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Perversions intellectuelles : une autopsie

Pourquoi les intellectuels se trompent : le titre du livre de Samuel Fitoussi est à lui seul un programme. Avec une plume acérée et une érudition accessible, l’essayiste interroge les raisons profondes pour lesquelles une partie du monde intellectuel, censé éclairer le jugement public, s’illustre régulièrement par des égarements spectaculaires. Avant de publier ce nouvel essai, Samuel Fitoussi avait signé en septembre 2023 le remarqué, Woke Fiction – Comment l’idéologie change nos films et nos séries (Le Cherche Midi)


Samuel Fitoussi est un chroniqueur souvent amusant, bien connu des lecteurs du Figaro, où il propose chaque semaine une chronique satirique et ironique sur l’actualité politique et sociale. Son style se caractérise notamment par l’usage de la fiction et de la parodie pour commenter nos événements contemporains.​

Ses sujets de prédilection incluent la politique française, les relations internationales, les débats sociétaux et les médias. Par exemple, il a imaginé dernièrement une lettre ouverte d’un fact-checker en colère après l’annonce de Mark Zuckerberg souhaitant renoncer à la vérification de l’information sur ses réseaux sociaux. Il a également proposé le 9 décembre 2024 un discours imaginaire d’Emmanuel Macron aux Français au lendemain de la censure du gouvernement de Michel Barnier, intitulé « Vous ne me méritez pas ».

Une parole sans conséquence : la spécificité de l’intellectuel

L’un des apports les plus intéressants de son ouvrage réside dans la relecture du rôle de l’intellectuel à travers le prisme de l’économie des idées. En mobilisant Thomas Sowell, Fitoussi rappelle que l’intellectuel n’a pas de « skin in the game » : ses erreurs ne lui coûtent rien, à la différence de l’entrepreneur ou de l’artisan. Cette déconnexion du réel expliquerait la facilité avec laquelle des figures aussi prestigieuses que Sartre, Foucault ou Beauvoir ont pu soutenir des régimes meurtriers. Ces errements idéologiques ne sont pas des accidents, mais des symptômes d’un système d’incitations déséquilibrées. « D’un côté, pour un intellectuel, le prix de l’erreur est faible puisqu’il ne subit pas personnellement les conséquences de ses mauvaises idées. De l’autre côté, le prix à payer s’il énonce une vérité peut être élevé dans le cas où celle-ci ne coïncide pas avec ce que les autres estiment être la vérité. »

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L’intellectuel contre sa société : entre posture morale et distinction sociale

Fitoussi analyse longuement la fascination pour l’anti-occidentalisme comme une forme moderne de prestige moral. À la suite de Roger Scruton, il parle d’oikophobie, ce rejet systématique de sa propre culture, souvent au profit d’utopies lointaines. Steven Pinker complète cette analyse : dans la concurrence symbolique pour la reconnaissance, critiquer son propre camp serait devenu le meilleur raccourci pour briller. Quant au catastrophisme (immigration, climat…), il n’est plus une alerte, mais un marqueur de distinction.

Une indulgence asymétrique : les fautes de la gauche mieux tolérées ?

L’auteur avance par ailleurs l’idée que la critique intellectuelle française souffre d’une asymétrie morale : les erreurs de la gauche seraient perçues comme des dérives exceptionnelles, tandis que celles de la droite seraient vues comme des manifestations de son essence (on ira voir à ce titre la p. 111). Ce biais culturel rendrait certaines figures intouchables, malgré leurs égarements. Samuel Fitoussi y voit un fonctionnement en vase clos, où le regard des pairs prime sur la recherche de vérité.

Rétablir l’exigence intellectuelle

Mais loin de se limiter à une dénonciation, le livre plaide pour un redressement des exigences. Fitoussi rend hommage aux figures de lucidité qui inspirent ses réflexions : Raymond Aron, George Orwell, Jean-François Revel. Il ne s’agit pas d’être anti-intellectuel, mais de demander aux intellectuels de retrouver leur rôle critique, adossé à la confrontation avec le réel, plutôt qu’à la seule quête de reconnaissance.

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Un livre salutaire, mais à lire avec recul

Pourquoi les intellectuels se trompent est un essai stimulant, parfois provocateur, qui bouscule confortablement les certitudes du monde académique. Il pose les bonnes questions, même si certaines réponses gagneraient à être davantage nuancées.

En effet, l’ouvrage met l’accent sur la responsabilité individuelle des intellectuels dans la propagation d’idées erronées. Cependant, les médias, les maisons d’édition et les institutions académiques jouent également un rôle crucial dans la diffusion et la légitimation de ces idées. Une analyse plus complète inclurait ces acteurs pour comprendre comment certaines idées gagnent en influence malgré leurs failles. Tout ne repose pas sur les épaules des intellectuels. Une idée pour un prochain volume ?


Pourquoi les intellectuels se trompent, Samuel Fitoussi, éditions de l’Observatoire, 270 pages.

Pourquoi les intellectuels se trompent

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Drapeaux en berne: la France en fait-elle trop?

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La décision du gouvernement français d’autoriser samedi prochain la mise en berne des drapeaux pour la mort du Pape fait grincer quelques dents, des voix estimant que cela contrevient au principe de laïcité. Alors que les conservateurs et les croyants sont évidemment ravis… La France, souvent qualifiée de « fille aînée de l’Église », devrait-elle adopter une neutralité plus stricte envers toutes les religions, sans exception ?


Accusée d’être une « laïcarde » par des conservateurs, Elisabeth Lévy précise sa position. On n’est pas laïcard parce qu’on questionne les drapeaux en berne pour le Pape ! Oui : la laïcité est à géométrie parfois variable et c’est pour cela qu’il est intéressant d’en discuter sans s’écharper. Nous vous proposons d’écouter son intervention.


Les drapeaux seront en berne samedi à l’occasion des obsèques du Pape François et cela déplait à certains. Avait-on besoin de cette petite polémique ? Pourquoi « petite » ? J’en ai marre qu’on disqualifie toute discussion autour de sujets parfaitement légitimes et intéressants. Ce qui rend le débat public ennuyeux, c’est précisément qu’on prétende faire taire les divergences. Le conflit, c’est la vie et c’est l’esprit des Lumières.

La laïcité française en berne ?

La laïcité française est une singularité souvent mal comprise à l’étranger, un élément important de notre identité, donc un sujet de débat légitime – il n’y a rien de petit là-dedans. De plus, on le voit tous les jours, la laïcité est en débat permanent en France, donc sujet à interprétations.

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On n’est pas laïcard ou laïciste parce qu’on questionne l’opportunité des drapeaux en berne. Lors de la mort de Jean-Paul II, François Bayrou, fervent catholique, y était opposé. Je ne lui fais pas de procès : le Premier ministre a bien le droit d’avoir changé d’avis. Alexis Corbière (LFI) n’a pas insulté le Pape ni les catholiques : il trouve normal que le président de la République lui rende hommage, mais les drapeaux c’est un peu trop selon lui. Excusez-moi, mais je suis un peu d’accord.

« Je suis en total désaccord, car la laïcité a des principes. Il est normal que le chef de l’Etat ait rendu hommage au pape. Mais nous n’avons pas à marquer une forme de laïcité à géométrie variable, c’est-à-dire que quand une autorité religieuse meurt, on met des drapeaux en berne, mais on ne le fait pas pour d’autres cultes » a déclaré le député d’extrème gauche Alexis Corbière au micro de France info le 22 avril. DR.

De là à nier que la France est un pays de tradition et de culture catholique… Certainement pas !

Le christianisme – et le catholicisme  – est évidemment l’une des premières sources, sans doute la première, de notre identité. Le catholicisme irrigue l’art, les paysages et l’esprit français. Mais aussi probablement notre façon de manger, ou notre rapport à l’argent. Voilà pourquoi comme culture et pas comme culte, il doit avoir une certaine préséance dans notre pays. C’est par exemple bien normal qu’en France Pâques ou Noël soient fériés et pas Kippour ou l’Aïd. Cette reconnaissance de l’histoire me va très bien.

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Mais un pays de tradition catholique n’est pas un pays catholique. Certains de mes amis catholiques regardent avec envie l’Amérique, son président qui jure sur la Bible et son actuel vice-président catho de choc J.D. Vance. Navrée, mais je préfère la séparation à la française qui est plus stricte. Entre Dieu et César, la partie n’est pas égale : s’agissant des affaires de la cité, c’est César qui décide. Et on a même le droit de se moquer de lui ! L’esprit de la laïcité (pas la loi), c’est tout de même une certaine discrétion. Dans l’espace public, on ne la ramène pas avec ses croyances. On ne prie pas au milieu de la rue. Souvenons-nous que quand de Gaulle allait à la messe en tant que président de la République, il ne communiait pas alors qu’il était pourtant également un fervent catholique.

Notre « petit » débat sur les drapeaux est intéressant car la laïcité n’est donc pas une science exacte. C’est une question de curseur. Les crèches dans les mairies ne me posent aucun problème (c’est une tradition, une culture, et je traiterais peut-être à mon tour de laïcards ceux qui semblent obsédés par leur présence chaque année). La mention de nos racines chrétiennes, c’est très bien. Mais les drapeaux, c’est l’expression de la France officielle. Et je ne vois vraiment pas pourquoi on les met en berne pour François, il n’y a aucune raison. D’autant plus que, comme chef d’Etat, François n’était pas un grand ami de la France.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio.

https://www.youtube.com/watch?v=8SYYxfcrnQY

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Hep là, retraité! T’as pas cent balles?

Impôts. Amélie de Montchalin a dit tout haut ce que la macronie pense et désire tout bas, selon Le Parisien. En envisageant de supprimer l’abattement de 10% dont bénéficient les séniors, le gouvernement pourrait lever un véritable « tabou ». Des cibles commodes, dénoncent de concert le RN et les Insoumis, qui n’excluent pas une censure du gouvernement si une telle piste d’économies continuait d’être étudiée.


« On ne peut pas indéfiniment mettre à contribution les actifs pour financer les nouvelles dépenses sociales liées au vieillissement1 » a déclaré Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, cherchant à justifier la possible suppression de l’abattement fiscal de 10% en faveur des séniors. « Pas question, se cabre Laurent Wauquiez, patron des députés LR, coupons d’abord dans les dépenses publiques,  notamment l’assistanat ». « C’est juste une piste, mais tout est ouvert », tempère-t-on dans l’entourage de la ministre devant la levée de boucliers. Fidèle à lui-même, le Premier ministre laisse dire et s’en remet aux partenaires sociaux…

L’imagination au pouvoir

Les génies de Bercy, de Matignon et les rescapés de la macronie encore au gouvernement et aux assemblées, radicalement réduits à la mendicité, seraient donc tout disposés à faire les poches de leurs aînés. La cible du jour, en effet, les retraités. En cause, l’abattement fiscal de 10% dont ils bénéficient depuis quelque chose comme un demi-siècle.

Ce seraient, nous assurent ces éminents comptables – la situation actuelle de nos finances suffit à elle seule à situer leur niveau de compétence en la matière – quatre milliards de recettes supplémentaires pour l’État.

Ah, la belle trouvaille ! En voilà une idée qu’elle est bonne, s’extasierait Coluche ! Taper sur les retraités : l’imagination au pouvoir, vous dis-je !

Au passage, on aimerait beaucoup savoir ce que c’est qu’un retraité dans l’esprit de ces gens. Madame la ministre du Budget, en première ligne sur ce coup tordu, a l’excuse de son relatif jeune âge, mais les autres, le Premier ministre par exemple…?

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Là encore, comme si souvent, comme toujours, il semble bien que la réalité concrète du sujet leur échappe totalement. Car, avant d’avancer de formidables idées comme celle-ci, ne devraient-ils pas faire entrer dans leurs savants calculs certains paramètres que manifestement ils ignorent. Ou pire, méprisent.

Qui, dans une notable mesure, fait vivre le monde associatif à la française, si ce n’est – le plus souvent à bourse déliée – le retraité?

Qui, dans cette merveilleuse société où le chômage culmine plus haut qu’ailleurs et où l’entrée dans la vie active n’est pas qu’un fleuve tranquille, qui, disais-je, soutient financièrement enfants et petits-enfants, cela de plus en plus fréquemment jusqu’à l’âge adulte, ou davantage quand ce malin plaisir en vient à se prolonger?

Qui sont, en général, parmi les premiers contributeurs au financement des études de celles et ceux qui seront demain les cadres de la nation, constitueront les forces vives du pays?

Défaillances

Qui fait office de crèche, de garderie, d’agent de ramassage scolaire là où – pour changer un peu – les services de l’État et de la collectivité sont défaillants?

Qui, se trouvant dépositaire d’une part non négligeable du patrimoine bâti de nos villes, villages et campagnes en assure la préservation, la transmission, l’entretien, la charge et la responsabilité, faisant vivre ainsi tout un secteur économique, l’artisanat du cru en particulier?

Qui éprouve encore – mais jusqu’à quand ? – suffisamment d’attachement au pays, à la nation, à la République pour accomplir avec constance son devoir de citoyen en allant voter?

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Et qui – si on en venait malgré tout à taxer les cent balles de la mendicité gouvernementale, à piquer les 10% en question – qui ne se sentirait pas pour autant autorisé à aller foutre le bordel dans les quartiers et les rues, à saccager les banques et les commerces, à cogner à l’envi sur du flic et du gendarme, à incendier la médiathèque ou la Sécu? Oui qui?

À chacune de ses questions, une seule et même réponse : le retraité.

Alors il me semble que ces fichus 10% qu’on veut aller chercher dans sa poche, il les mérite amplement.

Il mérite surtout qu’on lui foute un peu la paix. Le président Pompidou disait avec une sagesse de fin lettré issu des campagnes profondes du  Cantal : « Il faut cesser d’emmerder les Français ». L’injonction vaut aussi et surtout, me semble-t-il, pour ceux que – avanie supplémentaire – ces messieurs-dames des ministères et autres économistes experts ont le front de qualifier « d’inactifs ».

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  1. https://www.leparisien.fr/politique/amelie-de-montchalin-un-debat-est-lance-sur-le-financement-de-notre-modele-social-tout-est-sur-la-table-19-04-2025-64ADNJJFMVFJ5HYLEHB7X3DKI4.php ↩︎

Dérégulation des jeux en ligne aux États-Unis: un pari risqué

Depuis leur légalisation par une décision de la Cour suprême en 2018, les paris sportifs sont désormais permis dans une trentaine d’États. En quelques années, des États comme l’État de New York ont récolté des fortunes en recettes fiscales


Depuis 2018, les États-Unis connaissent une transformation en profondeur du secteur des jeux d’argent, à la faveur de la légalisation progressive des paris sportifs en ligne. Trente États ont aujourd’hui adopté des cadres légaux permettant à une industrie numérique puissante de s’implanter à grande échelle. Ce développement rapide ne s’est pas produit spontanément : il résulte d’un long processus, marqué par des débats juridiques, des luttes intenses de lobbying et des repositionnements d’acteurs historiques du jeu.

Le PASPA et le monopole du Nevada

Jusqu’à la fin des années 2010, les paris sportifs restaient en grande partie interdits sur le territoire américain, en vertu du Professional and Amateur Sports Protection Act (PASPA) de 1992. Si le Nevada (l’État des villes de Las Vegas et Reno) bénéficiait d’une exception légale, la majorité des joueurs passait par des plateformes offshore, hébergées dans des juridictions permissives. Ces sites, accessibles mais non régulés, représentaient un marché estimé à plusieurs dizaines de milliards de dollars par an, sans contrôle étatique ni protection des consommateurs.

C’est l’État du New Jersey (l’État de la ville d’Atlantic City) qui, par un recours juridique lancé en 2011, finit par provoquer le basculement. Quelques années plus tard, le 14 mai 2018, la Cour suprême des États-Unis rend un arrêt (Murphy v. NCAA).

Dans l’affaire Murphy v. NCAA (anciennement Christie v. NCAA), l’État du New Jersey, représenté initialement par le gouverneur Chris Christie puis par son successeur Phil Murphy, cherchait à contourner le PASPA. Le New Jersey souhaitait revitaliser son industrie des jeux à Atlantic City en autorisant les paris sportifs, ce que contestèrent plusieurs ligues sportives professionnelles. La National Collegiate Athletic Association (NCAA), la National Football League (NFL), la Major League Baseball (MLB), la National Basketball Association (NBA) et la National Hockey League (NHL) craignaient que cette libéralisation ne nuise à l’intégrité des compétitions.

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Le cœur du litige reposait sur une question constitutionnelle : le Congrès, en adoptant le PASPA, avait-il outrepassé ses pouvoirs en interdisant aux États de modifier leur propre législation sur les jeux ? Dans sa décision rendue à une majorité de six voix contre trois, la Cour suprême des États-Unis a donné raison au New Jersey. Le juge Samuel Alito, rédacteur de l’opinion majoritaire, a estimé qu’en « donnant des ordres directs aux législatures des États », le PASPA violait le dixième amendement de la Constitution. Cette décision n’a pas rendu les paris sportifs légaux au niveau national, mais elle a levé l’interdiction fédérale, permettant à chaque État de choisir d’autoriser ou non cette activité. Ce jugement n’impose pas la légalisation des paris sportifs, mais il en ouvre la possibilité à l’échelle des États. Le paysage juridique est alors bouleversé : dès 2019, plusieurs États mettent en place une régulation formelle, ouvrant la voie à une croissance rapide du marché.

Une coalition hétérogène d’intérêts

La légalisation des paris sportifs a été portée par une coalition variée d’acteurs. L’American Gaming Association (AGA), avec son président d’alors Geoff Freeman, a joué un rôle moteur dans la promotion d’une régulation plus permissive (ou « plus moderne », selon eux). Il est intéressant de noter que, lors de l’affaire Murphy v. NCAA, plusieurs ligues sportives professionnelles s’étaient officiellement opposées à la légalisation des paris sportifs par le New Jersey. Pourtant, cette opposition juridique masquait des positions plus nuancées. Dès 2014, la NBA, sous l’impulsion d’Adam Silver, s’était exprimée en faveur d’une légalisation fédérale régulée, considérant qu’une interdiction n’était ni réaliste ni efficace face à la prolifération du marché noir. La MLB et la NHL ont, elles aussi, évolué rapidement après la décision de la Cour suprême, reconnaissant les potentialités commerciales d’un cadre légal. En quelques mois, ces mêmes ligues ont noué des partenariats avec des opérateurs de paris, participant ainsi à la structuration du nouveau marché. Ce retournement stratégique illustre combien la position des institutions sportives était moins fondée sur un refus de principe que sur la volonté d’encadrer et d’influencer les conditions d’une légalisation désormais inéluctable.

En parallèle, certains acteurs majeurs de l’industrie du jeu, notamment issus du modèle traditionnel des casinos physiques, ont manifesté une vive opposition. C’est le cas de Sheldon Adelson, magnat de Las Vegas Sands. Farouchement opposé aux jeux d’argent en ligne, qu’il considérait comme moralement et socialement problématiques, Adelson a financé d’importantes campagnes en faveur du projet de loi Restore America’s Wire Act, visant à interdire le jeu en ligne à l’échelle fédérale. Malgré son influence, ces efforts n’ont pas abouti. La perception publique, de plus en plus favorable à une régulation encadrée, conjuguée aux intérêts économiques croissants pour les États, a pesé plus lourd que la résistance de certains acteurs traditionnels.

En 2024, les paris sportifs en ligne ont généré 13,7 milliards de dollars de revenus aux États-Unis. Certains États ont tiré un bénéfice direct de cette dynamique. La Pennsylvanie a ainsi perçu plus de 250 millions de dollars de taxes, tandis que New York, avec un taux de 51 % sur les revenus bruts des opérateurs, a dépassé les 900 millions de recettes fiscales annuelles. Ces fonds ont été mobilisés pour financer divers services publics, allant de l’éducation aux infrastructures.

Parallèlement à cette expansion économique, les études rapportent une augmentation des indicateurs liés à l’endettement personnel et aux comportements de jeu problématiques. Des données récentes publiées par le Journal of the American Medical Association (JAMA) confirment les préoccupations liées à la banalisation des paris sportifs en ligne. Une étude a observé une augmentation significative des recherches sur Internet liées à l’addiction au jeu dans les États ayant légalisé les paris. Cette corrélation entre l’accessibilité numérique et les comportements problématiques suggère que la démocratisation des plateformes ne s’accompagne pas toujours d’une prise de conscience des risques. Par ailleurs, une publication dans JAMA Psychiatry a mis en lumière l’existence d’un phénomène inquiétant : les individus pratiquant régulièrement les paris sportifs présentent un risque accru de troubles liés à la consommation d’alcool. Ces résultats renforcent l’idée que les paris en ligne ne relèvent pas seulement d’une question de régulation économique, mais posent également un véritable enjeu de santé publique.

L’influence de la publicité et des opérateurs

L’un des vecteurs de cette généralisation réside dans l’investissement publicitaire massif des opérateurs. DraftKings, FanDuel ou BetMGM ont consacré des centaines de millions de dollars à des campagnes mettant en avant des offres promotionnelles, souvent relayées par des célébrités sportives. Ces messages, largement diffusés lors des grands événements, contribuent à inscrire le pari sportif dans une forme de normalité culturelle, voire de prolongement du spectacle sportif lui-même.

Les effets de cette évolution se font également sentir sur les pôles traditionnels du jeu. À Las Vegas, les casinos enregistrent une légère baisse des mises sur les paris sportifs, tandis qu’Atlantic City voit ses revenus croître principalement grâce aux jeux en ligne. Pour s’adapter, les établissements investissent dans la modernisation de leurs espaces, dans des activités complémentaires, ou dans des projets familiaux visant à diversifier leur clientèle.

Les cadres réglementaires américains restent encore hétérogènes, et de nombreux États n’imposent pas de limites strictes sur les montants misés ni sur la publicité. D’autres pays ont adopté des approches plus encadrées. En Allemagne, la législation impose des exigences renforcées sur la protection des joueurs. Au Royaume-Uni, les autorités ont récemment freiné un projet d’assouplissement réglementaire en raison de préoccupations sociales. Le Brésil renforce également ses contrôles après une phase de libéralisation rapide. En Chine, les jeux d’argent sont largement interdits, ce qui limite le développement du secteur en ligne, hormis dans la région de Macao. Cependant, le Canada présente une approche originale.

Depuis l’ouverture de son marché aux jeux d’argent en ligne en avril 2022, l’Ontario s’est imposée comme un modèle de régulation, conjuguant croissance économique, gouvernance indépendante et protection des joueurs. Ce développement contrôlé illustre une volonté politique claire : encadrer plutôt qu’interdire.

Le modèle ontarien : encadrer plutôt qu’interdire

La création d’iGaming Ontario (iGO), devenue en 2024 une entité indépendante de la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario (AGCO), marque une étape clé. Cette séparation institutionnelle répond à un objectif de transparence et de meilleure supervision, en éliminant les éventuels conflits d’intérêts entre autorité de régulation et exploitant public. Ce cadre a permis au marché de se développer rapidement : en février 2025, les mises totales ont dépassé 7 milliards de dollars canadiens, principalement dans les jeux de casino, mais aussi dans les paris sportifs qui progressent de manière continue.

Toutefois, des questions demeurent, notamment celle de l’ouverture du marché au niveau international. La Cour d’appel de l’Ontario doit bientôt statuer sur la légalité du partage de liquidités avec des joueurs étrangers, un enjeu crucial pour le développement du poker en ligne.

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L’approche canadienne toute comme celle adoptée par les grandes ligues sportives américaines face à la légalisation des paris en ligne illustre un dilemme stratégique plus large, auquel sont aujourd’hui confrontées de nombreuses institutions publiques ou privées : faut-il s’opposer frontalement à une dynamique perçue comme inévitable, ou chercher à l’encadrer de l’intérieur en espérant en limiter les effets tout en en tirant parti ? Dans un premier temps, les ligues ont défendu une posture d’opposition, mobilisant des arguments liés à l’éthique du sport et à la préservation de son intégrité. Mais dès que le cadre juridique a changé, leur position a évolué.

Ce renversement n’a rien d’anecdotique. Il signale une reconnaissance implicite : lorsque les pratiques sociales s’imposent en dehors des cadres légaux, les exclure purement et simplement revient souvent à perdre toute capacité d’action sur elles. En embrassant la régulation plutôt que l’interdiction, les ligues ont non seulement retrouvé une forme de maîtrise sur le phénomène, mais ont également contribué à structurer un marché plus transparent. Cela ne signifie pas que les risques ont disparu, mais que l’opposition rigide cède progressivement la place à une stratégie plus pragmatique.

Enfin, l’approche américaine de la régulation des paris sportifs en ligne semble largement inspirée d’un principe implicite de type caveat emptor, où la responsabilité individuelle prime sur l’intervention publique. L’idée dominante est que le consommateur est libre de ses choix, même risqués, et que le rôle de l’État n’est pas de restreindre l’offre, mais d’en encadrer les abus les plus flagrants. Cette vision contraste avec celle, plus protectrice voire paternaliste, adoptée dans de nombreux pays européens, où la régulation anticipe davantage les effets sociaux et cherche à limiter les incitations au jeu excessif.

En politique, mêlons-nous de ce qui ne nous regarde pas…

Notre chroniqueur passe en revue les différentes formations politiques nationales, lesquelles se mettent progressivement en ordre de marche pour l’élection présidentielle. S’il vote à droite, il ne s’interdit pas de distribuer bons et mauvais points à gauche, au centre ou aux extrémités de notre merveilleux « arc républicain ».


Un citoyen conscient de ses devoirs s’intéresse naturellement à la vie démocratique de son pays. Pourtant, dans l’actualité quotidienne, il me semble que trop souvent il demeure enkysté, sur le plan politique, dans sa sphère partisane. Il a son champion ou sa championne et n’en démord pas. Alors qu’on pourrait espérer, au contraire, une infinie curiosité de sa part et une envie de se mêler de ce qui ne le regarde pas.

Je n’ai jamais compris pourquoi le passionné de politique ne se sentait pas frustré à l’idée de n’avoir pas une sorte de droit de regard universel sur l’ensemble des débats agitant les partis et, partant du sien, de se construire la République qu’il souhaiterait. D’autant plus qu’il pourrait faire preuve à la fois d’objectivité – il ne serait pas concerné – et de lucidité : il ne serait pas ligoté par des liens et des dépendances internes.

Une bonne droite

Les arbitrages qu’il aura à effectuer auront des conséquences importantes, ils engageront notre pays sur des chemins contrastés, désastreux pour peu qu’ils soient mal avisés.

Commençons par le 16 mai. Si Bruno Retailleau n’est pas élu président de LR, quelle que soit la permanente invocation du duo, et non pas du duel, par Laurent Wauquiez, le premier se verrait réduit à la portion congrue et le second serait en charge de l’essentiel.

Le passé est trop clair pour qu’on puisse hésiter sur la personnalité à promouvoir et la ligne à adopter. Laurent Wauquiez n’a pas cessé de faire prévaloir ses intérêts personnels, lors de la composition des gouvernements, avant ceux de son parti et des possibles ministres sollicités. Je suis persuadé que l’action ministérielle de Bruno Retailleau, loin d’être un handicap, apparaît de plus en plus comme la démonstration qu’une vraie droite est en train, sortant de sa molle léthargie et de ses divisions artificielles, de redevenir une espérance et de susciter le désir.

Gauche plurielle

Les socialistes comprendront, lors de leur futur congrès, que leur regain dans l’opinion n’a tenu qu’à la revendication de leur ancrage social-démocrate avec leur libération de l’emprise de LFI et de la domination malsaine de Jean-Luc Mélenchon sur la gauche et l’extrême gauche. Il est capital que ses adversaires s’unissent pour faire revenir un parti socialiste pleinement autonome capable de résister à la tentation facile des unions électorales. Peu importe qui le dirigera pour peu que son projet soit celui-là et pas seulement de servir le dessein de François Hollande impatient de rattraper le temps perdu.

Chez les écologistes, si Marine Tondelier éprouve beaucoup de plaisir à passer à la télévision, comme le lui a reproché un anonyme de la direction, ce ne semble pas être un motif suffisant pour ne pas envisager un concurrent ou une concurrente. On dit qu’elle est favorite, lors du prochain congrès, pour se voir renouveler comme secrétaire nationale mais on a le droit de supposer qu’en dehors de Sandrine Rousseau qui la critique, d’autres ambitions pourraient se manifester. (Elle a été largement réélue comme secrétaire nationale : on la verra encore plus à la télévision!).

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À LFI, la garde rapprochée de Mélenchon tient bon et il y a quelque chose de pathétique dans cette fidélité qui s’obstine alors qu’elle sait que son « Lider » est voué à l’échec en 2027. La peur ou l’admiration la motivent-elles ? Ce n’est pas en tout cas la migration de François Ruffin avec ses limites politiques et son talent de cinéaste qui pourra les détourner de Mélenchon qui exerce une fascination par son emprise et sa culture et par l’habilité paternelle avec laquelle il gère les uns et les autres, les laissant libres mais sous condition d’inféodation.

Il y a Fabien Roussel au parti communiste et un sondage récent l’a mis à un niveau inespéré. Mais tout tient à sa personnalité et rien à son programme. Ce qu’il n’a pas de communiste séduit et quand il se résout à proclamer qu’il l’est, il baisse.

Plan B

Au Rassemblement national, la probabilité de Marine Le Pen candidate en 2027 n’est pas totalement à écarter mais peu plausible. Jordan Bardella est, paraît-il, le successeur naturel. Il a cherché à se vieillir mais il reste incurablement jeune. La comparaison avec l’Emmanuel Macron de 2017 n’a pas grand sens compte tenu du passé étatique de ce dernier quand il s’avance sur la scène de la joute présidentielle. Jordan Bardella, à marche forcée, se construit une personnalité, un savoir, une culture, une souplesse dans l’expression, une profondeur dans la pensée, des développements et une rigidité moins scolaires, cet homme n’est pas médiocre, il est méritant. Mais cela ne suffit pas. Il n’est pas fini, ceci dit sans la moindre dérision, contrairement à ce qu’Éric Zemmour avait fustigé chez Emmanuel Macron. On ne peut pas souhaiter que la présidence de la République soit la continuation d’une formation alors qu’elle devrait en être l’aboutissement. Le RN ne changera rien mais il devrait s’interroger.

Édouard Philippe sera candidat en 2027. Il était très apprécié des Français et le président Macron jaloux de sa popularité l’a fait partir dans des conditions peu dignes. Depuis qu’il mène son trajet à sa manière pour conquérir le Graal, il est toujours bien placé mais son juppéisme foncier décourage. On ne parvient pas à le croire quand Christophe Béchu nous annonce, de sa part, « des réformes massives ». Déjà, s’il en fait d’utiles, ce serait bien !

À Reconquête!, deux intelligences, deux personnalités dissemblables, deux talents, l’un avec une dureté inflexible, l’autre avec une conviction souriante, mais le même programme. Lequel ira ? Elle nous a déclaré que ce serait lui. J’attends la suite avec impatience. Il n’est pas fait pour suivre. Elle n’est plus faite pour suivre.

Si on ne se mêle pas en politique de ce qui ne nous regarde pas, on ne comprend pas, on n’espère rien, on est exclu. La démocratie est un immense champ où tout le monde a le droit de jouer. De sortir de chez soi pour aller voir ailleurs. De la même manière que les affaires, c’est l’argent des autres selon Alexandre Dumas fils, la République, c’est l’affaire de tous.

Le trumpisme, un mouvement contre-révolutionnaire?

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L’élection de Donald Trump et sa politique disruptive aux États-Unis marquent un tournant décisif dans le processus de mondialisation. Elles incarnent une réaction directe à l’indifférenciation généralisée que les élites politiques ont encouragée pendant des décennies.


C’est une petite vidéo passée inaperçue, retwittée par Elon Musk fin février. Dans celle-ci, l’historien et commentateur Victor Davies Hanson se plaignait que le trumpisme soit associé à une révolution. « Ce n’est pas une nouvelle révolution. C’est une contre-révolution, un retour en arrière contre les excès de la gauche, une restauration de ce qui a fonctionné ».

La tech passe à droite !

Peu porté sur la politique jusque ces deux dernières années, l’entrepreneur star du spatial a opéré un revirement spectaculaire, jusqu’à afficher un soutien plein et entier au candidat Donald Trump pendant la campagne présidentielle américaine. Le 18 septembre, il expliquait sa position sur X : « Les démocrates ont tellement basculé à gauche que les républicains, avec tous leurs défauts, apparaissent aujourd’hui comme le choix des modérés ». Il récidivait quatre jours plus tard : « La gauche a perdu les pédales et les républicains sont les seuls à rester au milieu. Les gens le voient ». Elon Musk affirme régulièrement que le Parti démocrate s’est extrémisé, et cela l’inquiète : « Je n’ai pas bougé – ce sont eux qui ont bougé » écrivait-il encore début mars.

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Que reproche Elon Musk à la gauche américaine ? On peut citer pêle-mêle l’ouverture des vannes de l’immigration illégale durant les années Biden, accusée de déstabiliser le pays, l’offensive sur la question du genre sexué et plus généralement ce qu’il appelle le « virus de l’esprit woke », le malthusianisme profond du clan progressiste, et l’étatisme dont il serait porteur. Cette conscientisation politique tardive est consécutive à la censure profonde de l’information qui s’est installée aux États-Unis et chez ses alliés à partir de l’année 2020, qui l’avait incité à racheter le réseau Twitter en 2022 non sans une prise de risque financière.

« Des politiciens malades et radicaux »

S’il est devenu incontournable dans les médias, le fondateur de SpaceX et de Tesla n’est qu’un élément tardif de cette profonde révolte conservatrice et libertarienne qui a cours en Amérique. Celle-ci part de loin – on peut remonter au mouvement Tea Party qui avait pris de l’ampleur il y a une quinzaine d’années – et elle s’organise autour d’un homme : Donald Trump. Souvent présenté comme un simple businessman à la faconde facile, le président des États-Unis est aussi porteur d’une pensée politique structurée, que ses diatribes cachent à la perspicacité de nombreux analystes. Ses attaques contre ses adversaires ont rarement été relevées de ce côté-ci de l’Atlantique alors qu’elles révèlent beaucoup de sa pensée. Écoutons-le en meeting dans le Michigan en avril 2022 : « Ensemble nous nous levons contre certaines des forces les plus sinistres et des opposants les plus vicieux que notre pays ait jamais vus. Malgré tout ce que vous entendez à propos de la Chine, de la Russie, de l’Iran et d’autres, notre plus grand danger ne provient pas de l’extérieur mais des politiciens malades et radicaux qui ont voulu détruire notre pays en toute connaissance de cause ».
Simple effet de manches ? Non pas, car l’homme dénonce depuis près de dix ans ceux qu’il appelle les « mondialistes ». En juin 2016, il critiquait ouvertement la voie empruntée par sa principale opposante, et affichait un choix clair : « Hillary [Clinton] dit que les choses ne peuvent pas changer. Je dis qu’elles doivent changer. Il faut choisir entre l’américanisme ou son mondialisme corrompu ». Devenu président des États-Unis, il récidivait en 2017 pour son premier discours à la tribune des Nations Unies, dans lequel il visait « les accords de commerce multinationaux géants, les tribunaux internationaux irresponsables et les bureaucraties globales puissantes ».

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Révolution, contre-révolution, mondialisme, forces radicales… Quoique l’on pense des manières du président américain et des mesures du Parti républicain, ces mots décrivent une réalité largement ignorée dans le débat médiatique en France. Depuis des décennies en effet, dans nos pays occidentaux, dirigeants, intellectuels ou financiers appellent à une refonte complète de notre société et de son cadre politique. Ils parlent publiquement de révolution, de planification et de centralisation mondiale, de transformations sociétales. On trouve ces aspirations dans des think tank puissants, depuis le très malthusien Club de Rome, qui invoquait en 1972 déjà une « révision de la fabrique entière de nos sociétés actuelles », jusqu’au Forum de Davos et son désir affiché de « Grande Réinitialisation » (2020). On les rencontre chez de nombreuses personnalités, parfois à des postes hautement stratégiques, comme la présidence de la Banque Centrale Européenne ou l’administration de l’ONU. L’analyse de leurs discours et de leurs écrits révèlent une tournure d’esprit particulière, portée par le besoin impérieux d’englober le tout du regard, happée par des fantasmes d’unicité et d’indifférenciation sociétale, mais aussi fascinée par les chocs et les crises.

Un processus révolutionnaire mal identifié

L’opinion commune part du postulat que le temps des grandes idéologies politiques s’est refermé avec le XXème siècle et la chute de l’Union soviétique. L’heure serait au pragmatisme ou aux seuls intérêts économiques. Mais une analyse attentive contrevient à cette impression. Si l’Internationale communiste s’est écroulée avec la puissance qui la portait, des structures proches ont pris le relais, à l’instar de la IIème Internationale – la socialiste.
L’actuel Secrétaire général de l’ONU, le Portugais Antonio Guterres, l’a présidée entre 1999 et 2005, et le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, très en pointe sur les questions d’immigration ou de transgenrisme, en est à sa tête aujourd’hui. Le Parti travailliste anglais de Keir Starmer est un membre historique de la IIème Internationale, tout comme le mouvement politique de l’ancien Secrétaire général de l’OTAN, le norvégien Jens Stoltenberg. En 2013, afin de rénover son idéologie et élargir sa base, l’Internationale socialiste a lancé l’Alliance progressiste, un mouvement qui professe rien moins qu’un programme de « transformation socio-écologique ». Outre-Atlantique, le Parti démocrate avait intégré l’Alliance, ce qui officialise le tournant radical qu’il a pris dans la décennie passée.

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Et la France ? La patrie de la Révolution reste très bien placée dans le concert universaliste. Ces quarante dernières années, de nombreux responsables dans notre pays ont appelé à la suppression des frontières, au mélange des populations et à l’interdépendance économique, autant d’évolutions désignées comme un préalable à l’établissement d’un monde nouveau. De l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce Pascal Lamy prônant l’instauration d’une « Démocratie-Monde » à Christine Lagarde et ses multiples appels au « reset », en passant par Jean Monnet et ses rêves d’Europe « affranchie du poids des siècles et des contraintes de la géographie », partout éclate la volonté d’araser les barrières, les différences, les distances, dans une vision très réductionniste du monde. Emmanuel Macron en personne a exprimé ces grands rêves de transformation, avec une sémantique caractéristique des utopies. Dans le livre programmatique qu’il a fait paraitre avant l’élection présidentielle de 2017, l’ancien protégé de Jacques Attali appelait à « réinventer notre pays » car « nous sommes entrés dans une nouvelle ère ». Il incitait à engager une « conversion » pour coller au « sens de l’histoire », et désignait les conservateurs comme des « ennemis ». Un « siècle de promesses » s’ouvrait, affirmait-il encore, lequel nous emmènerait vers « notre libération collective », à condition de construire un État européen et de définir « un nouvel humanisme ». Le seul livre jamais signé par le président de la République portait un titre révélateur : Révolution

Pourquoi le pape François a déçu

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Avec François, Rome parlait comme L’Humanité, rappelle notre chroniqueur.


Le pape François, mort à 88 ans en ce lundi de Pâques, s’est laissé prendre au piège de l’idéologie « antiraciste », qu’Alain Finkielkraut avait décrit comme « le nouveau communisme du XXI e siècle ». Il suffit de lire, ce mardi matin, les dithyrambes de la presse de gauche pour se convaincre du militantisme progressiste qui fut celui du Saint Père. « Le pape humaniste », titre La Marseillaise. L’Humanité salue sa mémoire « au nom de la paix, des migrants et du Saint Esprit ». Le Parisien voit en lui « Le pape du peuple ». François est notamment salué pour ses combats contre le réchauffement climatique et pour l’immigration musulmane.

Diversité bénie

Jean-Paul II, en 2003, avait invité l’Église à avoir « un juste rapport avec l’islam », en ayant en tête les « divergences notables » entre les deux civilisations. Pour sa part, à peine élu en mars 2013, François s’était rendu à Lampedusa, île italienne débordée par les arrivées clandestines, pour y saluer « les chers immigrés musulmans ». En 2016, il revenait de l’île de Lesbos avec trois familles musulmanes, en laissant sur place des familles chrétiennes désireuses de le suivre. En visite à Marseille, il avait louangé l’idéal d’une ville multiculturelle ouverte à la diversité bénie. Bref, au-delà du message chrétien sur la charité et l’accueil, François aura illustré jusqu’à l’absurde la pente suicidaire que porte en lui le christianisme dans sa modernité, en confondant les Dix Commandements et la religion des droits de l’homme. Marcel Gauchet avait prévenu : « Le christianisme est la religion de la sortie de la religion ».

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Un Pape autoritaire

L’ostensible humilité de ce Pape autoritaire n’est pas sans rappeler le moralisme porté en sautoir par les idéologues du camp du Bien : ils sont persuadés de détenir la vérité au point de ne pas supporter la discussion. De ce point de vue, son rejet salutaire de l’Église « mondaine » – qui l’avait incité à refuser l’invitation d’Emmanuel Macron à la cérémonie de réouverture de Notre-Dame – l’a coupé paradoxalement d’un peuple soucieux de préserver son enracinement. L’indifférence que portait François aux chrétiens d’Orient, autant qu’à la France fragile et plus généralement à l’Europe ouverte aux influences islamistes, restera comme une tache sur son pontificat. Son opposition à la messe traditionnelle (la messe en latin) n’aura pas non plus été une réponse à la hauteur des attentes de beaucoup de fidèles.
D’autant que la jeunesse, à travers ses catéchumènes (17 800 baptisés à Pâques, soit une hausse de 45% par rapport à 2024), a fait comprendre son appétence identitaire pour un retour aux sources chrétiennes de la civilisation occidentale. Ce phénomène s’est lu également, dimanche, dans la fréquentation massive des églises. Benoît XVI avait expliqué : « La recherche de Dieu est le fondement de toute culture véritable ». Aujourd’hui l’Occident chrétien, cible d’une offensive djihadiste redoutablement efficace, mérite d’être revivifié. Or François s’est refusé à ce rôle, remarquablement défendu, au contraire, par le cardinal Robert Sarah par exemple. Puisse le prochain Pape être le résistant attendu.

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Alors! À quand le top départ?

Le gouvernement recherche 40 milliards d’euros d’économies pour le budget 2026. Les pistes d’économies sont connues depuis longtemps, seul le courage politique manque, regrette notre chroniqueuse libérale Sophie de Menthon


Il faut arrêter les analyses stratosphériques, les promesses qui n’en sont plus, les bonnes intentions qui ne sont même plus louables et les coups de semonce de tous les partis politiques. Oui ! Il faut simplifier et diminuer le train de vie de l’État dans tous les domaines. Aujourd’hui, rien ne pourra être crédible, aucune fiscalité, aucun prélèvement nouveau sans qu’il y ait concrètement et explicitement annoncée, une économie substantielle et immédiate émanant de l’État. Stop au baratin !

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Là, tout de suite, simplement, prendre des décisions applicables immédiatement avec une énergie politique. Il ne suffit pas que le Premier ministre dise, enfin, que la situation est désastreuse pour s’extasier…  Il ne suffit pas non plus que l’on réunisse encore et encore des spécialistes de rien: il faut agir. Le comble étant que le ministre des Finances demande « aux grands patrons d’être patriotes », comme si tout faire pour sauver sa boite n’était pas un patriotisme prioritaire ? Nous demandons, nous, aux politiques d’être eux patriotes, en ne ruinant pas nos entreprises sur lesquelles ils font -mal- vivre la France.

Le changement c’est maintenant

Rien ne semble les convaincre et les faire bouger… pour les aider un peu, voici une ébauche de liste à la Prévert pour bien faire comprendre que le changement, aussi modeste soit-il, commence dans les détails quotidiens. Pas besoin de s’interroger sur l’utilité de certaines dépenses publiques, le bon sens de n’importe lequel d’entre nous répond.

Tiens : la pancarte « presse » par exemple qui identifie les kiosquiers grâce à sa plume rouge depuis les années 1950 sera modifiée en 2025, avec la disparition de la fameuse plume pour « un design plus doux et accessible, avec une déclinaison lumineuse conforme aux réglementations définies par le Code de l’environnement ». L’urgence de la dépense est évidente : plus de 3 millions d’euros. Dans le même genre, une autre priorité de Bercy, cette fois, est d’imposer un nouveau modèle de panonceaux pour les « hébergements classés » : pour comprendre il faut 42 pages de directives à respecter, sous peine d’amende. Des fonctionnaires seront donc mobilisés pour traquer les panneaux non conformes. C’est ce qu’on appelle peut-être l’économie de guerre ? Plus sérieusement, on se pose des questions sur le Haut-Commissariat au Plan (HCP) qui a été instauré pour éclairer les choix publics sur divers enjeux stratégiques. Résultat ? En quatre ans, 18 notes stratégiques, pour un coût de 6,7 millions d’euros (soit 372 000 euros par note). Le Haut-Commissariat au Plan est tellement « haut » qu’il empiète sur les compétences de plusieurs institutions existantes, dont France Stratégie ou le Conseil d’Analyse Économique.

Clément Beaune, le nouveau Haut commissaire au Plan © JEANNE ACCORSINI/SIPA

C’est dans l’Aide Publique au Développement (ADP) que la technocratie française trouve son expression la plus pure dans la gabegie. Tantôt sous forme de dons, tantôt sous forme de prêts, la France soutient ainsi chaque année 271 organisations internationales dans 150 pays. Les résultats sont pour le moins surprenants : 100 millions d’euros pour aider les seniors chinois, 250 chameaux pour la Mauritanie, des mixeurs pour des écoles sans électricité en Afrique – du grand art… Le tout reviendrait au minimum à 15 milliards d’euros par an. Notre générosité ne s’arrête pas là, et il convient d’urgence de réduire ou supprimer certaines subventions aux associations ou aux secteurs en difficulté, les subventions des festivals ou des événements non essentiels dans certaines régions par exemple. Nous n’avons plus les moyens de jouer aux mécènes avec l’argent des régions. Pour faire la lumière sur ces finances publiques dilapidées, le ministre délégué chargé de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a eu l’idée lumineuse de créer « une commission d’évaluation de l’aide publique au développement » (Combien de fonctionnaires, s’il vous plait?) 

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Et depuis le temps que tout le monde en parle, si nous supprimions enfin le CESE (Conseil Économique, Social et Environnemental) régional et national ? Au niveau national, il coûte chaque année plus de 30 millions d’euros en fonctionnement (rémunérations, frais divers, etc.). Les CESE régionaux font doublon, avec des fonctions qui peuvent en plus être assurées par d’autres instances comme les conseils régionaux ! Certes c’est une façon de payer les syndicalistes qui nous rendent bien cette faveur… Pendant que nous y sommes, on pourrait aussi regarder du côté des cures thermales (qu’on adore, par ailleurs), d’autant que leur remboursement est pris en charge en partie par la Sécurité sociale – cela représente plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année. L’État ne pourrait-il pas réduire ces remboursements en les limitant aux pathologies graves ?

Simplification à tous les étages

Moins facile : la réduction de l’administration et la diminution du nombre de fonctionnaires administratifs. Il est vital de fusionner ou supprimer des agences qui gèrent certaines démarches administratives redondantes et génèrent bureaucratie et agents administratifs. Une réforme de l’administration territoriale pourrait aussi permettre de supprimer certaines compétences locales non prioritaires ou de les transférer à d’autres niveaux de l’État (communes, départements, régions). De même, les postes administratifs dédoublés dans les ministères et administrations sont trop nombreux. Surtout, par voie de conséquence, 161 000 départs à la retraite par an pourraient ne pas être renouvelés, en supprimant pour cela les corps et les frontières étanches pour offrir formation et mobilité à ceux qui restent.

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Pour le plaisir de l’exemplarité, la diminution du train de vie de l’État – tellement symbolique – est indispensable ! Réduire les dépenses liées aux voyages officiels de ministres et responsables politiques (en avion, hôtel, voiture de fonction)… Par exemple, la location de jets privés ou l’organisation de réceptions somptueuses pourraient être réévaluées. Il est également impératif de réduire les frais de représentation et de communication des ministères (les événements non essentiels). Non ce n’est pas de la démagogie, même si c’est peu par rapport au montant de la dette. Mais au moment où l’on s’apprête à saigner les Français aux quatre veines, les symboles sont absolument nécessaires. Alors qu’est-ce qu’on attend ? Même pas besoin d’établir des priorités au point où nous en sommes, il faut reformer et supprimer tout ce qui passe au coin du bon sens ! Pas besoin de lois, pas besoin de nouveaux comités, pas besoin de referendum, juste un peu de courage… vous avez dit courage ?

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La Bonne Mère en proie à LFI

Notre chroniqueur n’a jamais fait un mystère du fait qu’il habite Marseille, ville autrefois provençale livrée désormais à tous les vents du sud. Il n’est pas supporter de l’OM, et fréquente fort peu les églises. Pourtant, le voici défenseur de Notre-Dame-de-la-Garde, que les islamo-gauchistes locaux voudraient rayer de la ville…


Il y aura bientôt quarante ans, finissant un petit livre sur le Mont Saint-Michel (l’une de mes spécialités), j’avais assisté à l’envol de l’archange qui surmonte la flèche de l’église abbatiale. C’était la première fois depuis sa pose, un siècle auparavant, et la statue était rongée par l’air marin, qui prend ses aises par là-bas, et par les milliers d’impacts de foudre, puisqu’elle fait office de paratonnerre. Les archanges montent au ciel en hélicoptère.

L’opération a été reconduite en 2016. Il faut à chaque fois réparer la gangue de cuivre doré qui recouvre le fer de la statue. Doré à l’or fin : pour une statue d’une tonne, cela fait quelques feuilles d’or de 0,2 micron d’épaisseur chacune…

Moins toutefois que pour le Dôme des Invalides, restauré en 1989, dans le cadre des célébrations du bi-centenaire de la Révolution. Douze kilos d’or fin à chaque restauration, depuis la première, réalisée en 1715. Payés par le contribuable. Et alors ? C’est un monument historique, qui participe à la gloire de la France, tout comme le Mont Saint-Michel, l’un des sites les plus visités du pays.

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Marseille a donc décidé de redorer la statue de la Vierge posée tout en haut de la basilique néo-romano-byzantine qui surplombe la ville.

Mais ma ville a la spécificité d’abriter quelques-uns des plus exquis des élus LFI. Redorer la Vierge — une statue de plus de 11 mètres de haut ? Pas question ! s’insurgent ces braves gens. Après avoir fait les comptes (2,8 millions d’euros, dont 300 000 de la ville de Marseille, 400 000 du Conseil départemental, et 500 000 de la Région PACA), après avoir fait briller les yeux des analphabètes avec les 40 000 feuilles d’or fin nécessaires pour l’opération, nos vertueux élus s’emportent : « Les fonds publics doivent aller à l’école, au logement, au transport, à la réponse aux besoins de la population ! » Inutile de demander à quelles populations pensent messieurs Bompard et Delogu, les cadres intellectuels de LFI.

Et de souligner que c’est moins la loi de 1905 qui s’applique ici que celle de 1942, « loi du gouvernement de Vichy, collaborationniste avec les nazis, antisémite et raciste », qui « permet le versement d’argent public pour le financement de réparations aux édifices affectés aux cultes publics, qu’ils soient ou non classés monuments historiques » — ce que la Bonne Mère n’est pas, effectivement. Au passage, on est bien content d’apprendre que le parti de mesdames Panot, Obono and co. s’oppose à l’antisémitisme.

Notre-Dame-de-la-Garde, outre le fait d’être un spot touristique de premier ordre (chaque jour, un petit train sur roues y amène quelques milliers de visiteurs), est un site essentiel pour comprendre la ville ; il y a quelques années, on avait mis « la Ville » au programme de l’heptaconcours des IEP de province. J’avais donc traîné là-haut (et la montée est rude) mes élèves issus des « quartiers », comme on dit, qui n’y avaient jamais mis le pied, moitié paresse, moitié superstition, et furent tout étonnés de repérer leurs quartiers nord de naissance au sein de cette toile gigantesque qu’est la métropole marseillaise. Etonnés de lire sur les murs déchiquetés par les balles de mitrailleuse la trace des combats de 1944. Tout étonnés aussi de trouver dans la basilique elle-même tant de témoignages d’une foi vivace, à travers les milliers d’ex-voto célébrant l’intervention de la Vierge dans le retour des navires ou la résistance aux maladies mortelles.

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Mes étudiants musulmans, prenant sur eux d’entrer dans un lieu de culte catholique, conclurent que Dieu est partout — ou nulle part.

Je leur expliquai que la basilique actuelle a été construite sur les murs d’une ancienne chapelle du XIIIe siècle, déjà dédiée à la Vierge, patronne des marins et des pêcheurs. Que c’est de là-haut que François Ier, venu à Marseille en 1515 après Marignan, constata que la ville était mal défendue, et qu’il décida de construire le fort de l’île d’IF et d’englober l’église de la Vierge dans une structure militaire, qui forme aujourd’hui le soubassement de la basilique. Notre-Dame-de-la Garde est le résumé de l’histoire de la ville, le témoin de la ferveur populaire — comme l’est au fond la crèche provençale, que des laïques à jugement court veulent faire interdire, à Béziers et ailleurs (à Marseille, Jean-Claude Gaudin a pensé plus « citoyen » de la supprimer de lui-même il y a une vingtaine d’années). Un peuple a une histoire, et s’est inventé bien des façons de la célébrer — et c’est un athée convaincu qui vous le dit.

Personne n’est dupe : la protestation de LFI est en sous-main un appel du pied à tous ceux qui, dans cette ville, préfèrent voir fleurir des mosquées que redorer des Vierges. Mais elle est d’abord un affront à la mémoire populaire, quoiqu’on sache que chez certains de leurs supporters, l’histoire commence et finit en 622 à Médine avec l’avènement de l’islam et, en même temps, de la nuit.

Jean-Paul Brighelli, Entre ciel et mer, le Mont Saint-Michel, Gallimard, coll. Découvertes, 1987, 160 p.

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«Les Vigiles», de Tahar Djaout. Un roman prémonitoire?

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L’histoire, dit-on, ne repasse pas les plats. Voire. Il lui arrive pourtant de bégayer.

Le cas de Boualem Sansal qui croupit depuis des mois dans les geôles algériennes en offre un exemple frappant. Il présente d’étranges similitudes avec celui d’un autre écrivain algérien qui connut des mécomptes tragiques.

Il reste toutefois à souhaiter que le dénouement diffère.

Printemps 1991. Un jury littéraire présidé par Jean d’Ormesson et comptant dans ses rangs des personnalités telles que Jacqueline de Romilly, Maurice Rheims, Hervé Bazin, Emmanuel Roblès, vient de décerner à Paris le prix Méditerranée à Tahar Djaout pour son roman Les Vigiles. Ce dernier, né en 1954 en Kabylie, licencié en mathématiques, est aussi poète et nouvelliste.

Ses Vigiles brossent, de la société algérienne, un tableau sans complaisance qui donne froid dans le dos. Derrière la fiction, un témoignage accablant : bureaucratie omniprésente et tatillonne. Arbitraire. Concussion. Un pays où tout s’achète –  hormis les denrées de première nécessité, introuvables. La corruption y est générale. La délation y sévit à l’état endémique. Les anciens combattants du FLN y jouissent de sinécures et d’exorbitants privilèges, tandis que les intégristes musulmans prétendent, notamment par le biais de l’école, régenter les mœurs et imposer une pudibonderie ridicule.

Tel est le bilan de l’Algérie socialiste après une trentaine d’années d’indépendance.

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Le roman de Tahar Djaout compte les déboires d’un jeune professeur, inventeur d’un métier à tisser amélioré qu’il souhaite faire breveter. Pas si simple. On le suspecte, on l’espionne. On lui refuse un passeport. Il est victime de brimades sans nombre, pris dans un réseau inextricable de chausse-trapes. C’est que, dans une société sclérosée où chacun s’accroche à ses prébendes, toute innovation est perçue comme un danger.

Jusqu’à un spectaculaire retournement. Le régime finit par s’apercevoir de tout l’avantage à tirer de la situation. Voilà notre inventeur promu au rang de héros national. Pour justifier l’erreur de jugement, il ne reste plus qu’à trouver un bouc émissaire. Ce sera le vieux Menouar Ziada, être simple, trop naïf et trop pur pour avoir seulement l’idée de contester un système où le cynisme tient lieu de morale.

Cette fable amère, habilement narrée, vaut surtout par la virulence du propos. Lequel traduit à n’en pas douter, la stricte réalité. La mise en coupe réglée du pays y est dénoncée en termes sans équivoque.

Peut-être pourrait-on reprocher à l’auteur d’avoir forcé sur l’angélisme psychologique dans sa peinture du vieux Ziada. engagé par idéal dans la guerre d’indépendance et qui collectionne les incompréhensions et les malheurs. Mais on conçoit la nécessité dramatique du contrepoint, et, du reste, il s’agit là d’un détail secondaire qui ne gâte en rien la force corrosive de ces Vigiles

Deux ans plus tard, le 2 juin 1993, Tahar Djaout, victime d’un attentat, est abattu de deux balles dans la tête à Alger au pied de son domicile.

On se gardera de tirer la moindre conclusion.

Les Vigiles Le Seuil, 218 pages (1991)

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Perversions intellectuelles : une autopsie

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Samuel Fitoussi © Hannah Assouline

Pourquoi les intellectuels se trompent : le titre du livre de Samuel Fitoussi est à lui seul un programme. Avec une plume acérée et une érudition accessible, l’essayiste interroge les raisons profondes pour lesquelles une partie du monde intellectuel, censé éclairer le jugement public, s’illustre régulièrement par des égarements spectaculaires. Avant de publier ce nouvel essai, Samuel Fitoussi avait signé en septembre 2023 le remarqué, Woke Fiction – Comment l’idéologie change nos films et nos séries (Le Cherche Midi)


Samuel Fitoussi est un chroniqueur souvent amusant, bien connu des lecteurs du Figaro, où il propose chaque semaine une chronique satirique et ironique sur l’actualité politique et sociale. Son style se caractérise notamment par l’usage de la fiction et de la parodie pour commenter nos événements contemporains.​

Ses sujets de prédilection incluent la politique française, les relations internationales, les débats sociétaux et les médias. Par exemple, il a imaginé dernièrement une lettre ouverte d’un fact-checker en colère après l’annonce de Mark Zuckerberg souhaitant renoncer à la vérification de l’information sur ses réseaux sociaux. Il a également proposé le 9 décembre 2024 un discours imaginaire d’Emmanuel Macron aux Français au lendemain de la censure du gouvernement de Michel Barnier, intitulé « Vous ne me méritez pas ».

Une parole sans conséquence : la spécificité de l’intellectuel

L’un des apports les plus intéressants de son ouvrage réside dans la relecture du rôle de l’intellectuel à travers le prisme de l’économie des idées. En mobilisant Thomas Sowell, Fitoussi rappelle que l’intellectuel n’a pas de « skin in the game » : ses erreurs ne lui coûtent rien, à la différence de l’entrepreneur ou de l’artisan. Cette déconnexion du réel expliquerait la facilité avec laquelle des figures aussi prestigieuses que Sartre, Foucault ou Beauvoir ont pu soutenir des régimes meurtriers. Ces errements idéologiques ne sont pas des accidents, mais des symptômes d’un système d’incitations déséquilibrées. « D’un côté, pour un intellectuel, le prix de l’erreur est faible puisqu’il ne subit pas personnellement les conséquences de ses mauvaises idées. De l’autre côté, le prix à payer s’il énonce une vérité peut être élevé dans le cas où celle-ci ne coïncide pas avec ce que les autres estiment être la vérité. »

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L’intellectuel contre sa société : entre posture morale et distinction sociale

Fitoussi analyse longuement la fascination pour l’anti-occidentalisme comme une forme moderne de prestige moral. À la suite de Roger Scruton, il parle d’oikophobie, ce rejet systématique de sa propre culture, souvent au profit d’utopies lointaines. Steven Pinker complète cette analyse : dans la concurrence symbolique pour la reconnaissance, critiquer son propre camp serait devenu le meilleur raccourci pour briller. Quant au catastrophisme (immigration, climat…), il n’est plus une alerte, mais un marqueur de distinction.

Une indulgence asymétrique : les fautes de la gauche mieux tolérées ?

L’auteur avance par ailleurs l’idée que la critique intellectuelle française souffre d’une asymétrie morale : les erreurs de la gauche seraient perçues comme des dérives exceptionnelles, tandis que celles de la droite seraient vues comme des manifestations de son essence (on ira voir à ce titre la p. 111). Ce biais culturel rendrait certaines figures intouchables, malgré leurs égarements. Samuel Fitoussi y voit un fonctionnement en vase clos, où le regard des pairs prime sur la recherche de vérité.

Rétablir l’exigence intellectuelle

Mais loin de se limiter à une dénonciation, le livre plaide pour un redressement des exigences. Fitoussi rend hommage aux figures de lucidité qui inspirent ses réflexions : Raymond Aron, George Orwell, Jean-François Revel. Il ne s’agit pas d’être anti-intellectuel, mais de demander aux intellectuels de retrouver leur rôle critique, adossé à la confrontation avec le réel, plutôt qu’à la seule quête de reconnaissance.

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Un livre salutaire, mais à lire avec recul

Pourquoi les intellectuels se trompent est un essai stimulant, parfois provocateur, qui bouscule confortablement les certitudes du monde académique. Il pose les bonnes questions, même si certaines réponses gagneraient à être davantage nuancées.

En effet, l’ouvrage met l’accent sur la responsabilité individuelle des intellectuels dans la propagation d’idées erronées. Cependant, les médias, les maisons d’édition et les institutions académiques jouent également un rôle crucial dans la diffusion et la légitimation de ces idées. Une analyse plus complète inclurait ces acteurs pour comprendre comment certaines idées gagnent en influence malgré leurs failles. Tout ne repose pas sur les épaules des intellectuels. Une idée pour un prochain volume ?


Pourquoi les intellectuels se trompent, Samuel Fitoussi, éditions de l’Observatoire, 270 pages.

Pourquoi les intellectuels se trompent

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Drapeaux en berne: la France en fait-elle trop?

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Image d'archives © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

La décision du gouvernement français d’autoriser samedi prochain la mise en berne des drapeaux pour la mort du Pape fait grincer quelques dents, des voix estimant que cela contrevient au principe de laïcité. Alors que les conservateurs et les croyants sont évidemment ravis… La France, souvent qualifiée de « fille aînée de l’Église », devrait-elle adopter une neutralité plus stricte envers toutes les religions, sans exception ?


Accusée d’être une « laïcarde » par des conservateurs, Elisabeth Lévy précise sa position. On n’est pas laïcard parce qu’on questionne les drapeaux en berne pour le Pape ! Oui : la laïcité est à géométrie parfois variable et c’est pour cela qu’il est intéressant d’en discuter sans s’écharper. Nous vous proposons d’écouter son intervention.


Les drapeaux seront en berne samedi à l’occasion des obsèques du Pape François et cela déplait à certains. Avait-on besoin de cette petite polémique ? Pourquoi « petite » ? J’en ai marre qu’on disqualifie toute discussion autour de sujets parfaitement légitimes et intéressants. Ce qui rend le débat public ennuyeux, c’est précisément qu’on prétende faire taire les divergences. Le conflit, c’est la vie et c’est l’esprit des Lumières.

La laïcité française en berne ?

La laïcité française est une singularité souvent mal comprise à l’étranger, un élément important de notre identité, donc un sujet de débat légitime – il n’y a rien de petit là-dedans. De plus, on le voit tous les jours, la laïcité est en débat permanent en France, donc sujet à interprétations.

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On n’est pas laïcard ou laïciste parce qu’on questionne l’opportunité des drapeaux en berne. Lors de la mort de Jean-Paul II, François Bayrou, fervent catholique, y était opposé. Je ne lui fais pas de procès : le Premier ministre a bien le droit d’avoir changé d’avis. Alexis Corbière (LFI) n’a pas insulté le Pape ni les catholiques : il trouve normal que le président de la République lui rende hommage, mais les drapeaux c’est un peu trop selon lui. Excusez-moi, mais je suis un peu d’accord.

« Je suis en total désaccord, car la laïcité a des principes. Il est normal que le chef de l’Etat ait rendu hommage au pape. Mais nous n’avons pas à marquer une forme de laïcité à géométrie variable, c’est-à-dire que quand une autorité religieuse meurt, on met des drapeaux en berne, mais on ne le fait pas pour d’autres cultes » a déclaré le député d’extrème gauche Alexis Corbière au micro de France info le 22 avril. DR.

De là à nier que la France est un pays de tradition et de culture catholique… Certainement pas !

Le christianisme – et le catholicisme  – est évidemment l’une des premières sources, sans doute la première, de notre identité. Le catholicisme irrigue l’art, les paysages et l’esprit français. Mais aussi probablement notre façon de manger, ou notre rapport à l’argent. Voilà pourquoi comme culture et pas comme culte, il doit avoir une certaine préséance dans notre pays. C’est par exemple bien normal qu’en France Pâques ou Noël soient fériés et pas Kippour ou l’Aïd. Cette reconnaissance de l’histoire me va très bien.

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Mais un pays de tradition catholique n’est pas un pays catholique. Certains de mes amis catholiques regardent avec envie l’Amérique, son président qui jure sur la Bible et son actuel vice-président catho de choc J.D. Vance. Navrée, mais je préfère la séparation à la française qui est plus stricte. Entre Dieu et César, la partie n’est pas égale : s’agissant des affaires de la cité, c’est César qui décide. Et on a même le droit de se moquer de lui ! L’esprit de la laïcité (pas la loi), c’est tout de même une certaine discrétion. Dans l’espace public, on ne la ramène pas avec ses croyances. On ne prie pas au milieu de la rue. Souvenons-nous que quand de Gaulle allait à la messe en tant que président de la République, il ne communiait pas alors qu’il était pourtant également un fervent catholique.

Notre « petit » débat sur les drapeaux est intéressant car la laïcité n’est donc pas une science exacte. C’est une question de curseur. Les crèches dans les mairies ne me posent aucun problème (c’est une tradition, une culture, et je traiterais peut-être à mon tour de laïcards ceux qui semblent obsédés par leur présence chaque année). La mention de nos racines chrétiennes, c’est très bien. Mais les drapeaux, c’est l’expression de la France officielle. Et je ne vois vraiment pas pourquoi on les met en berne pour François, il n’y a aucune raison. D’autant plus que, comme chef d’Etat, François n’était pas un grand ami de la France.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio.

https://www.youtube.com/watch?v=8SYYxfcrnQY

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Hep là, retraité! T’as pas cent balles?

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La ministre chargée des Comptes publics Amélie de Montchalin, Paris, 9 avril 2025 © Thomas Hubert/SIPA

Impôts. Amélie de Montchalin a dit tout haut ce que la macronie pense et désire tout bas, selon Le Parisien. En envisageant de supprimer l’abattement de 10% dont bénéficient les séniors, le gouvernement pourrait lever un véritable « tabou ». Des cibles commodes, dénoncent de concert le RN et les Insoumis, qui n’excluent pas une censure du gouvernement si une telle piste d’économies continuait d’être étudiée.


« On ne peut pas indéfiniment mettre à contribution les actifs pour financer les nouvelles dépenses sociales liées au vieillissement1 » a déclaré Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, cherchant à justifier la possible suppression de l’abattement fiscal de 10% en faveur des séniors. « Pas question, se cabre Laurent Wauquiez, patron des députés LR, coupons d’abord dans les dépenses publiques,  notamment l’assistanat ». « C’est juste une piste, mais tout est ouvert », tempère-t-on dans l’entourage de la ministre devant la levée de boucliers. Fidèle à lui-même, le Premier ministre laisse dire et s’en remet aux partenaires sociaux…

L’imagination au pouvoir

Les génies de Bercy, de Matignon et les rescapés de la macronie encore au gouvernement et aux assemblées, radicalement réduits à la mendicité, seraient donc tout disposés à faire les poches de leurs aînés. La cible du jour, en effet, les retraités. En cause, l’abattement fiscal de 10% dont ils bénéficient depuis quelque chose comme un demi-siècle.

Ce seraient, nous assurent ces éminents comptables – la situation actuelle de nos finances suffit à elle seule à situer leur niveau de compétence en la matière – quatre milliards de recettes supplémentaires pour l’État.

Ah, la belle trouvaille ! En voilà une idée qu’elle est bonne, s’extasierait Coluche ! Taper sur les retraités : l’imagination au pouvoir, vous dis-je !

Au passage, on aimerait beaucoup savoir ce que c’est qu’un retraité dans l’esprit de ces gens. Madame la ministre du Budget, en première ligne sur ce coup tordu, a l’excuse de son relatif jeune âge, mais les autres, le Premier ministre par exemple…?

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Là encore, comme si souvent, comme toujours, il semble bien que la réalité concrète du sujet leur échappe totalement. Car, avant d’avancer de formidables idées comme celle-ci, ne devraient-ils pas faire entrer dans leurs savants calculs certains paramètres que manifestement ils ignorent. Ou pire, méprisent.

Qui, dans une notable mesure, fait vivre le monde associatif à la française, si ce n’est – le plus souvent à bourse déliée – le retraité?

Qui, dans cette merveilleuse société où le chômage culmine plus haut qu’ailleurs et où l’entrée dans la vie active n’est pas qu’un fleuve tranquille, qui, disais-je, soutient financièrement enfants et petits-enfants, cela de plus en plus fréquemment jusqu’à l’âge adulte, ou davantage quand ce malin plaisir en vient à se prolonger?

Qui sont, en général, parmi les premiers contributeurs au financement des études de celles et ceux qui seront demain les cadres de la nation, constitueront les forces vives du pays?

Défaillances

Qui fait office de crèche, de garderie, d’agent de ramassage scolaire là où – pour changer un peu – les services de l’État et de la collectivité sont défaillants?

Qui, se trouvant dépositaire d’une part non négligeable du patrimoine bâti de nos villes, villages et campagnes en assure la préservation, la transmission, l’entretien, la charge et la responsabilité, faisant vivre ainsi tout un secteur économique, l’artisanat du cru en particulier?

Qui éprouve encore – mais jusqu’à quand ? – suffisamment d’attachement au pays, à la nation, à la République pour accomplir avec constance son devoir de citoyen en allant voter?

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Et qui – si on en venait malgré tout à taxer les cent balles de la mendicité gouvernementale, à piquer les 10% en question – qui ne se sentirait pas pour autant autorisé à aller foutre le bordel dans les quartiers et les rues, à saccager les banques et les commerces, à cogner à l’envi sur du flic et du gendarme, à incendier la médiathèque ou la Sécu? Oui qui?

À chacune de ses questions, une seule et même réponse : le retraité.

Alors il me semble que ces fichus 10% qu’on veut aller chercher dans sa poche, il les mérite amplement.

Il mérite surtout qu’on lui foute un peu la paix. Le président Pompidou disait avec une sagesse de fin lettré issu des campagnes profondes du  Cantal : « Il faut cesser d’emmerder les Français ». L’injonction vaut aussi et surtout, me semble-t-il, pour ceux que – avanie supplémentaire – ces messieurs-dames des ministères et autres économistes experts ont le front de qualifier « d’inactifs ».

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  1. https://www.leparisien.fr/politique/amelie-de-montchalin-un-debat-est-lance-sur-le-financement-de-notre-modele-social-tout-est-sur-la-table-19-04-2025-64ADNJJFMVFJ5HYLEHB7X3DKI4.php ↩︎

Dérégulation des jeux en ligne aux États-Unis: un pari risqué

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Les clients d'un casino à Las Vegas prennent des paris sportifs pendant le Super Bowl le 14 mai 2018 © John Locher/AP/SIPA

Depuis leur légalisation par une décision de la Cour suprême en 2018, les paris sportifs sont désormais permis dans une trentaine d’États. En quelques années, des États comme l’État de New York ont récolté des fortunes en recettes fiscales


Depuis 2018, les États-Unis connaissent une transformation en profondeur du secteur des jeux d’argent, à la faveur de la légalisation progressive des paris sportifs en ligne. Trente États ont aujourd’hui adopté des cadres légaux permettant à une industrie numérique puissante de s’implanter à grande échelle. Ce développement rapide ne s’est pas produit spontanément : il résulte d’un long processus, marqué par des débats juridiques, des luttes intenses de lobbying et des repositionnements d’acteurs historiques du jeu.

Le PASPA et le monopole du Nevada

Jusqu’à la fin des années 2010, les paris sportifs restaient en grande partie interdits sur le territoire américain, en vertu du Professional and Amateur Sports Protection Act (PASPA) de 1992. Si le Nevada (l’État des villes de Las Vegas et Reno) bénéficiait d’une exception légale, la majorité des joueurs passait par des plateformes offshore, hébergées dans des juridictions permissives. Ces sites, accessibles mais non régulés, représentaient un marché estimé à plusieurs dizaines de milliards de dollars par an, sans contrôle étatique ni protection des consommateurs.

C’est l’État du New Jersey (l’État de la ville d’Atlantic City) qui, par un recours juridique lancé en 2011, finit par provoquer le basculement. Quelques années plus tard, le 14 mai 2018, la Cour suprême des États-Unis rend un arrêt (Murphy v. NCAA).

Dans l’affaire Murphy v. NCAA (anciennement Christie v. NCAA), l’État du New Jersey, représenté initialement par le gouverneur Chris Christie puis par son successeur Phil Murphy, cherchait à contourner le PASPA. Le New Jersey souhaitait revitaliser son industrie des jeux à Atlantic City en autorisant les paris sportifs, ce que contestèrent plusieurs ligues sportives professionnelles. La National Collegiate Athletic Association (NCAA), la National Football League (NFL), la Major League Baseball (MLB), la National Basketball Association (NBA) et la National Hockey League (NHL) craignaient que cette libéralisation ne nuise à l’intégrité des compétitions.

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Le cœur du litige reposait sur une question constitutionnelle : le Congrès, en adoptant le PASPA, avait-il outrepassé ses pouvoirs en interdisant aux États de modifier leur propre législation sur les jeux ? Dans sa décision rendue à une majorité de six voix contre trois, la Cour suprême des États-Unis a donné raison au New Jersey. Le juge Samuel Alito, rédacteur de l’opinion majoritaire, a estimé qu’en « donnant des ordres directs aux législatures des États », le PASPA violait le dixième amendement de la Constitution. Cette décision n’a pas rendu les paris sportifs légaux au niveau national, mais elle a levé l’interdiction fédérale, permettant à chaque État de choisir d’autoriser ou non cette activité. Ce jugement n’impose pas la légalisation des paris sportifs, mais il en ouvre la possibilité à l’échelle des États. Le paysage juridique est alors bouleversé : dès 2019, plusieurs États mettent en place une régulation formelle, ouvrant la voie à une croissance rapide du marché.

Une coalition hétérogène d’intérêts

La légalisation des paris sportifs a été portée par une coalition variée d’acteurs. L’American Gaming Association (AGA), avec son président d’alors Geoff Freeman, a joué un rôle moteur dans la promotion d’une régulation plus permissive (ou « plus moderne », selon eux). Il est intéressant de noter que, lors de l’affaire Murphy v. NCAA, plusieurs ligues sportives professionnelles s’étaient officiellement opposées à la légalisation des paris sportifs par le New Jersey. Pourtant, cette opposition juridique masquait des positions plus nuancées. Dès 2014, la NBA, sous l’impulsion d’Adam Silver, s’était exprimée en faveur d’une légalisation fédérale régulée, considérant qu’une interdiction n’était ni réaliste ni efficace face à la prolifération du marché noir. La MLB et la NHL ont, elles aussi, évolué rapidement après la décision de la Cour suprême, reconnaissant les potentialités commerciales d’un cadre légal. En quelques mois, ces mêmes ligues ont noué des partenariats avec des opérateurs de paris, participant ainsi à la structuration du nouveau marché. Ce retournement stratégique illustre combien la position des institutions sportives était moins fondée sur un refus de principe que sur la volonté d’encadrer et d’influencer les conditions d’une légalisation désormais inéluctable.

En parallèle, certains acteurs majeurs de l’industrie du jeu, notamment issus du modèle traditionnel des casinos physiques, ont manifesté une vive opposition. C’est le cas de Sheldon Adelson, magnat de Las Vegas Sands. Farouchement opposé aux jeux d’argent en ligne, qu’il considérait comme moralement et socialement problématiques, Adelson a financé d’importantes campagnes en faveur du projet de loi Restore America’s Wire Act, visant à interdire le jeu en ligne à l’échelle fédérale. Malgré son influence, ces efforts n’ont pas abouti. La perception publique, de plus en plus favorable à une régulation encadrée, conjuguée aux intérêts économiques croissants pour les États, a pesé plus lourd que la résistance de certains acteurs traditionnels.

En 2024, les paris sportifs en ligne ont généré 13,7 milliards de dollars de revenus aux États-Unis. Certains États ont tiré un bénéfice direct de cette dynamique. La Pennsylvanie a ainsi perçu plus de 250 millions de dollars de taxes, tandis que New York, avec un taux de 51 % sur les revenus bruts des opérateurs, a dépassé les 900 millions de recettes fiscales annuelles. Ces fonds ont été mobilisés pour financer divers services publics, allant de l’éducation aux infrastructures.

Parallèlement à cette expansion économique, les études rapportent une augmentation des indicateurs liés à l’endettement personnel et aux comportements de jeu problématiques. Des données récentes publiées par le Journal of the American Medical Association (JAMA) confirment les préoccupations liées à la banalisation des paris sportifs en ligne. Une étude a observé une augmentation significative des recherches sur Internet liées à l’addiction au jeu dans les États ayant légalisé les paris. Cette corrélation entre l’accessibilité numérique et les comportements problématiques suggère que la démocratisation des plateformes ne s’accompagne pas toujours d’une prise de conscience des risques. Par ailleurs, une publication dans JAMA Psychiatry a mis en lumière l’existence d’un phénomène inquiétant : les individus pratiquant régulièrement les paris sportifs présentent un risque accru de troubles liés à la consommation d’alcool. Ces résultats renforcent l’idée que les paris en ligne ne relèvent pas seulement d’une question de régulation économique, mais posent également un véritable enjeu de santé publique.

L’influence de la publicité et des opérateurs

L’un des vecteurs de cette généralisation réside dans l’investissement publicitaire massif des opérateurs. DraftKings, FanDuel ou BetMGM ont consacré des centaines de millions de dollars à des campagnes mettant en avant des offres promotionnelles, souvent relayées par des célébrités sportives. Ces messages, largement diffusés lors des grands événements, contribuent à inscrire le pari sportif dans une forme de normalité culturelle, voire de prolongement du spectacle sportif lui-même.

Les effets de cette évolution se font également sentir sur les pôles traditionnels du jeu. À Las Vegas, les casinos enregistrent une légère baisse des mises sur les paris sportifs, tandis qu’Atlantic City voit ses revenus croître principalement grâce aux jeux en ligne. Pour s’adapter, les établissements investissent dans la modernisation de leurs espaces, dans des activités complémentaires, ou dans des projets familiaux visant à diversifier leur clientèle.

Les cadres réglementaires américains restent encore hétérogènes, et de nombreux États n’imposent pas de limites strictes sur les montants misés ni sur la publicité. D’autres pays ont adopté des approches plus encadrées. En Allemagne, la législation impose des exigences renforcées sur la protection des joueurs. Au Royaume-Uni, les autorités ont récemment freiné un projet d’assouplissement réglementaire en raison de préoccupations sociales. Le Brésil renforce également ses contrôles après une phase de libéralisation rapide. En Chine, les jeux d’argent sont largement interdits, ce qui limite le développement du secteur en ligne, hormis dans la région de Macao. Cependant, le Canada présente une approche originale.

Depuis l’ouverture de son marché aux jeux d’argent en ligne en avril 2022, l’Ontario s’est imposée comme un modèle de régulation, conjuguant croissance économique, gouvernance indépendante et protection des joueurs. Ce développement contrôlé illustre une volonté politique claire : encadrer plutôt qu’interdire.

Le modèle ontarien : encadrer plutôt qu’interdire

La création d’iGaming Ontario (iGO), devenue en 2024 une entité indépendante de la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario (AGCO), marque une étape clé. Cette séparation institutionnelle répond à un objectif de transparence et de meilleure supervision, en éliminant les éventuels conflits d’intérêts entre autorité de régulation et exploitant public. Ce cadre a permis au marché de se développer rapidement : en février 2025, les mises totales ont dépassé 7 milliards de dollars canadiens, principalement dans les jeux de casino, mais aussi dans les paris sportifs qui progressent de manière continue.

Toutefois, des questions demeurent, notamment celle de l’ouverture du marché au niveau international. La Cour d’appel de l’Ontario doit bientôt statuer sur la légalité du partage de liquidités avec des joueurs étrangers, un enjeu crucial pour le développement du poker en ligne.

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L’approche canadienne toute comme celle adoptée par les grandes ligues sportives américaines face à la légalisation des paris en ligne illustre un dilemme stratégique plus large, auquel sont aujourd’hui confrontées de nombreuses institutions publiques ou privées : faut-il s’opposer frontalement à une dynamique perçue comme inévitable, ou chercher à l’encadrer de l’intérieur en espérant en limiter les effets tout en en tirant parti ? Dans un premier temps, les ligues ont défendu une posture d’opposition, mobilisant des arguments liés à l’éthique du sport et à la préservation de son intégrité. Mais dès que le cadre juridique a changé, leur position a évolué.

Ce renversement n’a rien d’anecdotique. Il signale une reconnaissance implicite : lorsque les pratiques sociales s’imposent en dehors des cadres légaux, les exclure purement et simplement revient souvent à perdre toute capacité d’action sur elles. En embrassant la régulation plutôt que l’interdiction, les ligues ont non seulement retrouvé une forme de maîtrise sur le phénomène, mais ont également contribué à structurer un marché plus transparent. Cela ne signifie pas que les risques ont disparu, mais que l’opposition rigide cède progressivement la place à une stratégie plus pragmatique.

Enfin, l’approche américaine de la régulation des paris sportifs en ligne semble largement inspirée d’un principe implicite de type caveat emptor, où la responsabilité individuelle prime sur l’intervention publique. L’idée dominante est que le consommateur est libre de ses choix, même risqués, et que le rôle de l’État n’est pas de restreindre l’offre, mais d’en encadrer les abus les plus flagrants. Cette vision contraste avec celle, plus protectrice voire paternaliste, adoptée dans de nombreux pays européens, où la régulation anticipe davantage les effets sociaux et cherche à limiter les incitations au jeu excessif.

En politique, mêlons-nous de ce qui ne nous regarde pas…

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Eric Ciotti et Jordan Bardella, Paris, juin 2024 © J.E.E/SIPA

Notre chroniqueur passe en revue les différentes formations politiques nationales, lesquelles se mettent progressivement en ordre de marche pour l’élection présidentielle. S’il vote à droite, il ne s’interdit pas de distribuer bons et mauvais points à gauche, au centre ou aux extrémités de notre merveilleux « arc républicain ».


Un citoyen conscient de ses devoirs s’intéresse naturellement à la vie démocratique de son pays. Pourtant, dans l’actualité quotidienne, il me semble que trop souvent il demeure enkysté, sur le plan politique, dans sa sphère partisane. Il a son champion ou sa championne et n’en démord pas. Alors qu’on pourrait espérer, au contraire, une infinie curiosité de sa part et une envie de se mêler de ce qui ne le regarde pas.

Je n’ai jamais compris pourquoi le passionné de politique ne se sentait pas frustré à l’idée de n’avoir pas une sorte de droit de regard universel sur l’ensemble des débats agitant les partis et, partant du sien, de se construire la République qu’il souhaiterait. D’autant plus qu’il pourrait faire preuve à la fois d’objectivité – il ne serait pas concerné – et de lucidité : il ne serait pas ligoté par des liens et des dépendances internes.

Une bonne droite

Les arbitrages qu’il aura à effectuer auront des conséquences importantes, ils engageront notre pays sur des chemins contrastés, désastreux pour peu qu’ils soient mal avisés.

Commençons par le 16 mai. Si Bruno Retailleau n’est pas élu président de LR, quelle que soit la permanente invocation du duo, et non pas du duel, par Laurent Wauquiez, le premier se verrait réduit à la portion congrue et le second serait en charge de l’essentiel.

Le passé est trop clair pour qu’on puisse hésiter sur la personnalité à promouvoir et la ligne à adopter. Laurent Wauquiez n’a pas cessé de faire prévaloir ses intérêts personnels, lors de la composition des gouvernements, avant ceux de son parti et des possibles ministres sollicités. Je suis persuadé que l’action ministérielle de Bruno Retailleau, loin d’être un handicap, apparaît de plus en plus comme la démonstration qu’une vraie droite est en train, sortant de sa molle léthargie et de ses divisions artificielles, de redevenir une espérance et de susciter le désir.

Gauche plurielle

Les socialistes comprendront, lors de leur futur congrès, que leur regain dans l’opinion n’a tenu qu’à la revendication de leur ancrage social-démocrate avec leur libération de l’emprise de LFI et de la domination malsaine de Jean-Luc Mélenchon sur la gauche et l’extrême gauche. Il est capital que ses adversaires s’unissent pour faire revenir un parti socialiste pleinement autonome capable de résister à la tentation facile des unions électorales. Peu importe qui le dirigera pour peu que son projet soit celui-là et pas seulement de servir le dessein de François Hollande impatient de rattraper le temps perdu.

Chez les écologistes, si Marine Tondelier éprouve beaucoup de plaisir à passer à la télévision, comme le lui a reproché un anonyme de la direction, ce ne semble pas être un motif suffisant pour ne pas envisager un concurrent ou une concurrente. On dit qu’elle est favorite, lors du prochain congrès, pour se voir renouveler comme secrétaire nationale mais on a le droit de supposer qu’en dehors de Sandrine Rousseau qui la critique, d’autres ambitions pourraient se manifester. (Elle a été largement réélue comme secrétaire nationale : on la verra encore plus à la télévision!).

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À LFI, la garde rapprochée de Mélenchon tient bon et il y a quelque chose de pathétique dans cette fidélité qui s’obstine alors qu’elle sait que son « Lider » est voué à l’échec en 2027. La peur ou l’admiration la motivent-elles ? Ce n’est pas en tout cas la migration de François Ruffin avec ses limites politiques et son talent de cinéaste qui pourra les détourner de Mélenchon qui exerce une fascination par son emprise et sa culture et par l’habilité paternelle avec laquelle il gère les uns et les autres, les laissant libres mais sous condition d’inféodation.

Il y a Fabien Roussel au parti communiste et un sondage récent l’a mis à un niveau inespéré. Mais tout tient à sa personnalité et rien à son programme. Ce qu’il n’a pas de communiste séduit et quand il se résout à proclamer qu’il l’est, il baisse.

Plan B

Au Rassemblement national, la probabilité de Marine Le Pen candidate en 2027 n’est pas totalement à écarter mais peu plausible. Jordan Bardella est, paraît-il, le successeur naturel. Il a cherché à se vieillir mais il reste incurablement jeune. La comparaison avec l’Emmanuel Macron de 2017 n’a pas grand sens compte tenu du passé étatique de ce dernier quand il s’avance sur la scène de la joute présidentielle. Jordan Bardella, à marche forcée, se construit une personnalité, un savoir, une culture, une souplesse dans l’expression, une profondeur dans la pensée, des développements et une rigidité moins scolaires, cet homme n’est pas médiocre, il est méritant. Mais cela ne suffit pas. Il n’est pas fini, ceci dit sans la moindre dérision, contrairement à ce qu’Éric Zemmour avait fustigé chez Emmanuel Macron. On ne peut pas souhaiter que la présidence de la République soit la continuation d’une formation alors qu’elle devrait en être l’aboutissement. Le RN ne changera rien mais il devrait s’interroger.

Édouard Philippe sera candidat en 2027. Il était très apprécié des Français et le président Macron jaloux de sa popularité l’a fait partir dans des conditions peu dignes. Depuis qu’il mène son trajet à sa manière pour conquérir le Graal, il est toujours bien placé mais son juppéisme foncier décourage. On ne parvient pas à le croire quand Christophe Béchu nous annonce, de sa part, « des réformes massives ». Déjà, s’il en fait d’utiles, ce serait bien !

À Reconquête!, deux intelligences, deux personnalités dissemblables, deux talents, l’un avec une dureté inflexible, l’autre avec une conviction souriante, mais le même programme. Lequel ira ? Elle nous a déclaré que ce serait lui. J’attends la suite avec impatience. Il n’est pas fait pour suivre. Elle n’est plus faite pour suivre.

Si on ne se mêle pas en politique de ce qui ne nous regarde pas, on ne comprend pas, on n’espère rien, on est exclu. La démocratie est un immense champ où tout le monde a le droit de jouer. De sortir de chez soi pour aller voir ailleurs. De la même manière que les affaires, c’est l’argent des autres selon Alexandre Dumas fils, la République, c’est l’affaire de tous.

Le trumpisme, un mouvement contre-révolutionnaire?

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Le président des États-Unis, Donald Trump, siffle le début de la chasse aux œufs de Pâques 2025 sur la pelouse sud de la Maison Blanche le 21 avril 2025 © Samuel Corum - Pool via CNP/DPA/SIPA

L’élection de Donald Trump et sa politique disruptive aux États-Unis marquent un tournant décisif dans le processus de mondialisation. Elles incarnent une réaction directe à l’indifférenciation généralisée que les élites politiques ont encouragée pendant des décennies.


C’est une petite vidéo passée inaperçue, retwittée par Elon Musk fin février. Dans celle-ci, l’historien et commentateur Victor Davies Hanson se plaignait que le trumpisme soit associé à une révolution. « Ce n’est pas une nouvelle révolution. C’est une contre-révolution, un retour en arrière contre les excès de la gauche, une restauration de ce qui a fonctionné ».

La tech passe à droite !

Peu porté sur la politique jusque ces deux dernières années, l’entrepreneur star du spatial a opéré un revirement spectaculaire, jusqu’à afficher un soutien plein et entier au candidat Donald Trump pendant la campagne présidentielle américaine. Le 18 septembre, il expliquait sa position sur X : « Les démocrates ont tellement basculé à gauche que les républicains, avec tous leurs défauts, apparaissent aujourd’hui comme le choix des modérés ». Il récidivait quatre jours plus tard : « La gauche a perdu les pédales et les républicains sont les seuls à rester au milieu. Les gens le voient ». Elon Musk affirme régulièrement que le Parti démocrate s’est extrémisé, et cela l’inquiète : « Je n’ai pas bougé – ce sont eux qui ont bougé » écrivait-il encore début mars.

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Que reproche Elon Musk à la gauche américaine ? On peut citer pêle-mêle l’ouverture des vannes de l’immigration illégale durant les années Biden, accusée de déstabiliser le pays, l’offensive sur la question du genre sexué et plus généralement ce qu’il appelle le « virus de l’esprit woke », le malthusianisme profond du clan progressiste, et l’étatisme dont il serait porteur. Cette conscientisation politique tardive est consécutive à la censure profonde de l’information qui s’est installée aux États-Unis et chez ses alliés à partir de l’année 2020, qui l’avait incité à racheter le réseau Twitter en 2022 non sans une prise de risque financière.

« Des politiciens malades et radicaux »

S’il est devenu incontournable dans les médias, le fondateur de SpaceX et de Tesla n’est qu’un élément tardif de cette profonde révolte conservatrice et libertarienne qui a cours en Amérique. Celle-ci part de loin – on peut remonter au mouvement Tea Party qui avait pris de l’ampleur il y a une quinzaine d’années – et elle s’organise autour d’un homme : Donald Trump. Souvent présenté comme un simple businessman à la faconde facile, le président des États-Unis est aussi porteur d’une pensée politique structurée, que ses diatribes cachent à la perspicacité de nombreux analystes. Ses attaques contre ses adversaires ont rarement été relevées de ce côté-ci de l’Atlantique alors qu’elles révèlent beaucoup de sa pensée. Écoutons-le en meeting dans le Michigan en avril 2022 : « Ensemble nous nous levons contre certaines des forces les plus sinistres et des opposants les plus vicieux que notre pays ait jamais vus. Malgré tout ce que vous entendez à propos de la Chine, de la Russie, de l’Iran et d’autres, notre plus grand danger ne provient pas de l’extérieur mais des politiciens malades et radicaux qui ont voulu détruire notre pays en toute connaissance de cause ».
Simple effet de manches ? Non pas, car l’homme dénonce depuis près de dix ans ceux qu’il appelle les « mondialistes ». En juin 2016, il critiquait ouvertement la voie empruntée par sa principale opposante, et affichait un choix clair : « Hillary [Clinton] dit que les choses ne peuvent pas changer. Je dis qu’elles doivent changer. Il faut choisir entre l’américanisme ou son mondialisme corrompu ». Devenu président des États-Unis, il récidivait en 2017 pour son premier discours à la tribune des Nations Unies, dans lequel il visait « les accords de commerce multinationaux géants, les tribunaux internationaux irresponsables et les bureaucraties globales puissantes ».

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Révolution, contre-révolution, mondialisme, forces radicales… Quoique l’on pense des manières du président américain et des mesures du Parti républicain, ces mots décrivent une réalité largement ignorée dans le débat médiatique en France. Depuis des décennies en effet, dans nos pays occidentaux, dirigeants, intellectuels ou financiers appellent à une refonte complète de notre société et de son cadre politique. Ils parlent publiquement de révolution, de planification et de centralisation mondiale, de transformations sociétales. On trouve ces aspirations dans des think tank puissants, depuis le très malthusien Club de Rome, qui invoquait en 1972 déjà une « révision de la fabrique entière de nos sociétés actuelles », jusqu’au Forum de Davos et son désir affiché de « Grande Réinitialisation » (2020). On les rencontre chez de nombreuses personnalités, parfois à des postes hautement stratégiques, comme la présidence de la Banque Centrale Européenne ou l’administration de l’ONU. L’analyse de leurs discours et de leurs écrits révèlent une tournure d’esprit particulière, portée par le besoin impérieux d’englober le tout du regard, happée par des fantasmes d’unicité et d’indifférenciation sociétale, mais aussi fascinée par les chocs et les crises.

Un processus révolutionnaire mal identifié

L’opinion commune part du postulat que le temps des grandes idéologies politiques s’est refermé avec le XXème siècle et la chute de l’Union soviétique. L’heure serait au pragmatisme ou aux seuls intérêts économiques. Mais une analyse attentive contrevient à cette impression. Si l’Internationale communiste s’est écroulée avec la puissance qui la portait, des structures proches ont pris le relais, à l’instar de la IIème Internationale – la socialiste.
L’actuel Secrétaire général de l’ONU, le Portugais Antonio Guterres, l’a présidée entre 1999 et 2005, et le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, très en pointe sur les questions d’immigration ou de transgenrisme, en est à sa tête aujourd’hui. Le Parti travailliste anglais de Keir Starmer est un membre historique de la IIème Internationale, tout comme le mouvement politique de l’ancien Secrétaire général de l’OTAN, le norvégien Jens Stoltenberg. En 2013, afin de rénover son idéologie et élargir sa base, l’Internationale socialiste a lancé l’Alliance progressiste, un mouvement qui professe rien moins qu’un programme de « transformation socio-écologique ». Outre-Atlantique, le Parti démocrate avait intégré l’Alliance, ce qui officialise le tournant radical qu’il a pris dans la décennie passée.

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Et la France ? La patrie de la Révolution reste très bien placée dans le concert universaliste. Ces quarante dernières années, de nombreux responsables dans notre pays ont appelé à la suppression des frontières, au mélange des populations et à l’interdépendance économique, autant d’évolutions désignées comme un préalable à l’établissement d’un monde nouveau. De l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce Pascal Lamy prônant l’instauration d’une « Démocratie-Monde » à Christine Lagarde et ses multiples appels au « reset », en passant par Jean Monnet et ses rêves d’Europe « affranchie du poids des siècles et des contraintes de la géographie », partout éclate la volonté d’araser les barrières, les différences, les distances, dans une vision très réductionniste du monde. Emmanuel Macron en personne a exprimé ces grands rêves de transformation, avec une sémantique caractéristique des utopies. Dans le livre programmatique qu’il a fait paraitre avant l’élection présidentielle de 2017, l’ancien protégé de Jacques Attali appelait à « réinventer notre pays » car « nous sommes entrés dans une nouvelle ère ». Il incitait à engager une « conversion » pour coller au « sens de l’histoire », et désignait les conservateurs comme des « ennemis ». Un « siècle de promesses » s’ouvrait, affirmait-il encore, lequel nous emmènerait vers « notre libération collective », à condition de construire un État européen et de définir « un nouvel humanisme ». Le seul livre jamais signé par le président de la République portait un titre révélateur : Révolution

Pourquoi le pape François a déçu

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Le pape François embrasse le pied d'un homme lors du rituel du lavement des pieds au centre de réfugiés de Castelnuovo di Porto, à environ 30 km de Rome, le jeudi 24 mars 2016 © l'Osservatore Romano/AP/SIPA

Avec François, Rome parlait comme L’Humanité, rappelle notre chroniqueur.


Le pape François, mort à 88 ans en ce lundi de Pâques, s’est laissé prendre au piège de l’idéologie « antiraciste », qu’Alain Finkielkraut avait décrit comme « le nouveau communisme du XXI e siècle ». Il suffit de lire, ce mardi matin, les dithyrambes de la presse de gauche pour se convaincre du militantisme progressiste qui fut celui du Saint Père. « Le pape humaniste », titre La Marseillaise. L’Humanité salue sa mémoire « au nom de la paix, des migrants et du Saint Esprit ». Le Parisien voit en lui « Le pape du peuple ». François est notamment salué pour ses combats contre le réchauffement climatique et pour l’immigration musulmane.

Diversité bénie

Jean-Paul II, en 2003, avait invité l’Église à avoir « un juste rapport avec l’islam », en ayant en tête les « divergences notables » entre les deux civilisations. Pour sa part, à peine élu en mars 2013, François s’était rendu à Lampedusa, île italienne débordée par les arrivées clandestines, pour y saluer « les chers immigrés musulmans ». En 2016, il revenait de l’île de Lesbos avec trois familles musulmanes, en laissant sur place des familles chrétiennes désireuses de le suivre. En visite à Marseille, il avait louangé l’idéal d’une ville multiculturelle ouverte à la diversité bénie. Bref, au-delà du message chrétien sur la charité et l’accueil, François aura illustré jusqu’à l’absurde la pente suicidaire que porte en lui le christianisme dans sa modernité, en confondant les Dix Commandements et la religion des droits de l’homme. Marcel Gauchet avait prévenu : « Le christianisme est la religion de la sortie de la religion ».

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Un Pape autoritaire

L’ostensible humilité de ce Pape autoritaire n’est pas sans rappeler le moralisme porté en sautoir par les idéologues du camp du Bien : ils sont persuadés de détenir la vérité au point de ne pas supporter la discussion. De ce point de vue, son rejet salutaire de l’Église « mondaine » – qui l’avait incité à refuser l’invitation d’Emmanuel Macron à la cérémonie de réouverture de Notre-Dame – l’a coupé paradoxalement d’un peuple soucieux de préserver son enracinement. L’indifférence que portait François aux chrétiens d’Orient, autant qu’à la France fragile et plus généralement à l’Europe ouverte aux influences islamistes, restera comme une tache sur son pontificat. Son opposition à la messe traditionnelle (la messe en latin) n’aura pas non plus été une réponse à la hauteur des attentes de beaucoup de fidèles.
D’autant que la jeunesse, à travers ses catéchumènes (17 800 baptisés à Pâques, soit une hausse de 45% par rapport à 2024), a fait comprendre son appétence identitaire pour un retour aux sources chrétiennes de la civilisation occidentale. Ce phénomène s’est lu également, dimanche, dans la fréquentation massive des églises. Benoît XVI avait expliqué : « La recherche de Dieu est le fondement de toute culture véritable ». Aujourd’hui l’Occident chrétien, cible d’une offensive djihadiste redoutablement efficace, mérite d’être revivifié. Or François s’est refusé à ce rôle, remarquablement défendu, au contraire, par le cardinal Robert Sarah par exemple. Puisse le prochain Pape être le résistant attendu.

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Alors! À quand le top départ?

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François Bayrou à la sortie du palais de l'Élysée le 21 avril 2025 © J.E.E/SIPA

Le gouvernement recherche 40 milliards d’euros d’économies pour le budget 2026. Les pistes d’économies sont connues depuis longtemps, seul le courage politique manque, regrette notre chroniqueuse libérale Sophie de Menthon


Il faut arrêter les analyses stratosphériques, les promesses qui n’en sont plus, les bonnes intentions qui ne sont même plus louables et les coups de semonce de tous les partis politiques. Oui ! Il faut simplifier et diminuer le train de vie de l’État dans tous les domaines. Aujourd’hui, rien ne pourra être crédible, aucune fiscalité, aucun prélèvement nouveau sans qu’il y ait concrètement et explicitement annoncée, une économie substantielle et immédiate émanant de l’État. Stop au baratin !

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Là, tout de suite, simplement, prendre des décisions applicables immédiatement avec une énergie politique. Il ne suffit pas que le Premier ministre dise, enfin, que la situation est désastreuse pour s’extasier…  Il ne suffit pas non plus que l’on réunisse encore et encore des spécialistes de rien: il faut agir. Le comble étant que le ministre des Finances demande « aux grands patrons d’être patriotes », comme si tout faire pour sauver sa boite n’était pas un patriotisme prioritaire ? Nous demandons, nous, aux politiques d’être eux patriotes, en ne ruinant pas nos entreprises sur lesquelles ils font -mal- vivre la France.

Le changement c’est maintenant

Rien ne semble les convaincre et les faire bouger… pour les aider un peu, voici une ébauche de liste à la Prévert pour bien faire comprendre que le changement, aussi modeste soit-il, commence dans les détails quotidiens. Pas besoin de s’interroger sur l’utilité de certaines dépenses publiques, le bon sens de n’importe lequel d’entre nous répond.

Tiens : la pancarte « presse » par exemple qui identifie les kiosquiers grâce à sa plume rouge depuis les années 1950 sera modifiée en 2025, avec la disparition de la fameuse plume pour « un design plus doux et accessible, avec une déclinaison lumineuse conforme aux réglementations définies par le Code de l’environnement ». L’urgence de la dépense est évidente : plus de 3 millions d’euros. Dans le même genre, une autre priorité de Bercy, cette fois, est d’imposer un nouveau modèle de panonceaux pour les « hébergements classés » : pour comprendre il faut 42 pages de directives à respecter, sous peine d’amende. Des fonctionnaires seront donc mobilisés pour traquer les panneaux non conformes. C’est ce qu’on appelle peut-être l’économie de guerre ? Plus sérieusement, on se pose des questions sur le Haut-Commissariat au Plan (HCP) qui a été instauré pour éclairer les choix publics sur divers enjeux stratégiques. Résultat ? En quatre ans, 18 notes stratégiques, pour un coût de 6,7 millions d’euros (soit 372 000 euros par note). Le Haut-Commissariat au Plan est tellement « haut » qu’il empiète sur les compétences de plusieurs institutions existantes, dont France Stratégie ou le Conseil d’Analyse Économique.

Clément Beaune, le nouveau Haut commissaire au Plan © JEANNE ACCORSINI/SIPA

C’est dans l’Aide Publique au Développement (ADP) que la technocratie française trouve son expression la plus pure dans la gabegie. Tantôt sous forme de dons, tantôt sous forme de prêts, la France soutient ainsi chaque année 271 organisations internationales dans 150 pays. Les résultats sont pour le moins surprenants : 100 millions d’euros pour aider les seniors chinois, 250 chameaux pour la Mauritanie, des mixeurs pour des écoles sans électricité en Afrique – du grand art… Le tout reviendrait au minimum à 15 milliards d’euros par an. Notre générosité ne s’arrête pas là, et il convient d’urgence de réduire ou supprimer certaines subventions aux associations ou aux secteurs en difficulté, les subventions des festivals ou des événements non essentiels dans certaines régions par exemple. Nous n’avons plus les moyens de jouer aux mécènes avec l’argent des régions. Pour faire la lumière sur ces finances publiques dilapidées, le ministre délégué chargé de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a eu l’idée lumineuse de créer « une commission d’évaluation de l’aide publique au développement » (Combien de fonctionnaires, s’il vous plait?) 

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Et depuis le temps que tout le monde en parle, si nous supprimions enfin le CESE (Conseil Économique, Social et Environnemental) régional et national ? Au niveau national, il coûte chaque année plus de 30 millions d’euros en fonctionnement (rémunérations, frais divers, etc.). Les CESE régionaux font doublon, avec des fonctions qui peuvent en plus être assurées par d’autres instances comme les conseils régionaux ! Certes c’est une façon de payer les syndicalistes qui nous rendent bien cette faveur… Pendant que nous y sommes, on pourrait aussi regarder du côté des cures thermales (qu’on adore, par ailleurs), d’autant que leur remboursement est pris en charge en partie par la Sécurité sociale – cela représente plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année. L’État ne pourrait-il pas réduire ces remboursements en les limitant aux pathologies graves ?

Simplification à tous les étages

Moins facile : la réduction de l’administration et la diminution du nombre de fonctionnaires administratifs. Il est vital de fusionner ou supprimer des agences qui gèrent certaines démarches administratives redondantes et génèrent bureaucratie et agents administratifs. Une réforme de l’administration territoriale pourrait aussi permettre de supprimer certaines compétences locales non prioritaires ou de les transférer à d’autres niveaux de l’État (communes, départements, régions). De même, les postes administratifs dédoublés dans les ministères et administrations sont trop nombreux. Surtout, par voie de conséquence, 161 000 départs à la retraite par an pourraient ne pas être renouvelés, en supprimant pour cela les corps et les frontières étanches pour offrir formation et mobilité à ceux qui restent.

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Pour le plaisir de l’exemplarité, la diminution du train de vie de l’État – tellement symbolique – est indispensable ! Réduire les dépenses liées aux voyages officiels de ministres et responsables politiques (en avion, hôtel, voiture de fonction)… Par exemple, la location de jets privés ou l’organisation de réceptions somptueuses pourraient être réévaluées. Il est également impératif de réduire les frais de représentation et de communication des ministères (les événements non essentiels). Non ce n’est pas de la démagogie, même si c’est peu par rapport au montant de la dette. Mais au moment où l’on s’apprête à saigner les Français aux quatre veines, les symboles sont absolument nécessaires. Alors qu’est-ce qu’on attend ? Même pas besoin d’établir des priorités au point où nous en sommes, il faut reformer et supprimer tout ce qui passe au coin du bon sens ! Pas besoin de lois, pas besoin de nouveaux comités, pas besoin de referendum, juste un peu de courage… vous avez dit courage ?

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La Bonne Mère en proie à LFI

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Marseille. DR.

Notre chroniqueur n’a jamais fait un mystère du fait qu’il habite Marseille, ville autrefois provençale livrée désormais à tous les vents du sud. Il n’est pas supporter de l’OM, et fréquente fort peu les églises. Pourtant, le voici défenseur de Notre-Dame-de-la-Garde, que les islamo-gauchistes locaux voudraient rayer de la ville…


Il y aura bientôt quarante ans, finissant un petit livre sur le Mont Saint-Michel (l’une de mes spécialités), j’avais assisté à l’envol de l’archange qui surmonte la flèche de l’église abbatiale. C’était la première fois depuis sa pose, un siècle auparavant, et la statue était rongée par l’air marin, qui prend ses aises par là-bas, et par les milliers d’impacts de foudre, puisqu’elle fait office de paratonnerre. Les archanges montent au ciel en hélicoptère.

L’opération a été reconduite en 2016. Il faut à chaque fois réparer la gangue de cuivre doré qui recouvre le fer de la statue. Doré à l’or fin : pour une statue d’une tonne, cela fait quelques feuilles d’or de 0,2 micron d’épaisseur chacune…

Moins toutefois que pour le Dôme des Invalides, restauré en 1989, dans le cadre des célébrations du bi-centenaire de la Révolution. Douze kilos d’or fin à chaque restauration, depuis la première, réalisée en 1715. Payés par le contribuable. Et alors ? C’est un monument historique, qui participe à la gloire de la France, tout comme le Mont Saint-Michel, l’un des sites les plus visités du pays.

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Marseille a donc décidé de redorer la statue de la Vierge posée tout en haut de la basilique néo-romano-byzantine qui surplombe la ville.

Mais ma ville a la spécificité d’abriter quelques-uns des plus exquis des élus LFI. Redorer la Vierge — une statue de plus de 11 mètres de haut ? Pas question ! s’insurgent ces braves gens. Après avoir fait les comptes (2,8 millions d’euros, dont 300 000 de la ville de Marseille, 400 000 du Conseil départemental, et 500 000 de la Région PACA), après avoir fait briller les yeux des analphabètes avec les 40 000 feuilles d’or fin nécessaires pour l’opération, nos vertueux élus s’emportent : « Les fonds publics doivent aller à l’école, au logement, au transport, à la réponse aux besoins de la population ! » Inutile de demander à quelles populations pensent messieurs Bompard et Delogu, les cadres intellectuels de LFI.

Et de souligner que c’est moins la loi de 1905 qui s’applique ici que celle de 1942, « loi du gouvernement de Vichy, collaborationniste avec les nazis, antisémite et raciste », qui « permet le versement d’argent public pour le financement de réparations aux édifices affectés aux cultes publics, qu’ils soient ou non classés monuments historiques » — ce que la Bonne Mère n’est pas, effectivement. Au passage, on est bien content d’apprendre que le parti de mesdames Panot, Obono and co. s’oppose à l’antisémitisme.

Notre-Dame-de-la-Garde, outre le fait d’être un spot touristique de premier ordre (chaque jour, un petit train sur roues y amène quelques milliers de visiteurs), est un site essentiel pour comprendre la ville ; il y a quelques années, on avait mis « la Ville » au programme de l’heptaconcours des IEP de province. J’avais donc traîné là-haut (et la montée est rude) mes élèves issus des « quartiers », comme on dit, qui n’y avaient jamais mis le pied, moitié paresse, moitié superstition, et furent tout étonnés de repérer leurs quartiers nord de naissance au sein de cette toile gigantesque qu’est la métropole marseillaise. Etonnés de lire sur les murs déchiquetés par les balles de mitrailleuse la trace des combats de 1944. Tout étonnés aussi de trouver dans la basilique elle-même tant de témoignages d’une foi vivace, à travers les milliers d’ex-voto célébrant l’intervention de la Vierge dans le retour des navires ou la résistance aux maladies mortelles.

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Mes étudiants musulmans, prenant sur eux d’entrer dans un lieu de culte catholique, conclurent que Dieu est partout — ou nulle part.

Je leur expliquai que la basilique actuelle a été construite sur les murs d’une ancienne chapelle du XIIIe siècle, déjà dédiée à la Vierge, patronne des marins et des pêcheurs. Que c’est de là-haut que François Ier, venu à Marseille en 1515 après Marignan, constata que la ville était mal défendue, et qu’il décida de construire le fort de l’île d’IF et d’englober l’église de la Vierge dans une structure militaire, qui forme aujourd’hui le soubassement de la basilique. Notre-Dame-de-la Garde est le résumé de l’histoire de la ville, le témoin de la ferveur populaire — comme l’est au fond la crèche provençale, que des laïques à jugement court veulent faire interdire, à Béziers et ailleurs (à Marseille, Jean-Claude Gaudin a pensé plus « citoyen » de la supprimer de lui-même il y a une vingtaine d’années). Un peuple a une histoire, et s’est inventé bien des façons de la célébrer — et c’est un athée convaincu qui vous le dit.

Personne n’est dupe : la protestation de LFI est en sous-main un appel du pied à tous ceux qui, dans cette ville, préfèrent voir fleurir des mosquées que redorer des Vierges. Mais elle est d’abord un affront à la mémoire populaire, quoiqu’on sache que chez certains de leurs supporters, l’histoire commence et finit en 622 à Médine avec l’avènement de l’islam et, en même temps, de la nuit.

Jean-Paul Brighelli, Entre ciel et mer, le Mont Saint-Michel, Gallimard, coll. Découvertes, 1987, 160 p.

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«Les Vigiles», de Tahar Djaout. Un roman prémonitoire?

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L'écrivain algérien Tahar Djaout photographié en 1987 © ANDERSEN ULF/SIPA

L’histoire, dit-on, ne repasse pas les plats. Voire. Il lui arrive pourtant de bégayer.

Le cas de Boualem Sansal qui croupit depuis des mois dans les geôles algériennes en offre un exemple frappant. Il présente d’étranges similitudes avec celui d’un autre écrivain algérien qui connut des mécomptes tragiques.

Il reste toutefois à souhaiter que le dénouement diffère.

Printemps 1991. Un jury littéraire présidé par Jean d’Ormesson et comptant dans ses rangs des personnalités telles que Jacqueline de Romilly, Maurice Rheims, Hervé Bazin, Emmanuel Roblès, vient de décerner à Paris le prix Méditerranée à Tahar Djaout pour son roman Les Vigiles. Ce dernier, né en 1954 en Kabylie, licencié en mathématiques, est aussi poète et nouvelliste.

Ses Vigiles brossent, de la société algérienne, un tableau sans complaisance qui donne froid dans le dos. Derrière la fiction, un témoignage accablant : bureaucratie omniprésente et tatillonne. Arbitraire. Concussion. Un pays où tout s’achète –  hormis les denrées de première nécessité, introuvables. La corruption y est générale. La délation y sévit à l’état endémique. Les anciens combattants du FLN y jouissent de sinécures et d’exorbitants privilèges, tandis que les intégristes musulmans prétendent, notamment par le biais de l’école, régenter les mœurs et imposer une pudibonderie ridicule.

Tel est le bilan de l’Algérie socialiste après une trentaine d’années d’indépendance.

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Le roman de Tahar Djaout compte les déboires d’un jeune professeur, inventeur d’un métier à tisser amélioré qu’il souhaite faire breveter. Pas si simple. On le suspecte, on l’espionne. On lui refuse un passeport. Il est victime de brimades sans nombre, pris dans un réseau inextricable de chausse-trapes. C’est que, dans une société sclérosée où chacun s’accroche à ses prébendes, toute innovation est perçue comme un danger.

Jusqu’à un spectaculaire retournement. Le régime finit par s’apercevoir de tout l’avantage à tirer de la situation. Voilà notre inventeur promu au rang de héros national. Pour justifier l’erreur de jugement, il ne reste plus qu’à trouver un bouc émissaire. Ce sera le vieux Menouar Ziada, être simple, trop naïf et trop pur pour avoir seulement l’idée de contester un système où le cynisme tient lieu de morale.

Cette fable amère, habilement narrée, vaut surtout par la virulence du propos. Lequel traduit à n’en pas douter, la stricte réalité. La mise en coupe réglée du pays y est dénoncée en termes sans équivoque.

Peut-être pourrait-on reprocher à l’auteur d’avoir forcé sur l’angélisme psychologique dans sa peinture du vieux Ziada. engagé par idéal dans la guerre d’indépendance et qui collectionne les incompréhensions et les malheurs. Mais on conçoit la nécessité dramatique du contrepoint, et, du reste, il s’agit là d’un détail secondaire qui ne gâte en rien la force corrosive de ces Vigiles

Deux ans plus tard, le 2 juin 1993, Tahar Djaout, victime d’un attentat, est abattu de deux balles dans la tête à Alger au pied de son domicile.

On se gardera de tirer la moindre conclusion.

Les Vigiles Le Seuil, 218 pages (1991)

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