant que nous tergiversons empêtrés dans notre souci du droit, notre volonté d’être « bienveillants » et notre peur d’être racistes, les islamistes, eux, savent ce qu’ils veulent.


Cette chronique a initialement été diffusée sur Sud Radio.

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy chaque matin à 8h10 dans la matinale.


[1] Le reportage nous apprenait qu’elle est depuis fermée et le maire poursuivi.

Notre-Dame des wokes

C’est un cadeau de Noël plus que douteux que le diocèse de Paris a offert à Notre-Dame. Le projet de réaménagement de la cathédrale, qui a reçu un premier avis favorable de la Commission du patrimoine, prévoit notamment de remiser mobilier et œuvres d’art du XIXe siècle pour faire entrer le street art et des projections lumineuses multilingues sous ses voûtes. Bisounours du monde entier, aimez-vous les uns les autres !


Ce sont les Anglais qui ont tiré les premiers. Fin novembre, un article du Daily Telegraph a révélé le projet de réaménagement intérieur de Notre-Dame de Paris en le qualifiant de « Disneyland politiquement correct ». On a alors commencé, de ce côté-ci de la Manche, à s’intéresser à ce que mijotait le diocèse de la capitale : une véritable opération wokiste. À en croire les plans du père Gilles Drouin, missionné pour piloter ce chantier par Mgr Michel Aupetit – qui a depuis démissionné pour d’autres raisons –, la cathédrale du xxie siècle semble devoir se muer en parc à thème, en lieu pédagogique et festif, ludique et régressif. Pour attirer les curieux, il prévoit des projections lumineuses de phrases bibliques en français, en chinois et en arabe sur les murs de 14 chapelles qui avaient été remodelées par Viollet-le-Duc. Celles-ci subiraient au passage de sérieuses transformations : la moitié d’entre elles seraient privées de leurs confessionnaux, remisés dans les tribunes, et leurs autels seraient totalement dépouillés de leurs candélabres, ostensoirs et autres sculptures dessinées par l’architecte. Place nette serait ainsi faite pour laisser l’art contemporain « dialoguer » avec les toiles des Mays, de Le Nain ou Le Brun. Des artistes vraisemblablement trop passéistes pour l’Église du futur. La « scénographie » de Notre-Dame s’enrichirait de créations d’Ernest Pignon-Ernest, d’Anselm Kiefer, de Louise Bourgeois et de quelques sommités du street-art qui manquent sérieusement à l’édifice depuis plus de huit siècles. Dans la foulée, les chapelles seraient également rebaptisées de façon thématique : « Foi et Raison », « la Mystique », « la Charité », « la Mission », « l’Espérance » et même « la Création réconciliée » ! L’éclairage de la nef varierait, quant à lui, « selon les jours » – et l’humeur du bedeau ? Afin de faciliter la pénétration des voies du Seigneur, il serait aussi envisagé de se débarrasser des immémoriales chaises en paille pour les remplacer par de confortables bancs dotés de « lumignons » afin de « créer un halo et de mieux inclure l’assemblée pendant les services religieux », lesquels bancs seraient, en outre, montés sur roulettes pour faciliter leur déplacement s’il fallait faire de la place. À quelle fin ? Pour un concert-électro-événement durant une Nuit blanche, ou pour transformer Notre-Dame en fan zone lors des JO, puisque 2024 est – depuis le début du chantier – la date fixée par les autorités pour sa réouverture au public ?

Conférence de presse du père Gilles Drouin, responsable du projet d’aménagement de la cathédrale, 15 octobre 2019. © Mario Fourmy / SIPA

Avis favorable

Que le diocèse fourmille d’idées merveilleuses pour ouvrir un « Christland destiné aux touristes » – selon l’historien de l’art Pierre-André Hélène – est une chose, que la commission nationale de l’architecture et du patrimoine les valide en est une autre, et c’est inquiétant. Ses 26 experts ont ainsi donné un avis favorable, début décembre, à ce projet de réaménagement en ne retoquant que deux points : les bancs lumineux et le déplacement des statues de Viollet-le-Duc. Selon un membre de la commission cité par Le Figaro, « le diocèse est libre de ses choix esthétiques mais la cathédrale réclame de la solennité ». Concernant les statues, il poursuit avec bon sens : « Elles ont été créées pour les chapelles au xixe siècle et on ne voit pas pourquoi les en sortir. » Le diocèse doit donc revoir partiellement sa copie, mais peut faire appel, s’il le souhaite, à Valérie Damidot pour relooker la déco car « l’Église est affectataire des lieux et dispose d’un libre choix ». Les experts ont toutefois formulé le vœu que la commande du nouveau mobilier liturgique soit faite auprès d’un seul artiste, pour des « raisons esthétiques ». Aucun nom n’a encore été annoncé, mais il se dit que Roselyne Bachelot est emballée par l’idée, et il se murmure qu’Emmanuel Macron aussi. Pour qui se souvient de notre président qui, devant une cathédrale encore en flammes, annonçait que la flèche pourrait être remplacée par un « geste architectural », il y a de quoi craindre le pire.

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L’avis favorable de la commission va en tout cas permettre de passer commande rapidement à un artiste subventionné, comme l’a annoncé dans un communiqué le général d’armée Jean-Louis Georgelin qui préside au bon déroulement des travaux : « En tant que garant du calendrier et maître d’ouvrage du chantier de restauration, ce jalon essentiel nous permettra de lancer des appels d’offres […] et d’avancer résolument vers la réouverture de la cathédrale au culte et à la visite en 2024. » Le même se félicite, dans son texte, que « les grands principes du programme d’aménagement liturgique porté par le diocèse de Paris, et fruit d’un équilibre entre les exigences du culte et les principes de conservation du patrimoine, aient reçu un avis globalement favorable. » Éric Zemmour a donné une définition de cet Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris (titre complet) que préside le général Georgelin : « Une usine à gaz dispendieuse destinée à satisfaire les caprices d’Emmanuel Macron. »

Il est à noter qu’Éric Zemmour est la seule personnalité politique à avoir dénoncé ce projet de réaménagement délirant. Dans une tribune publiée dans Le Point, adressée aux « amoureux de la splendeur de notre civilisation », le candidat de la « Reconquête » se désole qu’on s’attaque ainsi au « centre de gravité de la chrétienté française et symbole de notre Nation ». Il déplore aussi que « le président de la République tente de faire passer les passionnés de Notre-Dame pour des passéistes, des ringards. Mais depuis quand la modernité consiste-t-elle à défigurer un chef-d’œuvre inouï pour le remplacer par un fantasme imbécile ? […] Espaces émotionnels, chapelle écologique, parcours initiatiques, peinture abstraite : dans une fournaise d’abstractions imbéciles et kitsch, les démons du wokisme s’acharnent sur le trésor le plus émouvant de Paris. » Et le candidat de promettre : « Si d’aventure [Emmanuel Macron] s’obstine à laisser défigurer la cathédrale de Paris, lorsque je serai élu président de la République, je m’engage solennellement à ce que Notre-Dame redevienne Notre-Dame. J’inscris cette intention, de manière définitive, dans mon programme électoral. »

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Ce que l’incendie a épargné…

Si, côté politique, la transformation de la cathédrale en Babel touristique laisse de marbre, beaucoup d’historiens, universitaires, intellectuels, chercheurs et conservateurs du patrimoine hésitent entre désarroi et colère. À l’initiative du Figaro et de La Tribune de l’Art, une centaine d’entre eux ont signé un texte pour alerter sur ce projet, émanant de l’Église elle-même « où la niaiserie le dispute au kitsch », sous ce titre : « Ce que l’incendie a épargné, le diocèse veut le détruire ».Comme le rappelle Didier Rykner, directeur-fondateur de La Tribune de l’Art, le diocèse « estime ainsi que les destructions de l’incendie sont l’occasion de transformer l’appréhension du monument par le visiteur, alors même que celui-ci s’est limité à la toiture et à la flèche et n’a rien détruit de patrimonial à l’intérieur. […] Les auteurs de ce projet cherchent à mettre en place un autre parcours, une autre expérience du monument, alors même que Notre-Dame offre déjà un parcours, qu’elle a déjà un discours. » Ce discours, c’est celui de Viollet-le-Duc qui a fait renaître un décor d’ensemble cohérent et d’une remarquable perfection formelle. Cette tribune le souligne comme il se doit : « L’architecte génial, soucieux de prolonger et d’achever le travail des bâtisseurs du Moyen Âge, avait conçu une œuvre d’art totale, faisant se correspondre architecture et décor, peinture et sculpture, ébénisterie et orfèvrerie, vitraux et luminaires. Guidé par une vision très précise d’un idéal artistique et spirituel, il avait élaboré et mis en œuvre la cathédrale des cathédrales. »

En écho à cette pétition publiée le 8 décembre dernier, le mot dièse #saccageNotreDame a vu le jour. Si Twitter avait existé plus tôt, peut-être aurait-il aidé à guérir le diocèse de Paris qui souffre d’un complexe patrimonial aigu depuis un certain temps. Pendant quelque vingt années, le cardinal Lustiger n’a eu de cesse de vider la cathédrale de l’héritage mobilier et artistique de Viollet-le-Duc dans l’indifférence générale !

Le spectacle son et lumière « Dame de cœur », sur le parvis de Notre-Dame, 20 octobre 2018. © AFP Ludovic Marin / AFP

Crise profonde

Le projet du diocèse ne fait pas l’unanimité dans ses propres rangs. Mais la querelle est bien plus profonde qu’une énième opposition entre anciens et modernes. Elle révèle cette volonté répandue de niveler par le bas. Si dans le monde de l’enseignement, c’est révoltant, dans l’univers du spirituel, c’est effrayant. Comment concevoir, et accepter, que les gardiens du temple instaurent eux-mêmes, en son sein, les codes d’une néo-modernité faite pour le détruire.

L’esprit des lieux est une réalité tangible, sensible. Notre-Dame de Paris le prouve par son existence et sa préservation. Elle n’est pas un lieu de « culture », c’est un lieu sacré, un lieu de culte, un lieu chargé de toute l’histoire de France. Une telle densité de symboles, de valeurs et de messages ne se retrouve dans aucun autre monument de notre pays. C’est cette unicité fédératrice qui se doit d’être défendue : ce poids de la pierre ancrée dans le sol de Paris qui, paradoxalement, s’élève bien au-dessus de nous, envers et contre tout, depuis toujours.

Le projet du diocèse ne révèle pas qu’une indécente pensée Bisounours, il véhicule aussi une idée qui, si elle s’avérait vraie, serait d’une incommensurable tristesse : l’humanité a-t-elle à ce point perdu sa faculté d’être touchée par le mystère et le mystique, le spirituel et le sacré, que ceux qui en sont les garants doivent projeter des mots magiques et des dessins animés en prenant soin d’illuminer leurs voûtes pour en chasser toute pénombre habitée ? Si ce n’est pas le cas, le message envoyé par le diocèse de Paris est alors, et tout simplement, très insultant.

Cathédrales à la loupe
La France est peuplée de cathédrales, à l’instar de l’Europe qui en est hérissée. L’histoire commence en 313, lorsque l’empereur Constantin Ier, converti au christianisme, promulgue l’édit de Milan et fait bâtir deux édifices : la basilique Saint-Pierre, à Rome, et la basilique Sainte-Sophie, à Byzance. L’histoire se fait ensuite épopée, des abbatiales mérovingiennes aux grandes cathédrales des âges romans puis gothiques. La Renaissance réinvente cette vision architecturale sans commune mesure qui saura renaître, encore, aux xixe et xxe siècles. Dans le beau livre qu’il consacre à cette extraordinaire aventure technique et spirituelle, l’architecte Alain Billard sillonne les siècles et les territoires pour disséquer cryptes et transepts, nefs et charpentes, tribunes et contreforts… On se penche sur les ruines de la basilique romaine de Leptis Magna, sur la côte libyenne, comme on traverse les voûtes de la cathédrale de Gloucester, en Angleterre. On découpe l’église de Saint-Étienne de Nevers, dans la Nièvre, pour comprendre l’enchevêtrement de sa construction, et l’on se laisse subjuguer par les boiseries polychromes et dorées de Saint-Jean-de-Latran, à Rome. De courts textes mettent en avant ces architectes, ces maçons et ces artisans qui ont, avec ces monuments, édifié les fondations de notre civilisation car, comme l’écrit l’auteur, « toute blessure qu’une cathédrale peut subir trouble les hommes jusque dans leurs racines. »

La belle histoire des cathédrales

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Une pâle copie d’Aimé Césaire

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Une nouvelle poétesse tropicale nous est née: elle s’appelle Christiane Taubira! Mais contrairement à Assurancetourix, on ne peut pas la faire taire…


Elle aimait Césaire. Christiane Taubira ne manque pas de nous le rappeler, constamment, dans un lyrisme échevelé. Malheureusement, l’air ne fait pas forcément la chanson… Notre femme politique « lettrée » qui revendique en effet sa filiation directe, tant littéraire que politique avec le chantre de la négritude, a annoncé, depuis la « Colline des canuts », en toute simplicité, sa candidature à la présidence de la République. 

En direct de Lyon

Parce que je suis lyonnaise, parce je fus adolescente en Guadeloupe et que je me suis par conséquent passionnée pour le poète martiniquais, parce que je suis nostalgique d’une gauche intelligente ; de cette gauche pleine d’esprit qui savait jadis poser sur les plaies du monde le baume de l’humanisme et de la culture ; en deuil de cette gauche qui m’a appris à réfléchir et à aimer l’altérité, je suis allée écouter l’Appel de la Croix-Rousse lancé par Christiane Taubira, sous un froid polaire puis, j’ai suivi les interventions de notre griotte guyanaise sur les plateaux de télévision. 

À lire aussi, Jérôme Leroy: Sans Montebourg ni trompette

Frigorifiée au sommet de la « colline qui travaille », je fus prise par l’espoir, alors que j’attendais la prise de parole de Madame Taubira, de retrouver au moins le souffle du Discours sur le colonialisme. A défaut d’être d’accord avec la cause que défend Christiane Taubira parce que les temps ont changé et que les opprimés d’hier sont en passe de devenir les oppresseurs d’aujourd’hui, j’espérais au moins être transportée par un verbe fort et puissant, susceptible de servir une cause. Qu’importe l’ivresse pour peu qu’on ait le flacon… Les mots, les mots, toujours les mots, enfin leur retour triomphant sur la scène politique, fini l’anaphore étique à laquelle nous avait habitué le candidat Hollande.

 Souvenons-nous plutôt : ce Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, c’était un enchantement rhétorique :

       J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes.

      Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.

    On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilomètres de route, de canaux, de chemin de fer.

     Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. je parle de ceux qui, à l’heure ou j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.

     Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. (…)

 Oui, j’aurais aimé, avec Christiane Taubira, voir apparaître sur la scène politique quelqu’un dont le verbe serait aussi incisif que le fut celui d’Aimé Césaire en son temps. J’aurais adoré qu’elle mette ce verbe au service des nouveaux damnés de la terre qui ne sont pas les mêmes, je l’ai déjà dit, que ceux défendus autrefois par le poète. J’espérais retrouver enfin une voix forte pour tous les opprimés de la planète et Dieu sait s’ils sont nombreux. Ç’aurait été une heureuse perspective. 

Des propos fuyants

Quelle déception ! La parole de la candidate s’avère sirupeuse et son propos fuyant, son projet fumeux. 

Dans la grisaille lyonnaise, elle a surtout énuméré avec onction et componction les villes visitées par son auguste personne comme autant de stations où l’auraient conduite ses déambulations à la rencontre d’un pays meurtri dont elle se fait fort de réveiller l’espoir. 

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Qu’est donc la gauche devenue?

Quand on lui demande en préambule si elle envisage de s’effacer, confrontée à un hypothétique vainqueur de la primaire qui ne serait pas Elle, impossible d’avoir les éléments d’une réponse claire. Celle-ci semble définitivement noyée dans les méandres d’une parole tortueuse et d’une pensée retorse, méandres qui n’ont rien à envier à ceux du fleuve Maroni. Les autres prétendants de gauche en lice pour l’élection refusent, du reste, une primaire populaire. « Quand c’est non, c’est non ! » s’énerve Yannick Jadot. Jean-Luc Mélenchon, lors d’un meeting à Nantes, « tortue électorale sagace », comme il se plait à se qualifier lui-même, engage plutôt ses partisans à rester groupés derrière lui. Anne Hidalgo, après avoir proposé ladite primaire pour se rétracter aussitôt, tape du pied avec véhémence depuis la cour de récré où elle s’est réfugiée, refusant de partager son goûter : « Chacun est libre de faire ce qu’il veut et maintenant, c’est projet contre projet ! » Je me suis même laissée dire qu’elle avait ponctué cette phrase, missile s’il en est, d’un : « Na ! » des plus offensifs, baste !

Christiane Taubira et Anne Hidalgo, Paris 26 septembre 2015 SEVGI/SIPA 00724560_000003

Quand on a demandé à Madame Taubira des précisions relatives au financement de son louable projet concernant une bourse octroyée aux étudiants, on s’est aussitôt fait rembarrer. Et Christiane Taubira de tweeter : « Madame Léa Salamé pose des questions malveillantes en interrogeant le coût de mon projet. 10, 50, 100 milliards, quelle importance, les chiffres, comme le disait Aimé Césaire, ne sont que la sombre brume que surplombe l’esprit éclairé des volontaires. » Ben voyons ! Le réel est obscène, c’est bien connu. 

Quant à feu notre poète, dont se réclame Madame Taubira, je ne suis pas vraiment sûre qu’il se réjouisse d’être embarqué dans cette galère. Sans doute, parce qu’il a en son temps justement et bien ferraillé contre l’adversité, on peut considérer qu’il est en droit de souhaiter qu’on respecte son :

Silence

Silence par delà les rampes

Sanguinolentes

Par cette grisaille et cette calcination inouïe.

Enfin, lui, 

Ce vent des méplats, bonheur,

Le silence

Une candidate orgueilleuse

Christiane Taubira, donc, définitivement au service de sa seule ambition personnelle démesurée, atomise ce qu’il reste d’union à gauche. On ne peut s’empêcher avec Laurent Delahousse de l’inviter à considérer avec attention l’avertissement donné par mère Agnès (une bonne sœur dont parle Christiane Taubira dans son récit Nuit d’épine) : « Savez-vous Christiane, que l’orgueil est un péché capital qui peut devenir péché mortel ? » Mortel pour la gauche, c’est certain…

A lire ensuite: L’erreur de Zineb, les fautes de Macron

Christiane Taubira symbolise la faillite d’une partie de la gauche qui a abandonné la lutte pour l’émancipation des humbles, se préoccupant davantage de l’essor d’un libéralisme sociétal pervers et doublé d’un antiracisme dévoyé qui fracture chaque jour un peu plus la société. Cette gauche, par la voix de Christiane Taubira, ne propose plus que de vivre des « morceaux de vie… comme carreaux cassés », pour reprendre le titre que donna la poétesse tropicale à son recueil de nouvelles paru en septembre 2021. Christiane Taubira, dont les nuits habitées par le verbe sont plus belles que nos jours, rendue, comme elle le dit d’elle-même : « invincible » par la poésie, achève la gauche en la confortant dans des dérives communautaristes qui ne peuvent plus séduire qu’un microcosme médiatique et militant cynique, soucieux de se donner bonne conscience sans trop mouiller la chemise. Il s’agit juste pour Madame Taubira de prendre une posture de résistante qui dénonce la montée des populismes qu’elle n’a cessé d’alimenter. Il s’agit simplement de faire un petit tour de piste avant d’appeler à voter avec solennité et résignation pour Emmanuel Macron. 

Il nous reste à souhaiter, parce qu’on n’aime pas les airs pris par la dame lorsqu’elle convoque les mânes du chantre de la négritude, que sa candidature achève de discréditer la gauche sociétale et qu’on puisse enfin envisager la restauration d’une gauche républicaine et sociale : elle manque cruellement au débat actuel. 

Kazakhstan: «Nous ne nions pas que les autorités sont en partie responsables de la situation»

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Causeur. À la suite de l’annonce d’une hausse du prix du gaz le 2 janvier 2022, le Kazakhstan a connu un déchainement de violence sans précédent. Que répondez-vous aux accusations de répression dans le sang par l’État ?

Jean Galiev. Le Kazakhstan, en tant que membre responsable de la communauté internationale, est partie à toutes les conventions et tous les accords relatifs aux droits humains. Le président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokayev a initié des amendements à la législation, selon lesquels les rassemblements de masse et les manifestations pacifiques sont autorisés sur la base d’une notification. Cependant, début janvier, les marches pacifiques se sont transformées en chaos, pillages et attaques des bandes armées, dont les citoyens ordinaires et les forces de l’ordre ont été victimes. Dans ces conditions, que pensez-vous que nos policiers auraient dû faire? Regarder des gens se faire tuer et piller sans impunité ou négocier avec des terroristes ? La réaction et les actions des forces de l’ordre visaient uniquement à protéger les citoyens du Kazakhstan.

On parle de 225 morts, 4500 blessés et près de 10 000 interpellations…

Lors des premiers jours des rassemblements pacifiques, les forces de l’ordre n’étaient pas armées. « Nous n’avons jamais utilisé et n’utiliserons jamais la force armée contre des manifestants pacifiques », a répété le président de la République en s’adressant à la nation et à la communauté internationale. Mais plusieurs attaques armées contre des lieux administratifs ont eu lieu simultanément dans pratiquement toutes les régions et ont révélé des actions coordonnées et une grande préparation au combat. Les cibles prioritaires étaient des mairies, des administrations, des bâtiments des forces de l’ordre, des magasins d’armes, des bureaux de poste, des stations de télévision et de radio, les archives d’État… et même des hôpitaux et les morgues. Dans tout le pays, 1 300 entreprises ont été touchées. Plus d’une centaine de centres commerciaux et de banques ont été pillés et incendiés. C’est la seule raison pour laquelle le chef de l’État a donné l’ordre de tirer à balles réelles. Le prix à payer a été très élevé, notamment de nombreuses pertes parmi les forces de sécurité et les civils. 

De nombreuses théories circulent au sujet de cette crise. Selon l’une d’entre elles, cette dernière aurait été planifiée par Moscou pour introduire des troupes russes au Kazakhstan ?

De tels scénarios sont le fruit de l’imagination enflammée des théoriciens de la conspiration. Mais il est vrai que beaucoup de nos partenaires étrangers, notamment des pays occidentaux, ont perçu l’aide de l’OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective) comme une forme d’occupation… Ce n’est pas le cas. Le 10 janvier, le président Vladimir Poutine a déclaré que la Russie était solidaire avec nous et considérait les événements au Kazakhstan comme une tentative de porter atteinte à la sécurité et à l’intégrité de l’État, et de la région dans son ensemble. Et tous les États membres de l’OTSC sans exception nous ont assuré qu’ils étaient prêts à quitter le Kazakhstan dès que la situation aurait été stabilisée. Mercredi 19 janvier, les derniers soldats des forces internationales de maintien de la paix ont quitté le territoire de notre pays. 

Quelles sont les preuves de la nature terroriste des actions ? 

Une opération antiterroriste est en cours. Selon les dernières informations que nous avons reçues de la part de nos agences gouvernementales, 9213 personnes ont été placées en garde à vue. Près de la moitié (4561), après la détermination du degré de responsabilité de chacun dans les troubles et actes de violence, furent rapidement relaxées, 1245 se sont faits verbaliser et ont eu des amendes. À ce jour, 819 enquêtes préliminaires impliquant des incidents graves sont en cours dont 45 impliquant des actes de terrorisme, 15 des meurtres et 36 des émeutes. Dans le cadre de ces affaires pénales, 970 personnes ont été détenues comme suspectes, dont 782 ont été arrêtées sur décision de justice. Parmi les émeutiers, il y avait des ressortissants étrangers, y compris des citoyens des États voisins. Il est probable que toutes les opérations de combat ont été coordonnées à partir d’un seul et même centre de décision. Ces attaques ont été menées par des professionnels très bien entraînés, notamment des tireurs d’élite équipés de fusils spéciaux, qui ont utilisé leurs propres moyens de communication et se sont déguisés en soldats et en agents de la force publique. D’autres se sont cyniquement déguisés en émeutiers qui leur ont servi de boucliers humains. Ce sont des méthodes bien connues qui ont été pratiquées dans d’autres pays. L’enquête est en cours. À son issue, nos autorités communiqueront les résultats et présenteront les preuves à la communauté internationale en toute transparence.

Comment expliquez-vous que le gouvernement du Kazakhstan ait coupé l’Internet au déclenchement de la crise ?

La coupure des communications pendant l’état d’urgence est une mesure forcée et temporaire pour la sécurité de la population elle-même. Vous savez très bien que, partout dans le monde, les terroristes et les criminels utilisent Internet et les communications cellulaires pour coordonner leurs activités destructrices. Dans les conditions de l’état d’urgence, le gouvernement a été contraint de prendre une telle mesure, certes radicale et impopulaire. Mais les Kazakhstanais ont manifesté leur compréhension et ont fait preuve de grande patience.

Au milieu de la crise, le président Tokayev a pris un certain nombre de mesures, procédé à d’importants remaniements au sein des forces de l’ordre et pris la tête du Conseil de sécurité du pays. Ces actions signifient-elles la fin de l’ère Nazarbaïev ? 

L’évolution rapide de ces événements tragiques, des troubles de masse et des actions illégales dans de nombreuses villes de notre pays n’a laissé aucun autre choix. Les forces de l’ordre ont mené des enquêtes qui ont permis de trouver des preuves de violations de la loi par de hauts représentants des forces de sécurité. La décision finale, le degré de culpabilité de ces personnes doit être déterminé par le tribunal. De son côté, Nazarbaïev a jeté les bases du Kazakhstan moderne ; il a pleinement rempli sa mission historique de père fondateur de notre État. Par étapes, il a transmis une partie de ses pouvoirs à la prochaine génération de femmes et d’hommes politiques.

Comment expliquez-vous que pendant 30 ans de développement du Kazakhstan, les autorités n’aient pas pu anticiper cette crise ?

Depuis 30 ans d’indépendance, le Kazakhstan s’est imposé comme un État fort, doté d’une économie de marché et de traditions séculaires. Mais nous ne sommes pas un État policier. Le Kazakhstan a été confronté au plus grand choc de son histoire moderne. Jusqu’à ce janvier tragique, il n’y a jamais eu d’attaque d’une telle ampleur dans l’ensemble de l’espace post-soviétique. Nous devons mener une enquête approfondie sur ce qui s’est passé et en tirer de sérieuses leçons afin que cette tragédie ne se reproduise pas. Nous ne nions pas que les autorités elles-mêmes sont responsables de la situation. La corruption dans l’application de la loi, la répartition inéquitable des avantages économiques, le chômage et la mauvaise protection sociale sont autant de facteurs qui ont conduit à une explosion de colère populaire.

Ces événements vont-ils entrainer des changements radicaux dans la politique sociale et économique de l’État ?

Cette tragédie exige des mesures radicales pour changer le système d’administration de l’État et la sphère sociale, et pour réduire le fossé entre les différents segments de notre société. Ce sera l’objectif des réformes économiques et politiques que nous lancerons dans un avenir proche. Dans le même temps, nous veillerons à prendre en compte les erreurs des années passées, afin de ne pas les répéter à l’avenir. Quatre volets de réformes politiques ont été mis en œuvre dans le pays depuis que Tokayev est au pouvoir. En septembre prochain, le cinquième volet des transformations démocratiques et économiques sera présenté à la Nation. Je vous rappelle que nous avons aboli la peine de mort en 2021. Nous avons l’intention d’accélérer la transformation politique du pays en accord avec les attentes de la société. Lors de ses récentes visites à Bruxelles, Vienne et Genève, le chef de la diplomatie kazakhstanaise, Moukhtar Tléouberdi, s’est entretenu avec les hauts responsables de la Commission européenne, de l’OSCE et des Nations Unies qui ont confirmé leur soutien aux réformes engagées par le président Tokayev et ont proposé leur assistance à l’élaboration du cinquième volet de ces transformations.

Pensez-vous que ce qui vient de se passer dans votre pays pourrait avoir des conséquences négatives pour les entreprises et investisseurs étrangers implantés au Kazakhstan ?

Absolument aucune ! Le président Tokayev a, d’ailleurs, réaffirmé l’engagement du gouvernement vis-à-vis des investisseurs nationaux et étrangers, ainsi que de nos partenaires commerciaux. Il a surtout insisté sur la garantie de l’ouverture de l’économie nationale, de l’inviolabilité des contrats, du respect des droits de propriété intellectuelle. Par ailleurs, la lutte contre la corruption sera renforcée en tant que l’une des priorités de son mandat présidentiel. Durant ces derniers jours, j’ai reçu de nombreux témoignages de soutien et de solidarité de la part des dirigeants des entreprises françaises. Ils expriment leur confiance en un rétablissement rapide de la stabilité au Kazakhstan et souhaitent continuer à investir dans l’économie du pays en proposant de nouveaux projets. Nous allons les accompagner dans leurs démarches comme nous l’avons toujours fait.

En Israël comme en France, les minorités tyranniques contre la démocratie

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Depuis le 11 janvier, les couples d’hommes, les célibataires et les personnes transgenres peuvent recourir à la GPA en Israël. Un putsch judiciaire de la Cour suprême!


La récente décision de la Cour suprême d’Israël d’élargir la GPA aux couples homosexuels, aux célibataires et aux transgenres est emblématique du « gouvernement des juges” qui s’est mis en place depuis plusieurs décennies, au terme d’un processus par lequel la Cour suprême s’est érigée en premier pouvoir[1].  Israël devient ainsi le pays le plus en pointe dans ce domaine, justifiant par le « désir d’enfant » une technique qui tend à transformer le corps humain en marchandise, comme l’a bien montré Sylviane Agacinski [2]. Mais cette décision illustre aussi, de manière plus générale, ce qu’on pourrait définir comme “l’alliance des minorités tyranniques ».

Progressisme radical

A l’instar de la juge américaine Ruth Bader-Ginsburg, devenue une icône de la gauche et des médias américains, le juge israélien Aharon Barak a réussi à imposer sa conception de l’activisme judiciaire au service de la transformation sociétale. Dans son sillage, la Cour suprême israélienne est devenue un laboratoire de transformation radicale de la société israélienne. Elle procède à des expériences qui peuvent s’avérer dangereuses et qui sont surtout contraires aux valeurs majoritaires de la société israélienne, comme faire entrer des jeunes femmes dans les unités d’élite les plus fermées de Tsahal, ou autoriser des adoptions pour des couples homosexuels, au nom de conceptions « progressistes » et radicales qui sont partagées par environ 5 ou 10% des électeurs israéliens.

À lire aussi: Circulaire sur l’identité de genre en milieu scolaire: «Il y aura un avant et un après»

La légalisation de la GPA élargie aux couples homosexuels et aux célibataires et transgenres est de toute évidence une expérience d’ingénierie sociale de ce type, qui vient répondre aux attentes d’une petite minorité activiste militante, celle des personnes revendiquant le “droit à l’enfant” (en l’occurrence opposé aux droits des enfants, dont personne ne se soucie). Cette expérience est non seulement contraire aux valeurs du judaïsme traditionnel, mais aussi aux valeurs majoritaires de l’électorat israélien, très largement attaché au modèle de la famille traditionnelle. Une loi élargissant la GPA de la sorte n’aurait aucune chance d’être votée par la Knesset ni aujourd’hui, ni demain.

Un putsch judiciaire

C’est précisément pour cette raison que la Cour suprême s’est arrogée le droit exorbitant de trancher le débat sur ce sujet très controversé, en coupant l’herbe sous le pied du législateur et des électeurs israéliens. Les deux protagonistes de ce « putsch judiciaire” – la Cour suprême d’un côté, et les associations militant pour la GPA élargie de l’autre – partagent une même conception anti-démocratique de la politique et des institutions et une même vision d’une démocratie émiettée, soumise aux diktats de minorités tyranniques (militants de la GPA, juges progressistes, etc.), qui imposent leur conceptions radicales à la majorité silencieuse, privée de tout droit de s’opposer à leurs décisions unilatérales et anti-démocratiques.

Cette décision hautement symbolique porte atteinte à plusieurs institutions et valeurs essentielles du judaïsme – et de la civilisation judéo-chrétienne en général – (la famille, le couple, la parenté, etc.) et illustre la montée en puissance des minorités tyranniques dans l’Occident actuel. On peut rapprocher cette décision de la récente circulaire du ministère de l’Éducation nationale en France, qui institutionnalise l’idéologie de l’identité de genre, en l’absence de tout débat public. Dans les deux cas, une idéologie radicale a été officialisée par l’action de minorités tyranniques, à l’insu et au mépris des droits de la majorité.

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[1] P. Lurçat, “Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël”, Pardès no. 67, 2021.

[2] S. Agacinski, Corps en miettes, Flammarion 2013.

Etats-Unis: Frances Haugen, une bien étrange lanceuse d’alerte

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Depuis l’automne dernier, les révélations de cette ancienne salariée de Facebook sont unanimement encensées, par des politiques de la droite comme de la gauche et par les médias. Pourtant, son objectif ne semble pas tant de briser les monopoles dans la Silicon Valley que de maintenir la domination des GAFA existants en renforçant le contrôle gouvernemental sur eux. Analyse.


Une fois n’est pas coutume, les Etats-Unis sont tombés d’accord. Depuis le 5 octobre les sénateurs démocrates et républicains ne trouvent rien à redire à Frances Haugen. Ancienne employée à Facebook, elle a sorti les Facebook Files, plus d’un millier de pages où sont dévoilées les failles de la modération du réseau social. Haugen est partout présentée comme une lanceuse d’alerte et la presse salue unanimement son courage. Alors qu’elle poursuit une tournée mondiale il ne viendrait à personne l’idée de questionner ses révélations.

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Ce jour d’octobre seul Glenn Greenwald est perplexe. Il n’est pas anodin que Greenwald doute d’Haugen : prix Pulitzer, c’est avec lui qu’Edward Snowden, a dévoilé la surveillance mondiale mise en place par la NSA. Alors qu’il a vu Snowden et Assange payer leur engagement par l’exil ou la prison, Greenwald est interloqué par l’accueil royal réservé à Haugen. De plus, le discours qu’elle tient est pour le moins déroutant pour une lanceuse d’alerte : non il ne faut pas démanteler le conglomérat Facebook/WhatsApp/Instagram, non il ne faut pas revoir la façon dont Facebook surveille et contrôle ses utilisateurs… Au contraire même : Haugen dit ne pas vouloir heurter Facebook mais le réparer. Le problème n’est pas la puissance de Facebook – le monopole – ni ce sur quoi cette puissance est basée – la surveillance – mais comment cette puissance est employée. Rapidement, devant des sénateurs déjà conquis, Haugen prône plus qu’elle ne dévoile. Il s’agit d’abord d’utiliser les formidables capacités de surveillance de Facebook pour des causes universellement justes – de la protection des préadolescentes à la lutte contre le terrorisme – puis de dévier, peu à peu, dans une lutte contre « la haine, la désinformation » et autant de concepts aussi vagues que partisans. Dans une salle très hostile aux GAFAM, Haugen détourne tranquillement une croisade légitime vers des buts politiques très spécifiques.

Si Greenwald a vu juste, il a néanmoins manqué une partie de l’engagement politique passé de Haugen. Depuis 2015, elle a fait une multitude de dons au parti démocrate et à Alexandria Ocasio-Cortez, jeune égérie de la gauche américaine. Plus obscur encore est le rôle d’Haugen à Facebook, au sein de la Civic Integrity Team (CIT). Forte de 300 membres, la CIT est née en 2019 et a été dissoute dès la défaite de Trump en 2020. Officiellement en charge de lutter contre la désinformation, c’est la CIT qui a censuré l’affaire Hunter Biden à la veille des élections présidentielles de 2020. Fils de Joe Biden, le contenu de son ordinateur portable avait été communiqué au New York Post mais Twitter et Facebook avaient bloqué le partage de l’article du Post, qui démontrait des liens entre la famille Biden et l’Ukraine, par crainte que les élections basculent. Les Facebook Files ne sont accessibles que par une poignée de journalistes triés sur le volet par Haugen elle-même, et l’impact réel de la Civic Integrity Team reste encore à déterminer, mais il est impossible de ne plus voir comment Facebook intervient directement, en période d’élections, dans la politique d’un pays.

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Outre le silence absolu des médias à ce propos – en comparaison notamment de l’attention octroyée à Cambridge Analytica– c’est Frances Haugen qui étonne le plus : elle assume parfaitement l’interventionnisme de la CIT et regrette seulement qu’Internet ne soit pas plus contrôlé et censuré. A vrai dire, selon elle, son départ de Facebook et sa transformation en lanceuse d’alerte auraient été décidés suite à la dissolution de la CIT fin 2020 : par cette dissolution, Zuckerberg avait fait comprendre que, Trump maintenant défait, Facebook devait se recentrer sur ses activités antérieures. Ainsi, quand le sénateur Jerry Moran demande à Haugen : « Avons-nous besoin d’une agence gouvernementale chargée de réguler l’information ? », elle répond aussitôt par l’affirmative et va jusqu’à se placer elle-même dans ses propositions : « Il doit y avoir une instance de régulation où quelqu’un comme moi pourrait servir. » Le mercredi 1er décembre, alors que le Congrès débat sur une révision de la Section 230 – qui protège la liberté d’expression sur Internet en déresponsabilisant un réseau social de ce que son usager poste – Frances Haugen presse les parlementaires de ne pas s’engouffrer dans un débat trop long sur les détails des différentes approches législatives…

Par une réforme de Facebook ou du système politique américain, Haugen veut prendre Zuckerberg en étau : s’il n’accentue pas le contrôle et la censure exercées par Facebook – comme Twitter le fait déjà – alors il faudra modifier la Section 230 et sanctionner désormais le réseau social plutôt que l’utilisateur contrevenant. Cette révision de la Section 230 peut sembler au prime abord une bonne idée : si le contrôle est exercé par le gouvernement plutôt que par une entreprise privée, on peut s’attendre à une neutralité idéologique accrue, du moins tenue aux lois et à la Constitution. Dans la pratique, cependant, c’est voir l’entreprise tomber dans le cercle vicieux de l’excès de zèle : elle préféra toujours une censure plus accrue que de risquer l’amende et la sanction – en réalité : une censure préventive où, selon certains algorithmes, l’utilisateur prétendument à risques est préventivement banni. Surtout, Haugen veut aller au-delà de la censure : il s’agit désormais de modifier les algorithmes de Facebook en favorisant la promotion de certains contenus, au détriment du reste.

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Ne faisons pas de Haugen un Machiavel œuvrant seul à la politisation des GAFAM. Elle n’est qu’une bataille de plus dans la guerre qui se déroule dans la Silicon Valley depuis l’élection de Trump, une guerre civile où les fondateurs historiques font face à leurs propres employés, souvent aussi fraichement sortis de l’université qu’ils sont idéologiquement endoctrinés. L’enjeu de ce conflit interne est simple, il s’agit d’imposer, ou non, cette conviction de la gauche américaine depuis 2016 : la démocratie telle qu’elle a été conçue auparavant, populaire et peut-être populiste, n’a plus vocation à être ; la masse doit être guidée par-delà le bien et le mal et, surtout, par-delà le vrai et le faux ; et les nouvelles technologies doivent être l’instrument de ce renversement. Quand Haugen avoue si clairement son aspiration à plus de contrôle et de censure, s’exprime seulement cette conviction d’une infaillibilité morale. Elle, comme ceux qui pensent comme elle, sont partisans et artisans d’une transformation du capitalisme de surveillance en un dogmatisme qui surveille et contrôle tout autant, si ce n’est plus. Alors que tant de digues ont auparavant cédé, Zuckerberg fait face, de plus en plus seul. Ce dernier est tout sauf un combattant de la liberté d’expression, et encore moins un allié des conservateurs ; il ne se bat que pour ses préserver sa manne financière – accentuer la censure politique entend moins de trafic et l’apparition d’alternatives comme Gettr – et, surtout, pour garder le contrôle absolu de son conglomérat, Meta. Dans le duel actuel des fins s’opposent, mais pas leurs moyens. Le profit démesuré ou la pensée unique : Big Tech finira-t-il Big Brother ?

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Qu’est donc la gauche devenue?


Fabien Roussel, le candidat du Parti Communiste, a eu une pensée pour les paysans qui s’échinent à perpétuer la tradition culinaire française, et élèvent veaux, vaches, cochons et couvées au lieu de faire pousser du quinoa. Quel crime abominable !

Fabien Roussel a donc trahi l’idéal de gauche, qui comme Sandrine Rousseau, l’égérie des jobards, l’a fait remarquer, se situe du côté du couscous. En une petite phrase, à en croire les phares de la pensée woke, il est passé à l’extrême-droite. D’ailleurs il est salué par Natacha Polony (et par son colistier, Perico Legasse, dans le dernier numéro de Marianne), preuve s’il en fallait qu’il est passé à l’ennemi…

Qu’a dit le secrétaire général du PCF : « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. Le meilleur moyen de la défendre, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès. » Une « trilogie du goût » que Libé, par la voix autorisée de Daniel Schneidermann, juge « franchouillarde et excluante ». Péché mortel. Fabien Roussel est « un drôle de coco », dit l’Obs. Georges Marchais is back !

On mesure l’effroi des islamo-gauchisto-végano-transsexuels, qui résident tous dans des centre-ville boboïsés, et ne connaissent de la campagne qu’un vague paysage peint en vert des deux côtés de l’autoroute. La viande, c’est très mal, le vin n’est pas hallal et de surcroît il offense la loi Evin, le « bon fromage » n’est même pas pasteurisé et contient des germes inquiétants. 

Les germes de l’extrême-droite apparemment. 

Dans les années 1950, Roland Barthes avait analysé ce que le vin et la viande avaient non seulement de très français, mais de « mythologique » : les buveurs de sang (un bon steak est saignant, voire bleu) et les amateurs de picrate communient — c’est le cas de le dire — avec les forces archaïques qui ont bâti la France rurale et fourni à manger aux générations successives dont nous sommes issus. Derrière Fabien Roussel se profilent les chasseurs de la préhistoire et les invités des noces de Cana, où le Christ inaugura la longue série de ses miracles en transformant de l’eau en saint-julien 1985. Le candidat communiste renoue avec le Midi rouge des années 1900, quand Clemenceau envoyait la troupe mater les ardeurs révolutionnaires des vignerons languedociens.

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C’est peut-être juste une stratégie, mais elle n’est pas stupide. Évidemment, elle chante juste aux oreilles de tous ceux qui défendent les terroirs contre l’industrialisation, et l’entrecôte persillée contre les horreurs molles de McDo. Et elle horrifie les autres.

Ajoutez à ça que Fabien Roussel défend avec raison la filière nucléaire, qu’il ne déteste pas les chasseurs et qu’il communique avec Sonia Mabrouk, horresco referens, et vous constituez le portrait-type de ce qu’un écolo-gauchiste doit haïr. Depuis qu’elle est noyautée par les gauchistes, la gauche renoue avec les exclusions des années 1970, quand tout ce qui n’était pas dans la ligne d’un groupuscule ou d’un autre était automatiquement rejeté de l’autre côté. C’est ainsi que l’on en arrive à peser pour moins de 20% des voix, camarades.

Nous qui nous efforçons, bien sûr, d’avoir une attitude politiquement correcte, nous nous interrogeons. Le steak n’est pas haram, ni le cassoulet ou la choucroute. Ni la daube ou le bourguignon. Le gros rouge qui tache non plus. Les fromages qui puent, pas davantage. Les chasseurs sont à vouer aux gémonies, tant pis si les sangliers dévastent les cultures. L’énergie nucléaire est sale, couvrons la France d’éoliennes…

Quant à vos certitudes sur le fait que vous êtes un homme ou une femme, j’espère que vous savez qu’elles sont surannées. Et J.K. Rowlings est une sacrée salope, qui croit qu’une femme est dotée d’un utérus et a des règles. En Angleterre, un établissement scolaire qui avait choisi de donner son nom à l’un de ses bâtiments s’est empressé de le débaptiser. C’est la contradiction interne des groupuscules : à force d’exclure, il ne reste plus personne.

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Ce qui me chagrine le plus, c’est de constater que les médias de gauche passent sous silence la deuxième phrase de Roussel : le meilleur moyen de défendre la gastronomie française, « c’est de permettre aux Français d’y avoir accès ». La gauche s’est tellement encroûtée dans la boboïtude qu’elle ignore désormais que cinq millions de Français sont au chômage, et que la moitié de la France vit avec moins de 2000€ par mois. Vu le prix des loyers, que reste-t-il pour s’offrir « un bon vin, une bonne viande, un bon fromage » ? À 50€ le kilo de filet de bœuf (et autant pour une dorade de ligne), 30€ pour un petit margaux, et 8,50€ pour un camembert de Marie-Anne Cantin, combien coûte un repas pour quatre personnes ?

Il ne s’agit plus de permettre à chacun de se nourrir. Il faut permettre à chacun de renouer avec l’excellence alimentaire. Je voterai pour le candidat qui mettra sur la table de quoi satisfaire les papilles de tous ceux qui depuis des années sont contraints de bouffer de la merde, comme disait le regretté Jean-Pierre Coffe. L’excellence sur la table de la cuisine — et pas seulement chez Taillevent ou au Grand Véfour.

Pagnol (dans Topaze) remarquait qu’un changement de régime alimentaire change un homme, et lui donne de l’ambition. Nous avons été enkystés depuis des lustres dans une alimentation de subsistance, et une résignation à tous les diktats. Il faut redonner aux Français le goût de la table et le goût des beaux vêtements « made in France ». Le goût de la liberté.
Je ne vais peut-être pas voter pour Fabien Roussel tout de suite. Mais je voterai pour qui me promettra la lune — parce que seule la lune me fait vraiment rêver.

Ah — et une école qui amène chacun au plus haut de ses capacités. Et pas seulement les élèves du lycée Henri-IV et du Vème arrondissement réunis.

Cet article a été modifié le 24 janvier NDLR

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Roberto Juarroz, poète de l’éveil

Le grand poète argentin, mort en 1995, fait l’objet d’une édition bilingue dans la collection Poésie/Gallimard.


Le nom de Roberto Juarroz était bien connu des amateurs de poésie du monde entier. Célébré davantage à l’étranger que dans son propre pays, l’Argentine, même si son compatriote Julio Cortázar l’avait préfacé, il était admiré au Mexique par le grand Octavio Paz, et jouissait en France d’une renommée certaine ; on peut citer deux importants critiques français, Martine Broda et Roger Munier qui lui ont consacré des commentaires ou des traductions.

C’est une littérature à aborder par morceaux, propice aux nuits d’insomnie, quand la perte du sommeil équivaut à une perte du monde

Le même métier que Borges

Né près de Buenos Aires dans un milieu modeste, Roberto Juarroz fut un enfant solitaire qui expérimenta très tôt une sorte de révélation mystique chrétienne. Néanmoins, à la mort de son père, il se laisse influencer par le bouddhisme zen. Dans les années 70, il exerce le même métier que Borges, celui de bibliothécaire. Il fait aussi de grands voyages, visite notamment New York. Puis il reprend ses études, et, grâce à une bourse, arrive à Paris pour suivre, en 1945 et 1946, des cours de philosophie à la Sorbonne. 

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L’œuvre poétique de Roberto Juarroz correspond bien à ce cheminement intellectuel. Elle est regroupée sous un seul titre, Poésies verticales, et numérotée de I à XII, selon l’ordre de parution. Les poèmes ne comportent pas de titre, et se suivent les uns les autres, comme autant de tentatives, à chaque fois recommencées, d’accéder à une « poésie de l’élévation », selon la formule du critique André Velter. Dans la préface à ce volume, excellente « introduction générale » à l’art de Juarroz, Réginald Gaillard parle d’une « expérience de l’absolu éprouvée, encore enfant, lors de ses moments de solitude face aux grands espaces argentins, ou bien face à ce Dieu chrétien absent ou silencieux avant que la foi ne disparaisse et ne laisse un grand vide ». 

Poésie et réalité

Avant de lire ses poèmes, le lecteur aura peut-être intérêt à découvrir le petit essai de Juarroz lui-même qui clôt ce volume, Poésie et réalité. Il y révèle ses nombreuses influences, ses thèmes de prédilection et l’idéal vers lequel il tend. Il écrit par exemple ceci, qui me paraît significatif : « Art de l’impossible, la poésie est donc une recherche constante de l’autre côté des choses, du caché, de l’envers, du non-apparent, de ce qui semble ne pas être. » Et il illustre immédiatement son propos par un de ses poèmes : « Le possible n’est qu’une puissance de l’impossible / une zone réservée / pour que l’infini / s’exerce à être fini… » On a là un bon exemple de la manière de Juarroz, à la fois pragmatique et transcendante ‒ il ne réfute jamais cette dernière dimension, même s’il la remet sans cesse en question. 

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Ses poèmes prennent souvent la forme de fragments philosophiques, mais avec toujours quelque chose de flou qui échappe, et qui conduit le lecteur dans des directions inattendues. Néanmoins, à chaque fois, son poème semble renouer, dans une cohérence nouvelle, avec l’univers qui partait à vau-l’eau. L’effet est profondément rassérénant. C’est une littérature à aborder par morceaux, propice aux nuits d’insomnie, quand la perte du sommeil équivaut à une perte du monde. Juarroz est une sorte de Cioran qui s’exprimerait en vers, et qui ferait l’inventaire de l’écoulement inflexible du temps.

Un cheminement par petites touches

Certes, Juarroz a été très influencé par Heidegger et sa recherche sur l’origine du langage. Mais Juarroz traduit cette quête avec simplicité, comme si sa poésie était la conséquence d’une prise de conscience immédiate. Toujours dans Poésie et réalité, il écrit : « Le destin du poète moderne est de réunir la pensée, le sentiment, l’imagination, l’amour, la création. Et cela comme forme de vie et comme voie d’accès au poème, qui doit façonner cette unité. » Cette « unité », cette synthèse est évidemment très difficile à obtenir mais la « patience » est pour Juarroz un concept fondamental, par petites touches, et en restant d’une humilité parfaite. Il y a là un paradoxe qui fait toute la saveur de l’œuvre de Roberto Juarroz, comme le poème suivant en donne la preuve à sa façon : « J’ai manqué tout ou presque tout, / sauf le centre. […] Alors, et sans manquer mon but, / J’ai envie de laisser le centre au-dehors / et de rester, seul et simple, à l’extérieur, / comme un homme quelconque. »

On le constate : de même que certains autres poètes très rares, Roberto Juarroz est un écrivain de la clarté. Sa lecture propose une véritable expérience de l’éveil, au milieu de notre vie moderne engluée dans l’obscurité du sens. Par sa poésie à hauteur d’homme, il nous fait toucher à une sorte de rédemption essentielle.

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Dino Risi sur la route

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« Le Fanfaron », chef-d’œuvre de Dino Risi, est visible en intégralité et gratuitement sur le site d’Arte jusqu’à la mi-mars


Ça a commencé comme ça, un 15 août, Rome était déserte à cette période de l’année, tous les tabacs de la ville avaient tiré leur rideau de fer. Les églises somnolaient dans une douce liturgie. Les chats, à l’ombre des pins de la villa Borghese, se racontaient des histoires de chats. Même le linge ne pendait pas aux fenêtres des quartiers populaires, contredisant à la fois, le folklore latin et l’ardeur domestique des mères de famille. Les touristes n’existaient pas, en ce temps-là. Ils n’erraient pas, en quête d’une gourmandise patrimoniale ou d’une visite mimétique.

On faisait relâche, un peu partout, de Trastevere à Tiburtino. Impossible d’acheter un paquet de cigarettes, ni de boire un verre, encore moins d’espérer passer un appel d’une cabine téléphonique avec un jeton. Le soleil brûlait le paysage. Le bitume supportait difficilement l’amertume de ces étés trop chauds. Les rues poussiéreuses charriaient du sable venu de la plage lointaine de Terracina. Les habitants avaient quitté, tôt dans la matinée, la capitale, avec enfants et glacières, casse-croûte et maillot de corps.

Italie, 1962

Ah oui, c’est peut-être un détail pour vous, mais nous étions en 1962, avant Vatican II et juste après la jonction franco-italienne sous le tunnel du Mont-Blanc. L’Italie tanguait sur la voie de la reconstruction, entre accession à la cuisine tout équipée et les lenteurs de l’arrière-pays, entre des fortunes aussi rapides que suspectes et une administration conciliante, entre la tentation d’un Babylone hollywoodien et l’isolement du Parti Communiste Italien. En ce jour férié, on échafaudait des rêves impossibles au sein des foyers modestes.

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 Le boom économique permettrait-il de s’acheter la nouvelle Fiat 1500 à la rentrée et d’envoyer ses enfants à l’Université ? Entre le missel et la poitrine de Sophia Loren, les existences les plus ternes tentaient de se frayer un chemin dans ce qu’on appelait la société de consommation. Sur quelques notes de jazz, pas très rassurantes, nous aurions dû faire attention à ce signe, le fou crissant est arrivé, soulevant les jupes et la morale, à coups de dérapages plus ou moins contrôlés et d’accélérations nerveuses. Bruno Cortona (Vittorio Gassman), polo clair et gueule d’amour, baratineur en verve et sans-gêne génial, profiteur jamais en manque d’une réflexion grandiloquente, conduisait une Lancia Aurelia B24 Spider à la carrosserie passablement fatiguée. Cette mécanique exigeante souffrait de nuits courtes et du tempérament volcaniquement dépressif de son propriétaire. Ce Fanfaron-là ne ménageait pas sa monture pour se faire remarquer, usant du klaxon italien comme de la corne de brume, apostrophant les passants dans un succulent délire routier et philosophant sur les chansons de variété. Incurable, innommable, infréquentable, inarrêtable, il nous séduisit d’emblée par ses failles abyssales.

Méchant et drolatique

Car, ne vous méprenez pas, c’était une âme perdue, ses gesticulations ne leurraient personne. Nous nous étions reconnus. J’oubliais, il roulait souvent à gauche de la route, n’étant pourtant pas sujet britannique et, en guise de Saint-Christophe, il affichait sur son tableau de bord, une photo de Bardot en madone du Driving. Et sur son pare-brise, bien en évidence, tel un sauf-conduit dérisoire et splendide, une carte indiquait « Camera Deputati ». Bruno était lâche, inconséquent, épuisant et, malgré tout, fascinant de fourberies et de bêtises. L’esprit de sérieux coulait sur son slip de bain, même si parfois, une sorte de gravité souterraine le secouait tel un spasme accidentel.

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Il préférait laisser passer l’orage, ne pas s’appesantir sur ses propres malheurs de peur de ne pouvoir jamais relancer sa machine. Cette force inextinguible n’admettait que ses désirs futiles. Ce Fanfaron-là, gaspillait le temps par crainte du présent, s’enlisant dans des histoires sans lendemain et des affaires foireuses. L’échec lui collait à la peau. Il n’était pas dupe de son manège infernal. Il avait une langue à lui, méchante et drolatique, boulevardière par essence et carnavalesque par destination. Il s’exprimait avec la certitude du fort-à-bras comme le font les enfants mal élevés.

Catherine Spaak, pour toujours

Il pouvait dire : « J’ai jamais aimé le vélo, c’est pas esthétique, j’aime mieux le billard » ; « Avec les Allemandes, c’est facile ! » ; « À Amalfi, j’ai vu Jackie Kennedy ». Pour s’amuser durant cette longue journée, pour dépenser sans compter, pour gaspiller l’essentiel, pour emprunter le tourbillon de la vie, Bruno a embarqué Roberto Mariani (Jean-Louis Trintignant), son exact contraire, l’étudiant ratiocineur et si peu sûr de lui. Je préfère ne pas vous en dire plus. Regardez gratuitement l’intégralité du film sur le site d’Arte ! Ah si, Le Fanfaron est signé Risi, Ettore Scola a mis sa patte au scénario et le twist d’Edoardo Vianello « Guardo come dondolo » ne vous quittera plus du week-end. Il y a bien sûr Catherine Spaak, mais là, il me faudrait plus de dix mille signes pour vous expliquer combien sa seule présence a irrigué tous les cerveaux de ma génération.


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Nous avons perdu tout goût de la liberté, et cela ne date pas de la crise sanitaire!

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L'enseignant Mathieu Slama © Philippe Matsas

Entretien avec l’essayiste Mathieu Slama, auteur de Adieu la liberté, essai sur la société disciplinaire (Presses de la Cité).



Gelés par la grande peur virale, nos esprits se figent. Prisonniers de la répétition automatique des gestes barrières, nos corps se robotisent. Masqués, les visages, autrefois sanctuaires inviolables de la personnalité, sont anonymisés, réduits à des yeux inquiets qui scrutent – certains appelant l’échange d’un regard, d’autres cachant l’âme d’un délateur.

Telle est la société “covidée” que décrit et rejette Mathieu Slama. Dans son dernier livre, Adieu Liberté, l’essayiste dresse non seulement un violent réquisitoire contre la politique sanitaire du gouvernement qu’il qualifie de disciplinaire, mais il dénonce aussi et surtout le consentement d’une large majorité de citoyens, qui a accepté ou plébiscité avec une docilité déconcertante des mesures de contrôle et de surveillance qui sont passées d’exceptionnelles à normatives. Hier, le peuple français était à l’avant garde de la liberté. Aujourd’hui, il est celui de la soumission volontaire à “l’idéologie du safe” et à un biopouvoir… Entretien.


Isabelle Marchandier. Des visages masqués devenus anonymes, des corps robotisés par la répétition de gestes barrières, une citoyenneté et une liberté conditionnées au statut vaccinal : a-t-on basculé dans une autre société ? 

Mathieu Slama. Si les racines de ce désastre viennent de plus loin, il est incontestable que la crise sanitaire a précipité notre basculement vers un nouveau modèle de société. Une société où la liberté cesse d’être un principe supérieur à tous les autres, une société où la liberté nous est accordée par le pouvoir en fonction de notre comportement, une société où l’ordre est la condition de la liberté, où les devoirs précèdent les droits (de l’aveu même du Président de la République !), où la morale remplace le droit. Une société, également, où l’individu s’efface devant le collectif, et où, au fond, tous nos principes républicains se retrouvent à l’envers, inversés. J’ai en tête un échange avec un grand spécialiste de droit public, défenseur reconnu des libertés publiques, qui affirmait, en défense des mesures sanitaires, que le principe même de la République est de mettre le collectif avant l’individu. Qu’une telle méprise vienne d’un juriste aussi capé montre bien l’ampleur de notre désarroi…

“Mesures de freinage”, “distanciation”, “gestes barrières”, “protocole”… jusqu’à la dernière trouvaille langagière en date, signée Olivier Véran, “la concordance” entre la carte d’identité et le passe vaccinal… Quel rôle joue cette novlangue ? 

Je suis convaincu que notre enfermement s’est d’abord joué sur le terrain de l’imaginaire et de la langue qui a, en quelque sorte, conditionné notre perception de la crise et donc notre acceptation des mesures prises. À partir du moment où la société toute entière reprend le lexique médical et scientifique, parle de « confinement » au lieu d’ « enfermement », euphémise les mesures les plus aberrantes en parlant de « mesures de freinage », alors nous sommes prêts à accepter l’inacceptable. Parler de « résilience », de « fragilité », de « vulnérabilité » etc. sous l’influence du pouvoir et de quelques intellectuels naïfs, revient à dépolitiser totalement la situation et à rendre les mesures les plus liberticides inéluctables. Et que dire du chantage à la « solidarité » et à la « responsabilité », mots martelés jour et nuit par le gouvernement pour culpabiliser les réfractaires (ce même gouvernement qui est responsable des mesures sociales les plus réactionnaires depuis des décennies…) ? Le langage a joué un rôle immense dans cette domestication des esprits et des corps, cela ne fait aucun doute. 

Face au terrorisme, on disait (à raison, selon moi) qu’il ne fallait rien céder sur nos valeurs. Mais face au virus, on a cédé sur tout…

Votre essai est aussi un coup de gueule adressé à nous, les citoyens qui avons consenti et même plébiscité les mesures restrictives de nos libertés sous prétexte sanitaire. « Nous fûmes jadis les avant-gardistes de la liberté ; nous avons été, dans cette crise, les avant-gardistes de la servitude » écrivez-vous en digne héritier de La Boétie. Comment peut-on se renier à ce point ? 

Je pense même qu’on peut aller plus loin : si le pouvoir a pris des mesures aussi liberticides et autoritaires, c’est parce qu’il y a eu une forte demande sociale pour ces mesures. Autrement dit : si les Français avaient été moins dociles, alors il ne fait aucun doute que le gouvernement aurait été plus prudent et moins autoritaire dans sa gestion de la crise. Rappelons qu’en janvier 2021, Emmanuel Macron prend la décision de ne pas reconfiner le pays en partie parce qu’il y a, dans l’opinion, un début de lassitude qui s’exprime. Nous sommes donc en partie responsables de ce qui nous est arrivé. On pourrait également évoquer la manière dont la délation s’est généralisée, la méfiance des uns vis-à-vis des autres, la manière dont le pays tout entier a fait des non-vaccinés les boucs émissaires de la crise… La pandémie a réveillé dans le pays des pulsions malsaines et grégaires. 

Preuve en est avec l’apparition d’une nouvelle figure, celle du citoyen policier, chargé d’être vigilant non seulement vis-à-vis de lui-même, mais aussi et surtout vis-à-vis des autres. « Soyez tous vigilants » : cette injonction permanente du pouvoir a quelque chose de très dérangeant, et pousse chacun à être le flic de l’autre. D’ailleurs, le fonctionnement même du passe implique que des citoyens ordinaires endossent le rôle de policier, vérifiant les QR code d’autres citoyens avec potentiellement des contrôles d’identité. Ce monde-là est effrayant. 

Vous écrivez qu’on a perdu le goût de la liberté et surtout le dégoût de la servitude. Peut-on dire qu’on a pris goût au contrôle ? 

Le fait que nous ayons perdu tout goût pour la liberté est un fait incontestable, et cela ne date pas de la crise sanitaire. Ce que cette crise a révélé en revanche, c’est la profondeur de ce mal et les conséquences désastreuses qu’il peut avoir sur notre démocratie. S’installe en France, pays de la liberté, ce que j’appelle une idéologie du « safe », c’est-à-dire un nouveau paradigme dans lequel les valeurs politiques essentielles sont la sécurité et la protection, tandis que la liberté devient non seulement secondaire mais aussi suspecte, dangereuse. Depuis quand la vie biologique est devenue l’alpha et l’omega de toute politique ? Depuis quand a-t-on abandonné l’idée qu’il y a des principes avec lesquels on ne transige pas, qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir, que la fin ne justifie pas tous les moyens ? Face au terrorisme, on disait (à raison) qu’il ne fallait rien céder sur nos valeurs. Mais face au virus, on a cédé sur tout. Et quand le Premier ministre tient en conférence de presse des propos comme « Le couvre-feu est maintenu jusqu’à nouvel ordre », tous les démocrates de ce pays devraient exprimer leur colère et leur révolte… Cela n’a pas été le cas !

Face à cette société disciplinaire qui a donc accepté de sacrifier la liberté sur l’autel de la sécurité, vous opposez la liberté absolue. Une liberté conditionnée à des injonctions sanitaires « se vide de sa substance” affirmez-vous carrément. Mais n’est-ce pas confondre la licence – je fais ce que je veux – et la liberté au sens être responsable des conséquences de ses actes ? 

Je pense qu’il n’y a pas de mal à être un peu libertaire et je pense même que c’est une nécessité dans le climat d’ordre et de discipline actuel. Je suis également très sceptique sur la formule « la liberté va avec la responsabilité » parce qu’elle revient souvent, dans la bouche de ceux qui la prononcent, à minimiser l’importance de la liberté et à justifier toutes les restrictions possibles et imaginables. La liberté n’a de bornes que la loi. Point. Un citoyen a des droits, ses seuls devoirs sont de respecter la loi. Et quand la loi empiète trop sur les libertés, alors il faut le dénoncer.

Certes, mais, de nouveau, que répondez-vous au discours rappelant cette vision collective de la liberté et qui serine à longueur de temps qu’une liberté individuelle qui nuit à la liberté des autres est irresponsable ? La liberté individuelle de ne pas se faire vacciner est-elle compatible avec un comportement citoyen et responsable ? 

Dire que le collectif est supérieur à l’individu est la marque des régimes autoritaires, qu’ils soient communistes ou réactionnaires. J’ajoute que toute liberté s’effectue au détriment de quelqu’un (une parole peut blesser quelqu’un, une mauvaise conduite peut provoquer un accident, une fête peut provoquer un cluster etc.)  : c’est ce désagrément lié à la liberté que notre société n’accepte plus. J’ajoute que la responsabilité, la vraie, consiste justement à faire confiance aux individus plutôt qu’à les contraindre et à normer les comportements !

Revenons tout simplement à ce qu’expliquait Rousseau dans le Contrat social : l’intérêt général doit se fonder sur un prérequis indispensable : l’adhésion rationnelle de chaque citoyen. Nous ne sommes pas des enfants, et nous sommes évidemment prêts à accepter des limitations de liberté quand elles sont proportionnées et rationnelles (port du casque, port de la ceinture etc.). Mais avec cette crise sanitaire, on parle de tout autre chose :  il s’agit de faire du pays entier une prison (confinement), d’imposer un masque permanent dans la rue, d’exclure de la vie sociale toute personne refusant la vaccination, alors même que le climat est très tendu et la cohésion sociale très abimée. La vraie irresponsabilité est là. 

Pour vous, la liberté absolue va-t-elle jusqu’à la désobéissance civile ? Ce serait l’anarchie !

Je ne pense pas que l’anarchie soit forcément une mauvaise chose en soi. Proudhon a d’ailleurs essayé de prouver qu’elle était consubstantielle à l’esprit de la République ! Je n’irai pas jusque-là, mais il y a un droit, pour chaque citoyen, d’adhérer et de consentir aux lois qui lui sont imposées, d’autant plus lorsqu’elles sont attentatoires à ses libertés fondamentales. Dans certaines situations, il faut savoir dire non. Mais j’insiste sur un point : dans une démocratie d’opinion comme la nôtre, nul besoin de désobéissance civile ! Un rejet massif d’une mesure dans l’opinion, des manifestations d’ampleur et d’autres actions indirectes peuvent suffire pour faire plier un gouvernement. Cela s’est vu à plusieurs reprises par le passé. Si une majorité de Français s’étaient levée contre le passe ; il ne fait aucun doute qu’Emmanuel Macron l’aurait supprimé. 

Hier, la guerre froide déclenchait des débats animés entre les intellectuels de gauche et de droite. C’était Sartre contre Aron. Aujourd’hui la « guerre sanitaire » a rendu presque mutiques les intellectuels à quelques rares exceptions. Le « sanitairement correct » a-t-il gagné tous les esprits? 

Les rares intellectuels à avoir compris ce qui se jouait dans cette crise sont deux représentants de la gauche critique héritée de Michel Foucault, l’intellectuel italien Giorgio Agamben et la philosophe Barbara Stiegler. Ce n’est pas un hasard. Les intellectuels marxistes se sont plantés, notamment parce que la politique sanitaire a été en partie communiste au sens où elle a instauré un ordre collectif au nom de la solidarité et de l’altruisme. D’où les errements de penseurs aussi importants que Badiou, Rancière, Zizek, Chomsky… Quant aux intellectuels de droite, eux, ils n’ont vu aucun problème à ce que l’état d’exception s’installe et que l’ordre et l’autorité s’imposent, puisque cela fait partie de leur logiciel ! D’autres intellectuels ont participé à la dépolitisation de la crise, évoquant pêle-mêle « Gaia qui respire », « Un autre monde est possible », « La respiration nécessaire ». Bref, toutes ces pensées naïves et creuses sont passées totalement à côté de l’immense problème que nous avions en face de nous.

Vous faites le parallèle entre le wokisme et le sanitarisme, entre les éveillés woke constamment offensés par la société jugée “systémiquement” discriminante et les « enfermistes » qui préfèrent vivre dans un bunker stérilisé. Les deux, dites-vous, sont animés par la même idéologie, l’idéologie du « safe ».  Comment la définissez-vous ?

Je vais vous surprendre, je pense que le mouvement woke pose certains constats très lucides sur la société française, sur la prévalence des discriminations et sur leur caractère systémique. Ce que je critique en revanche, c’est la réponse que ce mouvement apporte à ces problèmes majeurs. Une partie de la gauche, imitant sans s’en rendre compte les réflexes de la droite, est prise d’une frénésie autoritaire, punitive et je dirais même sécuritaire. Que fait le mouvement woke et ses avatars ? Il réclame des peines plus lourdes, une justice plus sévère, la fin de la présomption d’innocence et de la prescription, la censure, la fin de la libre parole et de la libre pensée etc. Il y a 40 ans, la gauche militait pour la liberté des mœurs, la fin des prisons et le démantèlement de la justice. C’est tout un esprit libertaire de gauche qui est en train de disparaître au profit d’un marxisme autoritaire mélangé à un puritanisme venu d’Amérique totalement étranger à notre culture républicaine.

 Et au fond, le mouvement woke comme l’hygiénisme tel qu’il s’est exprimé dans cette crise illustrent tout deux un même esprit du temps que je définis par l’idéologie du « safe ». On assiste en effet à l’avènement d’une société dans laquelle le nouveau paradigme dominant est la protection et la sécurité au détriment de la liberté. La droite ultra-sécuritaire et autoritaire participe de cette même idéologie, et c’est là où je pense que le vrai clivage aujourd’hui se situe entre partisans de l’ordre et partisans de la liberté. Et il dépasse largement le seul clivage droite-gauche. 

Ne craignez-vous pas que ce parti de la Liberté soit une coquille vide étant donné le consentement de la grande majorité des Français ? 

Oui, c’est une hypothèse très fragile. Je remarque que cette crise a dévoilé un clivage générationnel. Tous les sondages ont montré que globalement la jeunesse a été plus critique vis-à-vis des mesures sanitaires que leurs aînés qui ont plébiscité la société d’ordre et de discipline qui s’est installée. Pour beaucoup de jeunes, il y aura un avant et un après crise, au sens où ils ont vu ce que signifiait très concrètement un État autoritaire, comment il pouvait nous enfermer chez nous, nous empêcher de faire la fête, de voir nos proches etc. Ces jeunes l’ont vécu dans leur chair. Alors, peut-être que chez certains aura lieu une épiphanie et la révélation qu’une société de liberté est préférable à une société d’ordre. En réalité, c’est plus un souhait qu’un constat : mais pour moi, à titre personnel, le vrai combat est là. 

Adieu la liberté, c’est le titre funeste de votre essai.  Pourtant, cet adieu ne semble pas définitif : des parlementaires du RN et de LFI ont voté contre la loi sur le passe vaccinal, et n’oublions pas tous ceux que la presse désigne comme des antivax qui sont en majorité des anti-passes et crient ce mot de “liberté” qui vous tient à cœur dans leurs manifestations.  Diriez vous que la liberté a changé de camp ? 

Il se passe en effet une chose étrange, paradoxale, où les modérés et les libéraux défendent l’autoritarisme et les extrêmes défendent les libertés ! Je suis très critique sur cette extrême droite qui a selon moi exploité la crise de manière très opportuniste et a vu dans la défense des libertés un filon électoral. D’ailleurs, la plupart de ceux qui se font les résistants à l’ordre sanitaire aujourd’hui défendaient un confinement dur et autoritaire au début de la pandémie, ce qui est une réaction impossible quand on est réellement attaché aux libertés. L’extrême droite défend un État autoritaire et la sortie de l’État de droit : deux positions incompatibles, selon moi, avec la défense des libertés fondamentales. 

Concernant le parti de Jean-Luc Mélenchon, il a mis du temps à prendre position contre la politique sanitaire mais leur opposition à l’instauration du passe vaccinal a été exemplaire – et courageuse parce qu’ils n’avaient rien à gagner en faisant cela. J’y vois pour ma part l’influence de François Ruffin, qui est très proche de la philosophe Barbara Stiegler. 

Quant aux libéraux, il y aurait mille choses à dire sur la manière dont beaucoup d’entre eux ont trahi leurs idéaux, mais au fond cette crise a révélé qu’ils étaient bien plus préoccupés par la liberté d’entreprendre que par nos droits fondamentaux. 

Que répondez-vous à Emmanuel Macron qui veut “emmerder” les non-vaccinés et entend les traiter en citoyens de seconde zone ?

Que sa plus grande faute est d’encourager et de remuer les passions les plus tristes et les plus malsaines de notre société en vertu d’un médiocre calcul électoraliste. Qu’en encourageant la majorité à persécuter la minorité, il trahit non seulement sa fonction – mais tout notre héritage républicain dont il est pourtant le dépositaire. 

« Zone Interdite »: alors que nous tergiversons, les islamistes, eux, savent ce qu’ils veulent

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Capture M6

Poupées pour enfants sans visage à Roubaix, écoles hors contrat à Marseille et ailleurs, restaurants non mixtes, fac de Bobigny: M6 a présenté hier un état des lieux alarmant de l’islamisation de la France. Eric Zemmour affirme ainsi qu’avec la ville de Roubaix, l’Afghanistan est désormais à 2 heures de Paris: « les us et coutumes de l’Afghanistan totalitaire prennent racine chez nous, sous le regard bienveillant des pouvoirs publics ». Élisabeth Lévy a également regardé cette émission consacrée à l’islamisation et à la lutte que l’État mène contre lui. Analyse.


M6 diffusait hier un document effrayant sur le séparatisme concret, dans « Zone interdite ».

Tous les gauchistes qui nient le réel en permanence devraient absolument le voir. La diffusion a déclenché un déluge numérique avec plus de 22 000 tweets évoquant le sujet à 23 heures.

Pas un phénomène nouveau, mais des images rares à la télévision

Dans un quartier de Roubaix, les jilbebs – de longues robes un peu informes – sont l’uniforme féminin et les librairies sont exclusivement islamiques. On y vend un guide conjugal expliquant que la bonne musulmane ne doit pas énerver son mari. Sinon quoi ? On ne le sait pas. Plus loin, un restaurant propose carrément des box fermés (!) pour que les femmes – qui sont « toutes voilées dans le quartier » selon le patron – puissent dîner sans voile et sans regards masculins.

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Mais au-delà de ces premières images, le plus inquiétant est la conquête des jeunes esprits par des moyens qui, d’ailleurs, sont souvent légaux. Un activiste le dit clairement dans le reportage : « Notre priorité, c’est l’éducation ». Toujours à Roubaix, une association de prétendu soutien scolaire endoctrinait ainsi la jeunesse avec la bienveillance de la mairie [1]. Dans certaines écoles, toujours à Roubaix ou bien à Marseille, les gosses sont soumis à une stricte non-mixité, parce qu’il faut leur inculquer « nos valeurs » pour l’avenir. 

La vision la plus terrible, du moins celle qui a fait le plus parler, c’est cette séquence des poupées, peluches et images pour enfants sans visage. L’interdiction de reproduire la création divine est invoquée… C’est peut-être le symbole le plus fort de ce séparatisme, car le visage, pour nous, pour notre civilisation, c’est la rencontre avec l’altérité, la première chose que l’on voit chez l’autre.

Encore un exemple ? À l’université de Bobigny, une jeune fille montre un endroit secret où prier tranquillement – alors que c’est interdit. Et enfin une étudiante en droit refuse d’enlever son voile malgré son désir ardent d’être avocate. Elle envisage de partir dans un pays plus ouvert, dit-elle. Désolé, mais ce n’est pas sûr qu’elle manquera à la France. 

Alors, ce constat terrible et ces phénomènes inquiétants présentés dans « Zone Interdite » sont-ils minoritaires ?

C’est ce qu’affirme d’emblée le commentaire: il y aurait seulement 90 000 fondamentalistes en France. 

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Certes, mais dans certains endroits perdus de la République, c’est 100%. Et il faut ensuite se demander quels adultes deviendront tous ces enfants élevés dans un ghetto mental volontaire ? Enfin, comme souvent, on voit que la frontière entre islam et islamisme est moins étanche qu’on ne le voudrait. Beaucoup de jeunes musulmans que l’on qualifierait volontiers de  modérés sont séduits par la chaleur communautaire, et plus encore, par le discours victimaire sans cesse ressassé : « L’État nous traque… Les Français ne nous aiment pas… ils sont contre l’islam… ». Même sans être observants religieusement, ces jeunes se séparent mentalement de reste la société. 

La journaliste de M6 interroge enfin le directeur d’un établissement hors contrat (qui abrite en plus une école totalement clandestine) sur la séparation des sexes. « Ce n’est pas la règle de vie en France, on n’est pas séparés » lui fait-elle remarquer. La réponse est cinglante : « Ce n’est pas la règle actuelle ». 

Pendant que nous tergiversons empêtrés dans notre souci du droit, notre volonté d’être « bienveillants » et notre peur d’être racistes, les islamistes, eux, savent ce qu’ils veulent.


Cette chronique a initialement été diffusée sur Sud Radio.

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy chaque matin à 8h10 dans la matinale.


[1] Le reportage nous apprenait qu’elle est depuis fermée et le maire poursuivi.

Notre-Dame des wokes

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L'autel de la cathédrale au milieu des gravats, un mois après l'incendie, 15 mai 2019. © Philippe Lopez / Pool / AFP

C’est un cadeau de Noël plus que douteux que le diocèse de Paris a offert à Notre-Dame. Le projet de réaménagement de la cathédrale, qui a reçu un premier avis favorable de la Commission du patrimoine, prévoit notamment de remiser mobilier et œuvres d’art du XIXe siècle pour faire entrer le street art et des projections lumineuses multilingues sous ses voûtes. Bisounours du monde entier, aimez-vous les uns les autres !


Ce sont les Anglais qui ont tiré les premiers. Fin novembre, un article du Daily Telegraph a révélé le projet de réaménagement intérieur de Notre-Dame de Paris en le qualifiant de « Disneyland politiquement correct ». On a alors commencé, de ce côté-ci de la Manche, à s’intéresser à ce que mijotait le diocèse de la capitale : une véritable opération wokiste. À en croire les plans du père Gilles Drouin, missionné pour piloter ce chantier par Mgr Michel Aupetit – qui a depuis démissionné pour d’autres raisons –, la cathédrale du xxie siècle semble devoir se muer en parc à thème, en lieu pédagogique et festif, ludique et régressif. Pour attirer les curieux, il prévoit des projections lumineuses de phrases bibliques en français, en chinois et en arabe sur les murs de 14 chapelles qui avaient été remodelées par Viollet-le-Duc. Celles-ci subiraient au passage de sérieuses transformations : la moitié d’entre elles seraient privées de leurs confessionnaux, remisés dans les tribunes, et leurs autels seraient totalement dépouillés de leurs candélabres, ostensoirs et autres sculptures dessinées par l’architecte. Place nette serait ainsi faite pour laisser l’art contemporain « dialoguer » avec les toiles des Mays, de Le Nain ou Le Brun. Des artistes vraisemblablement trop passéistes pour l’Église du futur. La « scénographie » de Notre-Dame s’enrichirait de créations d’Ernest Pignon-Ernest, d’Anselm Kiefer, de Louise Bourgeois et de quelques sommités du street-art qui manquent sérieusement à l’édifice depuis plus de huit siècles. Dans la foulée, les chapelles seraient également rebaptisées de façon thématique : « Foi et Raison », « la Mystique », « la Charité », « la Mission », « l’Espérance » et même « la Création réconciliée » ! L’éclairage de la nef varierait, quant à lui, « selon les jours » – et l’humeur du bedeau ? Afin de faciliter la pénétration des voies du Seigneur, il serait aussi envisagé de se débarrasser des immémoriales chaises en paille pour les remplacer par de confortables bancs dotés de « lumignons » afin de « créer un halo et de mieux inclure l’assemblée pendant les services religieux », lesquels bancs seraient, en outre, montés sur roulettes pour faciliter leur déplacement s’il fallait faire de la place. À quelle fin ? Pour un concert-électro-événement durant une Nuit blanche, ou pour transformer Notre-Dame en fan zone lors des JO, puisque 2024 est – depuis le début du chantier – la date fixée par les autorités pour sa réouverture au public ?

Conférence de presse du père Gilles Drouin, responsable du projet d’aménagement de la cathédrale, 15 octobre 2019. © Mario Fourmy / SIPA

Avis favorable

Que le diocèse fourmille d’idées merveilleuses pour ouvrir un « Christland destiné aux touristes » – selon l’historien de l’art Pierre-André Hélène – est une chose, que la commission nationale de l’architecture et du patrimoine les valide en est une autre, et c’est inquiétant. Ses 26 experts ont ainsi donné un avis favorable, début décembre, à ce projet de réaménagement en ne retoquant que deux points : les bancs lumineux et le déplacement des statues de Viollet-le-Duc. Selon un membre de la commission cité par Le Figaro, « le diocèse est libre de ses choix esthétiques mais la cathédrale réclame de la solennité ». Concernant les statues, il poursuit avec bon sens : « Elles ont été créées pour les chapelles au xixe siècle et on ne voit pas pourquoi les en sortir. » Le diocèse doit donc revoir partiellement sa copie, mais peut faire appel, s’il le souhaite, à Valérie Damidot pour relooker la déco car « l’Église est affectataire des lieux et dispose d’un libre choix ». Les experts ont toutefois formulé le vœu que la commande du nouveau mobilier liturgique soit faite auprès d’un seul artiste, pour des « raisons esthétiques ». Aucun nom n’a encore été annoncé, mais il se dit que Roselyne Bachelot est emballée par l’idée, et il se murmure qu’Emmanuel Macron aussi. Pour qui se souvient de notre président qui, devant une cathédrale encore en flammes, annonçait que la flèche pourrait être remplacée par un « geste architectural », il y a de quoi craindre le pire.

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L’avis favorable de la commission va en tout cas permettre de passer commande rapidement à un artiste subventionné, comme l’a annoncé dans un communiqué le général d’armée Jean-Louis Georgelin qui préside au bon déroulement des travaux : « En tant que garant du calendrier et maître d’ouvrage du chantier de restauration, ce jalon essentiel nous permettra de lancer des appels d’offres […] et d’avancer résolument vers la réouverture de la cathédrale au culte et à la visite en 2024. » Le même se félicite, dans son texte, que « les grands principes du programme d’aménagement liturgique porté par le diocèse de Paris, et fruit d’un équilibre entre les exigences du culte et les principes de conservation du patrimoine, aient reçu un avis globalement favorable. » Éric Zemmour a donné une définition de cet Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris (titre complet) que préside le général Georgelin : « Une usine à gaz dispendieuse destinée à satisfaire les caprices d’Emmanuel Macron. »

Il est à noter qu’Éric Zemmour est la seule personnalité politique à avoir dénoncé ce projet de réaménagement délirant. Dans une tribune publiée dans Le Point, adressée aux « amoureux de la splendeur de notre civilisation », le candidat de la « Reconquête » se désole qu’on s’attaque ainsi au « centre de gravité de la chrétienté française et symbole de notre Nation ». Il déplore aussi que « le président de la République tente de faire passer les passionnés de Notre-Dame pour des passéistes, des ringards. Mais depuis quand la modernité consiste-t-elle à défigurer un chef-d’œuvre inouï pour le remplacer par un fantasme imbécile ? […] Espaces émotionnels, chapelle écologique, parcours initiatiques, peinture abstraite : dans une fournaise d’abstractions imbéciles et kitsch, les démons du wokisme s’acharnent sur le trésor le plus émouvant de Paris. » Et le candidat de promettre : « Si d’aventure [Emmanuel Macron] s’obstine à laisser défigurer la cathédrale de Paris, lorsque je serai élu président de la République, je m’engage solennellement à ce que Notre-Dame redevienne Notre-Dame. J’inscris cette intention, de manière définitive, dans mon programme électoral. »

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Ce que l’incendie a épargné…

Si, côté politique, la transformation de la cathédrale en Babel touristique laisse de marbre, beaucoup d’historiens, universitaires, intellectuels, chercheurs et conservateurs du patrimoine hésitent entre désarroi et colère. À l’initiative du Figaro et de La Tribune de l’Art, une centaine d’entre eux ont signé un texte pour alerter sur ce projet, émanant de l’Église elle-même « où la niaiserie le dispute au kitsch », sous ce titre : « Ce que l’incendie a épargné, le diocèse veut le détruire ».Comme le rappelle Didier Rykner, directeur-fondateur de La Tribune de l’Art, le diocèse « estime ainsi que les destructions de l’incendie sont l’occasion de transformer l’appréhension du monument par le visiteur, alors même que celui-ci s’est limité à la toiture et à la flèche et n’a rien détruit de patrimonial à l’intérieur. […] Les auteurs de ce projet cherchent à mettre en place un autre parcours, une autre expérience du monument, alors même que Notre-Dame offre déjà un parcours, qu’elle a déjà un discours. » Ce discours, c’est celui de Viollet-le-Duc qui a fait renaître un décor d’ensemble cohérent et d’une remarquable perfection formelle. Cette tribune le souligne comme il se doit : « L’architecte génial, soucieux de prolonger et d’achever le travail des bâtisseurs du Moyen Âge, avait conçu une œuvre d’art totale, faisant se correspondre architecture et décor, peinture et sculpture, ébénisterie et orfèvrerie, vitraux et luminaires. Guidé par une vision très précise d’un idéal artistique et spirituel, il avait élaboré et mis en œuvre la cathédrale des cathédrales. »

En écho à cette pétition publiée le 8 décembre dernier, le mot dièse #saccageNotreDame a vu le jour. Si Twitter avait existé plus tôt, peut-être aurait-il aidé à guérir le diocèse de Paris qui souffre d’un complexe patrimonial aigu depuis un certain temps. Pendant quelque vingt années, le cardinal Lustiger n’a eu de cesse de vider la cathédrale de l’héritage mobilier et artistique de Viollet-le-Duc dans l’indifférence générale !

Le spectacle son et lumière « Dame de cœur », sur le parvis de Notre-Dame, 20 octobre 2018. © AFP Ludovic Marin / AFP

Crise profonde

Le projet du diocèse ne fait pas l’unanimité dans ses propres rangs. Mais la querelle est bien plus profonde qu’une énième opposition entre anciens et modernes. Elle révèle cette volonté répandue de niveler par le bas. Si dans le monde de l’enseignement, c’est révoltant, dans l’univers du spirituel, c’est effrayant. Comment concevoir, et accepter, que les gardiens du temple instaurent eux-mêmes, en son sein, les codes d’une néo-modernité faite pour le détruire.

L’esprit des lieux est une réalité tangible, sensible. Notre-Dame de Paris le prouve par son existence et sa préservation. Elle n’est pas un lieu de « culture », c’est un lieu sacré, un lieu de culte, un lieu chargé de toute l’histoire de France. Une telle densité de symboles, de valeurs et de messages ne se retrouve dans aucun autre monument de notre pays. C’est cette unicité fédératrice qui se doit d’être défendue : ce poids de la pierre ancrée dans le sol de Paris qui, paradoxalement, s’élève bien au-dessus de nous, envers et contre tout, depuis toujours.

Le projet du diocèse ne révèle pas qu’une indécente pensée Bisounours, il véhicule aussi une idée qui, si elle s’avérait vraie, serait d’une incommensurable tristesse : l’humanité a-t-elle à ce point perdu sa faculté d’être touchée par le mystère et le mystique, le spirituel et le sacré, que ceux qui en sont les garants doivent projeter des mots magiques et des dessins animés en prenant soin d’illuminer leurs voûtes pour en chasser toute pénombre habitée ? Si ce n’est pas le cas, le message envoyé par le diocèse de Paris est alors, et tout simplement, très insultant.

Cathédrales à la loupe
La France est peuplée de cathédrales, à l’instar de l’Europe qui en est hérissée. L’histoire commence en 313, lorsque l’empereur Constantin Ier, converti au christianisme, promulgue l’édit de Milan et fait bâtir deux édifices : la basilique Saint-Pierre, à Rome, et la basilique Sainte-Sophie, à Byzance. L’histoire se fait ensuite épopée, des abbatiales mérovingiennes aux grandes cathédrales des âges romans puis gothiques. La Renaissance réinvente cette vision architecturale sans commune mesure qui saura renaître, encore, aux xixe et xxe siècles. Dans le beau livre qu’il consacre à cette extraordinaire aventure technique et spirituelle, l’architecte Alain Billard sillonne les siècles et les territoires pour disséquer cryptes et transepts, nefs et charpentes, tribunes et contreforts… On se penche sur les ruines de la basilique romaine de Leptis Magna, sur la côte libyenne, comme on traverse les voûtes de la cathédrale de Gloucester, en Angleterre. On découpe l’église de Saint-Étienne de Nevers, dans la Nièvre, pour comprendre l’enchevêtrement de sa construction, et l’on se laisse subjuguer par les boiseries polychromes et dorées de Saint-Jean-de-Latran, à Rome. De courts textes mettent en avant ces architectes, ces maçons et ces artisans qui ont, avec ces monuments, édifié les fondations de notre civilisation car, comme l’écrit l’auteur, « toute blessure qu’une cathédrale peut subir trouble les hommes jusque dans leurs racines. »

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Une pâle copie d’Aimé Césaire

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Christiane Taubira annonce sa candidature lors de sa "déclaration de la Croix-Rousse", Lyon, 15 janvier 2022 © Laurent Cipriani/AP/ SIPA

Une nouvelle poétesse tropicale nous est née: elle s’appelle Christiane Taubira! Mais contrairement à Assurancetourix, on ne peut pas la faire taire…


Elle aimait Césaire. Christiane Taubira ne manque pas de nous le rappeler, constamment, dans un lyrisme échevelé. Malheureusement, l’air ne fait pas forcément la chanson… Notre femme politique « lettrée » qui revendique en effet sa filiation directe, tant littéraire que politique avec le chantre de la négritude, a annoncé, depuis la « Colline des canuts », en toute simplicité, sa candidature à la présidence de la République. 

En direct de Lyon

Parce que je suis lyonnaise, parce je fus adolescente en Guadeloupe et que je me suis par conséquent passionnée pour le poète martiniquais, parce que je suis nostalgique d’une gauche intelligente ; de cette gauche pleine d’esprit qui savait jadis poser sur les plaies du monde le baume de l’humanisme et de la culture ; en deuil de cette gauche qui m’a appris à réfléchir et à aimer l’altérité, je suis allée écouter l’Appel de la Croix-Rousse lancé par Christiane Taubira, sous un froid polaire puis, j’ai suivi les interventions de notre griotte guyanaise sur les plateaux de télévision. 

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Frigorifiée au sommet de la « colline qui travaille », je fus prise par l’espoir, alors que j’attendais la prise de parole de Madame Taubira, de retrouver au moins le souffle du Discours sur le colonialisme. A défaut d’être d’accord avec la cause que défend Christiane Taubira parce que les temps ont changé et que les opprimés d’hier sont en passe de devenir les oppresseurs d’aujourd’hui, j’espérais au moins être transportée par un verbe fort et puissant, susceptible de servir une cause. Qu’importe l’ivresse pour peu qu’on ait le flacon… Les mots, les mots, toujours les mots, enfin leur retour triomphant sur la scène politique, fini l’anaphore étique à laquelle nous avait habitué le candidat Hollande.

 Souvenons-nous plutôt : ce Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, c’était un enchantement rhétorique :

       J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes.

      Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.

    On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilomètres de route, de canaux, de chemin de fer.

     Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. je parle de ceux qui, à l’heure ou j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.

     Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. (…)

 Oui, j’aurais aimé, avec Christiane Taubira, voir apparaître sur la scène politique quelqu’un dont le verbe serait aussi incisif que le fut celui d’Aimé Césaire en son temps. J’aurais adoré qu’elle mette ce verbe au service des nouveaux damnés de la terre qui ne sont pas les mêmes, je l’ai déjà dit, que ceux défendus autrefois par le poète. J’espérais retrouver enfin une voix forte pour tous les opprimés de la planète et Dieu sait s’ils sont nombreux. Ç’aurait été une heureuse perspective. 

Des propos fuyants

Quelle déception ! La parole de la candidate s’avère sirupeuse et son propos fuyant, son projet fumeux. 

Dans la grisaille lyonnaise, elle a surtout énuméré avec onction et componction les villes visitées par son auguste personne comme autant de stations où l’auraient conduite ses déambulations à la rencontre d’un pays meurtri dont elle se fait fort de réveiller l’espoir. 

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Quand on lui demande en préambule si elle envisage de s’effacer, confrontée à un hypothétique vainqueur de la primaire qui ne serait pas Elle, impossible d’avoir les éléments d’une réponse claire. Celle-ci semble définitivement noyée dans les méandres d’une parole tortueuse et d’une pensée retorse, méandres qui n’ont rien à envier à ceux du fleuve Maroni. Les autres prétendants de gauche en lice pour l’élection refusent, du reste, une primaire populaire. « Quand c’est non, c’est non ! » s’énerve Yannick Jadot. Jean-Luc Mélenchon, lors d’un meeting à Nantes, « tortue électorale sagace », comme il se plait à se qualifier lui-même, engage plutôt ses partisans à rester groupés derrière lui. Anne Hidalgo, après avoir proposé ladite primaire pour se rétracter aussitôt, tape du pied avec véhémence depuis la cour de récré où elle s’est réfugiée, refusant de partager son goûter : « Chacun est libre de faire ce qu’il veut et maintenant, c’est projet contre projet ! » Je me suis même laissée dire qu’elle avait ponctué cette phrase, missile s’il en est, d’un : « Na ! » des plus offensifs, baste !

Christiane Taubira et Anne Hidalgo, Paris 26 septembre 2015 SEVGI/SIPA 00724560_000003

Quand on a demandé à Madame Taubira des précisions relatives au financement de son louable projet concernant une bourse octroyée aux étudiants, on s’est aussitôt fait rembarrer. Et Christiane Taubira de tweeter : « Madame Léa Salamé pose des questions malveillantes en interrogeant le coût de mon projet. 10, 50, 100 milliards, quelle importance, les chiffres, comme le disait Aimé Césaire, ne sont que la sombre brume que surplombe l’esprit éclairé des volontaires. » Ben voyons ! Le réel est obscène, c’est bien connu. 

Quant à feu notre poète, dont se réclame Madame Taubira, je ne suis pas vraiment sûre qu’il se réjouisse d’être embarqué dans cette galère. Sans doute, parce qu’il a en son temps justement et bien ferraillé contre l’adversité, on peut considérer qu’il est en droit de souhaiter qu’on respecte son :

Silence

Silence par delà les rampes

Sanguinolentes

Par cette grisaille et cette calcination inouïe.

Enfin, lui, 

Ce vent des méplats, bonheur,

Le silence

Une candidate orgueilleuse

Christiane Taubira, donc, définitivement au service de sa seule ambition personnelle démesurée, atomise ce qu’il reste d’union à gauche. On ne peut s’empêcher avec Laurent Delahousse de l’inviter à considérer avec attention l’avertissement donné par mère Agnès (une bonne sœur dont parle Christiane Taubira dans son récit Nuit d’épine) : « Savez-vous Christiane, que l’orgueil est un péché capital qui peut devenir péché mortel ? » Mortel pour la gauche, c’est certain…

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Christiane Taubira symbolise la faillite d’une partie de la gauche qui a abandonné la lutte pour l’émancipation des humbles, se préoccupant davantage de l’essor d’un libéralisme sociétal pervers et doublé d’un antiracisme dévoyé qui fracture chaque jour un peu plus la société. Cette gauche, par la voix de Christiane Taubira, ne propose plus que de vivre des « morceaux de vie… comme carreaux cassés », pour reprendre le titre que donna la poétesse tropicale à son recueil de nouvelles paru en septembre 2021. Christiane Taubira, dont les nuits habitées par le verbe sont plus belles que nos jours, rendue, comme elle le dit d’elle-même : « invincible » par la poésie, achève la gauche en la confortant dans des dérives communautaristes qui ne peuvent plus séduire qu’un microcosme médiatique et militant cynique, soucieux de se donner bonne conscience sans trop mouiller la chemise. Il s’agit juste pour Madame Taubira de prendre une posture de résistante qui dénonce la montée des populismes qu’elle n’a cessé d’alimenter. Il s’agit simplement de faire un petit tour de piste avant d’appeler à voter avec solennité et résignation pour Emmanuel Macron. 

Il nous reste à souhaiter, parce qu’on n’aime pas les airs pris par la dame lorsqu’elle convoque les mânes du chantre de la négritude, que sa candidature achève de discréditer la gauche sociétale et qu’on puisse enfin envisager la restauration d’une gauche républicaine et sociale : elle manque cruellement au débat actuel. 

Kazakhstan: «Nous ne nions pas que les autorités sont en partie responsables de la situation»

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Almaty, Kazakhstan, 6 janvier 2022 © Orda.kz/TASS/Sipa USA/SIPA

Causeur. À la suite de l’annonce d’une hausse du prix du gaz le 2 janvier 2022, le Kazakhstan a connu un déchainement de violence sans précédent. Que répondez-vous aux accusations de répression dans le sang par l’État ?

Jean Galiev. Le Kazakhstan, en tant que membre responsable de la communauté internationale, est partie à toutes les conventions et tous les accords relatifs aux droits humains. Le président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokayev a initié des amendements à la législation, selon lesquels les rassemblements de masse et les manifestations pacifiques sont autorisés sur la base d’une notification. Cependant, début janvier, les marches pacifiques se sont transformées en chaos, pillages et attaques des bandes armées, dont les citoyens ordinaires et les forces de l’ordre ont été victimes. Dans ces conditions, que pensez-vous que nos policiers auraient dû faire? Regarder des gens se faire tuer et piller sans impunité ou négocier avec des terroristes ? La réaction et les actions des forces de l’ordre visaient uniquement à protéger les citoyens du Kazakhstan.

On parle de 225 morts, 4500 blessés et près de 10 000 interpellations…

Lors des premiers jours des rassemblements pacifiques, les forces de l’ordre n’étaient pas armées. « Nous n’avons jamais utilisé et n’utiliserons jamais la force armée contre des manifestants pacifiques », a répété le président de la République en s’adressant à la nation et à la communauté internationale. Mais plusieurs attaques armées contre des lieux administratifs ont eu lieu simultanément dans pratiquement toutes les régions et ont révélé des actions coordonnées et une grande préparation au combat. Les cibles prioritaires étaient des mairies, des administrations, des bâtiments des forces de l’ordre, des magasins d’armes, des bureaux de poste, des stations de télévision et de radio, les archives d’État… et même des hôpitaux et les morgues. Dans tout le pays, 1 300 entreprises ont été touchées. Plus d’une centaine de centres commerciaux et de banques ont été pillés et incendiés. C’est la seule raison pour laquelle le chef de l’État a donné l’ordre de tirer à balles réelles. Le prix à payer a été très élevé, notamment de nombreuses pertes parmi les forces de sécurité et les civils. 

De nombreuses théories circulent au sujet de cette crise. Selon l’une d’entre elles, cette dernière aurait été planifiée par Moscou pour introduire des troupes russes au Kazakhstan ?

De tels scénarios sont le fruit de l’imagination enflammée des théoriciens de la conspiration. Mais il est vrai que beaucoup de nos partenaires étrangers, notamment des pays occidentaux, ont perçu l’aide de l’OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective) comme une forme d’occupation… Ce n’est pas le cas. Le 10 janvier, le président Vladimir Poutine a déclaré que la Russie était solidaire avec nous et considérait les événements au Kazakhstan comme une tentative de porter atteinte à la sécurité et à l’intégrité de l’État, et de la région dans son ensemble. Et tous les États membres de l’OTSC sans exception nous ont assuré qu’ils étaient prêts à quitter le Kazakhstan dès que la situation aurait été stabilisée. Mercredi 19 janvier, les derniers soldats des forces internationales de maintien de la paix ont quitté le territoire de notre pays. 

Quelles sont les preuves de la nature terroriste des actions ? 

Une opération antiterroriste est en cours. Selon les dernières informations que nous avons reçues de la part de nos agences gouvernementales, 9213 personnes ont été placées en garde à vue. Près de la moitié (4561), après la détermination du degré de responsabilité de chacun dans les troubles et actes de violence, furent rapidement relaxées, 1245 se sont faits verbaliser et ont eu des amendes. À ce jour, 819 enquêtes préliminaires impliquant des incidents graves sont en cours dont 45 impliquant des actes de terrorisme, 15 des meurtres et 36 des émeutes. Dans le cadre de ces affaires pénales, 970 personnes ont été détenues comme suspectes, dont 782 ont été arrêtées sur décision de justice. Parmi les émeutiers, il y avait des ressortissants étrangers, y compris des citoyens des États voisins. Il est probable que toutes les opérations de combat ont été coordonnées à partir d’un seul et même centre de décision. Ces attaques ont été menées par des professionnels très bien entraînés, notamment des tireurs d’élite équipés de fusils spéciaux, qui ont utilisé leurs propres moyens de communication et se sont déguisés en soldats et en agents de la force publique. D’autres se sont cyniquement déguisés en émeutiers qui leur ont servi de boucliers humains. Ce sont des méthodes bien connues qui ont été pratiquées dans d’autres pays. L’enquête est en cours. À son issue, nos autorités communiqueront les résultats et présenteront les preuves à la communauté internationale en toute transparence.

Comment expliquez-vous que le gouvernement du Kazakhstan ait coupé l’Internet au déclenchement de la crise ?

La coupure des communications pendant l’état d’urgence est une mesure forcée et temporaire pour la sécurité de la population elle-même. Vous savez très bien que, partout dans le monde, les terroristes et les criminels utilisent Internet et les communications cellulaires pour coordonner leurs activités destructrices. Dans les conditions de l’état d’urgence, le gouvernement a été contraint de prendre une telle mesure, certes radicale et impopulaire. Mais les Kazakhstanais ont manifesté leur compréhension et ont fait preuve de grande patience.

Au milieu de la crise, le président Tokayev a pris un certain nombre de mesures, procédé à d’importants remaniements au sein des forces de l’ordre et pris la tête du Conseil de sécurité du pays. Ces actions signifient-elles la fin de l’ère Nazarbaïev ? 

L’évolution rapide de ces événements tragiques, des troubles de masse et des actions illégales dans de nombreuses villes de notre pays n’a laissé aucun autre choix. Les forces de l’ordre ont mené des enquêtes qui ont permis de trouver des preuves de violations de la loi par de hauts représentants des forces de sécurité. La décision finale, le degré de culpabilité de ces personnes doit être déterminé par le tribunal. De son côté, Nazarbaïev a jeté les bases du Kazakhstan moderne ; il a pleinement rempli sa mission historique de père fondateur de notre État. Par étapes, il a transmis une partie de ses pouvoirs à la prochaine génération de femmes et d’hommes politiques.

Comment expliquez-vous que pendant 30 ans de développement du Kazakhstan, les autorités n’aient pas pu anticiper cette crise ?

Depuis 30 ans d’indépendance, le Kazakhstan s’est imposé comme un État fort, doté d’une économie de marché et de traditions séculaires. Mais nous ne sommes pas un État policier. Le Kazakhstan a été confronté au plus grand choc de son histoire moderne. Jusqu’à ce janvier tragique, il n’y a jamais eu d’attaque d’une telle ampleur dans l’ensemble de l’espace post-soviétique. Nous devons mener une enquête approfondie sur ce qui s’est passé et en tirer de sérieuses leçons afin que cette tragédie ne se reproduise pas. Nous ne nions pas que les autorités elles-mêmes sont responsables de la situation. La corruption dans l’application de la loi, la répartition inéquitable des avantages économiques, le chômage et la mauvaise protection sociale sont autant de facteurs qui ont conduit à une explosion de colère populaire.

Ces événements vont-ils entrainer des changements radicaux dans la politique sociale et économique de l’État ?

Cette tragédie exige des mesures radicales pour changer le système d’administration de l’État et la sphère sociale, et pour réduire le fossé entre les différents segments de notre société. Ce sera l’objectif des réformes économiques et politiques que nous lancerons dans un avenir proche. Dans le même temps, nous veillerons à prendre en compte les erreurs des années passées, afin de ne pas les répéter à l’avenir. Quatre volets de réformes politiques ont été mis en œuvre dans le pays depuis que Tokayev est au pouvoir. En septembre prochain, le cinquième volet des transformations démocratiques et économiques sera présenté à la Nation. Je vous rappelle que nous avons aboli la peine de mort en 2021. Nous avons l’intention d’accélérer la transformation politique du pays en accord avec les attentes de la société. Lors de ses récentes visites à Bruxelles, Vienne et Genève, le chef de la diplomatie kazakhstanaise, Moukhtar Tléouberdi, s’est entretenu avec les hauts responsables de la Commission européenne, de l’OSCE et des Nations Unies qui ont confirmé leur soutien aux réformes engagées par le président Tokayev et ont proposé leur assistance à l’élaboration du cinquième volet de ces transformations.

Pensez-vous que ce qui vient de se passer dans votre pays pourrait avoir des conséquences négatives pour les entreprises et investisseurs étrangers implantés au Kazakhstan ?

Absolument aucune ! Le président Tokayev a, d’ailleurs, réaffirmé l’engagement du gouvernement vis-à-vis des investisseurs nationaux et étrangers, ainsi que de nos partenaires commerciaux. Il a surtout insisté sur la garantie de l’ouverture de l’économie nationale, de l’inviolabilité des contrats, du respect des droits de propriété intellectuelle. Par ailleurs, la lutte contre la corruption sera renforcée en tant que l’une des priorités de son mandat présidentiel. Durant ces derniers jours, j’ai reçu de nombreux témoignages de soutien et de solidarité de la part des dirigeants des entreprises françaises. Ils expriment leur confiance en un rétablissement rapide de la stabilité au Kazakhstan et souhaitent continuer à investir dans l’économie du pays en proposant de nouveaux projets. Nous allons les accompagner dans leurs démarches comme nous l’avons toujours fait.

En Israël comme en France, les minorités tyranniques contre la démocratie

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Manifestation en faveur de la GPA pour les couples homosexuels et les trans, Tel Aviv, 22 juillet 2018 © CHINE NOUVELLE/SIPA

Depuis le 11 janvier, les couples d’hommes, les célibataires et les personnes transgenres peuvent recourir à la GPA en Israël. Un putsch judiciaire de la Cour suprême!


La récente décision de la Cour suprême d’Israël d’élargir la GPA aux couples homosexuels, aux célibataires et aux transgenres est emblématique du « gouvernement des juges” qui s’est mis en place depuis plusieurs décennies, au terme d’un processus par lequel la Cour suprême s’est érigée en premier pouvoir[1].  Israël devient ainsi le pays le plus en pointe dans ce domaine, justifiant par le « désir d’enfant » une technique qui tend à transformer le corps humain en marchandise, comme l’a bien montré Sylviane Agacinski [2]. Mais cette décision illustre aussi, de manière plus générale, ce qu’on pourrait définir comme “l’alliance des minorités tyranniques ».

Progressisme radical

A l’instar de la juge américaine Ruth Bader-Ginsburg, devenue une icône de la gauche et des médias américains, le juge israélien Aharon Barak a réussi à imposer sa conception de l’activisme judiciaire au service de la transformation sociétale. Dans son sillage, la Cour suprême israélienne est devenue un laboratoire de transformation radicale de la société israélienne. Elle procède à des expériences qui peuvent s’avérer dangereuses et qui sont surtout contraires aux valeurs majoritaires de la société israélienne, comme faire entrer des jeunes femmes dans les unités d’élite les plus fermées de Tsahal, ou autoriser des adoptions pour des couples homosexuels, au nom de conceptions « progressistes » et radicales qui sont partagées par environ 5 ou 10% des électeurs israéliens.

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La légalisation de la GPA élargie aux couples homosexuels et aux célibataires et transgenres est de toute évidence une expérience d’ingénierie sociale de ce type, qui vient répondre aux attentes d’une petite minorité activiste militante, celle des personnes revendiquant le “droit à l’enfant” (en l’occurrence opposé aux droits des enfants, dont personne ne se soucie). Cette expérience est non seulement contraire aux valeurs du judaïsme traditionnel, mais aussi aux valeurs majoritaires de l’électorat israélien, très largement attaché au modèle de la famille traditionnelle. Une loi élargissant la GPA de la sorte n’aurait aucune chance d’être votée par la Knesset ni aujourd’hui, ni demain.

Un putsch judiciaire

C’est précisément pour cette raison que la Cour suprême s’est arrogée le droit exorbitant de trancher le débat sur ce sujet très controversé, en coupant l’herbe sous le pied du législateur et des électeurs israéliens. Les deux protagonistes de ce « putsch judiciaire” – la Cour suprême d’un côté, et les associations militant pour la GPA élargie de l’autre – partagent une même conception anti-démocratique de la politique et des institutions et une même vision d’une démocratie émiettée, soumise aux diktats de minorités tyranniques (militants de la GPA, juges progressistes, etc.), qui imposent leur conceptions radicales à la majorité silencieuse, privée de tout droit de s’opposer à leurs décisions unilatérales et anti-démocratiques.

Cette décision hautement symbolique porte atteinte à plusieurs institutions et valeurs essentielles du judaïsme – et de la civilisation judéo-chrétienne en général – (la famille, le couple, la parenté, etc.) et illustre la montée en puissance des minorités tyranniques dans l’Occident actuel. On peut rapprocher cette décision de la récente circulaire du ministère de l’Éducation nationale en France, qui institutionnalise l’idéologie de l’identité de genre, en l’absence de tout débat public. Dans les deux cas, une idéologie radicale a été officialisée par l’action de minorités tyranniques, à l’insu et au mépris des droits de la majorité.

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[1] P. Lurçat, “Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël”, Pardès no. 67, 2021.

[2] S. Agacinski, Corps en miettes, Flammarion 2013.

Etats-Unis: Frances Haugen, une bien étrange lanceuse d’alerte

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Frances Haugen devant une commission du Congrès américain, le 1er décembre 2021 CNP/AdMedia/SIPA

Depuis l’automne dernier, les révélations de cette ancienne salariée de Facebook sont unanimement encensées, par des politiques de la droite comme de la gauche et par les médias. Pourtant, son objectif ne semble pas tant de briser les monopoles dans la Silicon Valley que de maintenir la domination des GAFA existants en renforçant le contrôle gouvernemental sur eux. Analyse.


Une fois n’est pas coutume, les Etats-Unis sont tombés d’accord. Depuis le 5 octobre les sénateurs démocrates et républicains ne trouvent rien à redire à Frances Haugen. Ancienne employée à Facebook, elle a sorti les Facebook Files, plus d’un millier de pages où sont dévoilées les failles de la modération du réseau social. Haugen est partout présentée comme une lanceuse d’alerte et la presse salue unanimement son courage. Alors qu’elle poursuit une tournée mondiale il ne viendrait à personne l’idée de questionner ses révélations.

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Ce jour d’octobre seul Glenn Greenwald est perplexe. Il n’est pas anodin que Greenwald doute d’Haugen : prix Pulitzer, c’est avec lui qu’Edward Snowden, a dévoilé la surveillance mondiale mise en place par la NSA. Alors qu’il a vu Snowden et Assange payer leur engagement par l’exil ou la prison, Greenwald est interloqué par l’accueil royal réservé à Haugen. De plus, le discours qu’elle tient est pour le moins déroutant pour une lanceuse d’alerte : non il ne faut pas démanteler le conglomérat Facebook/WhatsApp/Instagram, non il ne faut pas revoir la façon dont Facebook surveille et contrôle ses utilisateurs… Au contraire même : Haugen dit ne pas vouloir heurter Facebook mais le réparer. Le problème n’est pas la puissance de Facebook – le monopole – ni ce sur quoi cette puissance est basée – la surveillance – mais comment cette puissance est employée. Rapidement, devant des sénateurs déjà conquis, Haugen prône plus qu’elle ne dévoile. Il s’agit d’abord d’utiliser les formidables capacités de surveillance de Facebook pour des causes universellement justes – de la protection des préadolescentes à la lutte contre le terrorisme – puis de dévier, peu à peu, dans une lutte contre « la haine, la désinformation » et autant de concepts aussi vagues que partisans. Dans une salle très hostile aux GAFAM, Haugen détourne tranquillement une croisade légitime vers des buts politiques très spécifiques.

Si Greenwald a vu juste, il a néanmoins manqué une partie de l’engagement politique passé de Haugen. Depuis 2015, elle a fait une multitude de dons au parti démocrate et à Alexandria Ocasio-Cortez, jeune égérie de la gauche américaine. Plus obscur encore est le rôle d’Haugen à Facebook, au sein de la Civic Integrity Team (CIT). Forte de 300 membres, la CIT est née en 2019 et a été dissoute dès la défaite de Trump en 2020. Officiellement en charge de lutter contre la désinformation, c’est la CIT qui a censuré l’affaire Hunter Biden à la veille des élections présidentielles de 2020. Fils de Joe Biden, le contenu de son ordinateur portable avait été communiqué au New York Post mais Twitter et Facebook avaient bloqué le partage de l’article du Post, qui démontrait des liens entre la famille Biden et l’Ukraine, par crainte que les élections basculent. Les Facebook Files ne sont accessibles que par une poignée de journalistes triés sur le volet par Haugen elle-même, et l’impact réel de la Civic Integrity Team reste encore à déterminer, mais il est impossible de ne plus voir comment Facebook intervient directement, en période d’élections, dans la politique d’un pays.

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Outre le silence absolu des médias à ce propos – en comparaison notamment de l’attention octroyée à Cambridge Analytica– c’est Frances Haugen qui étonne le plus : elle assume parfaitement l’interventionnisme de la CIT et regrette seulement qu’Internet ne soit pas plus contrôlé et censuré. A vrai dire, selon elle, son départ de Facebook et sa transformation en lanceuse d’alerte auraient été décidés suite à la dissolution de la CIT fin 2020 : par cette dissolution, Zuckerberg avait fait comprendre que, Trump maintenant défait, Facebook devait se recentrer sur ses activités antérieures. Ainsi, quand le sénateur Jerry Moran demande à Haugen : « Avons-nous besoin d’une agence gouvernementale chargée de réguler l’information ? », elle répond aussitôt par l’affirmative et va jusqu’à se placer elle-même dans ses propositions : « Il doit y avoir une instance de régulation où quelqu’un comme moi pourrait servir. » Le mercredi 1er décembre, alors que le Congrès débat sur une révision de la Section 230 – qui protège la liberté d’expression sur Internet en déresponsabilisant un réseau social de ce que son usager poste – Frances Haugen presse les parlementaires de ne pas s’engouffrer dans un débat trop long sur les détails des différentes approches législatives…

Par une réforme de Facebook ou du système politique américain, Haugen veut prendre Zuckerberg en étau : s’il n’accentue pas le contrôle et la censure exercées par Facebook – comme Twitter le fait déjà – alors il faudra modifier la Section 230 et sanctionner désormais le réseau social plutôt que l’utilisateur contrevenant. Cette révision de la Section 230 peut sembler au prime abord une bonne idée : si le contrôle est exercé par le gouvernement plutôt que par une entreprise privée, on peut s’attendre à une neutralité idéologique accrue, du moins tenue aux lois et à la Constitution. Dans la pratique, cependant, c’est voir l’entreprise tomber dans le cercle vicieux de l’excès de zèle : elle préféra toujours une censure plus accrue que de risquer l’amende et la sanction – en réalité : une censure préventive où, selon certains algorithmes, l’utilisateur prétendument à risques est préventivement banni. Surtout, Haugen veut aller au-delà de la censure : il s’agit désormais de modifier les algorithmes de Facebook en favorisant la promotion de certains contenus, au détriment du reste.

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Ne faisons pas de Haugen un Machiavel œuvrant seul à la politisation des GAFAM. Elle n’est qu’une bataille de plus dans la guerre qui se déroule dans la Silicon Valley depuis l’élection de Trump, une guerre civile où les fondateurs historiques font face à leurs propres employés, souvent aussi fraichement sortis de l’université qu’ils sont idéologiquement endoctrinés. L’enjeu de ce conflit interne est simple, il s’agit d’imposer, ou non, cette conviction de la gauche américaine depuis 2016 : la démocratie telle qu’elle a été conçue auparavant, populaire et peut-être populiste, n’a plus vocation à être ; la masse doit être guidée par-delà le bien et le mal et, surtout, par-delà le vrai et le faux ; et les nouvelles technologies doivent être l’instrument de ce renversement. Quand Haugen avoue si clairement son aspiration à plus de contrôle et de censure, s’exprime seulement cette conviction d’une infaillibilité morale. Elle, comme ceux qui pensent comme elle, sont partisans et artisans d’une transformation du capitalisme de surveillance en un dogmatisme qui surveille et contrôle tout autant, si ce n’est plus. Alors que tant de digues ont auparavant cédé, Zuckerberg fait face, de plus en plus seul. Ce dernier est tout sauf un combattant de la liberté d’expression, et encore moins un allié des conservateurs ; il ne se bat que pour ses préserver sa manne financière – accentuer la censure politique entend moins de trafic et l’apparition d’alternatives comme Gettr – et, surtout, pour garder le contrôle absolu de son conglomérat, Meta. Dans le duel actuel des fins s’opposent, mais pas leurs moyens. Le profit démesuré ou la pensée unique : Big Tech finira-t-il Big Brother ?

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Qu’est donc la gauche devenue?

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Fabien Roussel, le candidat du Parti Communiste, a eu une pensée pour les paysans qui s’échinent à perpétuer la tradition culinaire française, et élèvent veaux, vaches, cochons et couvées au lieu de faire pousser du quinoa. Quel crime abominable !

Fabien Roussel a donc trahi l’idéal de gauche, qui comme Sandrine Rousseau, l’égérie des jobards, l’a fait remarquer, se situe du côté du couscous. En une petite phrase, à en croire les phares de la pensée woke, il est passé à l’extrême-droite. D’ailleurs il est salué par Natacha Polony (et par son colistier, Perico Legasse, dans le dernier numéro de Marianne), preuve s’il en fallait qu’il est passé à l’ennemi…

Qu’a dit le secrétaire général du PCF : « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. Le meilleur moyen de la défendre, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès. » Une « trilogie du goût » que Libé, par la voix autorisée de Daniel Schneidermann, juge « franchouillarde et excluante ». Péché mortel. Fabien Roussel est « un drôle de coco », dit l’Obs. Georges Marchais is back !

On mesure l’effroi des islamo-gauchisto-végano-transsexuels, qui résident tous dans des centre-ville boboïsés, et ne connaissent de la campagne qu’un vague paysage peint en vert des deux côtés de l’autoroute. La viande, c’est très mal, le vin n’est pas hallal et de surcroît il offense la loi Evin, le « bon fromage » n’est même pas pasteurisé et contient des germes inquiétants. 

Les germes de l’extrême-droite apparemment. 

Dans les années 1950, Roland Barthes avait analysé ce que le vin et la viande avaient non seulement de très français, mais de « mythologique » : les buveurs de sang (un bon steak est saignant, voire bleu) et les amateurs de picrate communient — c’est le cas de le dire — avec les forces archaïques qui ont bâti la France rurale et fourni à manger aux générations successives dont nous sommes issus. Derrière Fabien Roussel se profilent les chasseurs de la préhistoire et les invités des noces de Cana, où le Christ inaugura la longue série de ses miracles en transformant de l’eau en saint-julien 1985. Le candidat communiste renoue avec le Midi rouge des années 1900, quand Clemenceau envoyait la troupe mater les ardeurs révolutionnaires des vignerons languedociens.

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C’est peut-être juste une stratégie, mais elle n’est pas stupide. Évidemment, elle chante juste aux oreilles de tous ceux qui défendent les terroirs contre l’industrialisation, et l’entrecôte persillée contre les horreurs molles de McDo. Et elle horrifie les autres.

Ajoutez à ça que Fabien Roussel défend avec raison la filière nucléaire, qu’il ne déteste pas les chasseurs et qu’il communique avec Sonia Mabrouk, horresco referens, et vous constituez le portrait-type de ce qu’un écolo-gauchiste doit haïr. Depuis qu’elle est noyautée par les gauchistes, la gauche renoue avec les exclusions des années 1970, quand tout ce qui n’était pas dans la ligne d’un groupuscule ou d’un autre était automatiquement rejeté de l’autre côté. C’est ainsi que l’on en arrive à peser pour moins de 20% des voix, camarades.

Nous qui nous efforçons, bien sûr, d’avoir une attitude politiquement correcte, nous nous interrogeons. Le steak n’est pas haram, ni le cassoulet ou la choucroute. Ni la daube ou le bourguignon. Le gros rouge qui tache non plus. Les fromages qui puent, pas davantage. Les chasseurs sont à vouer aux gémonies, tant pis si les sangliers dévastent les cultures. L’énergie nucléaire est sale, couvrons la France d’éoliennes…

Quant à vos certitudes sur le fait que vous êtes un homme ou une femme, j’espère que vous savez qu’elles sont surannées. Et J.K. Rowlings est une sacrée salope, qui croit qu’une femme est dotée d’un utérus et a des règles. En Angleterre, un établissement scolaire qui avait choisi de donner son nom à l’un de ses bâtiments s’est empressé de le débaptiser. C’est la contradiction interne des groupuscules : à force d’exclure, il ne reste plus personne.

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Ce qui me chagrine le plus, c’est de constater que les médias de gauche passent sous silence la deuxième phrase de Roussel : le meilleur moyen de défendre la gastronomie française, « c’est de permettre aux Français d’y avoir accès ». La gauche s’est tellement encroûtée dans la boboïtude qu’elle ignore désormais que cinq millions de Français sont au chômage, et que la moitié de la France vit avec moins de 2000€ par mois. Vu le prix des loyers, que reste-t-il pour s’offrir « un bon vin, une bonne viande, un bon fromage » ? À 50€ le kilo de filet de bœuf (et autant pour une dorade de ligne), 30€ pour un petit margaux, et 8,50€ pour un camembert de Marie-Anne Cantin, combien coûte un repas pour quatre personnes ?

Il ne s’agit plus de permettre à chacun de se nourrir. Il faut permettre à chacun de renouer avec l’excellence alimentaire. Je voterai pour le candidat qui mettra sur la table de quoi satisfaire les papilles de tous ceux qui depuis des années sont contraints de bouffer de la merde, comme disait le regretté Jean-Pierre Coffe. L’excellence sur la table de la cuisine — et pas seulement chez Taillevent ou au Grand Véfour.

Pagnol (dans Topaze) remarquait qu’un changement de régime alimentaire change un homme, et lui donne de l’ambition. Nous avons été enkystés depuis des lustres dans une alimentation de subsistance, et une résignation à tous les diktats. Il faut redonner aux Français le goût de la table et le goût des beaux vêtements « made in France ». Le goût de la liberté.
Je ne vais peut-être pas voter pour Fabien Roussel tout de suite. Mais je voterai pour qui me promettra la lune — parce que seule la lune me fait vraiment rêver.

Ah — et une école qui amène chacun au plus haut de ses capacités. Et pas seulement les élèves du lycée Henri-IV et du Vème arrondissement réunis.

Cet article a été modifié le 24 janvier NDLR

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Roberto Juarroz, poète de l’éveil

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Roberto Juarroz (détail de la couverture Gallimard) D.R.

Le grand poète argentin, mort en 1995, fait l’objet d’une édition bilingue dans la collection Poésie/Gallimard.


Le nom de Roberto Juarroz était bien connu des amateurs de poésie du monde entier. Célébré davantage à l’étranger que dans son propre pays, l’Argentine, même si son compatriote Julio Cortázar l’avait préfacé, il était admiré au Mexique par le grand Octavio Paz, et jouissait en France d’une renommée certaine ; on peut citer deux importants critiques français, Martine Broda et Roger Munier qui lui ont consacré des commentaires ou des traductions.

C’est une littérature à aborder par morceaux, propice aux nuits d’insomnie, quand la perte du sommeil équivaut à une perte du monde

Le même métier que Borges

Né près de Buenos Aires dans un milieu modeste, Roberto Juarroz fut un enfant solitaire qui expérimenta très tôt une sorte de révélation mystique chrétienne. Néanmoins, à la mort de son père, il se laisse influencer par le bouddhisme zen. Dans les années 70, il exerce le même métier que Borges, celui de bibliothécaire. Il fait aussi de grands voyages, visite notamment New York. Puis il reprend ses études, et, grâce à une bourse, arrive à Paris pour suivre, en 1945 et 1946, des cours de philosophie à la Sorbonne. 

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L’œuvre poétique de Roberto Juarroz correspond bien à ce cheminement intellectuel. Elle est regroupée sous un seul titre, Poésies verticales, et numérotée de I à XII, selon l’ordre de parution. Les poèmes ne comportent pas de titre, et se suivent les uns les autres, comme autant de tentatives, à chaque fois recommencées, d’accéder à une « poésie de l’élévation », selon la formule du critique André Velter. Dans la préface à ce volume, excellente « introduction générale » à l’art de Juarroz, Réginald Gaillard parle d’une « expérience de l’absolu éprouvée, encore enfant, lors de ses moments de solitude face aux grands espaces argentins, ou bien face à ce Dieu chrétien absent ou silencieux avant que la foi ne disparaisse et ne laisse un grand vide ». 

Poésie et réalité

Avant de lire ses poèmes, le lecteur aura peut-être intérêt à découvrir le petit essai de Juarroz lui-même qui clôt ce volume, Poésie et réalité. Il y révèle ses nombreuses influences, ses thèmes de prédilection et l’idéal vers lequel il tend. Il écrit par exemple ceci, qui me paraît significatif : « Art de l’impossible, la poésie est donc une recherche constante de l’autre côté des choses, du caché, de l’envers, du non-apparent, de ce qui semble ne pas être. » Et il illustre immédiatement son propos par un de ses poèmes : « Le possible n’est qu’une puissance de l’impossible / une zone réservée / pour que l’infini / s’exerce à être fini… » On a là un bon exemple de la manière de Juarroz, à la fois pragmatique et transcendante ‒ il ne réfute jamais cette dernière dimension, même s’il la remet sans cesse en question. 

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Ses poèmes prennent souvent la forme de fragments philosophiques, mais avec toujours quelque chose de flou qui échappe, et qui conduit le lecteur dans des directions inattendues. Néanmoins, à chaque fois, son poème semble renouer, dans une cohérence nouvelle, avec l’univers qui partait à vau-l’eau. L’effet est profondément rassérénant. C’est une littérature à aborder par morceaux, propice aux nuits d’insomnie, quand la perte du sommeil équivaut à une perte du monde. Juarroz est une sorte de Cioran qui s’exprimerait en vers, et qui ferait l’inventaire de l’écoulement inflexible du temps.

Un cheminement par petites touches

Certes, Juarroz a été très influencé par Heidegger et sa recherche sur l’origine du langage. Mais Juarroz traduit cette quête avec simplicité, comme si sa poésie était la conséquence d’une prise de conscience immédiate. Toujours dans Poésie et réalité, il écrit : « Le destin du poète moderne est de réunir la pensée, le sentiment, l’imagination, l’amour, la création. Et cela comme forme de vie et comme voie d’accès au poème, qui doit façonner cette unité. » Cette « unité », cette synthèse est évidemment très difficile à obtenir mais la « patience » est pour Juarroz un concept fondamental, par petites touches, et en restant d’une humilité parfaite. Il y a là un paradoxe qui fait toute la saveur de l’œuvre de Roberto Juarroz, comme le poème suivant en donne la preuve à sa façon : « J’ai manqué tout ou presque tout, / sauf le centre. […] Alors, et sans manquer mon but, / J’ai envie de laisser le centre au-dehors / et de rester, seul et simple, à l’extérieur, / comme un homme quelconque. »

On le constate : de même que certains autres poètes très rares, Roberto Juarroz est un écrivain de la clarté. Sa lecture propose une véritable expérience de l’éveil, au milieu de notre vie moderne engluée dans l’obscurité du sens. Par sa poésie à hauteur d’homme, il nous fait toucher à une sorte de rédemption essentielle.

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Dino Risi sur la route

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Jean-Louis Trintignant et Vittorio Gassman dans "Le Fanfaron" (1962) de Dino Risi © SIPA

« Le Fanfaron », chef-d’œuvre de Dino Risi, est visible en intégralité et gratuitement sur le site d’Arte jusqu’à la mi-mars


Ça a commencé comme ça, un 15 août, Rome était déserte à cette période de l’année, tous les tabacs de la ville avaient tiré leur rideau de fer. Les églises somnolaient dans une douce liturgie. Les chats, à l’ombre des pins de la villa Borghese, se racontaient des histoires de chats. Même le linge ne pendait pas aux fenêtres des quartiers populaires, contredisant à la fois, le folklore latin et l’ardeur domestique des mères de famille. Les touristes n’existaient pas, en ce temps-là. Ils n’erraient pas, en quête d’une gourmandise patrimoniale ou d’une visite mimétique.

On faisait relâche, un peu partout, de Trastevere à Tiburtino. Impossible d’acheter un paquet de cigarettes, ni de boire un verre, encore moins d’espérer passer un appel d’une cabine téléphonique avec un jeton. Le soleil brûlait le paysage. Le bitume supportait difficilement l’amertume de ces étés trop chauds. Les rues poussiéreuses charriaient du sable venu de la plage lointaine de Terracina. Les habitants avaient quitté, tôt dans la matinée, la capitale, avec enfants et glacières, casse-croûte et maillot de corps.

Italie, 1962

Ah oui, c’est peut-être un détail pour vous, mais nous étions en 1962, avant Vatican II et juste après la jonction franco-italienne sous le tunnel du Mont-Blanc. L’Italie tanguait sur la voie de la reconstruction, entre accession à la cuisine tout équipée et les lenteurs de l’arrière-pays, entre des fortunes aussi rapides que suspectes et une administration conciliante, entre la tentation d’un Babylone hollywoodien et l’isolement du Parti Communiste Italien. En ce jour férié, on échafaudait des rêves impossibles au sein des foyers modestes.

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 Le boom économique permettrait-il de s’acheter la nouvelle Fiat 1500 à la rentrée et d’envoyer ses enfants à l’Université ? Entre le missel et la poitrine de Sophia Loren, les existences les plus ternes tentaient de se frayer un chemin dans ce qu’on appelait la société de consommation. Sur quelques notes de jazz, pas très rassurantes, nous aurions dû faire attention à ce signe, le fou crissant est arrivé, soulevant les jupes et la morale, à coups de dérapages plus ou moins contrôlés et d’accélérations nerveuses. Bruno Cortona (Vittorio Gassman), polo clair et gueule d’amour, baratineur en verve et sans-gêne génial, profiteur jamais en manque d’une réflexion grandiloquente, conduisait une Lancia Aurelia B24 Spider à la carrosserie passablement fatiguée. Cette mécanique exigeante souffrait de nuits courtes et du tempérament volcaniquement dépressif de son propriétaire. Ce Fanfaron-là ne ménageait pas sa monture pour se faire remarquer, usant du klaxon italien comme de la corne de brume, apostrophant les passants dans un succulent délire routier et philosophant sur les chansons de variété. Incurable, innommable, infréquentable, inarrêtable, il nous séduisit d’emblée par ses failles abyssales.

Méchant et drolatique

Car, ne vous méprenez pas, c’était une âme perdue, ses gesticulations ne leurraient personne. Nous nous étions reconnus. J’oubliais, il roulait souvent à gauche de la route, n’étant pourtant pas sujet britannique et, en guise de Saint-Christophe, il affichait sur son tableau de bord, une photo de Bardot en madone du Driving. Et sur son pare-brise, bien en évidence, tel un sauf-conduit dérisoire et splendide, une carte indiquait « Camera Deputati ». Bruno était lâche, inconséquent, épuisant et, malgré tout, fascinant de fourberies et de bêtises. L’esprit de sérieux coulait sur son slip de bain, même si parfois, une sorte de gravité souterraine le secouait tel un spasme accidentel.

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Il préférait laisser passer l’orage, ne pas s’appesantir sur ses propres malheurs de peur de ne pouvoir jamais relancer sa machine. Cette force inextinguible n’admettait que ses désirs futiles. Ce Fanfaron-là, gaspillait le temps par crainte du présent, s’enlisant dans des histoires sans lendemain et des affaires foireuses. L’échec lui collait à la peau. Il n’était pas dupe de son manège infernal. Il avait une langue à lui, méchante et drolatique, boulevardière par essence et carnavalesque par destination. Il s’exprimait avec la certitude du fort-à-bras comme le font les enfants mal élevés.

Catherine Spaak, pour toujours

Il pouvait dire : « J’ai jamais aimé le vélo, c’est pas esthétique, j’aime mieux le billard » ; « Avec les Allemandes, c’est facile ! » ; « À Amalfi, j’ai vu Jackie Kennedy ». Pour s’amuser durant cette longue journée, pour dépenser sans compter, pour gaspiller l’essentiel, pour emprunter le tourbillon de la vie, Bruno a embarqué Roberto Mariani (Jean-Louis Trintignant), son exact contraire, l’étudiant ratiocineur et si peu sûr de lui. Je préfère ne pas vous en dire plus. Regardez gratuitement l’intégralité du film sur le site d’Arte ! Ah si, Le Fanfaron est signé Risi, Ettore Scola a mis sa patte au scénario et le twist d’Edoardo Vianello « Guardo come dondolo » ne vous quittera plus du week-end. Il y a bien sûr Catherine Spaak, mais là, il me faudrait plus de dix mille signes pour vous expliquer combien sa seule présence a irrigué tous les cerveaux de ma génération.


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