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«L’écriture inclusive est annonciatrice d’une tyrannie»

Le genre grammatical, ce n’est pas le sexe ! Danièle Manesse, professeure émérite de sciences du langage à l’université Paris-3 Sorbonne nouvelle, combat de toutes ses forces l’écriture inclusive. Elle répond ici, argument par argument, aux tenants de cette typographie militante. Et en féministe convaincue, elle nous livre ses réflexions sur ce qu’est devenue une bonne partie de son camp et du monde académique.


Le Regard Libre. Les défenseurs de l’écriture inclusive avancent que la langue française est inégalitaire à l’égard des hommes et des femmes. En tant que linguiste, vous validez cette idée ?

Danièle Manesse. Ces personnes se trompent. Ce qui est au cœur de cette affaire, c’est la non-compréhension de ce qu’est le masculin. J’entends: le masculin grammatical. La question fondamentale est la suivante: est-ce que le masculin de la langue est la même chose que le masculin du monde, le sexe des humains? La réponse est non. Le masculin a pris les fonctions de deux genres latins: le masculin et le neutre. Il se trouve simplement qu’en général, les humains sont désignés par des termes qui correspondent à leur sexe. Quelques mots y échappent, on dit par exemple «une» sentinelle pour un homme, mais dans l’immense majorité des cas, genre grammatical et sexe coïncident. Ce n’est pas le cas avec les autres entités du monde: le fait qu’on dise «une  chaise» (et non «un» chaise) ou «un astre» (et non «une astre») est arbitraire. Ensuite, il y a généralement un mot au masculin et un mot au féminin pour les noms qui désignent des hommes et des femmes: «un livreur, une livreuse», «un Français, une Française», etc. Mais il existe aussi des mots épicènes, qui ne changent pas au masculin et au féminin: «un artiste, une artiste». Bref, grammaire et genre sexué, ce n’est pas la même chose.

L’écriture inclusive n’est pas inclusive, pour la simple et bonne raison qu’elle complexifie à outrance l’écriture, et notamment le rapport entre l’écrit et l’oral. C’est un calvaire en plus pour les dyslexiques

Outre les déterminants et les noms, il y a les adjectifs. On tombe là aussi sur cette forme de neutre, qui a la même forme que le masculin: «Pierre et Anne sont beaux». N’est-ce pas du pain bénit pour ceux qui y voient du machisme partout, y compris dans la langue ?

Le langage, qu’on le veuille ou non, est économique: on ne dit pas «les hommes sont beaux, les femmes sont belles». On dit: «Les hommes et les femmes sont beaux». Ce qui permet cette économie, c’est ce qu’on appelle le «genre non marqué». En français, le masculin est le genre non marqué, de même que le présent est un temps non marqué. Je peux vous dire: «Je vais en Suisse dans trois mois», ou «Hier, je sors de chez moi». Ce temps est si neutre qu’en russe, le verbe « être » ne se dit pas au présent de l’indicatif.

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Peu de francophones en sont hélas conscients. L’école ne devrait-elle pas accentuer la pédagogie sur ce sujet, au lieu de seulement faire apprendre par cœur des règles de grammaire ?

Je suis d’accord avec vous. La contrepartie de la dimension économique du langage, c’est en effet son ambigüité. A fortiori le français, avec ses innombrables monosyllabes. Il n’y a pas de différence à l’oreille entre: «C’est lui qui l’a amené» et «C’est lui qu’il a amené». Or, si je parle d’une femme, alors je vais le préciser: «C’est lui qui l’a amenée, Catherine.» Le langage donne des solutions pour que nous puissions nous comprendre les uns les autres. Prenons un autre exemple. «Les parents sont venus avec leur fille et leur fils muets». A l’oral, impossible de faire la différence entre «muet» et «muets». Alors, si je ne veux parler que du fils, je vais dire: «Les parents sont venus avec leur fille et leur fils, qui est muet». C’est du moins ainsi que nous procédons comme locuteurs. On a beau essayer de contraindre la langue, elle se dirigera toujours là où elle veut. Les changements dans la langue se font d’abord à l’oral.

Au-delà de cette réalité grammaticale, il y a l’histoire, invoquée par les pro-écriture inclusive. Selon eux, et notamment le Romand Pascal Gygax, la langue française aurait subi une entreprise de masculinisation au XVIIe siècle. Vrai ou faux?

Faux. Ce sont toujours les mêmes personnes qui sont citées, à commencer par l’abbé Bouhours, en 1675, qui écrit: «Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte.» Bien sûr que les gens de l’époque étaient machistes et qu’ils jouaient avec les mots, mais le mot «noble» a une pertinence grammaticale. Quant à l’accord de proximité, consistant à écrire «Les hommes et les femmes sont contentes» en accordant l’adjectif au nom le plus proche, il n’a jamais été longtemps généralisé, ni même en latin, et il a flotté jusqu’à la fin du XIXsiècle au moins. Bernard Colombat et André Chervel ont écrit de façon très éclairante sur la question. En fait, au cœur de cette histoire d’écriture inclusive, il y a beaucoup d’ignorance. N’en déplaise aux avocats du point médian, les grammairiens ne décident pas de la langue: ils l’observent et débattent entre eux sur la règle qu’il faut retenir. Ce qui fait le changement de la langue, c’est l’usage. On verra dans dix ans ce que sera devenue l’écriture inclusive.

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Il n’empêche, il est vrai qu’il y a eu des allers-retours sur la question de la visibilité des femmes dans la langue française, non?

Oui, et cela s’est fait dans la langue orale. C’est absolument vrai que la féminisation de la langue a été freinée au XIXe siècle. C’est d’abord parce qu’on a interdit aux femmes de faire certains métiers. Cela s’est donc retrouvé dans le lexique, le vocabulaire. La société a évolué. On a besoin de mots pour exprimer les choses. On crée donc les mots dont on a besoin. Le lexique est en rapport avec le monde, le genre non. La grammaire, ce sont des concepts. Or, avec l’écriture inclusive, la grammaire n’est plus la bienvenue, en somme. On est passé du genre grammatical au genre sexué: tout le monde réclame donc ses droits.

J’imagine qu’on doit vous traiter de réac.

C’est le propre de l’entourloupe intellectuelle. Moi-même, je ne suis ni sexiste, ni conservatrice, je suis de tout temps une militante féministe. Simplement, j’ai des arguments rationnels à opposer à Pascal Gygax. Simone de Beauvoir et George Sand réclamaient la féminisation des mots, mais aucune ne parlait d’écriture inclusive! En revanche, il y a des luttes fondamentales où il n’y a pas assez de gens mobilisés: le viol, la jeune Mila… Il y a tant de lieux où placer son féminisme.

Imaginons maintenant que l’écriture inclusive soit une bonne idée sur le plan théorique. Est-elle pour autant praticable?

L’écriture inclusive n’est pas inclusive, pour la simple et bonne raison qu’elle complexifie à outrance l’écriture, et notamment le rapport entre l’écrit et l’oral. C’est un calvaire en plus pour les dyslexiques. Ceux qui pratiquent l’écriture inclusive l’abandonnent au bout de trois lignes. Ils n’en peuvent plus. La seule chose qui résiste parfois jusqu’à la fin de leur texte, c’est le point médian. Or, selon moi, ce point n’obéit pas à la conversion de l’oral à l’écrit. Songez au fait qu’il y a 17% de lettres silencieuses dans le français: il est donc déjà difficile d’apprendre à lire le français. Le point, lui, a une fonction fondamentale dans la lecture. Chaque fois qu’on tombe sur un point, on réorganise la signification d’un texte. On sait bien qu’en lisant de la poésie sans ponctuation, on n’arrête pas de revenir en arrière pour bien comprendre.

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Pour quelle raison pensez-vous que l’écriture inclusive, malgré tout, «prend», du moins dans certains milieux intellectuels et militants?

Outre l’inculture, la raison doit être de l’ordre de la stratégie politique. En faisant un amalgame entre l’écriture inclusive et la féminisation, on crée une certaine opinion politique favorable à l’écriture inclusive.

En plus, nous parlons de l’écriture, mais il y a aussi le langage.

Eh oui. Il y a la langue, représentée par une écriture, mais il y a aussi le langage, qui est l’usage de la langue. Je milite pour un usage sain de la langue, pas seulement sur cette question précise de l’écriture inclusive. On devrait se surveiller avec des mots comme «putain»: dans nos familles, on dit tous à nos enfants «Arrête!». L’usage de la langue, c’est notamment parler respectueusement aux femmes y compris aux femmes adversaires de l’écriture inclusive. Actuellement, on divise. C’est sur des confusions qu’on crée des querelles imaginaires. Et je suis stupéfaite de l’ignorance des gens – notamment des politiques – qui prennent des décisions allant dans le sens de l’écriture inclusive.

Pourquoi êtes-vous si impliquée dans le combat contre l’écriture inclusive?

Avant tout, je suis une observatrice de la langue. Mais si je me bagarre tellement pour elle, c’est parce que la langue est à tout le monde! Il n’y a pas beaucoup de choses que nous avons tous, absolument tous, en commun: la vie, l’air et, dans une large mesure, l’eau. Cela étant dit, pourquoi est-ce que je me bats contre l’écriture inclusive spécifiquement? Parce qu’elle est annonciatrice d’une tyrannie. Toucher au bien commun, cela fait partie de la tyrannie, qui pourtant prétend défendre la population – ou certains groupes de la société.

Vous êtes une universitaire. Or, c’est avant tout dans le milieu académique justement qu’ont lieu la théorisation et la mise en pratique de l’écriture inclusive. Qu’est-ce que cela dit de l’université?

Votre question est essentielle. Je fais partie du groupe «Vigilance Universités», où nous relevons toutes les atteintes au droit qui sont faites à l’université. Nous avons reçu des témoignages de jeunes enseignants qui veulent publier des articles, mais qui n’ont pas pu le faire parce que ce n’était pas rédigé en écriture inclusive. Certains étudiants n’osent même pas s’opposer à cette tendance. Il commence à y avoir un flicage de la part des institutions, parce qu’elles-mêmes ont la trouille. Ces institutions ne sont pas représentatives, beaucoup de gens ne voulant plus s’y investir, du fait qu’elles se sont énormément bureaucratisées.

N’est-ce pas un phénomène plus général?

Si, vous avez raison. Il y a partout un désengagement des gens sérieux, hors idéologie. Le même diagnostic vaut pour la disparition des partis et des syndicats. Aujourd’hui, un étudiant qui se met à hurler peut vous détruire un cours. La violence, c’est quelque chose dont on ne sait pas se défendre, en fait. La violence existe, elle est là. Elle engendre de la peur. Et puis, il faut bien le reconnaître, du conformisme. Nous sommes en plein dedans.

Source Le Regard Libre

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Qui était Shirel Aboukrat, franco-israélienne tuée en Israël?

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Note de la rédaction.
Alors que nous finalisions hier soir la préparation de cet article de Liliane Messika pour publication, nous apprenions qu’au moins cinq personnes étaient mortes dans la banlieue de Tel-Aviv dans une nouvelle attaque. L’assaillant, un Palestinien ayant passé quatre ans dans les prisons israéliennes, a été tué par les forces de l’ordre. Il a ouvert le feu sur les passants. Il s’agit là de la troisième attaque terroriste dans le pays en une semaine •

Une Française juive et un Druze israélien tués sous l’uniforme de Tsahal le 27 mars


Shirel Aboukrat ne serait certainement jamais devenue célèbre en France si elle n’avait pas été tuée à l’âge de 19 ans, dans l’État juif, par l’État islamique. Elle était née à Marseille et avait trois ans, en 2006, quand elle est arrivée en Israël. Ses parents avaient choisi d’émigrer pour se sentir plus en sécurité qu’en France, où les Juifs marchaient tête baissée. Shirel avait la double nationalité française et israélienne.

La famille a choisi Ramat Poleg, une petite ville proche de Natanya. La communauté française y est tellement nombreuse que les affiches dans les rues et les menus des restaurants sont en trois langues : hébreu, arabe et français.

Une bonne élève qui avait rejoint l’armée avec enthousiasme

Shirel était très bonne élève. Le directeur de son école se souvient de ses excellentes notes, mais aussi de son envie d’aider les autres. Pendant deux années scolaires d’affilée, elle a apporté des sandwiches, qu’elle confectionnait chez elle, pour les élèves des familles pauvres.

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Shirel rêvait de faire son service militaire dans la police des frontières. Elle voulait l’active, surtout pas une planque dans un bureau. Elle était en poste à Hadera, dans le nord du pays, le 27 mars, quand elle a été abattue au cours d’une attaque terroriste revendiquée par l’État islamique. Son bataillon avait suivi une session de formation à la suite de laquelle un petit groupe avait mangé au troquet du coin. Elle se dirigeait, avec un autre appelé de son âge, vers l’arrêt de bus, quand le terroriste leur a tiré dessus. Ils n’ont eu aucune chance. Son camarade d’armes et de mort s’appelait Yazam Falah. Il appartenait à une grande famille druze, qui compte des juges et des avocats. Les Druzes pratiquent une version dissidente de l’islam, qui n’est pas reconnue halal par les islamistes.

Les Israéliens juifs font trois ans de service militaire obligatoire, les Israéliennes deux ans ; pour les Arabes israéliens, c’est facultatif. Yazam avait choisi Israël.

Un officier de la marine israélienne à la retraite, Shlomo Offer, m’a expliqué que le tueur était un Palestinien de Cisjordanie « sans papier, mais pas sans emploi », qui travaillait dans le bâtiment. « Ceux qui viennent de Gaza ne peuvent pas entrer sans permis, mais entre la Judée Samarie et Israël, il n’y a que la clôture de sécurité. Les Palestiniens arrivent en masse, ils sectionnent la clôture et on ne peut pas les arrêter. On ne cherche pas vraiment, d’ailleurs: à force d’entendre dire qu’ils perpètrent des attentats à cause de la misère, on tolère cette clandestinité. Si le terrorisme était le résultat de la misère, pourquoi celui-ci a-t-il tué ceux qui lui ont donné du travail ? »

Craintes redoublées à l’approche du ramadan

Shlomo est très discret sur son activité depuis qu’il a pris sa retraite, mais on sait qu’il a participé à des pourparlers de paix qui ont abouti. Il est tout sauf un va-t-en-guerre. C’est lui qui fait remarquer que le 30 mars, trois jours après l’attentat contre Shirel et Yazam, les Arabes israéliens célèbrent la « journée de la Terre », en souvenir de la confiscation par les Juifs, en 1976, de 2500 hectares en Galilée. Cette journée de manifestations est habituellement pacifique, mais elle tombe, cette année, à la veille du Ramadan, qui commence samedi 2 avril. « C’est une période où la sécurité est en alerte parce que les Juifs tués pendant cette période comptent double », explique Shlomo.

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Shirel a été enterrée au cimetière militaire de Netanya, en présence d’une foule : amis, famille, soldats et même l’ambassadeur de France… On a vu des soldates pleurer. Des soldats aussi.

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Emmanuel Macron, le plus petit commun multiple

Un second mandat ouvre-t-il grand ses portes devant l’actuel président de la République ?


D’aucuns en sont convaincus, arguant du fait que tous les sondages actuels le donnent favori. On ne saurait toutefois l’affirmer sans réserve – sauf à interroger, comme les haruspices, les entrailles fumantes des victimes sacrifiées. À scruter les conjonctions astrales chères à Nostradamus et à ses épigones. Ou encore, à l’instar de Madame Irma, à lire dans les cartes, la boule de cristal ou le marc de café.

Le Plus Grand Commun Diviseur

Une seule certitude : Emmanuel Macron, grand rhétoricien s’il en est, s’est révélé, au cours de son premier quinquennat, illusionniste virtuose. Champion du grand écart. Spécialiste sans rival du « en même temps ». Habitué à manier tour à tour le chaud et le froid. La carotte et le bâton. Les promesses verbales et l’inaction totale. Le résultat le plus patent, c’est que la société française n’a jamais été aussi divisée. Le « président des riches » a suscité l’ire des Gilets jaunes, celle des soignants, celle des retraités, des enseignants, des camionneurs, des policiers, et la liste n’est pas exhaustive. Pis encore, alors que la pandémie actuelle balayait toutes les certitudes scientifiques et eût dû l’inciter à la réserve, il a tenté de dresser l’une contre l’autre deux parties de notre société, celle des sceptiques  et celle des adeptes de la vaccination. Un opprobre prononcé en des termes orduriers, infâmants, qui en disent long sur l’inconscient et la morgue de celui qui pense détenir en tous domaines la Vérité.

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Le Plus Petit Commun Multiple

Cette situation incite à se poser une question : qui donc s’apprête à reconduire l’actuel président ? Une action politique perçue comme néfaste par des catégories sociales aussi différentes ne saurait susciter un enthousiasme tel que celui le voit, à l’heure actuelle, caracoler en tête des sondages. Alors ? La vérité, c’est qu’il apparaît comme le plus petit commun multiple de ses partisans. De ceux qui, par routine, conformisme, résignation, dépit né des faiblesses respectives des oppositions, ou bien encore peur de l’inconnu, voire lassitude , sont prêts à lui apporter leurs suffrages. Parmi eux, ceux que les médias ont réussi à convaincre du caractère diabolique des partis de droite. Lesquels, au demeurant, se révèlent incapables d’une union qui ferait leur force. Ceux qui ne se reconnaissent plus dans une gauche en lambeaux, mais ne sont pas prêts, pour autant, à sauter le pas qui les ferait tomber dans les bras des Insoumis ou des écolos ultragauchistes. Sans compter ceux qui louent une habileté diplomatique que rien, sinon des mots, ne vient concrétiser.

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Autant de raisons qui, fussent-elles contradictoires, s’additionnent et même se multiplient pour maintenir Jupiter sur son trône. Y parviendront-elles ?  Si c’est le cas, et quel que soit le score final, cette alliance singulière du PGCD et du PPCM aurait un côté aussi énigmatique que le demeure encore aujourd’hui le théorème de Fermat !

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Zemmour: le 14e arrondissement en campagne

Récit d’une réunion de militants zemmouriens à Paris où d’anciens fillonistes se mêlent à des marinistes déçus. Unis à droite et emballés par le candidat nouveau, les gens se causent et fraternisent sans regrets pour leurs ex.


Après le meeting de Villepinte, ma femme et moi avons pris la décision conjointe qu’il était interdit de désespérer et qu’il était temps d’agir. Nous avons donc contacté l’équipe de militants du parti d’Éric Zemmour, Reconquête, dans le 14e arrondissement de Paris et un soir de semaine, nous avons laissé le petit regarder Le Mystère de la chambre jaune à la télévision avec son grand-père et nous nous sommes rendus à une réunion dans l’arrière-salle d’un restaurant de l’avenue du général Leclerc.

Quatre-vingts zémmouriens convaincus qu’ils seraient plus utiles s’ils étaient convaincants étaient là. On s’assoit. Je regarde les gens, curieux, comme la première fois que je suis allé en Israël, quand je matais les gens et que je m’habituais à ces rues où tout le monde est juif. Tous juifs, même le grand blond avec les cheveux en brosse à l’arrêt de bus, même la jeune fille noire en uniforme sur le trottoir d’en face. Ici, tous zémmouriens. Des prolos, des bourgeois, des diplômés, des commerçants, plus d’hommes que de femmes, plus de vieux que de jeunes mais de tous les genres dont certains que je n’aurais jamais crus encartés à Reconquête en les croisant dans le quartier. Il n’y a donc pas de zémmourien type contrairement à ce qu’on pourrait penser en regardant la télé où tous ses « amis » ont l’air bien nés, bien coiffés et sortis d’Assas.

Une réunion pour galvaniser les troupes

L’organisateur prend le micro et la parole. Il nous présente son équipe, fidèle depuis le début de son action politique, depuis sa campagne pour Fillon en 2017, depuis sa candidature à la mairie du 14e et sa défaite face à une candidate écolo et à Hidalgo. Un type sympa, chaleureux, qui inspire confiance, que l’on sent dévoué et investi pour le bien public, du genre qui sacrifie une vie de famille le soir ou le dimanche pour des ingrats qui houspillent les politiques sur les marchés en les traitant de vendus ou de profiteurs, du genre qui se met au service de son quartier, de sa ville, de son pays et que des antipass menacent, insultent et violentent, du genre qui s’expose, qui prend des risques, qui prend des coups, et que ceux qui ont la critique facile et qui ne font jamais rien gratuitement ne remercieront jamais assez : un élu.

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Il parle de la campagne et se veut rassurant sur les sondages qui cantonnent Zemmour à 12 % (nous sommes le 19 janvier). « Ne soyez pas inquiets, ils vont faire ça jusqu’à deux semaines de l’élection et le feront remonter pour ne pas avoir l’air de s’être trop trompés. » Pas le moment de demander qui est ce « ils », mais c’est aussi l’avis de l’ami d’un ami qui travaille à la DGSI et qui affirme que les instituts de sondage sont tenus par des amis de Macron et qu’en réalité, notre candidat est à 18 %. Puis il s’en prend aux autres partis dans la course à l’élection. On se connaît à peine et il a déjà la dent dure pour Marine Le Pen et la « retraite à soixante ans ». D’abord, c’est quarante annuités, ensuite je veux bien  entendre toutes sortes de critiques sur la présidente du RN mais pas d’un type qui a soutenu Fillon. La ligne sociale de Marine m’allait plutôt bien et si je l’ai quittée pour Eric, c’est parce que j’ai fini par me rendre à l’idée qu’elle ne pouvait pas être élue. En dix ans, je n’ai réussi à convaincre personne de voter pour elle alors qu’en dix semaines, j’ai vu des proches totalement fermés à la possibilité d’un vote RN être éventuellement tentés par un vote Reconquête. Mais je n’aime pas trop que l’ancien militant du parti des notables centristes critique mon ancien choix. Sauf le respect que j’ai pour le bonhomme, s’il s’imagine que l’union des droites va se faire par l’allégeance de la droite populaire à la droite bourgeoise, il va falloir qu’on en cause. Je n’aurai pas le réflexe et la désobligeance de lui dire que si mon ex-candidate a raté son débat d’entre-deux-tours, le sien, après avoir été le premier ministre de l’abolition du mot « mademoiselle » et de la suppression de la culture générale au concours d’entrée à sciences-po, a appelé à voter Macron deux minutes après l’annonce de sa défaite et a disparu dans la finance. Il y a cinq ans, monsieur 20h02, c’était Fillon. Ce n’est ni le temps ni le lieu pour un règlement de comptes mais le moment venu, je lui rappellerai qu’avant Reconquête, le Rassemblement national était le seul parti qui n’était pas immigrationniste.

Militer, militer, militer… il en restera toujours quelque chose

Puis vient le temps des questions. Le premier à lever la main est un type d’une soixantaine d’années qui a l’air de sortir de La vérité si je mens ! Il ne demande pas ce que le candidat peut faire pour lui, il s’inquiète pour la sécurité de Zemmour. « À Villepinte, on lui a sauté dessus. Est-il bien protégé ? » On le rassure. Un autre, plus jeune et l’air plus catholique s’interroge sur l’utilité de distribuer des tracts et sur les risques courus par les militants dans la rue. Un type qui semble aguerri lui explique qu’un parti se doit d’occuper le terrain avec de vraies gens. L’animateur ajoute que lors des premiers tractages, ils ont été mieux reçus que lorsqu’ils s’affichaient pour Fillon il y a cinq ans. Qui l’eût cru ?

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Une dame de 72 ans témoigne. Quand elle évoque Zemmour dans sa famille, avec ses amis, elle se heurte à des murs. Personne ne veut l’entendre. Elle aussi s’interroge sur l’opportunité du militantisme. Un jeune lui explique en substance que personne ne tombera à genou en s’écriant « Alléluia, j’ai vu la lumière ! », mais que son effort n’est pas vain, il s’agit de planter une graine. Un autre ajoute qu’il est important que ses proches entendent le discours de Zemmour dans sa bouche à elle, porté par quelqu’un comme eux, quelqu’un qu’ils connaissent, quelqu’un de bien, quelqu’un qu’on ne calomnie pas tous les jours dans les médias en répétant qu’il porte un discours de haine, de racisme et de rejet de l’autre.

Famille politique et famille tout court

Enfin arrivent les galettes et les verres de cidre. À ma table, un étudiant de 19 ans salue ses amis de Génération Z, la dame de 72 ans avoue qu’elle déteste les vieux qui ne pensent qu’à leur retraite et à leur patrimoine et qui s’apprêtent tous à voter Macresse pour les uns, Pécron pour les autres. Elle nous demande si nous avons reçu nos cartes d’adhérent. Non, personne n’a rien reçu. J’espère qu’ils n’ont pas dématérialisé ça aussi. J’aimerais penser que l’un de mes descendants trouvera un jour dans de vieux papiers ma tête sur une carte de membre actif du Z et me dise merci Pépé, pour le pays laissé en héritage, débarrassé de ses mosquées cathédrales, de ses racailles et de ses femmes voilées. La conversation s’engage avec deux gars d’une quarantaine d’années. On évoque les violences au meeting. La dame se souvient de l’activiste qui tenait à rester sanguinolente pour la caméra. L’un des deux, qui travaille dans la culture et qui vient du Nord, nous dit que c’est de la broutille. Dans sa jeunesse, il a assuré la sécurité pour les meetings de Jean-Marie Le Pen quand les ouvriers de la CGT et du parti communiste chargeaient en masse et en force pour entrer dans les salles. Il évoque certains de ses amis qui ont fait de la prison pour avoir cogné un peu trop fort sur des perturbateurs. Il avoue avoir quitté le FN à l’arrivée de Marine en continuant à voter pour le parti faute de mieux tout en craignant qu’elle passe et que son incompétence décrédibilise la cause nationale pour cinquante ans. Je rappelle qu’au lieu de travailler après son débat piteux, la présidente du RN a obtenu un diplôme d’éleveuse de chats. « Si ce n’est pas un acte manqué ? » Ma thèse est qu’elle serait soulagée si un autre la déchargeait de son fardeau, de sa mission héritée de sauver la patrie et lui permettait de se consacrer à ses enfants, à son foyer et à ses chats. On boit, on rit, on sympathise, on communie. On a pu enfin parler politique sans que les insultes volent et que les portes claquent. On se quitte en se disant qu’on se verra bientôt sur un tractage, dans un meeting ou dans le quartier. On n’était pas venus pour ça, mais on se dit qu’on pourrait bien avoir trouvé des amis. Ça tombe bien, à défendre Zemmour dans les dîners, on en perd toutes les semaines. Sans regrets.

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Alexandre Douguine: « Ce n’est pas une guerre contre l’Ukraine, mais contre BHL et le globalisme»

Présenté par les uns comme un idéologue proche du Kremlin, par les autres comme un intellectuel ésotérique et marginal dont on a exagéré l’importance, Alexandre Douguine suscite l’intérêt des médias occidentaux, plus encore depuis le début de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine. Depuis trois décennies, il est le chantre de l’eurasisme, doctrine comptant faire de la Russie et des anciennes Républiques soviétiques un bloc continental cohérent capable de tenir tête aux États-Unis et à ses alliés. Certains ont vu dans l’agression russe l’indice des progrès de son influence auprès de Vladimir Poutine. Entretien exclusif.


Causeur. Vous êtes assez connu ici, à la fois dans nos médias conservateurs (la revue Conflits s’est intéressée à vous dans cet article de 2020) mais aussi chez des intellectuels éclairés et « raisonnables » comme Bernard-Henri Lévy, qui vous a qualifié de « fasciste sophistiqué ». Je ne sais pas si c’est un compliment…

Alexandre Douguine. À propos de cette qualification, Bernard-Henri Lévy s’est affiché le 15 mars, à Odessa, auprès de Maxim Marchenko, qui est nazi, porteur de la croix de fer nazie, ex-chef du bataillon d’Aidar. Avec Bernard-Henri Lévy, et la presse libérale occidentale en général, il y a de l’hypocrisie. Si jamais l’on est en désaccord avec le libéralisme outrancier de Bernard-Henri Lévy, on est qualifié de fasciste. Même Eric Zemmour, qui est juif d’Afrique du Nord, est qualifié de fasciste. Trump est fasciste, Poutine est fasciste, tous ceux qui ne sont pas de leur côté sont fascistes. Mais en même temps, on voit de vrais nazis, fascistes, racistes, qui portent la swastika, ou comme Maxim Marchenko, qui est reconnu néo-nazi et qui se proclame comme tel. Or, BHL n’a aucun problème à se promener avec lui à Odessa. Il y a des gens qui se déclarent fascistes, on doit tenir compte de leur propre qualification et les qualifier ensuite comme tels. A l’inverse, si quelconque refuse d’être qualifié comme fasciste, on ne doit pas le qualifier de fasciste.

Libération a proposé un portrait nuancé de Maxim Marchenko, sans gommer les aspects problématiques de ses camarades. Concernant Alexandre Douguine, le média australien progressiste Independent Australia rappelait un article de 1997 dans lequel l’écrivain russe proposait des visions étonnantes du fascisme et du national-socialisme, indiquant « qu’en aucun cas les aspects racistes et chauvins du national-socialisme ont déterminé la nature de son idéologie » et que « les excès de cette idéologie en Allemagne (…) concernent exclusivement les Allemands (…) tandis que le fascisme russe est une combinaison de conservatisme national naturel avec un désir passionné de vrais changements ».

Ici en France, tandis que les médias conservateurs qui voyaient Poutine plutôt comme un élément stabilisateur du monde (on se souvient qu’il était aux côtés de Chirac contre la guerre en Irak), les médias traditionnellement hostiles à la Russie s’en donnent à cœur-joie, sur le ton du « on vous l’avait bien dit ».

Les mass médias occidentaux font évidemment bien plus de bruit que la presse assez limitée de la Russie. Face à cette guerre médiatique menée par les Occidentaux, il faut mener la guerre véritable. C’est en quelque sorte une guerre contre l’Occident. Non pas contre l’Ukraine, mais contre l’hégémonie libérale mondialiste.

C’est une guerre contre Fukuyama et non pas contre l’Europe

Si je vous suis bien, Poutine a déclaré la guerre non pas à l’Ukraine, mais à l’Occident.

Oui. C’est pourquoi l’on n’utilise pas le nom « guerre » à l’intérieur de la Russie concernant l’intervention en Ukraine ; on parle d’opération militaire spéciale. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une guerre contre l’Ukraine, c’est une guerre contre le globalisme, contre Bernard-Henri Lévy, contre George Soros, contre Joe Biden, contre l’atlantisme. Finalement, c’est Francis Fukuyama qui a vu juste, quand il a appelé son dernier article « la guerre de Poutine contre l’ordre libéral » [en anglais, ici]. C’est tout à fait juste ; c’est la guerre de Poutine et de la Russie contre l’ordre libéral mondial, contre la fin de l’histoire et contre l’Empire américain.

Qui souffre des expropriations faites en ce moment par l’Occident ? Les pires des nôtres, les oligarques. Nous les détestons plus encore que vous ne les détestez

Mais alors, quelles pourraient être les prochaines étapes de Poutine, après la guerre d’Ukraine ? Où est-ce qu’il pourrait encore avancer ses pions dans sa guerre contre l’Occident ?

Je crois que pour l’instant, l’objectif, c’est l’Ukraine. Zbigniew Brzeziński a dit dans le Grand Echiquier [1] que sans l’Ukraine, jamais la Russie ne pourra redevenir un Empire. Avec l’Ukraine, la Russie redeviendrait automatiquement un Empire parmi les autres, ou plutôt un pôle indépendant du monde multipolaire. Il n’est pas du tout question d’attaquer des pays membres de l’OTAN en Europe parce qu’avec l’établissement de l’indépendance de la Russie dans un grand espace eurasiatique, le monde multipolaire sera pleinement établi. Selon moi, les conséquences directes de cette révolution géopolitique seront réjouissantes, parce qu’avec ce bloc qui comprendrait la Russie, la Grande Russie (la Russie avec l’Ukraine) et la Chine (et j’espère avec Taïwan), l’hégémonie occidentale sera détruite. Ça sera « la fin de la fin de l’histoire ». C’est une guerre contre Fukuyama et non pas contre l’Europe. Dans cette multipolarité assurée, l’Europe pourra choisir son camp : ou elle continue d’être le prolongement de l’atlantisme et du monde anglo-saxon, ou l’Europe redevient un pôle indépendant et souverain. C’est une chance pour l’Europe, non pas de s’unir à la Russie, mais de s’affirmer comme un pôle indépendant, autant des Etats-Unis que de la Russie. L’Europe peut devenir un bloc véritable, capable de se défendre, même contre les Russes. L’Europe doit se réaffirmer comme un pôle, non pas avec nous, non pas dans une relation nécessairement amicale avec la Russie, mais d’une manière réaliste.

Mais justement, les opinions publiques européennes ont peur ! En France, encore, on est loin de la frontière russe, mais nous nous mettons à la place des Polonais, des Suédois. C’est un rejet massif de la Russie qui a lieu en ce moment, pas seulement chez les élites, mais aussi dans les opinions publiques de ces pays.

Beaucoup de choses changent. Pour nous, ce qui est très important, c’est de réaffirmer la Russie comme bloc indépendant, le reste est secondaire. Quand l’Europe comprendra les choses de manière réaliste, quand l’Europe s’accommodera de la nouvelle situation et réalisera que les Etats-Unis n’ont pas fait grand-chose pour venir en aide à l’Ukraine, elle changera. Il n’y a pour l’instant aucun danger pour l’Europe mais finalement, tout dépend d’elle. Si l’Europe est agressive, si l’Europe continue d’être la base militaire des Etats-Unis, l’Europe se trouvera dans une situation fragile.

Vous m’avez dit quand même qu’il s’agissait d’une guerre contre les valeurs occidentales, tandis que Poutine semble régler ça comme une opération de gendarmerie, en réglant un « problème » dans un pays voisin turbulent. Je ne crois pas que Poutine soit dans une approche si globale…

Non, non, non, Poutine a tenu [le mardi 16 mars] un discours historique. Il a dit [en substance] : « la civilisation occidentale, nous la refusons. Aucune dépendance de l’Occident, aucune valeur commune avec l’Occident, nous sommes une civilisation totalement auto-suffisante, donc allez-vous en [2] ». Finalement, c’est une rupture finale avec la communauté de valeurs, de destin ; il a dit adieu à l’Occident. Il a dit aussi : « il y aussi beaucoup de gens qui sont des Européens occidentalistes à l’intérieur de la Russie » [dans son discours, Poutine s’en est pris notamment à ses compatriotes « qui ont une villa à Miami ou sur la French Riviera » ou « qui ne peuvent pas vivre sans foie gras, huîtres ou les prétendues libertés de genres. », ndlr]. Il a déclaré la guerre contre eux. C’est donc une lutte contre l’Occident libéral à l’extérieur des frontières russes mais aussi à l’intérieur de la Russie.

Vous avez aussi des Russes qui sont hostiles à Poutine, et à l’Ouest, il y a des gens qui jusque-là, étaient pro-russes, comme Marine Le Pen ou Eric Zemmour. Ils voyaient en Poutine presque un modèle politique. Vous avez perdu ces alliés.

Quand la Russie vaincra, quand seront établis sur l’Ukraine la puissance et le contrôle suffisants aux yeux de Moscou (c’est à Poutine de juger quand ça sera suffisant et pas à moi), il y aura un autre ordre mondial. Et je crois que le choix ne se fera plus entre la Russie et les Etats-Unis mais entre uni-polarité (ou disons le système occidental-centriste proposé par Biden) et multipolarité. Tous les pays pourront faire leur choix. Dans ce cas, même les Américains, avec Trump et les conservateurs, pourront choisir la multipolarité ; parce que les ennemis de Trump sont les ennemis de Poutine. Les populistes de droite ou de gauche, tous ceux qui sont opposés à l’uni-polarité libérale peuvent alors se retrouver du côté de la Russie. Mais aujourd’hui, le moment est critique, c’est trop tôt. Aujourd’hui, tout le monde reproche à la Russie d’être l’agresseur. Mais avec le temps et surtout après la victoire russe, ça sera différent. Ce qui compte vraiment pour nous, c’est l’appui de la Chine (de l’Iran également, mais surtout de la Chine). Si nous avons la Chine derrière nous, nous n’avons peur de rien ni de personne.

Au lendemain de la Guerre froide, la Russie et même Poutine dans les premières années de son règne ont voulu jouer la carte de l’Occident. Un certain nombre de « maladresses » occidentales l’ont peut-être amené dans le camp chinois. Mais est-ce que Poutine était programmé au départ pour devenir le grand rebelle international ?

Ce n’est pas l’analyse correcte. Poutine, selon moi, est un dirigeant absolument réaliste et pragmatique. Il n’est pas eurasiste convaincu, il n’est pas libéral convaincu non plus. Il est le chef d’Etat d’une Russie qui est tellement sous pression du libéralisme global qu’il est obligé de faire ça. Aucun autre dirigeant russe à sa place ne pourrait faire autrement. S’il veut garder le pouvoir, défendre le pays, il doit se comporter comme ça. Quand il dit qu’il est obligé d’attaquer l’Ukraine, il dit la vérité. Poutine n’est pas comme moi. Je suis eurasiste convaincu. Il finit par mener l’action que je recommande en arrivant par d’autres chemins. Le « racisme » culturel de l’Occident et les gifles données par de petits personnages hautains ont transformé Poutine d’ami de l’Occident en ennemi.

Comment voulez-vous intégrer de force l’Ukraine à la Russie si l’Ukraine n’en a pas envie ?

Dans l’histoire russe, l’intégration et la réintégration de l’Ukraine a souvent été un défi et finalement on arrive par reconquérir cette terre d’origine. L’Ukraine n’a jamais existé. La moitié de la population était mentalement russe et l’autre moitié était partagée entre la Pologne et l’Autriche. Jamais l’Ukraine n’a eu d’Etat national. C’est pourquoi on a dû utiliser le nazisme, le nationalisme extrême pour forcer la création de cet Etat-nation. Cela s’est répété plusieurs fois dans l’histoire. A chaque fois, cela se termine de la même façon : les troupes russes interviennent.

Vous avez fait tout à l’heure une critique acerbe de l’Empire occidental et maintenant vous défendez l’Empire russe. Est-ce qu’il n’y a pas un paradoxe ?

Non, non. L’Empire libéral est mauvais non parce que c’est un Empire mais parce que il est libéral…

Ce qui vous choque dans « Empire libéral », c’est donc l’adjectif libéral…

Oui. Cet Empire libéral anglo-saxon, matérialiste, capitaliste, individualiste, basé sur la perversion de toutes les valeurs, sur la destruction de toutes les traditions, c’est l’Empire de l’Antéchrist.

Frédéric Magellan et Alexandre Douguine. D.R.

La société russe de Poutine est pourtant à peu près aussi matérialiste que la nôtre, elle s’est largement convertie au capitalisme.

Non. Il faut distinguer le peuple de la société. Le peuple se cache derrière la société. La société, c’est la surface du peuple seulement. Quand on veut mesurer certaines conclusions au sujet de la société, c’est toujours très superficiel. La Russie et le peuple russe suivent presque totalement Poutine (à quelques exceptions), même la partie de la population occidentalisée et acquise à la modernité et au capitalisme. Le peuple se réveille presque immédiatement quand il entend un certain appel, une certaine voix, que les autres n’entendent pas mais que les Russes entendent. En quelque sorte, ils perçoivent que c’est une guerre sainte contre l’ordre libéral et hédoniste.

Ça me rappelle finalement le discours qu’avait George Bush en 2003 au moment de la guerre d’Irak. Il était parti en guerre au nom de valeurs occidentales… Est-ce qu’il n’y a pas une similitude ?

Peut-être, oui. Mais pas de similitudes au niveau des valeurs, car les valeurs occidentales, c’est précisément ce contre quoi nous luttons. Les valeurs occidentales pour nous sont des valeurs de dégradation, de perversion des mœurs, c’est le nihilisme pur contre lequel la Russie a lutté au moment des Tsars, au moment de la défense de l’orthodoxie, au moment de l’Union soviétique, car elle a lutté contre l’individualisme capitaliste. Les régimes ont changé mais c’est bien une guerre des valeurs qui se poursuit, la guerre contre les valeurs de George Bush.

Poutine avait fait un investissement en soft power en organisant les Jeux olympiques, la Coupe du monde de football. Aujourd’hui, tout cet investissement est perdu.

Oui, et tant mieux. Je suis très heureux de toutes les sanctions. Moi, je suis proudhonien, je ne crois en rien dans le capitalisme. La propriété, c’est le vol. Poutine a eu confiance dans l’Occident, il a investi dans la globalisation et maintenant, tout est perdu, tout est coupé, tout est totalement détruit et je suis absolument heureux de tout cet adieu à la globalisation. Car cela a bénéficié chez nous aux pires des nôtres, les oligarques, que l’on déteste ici. Qui souffre des expropriations faites en ce moment par l’Occident ? Les pires des nôtres. Nous les détestons plus encore que vous ne les détestez.

Alors j’ai une question de petit Français. On se souvient que Poutine avait lancé l’opération en Géorgie en 2008 au moment des Jeux olympiques de Pékin ; en 2014, l’annexion de la Crimée a eu lieu aussi au moment des JO de Sotchi. On peut avoir l’impression qu’il profite d’événements majeurs pour avancer ses pions. Aujourd’hui, est-ce que Poutine a lancé cette opération en ce moment parce qu’il y a l’élection française ? Laissez-moi m’imaginer que la France a encore un rôle dans les choix des grands de ce monde !

Je crois que la dernière chose que Poutine a eu à l’esprit, ce sont les élections présidentielles françaises. Mais objectivement, la situation en Ukraine a fait grand dommage à Zemmour, à Marine Le Pen, car ils étaient absolument sûrs que la Russie n’attaquerait pas l’Ukraine, et ils ne peuvent plus donc tenir leur ligne. Je serais heureux que l’opposition à Macron l’emporte, mais finalement ça ne changera pas grand-chose à l’histoire mondiale. Pour le moment, la France est sortie de l’histoire. Je suis absolument sûr qu’il arrivera et je souhaite que ce moment arrive où la France sera sortie de ces années de plomb de Sarkozy, de Hollande, de Macron, séquence déplorable…

Je reviens sur un point. Pour vous, l’objectif de l’intervention russe, c’est l’annexion de l’Ukraine. Est-ce que c’est l’objectif déclaré de Poutine ?

Je n’ai pas utilisé le mot « annexer ». Poutine a déclaré deux objectifs. Premier : démilitarisation. Deuxième : dénazification. Ces objectifs ne sont pas réalisables sans contrôle total de l’Ukraine. On ne peut pas démilitariser le pays sans contrôle stratégique total. On ne pas dénazifier sans contrôle absolu sur le système politique. Poutine a déclaré ces deux points de manière très sérieuse.

Mais ça serait un contrôle temporaire ou définitif de l’Ukraine ?

On verra bien.

Imaginons que Poutine renverse dans quelques jours le gouvernement ukrainien. A partir de quand les Européens vont se décider selon vous à entrer en guerre. Est-ce que vous pensez que la France ou l’Angleterre peuvent en arriver là ?

Je pense que rien ne se décide à Londres ou à Paris…

Disons Washington…

Washington, c’est autre chose. Washington peut déclencher la guerre nucléaire, mais ne la finira pas. Le potentiel nucléaire russe est tout à fait suffisant pour détruite Washington, l’Europe, le monde, l’humanité et Poutine a déjà dit : « Si Washington osait utiliser l’arme nucléaire, la Russie répondra avec l’attaque symétrique et ça sera la fin du monde ». On peut déclencher la guerre nucléaire mais on n’a aucune chance de s’en sauver. Trois dirigeants décident du sort du monde : Biden, Poutine et Xi Jinping, mais sûrement pas Macron. Tous les autres sont des observateurs impuissants qui peuvent être sacrifiés par ces Grands Trois. Si l’Europe était un pôle souverain, il y aurait quatre personnages qui décideraient du sort du monde. Je crois que l’opération spéciale en Ukraine n’aurait pas eu lieu sous Trump car Trump était réaliste, Poutine est un réaliste, ils se comprennent très bien. Trump a abandonné Kiev durant sa présidence et il n’y avait pas de nécessité pressente d’intervenir en Ukraine. La situation actuelle avec Trump ne serait pas possible, non parce que Poutine aurait peur de lui, mais seulement parce que deux réalistes peuvent se sortir d’une situation en évitant la guerre. Si Trump gagne la prochaine élection, on retrouvera sans doute…

… une entente cordiale. Justement. En Europe, aux Etats-Unis, on change de président tous les quatre ans, tous les cinq ans. En Russie, l’exécutif ne change pas souvent. Poutine était déjà là il y a vingt ans.

Parce que c’est notre culture ! Nous aimons les tsars, nous aimons les empereurs. En quelque sorte c’est un monarchisme qui vient d’en bas. La demande d’autorité vient d’en bas. Nous n’aimons pas tellement la démocratie. La démocratie n’est pas une religion, c’est un régime politique qui peut être, ou ne pas être. Vous choisissez la démocratie, nous choisissons autre chose. Vous ne pouvez pas dire : « vous êtes mauvais parce que vous ne choisissez pas la démocratie ». On pourrait dire à l’inverse : « vous êtes idiots parce que vous choisissez la démocratie ». C’est une forme politique qui donne tout le pouvoir aux oligarques, à quelques familles, à quelques groupes d’influence. A mes yeux, les Occidentaux sont idiots et ne savent pas qu’ils sont manipulés par un système dictatorial sous couvert de démocratie.

En France aussi on a une petite nostalgie de la monarchie. On cherche un de Gaulle tous les dix ans et on n’y arrive pas… on est un peu malheureux.

De Gaulle était un grand personnage de l’histoire de France. Il était assez démocrate, il était assez indépendant, il a fait de la France un pays souverain, presque souverain. Il était très proche d’avoir totalement libéré la France de l’influence et du contrôle atlantiste et de redevenir le centre de l’Europe continentale.

Une dernière petite chose : en France et ailleurs, on se demande quel est votre rôle auprès de Poutine. Est-ce que vous mangez avec Poutine ? Est-ce que vous faites des réunions Skype avec Poutine ?

Jamais je ne réponds à cette question. On me demande toujours ça. No comment.


[1] Dans Le Grand Echiquier (1997), Zbigniew Brzeziński a écrit : « L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’État russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l’échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un Empire en Eurasie. Et quand bien même elle s’efforcerait de recouvrer un tel statut, le centre de gravité en serait alors déplacé, et cet empire pour l’essentiel asiatique serait voué à la faiblesse, entraîné dans des conflits permanents avec ses vassaux agités d’Asie centrale ». In Le Grand Echiquier. L’Amérique et le reste du monde, Hachette, 2010, p. 74-75.

[2] https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-du-vendredi-18-mars-2022

Émeutes à Sevran: des réactions politiques inquiétantes

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Idéologie de l’excuse? Peur de susciter de nouveaux débordements de voyous des quartiers ? Certains médias et des responsables politiques ont des priorités pour le moins étonnantes. Elles révèlent la tension exacerbée autour de certains sujets dans la société française.


Il conduisait un fourgon fraichement volé [1], a refusé d’obtempérer lors d’un contrôle de police le 26 mars, et aurait tenté de percuter un fonctionnaire de police en voiture. Ce dernier a ouvert le feu et grièvement blessé le suspect dans des circonstances encore floues d’après le parquet de Bobigny. L’homme est mort dans l’après-midi, le même jour.

Les conséquences de cet évènement sont malheureusement prévisibles : des voyous ont saisi l’occasion pour affronter les policiers trois nuits de suite. Véhicules incendiés (dont un bus volé par une cinquantaine de personnes munies de barres de fer), barricades enflammées, jets de projectiles sur les forces de l’ordre [2]

Les réactions à chaud de certains acteurs politiques ou médiatiques sont préoccupantes. C’est le moins que l’on puisse dire.

Appel à l’émotion et minimisation de la délinquance…

Dimanche 27 mars, le media qatari AJ+ France ne trouve rien de mieux à faire que de diffuser sur Facebook une vidéo de 59 secondes intitulée « Des tensions sont survenues hier soir à Sevran après le décès d’un père de famille tué par la police quelques heures auparavant » . Un « père de famille » : cette qualification, sans doute réelle, sert ici évidemment à susciter l’empathie. On imagine une femme et des orphelins éplorés (ce qui est tristement sûrement le cas aujourd’hui, au demeurant). En jouant sur le pathos, AJ+ embrouille son audience.  En réalité, ce n’est pas parce qu’il était un père de famille que l’habitant de 32 ans de Sevran est mort, mais parce qu’il a refusé d’obtempérer et a semble-t-il tenté de percuter un fonctionnaire !

Non content d’appeler à l’émotion des gens qui suivent ses messages sur les réseaux sociaux (c’est le pire moyen de penser des faits graves, au passage), AJ+ minimise les débordements constatées en Seine-Saint-Denis, en évoquant des « tensions », alors que les images montrent des policiers visés par des tirs de mortiers et de projectiles. Les termes émeutes (Larousse : « soulèvement populaire, explosion de violence ») ou  « sédition » (« soulèvement concerté contre l’autorité établie ») seraient plus adéquats, puisque les émeutiers agissent contre les représentants de l’État et se concertent. 

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AJ + minore donc certains faits, soit pour ne pas stigmatiser les fauteurs de troubles (qui le font très bien tout seuls), soit par respect d’une ligne éditoriale partiale prédéterminée qui accorde davantage le bénéfice du doute aux « jeunes des quartiers » de nos banlieues. Deux hypothèses aussi plausibles l’une que l’autre, au vu de la ligne éditoriale du média qui reprend à peu près tous les codes de la victimisation des quartiers et des musulmans sous couvert d’être un « média inclusif qui s’adresse aux générations connectées et ouvertes sur le monde« . Leur traitement partisan de certains sujets comme l’ « islamophobie » (non reconnue par l’UE), ou encore le conflit israëlo-palestinien sont déjà bien documentés.

… mues par la peur ?

Le maire de Sevran Stéphane Blanchet a de son côté fait montre d’une réaction empressée. Son communiqué du 26 mars (le jour même de l’évènement) vise en fait à donner des gages de bonne volonté à ceux qu’il sait largement susceptibles de créer troubles ou émeutes : empathique, il parle d’ « un Sevranais » qui était « père de famille », évoque des « circonstances dramatiques » , indique qu’une « enquête est en cours » et que ses « premières pensées vont à sa famille » . Enfin, il anticipe le prétexte fallacieux de probables émeutes (« la douleur » ), et appelle au calme.

Il est évident que de tels appels au calme de la part d’un édile seraient complètement loufoques dans bien d’autres villes où les émeutes ne sont pas un passe-temps habituel. Mais nous sommes à Sevran et le maire sait sans doute que voyous et délinquants ont un grand pouvoir dans sa ville. Il connaît la violence de leur mode d’expression et les prétextes qu’ils utilisent pour s’y adonner. Sa réaction peut donc être interprétée comme la démonstration de sa crainte de représailles contre les services publics de sa ville et de la connaissance qu’il a des modes d’action de certains de ses administrés. C’est quoi qu’il en soit un terrible aveu de faiblesse. Députée LFI, Clémentine Autain signe un communiqué de la même teneur le même jour, qui témoigne du même état des lieux : un « père de famille » est mort, c’est un moment de « douleur », elle présente toutes ses « condoléances » aux proches et à la famille, mentionne l’enquête en cours, et conclut en indiquant que « l’heure doit être à l’apaisement et au recueillement ».

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Notons dans cette affaire que si le suspect est systématiquement humanisé, le gardien de la paix reste invariablement « un policier » ou « un fonctionnaire de police ». Personne ne s’est demandé s’il était un grand frère, un mari ou un père ! Seul l’un des deux protagonistes a droit à cette attention. Pourtant, d’après Le Monde, le policier a été hospitalisé en état de choc après les faits [3].

Des divisions graves en France

Résumons : d’un côté, un fonctionnaire de police dont l’enquête de l’IGPN en cours dira si l’usage de son arme à feu était légitime. De l’autre côté, un homme dont le comportement suspect et les choix de vie malheureux l’ont mené à la mort. S’il ne faut jamais minimiser la mort d’un homme, rappelons aux belles âmes promptes à s’indigner qu’il aurait pu faire pléthore d’autres choix qui lui auraient été plus favorables.

Les leçons à retenir de ce sinistre épisode ? Des responsables politiques de terrain connaissent parfaitement la violence des racailles envers tout ce qui représente l’État et la France. Ils la redoutent, peuvent la minimiser et tentent de passer de la pommade. Ils n’ont pas compris que cette commisération surjouée est une erreur, notamment lorsqu’elle s’adresse à des jeunes hommes peut-être majoritairement issus de cultures dans lesquelles la force est respectée et la faiblesse méprisée. Sans surprise, Al Jazeera nous donne à voir une inquiétante lecture victimaire de faits bien sélectionnés, ajoutant de l’huile sur le feu. Le vivre-ensemble, cette notion ânonnée par beaucoup à tout bout de champ, s’effondre vite au contact d’un réel dur et inquiétant. Certains évènements sont des prétextes pour poursuivre un affrontement larvé qui dure depuis longtemps en France. Il suffit de lire quelques commentaires sous la vidéo d’AJ+ pour s’apercevoir que la France ne sait même plus faire respecter son intégrité, suscite la méfiance, voire est vue comme une ennemie. « Je peux conclure l’enquête de l’IGPN : non-lieu« , ironise un internaute. Un autre demande « que les quartiers se soulèvent« , un troisième estime que la police « veut la guerre » et l’aura « bientôt« , précisant « on a la haine contre eux« .

Sommes-nous encore une République indivisible ? On peut franchement en douter.


(1) https://www.leparisien.fr/faits-divers/course-poursuite-a-sevran-un-homme-grievement-blesse-par-le-tir-dun-policier-26-03-2022-M44OIC5AL5G5RI6CJVYMJA4OQY.php

(2) https://www.ladepeche.fr/2022/03/28/nuit-de-violences-a-sevran-et-aulnay-sous-bois-apres-la-mort-dun-homme-tue-par-un-policier-10199199.php

(3) https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/03/27/sevran-le-conducteur-d-un-vehicule-vole-tue-par-un-policier-des-tensions-eclatent_6119344_3224.html

Si j’étais recteur de la Grande Mosquée de Paris, je demanderais aux musulmans qu’ils admettent que les lois françaises prévalent sur la charia!

Driss Ghali répond à la mobilisation anti-Zemmour de certains milieux musulmans. Selon lui, elle pourrait s’écrouler sous le poids de son insignifiance tant elle est hors sujet. En encourageant une sorte d’auto-stigmatisation, on enferme des Français musulmans sur eux-mêmes.


Dans une tribune publiée récemment dans les colonnes du Monde, le recteur de la Grande Mosquée de Paris a appelé les Français à s’inscrire sur les listes électorales afin de faire barrage à Éric Zemmour. 

Le polémiste n’était pas nommément cité, mais il était à l’évidence l’objet de l’admonestation prononcée par le recteur. 

Le texte n’a eu de cesse de souligner l’imminence du danger, la prégnance de la haine à l’égard des musulmans et l’urgence d’agir avant qu’il ne soit trop tard.

L’assimilation des musulmans n’est pas un franc succès

Curieuse demande que celle émise par le recteur de la Mosquée de Paris ! 

Est-ce qu’il viendrait à l’esprit de l’archevêque de Rabat d’exhorter les Marocains à s’abstenir de voter islamiste ? Est-ce que le grand rabbin de Tunisie s’autoriserait à dire aux Tunisiens tout le mal qu’il pense d’Ennahda ? Bien sûr que non, mais passons ce détail. Admettons que la France soit un pays exceptionnel, à nul autre pareil, un pays au sens moral si aiguisé que le premier venu peut lui faire la leçon, interrogeons-nous alors sur le fond de la question soulevée par le recteur de la Grande Mosquée de Paris: est-ce que Zemmour est dangereux pour les musulmans de France ?

Les trente dernières années nous démontrent que les musulmans de France n’ont pas eu besoin de Zemmour ou des Le Pen pour sombrer. Ils sont parmi les premières communautés représentées en prison, parmi les premiers locataires de logements sociaux, parmi les travailleurs les plus précaires et les moins bien rémunérés. Ce n’est pas ce que l’on peut appeler un succès. 

Pire, les seuls endroits où ils avaient une chance de démentir la fatalité ont été soigneusement dynamités par la bourgeoisie française, bien-pensante et sûre d’elle-même. Il suffit de citer l’école publique qui a été transformée en une fabrique à crétins arrogants et fiers de leur analphabétisme. Résultat : un musulman né à Marrakech a plus de chances de rentrer à Polytechnique qu’un musulman né à Aubervilliers ! Interrogez les directeurs de Polytechnique, ils vous confirmeront que les Marocains (du Maroc, pas ceux du 9-3) ont un niveau époustouflant en mathématiques.

À lire aussi, du même auteur : Le grand remplacement tuera la diversité du monde!

Ajoutez à cela la sous-culture du rap, la malédiction du cannabis qui ramollit les esprits et démoralise les forces vives, la disparition de l’industrie qui pourvoyait des emplois stables et dignes aux immigrés et à leurs enfants, et vous obtenez une génération sacrifiée dans la plus grande indifférence des pouvoirs publics et des autorités dites représentatives de l’islam en France.

Prison mentale

Rien ne change, en dépit des violences régulières dans certains quartiers, car le système politique « adore » cette situation, il en a besoin, il s’en nourrit, il incite les musulmans de France à incarner une caricature d’eux-mêmes : infantilisés, énervés, dépendants de l’aide publique. 


Dans la France de la Diversité, la politique n’est plus vraiment permise, puisque dire la vérité n’est plus permis !

Entendant lutter contre l’« engrenage de la haine », le recteur de la Grande Mosquée de Paris Chems-Eddine Hafiz appelle à s’inscrire sur les listes électorales et à aller voter dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 14 février. 

La prise de parole est soumise au crible préalable du vivre-ensemble qui autorise les bonnes nouvelles et interdit les mauvaises. On ne peut que célébrer les chances pour la France et se taire sur le fiasco de l’immigration et de l’islamisation. La tribune du recteur de la Grande Mosquée de Paris s’inscrit parfaitement dans cette musique de fond qui habite notre démocratie bâillonnée. Il s’agit d’une musique douce mais pauvre, au rythme prévisible et ennuyeux, car elle n’aspire à rien d’autre qu’à couvrir les sons et les cris des victimes qui appellent au secours, tandis que la croisière s’amuse. Quelques exemples à suivre.
« Tout ce qui va à l’encontre de notre coexistence constitue un danger pour notre avenir et celui des générations qui nous succèderont ». Ce qui veut dire qu’il vaut mieux fermer les yeux et se taire, que de décrire le réel qui a le malheur de ne pas obéir au credo du vivre-ensemble. Ce credo d’ailleurs n’est rien d’autre qu’un rêve éveillé. Le pays est devenu un coupe-gorge, l’ultra-violence est palpable, les zones de non-droit se comptent par centaines, mêmes des policiers pouvant être égorgés à leur domicile (Magnanville, 2016) ou bien au cœur même du 36 Quai des Orfèvres (2019). Il n’empêche, Monsieur le recteur écrit : « Des femmes et des hommes ont donné leurs vies pour que nous puissions vivre en paix ». Mais de quelle paix s’agit-il ? Celle du Bataclan, de la Promenade des Anglais ou du prêtre égorgé en plein culte catholique à Rouen ? Il ajoute : « ne trahissons pas leur humanisme », comme si l’humanisme avait survécu à l’ensauvagement. Posez la question à la veuve du chauffeur de bus de Bayonne massacré par des sauvages. Existe-t-il d’ailleurs un humanisme en islam ? La question mérite d’être posée, elle admet certainement une réponse nuancée et complexe, mais inutile d’avoir un diplôme de sciences humaines pour s’apercevoir que le sort des femmes dans le monde musulman, y compris dans nos banlieues, n’est pas très « humaniste ». Dans la conception française, l’humanisme passe par l’égalité entre homme et femme et par l’affirmation de l’individu (face à Dieu et face à la nature). Rien dans l’islam tel que les Français le voient pratiquer autour d’eux ne permet de conjuguer islam et humanisme au sens français du terme. 
« Non, n’est pas politicien qui le prétend. Au mieux, nous avons affaire à des intrus mal intentionnés entrés dans nos vies par effraction ». On croit rêver ! Désormais, pour prétendre à une charge publique en France, il faut peut-être recevoir la bénédiction des autorités musulmanes, et être déclaré conforme aux principes du vivre-ensemble ! A ce rythme, seuls les fous et les folles accepteront de faire de la politique, puisqu’après le passage par la mosquée, il faudra ensuite monter sur le char décoré de la Gay Pride afin d’être adoubé par le lobby LGBT, vivre-ensemble oblige. 
Plus sérieusement, quiconque, même Zemmour, a le droit de se présenter aux élections, du moment qu’il répond aux critères prévus par la loi.
« Seul le bulletin de vote peut stopper l’engrenage de la haine. » Non Monsieur le recteur, la haine ne cède que devant l’amour. Or, la France n’est pas aimée, elle n’est plus aimée ni par ses enfants ni par les étrangers qui y habitent. Elle ne reçoit que reproche et ingratitude. C’est pour cela qu’elle se rebiffe et qu’elle nous envoie des Zemmour pour nous dire combien elle souffre. La meilleure réponse à l’extrême-droite est que nous tous, au-delà de nos doléances, commencions à aimer la France telle qu’elle est, avec ses parts d’ombre et de lumière.  
Au fond, se lit en filigrane la moraline, cet ingrédient de notre politique déchue qui, à défaut de nous rendre heureux et de nous protéger, nous expose au déclin. Alors, elle nous fait la morale du matin au soir, et nous prend à témoin pour tout et n’importe quoi : « Nos enfants nous reprocheront notre égoïsme si nous continuons à ignorer tous les signes préoccupants qui viennent de la scène politique. » En réalité, nos enfants nous reprocheront notre inconséquence et notre légèreté, nous qui avons délibérément joué avec le feu en obligeant la civilisation musulmane à cohabiter avec la civilisation française. Nous qui avons installé, les uns sur les autres, les couples gays adeptes de la PMA et les familles musulmanes pratiquantes. Nous qui avons accepté que la rue devienne une arène de boxe, que Paris ait sa colline du crack, que Nantes ait perdu sa douceur de vivre… Tout cela nos enfants vont nous le reprocher et amèrement d’ailleurs.
Ce n’est pas parce que nous avons peur de la guerre civile que nous devons tirer sur les messagers qui ont un peu plus de lucidité que le commun des mortels. Zemmour est bardé de défauts, mais il est un moins myope que le politicien moyen • Driss Ghali

La gauche, les indigénistes, la droite dite républicaine et le parti du président voient dans les musulmans un trophée. Ils s’efforcent de les installer dans une « prison mentale » dont les barreaux sont la victimisation, le ressentiment et l’échec socio-économique. Ils ont besoin de musulmans qui souffrent et non de musulmans qui gagnent : les premiers votent pour eux, les seconds votent pour leurs intérêts.  

Cruelle destinée des immigrés musulmans. Quand ils vivaient au sud de la Méditerranée du temps de la colonisation, ils étaient perçus comme un bétail électoral que l’on convoque aux urnes de temps en temps pour conférer une légitimité démocratique aux voleurs et aux bourreaux. En France, on leur demande de voter pour un personnel politique déplorable qui les manipule par le discours antiraciste et par l’assistanat. Dans les deux cas, ils ne sont pas pris au sérieux.

Zemmour surgit et met à nu le système. Il est donc voué aux gémonies, tant par les caciques qui se font élire par l’antiracisme et les allocations, que par les assistés qui craignent la fin de la poule aux œufs d’or. Il s’agit de réactions naturelles, humaines, trop humaines, mais qui n’ont rien de surprenant.

Au calme, dans le secret des consciences, l’évidence est difficilement dissimulable.  Avec Zemmour, nous aurions une chance de libérer les banlieues et de réintégrer leurs habitants dans la communauté nationale. Les musulmans ont tout à gagner de ce retour de la République dans les zones aujourd’hui sous l’emprise des gangs. Jamais un dealer n’a aidé personne à intégrer HEC ni à devenir PDG d’Air France !  

Avec Zemmour, la théorie du genre sera expulsée de nos salles de classe, l’école publique sera sauvée et la télévision publique cessera d’inviter des rappeurs qui chantent « nique ta mère ». Que des bonnes nouvelles pour un musulman ! Au passage, on nous promet la réindustrialisation de la France, ce qui créera des opportunités d’emploi bien rémunérées pour tous les Français, dont les musulmans. Entre chauffeur Uber et ingénieur chez Dassault, je crois que les jeunes issus de l’immigration méritent de travailler chez Dassault !

Ce contexte posé, la mobilisation anti-Zemmour de certains milieux musulmans s’écroule sous le poids de son insignifiance, elle est juste hors-sujet. On peut ne pas aimer Zemmour, on peut s’indigner de son hostilité assumée à l’égard de l’islam, mais on ne peut pas se dire ami des musulmans et se taire sur le piège maléfique dans lequel nombre d’entre eux se sont laissés enfermer. 

Sortir du piège maléfique

Si j’étais imam, si j’avais la chance d’exercer cette charge en France, je consacrerais ma vie à briser ce piège maléfique. Cela passe avant tout par la reconstruction de la famille musulmane, très abîmée par le choc de l’immigration qui a disqualifié les parents et transféré le pouvoir, matériel et symbolique, chez les plus jeunes. Il est impératif de refaire de la famille musulmane une pépinière irriguée par la plus haute conception de l’éthique et de la rigueur. C’est le manque de principes et la désinvolture face aux parents qui font que tant de gamins choisissent le chemin de la délinquance et stigmatisent d’eux-mêmes les millions d’autres musulmans de France.

À lire ensuite, du même auteur : Immigration maghrébine, chronique d’un (colossal) rendez-vous raté

Si j’étais imam, je mènerais une guerre sans relâche aux trafiquants de drogue qui détournent la jeunesse du chemin de l’effort et de l’excellence. Le cannabis et le mode de vie « racaille » sont des ennemis mortels pour la famille musulmane. Bien plus que l’extrême-droite. Rien, absolument rien ne sera réalisé si nous continuons à nous tromper d’ennemis. Dans cinquante ans, nous en serons au même point et nous verrons d’autres autorités officielles de l’islam en France se plaindre du petit-fils de Marion Maréchal, déclaré favori aux élections présidentielles.

Si j’étais imam, je demanderais aux musulmans de faire confiance à Dieu et à son jugement final. Qu’ils donnent à la France ce qu’elle exige d’eux et qu’ils soient assurés de la miséricorde divine. Qu’ils fassent preuve de retenue sur la voie publique, qu’ils admettent que les lois françaises prévalent sur la charia sans craindre le châtiment éternel pour autant. Je leur dirais que si Dieu les a fait venir en France, c’est pour mettre l’islam à l’épreuve de la tolérance et de l’altérité. La providence les a installés à Sarcelles et à Marseille pour réconcilier l’islam avec la démocratie, l’islam avec l’humanisme. Quel beau projet ! Quelle magnifique mission ! 

Si j’étais recteur de la Grande Mosquée de Paris, j’irais au contact des fidèles aux quatre coins du pays, avec un bâton dans ma main gauche pour rosser les voyous et un mouchoir parfumé à l’eau de rose dans ma main droite pour essuyer les gouttes de sueur sur le front des millions de Français musulmans qui « triment » en silence. À mes côtés, j’aurais un tijani venu du Sénégal et un chef de service de neurologie d’origine maghrébine. Le premier incarnera l’islam du sourire, l’islam poétique et lyrique dont personne ou presque ne soupçonne l’existence dans les banlieues françaises, un islam qui rend heureux à la différence de l’islamisme qui, lui, rend méchant. Le second incarnera l’excellence et le savoir, l’équilibre des neurones et de la foi, l’envie de vaincre dans la vie, le refus de la médiocrité du rap et du cannabis. À ce tour de France, je participerais volontiers, je porterais les valises de ces illustres participants et je rendrais grâce à Dieu pour les miracles qui seront accomplis. Oui, des miracles ! Car convertir des jeunes égarés du chemin de la révolte stérile vers celui de l’espoir fécond est un miracle ! Et, en guise de reconnaissance, je réciterais dans mon profond intérieur et sans que personne ne s’en aperçoive… « Allah Akbar ».

L’oligarque russe et le vignoble français

Les sanctions occidentales contre la Russie affectent également l’économie française. En effet, un oligarque russe, Dmitri Aleksandrovitch Pumpyanskiy, visé par les sanctions et possédant un vignoble à Pézenas en Occitanie, voit l’avenir de son domaine viticole et les emplois qu’il a créés en péril.


Envie d’investir dans le secteur du vin, à un prix défiant toute concurrence ? Le Prieuré de Saint Jean de Bébian, un véritable bijou appartenant à un oligarque russe qui a fait l’objet de sanctions, est situé au milieu de 32 hectares de vignes astucieusement entretenues, nichées dans un magnifique coin du sud de la France.

Un tout nouvel atelier de production climatisé est équipé des technologies du dernier cri. Il y a même un restaurant étoilé Michelin où l’on peut accueillir des clients. Dans un village voisin, un château dans un parc clos peut être réservé. Et le tout se trouve à seulement 20 minutes de l’aéroport de Béziers où l’on peut faire atterrir son jet privé.

La France, lieu d’investissement pour de nombreux Russes

Aux abords de Pézenas, commune située dans le département de l’Hérault, le site est depuis 2009 la propriété de l’oligarque russe, Dmitri Aleksandrovitch Pumpyanskiy, bien que plus récemment, il s’est avéré que c’est son fils, Alexandre, 35 ans, qui en serait le véritable propriétaire. Mais l’est-il vraiment ? C’est compliqué.

Beaucoup d’actifs en France appartenant à des oligarques sont en jeu, et certains investisseurs se demandent si ce n’est pas le moment d’en profiter. En théorie, la France a l’air d’être un terrain de chasse propice où trouver des actifs russes ayant fait l’objet de sanctions. Pour un grand nombre d’oligarques – il y en a des centaines – qui sont maintenant sur la liste des sanctions, un appartement chic à Paris et une luxueuse villa sur la Côte d’Azur ont longtemps été des éléments incontournables pour affirmer leur statut social. Pour les plus riches de tous, la terre d’élection est Saint-Barthélemy. Mais qui sont les vrais propriétaires de ces actifs, et sera-t-il possible de les saisir ? Ici également, les réponses ne sont pas évidentes.

Business As Usual

N’est-ce pas plutôt vulgaire ou même immoral de profiter de l’horrible tragédie en Ukraine ? Telle est la question qu’on pourrait raisonnablement poser aux requins qui tournent autour de leur proie éventuelle. Pas du tout ! répondent les requins : c’est au contraire une méthode expéditive qui permet de faire rendre gorge, sur le plan financier, à des gens dont les gains sont au mieux inexpliqués et souvent mal acquis. Mais la situation compliquée du Prieuré de Saint Jean de Bébian est sans aucun doute le reflet d’un problème plus large, car il faut des efforts extraordinaires pour pénétrer les structures de propriété opaques qui entourent ces actifs. Et ce problème n’est pas propre à la France.

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Les cyniques suggèrent que le Prieuré de Saint Jean de Bébian a tout d’une machine à blanchir de l’argent, c’est comme si elle avait une enseigne lumineuse qui l’annonçait ! Ce qui est certain, c’est que c’était avant tout un bon outil pour transformer les tuyaux en acier – ayant fait la fortune de Pumpyanskiy – en une gamme attrayante de vins vendus entre 10 et 40 euros. De plus, l’arrivée de Pumpyanskiy a été un gigantesque coup de pouce économique pour Pézenas. Il s’est montré un investisseur enthousiaste et confiant, faisant construire de nouveaux bâtiments, installant les derniers équipements de vinification à commande numérique, embauchant des vignerons, tout en continuant à diriger son entreprise principale, OAO TMK, un fabricant de tuyaux en acier pour l’industrie pétrolière et gazière.

Patron humain et philanthrope

Pumpyanskiy est loin d’être à la rue, mais ce n’est pas un oligarque de la catégorie supérieure. La valeur de ses avoirs nets a été estimée à deux modestes milliards de dollars. Il possède l’un des yachts transocéaniques les plus compacts, l’Axioma, valant 75 millions de dollars. Le vin semble avoir été sa passion, au point qu’il a investi plusieurs millions dans l’Hérault, sans en avoir retiré le moindre bénéfice, selon des sources crédibles. Il est, d’après tous les témoins sur place, un patron humain qui paie bien, est reconnaissant et prévenant envers son personnel. De plus, c’est un véritable passionné de viticulture.

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Fervent chrétien, il a effectué une magnifique restauration de la chapelle du domaine, vieille de 1 000 ans. Dans le nouveau pavillon, il a installé le chef étoilé Matthieu de Lauzun et créé un petit hôtel de dix chambres, décoré par l’architecte de Marrakech, Raymond Morel. L’ambiance est de bon goût, le restaurant et l’hôtel ont créé encore plus d’emplois, ce n’est rien de moins qu’un splendide effort pour améliorer le tourisme viti-vinicole dans une région qui est loin d’être riche. Que ce soit complètement non rentable est une autre affaire. 

Quel avenir pour l’entreprise de l’oligarque et ses employés ?

Récemment, son fils de 35 ans, Alexander, s’est davantage impliqué dans l’entreprise. Lorsque les Pumpyanskiy sont arrivés, il a acquis une réputation locale de playboy. Il a même réussi à écraser un petit avion en manquant de carburant à l’approche de la piste d’atterrissage de l’aérodrome local, ce qui jette un certain doute sur son bon jugement. Mais malgré tous les ragots sur cette famille, qui faisait leurs visites dans le convoi composé de Mercedes G-Wagons qui caractérise tous les oligarques, l’argent ne manquait jamais pour garder Bébian à flot. Maintenant, son avenir est incertain. La douzaine d’employés est inquiète, leur avenir n’est pas scellé. On m’a dit que Pumpyanskiy, vers le début du mois, avait peut-être utilisé des sociétés offshore pour transférer à la hâte le contrôle du domaine à son gestionnaire français de longue date, en tant que « fiduciaire ». Mais on ne sait pas si ce transfert est juridiquement solide. Ces mesures sont très récentes et on ne sait pas encore quelle va être l’attitude adoptée par les autorités françaises. Un vigneron local me dit qu’il est tout simplement impossible de vendre un domaine aussi rapidement. Selon certains, ce n’est qu’une question de temps avant l’arrivée des inspecteurs. 

L’oligarque et son fils dans le viseur de l’Union européenne

Un pavé a été jeté dans la mare le mercredi 9 mars lorsque l’Union européenne a ajouté le fils, Alexander Pumpyanskiy, à la longue liste des oligarques sanctionnés. La famille est accusée d’avoir « fourni un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie et d’avoir été récompensé par ce gouvernement, responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine ».

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Mais les Russes ont leurs défenseurs. Interrogé par France 3, Benoit Pontenier, directeur français du site, déclare : « Alexander Pumpyanskiy a cédé tous ses actifs pour ne pas nuire à l’entreprise. » En l’absence de plus de précisions, sa déclaration soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Il ajoute que son ancien propriétaire « est un grand homme ». Alexander Pumpyanskiy aura de la chance si, en vendant son domaine, il obtient une fraction de ce qu’il y a investi.

Des sanctions qui feront tache d’huile

Les actifs mobiliers, comme les cinq jets privés et les deux yachts de Roman Abramovitch, sont plus faciles à mettre à l’abri des sanctions occidentales que l’immobilier. Le cas du site de Bébian est la démonstration de ce que les prédateurs sont en train de découvrir : il n’est peut-être pas si simple de mettre la main sur ces avoirs. Et il n’est pas nécessairement vrai non plus que tous les habitants se réjouissent de la mise à mort de la poule aux œufs d’or.

Beaucoup en Europe ont bénéficié du ruissellement de l’argent russe. Encore plus à Londres qu’en France. Ayons une pensée pour les banquiers, les avocats, les agents immobiliers, les vendeurs de yachts et les journalistes qui se sont gavés de tout cet or en provenance de Moscou. Sans oublier l’humble Piscenois pour qui le renouveau du Prieuré de Saint Jean de Bébian a été tout simplement la manne tombée du ciel.


[1]. Cet article est paru en anglais sur le site de The Spectator, le 19 mars 2022

La preuve par Fabien Roussel

L’édito politique de Jérôme Leroy


Dans un débat avec Fabien Roussel, Sandrine Rousseau a donné la preuve éclatante qu’il n’y a pas deux gauches irréconciliables… puisqu’elle n’est plus de gauche.

Je me demande pourquoi France 2, le 24 mars, a jugé bon de faire débattre Fabien Roussel avec Sandrine Rousseau dans l’émission politique “Elysée 2022”. Après tout, le candidat des “Jours Heureux” a été le seul ce soir-là à avoir le droit à ce traitement sur son temps de parole et, que je sache, non seulement Sandrine Rousseau n’est pas la candidate verte, mais elle n’est même plus présente dans l’équipe de campagne de Yannick Jadot ! 

Sandrine Rousseau la harceleuse

Le candidat écolo a fini par être lassé du harcèlement permanent de celle qu’il avait battue de justesse aux primaires et qui se croyait autorisée avec son score, à contredire le vainqueur, voire à lui savonner la planche.

Sandrine Rousseau. Capture d’écran France 2

Mais voilà, Sandrine Rousseau dit de telles énormités qu’elle est, pour les médias, une bonne cliente qui a l’avantage, derrière un vernis de modernité, de ringardiser la gauche, en la réduisant à des combats sociétaux qui oublient la logique de classes et qui s’enferme dans des logiques identitaires ou communautaires, de manière étrangement symétrique à Éric Zemmour, à ceci près que ce ne sont évidemment pas les mêmes qu’on érige en victimes. 

Le problème, c’est que la seule façon, à gauche, de défendre les dominés, c’est de les prendre en bloc et de leur montrer où est leur place dans les rapports de production, plutôt du très mauvais côté, surtout avec le programme que prépare Emmanuel Macron pour un second quinquennat. Bref, de faire retrouver une conscience de classe à ceux qui auraient tendance, quand le doigt montre les hyperprofits du CAC 40 en temps de Covid, à regarder le RSA du voisin d’en dessous.

Deux gauches aux priorités différentes

Bref, et cela s’est vu dans ce débat, alors que Sandrine Rousseau estime que la priorité  c’est le partage des tâches ménagères, (au point de créer un délit en cas de non-partage !), Fabien Roussel, lui, se bat pour le partage de la valeur, c’est-à-dire, selon sa formule, « pour que les gros payent gros et que les petits payent petit ». Et en matière d’égalité homme femme, il estime que la priorité, avant toute chose, est l’égalité salariale toujours pas réalisée.

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Plus généralement, on a le droit de s’interroger sur la conception de la « sororité » vue par Sandrine Rousseau. Cette Lilloise n’hésite pas en effet à se faire parachuter dans une circonscription parisienne pour les élections législatives comme nous l’indique Libération, en évinçant la candidate présente depuis de nombreuses années contre l’avis des militants.

Heureux Lillois qui voient Rousseau s’éloigner !

À la question qu’on lui pose sur cette opération, Sandrine Rousseau utilise un argument décisif : « Je n’ai pas envie de répondre à cette question ». C’est sûr que ça clôt le débat assez vite et indique surtout la gêne palpable d’appliquer la bonne vieille politique à la papa, très patriarcale (!) pour le coup… Elle daigne lâcher que c’est surtout parce que son mari et ses enfants travaillent à Paris. On pourra souligner que Madame qui suit Monsieur pour le boulot, c’est une démarche assez peu « déconstruite », et puis ce n’est pas comme si elle était vice-présidente de l’Université de Lille, chargée de la précarité, où par ailleurs, des syndicats pourtant peu enclins à la critique de l’intersectionnalité, comme Sud, ont marqué leur énervement devant son absentéisme. 

Bref, opposer Roussel et Rousseau, ce n’est pas opposer deux gauches irréconciliables, c’est opposer une gauche populaire, laïque et sociale à un courant de pensée qui a fait son deuil du peuple et dont le principal souci est d’imposer de manière plutôt rigide des ajustements comportementaux privés dans une bourgeoisie aisée et progressiste, qui ne souffrirait pas, ou si peu, d’une « sobriété » décroissante. Bref, le contraire du programme des “Jours Heureux”, qui envisage des solutions réalistes, notamment grâce au nucléaire, pour lutter contre les défis qui nous attendent tous et les rendre moins brutaux pour les plus fragiles.

Adieu Poutine!

Si la Russie se sentait menacée, que dire de l’Ukraine !… Poutine croit avoir signé un CDI avec le diable. Et si c’était un CDD ?


Que va devenir l’Ukraine ? Poutine va-t-il reculer devant les ripostes européennes ou bien ne peut-on qu’aggraver sa paranoïa ? A-t-il perdu la confiance des Russes ? Ne fait-il pas courir un risque mortel à l’économie mondiale – ce que ses « amis » chinois ne toléreront pas longtemps ? Je n’ai que des pressentiments – et des questions.

En France ou en Allemagne, Poutine aurait fini en prison, mais la Russie est-elle en Occident ? Dans un pays où le despotisme, de Pierre le Grand à Lénine, a été le suprême outil de la réforme, un petit voyou devenu tsar a réussi à faire croire qu’il était le seul en Russie à avoir une vision de l’avenir et à garantir la stabilité de l’État. À moins d’être un scélérat, personne ne le croit désormais. Sauf peut-être Cyrille de Moscou, le patriarche de l’Église orthodoxe russe, un saint homme, qui bénit les tanks et les avions de chasse avec des larmes – de crocodile !

Connaissez-vous l’Ukraine ? L’air qu’on respire à Kiev n’est pas celui de Moscou : on y parle aussi le russe, on aime Pouchkine et Lermontov, le « poète du Caucase », mais on est déjà en Europe. Oui, au-delà de la propagande, la « Rus’ de Kiev », berceau historique et spirituel de la Russie, est en Europe et elle souhaite y rester – sous une forme qui reste à définir. Poutine n’y peut rien. Ce qui se joue là-bas, comme jadis dans l’Espagne républicaine, c’est l’avenir de l’Europe.

Un autocrate? Un tyran?

Le tyran est un aventurier chanceux plutôt qu’un stratège, et puis un jour la chance le quitte. Il finit mal – étranglé comme Néron ou pendu à un croc de boucher comme Mussolini… Car à force de spéculer sur la peur, à force de devoir sans fin inventer un ennemi pour exister, le tyran devient un ennemi pour lui-même, un fléau pour son peuple – et un danger pour la planète. Quel que soit le dénouement, l’Ukraine sera le tombeau de Poutine – s’il se sent acculé, cela sera aussi le nôtre ! Est-il aussi froid et rationnel qu’on le dit ?

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Dans son pays jusqu’ici, Poutine restait populaire malgré tout. C’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. Car cette fois, Poutine est tombé sur un bec. Forcément, il est fâché. Magicien malgré lui, le maître du Kremlin, en envahissant l’Ukraine, a provoqué le réveil de la conscience européenne. En France, les étourdis qui lui baisaient les pieds baissent les yeux en se tortillant comme des séminaristes surpris dans un bordel : bon d’accord ! Grozny rasée, Alep anéantie, Boris Nemtsov assassiné, c’est mal !

Union européenne: on est là!

Qui l’eût cru ? L’UE qui s’est construite sur le refus de la guerre se met à exister autrement grâce à la guerre. Kiev n’est pas en Tchétchénie, Macron n’est pas Daladier. D’un coup d’un seul, Poutine a fait de la Russie une nouvelle Corée du Nord bornée par l’Amour et le Dniepr ! Déjà la majorité silencieuse, le petit peuple, murmure, la jeunesse des villes défie le pouvoir dans la rue tandis que les oligarques, déjà prêts à déserter, pleurent leurs yachts et leurs villas. Poutine enrage. En un sens, et il est tragique, l’idiot utile, c’est lui.

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Car aujourd’hui qui est le pire ennemi de la Russie ?

Est-ce l’Occident ? Est-ce Joe Biden, ce « vieux gâteux » ? L’Union européenne, l’OTAN ou bien la Suisse qui – on croit rêver – sort de sa neutralité bancaire en appuyant les sanctions de Bruxelles contre les Russes ? Et si c’étaient les instances du foot mondial, si complaisantes hier avec les dictateurs, qui privent les supporters d’une finale de la Champions League à Saint-Pétersbourg et du Mondial au Qatar ? Ou encore ce « repaire de drogués et de nazis » qui à l’ouest de l’Ukraine s’emparent de leur destin et s’autorisent à rêver de démocratie ?

Non, le pire ennemi de la Russie, c’est Poutine.

Une histoire de fous

Ce qui grâce à lui nous est révélé, c’est je ne sais quoi de vil, inhérent au Pouvoir quand il s’arroge le droit de choisir qui doit vivre et qui doit mourir. De quel droit ? Qu’est-ce que la force ? Ce qui fait de l’autre une chose. Nihilisme ? Fascisme ? Comment dit-on : « Viva la muerte ! » en russe ? L’histoire s’écrit comme ça, il n’y en a pas d’autre.

Muré dans son palais, devant les caméras, Poutine dicte des ordres à des collaborateurs balbutiants comme à une bande de volailles à qui il jetterait du pain. Les Russes adorent l’absurde et les fantômes mais quand même, n’est-il pas un peu ridicule ? À sa façon, le président Zelensky, tantôt grave, tantôt hilare, semble dire à Poutine que si un ancien pitre peut devenir un chef de guerre, un chef d’État peut aussi perdre les pédales.

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Little Big Man contre Ivan le Terrible – lequel des deux est le plus seul et le plus fou ?

Il dit ce qu’il fait, il fait ce qu’il dit

J’aime les Russes parce qu’ils ne sont pas comme nous. Plus ils ont mal, plus ils sont forts. Hitler et Napoléon l’ont compris trop tard. Plus ils souffrent, plus ils se ressemblent. Ils ont des idées étranges sur la foi, le mal, Dieu, la Russie. Avec cela, brutaux et mélancoliques, un peu dépressifs, ils semblent veufs de leur destinée, comme Ivan Karamazov et oncle Vania. On a dit qu’en envahissant l’Ukraine, Poutine se trompait d’époque. Eux aussi depuis toujours. Nous aussi peut-être.

Dans une interview réalisée en 2007 en marge du sommet du G8 en Allemagne, Poutine déclarait : « La tragédie, c’est que je suis le seul pur démocrate au monde ! Voyez ce qui se passe en Amérique du Nord, c’est l’horreur !… Voyez ce qui se passe en Europe : les violences contre les manifestants, l’utilisation de balles en caoutchouc, de gaz lacrymogènes. » On dirait du Mélenchon !

Poutine concluait en pouffant de rire : « Depuis la mort du Mahatma Gandhi, je n’ai plus personne à qui parler » ! Il faut oser – il ose. D’ailleurs, en gros, il dit ce qu’il fait, et il fait ce qu’il dit. On ne le croit pas. On devrait. Hitler non plus ne cachait pas ses intentions dans Mein Kampf.

«L’écriture inclusive est annonciatrice d’une tyrannie»

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Danièle Manesse © DR

Le genre grammatical, ce n’est pas le sexe ! Danièle Manesse, professeure émérite de sciences du langage à l’université Paris-3 Sorbonne nouvelle, combat de toutes ses forces l’écriture inclusive. Elle répond ici, argument par argument, aux tenants de cette typographie militante. Et en féministe convaincue, elle nous livre ses réflexions sur ce qu’est devenue une bonne partie de son camp et du monde académique.


Le Regard Libre. Les défenseurs de l’écriture inclusive avancent que la langue française est inégalitaire à l’égard des hommes et des femmes. En tant que linguiste, vous validez cette idée ?

Danièle Manesse. Ces personnes se trompent. Ce qui est au cœur de cette affaire, c’est la non-compréhension de ce qu’est le masculin. J’entends: le masculin grammatical. La question fondamentale est la suivante: est-ce que le masculin de la langue est la même chose que le masculin du monde, le sexe des humains? La réponse est non. Le masculin a pris les fonctions de deux genres latins: le masculin et le neutre. Il se trouve simplement qu’en général, les humains sont désignés par des termes qui correspondent à leur sexe. Quelques mots y échappent, on dit par exemple «une» sentinelle pour un homme, mais dans l’immense majorité des cas, genre grammatical et sexe coïncident. Ce n’est pas le cas avec les autres entités du monde: le fait qu’on dise «une  chaise» (et non «un» chaise) ou «un astre» (et non «une astre») est arbitraire. Ensuite, il y a généralement un mot au masculin et un mot au féminin pour les noms qui désignent des hommes et des femmes: «un livreur, une livreuse», «un Français, une Française», etc. Mais il existe aussi des mots épicènes, qui ne changent pas au masculin et au féminin: «un artiste, une artiste». Bref, grammaire et genre sexué, ce n’est pas la même chose.

L’écriture inclusive n’est pas inclusive, pour la simple et bonne raison qu’elle complexifie à outrance l’écriture, et notamment le rapport entre l’écrit et l’oral. C’est un calvaire en plus pour les dyslexiques

Outre les déterminants et les noms, il y a les adjectifs. On tombe là aussi sur cette forme de neutre, qui a la même forme que le masculin: «Pierre et Anne sont beaux». N’est-ce pas du pain bénit pour ceux qui y voient du machisme partout, y compris dans la langue ?

Le langage, qu’on le veuille ou non, est économique: on ne dit pas «les hommes sont beaux, les femmes sont belles». On dit: «Les hommes et les femmes sont beaux». Ce qui permet cette économie, c’est ce qu’on appelle le «genre non marqué». En français, le masculin est le genre non marqué, de même que le présent est un temps non marqué. Je peux vous dire: «Je vais en Suisse dans trois mois», ou «Hier, je sors de chez moi». Ce temps est si neutre qu’en russe, le verbe « être » ne se dit pas au présent de l’indicatif.

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Peu de francophones en sont hélas conscients. L’école ne devrait-elle pas accentuer la pédagogie sur ce sujet, au lieu de seulement faire apprendre par cœur des règles de grammaire ?

Je suis d’accord avec vous. La contrepartie de la dimension économique du langage, c’est en effet son ambigüité. A fortiori le français, avec ses innombrables monosyllabes. Il n’y a pas de différence à l’oreille entre: «C’est lui qui l’a amené» et «C’est lui qu’il a amené». Or, si je parle d’une femme, alors je vais le préciser: «C’est lui qui l’a amenée, Catherine.» Le langage donne des solutions pour que nous puissions nous comprendre les uns les autres. Prenons un autre exemple. «Les parents sont venus avec leur fille et leur fils muets». A l’oral, impossible de faire la différence entre «muet» et «muets». Alors, si je ne veux parler que du fils, je vais dire: «Les parents sont venus avec leur fille et leur fils, qui est muet». C’est du moins ainsi que nous procédons comme locuteurs. On a beau essayer de contraindre la langue, elle se dirigera toujours là où elle veut. Les changements dans la langue se font d’abord à l’oral.

Au-delà de cette réalité grammaticale, il y a l’histoire, invoquée par les pro-écriture inclusive. Selon eux, et notamment le Romand Pascal Gygax, la langue française aurait subi une entreprise de masculinisation au XVIIe siècle. Vrai ou faux?

Faux. Ce sont toujours les mêmes personnes qui sont citées, à commencer par l’abbé Bouhours, en 1675, qui écrit: «Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte.» Bien sûr que les gens de l’époque étaient machistes et qu’ils jouaient avec les mots, mais le mot «noble» a une pertinence grammaticale. Quant à l’accord de proximité, consistant à écrire «Les hommes et les femmes sont contentes» en accordant l’adjectif au nom le plus proche, il n’a jamais été longtemps généralisé, ni même en latin, et il a flotté jusqu’à la fin du XIXsiècle au moins. Bernard Colombat et André Chervel ont écrit de façon très éclairante sur la question. En fait, au cœur de cette histoire d’écriture inclusive, il y a beaucoup d’ignorance. N’en déplaise aux avocats du point médian, les grammairiens ne décident pas de la langue: ils l’observent et débattent entre eux sur la règle qu’il faut retenir. Ce qui fait le changement de la langue, c’est l’usage. On verra dans dix ans ce que sera devenue l’écriture inclusive.

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Il n’empêche, il est vrai qu’il y a eu des allers-retours sur la question de la visibilité des femmes dans la langue française, non?

Oui, et cela s’est fait dans la langue orale. C’est absolument vrai que la féminisation de la langue a été freinée au XIXe siècle. C’est d’abord parce qu’on a interdit aux femmes de faire certains métiers. Cela s’est donc retrouvé dans le lexique, le vocabulaire. La société a évolué. On a besoin de mots pour exprimer les choses. On crée donc les mots dont on a besoin. Le lexique est en rapport avec le monde, le genre non. La grammaire, ce sont des concepts. Or, avec l’écriture inclusive, la grammaire n’est plus la bienvenue, en somme. On est passé du genre grammatical au genre sexué: tout le monde réclame donc ses droits.

J’imagine qu’on doit vous traiter de réac.

C’est le propre de l’entourloupe intellectuelle. Moi-même, je ne suis ni sexiste, ni conservatrice, je suis de tout temps une militante féministe. Simplement, j’ai des arguments rationnels à opposer à Pascal Gygax. Simone de Beauvoir et George Sand réclamaient la féminisation des mots, mais aucune ne parlait d’écriture inclusive! En revanche, il y a des luttes fondamentales où il n’y a pas assez de gens mobilisés: le viol, la jeune Mila… Il y a tant de lieux où placer son féminisme.

Imaginons maintenant que l’écriture inclusive soit une bonne idée sur le plan théorique. Est-elle pour autant praticable?

L’écriture inclusive n’est pas inclusive, pour la simple et bonne raison qu’elle complexifie à outrance l’écriture, et notamment le rapport entre l’écrit et l’oral. C’est un calvaire en plus pour les dyslexiques. Ceux qui pratiquent l’écriture inclusive l’abandonnent au bout de trois lignes. Ils n’en peuvent plus. La seule chose qui résiste parfois jusqu’à la fin de leur texte, c’est le point médian. Or, selon moi, ce point n’obéit pas à la conversion de l’oral à l’écrit. Songez au fait qu’il y a 17% de lettres silencieuses dans le français: il est donc déjà difficile d’apprendre à lire le français. Le point, lui, a une fonction fondamentale dans la lecture. Chaque fois qu’on tombe sur un point, on réorganise la signification d’un texte. On sait bien qu’en lisant de la poésie sans ponctuation, on n’arrête pas de revenir en arrière pour bien comprendre.

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Pour quelle raison pensez-vous que l’écriture inclusive, malgré tout, «prend», du moins dans certains milieux intellectuels et militants?

Outre l’inculture, la raison doit être de l’ordre de la stratégie politique. En faisant un amalgame entre l’écriture inclusive et la féminisation, on crée une certaine opinion politique favorable à l’écriture inclusive.

En plus, nous parlons de l’écriture, mais il y a aussi le langage.

Eh oui. Il y a la langue, représentée par une écriture, mais il y a aussi le langage, qui est l’usage de la langue. Je milite pour un usage sain de la langue, pas seulement sur cette question précise de l’écriture inclusive. On devrait se surveiller avec des mots comme «putain»: dans nos familles, on dit tous à nos enfants «Arrête!». L’usage de la langue, c’est notamment parler respectueusement aux femmes y compris aux femmes adversaires de l’écriture inclusive. Actuellement, on divise. C’est sur des confusions qu’on crée des querelles imaginaires. Et je suis stupéfaite de l’ignorance des gens – notamment des politiques – qui prennent des décisions allant dans le sens de l’écriture inclusive.

Pourquoi êtes-vous si impliquée dans le combat contre l’écriture inclusive?

Avant tout, je suis une observatrice de la langue. Mais si je me bagarre tellement pour elle, c’est parce que la langue est à tout le monde! Il n’y a pas beaucoup de choses que nous avons tous, absolument tous, en commun: la vie, l’air et, dans une large mesure, l’eau. Cela étant dit, pourquoi est-ce que je me bats contre l’écriture inclusive spécifiquement? Parce qu’elle est annonciatrice d’une tyrannie. Toucher au bien commun, cela fait partie de la tyrannie, qui pourtant prétend défendre la population – ou certains groupes de la société.

Vous êtes une universitaire. Or, c’est avant tout dans le milieu académique justement qu’ont lieu la théorisation et la mise en pratique de l’écriture inclusive. Qu’est-ce que cela dit de l’université?

Votre question est essentielle. Je fais partie du groupe «Vigilance Universités», où nous relevons toutes les atteintes au droit qui sont faites à l’université. Nous avons reçu des témoignages de jeunes enseignants qui veulent publier des articles, mais qui n’ont pas pu le faire parce que ce n’était pas rédigé en écriture inclusive. Certains étudiants n’osent même pas s’opposer à cette tendance. Il commence à y avoir un flicage de la part des institutions, parce qu’elles-mêmes ont la trouille. Ces institutions ne sont pas représentatives, beaucoup de gens ne voulant plus s’y investir, du fait qu’elles se sont énormément bureaucratisées.

N’est-ce pas un phénomène plus général?

Si, vous avez raison. Il y a partout un désengagement des gens sérieux, hors idéologie. Le même diagnostic vaut pour la disparition des partis et des syndicats. Aujourd’hui, un étudiant qui se met à hurler peut vous détruire un cours. La violence, c’est quelque chose dont on ne sait pas se défendre, en fait. La violence existe, elle est là. Elle engendre de la peur. Et puis, il faut bien le reconnaître, du conformisme. Nous sommes en plein dedans.

Source Le Regard Libre

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Qui était Shirel Aboukrat, franco-israélienne tuée en Israël?

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Note de la rédaction.
Alors que nous finalisions hier soir la préparation de cet article de Liliane Messika pour publication, nous apprenions qu’au moins cinq personnes étaient mortes dans la banlieue de Tel-Aviv dans une nouvelle attaque. L’assaillant, un Palestinien ayant passé quatre ans dans les prisons israéliennes, a été tué par les forces de l’ordre. Il a ouvert le feu sur les passants. Il s’agit là de la troisième attaque terroriste dans le pays en une semaine •

Une Française juive et un Druze israélien tués sous l’uniforme de Tsahal le 27 mars


Shirel Aboukrat ne serait certainement jamais devenue célèbre en France si elle n’avait pas été tuée à l’âge de 19 ans, dans l’État juif, par l’État islamique. Elle était née à Marseille et avait trois ans, en 2006, quand elle est arrivée en Israël. Ses parents avaient choisi d’émigrer pour se sentir plus en sécurité qu’en France, où les Juifs marchaient tête baissée. Shirel avait la double nationalité française et israélienne.

La famille a choisi Ramat Poleg, une petite ville proche de Natanya. La communauté française y est tellement nombreuse que les affiches dans les rues et les menus des restaurants sont en trois langues : hébreu, arabe et français.

Une bonne élève qui avait rejoint l’armée avec enthousiasme

Shirel était très bonne élève. Le directeur de son école se souvient de ses excellentes notes, mais aussi de son envie d’aider les autres. Pendant deux années scolaires d’affilée, elle a apporté des sandwiches, qu’elle confectionnait chez elle, pour les élèves des familles pauvres.

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Shirel rêvait de faire son service militaire dans la police des frontières. Elle voulait l’active, surtout pas une planque dans un bureau. Elle était en poste à Hadera, dans le nord du pays, le 27 mars, quand elle a été abattue au cours d’une attaque terroriste revendiquée par l’État islamique. Son bataillon avait suivi une session de formation à la suite de laquelle un petit groupe avait mangé au troquet du coin. Elle se dirigeait, avec un autre appelé de son âge, vers l’arrêt de bus, quand le terroriste leur a tiré dessus. Ils n’ont eu aucune chance. Son camarade d’armes et de mort s’appelait Yazam Falah. Il appartenait à une grande famille druze, qui compte des juges et des avocats. Les Druzes pratiquent une version dissidente de l’islam, qui n’est pas reconnue halal par les islamistes.

Les Israéliens juifs font trois ans de service militaire obligatoire, les Israéliennes deux ans ; pour les Arabes israéliens, c’est facultatif. Yazam avait choisi Israël.

Un officier de la marine israélienne à la retraite, Shlomo Offer, m’a expliqué que le tueur était un Palestinien de Cisjordanie « sans papier, mais pas sans emploi », qui travaillait dans le bâtiment. « Ceux qui viennent de Gaza ne peuvent pas entrer sans permis, mais entre la Judée Samarie et Israël, il n’y a que la clôture de sécurité. Les Palestiniens arrivent en masse, ils sectionnent la clôture et on ne peut pas les arrêter. On ne cherche pas vraiment, d’ailleurs: à force d’entendre dire qu’ils perpètrent des attentats à cause de la misère, on tolère cette clandestinité. Si le terrorisme était le résultat de la misère, pourquoi celui-ci a-t-il tué ceux qui lui ont donné du travail ? »

Craintes redoublées à l’approche du ramadan

Shlomo est très discret sur son activité depuis qu’il a pris sa retraite, mais on sait qu’il a participé à des pourparlers de paix qui ont abouti. Il est tout sauf un va-t-en-guerre. C’est lui qui fait remarquer que le 30 mars, trois jours après l’attentat contre Shirel et Yazam, les Arabes israéliens célèbrent la « journée de la Terre », en souvenir de la confiscation par les Juifs, en 1976, de 2500 hectares en Galilée. Cette journée de manifestations est habituellement pacifique, mais elle tombe, cette année, à la veille du Ramadan, qui commence samedi 2 avril. « C’est une période où la sécurité est en alerte parce que les Juifs tués pendant cette période comptent double », explique Shlomo.

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Shirel a été enterrée au cimetière militaire de Netanya, en présence d’une foule : amis, famille, soldats et même l’ambassadeur de France… On a vu des soldates pleurer. Des soldats aussi.

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Emmanuel Macron, le plus petit commun multiple

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Emmanuel Macron en campagne électorale à Dijon, 28 mars 2022 © Jacques Witt/SIPA

Un second mandat ouvre-t-il grand ses portes devant l’actuel président de la République ?


D’aucuns en sont convaincus, arguant du fait que tous les sondages actuels le donnent favori. On ne saurait toutefois l’affirmer sans réserve – sauf à interroger, comme les haruspices, les entrailles fumantes des victimes sacrifiées. À scruter les conjonctions astrales chères à Nostradamus et à ses épigones. Ou encore, à l’instar de Madame Irma, à lire dans les cartes, la boule de cristal ou le marc de café.

Le Plus Grand Commun Diviseur

Une seule certitude : Emmanuel Macron, grand rhétoricien s’il en est, s’est révélé, au cours de son premier quinquennat, illusionniste virtuose. Champion du grand écart. Spécialiste sans rival du « en même temps ». Habitué à manier tour à tour le chaud et le froid. La carotte et le bâton. Les promesses verbales et l’inaction totale. Le résultat le plus patent, c’est que la société française n’a jamais été aussi divisée. Le « président des riches » a suscité l’ire des Gilets jaunes, celle des soignants, celle des retraités, des enseignants, des camionneurs, des policiers, et la liste n’est pas exhaustive. Pis encore, alors que la pandémie actuelle balayait toutes les certitudes scientifiques et eût dû l’inciter à la réserve, il a tenté de dresser l’une contre l’autre deux parties de notre société, celle des sceptiques  et celle des adeptes de la vaccination. Un opprobre prononcé en des termes orduriers, infâmants, qui en disent long sur l’inconscient et la morgue de celui qui pense détenir en tous domaines la Vérité.

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Le Plus Petit Commun Multiple

Cette situation incite à se poser une question : qui donc s’apprête à reconduire l’actuel président ? Une action politique perçue comme néfaste par des catégories sociales aussi différentes ne saurait susciter un enthousiasme tel que celui le voit, à l’heure actuelle, caracoler en tête des sondages. Alors ? La vérité, c’est qu’il apparaît comme le plus petit commun multiple de ses partisans. De ceux qui, par routine, conformisme, résignation, dépit né des faiblesses respectives des oppositions, ou bien encore peur de l’inconnu, voire lassitude , sont prêts à lui apporter leurs suffrages. Parmi eux, ceux que les médias ont réussi à convaincre du caractère diabolique des partis de droite. Lesquels, au demeurant, se révèlent incapables d’une union qui ferait leur force. Ceux qui ne se reconnaissent plus dans une gauche en lambeaux, mais ne sont pas prêts, pour autant, à sauter le pas qui les ferait tomber dans les bras des Insoumis ou des écolos ultragauchistes. Sans compter ceux qui louent une habileté diplomatique que rien, sinon des mots, ne vient concrétiser.

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Autant de raisons qui, fussent-elles contradictoires, s’additionnent et même se multiplient pour maintenir Jupiter sur son trône. Y parviendront-elles ?  Si c’est le cas, et quel que soit le score final, cette alliance singulière du PGCD et du PPCM aurait un côté aussi énigmatique que le demeure encore aujourd’hui le théorème de Fermat !

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Zemmour: le 14e arrondissement en campagne

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Meeting d'Eric Zemmour à Chambéry, 25 février 2022 © Jean-Philippe Ksiazek/AFP

Récit d’une réunion de militants zemmouriens à Paris où d’anciens fillonistes se mêlent à des marinistes déçus. Unis à droite et emballés par le candidat nouveau, les gens se causent et fraternisent sans regrets pour leurs ex.


Après le meeting de Villepinte, ma femme et moi avons pris la décision conjointe qu’il était interdit de désespérer et qu’il était temps d’agir. Nous avons donc contacté l’équipe de militants du parti d’Éric Zemmour, Reconquête, dans le 14e arrondissement de Paris et un soir de semaine, nous avons laissé le petit regarder Le Mystère de la chambre jaune à la télévision avec son grand-père et nous nous sommes rendus à une réunion dans l’arrière-salle d’un restaurant de l’avenue du général Leclerc.

Quatre-vingts zémmouriens convaincus qu’ils seraient plus utiles s’ils étaient convaincants étaient là. On s’assoit. Je regarde les gens, curieux, comme la première fois que je suis allé en Israël, quand je matais les gens et que je m’habituais à ces rues où tout le monde est juif. Tous juifs, même le grand blond avec les cheveux en brosse à l’arrêt de bus, même la jeune fille noire en uniforme sur le trottoir d’en face. Ici, tous zémmouriens. Des prolos, des bourgeois, des diplômés, des commerçants, plus d’hommes que de femmes, plus de vieux que de jeunes mais de tous les genres dont certains que je n’aurais jamais crus encartés à Reconquête en les croisant dans le quartier. Il n’y a donc pas de zémmourien type contrairement à ce qu’on pourrait penser en regardant la télé où tous ses « amis » ont l’air bien nés, bien coiffés et sortis d’Assas.

Une réunion pour galvaniser les troupes

L’organisateur prend le micro et la parole. Il nous présente son équipe, fidèle depuis le début de son action politique, depuis sa campagne pour Fillon en 2017, depuis sa candidature à la mairie du 14e et sa défaite face à une candidate écolo et à Hidalgo. Un type sympa, chaleureux, qui inspire confiance, que l’on sent dévoué et investi pour le bien public, du genre qui sacrifie une vie de famille le soir ou le dimanche pour des ingrats qui houspillent les politiques sur les marchés en les traitant de vendus ou de profiteurs, du genre qui se met au service de son quartier, de sa ville, de son pays et que des antipass menacent, insultent et violentent, du genre qui s’expose, qui prend des risques, qui prend des coups, et que ceux qui ont la critique facile et qui ne font jamais rien gratuitement ne remercieront jamais assez : un élu.

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Il parle de la campagne et se veut rassurant sur les sondages qui cantonnent Zemmour à 12 % (nous sommes le 19 janvier). « Ne soyez pas inquiets, ils vont faire ça jusqu’à deux semaines de l’élection et le feront remonter pour ne pas avoir l’air de s’être trop trompés. » Pas le moment de demander qui est ce « ils », mais c’est aussi l’avis de l’ami d’un ami qui travaille à la DGSI et qui affirme que les instituts de sondage sont tenus par des amis de Macron et qu’en réalité, notre candidat est à 18 %. Puis il s’en prend aux autres partis dans la course à l’élection. On se connaît à peine et il a déjà la dent dure pour Marine Le Pen et la « retraite à soixante ans ». D’abord, c’est quarante annuités, ensuite je veux bien  entendre toutes sortes de critiques sur la présidente du RN mais pas d’un type qui a soutenu Fillon. La ligne sociale de Marine m’allait plutôt bien et si je l’ai quittée pour Eric, c’est parce que j’ai fini par me rendre à l’idée qu’elle ne pouvait pas être élue. En dix ans, je n’ai réussi à convaincre personne de voter pour elle alors qu’en dix semaines, j’ai vu des proches totalement fermés à la possibilité d’un vote RN être éventuellement tentés par un vote Reconquête. Mais je n’aime pas trop que l’ancien militant du parti des notables centristes critique mon ancien choix. Sauf le respect que j’ai pour le bonhomme, s’il s’imagine que l’union des droites va se faire par l’allégeance de la droite populaire à la droite bourgeoise, il va falloir qu’on en cause. Je n’aurai pas le réflexe et la désobligeance de lui dire que si mon ex-candidate a raté son débat d’entre-deux-tours, le sien, après avoir été le premier ministre de l’abolition du mot « mademoiselle » et de la suppression de la culture générale au concours d’entrée à sciences-po, a appelé à voter Macron deux minutes après l’annonce de sa défaite et a disparu dans la finance. Il y a cinq ans, monsieur 20h02, c’était Fillon. Ce n’est ni le temps ni le lieu pour un règlement de comptes mais le moment venu, je lui rappellerai qu’avant Reconquête, le Rassemblement national était le seul parti qui n’était pas immigrationniste.

Militer, militer, militer… il en restera toujours quelque chose

Puis vient le temps des questions. Le premier à lever la main est un type d’une soixantaine d’années qui a l’air de sortir de La vérité si je mens ! Il ne demande pas ce que le candidat peut faire pour lui, il s’inquiète pour la sécurité de Zemmour. « À Villepinte, on lui a sauté dessus. Est-il bien protégé ? » On le rassure. Un autre, plus jeune et l’air plus catholique s’interroge sur l’utilité de distribuer des tracts et sur les risques courus par les militants dans la rue. Un type qui semble aguerri lui explique qu’un parti se doit d’occuper le terrain avec de vraies gens. L’animateur ajoute que lors des premiers tractages, ils ont été mieux reçus que lorsqu’ils s’affichaient pour Fillon il y a cinq ans. Qui l’eût cru ?

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Une dame de 72 ans témoigne. Quand elle évoque Zemmour dans sa famille, avec ses amis, elle se heurte à des murs. Personne ne veut l’entendre. Elle aussi s’interroge sur l’opportunité du militantisme. Un jeune lui explique en substance que personne ne tombera à genou en s’écriant « Alléluia, j’ai vu la lumière ! », mais que son effort n’est pas vain, il s’agit de planter une graine. Un autre ajoute qu’il est important que ses proches entendent le discours de Zemmour dans sa bouche à elle, porté par quelqu’un comme eux, quelqu’un qu’ils connaissent, quelqu’un de bien, quelqu’un qu’on ne calomnie pas tous les jours dans les médias en répétant qu’il porte un discours de haine, de racisme et de rejet de l’autre.

Famille politique et famille tout court

Enfin arrivent les galettes et les verres de cidre. À ma table, un étudiant de 19 ans salue ses amis de Génération Z, la dame de 72 ans avoue qu’elle déteste les vieux qui ne pensent qu’à leur retraite et à leur patrimoine et qui s’apprêtent tous à voter Macresse pour les uns, Pécron pour les autres. Elle nous demande si nous avons reçu nos cartes d’adhérent. Non, personne n’a rien reçu. J’espère qu’ils n’ont pas dématérialisé ça aussi. J’aimerais penser que l’un de mes descendants trouvera un jour dans de vieux papiers ma tête sur une carte de membre actif du Z et me dise merci Pépé, pour le pays laissé en héritage, débarrassé de ses mosquées cathédrales, de ses racailles et de ses femmes voilées. La conversation s’engage avec deux gars d’une quarantaine d’années. On évoque les violences au meeting. La dame se souvient de l’activiste qui tenait à rester sanguinolente pour la caméra. L’un des deux, qui travaille dans la culture et qui vient du Nord, nous dit que c’est de la broutille. Dans sa jeunesse, il a assuré la sécurité pour les meetings de Jean-Marie Le Pen quand les ouvriers de la CGT et du parti communiste chargeaient en masse et en force pour entrer dans les salles. Il évoque certains de ses amis qui ont fait de la prison pour avoir cogné un peu trop fort sur des perturbateurs. Il avoue avoir quitté le FN à l’arrivée de Marine en continuant à voter pour le parti faute de mieux tout en craignant qu’elle passe et que son incompétence décrédibilise la cause nationale pour cinquante ans. Je rappelle qu’au lieu de travailler après son débat piteux, la présidente du RN a obtenu un diplôme d’éleveuse de chats. « Si ce n’est pas un acte manqué ? » Ma thèse est qu’elle serait soulagée si un autre la déchargeait de son fardeau, de sa mission héritée de sauver la patrie et lui permettait de se consacrer à ses enfants, à son foyer et à ses chats. On boit, on rit, on sympathise, on communie. On a pu enfin parler politique sans que les insultes volent et que les portes claquent. On se quitte en se disant qu’on se verra bientôt sur un tractage, dans un meeting ou dans le quartier. On n’était pas venus pour ça, mais on se dit qu’on pourrait bien avoir trouvé des amis. Ça tombe bien, à défendre Zemmour dans les dîners, on en perd toutes les semaines. Sans regrets.

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Alexandre Douguine: « Ce n’est pas une guerre contre l’Ukraine, mais contre BHL et le globalisme»

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Wikimedia Commons

Présenté par les uns comme un idéologue proche du Kremlin, par les autres comme un intellectuel ésotérique et marginal dont on a exagéré l’importance, Alexandre Douguine suscite l’intérêt des médias occidentaux, plus encore depuis le début de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine. Depuis trois décennies, il est le chantre de l’eurasisme, doctrine comptant faire de la Russie et des anciennes Républiques soviétiques un bloc continental cohérent capable de tenir tête aux États-Unis et à ses alliés. Certains ont vu dans l’agression russe l’indice des progrès de son influence auprès de Vladimir Poutine. Entretien exclusif.


Causeur. Vous êtes assez connu ici, à la fois dans nos médias conservateurs (la revue Conflits s’est intéressée à vous dans cet article de 2020) mais aussi chez des intellectuels éclairés et « raisonnables » comme Bernard-Henri Lévy, qui vous a qualifié de « fasciste sophistiqué ». Je ne sais pas si c’est un compliment…

Alexandre Douguine. À propos de cette qualification, Bernard-Henri Lévy s’est affiché le 15 mars, à Odessa, auprès de Maxim Marchenko, qui est nazi, porteur de la croix de fer nazie, ex-chef du bataillon d’Aidar. Avec Bernard-Henri Lévy, et la presse libérale occidentale en général, il y a de l’hypocrisie. Si jamais l’on est en désaccord avec le libéralisme outrancier de Bernard-Henri Lévy, on est qualifié de fasciste. Même Eric Zemmour, qui est juif d’Afrique du Nord, est qualifié de fasciste. Trump est fasciste, Poutine est fasciste, tous ceux qui ne sont pas de leur côté sont fascistes. Mais en même temps, on voit de vrais nazis, fascistes, racistes, qui portent la swastika, ou comme Maxim Marchenko, qui est reconnu néo-nazi et qui se proclame comme tel. Or, BHL n’a aucun problème à se promener avec lui à Odessa. Il y a des gens qui se déclarent fascistes, on doit tenir compte de leur propre qualification et les qualifier ensuite comme tels. A l’inverse, si quelconque refuse d’être qualifié comme fasciste, on ne doit pas le qualifier de fasciste.

Libération a proposé un portrait nuancé de Maxim Marchenko, sans gommer les aspects problématiques de ses camarades. Concernant Alexandre Douguine, le média australien progressiste Independent Australia rappelait un article de 1997 dans lequel l’écrivain russe proposait des visions étonnantes du fascisme et du national-socialisme, indiquant « qu’en aucun cas les aspects racistes et chauvins du national-socialisme ont déterminé la nature de son idéologie » et que « les excès de cette idéologie en Allemagne (…) concernent exclusivement les Allemands (…) tandis que le fascisme russe est une combinaison de conservatisme national naturel avec un désir passionné de vrais changements ».

Ici en France, tandis que les médias conservateurs qui voyaient Poutine plutôt comme un élément stabilisateur du monde (on se souvient qu’il était aux côtés de Chirac contre la guerre en Irak), les médias traditionnellement hostiles à la Russie s’en donnent à cœur-joie, sur le ton du « on vous l’avait bien dit ».

Les mass médias occidentaux font évidemment bien plus de bruit que la presse assez limitée de la Russie. Face à cette guerre médiatique menée par les Occidentaux, il faut mener la guerre véritable. C’est en quelque sorte une guerre contre l’Occident. Non pas contre l’Ukraine, mais contre l’hégémonie libérale mondialiste.

C’est une guerre contre Fukuyama et non pas contre l’Europe

Si je vous suis bien, Poutine a déclaré la guerre non pas à l’Ukraine, mais à l’Occident.

Oui. C’est pourquoi l’on n’utilise pas le nom « guerre » à l’intérieur de la Russie concernant l’intervention en Ukraine ; on parle d’opération militaire spéciale. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une guerre contre l’Ukraine, c’est une guerre contre le globalisme, contre Bernard-Henri Lévy, contre George Soros, contre Joe Biden, contre l’atlantisme. Finalement, c’est Francis Fukuyama qui a vu juste, quand il a appelé son dernier article « la guerre de Poutine contre l’ordre libéral » [en anglais, ici]. C’est tout à fait juste ; c’est la guerre de Poutine et de la Russie contre l’ordre libéral mondial, contre la fin de l’histoire et contre l’Empire américain.

Qui souffre des expropriations faites en ce moment par l’Occident ? Les pires des nôtres, les oligarques. Nous les détestons plus encore que vous ne les détestez

Mais alors, quelles pourraient être les prochaines étapes de Poutine, après la guerre d’Ukraine ? Où est-ce qu’il pourrait encore avancer ses pions dans sa guerre contre l’Occident ?

Je crois que pour l’instant, l’objectif, c’est l’Ukraine. Zbigniew Brzeziński a dit dans le Grand Echiquier [1] que sans l’Ukraine, jamais la Russie ne pourra redevenir un Empire. Avec l’Ukraine, la Russie redeviendrait automatiquement un Empire parmi les autres, ou plutôt un pôle indépendant du monde multipolaire. Il n’est pas du tout question d’attaquer des pays membres de l’OTAN en Europe parce qu’avec l’établissement de l’indépendance de la Russie dans un grand espace eurasiatique, le monde multipolaire sera pleinement établi. Selon moi, les conséquences directes de cette révolution géopolitique seront réjouissantes, parce qu’avec ce bloc qui comprendrait la Russie, la Grande Russie (la Russie avec l’Ukraine) et la Chine (et j’espère avec Taïwan), l’hégémonie occidentale sera détruite. Ça sera « la fin de la fin de l’histoire ». C’est une guerre contre Fukuyama et non pas contre l’Europe. Dans cette multipolarité assurée, l’Europe pourra choisir son camp : ou elle continue d’être le prolongement de l’atlantisme et du monde anglo-saxon, ou l’Europe redevient un pôle indépendant et souverain. C’est une chance pour l’Europe, non pas de s’unir à la Russie, mais de s’affirmer comme un pôle indépendant, autant des Etats-Unis que de la Russie. L’Europe peut devenir un bloc véritable, capable de se défendre, même contre les Russes. L’Europe doit se réaffirmer comme un pôle, non pas avec nous, non pas dans une relation nécessairement amicale avec la Russie, mais d’une manière réaliste.

Mais justement, les opinions publiques européennes ont peur ! En France, encore, on est loin de la frontière russe, mais nous nous mettons à la place des Polonais, des Suédois. C’est un rejet massif de la Russie qui a lieu en ce moment, pas seulement chez les élites, mais aussi dans les opinions publiques de ces pays.

Beaucoup de choses changent. Pour nous, ce qui est très important, c’est de réaffirmer la Russie comme bloc indépendant, le reste est secondaire. Quand l’Europe comprendra les choses de manière réaliste, quand l’Europe s’accommodera de la nouvelle situation et réalisera que les Etats-Unis n’ont pas fait grand-chose pour venir en aide à l’Ukraine, elle changera. Il n’y a pour l’instant aucun danger pour l’Europe mais finalement, tout dépend d’elle. Si l’Europe est agressive, si l’Europe continue d’être la base militaire des Etats-Unis, l’Europe se trouvera dans une situation fragile.

Vous m’avez dit quand même qu’il s’agissait d’une guerre contre les valeurs occidentales, tandis que Poutine semble régler ça comme une opération de gendarmerie, en réglant un « problème » dans un pays voisin turbulent. Je ne crois pas que Poutine soit dans une approche si globale…

Non, non, non, Poutine a tenu [le mardi 16 mars] un discours historique. Il a dit [en substance] : « la civilisation occidentale, nous la refusons. Aucune dépendance de l’Occident, aucune valeur commune avec l’Occident, nous sommes une civilisation totalement auto-suffisante, donc allez-vous en [2] ». Finalement, c’est une rupture finale avec la communauté de valeurs, de destin ; il a dit adieu à l’Occident. Il a dit aussi : « il y aussi beaucoup de gens qui sont des Européens occidentalistes à l’intérieur de la Russie » [dans son discours, Poutine s’en est pris notamment à ses compatriotes « qui ont une villa à Miami ou sur la French Riviera » ou « qui ne peuvent pas vivre sans foie gras, huîtres ou les prétendues libertés de genres. », ndlr]. Il a déclaré la guerre contre eux. C’est donc une lutte contre l’Occident libéral à l’extérieur des frontières russes mais aussi à l’intérieur de la Russie.

Vous avez aussi des Russes qui sont hostiles à Poutine, et à l’Ouest, il y a des gens qui jusque-là, étaient pro-russes, comme Marine Le Pen ou Eric Zemmour. Ils voyaient en Poutine presque un modèle politique. Vous avez perdu ces alliés.

Quand la Russie vaincra, quand seront établis sur l’Ukraine la puissance et le contrôle suffisants aux yeux de Moscou (c’est à Poutine de juger quand ça sera suffisant et pas à moi), il y aura un autre ordre mondial. Et je crois que le choix ne se fera plus entre la Russie et les Etats-Unis mais entre uni-polarité (ou disons le système occidental-centriste proposé par Biden) et multipolarité. Tous les pays pourront faire leur choix. Dans ce cas, même les Américains, avec Trump et les conservateurs, pourront choisir la multipolarité ; parce que les ennemis de Trump sont les ennemis de Poutine. Les populistes de droite ou de gauche, tous ceux qui sont opposés à l’uni-polarité libérale peuvent alors se retrouver du côté de la Russie. Mais aujourd’hui, le moment est critique, c’est trop tôt. Aujourd’hui, tout le monde reproche à la Russie d’être l’agresseur. Mais avec le temps et surtout après la victoire russe, ça sera différent. Ce qui compte vraiment pour nous, c’est l’appui de la Chine (de l’Iran également, mais surtout de la Chine). Si nous avons la Chine derrière nous, nous n’avons peur de rien ni de personne.

Au lendemain de la Guerre froide, la Russie et même Poutine dans les premières années de son règne ont voulu jouer la carte de l’Occident. Un certain nombre de « maladresses » occidentales l’ont peut-être amené dans le camp chinois. Mais est-ce que Poutine était programmé au départ pour devenir le grand rebelle international ?

Ce n’est pas l’analyse correcte. Poutine, selon moi, est un dirigeant absolument réaliste et pragmatique. Il n’est pas eurasiste convaincu, il n’est pas libéral convaincu non plus. Il est le chef d’Etat d’une Russie qui est tellement sous pression du libéralisme global qu’il est obligé de faire ça. Aucun autre dirigeant russe à sa place ne pourrait faire autrement. S’il veut garder le pouvoir, défendre le pays, il doit se comporter comme ça. Quand il dit qu’il est obligé d’attaquer l’Ukraine, il dit la vérité. Poutine n’est pas comme moi. Je suis eurasiste convaincu. Il finit par mener l’action que je recommande en arrivant par d’autres chemins. Le « racisme » culturel de l’Occident et les gifles données par de petits personnages hautains ont transformé Poutine d’ami de l’Occident en ennemi.

Comment voulez-vous intégrer de force l’Ukraine à la Russie si l’Ukraine n’en a pas envie ?

Dans l’histoire russe, l’intégration et la réintégration de l’Ukraine a souvent été un défi et finalement on arrive par reconquérir cette terre d’origine. L’Ukraine n’a jamais existé. La moitié de la population était mentalement russe et l’autre moitié était partagée entre la Pologne et l’Autriche. Jamais l’Ukraine n’a eu d’Etat national. C’est pourquoi on a dû utiliser le nazisme, le nationalisme extrême pour forcer la création de cet Etat-nation. Cela s’est répété plusieurs fois dans l’histoire. A chaque fois, cela se termine de la même façon : les troupes russes interviennent.

Vous avez fait tout à l’heure une critique acerbe de l’Empire occidental et maintenant vous défendez l’Empire russe. Est-ce qu’il n’y a pas un paradoxe ?

Non, non. L’Empire libéral est mauvais non parce que c’est un Empire mais parce que il est libéral…

Ce qui vous choque dans « Empire libéral », c’est donc l’adjectif libéral…

Oui. Cet Empire libéral anglo-saxon, matérialiste, capitaliste, individualiste, basé sur la perversion de toutes les valeurs, sur la destruction de toutes les traditions, c’est l’Empire de l’Antéchrist.

Frédéric Magellan et Alexandre Douguine. D.R.

La société russe de Poutine est pourtant à peu près aussi matérialiste que la nôtre, elle s’est largement convertie au capitalisme.

Non. Il faut distinguer le peuple de la société. Le peuple se cache derrière la société. La société, c’est la surface du peuple seulement. Quand on veut mesurer certaines conclusions au sujet de la société, c’est toujours très superficiel. La Russie et le peuple russe suivent presque totalement Poutine (à quelques exceptions), même la partie de la population occidentalisée et acquise à la modernité et au capitalisme. Le peuple se réveille presque immédiatement quand il entend un certain appel, une certaine voix, que les autres n’entendent pas mais que les Russes entendent. En quelque sorte, ils perçoivent que c’est une guerre sainte contre l’ordre libéral et hédoniste.

Ça me rappelle finalement le discours qu’avait George Bush en 2003 au moment de la guerre d’Irak. Il était parti en guerre au nom de valeurs occidentales… Est-ce qu’il n’y a pas une similitude ?

Peut-être, oui. Mais pas de similitudes au niveau des valeurs, car les valeurs occidentales, c’est précisément ce contre quoi nous luttons. Les valeurs occidentales pour nous sont des valeurs de dégradation, de perversion des mœurs, c’est le nihilisme pur contre lequel la Russie a lutté au moment des Tsars, au moment de la défense de l’orthodoxie, au moment de l’Union soviétique, car elle a lutté contre l’individualisme capitaliste. Les régimes ont changé mais c’est bien une guerre des valeurs qui se poursuit, la guerre contre les valeurs de George Bush.

Poutine avait fait un investissement en soft power en organisant les Jeux olympiques, la Coupe du monde de football. Aujourd’hui, tout cet investissement est perdu.

Oui, et tant mieux. Je suis très heureux de toutes les sanctions. Moi, je suis proudhonien, je ne crois en rien dans le capitalisme. La propriété, c’est le vol. Poutine a eu confiance dans l’Occident, il a investi dans la globalisation et maintenant, tout est perdu, tout est coupé, tout est totalement détruit et je suis absolument heureux de tout cet adieu à la globalisation. Car cela a bénéficié chez nous aux pires des nôtres, les oligarques, que l’on déteste ici. Qui souffre des expropriations faites en ce moment par l’Occident ? Les pires des nôtres. Nous les détestons plus encore que vous ne les détestez.

Alors j’ai une question de petit Français. On se souvient que Poutine avait lancé l’opération en Géorgie en 2008 au moment des Jeux olympiques de Pékin ; en 2014, l’annexion de la Crimée a eu lieu aussi au moment des JO de Sotchi. On peut avoir l’impression qu’il profite d’événements majeurs pour avancer ses pions. Aujourd’hui, est-ce que Poutine a lancé cette opération en ce moment parce qu’il y a l’élection française ? Laissez-moi m’imaginer que la France a encore un rôle dans les choix des grands de ce monde !

Je crois que la dernière chose que Poutine a eu à l’esprit, ce sont les élections présidentielles françaises. Mais objectivement, la situation en Ukraine a fait grand dommage à Zemmour, à Marine Le Pen, car ils étaient absolument sûrs que la Russie n’attaquerait pas l’Ukraine, et ils ne peuvent plus donc tenir leur ligne. Je serais heureux que l’opposition à Macron l’emporte, mais finalement ça ne changera pas grand-chose à l’histoire mondiale. Pour le moment, la France est sortie de l’histoire. Je suis absolument sûr qu’il arrivera et je souhaite que ce moment arrive où la France sera sortie de ces années de plomb de Sarkozy, de Hollande, de Macron, séquence déplorable…

Je reviens sur un point. Pour vous, l’objectif de l’intervention russe, c’est l’annexion de l’Ukraine. Est-ce que c’est l’objectif déclaré de Poutine ?

Je n’ai pas utilisé le mot « annexer ». Poutine a déclaré deux objectifs. Premier : démilitarisation. Deuxième : dénazification. Ces objectifs ne sont pas réalisables sans contrôle total de l’Ukraine. On ne peut pas démilitariser le pays sans contrôle stratégique total. On ne pas dénazifier sans contrôle absolu sur le système politique. Poutine a déclaré ces deux points de manière très sérieuse.

Mais ça serait un contrôle temporaire ou définitif de l’Ukraine ?

On verra bien.

Imaginons que Poutine renverse dans quelques jours le gouvernement ukrainien. A partir de quand les Européens vont se décider selon vous à entrer en guerre. Est-ce que vous pensez que la France ou l’Angleterre peuvent en arriver là ?

Je pense que rien ne se décide à Londres ou à Paris…

Disons Washington…

Washington, c’est autre chose. Washington peut déclencher la guerre nucléaire, mais ne la finira pas. Le potentiel nucléaire russe est tout à fait suffisant pour détruite Washington, l’Europe, le monde, l’humanité et Poutine a déjà dit : « Si Washington osait utiliser l’arme nucléaire, la Russie répondra avec l’attaque symétrique et ça sera la fin du monde ». On peut déclencher la guerre nucléaire mais on n’a aucune chance de s’en sauver. Trois dirigeants décident du sort du monde : Biden, Poutine et Xi Jinping, mais sûrement pas Macron. Tous les autres sont des observateurs impuissants qui peuvent être sacrifiés par ces Grands Trois. Si l’Europe était un pôle souverain, il y aurait quatre personnages qui décideraient du sort du monde. Je crois que l’opération spéciale en Ukraine n’aurait pas eu lieu sous Trump car Trump était réaliste, Poutine est un réaliste, ils se comprennent très bien. Trump a abandonné Kiev durant sa présidence et il n’y avait pas de nécessité pressente d’intervenir en Ukraine. La situation actuelle avec Trump ne serait pas possible, non parce que Poutine aurait peur de lui, mais seulement parce que deux réalistes peuvent se sortir d’une situation en évitant la guerre. Si Trump gagne la prochaine élection, on retrouvera sans doute…

… une entente cordiale. Justement. En Europe, aux Etats-Unis, on change de président tous les quatre ans, tous les cinq ans. En Russie, l’exécutif ne change pas souvent. Poutine était déjà là il y a vingt ans.

Parce que c’est notre culture ! Nous aimons les tsars, nous aimons les empereurs. En quelque sorte c’est un monarchisme qui vient d’en bas. La demande d’autorité vient d’en bas. Nous n’aimons pas tellement la démocratie. La démocratie n’est pas une religion, c’est un régime politique qui peut être, ou ne pas être. Vous choisissez la démocratie, nous choisissons autre chose. Vous ne pouvez pas dire : « vous êtes mauvais parce que vous ne choisissez pas la démocratie ». On pourrait dire à l’inverse : « vous êtes idiots parce que vous choisissez la démocratie ». C’est une forme politique qui donne tout le pouvoir aux oligarques, à quelques familles, à quelques groupes d’influence. A mes yeux, les Occidentaux sont idiots et ne savent pas qu’ils sont manipulés par un système dictatorial sous couvert de démocratie.

En France aussi on a une petite nostalgie de la monarchie. On cherche un de Gaulle tous les dix ans et on n’y arrive pas… on est un peu malheureux.

De Gaulle était un grand personnage de l’histoire de France. Il était assez démocrate, il était assez indépendant, il a fait de la France un pays souverain, presque souverain. Il était très proche d’avoir totalement libéré la France de l’influence et du contrôle atlantiste et de redevenir le centre de l’Europe continentale.

Une dernière petite chose : en France et ailleurs, on se demande quel est votre rôle auprès de Poutine. Est-ce que vous mangez avec Poutine ? Est-ce que vous faites des réunions Skype avec Poutine ?

Jamais je ne réponds à cette question. On me demande toujours ça. No comment.


[1] Dans Le Grand Echiquier (1997), Zbigniew Brzeziński a écrit : « L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’État russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l’échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un Empire en Eurasie. Et quand bien même elle s’efforcerait de recouvrer un tel statut, le centre de gravité en serait alors déplacé, et cet empire pour l’essentiel asiatique serait voué à la faiblesse, entraîné dans des conflits permanents avec ses vassaux agités d’Asie centrale ». In Le Grand Echiquier. L’Amérique et le reste du monde, Hachette, 2010, p. 74-75.

[2] https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-du-vendredi-18-mars-2022

Émeutes à Sevran: des réactions politiques inquiétantes

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Idéologie de l’excuse? Peur de susciter de nouveaux débordements de voyous des quartiers ? Certains médias et des responsables politiques ont des priorités pour le moins étonnantes. Elles révèlent la tension exacerbée autour de certains sujets dans la société française.


Il conduisait un fourgon fraichement volé [1], a refusé d’obtempérer lors d’un contrôle de police le 26 mars, et aurait tenté de percuter un fonctionnaire de police en voiture. Ce dernier a ouvert le feu et grièvement blessé le suspect dans des circonstances encore floues d’après le parquet de Bobigny. L’homme est mort dans l’après-midi, le même jour.

Les conséquences de cet évènement sont malheureusement prévisibles : des voyous ont saisi l’occasion pour affronter les policiers trois nuits de suite. Véhicules incendiés (dont un bus volé par une cinquantaine de personnes munies de barres de fer), barricades enflammées, jets de projectiles sur les forces de l’ordre [2]

Les réactions à chaud de certains acteurs politiques ou médiatiques sont préoccupantes. C’est le moins que l’on puisse dire.

Appel à l’émotion et minimisation de la délinquance…

Dimanche 27 mars, le media qatari AJ+ France ne trouve rien de mieux à faire que de diffuser sur Facebook une vidéo de 59 secondes intitulée « Des tensions sont survenues hier soir à Sevran après le décès d’un père de famille tué par la police quelques heures auparavant » . Un « père de famille » : cette qualification, sans doute réelle, sert ici évidemment à susciter l’empathie. On imagine une femme et des orphelins éplorés (ce qui est tristement sûrement le cas aujourd’hui, au demeurant). En jouant sur le pathos, AJ+ embrouille son audience.  En réalité, ce n’est pas parce qu’il était un père de famille que l’habitant de 32 ans de Sevran est mort, mais parce qu’il a refusé d’obtempérer et a semble-t-il tenté de percuter un fonctionnaire !

Non content d’appeler à l’émotion des gens qui suivent ses messages sur les réseaux sociaux (c’est le pire moyen de penser des faits graves, au passage), AJ+ minimise les débordements constatées en Seine-Saint-Denis, en évoquant des « tensions », alors que les images montrent des policiers visés par des tirs de mortiers et de projectiles. Les termes émeutes (Larousse : « soulèvement populaire, explosion de violence ») ou  « sédition » (« soulèvement concerté contre l’autorité établie ») seraient plus adéquats, puisque les émeutiers agissent contre les représentants de l’État et se concertent. 

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AJ + minore donc certains faits, soit pour ne pas stigmatiser les fauteurs de troubles (qui le font très bien tout seuls), soit par respect d’une ligne éditoriale partiale prédéterminée qui accorde davantage le bénéfice du doute aux « jeunes des quartiers » de nos banlieues. Deux hypothèses aussi plausibles l’une que l’autre, au vu de la ligne éditoriale du média qui reprend à peu près tous les codes de la victimisation des quartiers et des musulmans sous couvert d’être un « média inclusif qui s’adresse aux générations connectées et ouvertes sur le monde« . Leur traitement partisan de certains sujets comme l’ « islamophobie » (non reconnue par l’UE), ou encore le conflit israëlo-palestinien sont déjà bien documentés.

… mues par la peur ?

Le maire de Sevran Stéphane Blanchet a de son côté fait montre d’une réaction empressée. Son communiqué du 26 mars (le jour même de l’évènement) vise en fait à donner des gages de bonne volonté à ceux qu’il sait largement susceptibles de créer troubles ou émeutes : empathique, il parle d’ « un Sevranais » qui était « père de famille », évoque des « circonstances dramatiques » , indique qu’une « enquête est en cours » et que ses « premières pensées vont à sa famille » . Enfin, il anticipe le prétexte fallacieux de probables émeutes (« la douleur » ), et appelle au calme.

Il est évident que de tels appels au calme de la part d’un édile seraient complètement loufoques dans bien d’autres villes où les émeutes ne sont pas un passe-temps habituel. Mais nous sommes à Sevran et le maire sait sans doute que voyous et délinquants ont un grand pouvoir dans sa ville. Il connaît la violence de leur mode d’expression et les prétextes qu’ils utilisent pour s’y adonner. Sa réaction peut donc être interprétée comme la démonstration de sa crainte de représailles contre les services publics de sa ville et de la connaissance qu’il a des modes d’action de certains de ses administrés. C’est quoi qu’il en soit un terrible aveu de faiblesse. Députée LFI, Clémentine Autain signe un communiqué de la même teneur le même jour, qui témoigne du même état des lieux : un « père de famille » est mort, c’est un moment de « douleur », elle présente toutes ses « condoléances » aux proches et à la famille, mentionne l’enquête en cours, et conclut en indiquant que « l’heure doit être à l’apaisement et au recueillement ».

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Notons dans cette affaire que si le suspect est systématiquement humanisé, le gardien de la paix reste invariablement « un policier » ou « un fonctionnaire de police ». Personne ne s’est demandé s’il était un grand frère, un mari ou un père ! Seul l’un des deux protagonistes a droit à cette attention. Pourtant, d’après Le Monde, le policier a été hospitalisé en état de choc après les faits [3].

Des divisions graves en France

Résumons : d’un côté, un fonctionnaire de police dont l’enquête de l’IGPN en cours dira si l’usage de son arme à feu était légitime. De l’autre côté, un homme dont le comportement suspect et les choix de vie malheureux l’ont mené à la mort. S’il ne faut jamais minimiser la mort d’un homme, rappelons aux belles âmes promptes à s’indigner qu’il aurait pu faire pléthore d’autres choix qui lui auraient été plus favorables.

Les leçons à retenir de ce sinistre épisode ? Des responsables politiques de terrain connaissent parfaitement la violence des racailles envers tout ce qui représente l’État et la France. Ils la redoutent, peuvent la minimiser et tentent de passer de la pommade. Ils n’ont pas compris que cette commisération surjouée est une erreur, notamment lorsqu’elle s’adresse à des jeunes hommes peut-être majoritairement issus de cultures dans lesquelles la force est respectée et la faiblesse méprisée. Sans surprise, Al Jazeera nous donne à voir une inquiétante lecture victimaire de faits bien sélectionnés, ajoutant de l’huile sur le feu. Le vivre-ensemble, cette notion ânonnée par beaucoup à tout bout de champ, s’effondre vite au contact d’un réel dur et inquiétant. Certains évènements sont des prétextes pour poursuivre un affrontement larvé qui dure depuis longtemps en France. Il suffit de lire quelques commentaires sous la vidéo d’AJ+ pour s’apercevoir que la France ne sait même plus faire respecter son intégrité, suscite la méfiance, voire est vue comme une ennemie. « Je peux conclure l’enquête de l’IGPN : non-lieu« , ironise un internaute. Un autre demande « que les quartiers se soulèvent« , un troisième estime que la police « veut la guerre » et l’aura « bientôt« , précisant « on a la haine contre eux« .

Sommes-nous encore une République indivisible ? On peut franchement en douter.


(1) https://www.leparisien.fr/faits-divers/course-poursuite-a-sevran-un-homme-grievement-blesse-par-le-tir-dun-policier-26-03-2022-M44OIC5AL5G5RI6CJVYMJA4OQY.php

(2) https://www.ladepeche.fr/2022/03/28/nuit-de-violences-a-sevran-et-aulnay-sous-bois-apres-la-mort-dun-homme-tue-par-un-policier-10199199.php

(3) https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/03/27/sevran-le-conducteur-d-un-vehicule-vole-tue-par-un-policier-des-tensions-eclatent_6119344_3224.html

Si j’étais recteur de la Grande Mosquée de Paris, je demanderais aux musulmans qu’ils admettent que les lois françaises prévalent sur la charia!

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Mosquée de Villetaneuse, juin 2015 © ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Driss Ghali répond à la mobilisation anti-Zemmour de certains milieux musulmans. Selon lui, elle pourrait s’écrouler sous le poids de son insignifiance tant elle est hors sujet. En encourageant une sorte d’auto-stigmatisation, on enferme des Français musulmans sur eux-mêmes.


Dans une tribune publiée récemment dans les colonnes du Monde, le recteur de la Grande Mosquée de Paris a appelé les Français à s’inscrire sur les listes électorales afin de faire barrage à Éric Zemmour. 

Le polémiste n’était pas nommément cité, mais il était à l’évidence l’objet de l’admonestation prononcée par le recteur. 

Le texte n’a eu de cesse de souligner l’imminence du danger, la prégnance de la haine à l’égard des musulmans et l’urgence d’agir avant qu’il ne soit trop tard.

L’assimilation des musulmans n’est pas un franc succès

Curieuse demande que celle émise par le recteur de la Mosquée de Paris ! 

Est-ce qu’il viendrait à l’esprit de l’archevêque de Rabat d’exhorter les Marocains à s’abstenir de voter islamiste ? Est-ce que le grand rabbin de Tunisie s’autoriserait à dire aux Tunisiens tout le mal qu’il pense d’Ennahda ? Bien sûr que non, mais passons ce détail. Admettons que la France soit un pays exceptionnel, à nul autre pareil, un pays au sens moral si aiguisé que le premier venu peut lui faire la leçon, interrogeons-nous alors sur le fond de la question soulevée par le recteur de la Grande Mosquée de Paris: est-ce que Zemmour est dangereux pour les musulmans de France ?

Les trente dernières années nous démontrent que les musulmans de France n’ont pas eu besoin de Zemmour ou des Le Pen pour sombrer. Ils sont parmi les premières communautés représentées en prison, parmi les premiers locataires de logements sociaux, parmi les travailleurs les plus précaires et les moins bien rémunérés. Ce n’est pas ce que l’on peut appeler un succès. 

Pire, les seuls endroits où ils avaient une chance de démentir la fatalité ont été soigneusement dynamités par la bourgeoisie française, bien-pensante et sûre d’elle-même. Il suffit de citer l’école publique qui a été transformée en une fabrique à crétins arrogants et fiers de leur analphabétisme. Résultat : un musulman né à Marrakech a plus de chances de rentrer à Polytechnique qu’un musulman né à Aubervilliers ! Interrogez les directeurs de Polytechnique, ils vous confirmeront que les Marocains (du Maroc, pas ceux du 9-3) ont un niveau époustouflant en mathématiques.

À lire aussi, du même auteur : Le grand remplacement tuera la diversité du monde!

Ajoutez à cela la sous-culture du rap, la malédiction du cannabis qui ramollit les esprits et démoralise les forces vives, la disparition de l’industrie qui pourvoyait des emplois stables et dignes aux immigrés et à leurs enfants, et vous obtenez une génération sacrifiée dans la plus grande indifférence des pouvoirs publics et des autorités dites représentatives de l’islam en France.

Prison mentale

Rien ne change, en dépit des violences régulières dans certains quartiers, car le système politique « adore » cette situation, il en a besoin, il s’en nourrit, il incite les musulmans de France à incarner une caricature d’eux-mêmes : infantilisés, énervés, dépendants de l’aide publique. 


Dans la France de la Diversité, la politique n’est plus vraiment permise, puisque dire la vérité n’est plus permis !

Entendant lutter contre l’« engrenage de la haine », le recteur de la Grande Mosquée de Paris Chems-Eddine Hafiz appelle à s’inscrire sur les listes électorales et à aller voter dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 14 février. 

La prise de parole est soumise au crible préalable du vivre-ensemble qui autorise les bonnes nouvelles et interdit les mauvaises. On ne peut que célébrer les chances pour la France et se taire sur le fiasco de l’immigration et de l’islamisation. La tribune du recteur de la Grande Mosquée de Paris s’inscrit parfaitement dans cette musique de fond qui habite notre démocratie bâillonnée. Il s’agit d’une musique douce mais pauvre, au rythme prévisible et ennuyeux, car elle n’aspire à rien d’autre qu’à couvrir les sons et les cris des victimes qui appellent au secours, tandis que la croisière s’amuse. Quelques exemples à suivre.
« Tout ce qui va à l’encontre de notre coexistence constitue un danger pour notre avenir et celui des générations qui nous succèderont ». Ce qui veut dire qu’il vaut mieux fermer les yeux et se taire, que de décrire le réel qui a le malheur de ne pas obéir au credo du vivre-ensemble. Ce credo d’ailleurs n’est rien d’autre qu’un rêve éveillé. Le pays est devenu un coupe-gorge, l’ultra-violence est palpable, les zones de non-droit se comptent par centaines, mêmes des policiers pouvant être égorgés à leur domicile (Magnanville, 2016) ou bien au cœur même du 36 Quai des Orfèvres (2019). Il n’empêche, Monsieur le recteur écrit : « Des femmes et des hommes ont donné leurs vies pour que nous puissions vivre en paix ». Mais de quelle paix s’agit-il ? Celle du Bataclan, de la Promenade des Anglais ou du prêtre égorgé en plein culte catholique à Rouen ? Il ajoute : « ne trahissons pas leur humanisme », comme si l’humanisme avait survécu à l’ensauvagement. Posez la question à la veuve du chauffeur de bus de Bayonne massacré par des sauvages. Existe-t-il d’ailleurs un humanisme en islam ? La question mérite d’être posée, elle admet certainement une réponse nuancée et complexe, mais inutile d’avoir un diplôme de sciences humaines pour s’apercevoir que le sort des femmes dans le monde musulman, y compris dans nos banlieues, n’est pas très « humaniste ». Dans la conception française, l’humanisme passe par l’égalité entre homme et femme et par l’affirmation de l’individu (face à Dieu et face à la nature). Rien dans l’islam tel que les Français le voient pratiquer autour d’eux ne permet de conjuguer islam et humanisme au sens français du terme. 
« Non, n’est pas politicien qui le prétend. Au mieux, nous avons affaire à des intrus mal intentionnés entrés dans nos vies par effraction ». On croit rêver ! Désormais, pour prétendre à une charge publique en France, il faut peut-être recevoir la bénédiction des autorités musulmanes, et être déclaré conforme aux principes du vivre-ensemble ! A ce rythme, seuls les fous et les folles accepteront de faire de la politique, puisqu’après le passage par la mosquée, il faudra ensuite monter sur le char décoré de la Gay Pride afin d’être adoubé par le lobby LGBT, vivre-ensemble oblige. 
Plus sérieusement, quiconque, même Zemmour, a le droit de se présenter aux élections, du moment qu’il répond aux critères prévus par la loi.
« Seul le bulletin de vote peut stopper l’engrenage de la haine. » Non Monsieur le recteur, la haine ne cède que devant l’amour. Or, la France n’est pas aimée, elle n’est plus aimée ni par ses enfants ni par les étrangers qui y habitent. Elle ne reçoit que reproche et ingratitude. C’est pour cela qu’elle se rebiffe et qu’elle nous envoie des Zemmour pour nous dire combien elle souffre. La meilleure réponse à l’extrême-droite est que nous tous, au-delà de nos doléances, commencions à aimer la France telle qu’elle est, avec ses parts d’ombre et de lumière.  
Au fond, se lit en filigrane la moraline, cet ingrédient de notre politique déchue qui, à défaut de nous rendre heureux et de nous protéger, nous expose au déclin. Alors, elle nous fait la morale du matin au soir, et nous prend à témoin pour tout et n’importe quoi : « Nos enfants nous reprocheront notre égoïsme si nous continuons à ignorer tous les signes préoccupants qui viennent de la scène politique. » En réalité, nos enfants nous reprocheront notre inconséquence et notre légèreté, nous qui avons délibérément joué avec le feu en obligeant la civilisation musulmane à cohabiter avec la civilisation française. Nous qui avons installé, les uns sur les autres, les couples gays adeptes de la PMA et les familles musulmanes pratiquantes. Nous qui avons accepté que la rue devienne une arène de boxe, que Paris ait sa colline du crack, que Nantes ait perdu sa douceur de vivre… Tout cela nos enfants vont nous le reprocher et amèrement d’ailleurs.
Ce n’est pas parce que nous avons peur de la guerre civile que nous devons tirer sur les messagers qui ont un peu plus de lucidité que le commun des mortels. Zemmour est bardé de défauts, mais il est un moins myope que le politicien moyen • Driss Ghali

La gauche, les indigénistes, la droite dite républicaine et le parti du président voient dans les musulmans un trophée. Ils s’efforcent de les installer dans une « prison mentale » dont les barreaux sont la victimisation, le ressentiment et l’échec socio-économique. Ils ont besoin de musulmans qui souffrent et non de musulmans qui gagnent : les premiers votent pour eux, les seconds votent pour leurs intérêts.  

Cruelle destinée des immigrés musulmans. Quand ils vivaient au sud de la Méditerranée du temps de la colonisation, ils étaient perçus comme un bétail électoral que l’on convoque aux urnes de temps en temps pour conférer une légitimité démocratique aux voleurs et aux bourreaux. En France, on leur demande de voter pour un personnel politique déplorable qui les manipule par le discours antiraciste et par l’assistanat. Dans les deux cas, ils ne sont pas pris au sérieux.

Zemmour surgit et met à nu le système. Il est donc voué aux gémonies, tant par les caciques qui se font élire par l’antiracisme et les allocations, que par les assistés qui craignent la fin de la poule aux œufs d’or. Il s’agit de réactions naturelles, humaines, trop humaines, mais qui n’ont rien de surprenant.

Au calme, dans le secret des consciences, l’évidence est difficilement dissimulable.  Avec Zemmour, nous aurions une chance de libérer les banlieues et de réintégrer leurs habitants dans la communauté nationale. Les musulmans ont tout à gagner de ce retour de la République dans les zones aujourd’hui sous l’emprise des gangs. Jamais un dealer n’a aidé personne à intégrer HEC ni à devenir PDG d’Air France !  

Avec Zemmour, la théorie du genre sera expulsée de nos salles de classe, l’école publique sera sauvée et la télévision publique cessera d’inviter des rappeurs qui chantent « nique ta mère ». Que des bonnes nouvelles pour un musulman ! Au passage, on nous promet la réindustrialisation de la France, ce qui créera des opportunités d’emploi bien rémunérées pour tous les Français, dont les musulmans. Entre chauffeur Uber et ingénieur chez Dassault, je crois que les jeunes issus de l’immigration méritent de travailler chez Dassault !

Ce contexte posé, la mobilisation anti-Zemmour de certains milieux musulmans s’écroule sous le poids de son insignifiance, elle est juste hors-sujet. On peut ne pas aimer Zemmour, on peut s’indigner de son hostilité assumée à l’égard de l’islam, mais on ne peut pas se dire ami des musulmans et se taire sur le piège maléfique dans lequel nombre d’entre eux se sont laissés enfermer. 

Sortir du piège maléfique

Si j’étais imam, si j’avais la chance d’exercer cette charge en France, je consacrerais ma vie à briser ce piège maléfique. Cela passe avant tout par la reconstruction de la famille musulmane, très abîmée par le choc de l’immigration qui a disqualifié les parents et transféré le pouvoir, matériel et symbolique, chez les plus jeunes. Il est impératif de refaire de la famille musulmane une pépinière irriguée par la plus haute conception de l’éthique et de la rigueur. C’est le manque de principes et la désinvolture face aux parents qui font que tant de gamins choisissent le chemin de la délinquance et stigmatisent d’eux-mêmes les millions d’autres musulmans de France.

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Si j’étais imam, je mènerais une guerre sans relâche aux trafiquants de drogue qui détournent la jeunesse du chemin de l’effort et de l’excellence. Le cannabis et le mode de vie « racaille » sont des ennemis mortels pour la famille musulmane. Bien plus que l’extrême-droite. Rien, absolument rien ne sera réalisé si nous continuons à nous tromper d’ennemis. Dans cinquante ans, nous en serons au même point et nous verrons d’autres autorités officielles de l’islam en France se plaindre du petit-fils de Marion Maréchal, déclaré favori aux élections présidentielles.

Si j’étais imam, je demanderais aux musulmans de faire confiance à Dieu et à son jugement final. Qu’ils donnent à la France ce qu’elle exige d’eux et qu’ils soient assurés de la miséricorde divine. Qu’ils fassent preuve de retenue sur la voie publique, qu’ils admettent que les lois françaises prévalent sur la charia sans craindre le châtiment éternel pour autant. Je leur dirais que si Dieu les a fait venir en France, c’est pour mettre l’islam à l’épreuve de la tolérance et de l’altérité. La providence les a installés à Sarcelles et à Marseille pour réconcilier l’islam avec la démocratie, l’islam avec l’humanisme. Quel beau projet ! Quelle magnifique mission ! 

Si j’étais recteur de la Grande Mosquée de Paris, j’irais au contact des fidèles aux quatre coins du pays, avec un bâton dans ma main gauche pour rosser les voyous et un mouchoir parfumé à l’eau de rose dans ma main droite pour essuyer les gouttes de sueur sur le front des millions de Français musulmans qui « triment » en silence. À mes côtés, j’aurais un tijani venu du Sénégal et un chef de service de neurologie d’origine maghrébine. Le premier incarnera l’islam du sourire, l’islam poétique et lyrique dont personne ou presque ne soupçonne l’existence dans les banlieues françaises, un islam qui rend heureux à la différence de l’islamisme qui, lui, rend méchant. Le second incarnera l’excellence et le savoir, l’équilibre des neurones et de la foi, l’envie de vaincre dans la vie, le refus de la médiocrité du rap et du cannabis. À ce tour de France, je participerais volontiers, je porterais les valises de ces illustres participants et je rendrais grâce à Dieu pour les miracles qui seront accomplis. Oui, des miracles ! Car convertir des jeunes égarés du chemin de la révolte stérile vers celui de l’espoir fécond est un miracle ! Et, en guise de reconnaissance, je réciterais dans mon profond intérieur et sans que personne ne s’en aperçoive… « Allah Akbar ».

L’oligarque russe et le vignoble français

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Pézenas vue générale depuis le Sud-Est en 2013 © Wikimedia Commons

Les sanctions occidentales contre la Russie affectent également l’économie française. En effet, un oligarque russe, Dmitri Aleksandrovitch Pumpyanskiy, visé par les sanctions et possédant un vignoble à Pézenas en Occitanie, voit l’avenir de son domaine viticole et les emplois qu’il a créés en péril.


Envie d’investir dans le secteur du vin, à un prix défiant toute concurrence ? Le Prieuré de Saint Jean de Bébian, un véritable bijou appartenant à un oligarque russe qui a fait l’objet de sanctions, est situé au milieu de 32 hectares de vignes astucieusement entretenues, nichées dans un magnifique coin du sud de la France.

Un tout nouvel atelier de production climatisé est équipé des technologies du dernier cri. Il y a même un restaurant étoilé Michelin où l’on peut accueillir des clients. Dans un village voisin, un château dans un parc clos peut être réservé. Et le tout se trouve à seulement 20 minutes de l’aéroport de Béziers où l’on peut faire atterrir son jet privé.

La France, lieu d’investissement pour de nombreux Russes

Aux abords de Pézenas, commune située dans le département de l’Hérault, le site est depuis 2009 la propriété de l’oligarque russe, Dmitri Aleksandrovitch Pumpyanskiy, bien que plus récemment, il s’est avéré que c’est son fils, Alexandre, 35 ans, qui en serait le véritable propriétaire. Mais l’est-il vraiment ? C’est compliqué.

Beaucoup d’actifs en France appartenant à des oligarques sont en jeu, et certains investisseurs se demandent si ce n’est pas le moment d’en profiter. En théorie, la France a l’air d’être un terrain de chasse propice où trouver des actifs russes ayant fait l’objet de sanctions. Pour un grand nombre d’oligarques – il y en a des centaines – qui sont maintenant sur la liste des sanctions, un appartement chic à Paris et une luxueuse villa sur la Côte d’Azur ont longtemps été des éléments incontournables pour affirmer leur statut social. Pour les plus riches de tous, la terre d’élection est Saint-Barthélemy. Mais qui sont les vrais propriétaires de ces actifs, et sera-t-il possible de les saisir ? Ici également, les réponses ne sont pas évidentes.

Business As Usual

N’est-ce pas plutôt vulgaire ou même immoral de profiter de l’horrible tragédie en Ukraine ? Telle est la question qu’on pourrait raisonnablement poser aux requins qui tournent autour de leur proie éventuelle. Pas du tout ! répondent les requins : c’est au contraire une méthode expéditive qui permet de faire rendre gorge, sur le plan financier, à des gens dont les gains sont au mieux inexpliqués et souvent mal acquis. Mais la situation compliquée du Prieuré de Saint Jean de Bébian est sans aucun doute le reflet d’un problème plus large, car il faut des efforts extraordinaires pour pénétrer les structures de propriété opaques qui entourent ces actifs. Et ce problème n’est pas propre à la France.

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Les cyniques suggèrent que le Prieuré de Saint Jean de Bébian a tout d’une machine à blanchir de l’argent, c’est comme si elle avait une enseigne lumineuse qui l’annonçait ! Ce qui est certain, c’est que c’était avant tout un bon outil pour transformer les tuyaux en acier – ayant fait la fortune de Pumpyanskiy – en une gamme attrayante de vins vendus entre 10 et 40 euros. De plus, l’arrivée de Pumpyanskiy a été un gigantesque coup de pouce économique pour Pézenas. Il s’est montré un investisseur enthousiaste et confiant, faisant construire de nouveaux bâtiments, installant les derniers équipements de vinification à commande numérique, embauchant des vignerons, tout en continuant à diriger son entreprise principale, OAO TMK, un fabricant de tuyaux en acier pour l’industrie pétrolière et gazière.

Patron humain et philanthrope

Pumpyanskiy est loin d’être à la rue, mais ce n’est pas un oligarque de la catégorie supérieure. La valeur de ses avoirs nets a été estimée à deux modestes milliards de dollars. Il possède l’un des yachts transocéaniques les plus compacts, l’Axioma, valant 75 millions de dollars. Le vin semble avoir été sa passion, au point qu’il a investi plusieurs millions dans l’Hérault, sans en avoir retiré le moindre bénéfice, selon des sources crédibles. Il est, d’après tous les témoins sur place, un patron humain qui paie bien, est reconnaissant et prévenant envers son personnel. De plus, c’est un véritable passionné de viticulture.

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Fervent chrétien, il a effectué une magnifique restauration de la chapelle du domaine, vieille de 1 000 ans. Dans le nouveau pavillon, il a installé le chef étoilé Matthieu de Lauzun et créé un petit hôtel de dix chambres, décoré par l’architecte de Marrakech, Raymond Morel. L’ambiance est de bon goût, le restaurant et l’hôtel ont créé encore plus d’emplois, ce n’est rien de moins qu’un splendide effort pour améliorer le tourisme viti-vinicole dans une région qui est loin d’être riche. Que ce soit complètement non rentable est une autre affaire. 

Quel avenir pour l’entreprise de l’oligarque et ses employés ?

Récemment, son fils de 35 ans, Alexander, s’est davantage impliqué dans l’entreprise. Lorsque les Pumpyanskiy sont arrivés, il a acquis une réputation locale de playboy. Il a même réussi à écraser un petit avion en manquant de carburant à l’approche de la piste d’atterrissage de l’aérodrome local, ce qui jette un certain doute sur son bon jugement. Mais malgré tous les ragots sur cette famille, qui faisait leurs visites dans le convoi composé de Mercedes G-Wagons qui caractérise tous les oligarques, l’argent ne manquait jamais pour garder Bébian à flot. Maintenant, son avenir est incertain. La douzaine d’employés est inquiète, leur avenir n’est pas scellé. On m’a dit que Pumpyanskiy, vers le début du mois, avait peut-être utilisé des sociétés offshore pour transférer à la hâte le contrôle du domaine à son gestionnaire français de longue date, en tant que « fiduciaire ». Mais on ne sait pas si ce transfert est juridiquement solide. Ces mesures sont très récentes et on ne sait pas encore quelle va être l’attitude adoptée par les autorités françaises. Un vigneron local me dit qu’il est tout simplement impossible de vendre un domaine aussi rapidement. Selon certains, ce n’est qu’une question de temps avant l’arrivée des inspecteurs. 

L’oligarque et son fils dans le viseur de l’Union européenne

Un pavé a été jeté dans la mare le mercredi 9 mars lorsque l’Union européenne a ajouté le fils, Alexander Pumpyanskiy, à la longue liste des oligarques sanctionnés. La famille est accusée d’avoir « fourni un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie et d’avoir été récompensé par ce gouvernement, responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine ».

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Mais les Russes ont leurs défenseurs. Interrogé par France 3, Benoit Pontenier, directeur français du site, déclare : « Alexander Pumpyanskiy a cédé tous ses actifs pour ne pas nuire à l’entreprise. » En l’absence de plus de précisions, sa déclaration soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Il ajoute que son ancien propriétaire « est un grand homme ». Alexander Pumpyanskiy aura de la chance si, en vendant son domaine, il obtient une fraction de ce qu’il y a investi.

Des sanctions qui feront tache d’huile

Les actifs mobiliers, comme les cinq jets privés et les deux yachts de Roman Abramovitch, sont plus faciles à mettre à l’abri des sanctions occidentales que l’immobilier. Le cas du site de Bébian est la démonstration de ce que les prédateurs sont en train de découvrir : il n’est peut-être pas si simple de mettre la main sur ces avoirs. Et il n’est pas nécessairement vrai non plus que tous les habitants se réjouissent de la mise à mort de la poule aux œufs d’or.

Beaucoup en Europe ont bénéficié du ruissellement de l’argent russe. Encore plus à Londres qu’en France. Ayons une pensée pour les banquiers, les avocats, les agents immobiliers, les vendeurs de yachts et les journalistes qui se sont gavés de tout cet or en provenance de Moscou. Sans oublier l’humble Piscenois pour qui le renouveau du Prieuré de Saint Jean de Bébian a été tout simplement la manne tombée du ciel.


[1]. Cet article est paru en anglais sur le site de The Spectator, le 19 mars 2022

La preuve par Fabien Roussel

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Le candidat communiste Fabien Roussel sur France 2, 24 mars 2022 © ISA HARSIN/SIPA

L’édito politique de Jérôme Leroy


Dans un débat avec Fabien Roussel, Sandrine Rousseau a donné la preuve éclatante qu’il n’y a pas deux gauches irréconciliables… puisqu’elle n’est plus de gauche.

Je me demande pourquoi France 2, le 24 mars, a jugé bon de faire débattre Fabien Roussel avec Sandrine Rousseau dans l’émission politique “Elysée 2022”. Après tout, le candidat des “Jours Heureux” a été le seul ce soir-là à avoir le droit à ce traitement sur son temps de parole et, que je sache, non seulement Sandrine Rousseau n’est pas la candidate verte, mais elle n’est même plus présente dans l’équipe de campagne de Yannick Jadot ! 

Sandrine Rousseau la harceleuse

Le candidat écolo a fini par être lassé du harcèlement permanent de celle qu’il avait battue de justesse aux primaires et qui se croyait autorisée avec son score, à contredire le vainqueur, voire à lui savonner la planche.

Sandrine Rousseau. Capture d’écran France 2

Mais voilà, Sandrine Rousseau dit de telles énormités qu’elle est, pour les médias, une bonne cliente qui a l’avantage, derrière un vernis de modernité, de ringardiser la gauche, en la réduisant à des combats sociétaux qui oublient la logique de classes et qui s’enferme dans des logiques identitaires ou communautaires, de manière étrangement symétrique à Éric Zemmour, à ceci près que ce ne sont évidemment pas les mêmes qu’on érige en victimes. 

Le problème, c’est que la seule façon, à gauche, de défendre les dominés, c’est de les prendre en bloc et de leur montrer où est leur place dans les rapports de production, plutôt du très mauvais côté, surtout avec le programme que prépare Emmanuel Macron pour un second quinquennat. Bref, de faire retrouver une conscience de classe à ceux qui auraient tendance, quand le doigt montre les hyperprofits du CAC 40 en temps de Covid, à regarder le RSA du voisin d’en dessous.

Deux gauches aux priorités différentes

Bref, et cela s’est vu dans ce débat, alors que Sandrine Rousseau estime que la priorité  c’est le partage des tâches ménagères, (au point de créer un délit en cas de non-partage !), Fabien Roussel, lui, se bat pour le partage de la valeur, c’est-à-dire, selon sa formule, « pour que les gros payent gros et que les petits payent petit ». Et en matière d’égalité homme femme, il estime que la priorité, avant toute chose, est l’égalité salariale toujours pas réalisée.

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Plus généralement, on a le droit de s’interroger sur la conception de la « sororité » vue par Sandrine Rousseau. Cette Lilloise n’hésite pas en effet à se faire parachuter dans une circonscription parisienne pour les élections législatives comme nous l’indique Libération, en évinçant la candidate présente depuis de nombreuses années contre l’avis des militants.

Heureux Lillois qui voient Rousseau s’éloigner !

À la question qu’on lui pose sur cette opération, Sandrine Rousseau utilise un argument décisif : « Je n’ai pas envie de répondre à cette question ». C’est sûr que ça clôt le débat assez vite et indique surtout la gêne palpable d’appliquer la bonne vieille politique à la papa, très patriarcale (!) pour le coup… Elle daigne lâcher que c’est surtout parce que son mari et ses enfants travaillent à Paris. On pourra souligner que Madame qui suit Monsieur pour le boulot, c’est une démarche assez peu « déconstruite », et puis ce n’est pas comme si elle était vice-présidente de l’Université de Lille, chargée de la précarité, où par ailleurs, des syndicats pourtant peu enclins à la critique de l’intersectionnalité, comme Sud, ont marqué leur énervement devant son absentéisme. 

Bref, opposer Roussel et Rousseau, ce n’est pas opposer deux gauches irréconciliables, c’est opposer une gauche populaire, laïque et sociale à un courant de pensée qui a fait son deuil du peuple et dont le principal souci est d’imposer de manière plutôt rigide des ajustements comportementaux privés dans une bourgeoisie aisée et progressiste, qui ne souffrirait pas, ou si peu, d’une « sobriété » décroissante. Bref, le contraire du programme des “Jours Heureux”, qui envisage des solutions réalistes, notamment grâce au nucléaire, pour lutter contre les défis qui nous attendent tous et les rendre moins brutaux pour les plus fragiles.

Adieu Poutine!

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Le président russe Vladimir Poutine répond aux questions des lecteurs du journal Komsomolskaia Pravda, 2000 © Vladimir Rodionov / Sputnik via AFP

Si la Russie se sentait menacée, que dire de l’Ukraine !… Poutine croit avoir signé un CDI avec le diable. Et si c’était un CDD ?


Que va devenir l’Ukraine ? Poutine va-t-il reculer devant les ripostes européennes ou bien ne peut-on qu’aggraver sa paranoïa ? A-t-il perdu la confiance des Russes ? Ne fait-il pas courir un risque mortel à l’économie mondiale – ce que ses « amis » chinois ne toléreront pas longtemps ? Je n’ai que des pressentiments – et des questions.

En France ou en Allemagne, Poutine aurait fini en prison, mais la Russie est-elle en Occident ? Dans un pays où le despotisme, de Pierre le Grand à Lénine, a été le suprême outil de la réforme, un petit voyou devenu tsar a réussi à faire croire qu’il était le seul en Russie à avoir une vision de l’avenir et à garantir la stabilité de l’État. À moins d’être un scélérat, personne ne le croit désormais. Sauf peut-être Cyrille de Moscou, le patriarche de l’Église orthodoxe russe, un saint homme, qui bénit les tanks et les avions de chasse avec des larmes – de crocodile !

Connaissez-vous l’Ukraine ? L’air qu’on respire à Kiev n’est pas celui de Moscou : on y parle aussi le russe, on aime Pouchkine et Lermontov, le « poète du Caucase », mais on est déjà en Europe. Oui, au-delà de la propagande, la « Rus’ de Kiev », berceau historique et spirituel de la Russie, est en Europe et elle souhaite y rester – sous une forme qui reste à définir. Poutine n’y peut rien. Ce qui se joue là-bas, comme jadis dans l’Espagne républicaine, c’est l’avenir de l’Europe.

Un autocrate? Un tyran?

Le tyran est un aventurier chanceux plutôt qu’un stratège, et puis un jour la chance le quitte. Il finit mal – étranglé comme Néron ou pendu à un croc de boucher comme Mussolini… Car à force de spéculer sur la peur, à force de devoir sans fin inventer un ennemi pour exister, le tyran devient un ennemi pour lui-même, un fléau pour son peuple – et un danger pour la planète. Quel que soit le dénouement, l’Ukraine sera le tombeau de Poutine – s’il se sent acculé, cela sera aussi le nôtre ! Est-il aussi froid et rationnel qu’on le dit ?

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Dans son pays jusqu’ici, Poutine restait populaire malgré tout. C’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. Car cette fois, Poutine est tombé sur un bec. Forcément, il est fâché. Magicien malgré lui, le maître du Kremlin, en envahissant l’Ukraine, a provoqué le réveil de la conscience européenne. En France, les étourdis qui lui baisaient les pieds baissent les yeux en se tortillant comme des séminaristes surpris dans un bordel : bon d’accord ! Grozny rasée, Alep anéantie, Boris Nemtsov assassiné, c’est mal !

Union européenne: on est là!

Qui l’eût cru ? L’UE qui s’est construite sur le refus de la guerre se met à exister autrement grâce à la guerre. Kiev n’est pas en Tchétchénie, Macron n’est pas Daladier. D’un coup d’un seul, Poutine a fait de la Russie une nouvelle Corée du Nord bornée par l’Amour et le Dniepr ! Déjà la majorité silencieuse, le petit peuple, murmure, la jeunesse des villes défie le pouvoir dans la rue tandis que les oligarques, déjà prêts à déserter, pleurent leurs yachts et leurs villas. Poutine enrage. En un sens, et il est tragique, l’idiot utile, c’est lui.

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Car aujourd’hui qui est le pire ennemi de la Russie ?

Est-ce l’Occident ? Est-ce Joe Biden, ce « vieux gâteux » ? L’Union européenne, l’OTAN ou bien la Suisse qui – on croit rêver – sort de sa neutralité bancaire en appuyant les sanctions de Bruxelles contre les Russes ? Et si c’étaient les instances du foot mondial, si complaisantes hier avec les dictateurs, qui privent les supporters d’une finale de la Champions League à Saint-Pétersbourg et du Mondial au Qatar ? Ou encore ce « repaire de drogués et de nazis » qui à l’ouest de l’Ukraine s’emparent de leur destin et s’autorisent à rêver de démocratie ?

Non, le pire ennemi de la Russie, c’est Poutine.

Une histoire de fous

Ce qui grâce à lui nous est révélé, c’est je ne sais quoi de vil, inhérent au Pouvoir quand il s’arroge le droit de choisir qui doit vivre et qui doit mourir. De quel droit ? Qu’est-ce que la force ? Ce qui fait de l’autre une chose. Nihilisme ? Fascisme ? Comment dit-on : « Viva la muerte ! » en russe ? L’histoire s’écrit comme ça, il n’y en a pas d’autre.

Muré dans son palais, devant les caméras, Poutine dicte des ordres à des collaborateurs balbutiants comme à une bande de volailles à qui il jetterait du pain. Les Russes adorent l’absurde et les fantômes mais quand même, n’est-il pas un peu ridicule ? À sa façon, le président Zelensky, tantôt grave, tantôt hilare, semble dire à Poutine que si un ancien pitre peut devenir un chef de guerre, un chef d’État peut aussi perdre les pédales.

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Little Big Man contre Ivan le Terrible – lequel des deux est le plus seul et le plus fou ?

Il dit ce qu’il fait, il fait ce qu’il dit

J’aime les Russes parce qu’ils ne sont pas comme nous. Plus ils ont mal, plus ils sont forts. Hitler et Napoléon l’ont compris trop tard. Plus ils souffrent, plus ils se ressemblent. Ils ont des idées étranges sur la foi, le mal, Dieu, la Russie. Avec cela, brutaux et mélancoliques, un peu dépressifs, ils semblent veufs de leur destinée, comme Ivan Karamazov et oncle Vania. On a dit qu’en envahissant l’Ukraine, Poutine se trompait d’époque. Eux aussi depuis toujours. Nous aussi peut-être.

Dans une interview réalisée en 2007 en marge du sommet du G8 en Allemagne, Poutine déclarait : « La tragédie, c’est que je suis le seul pur démocrate au monde ! Voyez ce qui se passe en Amérique du Nord, c’est l’horreur !… Voyez ce qui se passe en Europe : les violences contre les manifestants, l’utilisation de balles en caoutchouc, de gaz lacrymogènes. » On dirait du Mélenchon !

Poutine concluait en pouffant de rire : « Depuis la mort du Mahatma Gandhi, je n’ai plus personne à qui parler » ! Il faut oser – il ose. D’ailleurs, en gros, il dit ce qu’il fait, et il fait ce qu’il dit. On ne le croit pas. On devrait. Hitler non plus ne cachait pas ses intentions dans Mein Kampf.