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« Il est impossible de mettre un mineur en prison »

Au cœur de l’actualité politique, médiatique et législative, la justice des mineurs demeure mal connue et mal comprise du grand public. Au-delà du fait qu’il est surprenant de voir des députés de la majorité présidentielle remettre en question le code de justice pénale des mineurs (CJPM), que leur camp a pourtant conçu et porté, notre collectif affirme que la réforme qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale ne résoudra rien tant elle pèche par manque d’analyse des causes profondes des dysfonctionnements actuels.


De fait divers en fait de société, la justice pénale des mineurs est régulièrement au centre des débats, que ce soit pour critiquer son ambition affichée de donner la primauté à l’éducatif sur le répressif ou pour dénoncer le code de justice pénale des mineurs comme un ouvrage crypto-fasciste ayant pour but d’incarcérer tous les mineurs de France. Les commentateurs de tous bords semblent parfois oublier qu’on ne s’improvise pas juriste et que, tout comme ils ne s’aviseraient pas de procéder à la révision d’une centrale nucléaire sur la base de quelques vagues notions de physique, ils devraient s’abstenir de livrer des pseudo-analyses fondées sur des poncifs et des contre-vérités à propos d’un droit qu’ils maîtrisent mal et qui relève davantage de l’usine à gaz que du bel ouvrage législatif. Une mise au point s’impose, précisément dans l’intérêt du débat public, afin que chacun puisse se faire une opinion éclairée, fondée sur des informations précises et fiables.

Nous analyserons donc cinq réflexions fréquentes à propos de la justice des mineurs et tenterons de démêler le vrai du faux. Cet exercice sera également l’occasion de tenter de répondre à la question centrale pour qui voudrait réformer la Justice française : si laxisme il y a, la faute aux juges ou la faute à la loi ? Enfin, nous tâcherons d’apporter des propositions de réforme réelle, voire de véritable révolution.


Avant le jugement : la détention provisoire

Sous réserve de ce qui a été évoqué dans les épisodes précédents1, l’urgence à ce jour n’est pas uniquement celle de la rapidité voire de l’immédiateté du jugement, régulièrement présentée comme l’antidote ultime au sentiment d’impunité. La question est aussi voire surtout celle du sort du mineur entre le jour de décision de poursuite prise par le procureur (en général à l’issue de la garde à vue) et le jour du jugement. Cette période de latence est en effet à ce jour inévitable compte tenu de l’encombrement de l’appareil judiciaire, rendant impossible la généralisation des procédures de jugement rapide.

Le prononcé de mesures de sûreté permet de compenser l’existence de ce délai de latence : ce sont des mesures de contrôle qui s’imposent aux délinquants dans l’attente de leur jugement. Elles permettent (en théorie) de prévenir la commission de nouvelles infractions, de protéger les victimes et les témoins, d’empêcher des contacts entre les complices et de garantir la présence du suspect le jour du procès. Il s’agit également de répondre, dans les cas les plus graves, au trouble causé à l’ordre public, en apportant une réponse ferme à la fois dissuasive pour les délinquants et les criminels et rassurante pour les honnêtes citoyens.

Concernant les mineurs, le principe est l’absence de mesure de sûreté et le prononcé d’une mesure éducative judiciaire provisoire en cas de déferrement (présentation directe au tribunal à l’issue de la garde-à-vue). Concrètement, la violation de cette mesure ne donne lieu à aucune sanction. Le contrôle judiciaire n’est prononcé que si la mesure éducative est insuffisante. Et la détention provisoire n’est possible que dans le cas de la procédure de l’audience unique.

La détention provisoire d’un mineur dès la commission de l’infraction (sans attendre la violation du contrôle judiciaire) n’est possible que dans deux cas :

→ L’audience unique pour les délits (voir épisode 2) : La procédure d’audience unique ne permet pas de placer en détention provisoire un mineur de moins de 16 ans, quelle que soit la gravité des faits commis, mais uniquement de le placer sous contrôle judiciaire. Ce contrôle judiciaire ne pourra être révoqué que si le mineur est placé en centre éducatif fermé (encore faut-il trouver une place) ET qu’il ne respecte pas ce placement.

Elle permet en revanche de placer en détention provisoire le mineur âgé de 16 ans révolus pour une durée comprise entre 10 jours et un mois, en attendant son jugement par le tribunal pour enfants. Cependant, il faut que les conditions de l’audience unique soient réunies : une peine minimum de trois ans d’emprisonnement encourue et l’existence d’un antécédent (donc concrètement que l’agresseur ait déjà volé/violenté/détruit quelque chose ou quelqu’un).

→ L’information judiciaire (principalement pour les crimes) : le mineur présenté à un juge d’instruction peut être placé en détention provisoire s’il a commis un crime ou un délit. Cependant, les délais sont plus courts que ceux des majeurs. Pour exemple, un mineur de moins de 16 ans mis en examen pour un viol ou un meurtre ne peut être détenu que pour une durée maximale d’un an.

Exemple : Amine a 15 ans. Sur ordre d’un dealer il abat un concurrent sur un point de deal. Il est mis en examen pour assassinat. Il peut être détenu pendant 12 mois, puis il peut être placé en centre éducatif fermé pendant 12 mois. Si l’instruction n’est pas terminée dans ces délais, notre apprenti tueur à gages sera remis en liberté… Chez lui ou dans un foyer classique.

En conclusion, comme le souligne le syndicat Unité magistrats FO, dont nous saluons la dernière communication sur la réforme de la justice des mineurs : « les conditions d’incarcération des mineurs de moins de 16 ans sont devenues trop restrictives avec le CJPM, et rendent quasiment impossible leur placement en détention provisoire y compris lorsqu’ils sont réitérants et commettent des faits graves. Cela contribue à alimenter chez ces mineurs un sentiment d’impunité voire de toute-puissance, telle que le rapporte le pédopsychiatre Maurice Berger dans son dernier livre »2.

RESPONSABLE PRINCIPAL : LA LOI

Après le jugement : la peine d’emprisonnement ferme

Dans un délai de 6 à 9 mois après la déclaration de culpabilité, le mineur comparaît à nouveau devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants pour recevoir sa sanction.

S’il comparaît devant le juge des enfants, celui-ci ne peut prononcer qu’une mesure éducative, un travail d’intérêt général ou un stage : pas de peine d’emprisonnement possible. Cette règle s’applique quelle que soit la nature des faits commis : Amine peut donc être jugé par un juge des enfants seul et condamné à un stage ou un avertissement pour des faits de trafic de stupéfiants ou d’agression sexuelle. Il n’y a aucune obligation légale de traduire les mineurs ayant commis des faits graves devant le tribunal pour enfants.

S’il comparaît devant le tribunal pour enfants, tous les types de peine peuvent en revanche être prononcés : amende, stage, travail d’intérêt général, emprisonnement avec sursis simple, avec période de probation, bracelet électronique, semi-liberté et même de l’emprisonnement ferme avec une mise en détention immédiate. Il est donc nécessaire pour pouvoir sanctionner un mineur par de l’emprisonnement de l’envoyer devant le tribunal pour enfants.

Le choix d’orienter le mineur vers le juge des enfants ou le tribunal pour enfants est une décision du… juge des enfants. La juridiction de principe désignée par la loi est… le juge des enfants. Dans la majorité des cas, le jugement sur la sanction aura donc lieu en chambre du conseil, c’est-à-dire devant le juge des enfants seul (encore lui !). La question de l’emprisonnement ne se posera alors même pas. Devant le tribunal pour enfants, en revanche, l’emprisonnement est possible mais… dépend du bon vouloir de la juridiction. Les tribunaux pour enfants sont-ils connus pour sanctionner sévèrement les mineurs ? La réponse au prochain épisode.

On comprend aisément que la question de l’incarcération du mineur dépend avant tout de la volonté du juge des enfants : s’il envoie Amine devant la chambre du conseil, aucun emprisonnement possible. Si par miracle il l’envoie devant le tribunal pour enfants, c’est encore le juge des enfants (bienveillant, empathique et fervent lecteur de Rousseau3), qui décidera de son sort. Vous le devinez, Amine passera loin, très loin, de la case prison.

RESPONSABLE PRINCIPAL : LE JUGE DES ENFANTS

NOS PROPOSITIONS POUR EN SORTIR :

  • Rendre le placement sous contrôle judiciaire obligatoire si le mineur a déjà été condamné ou est déjà sous mesure éducative judiciaire provisoire
  • Étendre la possibilité de détention provisoire aux mineurs de moins de 16 ans et à toutes les atteintes aux personnes, sans condition de peine encourue ni d’antécédent
  • Allonger les délais de la détention provisoire criminelle à 2 ans pour les mineurs de moins de 16 ans
  • Permettre au parquet de saisir directement le juge des libertés et de la détention pour faire révoquer le contrôle judiciaire d’un mineur, sans passer par le juge des enfants
  • Permettre la révocation du contrôle judiciaire dès qu’il y a une violation, même sans placement en centre éducatif fermé et quel que soit l’âge du mineur
  1. https://www.causeur.fr/la-cesure-du-proces-penal-est-une-mauvaise-reforme-cjpm-305918
    https://www.causeur.fr/il-faut-une-comparution-immediate-pour-les-mineurs-306452 ↩︎
  2. https://unite-magistrats.org/publications/delinquance-des-mineurs-l-urgence-d-une-reforme-a-la-hauteur-des-enjeux ↩︎
  3. Jean-Jacques, pas Sandrine. Quoique, on peut toujours tomber sur un adhérent du SM. ↩︎

De la salle de classe à la rue: le partenariat avec l’université Reichman embrase Sciences Po Strasbourg

Climat pesant, pressions internes, divisions profondes: derrière la controverse autour du partenariat entre Sciences Po Strasbourg et l’Université Reichman, un étudiant témoigne d’une institution prise dans la tourmente. Entre mobilisations, accusations de partialité et tensions croissantes, chaque camp continue d’essayer d’imposer sa vision


L’Institut d’études politiques de Strasbourg (Sciences Po Strasbourg) a récemment été le théâtre de vives tensions autour de son partenariat académique avec l’Université Reichman, un établissement privé israélien situé à Herzliya. Cette université jouit d’une réputation internationale dans les domaines des relations internationales, du droit, du commerce et de l’innovation technologique, et accueille chaque année un grand nombre d’étudiants venus du monde entier. Le lien entre les deux institutions remonte à l’année 2015, date à laquelle un accord de coopération a été signé. Ce partenariat prenait la forme d’un programme d’échange, permettant à des étudiants de Sciences Po Strasbourg de poursuivre un semestre ou une année de leur cursus à l’Université Reichman, et offrait en retour à des étudiants israéliens l’opportunité d’étudier à Strasbourg.


En juin 2024, dans un climat international particulièrement tendu à la suite du massacre du 7-octobre et de la guerre qui l’avait suivi, le conseil d’administration de l’Institut d’études politiques de Strasbourg a voté la suspension du partenariat qui le liait à l’Université Reichman. Cette décision ne s’est pas imposée d’elle-même : elle faisait suite à une motion portée par Solidarit’Étudiants, une association étudiante majoritaire au sein du conseil, qui dénonçait le contenu politique implicite d’un tel partenariat. Solidarit’Étudiants est une organisation étudiante active au sein de l’Institut d’études politiques de Strasbourg. Elle s’est fait connaître notamment par son positionnement engagé sur les enjeux sociaux, internationaux et éthiques. En 2024, elle détenait huit des dix sièges réservés aux étudiants au sein du conseil d’administration de l’établissement, ce qui lui conférait une majorité décisive dans certaines prises de position institutionnelles. L’association se revendique comme « progressiste, solidaire et internationaliste, attachée à la défense des droits humains, à la critique des rapports de domination, et à une approche éthique de la coopération universitaire ».

Mobilisation étudiante et tensions sur le campus

Il est significatif de constater qu’à Sciences Po Strasbourg, la dynamique étudiante autour de la cause palestinienne a trouvé un relais actif dans l’émergence d’un Comité Palestine, dont le rôle s’est affirmé au fil des mois dans les mobilisations liées aux relations entre l’institution strasbourgeoise et l’Université Reichman en Israël. Ce comité a organisé plusieurs manifestations sur le campus et semble avoir joué le rôle de catalyseur. Parmi ces initiatives, on note notamment la tenue d’une soirée de soutien à la cause palestinienne, organisée le 9 avril 2024, qui s’inscrivait dans une logique de sensibilisation mais aussi de contestation des partenariats jugés problématiques. Un étudiant, qui a souhaité rester anonyme, témoigne d’un climat de plus en plus polarisé au sein de l’établissement. Selon lui, « la division à l’intérieur de l’université est palpable. Certains professeurs soutiennent le boycott et exercent une pression sur la direction, tandis que d’autres subissent les blocages et tentent de résister. »

À lire aussi, Gil Mihaely : Nétanyahou : ni juges ni Hamas

La suspension du partenariat a suscité de vives réactions. La Ligue internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (Licra) a exprimé son inquiétude.1 Le 4 décembre, sur le plateau de BFM Alsace, Simon Levan (étudiant et dirigeant de Solidarit’Étudiants) et Vincent Dubois (professeur à Sciences Po Strasbourg et soutien de la suspension du partenariat) expliquaient qu’il ne s’agit pas d’un boycott de Reichman parce qu’université israélienne, mais à cause de son implication spécifique dans la guerre à Gaza, à travers ses liens particulièrement étroits avec les institutions de la défense du pays.2

Coup de théâtre au conseil d’administration

Ces arguments n’ont pas convaincu le conseil d’administration de l’IEP, qui, le 18 décembre 2024, a voté en faveur de la reprise du partenariat avec l’université Reichman. Cette décision a été adoptée à quatorze voix pour, une contre et quatre abstentions, tandis que quatorze membres n’ont pas pris part au vote. À la suite de ce vote, cinq enseignants-chercheurs ont démissionné du conseil d’administration. Vincent Dubois, Michel Fabreguet, Valérie Lozac’h, Jérémy Sinigaglia et Nadine Willmann ont qualifié ce vote de « déni de démocratie » et ont dénoncé les « nombreuses pressions tant internes qu’externes » entourant le scrutin.

À la suite de cette décision, plusieurs collectifs étudiants ont de nouveau exprimé leur opposition au maintien du partenariat avec l’Université Reichman. Cette mobilisation a entraîné des actions concrètes à l’intérieur même de l’établissement. En janvier 2025, des étudiants ont bloqué l’accès à l’IEP pour protester contre la reprise du partenariat. Le 30 janvier, les forces de l’ordre sont intervenues pour évacuer les manifestants, permettant la reprise des activités normales de l’établissement. En mars 2025, un accord a enfin été trouvé pour créer un comité d’examen chargé d’évaluer le partenariat avec l’université Reichman. À la suite de cet accord, les étudiants ont finalement levé le blocage de l’établissement.

Mais, pour certains observateurs, ce comité ne reflèterait pas la diversité des points de vue au sein de l’établissement. L’étudiant anonyme mentionné plus tôt évoque une ambiance pesante où « la difficulté à débattre sereinement » est devenue manifeste : « Beaucoup d’étudiants, bien qu’intéressés par le sujet, évitent les discussions par peur d’être mal perçus ou de s’attirer des ennuis. » Selon lui, la radicalisation des positions entrave le dialogue et marginalise les voix nuancées ou prudentes. Pire encore, il pointe également des conditions inéquitables dans la création du comité étudiant chargé d’examiner le partenariat : « Alors que certains avaient plusieurs semaines pour se préparer, d’autres n’ont eu que deux jours, ce qui posait de sérieuses questions en termes de démocratie et d’équité. » Il ajoute que la composition du comité semblait orientée, en majorité favorable aux militants pro-palestiniens. Sauf surprise, le comité déciderait de suspendre le partenariat avec Reichman dans les prochains jours…


  1. Motion de Sciences Po Strasbourg contre l’université Reichman de Tel Aviv : une source d’aggravation des tensions et de discriminations ↩︎
  2. Sciences Po Strasbourg: les raisons de la suspension du partenariat avec l’université Reichman ↩︎

Peur: le mot de l’année

Récompensé par un prix de la Licra mercredi à l’Elysée, l’animateur télé Arthur a tenu un discours émouvant et bouleversant pendant quatre minutes. « Pendant que la République parfois hésite, la haine avance, elle s’installe », a-t-il notamment affirmé.


Il y a les peurs que distillent plus ou moins à dessein nos gouvernants à bout de souffle, arguant de l’imminence du déferlement de hordes poutinesques dans nos villes et campagnes, de celle, à présent, d’un conflit d’ampleur avec les mollahs de ce qui fut jadis le bel empire Perse. Peur encore devant la guerre économique trumpienne dont l’Europe et singulièrement la France, devraient, à les en croire, sortir en chemise.

Mais il y a une autre peur, hélas bien réelle et concrète celle-ci, et qui nous concerne tous, nous autres citoyens de France, car nous sommes tous autant que nous sommes en capacité de lutter contre. C’est celle que dénonçait Arthur, l’homme de télévision, l’autre soir après que le président de la République lui a remis, ainsi qu’à Sophia Aram, le prix Jean-Pierre Bloch pour son engagement contre l’antisémitisme. Un président de la République – je tiens à le souligner – qui pourtant s’est bien gardé de participer, de se monter ne serait-ce que quelques instants, le 13 novembre 2023 à la grande marche contre cet ignoble fléau.

« Une peur intime qui me réveille la nuit, confesse Arthur. Non pas une peur abstraite, une peur active… » « Je parle,  ajoute-t-il, pour mes parents qui changent leur nom lorsqu’ils commandent un taxi (…) pour les rabbins frappés en pleine rue… » Et d’ajouter : « Quelque chose s’est brisé (…) La haine s’installe. Ça commence par les Juifs et ça emporte tout. » En effet, quelque chose s’est brisé au sein de notre nation ces deux dernières années. Et ce n’est plus aujourd’hui une simple fêlure, c’est d’ores et déjà une plaie dont la béance s’aggrave de jour en jour.

A lire aussi, notre numéro #133: Poutine, Trump, Tebboune, islamistes… Qui est notre ennemi?

Comment peut-on accepter, tolérer que, dans ce pays de France, des femmes, des hommes des enfants mêmes, tant de nos concitoyens, aient à vivre dans la peur ? Comment est-ce seulement possible ? Quel est le nom de cette résignation collective, de cette apathie qui nous empêcherait de faire front, massivement, tous ensemble, unis, déterminés ? Quel est ce nom, sinon lâcheté.

La cause commune qui doit nous rassembler aujourd’hui – et de toute urgence – est bien celle-ci : la croisade contre l’antisémitisme, cette haine irrationnelle, monstrueuse, cette peste qui – Arthur dit vrai – nous emportera tous si nous tardons à nous dresser contre elle. Cela  sans mollesse aucune, sans tergiversation. Pour commencer il est urgent que tous les partis et mouvements politiques – tous ! – s’allient, dès aujourd’hui, pour placer en tête de leur engagement cette lutte-là et en faire très officiellement, très clairement la toute première de nos grandes causes nationales. Oui, combattre sans faiblesse, sans ces pruderies des âmes molles éternellement engluées dans l’artifice foireux du feint souci de ménager la chèvre et le chou.

Je reprendrai donc ici le mot de Voltaire, dont on ne peut pas dire qu’il ait été sa vie durant un boute-feu frénétique, un zélateur de la violence à tout crin : « J’ai vu qu’il n’y avait rien à gagner à être modéré, et que c’est une duperie », écrit-il. Qu’on se le dise !

Rien à gagner non plus à atermoyer. Il est grand temps, si l’on veut pour de bon empêcher que le mot de l’année ne devienne le mal du siècle.

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Affaire Le Pen: le Système? Quel Système?

Depuis la condamnation de Marine Le Pen le 31 mars, les médias français se sont appliqués à dénoncer cette « internationale réactionnaire » qui ose prendre le parti de la chef du groupe des RN à l’Assemblée contre nos juges.


Introduction apéritive. À la recherche des propos les plus ineptes tenus à la suite de la condamnation de Marine Le Pen, il ne m’a pas fallu longtemps pour tomber sur la perle rare, en l’occurence un message de Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV, sur X : « Je ne vais pas pleurer pour Marine Le Pen. Je réserve mes larmes pour la communauté trans, qui dans le monde entier est en première ligne face aux attaques haineuses de tous.tes les transphobes, qui sont d’ailleurs souvent les ami.es de Madame Le Pen. Pendant le NFP, on a même vu notre président s’en prendre à elle pour marcher dans les pas de l’extrême droite. Je n’oublie pas, et je n’oublie pas non plus qu’aujourd’hui devrait être la journée où on lui donne de la visibilité. Comme l’a dit Pedro Pascal, dont la sœur est une actrice transgenre : “un monde sans personnes trans n’a jamais existé et n’existera jamais.” On pense à vous et on se battra pour vous, tous les jours. Les droits des personnes trans sont des droits humains. » Mme Tondelier n’est pas le prototype d’un abêtissement nouveau mais l’aboutissement d’un long processus d’abaissement de l’intelligence ayant conduit à une idéologie bâtarde, l’écolo-wokisme. Marine Tondelier, Sandrine Rousseau, Éric Piolle – si ces noms doivent figurer un jour dans un livre d’histoire de France, cela ne sera probablement pas au chapitresur les Grands esprits du XXIe siècle.

Holding de l’audiovisuel public : Rachida Dati nous prive de France inter !

Ce mardi 1er avril, France Inter était en grève. Dommage ! Les journalistes de la matinale auraient pourtant aimé pouvoir livrer leurs remarquables analyses sur la condamnation de Marine Le Pen dès le lendemain de cet évènement. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ils en ont profité pour fourbir leurs discours et affûter leurs éditos. Le 2 avril, remontés comme des coucous, ils se sont livrés à l’exercice journalistique qu’ils préfèrent, la castorisation dite républicaine, avec l’absence totale de neutralité et de pluralisme qui les caractérise. Patrick Cohen, qui a eu l’occasion de s’entraîner la veille dans l’émission télévisuelle “C à vous” dont nous allons reparler, se distingue une fois de plus : le RN, martèle-t-il, « a épousé le trumpisme ». Marine Le Pen dénonce le Système médiatico-politique ? L’éditorialiste ne voit pas de quel système il s’agit mais… détaille ses méfaits : « Vous savez, ce fameux “système” qui tient secrètement le pays, qui ferme une chaine de télé, réécrit Crépol ou nous fait croire que Poutine est une menace. » France Inter faisant partie dudit système, M. Cohen s’agite et cogite : il devine, derrière cette dénonciation, un « fatras complotiste » et… une trumpisation des esprits – c’est la nouvelle marotte castorisatrice des journalistes de gauche, marotte qu’agitera quelques minutes plus tard, avec sa subtilité coutumière, l’impayable Sonia Devillers lorsqu’elle recevra le vice-président du RN, Sébastien Chenu. Celui-ci ayant eu le mauvais goût de s’esclaffer en entendant l’éditorial de son confrère, Mme Devillers sonne la charge : « Vous avez ri en entendant la chronique de Patrick Cohen. Mais la rhétorique de Marine Le Pen n’est-elle pas celle de Donald Trump qui a donné lieu à un assaut populaire contre le Capitole ? » Le système médiatico-politique qui, rappelons-le, n’existe pas, s’est apparemment passé le mot…

A lire aussi, Elisabeth Lévy: A la déloyale

… la preuve, avec le président du conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, qui a pour habitude de répéter les platitudes les plus plates. Sur RTL, face à Thomas Sotto, il ne déroge pas à cette règle qui a fait de lui l’homme politique de droite le plus transparent et le plus prévisible de sa génération. Écouter M. Bertrand, c’est se laisser bercer par une brise insipide, c’est entendre l’écho souffreteux d’un discours convenu compilant de médiocres clichés : ses « valeurs républicaines », dit-il, l’incitent à « ne pas avoir peur du Rassemblement national ». Mais, ajoute-t-il, il se désole de constater que « l’internationale de l’extrême droite a manifesté son soutien à Marine Le Pen ». Il craint par conséquent que la manifestation de soutien à cette dernière prévue à Paris ne tourne mal : « Je n’ai pas envie qu’on joue un mauvais remake du Capitole. » M. Bertrand aurait aimé raviver le souvenir du fracas que fut, selon lui, cet « assaut contre la démocratie ». Mais c’est le son creux des banalités rabâchées qui envahit le studio de RTL…

… puis s’en va investir celui de BFMTV, où le pendant socialiste de M. Bertrand s’évertue, comme il le fait avec brio depuis des décennies, à ne pas paraître démesurément brillant ni original. François Hollande reprend les éléments de langage de Xavier Bertrand et des journalistes de la radio publique. Il prend son temps pour ne pas choisir ses mots. Il fait semblant de découvrir des phrases toutes faites, qui ne sont pas de lui. Sans doute espère-t-il qu’elles passeront auprès des « sans-dents » pour le summum d’une pensée authentique. Mais les oreilles ne s’y trompent pas : l’éloquence hoqueteuse et laborieuse de celui qui fut, on a peine à le croire, président de la République, martyrise le tympan. Le cerveau, quant à lui, n’a pas beaucoup de travail à effectuer : les propos lénifiants de M. Hollande sont immédiatement analysés, disséqués, digérés, pour finir dans le coin le plus obscur de ce noble organe, une mystérieuse mais efficace cavité dans laquelle sont dissous pour disparaître à tout jamais les propos inutiles, les déchets, les encombrants de la pensée politique.

RN / Journalistes : le choc frontal

Audiovisuel public, encore. France 5, officine de gauche. Sur le plateau de “C à vous”, Anne-Elisabeth Lemoine, l’air toujours aussi inspiré, sourit lorsque le député RN Jean-Philippe Tanguy ose demander que Tristan Berteloot, participant à l’émission, ne soit pas simplement présenté comme un journaliste de Libération, mais aussi comme l’enquêteur de la cellule anti-RN que le quotidien a créée. « Alors, il y a un complot de Libération ? » ironise Mme Lemoine qui ignore de toute évidence qu’il existe effectivement, comme l’indiquait Libé, le 23 août 2023, dans un communiqué annonçant son lancement, une « cellule spécialisée sur l’extrême droite », que cette cellule a été créée pour faire « face à la banalisation d’un Rassemblement national entré en force à l’Assemblée », qu’elle publie chaque mardi une newsletter intitulée Frontal et qu’elle est composée de « quatre journalistes qui travaillent à temps plein sur le sujet », dont le journaliste et enquêteur Tristan Berteloot. Sur le plateau, Maître Patrick Maisonneuve, l’avocat du Parlement européen qui, étrangement, s’étonne que Marine Le Pen se défende en niant la qualification des faits qui lui sont reprochés, ajoute son grain de sel en ricanant : « Et probablement que nous nous réunissons la nuit [avec M. Berteloot], dans une cave. » Inutile, je pense, de préciser que Jean-Philippe Tanguy a été « reçu » avec tous les  honneurs dus à son statut de représentant de « l’extrême droite ». Rappelons quel’émission“C à vous” est produite par la société 3e Œil Productions, laquelle fait partie de Mediawan, entreprise dont l’un des actionnaires est Matthieu Pigasse, le même Matthieu Pigasse qui déclarait dernièrement dans Libération : « Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale. » Arrêtez de voir le mal partout – puisqu’on vous dit qu’il n’y a pas de système…

A lire aussi, du même auteur: Le wokisme n’existe pas. Enfin, ça dépend des jours…

Le Monde confirme pourtant que tout média refusant d’y appartenir doit être puni, voire éliminé : « Le traitement de la condamnation de Marine Le Pen sur CNews et Europe 1 interroge. » Après s’être interrogé, le Monde préconise : « l’Arcom devra évaluer si les médias de Bolloré manquent à leurs obligations de pluralisme et d’honnêteté dans la présentation des informations. » Pas un mot, naturellement, sur le traitement tendancieux de cet évènement par l’audiovisuel public. CNews est maintenant, et de loin, la première chaîne d’info continue, certaines de ses émissions dépassant régulièrement le million de téléspectateurs, tandis qu’Europe 1 poursuit sa reconquête. Aux yeux de la caste médiatique établie, cela est tout bonnement insupportable. Il est donc nécessaire de faire baliser dès à présent, à coups d’avertissements et de mises en garde, le chemin qui mènera, comme pour C8, à des amendes de plus en plus élevées et, finalement, à une remise en cause de l’existence même de ces médias dissidents. Histoire que le Système (qui n’existe pas) puisse enfin dormir sur ses deux oreilles…

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Donald Trump : brise-tout inculte ou stratège hétérodoxe ?

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D’est en ouest, des voix s’élèvent à travers le monde pour dénoncer la politique tarifaire que vient d’annoncer le président américain, politique qualifiée sans hésitation de « violente », « suicidaire », « incohérente », « inepte » ou « contraire aux règles élémentaires du commerce ». Dans Hamlet, le vieux chambellan Polonius commente ainsi le comportement apparemment erratique du personnage central : « Bien que ce soit de la folie, il y a pourtant de la méthode en cela ». Ne devons-nous pas, avant de vouer Donald Trump aux gémonies sur le plan intellectuel, nous demander s’il n’y a pas une certaine méthode derrière ses actions, et si oui, laquelle ? Tentative d’explications.


A 16h00, heure locale, Donald Trump a pris place, debout devant son pupitre dans la roseraie de la Maison Blanche, pour annoncer les nouveaux tarifs que les États-Unis vont imposer à leurs partenaires commerciaux. Vêtu de sa cravate rouge et de son pardessus bleu foncé, sans notes, celui qui est de loin le meilleur comédien en politique de toute la planète, a parlé du 2 avril comme du « jour de Libération » de son pays. Faisant référence au célèbre document de 1776, il a affirmé : « A mon avis, c’est un des jours les plus importants de toute l’histoire américaine. C’est notre Déclaration d’indépendance économique ». Le programme qu’il a présenté ressemblait moins à une forme de libération qu’à un acte de revanche. Selon lui, les États-Unis auraient été « pillés » par les autres nations « pendant des décennies ». Les nations amies auraient participé à ce pillage aussi bien que les nations ennemies – elles auraient même été pires que les ennemies dans la spoliation du géant américain.

Les mesures spécifiques annoncées par Trump afin de remédier à la situation qu’il a évoquée ont attiré immédiatement dénonciations et moqueries de la part de la majorité des politiques et des commentateurs, surtout en Europe. Lors d’un débat sur BFM TV le soir du 3 avril, Thierry Breton, ancien ministre français et ex-commissaire européen, incarnant toute la morgue du vieux continent à l’égard des arrivistes yankee, a tout simplement qualifié le projet trumpien de « véritable absurdité ». Pourtant, des expressions de mépris nous permettront-elles d’éviter les conséquences des tarifs américains ou au moins de pallier leurs effets ? Ne vaut-il pas mieux essayer de comprendre d’abord ce que veut le président américain et quelles sont ses motivations ?

Les Américains ne s’en balancent pas

Depuis 2017, la balance commerciale américaine affiche un solde négatif d’au moins 500 milliards de dollars. C’est surtout la conséquence des échanges avec la Chine, qui en 2024 avait un excédent commercial de 295,4 milliards de dollars avec les États-Unis, et avec l’Union européenne, qui avait un excédent de 235 milliards.

Le déficit commercial des États-Unis a ses raisons et ses conséquences. D’abord, c’est une fonction de la richesse de ce pays. Les Américains, étant la population la plus riche du monde, peuvent acheter pratiquement ce qu’ils veulent où ils veulent. En même temps, leur déficit commercial permet aux autres pays, surtout aux plus pauvres, qui ont des excédents commerciaux, de participer aux échanges économiques et ainsi d’être moins pauvres. Mais c’est ici qu’arrive un problème. Le déficit américain a permis à un des pays en développement, la Chine, qui jouit toujours du statut de pays en développement, de s’enrichir aux dépens des Américains et de rivaliser avec les États-Unis sur les plans économique et militaire. Afin de préserver l’hégémonie américaine, Trump a décidé de s’attaquer au déficit. Son message est très clair : il faut que la communauté internationale trouve une autre base, un autre lubrifiant, que le déficit américain pour garantir la circulation des biens dans le monde.

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Un autre élément important dans la création du déficit américain est la puissance du dollar, qui permet aux Américains d’acheter à l’étranger (parfois en dépit des tarifs élevés imposés par leur propre gouvernement), mais qui empêche souvent leurs industries d’exporter. Une des raisons de cette puissance est la volonté des autres pays aisés de thésauriser leurs richesses en achetant des obligations du Trésor américain, libellées bien sûr en dollars. Réduire la puissance de sa monnaie fait partie aussi du programme de Trump, à côté des nouveaux tarifs. Il s’agit d’une opération particulièrement délicate, mais pour Trump l’objectif est, non pas de mettre fin à la mondialisation, mais de redessiner le système de fond en comble. D’autres dirigeants et candidats politiques ont parlé de la nécessité de le faire ; seul Trump est passé à l’action.

Le système anti-système

Par une mise en scène théâtrale, Trump a fait de son annonce un défi, une gifle, un ultimatum, lancés au reste du monde. Mais à dire la vérité, ce n’était guère surprenant. Après son premier mandat et ses déclarations au cours de la campagne présidentielle de 2024, nul n’a pu douter que Trump ait recours à des mesures extrêmes. S’il a nommé l’avocat, Robert Lighthizer, comme son expert principal en matière de commerce international en 2017, sa nouvelle équipe de conseillers est encore plus radicale. Les Européens sont partagés entre lamentations et déclarations belliqueuses, mais ils ne peuvent pas prétendre qu’ils n’avaient rien vu venir.

Entre ces lamentations, on entend que Trump est en train de détruire le système des échanges internationaux mis en place il y a quatre-vingts ans, c’est-à-dire juste après la Seconde Guerre mondiale. En réalité, le système n’a jamais cessé de muer au cours des décennies. Le choc que Trump s’apprête à faire subir au monde a même un précédent, le « choc Nixon » de 1971. Élu en 1969, ce dernier s’est trouvé face à un désastre économique potentiel. L’inflation montait de manière alarmante dans son pays. Sa balance commerciale affichait un solde négatif et la place des États-Unis dans l’économie mondiale déclinait sans cesse. Sa part de la production économique mondiale était tombée de 35% en 1950 à 27% en 1969. La faute en était en partie au système commercial connu sous le nom de « Bretton Woods ». Les taux de change étaient stables car les devises des différents pays étaient indexées sur le dollar et le dollar était convertible en or. Mais d’autres pays voulant convertir leurs dollars en or, les réserves américaines se fondaient à vue d’œil. Nixon a mis fin à la convertibilité du dollar en or et a imposé un tarif de 10% sur toutes les importations. Le monde a en essuyé les répercussions, notamment la combinaison d’inflation et d’absence de croissance – « stagflation » – qui a caractérisé les années 1970.

Le système actuel est en partie la conséquence du choc Nixon, mais aussi de la création en 1994 de l’Organisation mondiale du commerce qui est censée encadrer les échanges commerciaux et veiller au respect des principes. L’accession de la Chine à l’OMC en 2001, lui permettant de participer librement à la mondialisation, a été un autre choc pour l’économie globale. L’OMC dispose d’un Organe d’appel destiné à régler les différends entre les pays. Or, le fonctionnement de cet Organe a été bloqué par les États-Unis qui refuse de nommer des membres du panel de sept arbitres. Ce refus a commencé sous Obama, mais c’est sous Trump en 2019 que l’Organe est devenu totalement inopérant. L’action américaine a pour motif la tendance de cet instance – selon les États-Unis – à aller trop loin dans l’interprétation des règles, en se substituant au législateur. C’est ainsi que l’Organe, en 2013, a rendu un jugement très favorable à la Chine, en acceptant une définition d’une entreprise d’État qui a permis à de nombreuses sociétés chinoises subventionnées par leur gouvernement de commercer en toute liberté. C’est aussi l’OMC qui permet à la Chine, deuxième économie mondiale, de jouir du statut de pays en développement.

Les tarifs de Trump sont ainsi destinés d’abord à bafouer les règles de l’OMC, selon lesquelles de telles mesures sont inadmissibles. Le président indique ainsi que ce système a déjà cessé de fonctionner. Un nouveau système doit donc naître des cendres de l’actuel, mais il faut d’abord réduire ce dernier en cendres.

Tableau de chasse

Lors de sa conférence de presse, Trump a brandi un tableau qui listait les principaux partenaires commerciaux des États-Unis en spécifiant les tarifs que, selon lui, ces derniers appliquent aux exportations américaines, suivis des tarifs que Trump va leur imposer. Le président américain a déjà imposé des tarifs de 25% sur les importations d’acier, d’aluminium et de voitures achevées. Maintenant il impose d’autres tarifs adaptés à chaque partenaire. Il a prétendu que son équipe a calculé le niveau des tarifs imposés par les partenaires – par exemple, 67% par la Chine, 39% par l’UE, 46% par le Japon – en prenant en compte les tarifs en tant que tels, la manière dont ces pays auraient « manipulé » leur devise, la TVA et d’autres mesures non-tarifaires comme les normes de sécurité. En réalité, le chiffre n’est que l’excédent commercial de chaque pays avec États-Unis divisé par le volume de ses exportations vers l’Amérique. La riposte trumpienne est le même pourcentage coupé en deux par pure bonté car, dit-il, « nous sommes très gentils ». Il y a un tarif minimum de 10% pour tous les pays, même ceux qui ont un déficit dans le commerce des biens avec les États-Unis, comme le Royaume Uni, ou qui ont déjà un accord commercial avec les Américains, comme l’Australie. La Russie ne figure pas dans le tableau, car les échanges sont très réduits actuellement. Le Canada et le Mexique sont absents car ils sont déjà dans le collimateur de Trump dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain, signé en 1994 et renégocié par Trump en 2020.

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Les pays les plus durement touchés sont la Chine, à 34%, le Japon à 24%, l’Inde à 26%, la Corée du Sud à 25%, le Vietnam à 46%, le Cambodge à 49% et la Thaïlande à 36% L’UE est à 20%. C’est très clairement la rivale chinoise qui est visée le plus ici, car avec des tarifs déjà imposés par Trump, le montant revient à 65%. En mai, le système « de minimis » qui permet actuellement l’entrée sans tarifs aux États-Unis de colis représentant une valeur chacun de moins de 800 dollars sera aboli. Ce système a beaucoup profité à des sites de vente en ligne chinois comme Shein. L’UE est taxée juste au moment où elle commence à se méfier elle-même des importations de la Chine, mais pour Trump elle a besoin de montrer clairement qu’elle est du côté américain dans la lutte commerciale. Mais pourquoi Trump punit-il tellement les alliés des États-Unis que sont l’Inde, la Corée du Sud, le Vietnam, le Cambodge et la Thaïlande ? La raison est l’échec de la politique de friend shoring, c’est-à-dire la tentative de se fournir auprès de pays amis ou de concentrer les maillons des chaînes d’approvisionnement de ses propres entreprises dans ces mêmes pays. C’est l’approche adoptée par les Américains après l’imposition de tarifs à la Chine par Trump dans son premier mandat et par Biden. Le hic, c’est que la Chine a établi des usines dans ces pays amis, pendant que des entreprises dans ces pays ont réemballé des biens ou des pièces importés de Chine pour les exporter vers les États-Unis. La punition commerciale de ces pays par Trump est un signal très clair : pas de collaboration possible avec les Chinois.

On a beaucoup commenté des anomalies apparemment comiques dans le tableau de Trump : des îles inhabitées ont été imposées ou des territoires d’outre-mer ont été taxés plus que la métropole. C’est ainsi que les huit îles françaises de Saint Pierre et Miquelon se trouvent à 50% quand la France elle-même n’est qu’à 20%. Cela a permis aux commentateurs de donner libre cours à leur mépris pour l’amateurisme des Américains, mais il se peut qu’il s’agisse d’un écran de fumée pour détourner l’attention. Ce qui compte, aux yeux de Trump, c’est sûrement les négociations qui vont commencer avec les partenaires, négociations qui auront lieu d’abord dans les coulisses.

Les buts de Trump sont multiples : réduire son déficit, encourager le rapatriement des chaînes de fabrication, attirer des investissements (il prétend avoir déjà attiré 4 000 milliards de la part de grandes entreprises comme Apple, Oracle ou Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), réduire la valeur du dollar et créer des emplois sur son sol. Les Américains parlent aussi de remplacer les revenus en provenance des impôts par d’autres en provenance des tarifs, ce qui correspond à ce qui se passait aux États-Unis dans la dernière partie du XIXe siècle. Pourtant, cela semble très difficile à réaliser.

Retaliate or negotiate

La conséquence immédiate de l’action de Trump, c’est de donner aux partenaires des Américains le choix entre la guerre commerciale ou la négociation d’un accord. Le Canada, est pour l’instant entre les deux. Les Européens se préparent à la guerre. Le Royaume Uni tente de négocier un accord limité. Le président américain veut surtout que les différents pays choisissent entre les États-Unis et la Chine. Cette dernière doit être isolée sur le plan commercial. Le nouveau système, centré sur une Amérique revigorée, a déjà été baptisé par certains économistes « l’accord Mar-a-Lago ». Verrons-nous ce nouvel âge d’or américain ou une grande récession que d’autres ont surnommée la « Trumpcession » ? En tout cas, Trump a pris un risque énorme en menaçant non seulement de chambouler tout le système mondial mais de le détruire si les autres nations ne collaborent pas avec lui.

Nétanyahou : ni juges ni Hamas

La nouvelle offensive d’Israël à Gaza vise notamment à empêcher le Hamas de reconstituer ses forces militaires et de conserver son pouvoir politique. Mais de nombreuses voix soupçonnent Benyamin Nétanyahou de motivations politiciennes, alors que le pays pourrait plonger dans une crise constitutionnelle inédite.


Dans la nuit du lundi au mardi 18 mars 2025, à 2 h 10 du matin, l’armée israélienne a lancé une attaque surprise d’envergure contre la bande de Gaza dans le cadre de l’opération baptisée « Oz VeHerev » (« Vaillance et Épée »). L’assaut, qui a duré une dizaine de minutes, a mobilisé des dizaines d’aéronefs de l’armée de l’air ainsi que des bâtiments de la marine, lesquels ont visé environ 80 cibles réparties dans l’ensemble de l’enclave palestinienne.

L’opération, suivie d’une offensive terrestre, avait plusieurs objectifs. D’abord surmonter l’impasse des négociations sur la libération des otages (sachant qu’une majorité d’Israéliens – contrairement aux familles des otages, ce qui n’est pas rien – considère que l’usage de la force est le moyen le plus efficace pour pousser le Hamas à avancer dans les discussions). Ensuite, l’État hébreu cherche à faire comprendre à l’organisation islamiste qu’il ne la combat pas seulement en tant qu’entité militaire, mais aussi en tant qu’autorité civile, et qu’au fond il ne fait pas la distinction entre les deux.

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C’est dans cette logique que six hauts responsables du gouvernement politique du mouvement ont été éliminés. Il s’agit d’Essam Al-Dalis, chef du gouvernement du Hamas dans la bande de Gaza (dont le remplaçant a subi le même sort cinq jours plus tard) ; de Mahmoud Abou Watfa, ministre de l’Intérieur, responsable des forces de police et des services de sécurité intérieure ; de Bahjat Abou Sultan, directeur général des services de sécurité intérieure ; d’Ahmad Al-Khatta, directeur général du ministère de la Justice ; d’Issam Da’alis, haut fonctionnaire chargé de la gestion quotidienne des affaires civiles ; et d’Abu Ubaida Al-Jamassi du bureau politique du Hamas.

Un effort conjoint avec les États-Unis

Le troisième but de l’offensive est d’interrompre les efforts du Hamas pour reconstituer ses forces. Profitant des semaines de cessez-le-feu, le groupe terroriste aurait, d’après les renseignements israéliens, lancé une nouvelle campagne de recrutement, et disposerait à présent d’environ 20 000 combattants en état de se lancer dans des opérations offensives. Un chiffre à comparer avec l’effectif de 30 000 combattants en armes, dont 15 000 à 20 000 combattants professionnels, dont le Hamas disposait au moment de l’attaque du 7-Octobre.

Enfin, en coordination étroite avec les États-Unis, Israël participe à un effort stratégique visant à exercer une pression militaire soutenue sur l’ensemble des acteurs de l’axe de résistance chiite : les Houthis, le Hamas, le Hezbollah, la Syrie et l’Iran. L’objectif de l’administration Trump consiste à démontrer aux acteurs régionaux et aux puissances mondiales dont ils sont les courroies de transmission que sa stratégie d’intimidation repose sur des actions concrètes et crédibles.

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L’axe américano-israélien poursuit plusieurs buts de guerre conjoints : obtenir la libération des otages, expulser le Hamas de la bande de Gaza, affaiblir durablement les capacités militaires des Houthis, et surtout forcer l’Iran à revenir à la table des négociations afin de conclure un nouvel accord nucléaire par lequel Téhéran accepterait de renoncer à l’arme atomique.

Un cessez-le-feu permanent, c’est le réarmement du Hamas

En Israël, de nombreuses voix accusent Benyamin Nétanyahou d’avoir unilatéralement rompu l’accord conclu avec le Hamas début janvier et relancé la guerre pour des raisons avant tout politiciennes. Parmi les desseins cachés qu’on lui prête, il y aurait son intention de faire revenir au gouvernement le leader de la droite messianique Itamar Ben Gvir (qui a démissionné pour protester contre l’accord, de peur qu’il ne mène à un cessez-le-feu permanent), ainsi que la volonté de continuer à faire avancer la très controversée réforme constitutionnelle. Ces accusations ne sont pas sans fondement. Toutefois, même si « Bibi » poursuit probablement plusieurs desseins en même temps – certains plus assumés que d’autres –, sa stratégie militaire ne manque pas de cohérence.

Pour le Premier ministre israélien, il est hors de question d’accepter la principale exigence du Hamas : l’instauration d’un cessez-le-feu garanti par les États-Unis, qui permettrait au mouvement islamiste de demeurer une force politico-militaire hégémonique à Gaza. D’après Nétanyahou, cela ne ferait que renforcer l’organisation islamiste, qui, selon les déclarations répétées de ses dirigeants, cherche à se réarmer pour préparer un nouveau 7-Octobre.

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Seule une liberté d’action militaire totale peut permettre à Israël de prévenir un nouveau massacre de civils sur son territoire. Et pour préserver cette liberté d’action, Nétanyahou semble prêt à risquer la vie de certains otages. Le temps où Israël était disposé à relâcher des prisonniers palestiniens condamnés pour meurtre, avec tous les risques que cela impliquait, paraît révolu. Désormais Nétanyahou n’acceptera, semble-t-il, aucune concession susceptible de permettre au Hamas de préparer un nouveau massacre : c’est, à ses yeux, une ligne rouge absolue. Il est difficile de lui donner tort sur ce point.

Enfin, la reprise des opérations coïncide avec le limogeage du chef du Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien, et avec une aggravation notable de la crise politique et constitutionnelle en Israël.

Réforme constitutionnelle et marge de manœuvre géopolitique

Depuis son arrivée au pouvoir fin 2022, Nétanyahou s’emploie à affaiblir – certains disent anéantir – le contrôle judiciaire sur le gouvernement et le Parlement. L’enjeu principal, c’est le mode de nomination des 15 juges de la Cour suprême, à la fois cour d’appel et cour constitutionnelle. Nétanyahou souhaite accroître le poids de la majorité dans les instances chargées de nommer ces hauts magistrats, afin de politiser la Cour. Cette conception de la Cour constitutionnelle n’est pas, a priori, illégitime. Seulement, la précipitation avec laquelle agit Nétanyahou semble dictée par ses intérêts conjoncturels. En clair, on a l’impression que Bibi manœuvre pour sortir de ses ennuis judiciaires ou pour accorder aux ultrareligieux, pilier de la majorité, des privilèges constituant une rupture flagrante de l’égalité. Résultat, cette réforme est suspecte, même aux yeux de conservateurs qui aimeraient voir le périmètre d’intervention des juges constitutionnels fortement restreint.

Le chef du Shin Bet et la procureure de la République, deux hauts fonctionnaires dont les responsabilités, selon la loi, incluent la sauvegarde de la démocratie (libérale) israélienne, ont clairement indiqué qu’en cas de conflit entre l’exécutif et la Cour constitutionnelle, ils obéiraient à cette dernière. Nétanyahou a décidé de les limoger – évoquant une perte de confiance –, une décision immédiatement contestée devant la Cour constitutionnelle, qui a émis une mesure conservatoire dans l’attente d’un jugement prévu le 10 avril. Or, Nétanyahou a déjà annoncé qu’il n’obéirait pas à la Cour si celle-ci venait à censurer la décision du gouvernement. Israël pourrait ainsi se retrouver plongé dans une crise constitutionnelle sans précédent, avec à la tête de l’armée, de la police et du ministère de la Sécurité intérieure des personnalités nommées par la majorité au pouvoir.

Ces deux dynamiques – crise politique et guerre – ne sont pas indépendantes l’une de l’autre. En l’absence d’une solution claire pour l’avenir de Gaza – nul ne sait véritablement comment « dé-hamasiser » la bande de Gaza, pas plus que « déradicaliser » des djihadistes –, Israël a choisi d’intensifier la pression, façon on secoue le cocotier et on voit ce qui tombe. Pour mener une telle politique, il faut un gouvernement soutenu par une majorité stable et disposée à appuyer une stratégie dite « ouverte » : une opération sans limite de durée, sans objectifs définis à l’avance, qui accorde de facto carte blanche au chef de l’exécutif. Une telle stratégie n’est pas envisageable dans le cadre constitutionnel israélien traditionnel.

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Dans ce contexte, Nétanyahou s’efforce de consolider et de renforcer son pouvoir, convaincu qu’il se trouve face à une fenêtre d’opportunité historique. Avec Trump à la Maison-Blanche, la Syrie réduite à l’état d’épave politique et géopolitique, l’Iran au plus bas depuis la guerre avec l’Irak, le Hezbollah affaibli et la branche armée du Hamas laminée, c’est la première fois depuis 1967, voire depuis 1948, que la conjoncture régionale et mondiale permettrait de faire évoluer durablement les lignes du conflit israélo-palestinien. Nétanyahou croit même que le statu quo établi en Cisjordanie depuis les accords d’Oslo en 1994 pourrait être profondément modifié au profit d’Israël. Et il est persuadé d’être l’homme providentiel, le seul à même de saisir cette occasion et de l’exploiter pleinement.

S’agissant de la durée de ses mandats à la tête de l’exécutif, Nétanyahou a déjà dépassé David Ben Gourion, le fondateur de l’État d’Israël. On aimerait croire qu’il sera capable d’accomplir autant pour l’État d’Israël.

Le 7-Octobre a fauché aux juifs français leur libre conscience politique

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Ce ne sont pas ceux qui n’ont pas réussi à faire incriminer LFI pour antisémitisme qui auront la légitimité pour criminaliser le RN pour la même chose…


À Jérusalem, jeudi 27 mars, Jordan Bardella a été invité à s’exprimer parmi les invités d’un colloque organisé par le ministre israélien de la Diaspora Amihai Chikli. La salle a particulièrement retenu son attention vers 17h lorsque résonnait à quelques mètres du mur des Lamentations le discours d’un politicien encore qualifié d’extrême droite par une partie importante de la communauté juive et de la classe politique. Le Rassemblement national est-il en voie de s’extraire durablement de la stigmatisation d’antisémitisme qui lui collait encore à la peau avant le 7-Octobre ?

Acculés

Trêve de condescendance, et de culpabilisation : non, il ne s’agit pas de savoir si les juifs qui ont accueilli la venue du Rassemblement national avec bienveillance en Israël ont suffisamment conscience du noyau dur qui tourne autour du parti. Il est su de tous que d’anciens libraires négationnistes siègent à l’Assemblée nationale, que Jordan Bardella a eu des difficultés à se dépatouiller d’une question piège sur Jean-Marie Le Pen ou que le GUD constituait le noyau historique de l’extrême droite française. Néanmoins, ceux qui courent aux abris sous les tirs des Houthis, du Hamas et du Hezbollah répondent à d’autres logiques qu’à ces jugements qu’ils considèrent anecdotiques.

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Acculés depuis un an et demi, les Franco-israéliens et le reste d’Israël sont tournés vers d’autres impératifs que ceux du CRIF ou d’institutions proches de l’Elysée. Pendant que certains snobent un évènement historique à cause du déplacement du RN, Ugo Bernalicis, député Insoumis, lance en pleine Assemblée nationale qu’il faut une « solution finale », sourire en coin, au sujet du narcotrafic. Comme pour les affiches sur Cyril Hanouna, LFI joue avec l’accusation d’antisémitisme comme un adolescent retardé jouerait à chat-perché. Et aussi difficile que cela puisse être de bousculer nos représentations, les faits sont là : le RN a lutté contre la bête immonde avec ardeur et assiduité depuis le 7-Octobre. Rappelons comment, en pleine Assemblée nationale, Marine Le Pen s’est transformée en résistante face à Mathilde Panot qui faisait alors l’apologie du Hamas en refusant de reconnaître son caractère terroriste, alors que Jean-Luc Mélenchon déclarait en toute décontraction face à Benjamin Duhamel qu’il n’y avait pas eu de pogrom le 7-Octobre. Les esprits critiques crieront à l’opportunisme électoral, à l’hypocrisie et à la naïveté. Le problème étant que l’antisémitisme se prouve, et de préférence, de manière irréfutable. Ce n’est pas ceux qui n’ont pas réussi à faire incriminer LFI pour antisémitisme qui auront la légitimité pour criminaliser le RN pour la même chose.

Le règne de la froide realpolitik

En Israël, peut-être encore plus qu’ailleurs, le règne actuel est celui de la realpolitik, celle qui privilégie l’intérêt et remplace nos attachements idéologiques par le simple pragmatisme. L’électeur politique raisonne dorénavant à court terme : qui est là, pour répondre aux besoins qui sont les miens, tout de suite, maintenant ? Cette nouvelle perception du fait politique détourne mécaniquement l’électeur de l’histoire des partis politiques, notamment lorsque l’impact de l’histoire n’est plus sans incidence aucune. En effet, qu’est-ce que cela peut bien changer au sort d’Israël ou des juifs de France si Jordan Bardella n’a pas publiquement qualifié Jean-Marie Le Pen d’antisémite ? En avait-il la possibilité, si ce n’est la nécessité ? En quoi le GUD a-t-il une influence sur les décisions politiques du RN ? Plus encore, ce changement de paradigme va dans les deux sens et restructure complètement l’appareil politique. Si le GUD était à l’époque du FN une composante principale de son électorat, force est d’admettre qu’il devient une charge pour un RN en voie de démocratisation : avec 32% de voix obtenues aux dernières élections législatives, le RN a tout intérêt à s’en défaire pour prouver une évolution réelle. C’est peut-être confirmé par les propos forts de Bardella dans la conclusion de son discours tenu à Jérusalem : « Que l’antisémitisme provienne d’islamistes fanatiques, de l’extrême gauche camouflée en antisionisme ou encore de groupuscules d’extrême droite et de leurs complots délirants, aucune de ces haines n’a de place en France et en Europe ».

Demandez à Mélenchon, il connaît bien la chanson : l’hypocrite ne reconnaît pas le mal, et s’en affranchit niaisement. Ces mots du président du parti rappellent qu’il n’est pas venu participer à un colloque de lutte contre l’islamisme radical, mais de lutte contre l’antisémitisme. Il ajoutera aussi, « je n’aurais pas la main qui tremble pour traiter les faits antisémites ». Des paroles simples, mais qui définissent la voie idéologique du parti, à l’heure où Emmanuel Macron n’aurait probablement pas daigné rejoindre une conférence à 5000km de chez lui alors qu’il a refusé de prendre part à une simple manifestation en contre bas de l’Elysée. In fine, sont venus ceux qui voulaient venir.

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Soutien moral

De son côté, le ministère de la Diaspora et le gouvernement israélien ont bien compris qu’Israël avait besoin d’alliés. Les Franco-israéliens ont, eux aussi, besoin de soutien moral, et de sentir un avenir meilleur, offerts sur plateau par cette bouffée d’oxygène qui leur laisse la perspective d’un ennemi en moins.

Plus pessimistes, en fin de soirée, une petite poignée de manifestants franco-israéliens de gauche traditionnelle sont venus devant la salle de Conférence Binyan Aouma, pancartes à la main, pour exprimer leur refus de voir le « devoir de mémoire être instrumentalisé par l’extrême droite » suite à la visite de Yad Vashem. Ils ont été surpris quand l’un des conseillers de Marion Maréchal, en pleine interview pour CNews est venu échanger avec eux pour expliquer combien il se sentait offensé. En effet, en ayant lui-même des grands-parents résistants déportés dans les camps, il leur a indiqué combien ces affiches sont indignes et insultent aussi son histoire familiale. Les idéologies sont en mouvement, n’en déplaisent aux ultra-conservateurs… d’extrême gauche.

Conservatoire: on ne joue plus!

Qu’enseigne aujourd’hui le Conservatoire national d’art dramatique? Pas grand-chose, semble-t-il. Les élèves en ressortent vierges de toute culture théâtrale et de toute technique de jeu. Pour mesurer la catastrophe, il faut se rappeler les grands artistes qu’il a su former dans le passé et observer les diplômés d’aujourd’hui.


J’ai déjà craché dans les pages de Causeur sur la Comédie-Française, adorée de tous, progressistes déconstructeurs et réactionnaires incultes ou ayant simplement perdu la mémoire de la beauté. Je veux aujourd’hui – et bien seul toujours ! – m’attaquer à une autre institution : le Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Dans son état actuel, à quoi sert-il encore ?

Une institution (autrefois) prestigieuse

Autrefois, les professeurs du Conservatoire étaient en majeure partie d’éminents maîtres de l’art dramatique, des acteurs ou metteurs en scène rayonnants. Talma, Sarah Bernhardt, Paul Mounet, Jouvet, Jean Yonnel, Béatrix Dussane, Jean-Louis Barrault, Fernand Ledoux, Louis Seigner, Madeleine Marion, Vitez, Claude Régy, Michel Bouquet, Catherine Hiegel, Daniel Mesguich ou encore Michel Fau (pour ne citer qu’eux !) y ont enseigné. Connaissez-vous les professeurs actuels ? Agnès Adam, Adama Diop, Sharif Andoura, Valérie Blanchon, Valérie Dréville et Nada Strancar. Bien qu’inconnue du grand public, Nada Strancar (élève de Georges Chamarat, puis de Vitez au Conservatoire), est une grande actrice, entendu. Mais ce n’est pas l’actuelle directrice Sandy Ouvrier, ni son horrible prédécesseur Claire Lasne, qui l’ont nommée. Strancar est un héritage. Quant aux autres, en quoi font-ils autorité ?! Pour comprendre ce qu’étaient cette institution et sa mission, il faut écouter quelques-uns des grands maîtres qui y professaient. Roger Ferdinand, directeur de 1955 à 1967, expliquait que le devoir de cette école était de « former des défenseurs éclatants du grand répertoire ». C’est-à-dire des acteurs capables de jouer dans les règles de l’art les différents styles du répertoire dramatique. Pour vous rendre concrète cette parole, on citera Denise Grey. « Je ne suis jamais passée par une école et je le regrette parce que, si ça avait été le cas, lorsque j’ai eu la chance d’être engagée à la Comédie-Française, j’aurais été capable de jouer les rôles pour lesquels la culture classique est absolument nécessaire. » Le Conservatoire enseignait, entre autres, une technique pour aborder les auteurs classiques et le style dans lequel les jouer. La diction, le maintien en scène, le geste, le rythme, l’alexandrin, les ruptures, les apartés, le placement de la voix. Une culture théâtrale ! Des connaissances solides pour s’attaquer aux montagnes tragiques, farcesques ou vaudevillesques de Racine, Corneille, Molière, Feydeau ou encore Labiche. Lise Delamare, ex-sociétaire de la Comédie-Française, nommée professeur au Conservatoire en 1967 où elle a notamment formé Nicole Garcia et Patrick Chesnais, expliquait : « Je ne suis pas là pour donner des directives artistiques, mais pour apprendre, comme un professeur de piano apprend à jouer du piano. » Elle force un peu le trait. Il me semble qu’un professeur doit aussi proposer une vision de son art à ses élèves et les aider à faire éclater leur personnalité. Mais l’enseignement de la technique était autrefois inévitable ! Georges Le Roy, illustre professeur au Conservatoire, lui-même ancien élève de Sarah Bernhardt, expliquait en 1964 : « Il y a beaucoup de comédiens qui ont du talent mais n’ont pas la maîtrise pour jouer le grand répertoire. » S’il voyait aujourd’hui l’état des lieux ! Je ne connais pas un acteur de moins de 40 ans possédant la technique et le savoir nécessaires pour jouer la tragédie en alexandrins. En 1967, Jean Meyer, professeur au Conservatoire lui aussi, disait : « L’une de mes préoccupations essentielles est le respect d’une tradition […] Nul n’a le droit à la liberté sans la tradition. Aujourd’hui, lorsqu’on joue une tragédie, on fait à peu près 4 000 à 5 000 fautes techniques par représentation. Si l’on faisait trois fautes dans une symphonie de Mozart, la salle hurlerait. » Beaucoup d’entre nos lecteurs ont en tête – j’en suis sûr ! – les admirables vaudevilles joués à la Comédie-Française par Charon, Hirsch, Denise Gence ou encore Catherine Samie. Ou encore les alexandrins jaillissant des entrailles de Martine Chevallier ou de Christine Fersen. Tous ces acteurs ont été formés au Conservatoire. J’engage maintenant nos lecteurs à regarder le documentaire de Valérie Donzelli intitulé Rue du Conservatoire. Elle y filme en 2024 les répétitions du spectacle de fin d’année d’une classe d’élèves de troisième et donc dernière année. C’est Hamlet qui est monté (ou plutôt démonté) si j’ai bien compris (et c’est difficile à comprendre !). Il faut voir ce ramassis de jeunes acteurs ineptes s’agiter dans tous les sens anarchiquement, hurler, s’égosiller, bafouiller. Ils en sont au niveau zéro. Qu’ont-ils appris en trois ans ? Quelle maîtrise ont-ils de leur art ? Aucune ! Voilà l’état du théâtre. Qu’ils me pardonnent ma sévérité. Ce n’est évidemment pas de leur faute. Que leur a-t-on enseigné ?

« Rue du conservatoire », documentaire de Valérie Donzelli, 2024 © CNSD

Nouvelle directrice, nouveau tournant radical

Depuis la nomination de Claire Lasne à la tête de l’école en 2013, c’est la déconstruction, la destruction, le néant. L’obsession unique de cette sinistre femme a été l’égalitarisme, l’inclusion, la représentation des minorités. « Tout geste artistique dont est a priori exclue une partie de la population ne m’intéresse pas. Si brillant soit-il, si merveilleux soit-il. […] Moi, j’ai peur dans un endroit où il n’y a que des Blancs. » Voilà le grand projet de Madame Lasne. Jamais je n’ai entendu cette femme parler d’art. Insertion, égalité, solidarité, racisme, inclusion sont les seuls mots qui sortent de sa bouche à jet continu. C’est cette même directrice qui, dès sa nomination, a décidé du non-renouvellement du poste du grand Michel Fau, alors professeur d’interprétation. Cependant, j’exagère un peu en dédouanant totalement les élèves. Accepteraient-ils un enseignement « traditionnel » ? N’oublions pas que ce sont les élèves qui, en 2012, ont eu la peau du directeur Daniel Mesguich. La quasi-totalité avait cosigné une lettre au ministère de la Culture demandant le non-renouvellement du mandat de leur directeur auquel ils reprochaient notamment de les « couper progressivement du monde ». En clair, il était trop tradi, pas assez branché. Mesguich avait magistralement répondu dans une superbe lettre, cruelle, érudite, désespérée, mais pleine de style et de panache que je vous supplie de lire pour bien comprendre ce que je tente brièvement d’exposer ici. « J’ai voulu, écrivait-il notamment, préserver [les élèves] des effets de mode (fluctuants dans nos métiers). Et je n’ai pas sollicité les metteurs en scène qui auraient réussi un spectacle […], mais resteraient cois devant une scène de Shakespeare ou de Racine. » Il ajoutait qu’un professeur doit « être savant, détenteur d’une culture générale solide »1. Rappelons que Mesguich avait nommé Michel Fau professeur et tenté de convaincre Philippe Caubère. Il avait également fait intervenir le grand Alfredo Arias. Des hommes de théâtre solides, des vrais quoi ! Il insistait aussi sur l’importance des cours d’histoire du théâtre. Oui, Mesguich s’inscrivait dans la continuité de l’histoire de cette institution. Trop pour des élèves de notre temps.

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Il n’y a plus rien à conserver

Pourquoi ratiociner dans Causeur sur une institution dont tout le monde se fout ? Parce que, si vous vous fichez du théâtre, je suis certain que vous êtes soucieux de notre langue et de son avenir. Je mentionnerai donc une seule des conséquences de tout ce merdier. Vous qui aimez et défendez la grande langue française, mépriseriez-vous Racine et Corneille au point d’être indifférent au fait de ne plus pouvoir entendre jamais rayonner leur langue sur les scènes des théâtres ? La tragédie en alexandrins n’a pas été écrite pour être lue, mais pour être jouée. Le simple lecteur n’a pas la force d’inventer la voix tragique qui porte le vers au firmament. Non. Si vous désirez accéder à nos grands poètes tragiques, il vous faut inévitablement passer par le truchement de leurs prêtres et de leurs prêtresses. C’était encore possible il y a quelque temps… Il y avait Maria Casarès ou plus récemment encore Christine Fersen, Jany Gastaldi et Martine Chevallier (dégueulassement virée de la Comédie-Française il y a quelques années). Et aujourd’hui ? Plus personne. Oui, je vous le dis, plus personne. Les quelques tragédiens qui restent sont au chômage. Lorsque Philippe Girard, Martine Chevallier et les quelques autres quitteront cette terre, la grande tradition de la tragédie en alexandrins disparaîtra. Pour ressurgir peut-être, qui sait, dans un siècle ou deux. Mais une filiation se sera interrompue.

Les élèves du Conservatoire national de musique sortent de l’école dotés d’une technique à toute épreuve et sachant jouer Bach, Debussy ou Ravel dans le style voulu par les compositeurs. Ceux du Conservatoire national d’art dramatique, eux, en sortent comme ils sont entrés : vierges de toute culture et de toute technique. Du conservatoire de musique et de danse on peut, aujourd’hui encore, sortir avec un premier ou un second prix. Pas du Conservatoire national d’art dramatique depuis que Jacques Rosner – directeur chargé de réformer l’école après 1968 – a supprimé les concours de sortie. Après la suppression du concours de sortie, je propose donc un pas de plus : supprimer le Conservatoire. Il n’y a plus rien à conserver. Rideau !

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Francesca Albanese et les hypocrisies du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU

La rapporteuse très très spéciale de l’ONU verra-t-elle son mandat renouvelé demain ? Coulisses…


Sera-t-elle reconduite? On pensait que la décision serait annoncée le 1er avril ; on parle aujourd’hui du 4 avril…

C’est alors que nous saurons si le mandat de trois ans de Mme Francesca Albanese, Rapporteur spécial aux Droits de l’Homme dans les Territoires occupés par Israël depuis 1967, sera renouvelé par le Président du Conseil des Droits de l’Homme. Il y a toutes les chances qu’il le soit, la plupart des 47 pays qui composent ce Conseil sont satisfaits, et plusieurs même admiratifs de la façon dont la magistrate italienne a effectué son premier mandat. Il y a bien ceux qui bougonnent, les diplomaties et parfois les groupes de députés de France, Allemagne, Pays Bas, sans compter les nombreuses organisations juives, qui ont dit que Mme Albanese n’était pas digne de ses fonctions. Mais aucun de ces pays, sans compter les Américains qui viennent de quitter le Conseil, ne semble avoir émis d’opposition officielle.

Lobby juif

Le contentieux est pourtant lourd. UN Watch, cette remarquable organisation basée à Genève a identifié dans un rapport d’octobre dernier 53 instances où Mme Albanese avait émis des propos auxquels on peut attribuer un caractère antisémite sur les critères usuels de l’IHRA.

Parmi les exemples, déni des atrocités commises le 7-Octobre, mise en doute systématique des témoignages de violences contre les otages, soutien explicite au Hamas décrit comme un mouvement de résistance, assimilation des Israéliens aux nazis et de Netanyahu à Hitler.

En 2014, bien avant d’être nommée à l’ONU, Mme Albanese écrit à l’évêque de sa ville italienne natale. Elle lui décrit à des fins de Fundraising pour l’UNWRA pour laquelle elle travaille les souffrances des Palestiniens de façon particulièrement tragique, s’étonne de ce que les Etats-Unis et les pays européens réagissent si peu et conclut: « C’est parce qu’ils sont subjugués par le lobby juif…». 

A lire aussi: Belgiquistan: Hadja Lahbib, une commissaire européenne problématique?

Mme Albenese utilise sans relâche le mot de génocide. De fait, une organisation qu’elle avait elle-même créée en Jordanie, prétend avoir été la première à marteler ce terme dans le but de criminaliser les Israéliens.

En mars 2024, exploitant son image de juriste internationale, bien avant les plaidoiries israéliennes et sud africaines devant la CIJ et bien avant que celle-ci ne décide de reporter sa décision finale, Mme Albanese  intitule son rapport à l’ONU «Anatomie d’un génocide», copiant le titre d’un livre de l’historien Omer Bartov sur l’extermination d’un village de Galicie par les nazis. Elle n’y apporte pas la moindre preuve que Israël détruit intentionnellement la population civile de Gaza. Du reste, à suivre son argumentation, n’importe quelle opération militaire où des civils trouvent la mort pourrait être qualifiée de génocidaire, si Mme Albanese était intéressée à l’appeler ainsi. Mais il se trouve qu’elle est exclusivement polarisée contre Israël. 

Mme Albanese ne nie pas la Shoah, mais celle-ci ne l’intéresse que dans la mesure où à en parler, on risque de faire le jeu du lobby juif et à négliger ce qui est pour elle l’essence du conflit israélo-palestinien, comme elle l’a dit à un journaliste: les Palestiniens sont avant tout les survivants d’un génocide, celui de la Neqba. De la même façon, son mari, qui après avoir été conseiller économique du gouvernement palestinien est économiste de la Banque Mondiale à Tunis, publie sur les réseaux sociaux des textes particulièrement violents contre Israël, mais il pense peut-être qu’il honore les combattants du ghetto de Varsovie en les comparant à ceux du Hamas.

Un mandat hypocrite

Le passé militant de Mme Albanese, ses dérapages antisémites, les liens de son mari avec l’Autorité Palestinienne, étaient connus de la commission qui a analysé le profil  des candidats au poste de rapporteur dans les territoires Palestiniens, poste qui suivant les statuts requiert une complète impartialité. Comment après le choix d’une candidate aussi manifestement biaisée et qui dès les premiers mois de sa nomination en 2022 a attaqué Israël avec une virulence particulière le Président du Conseil des droits de l’Homme a-t-il osé déclarer que la commission de sélection (quatre pays dont l’Afrique du Sud et la Malaisie, deux pays particulièrement hostiles à Israël) avait fait un travail irréprochable? Tout simplement parce que tout est hypocrite dans ce mandat de Rapporteur. Statutairement il ne s’intéresse qu’aux  violations qui peuvent être attribuées à Israël, jamais à celles dont les Palestiniens pourraient être coupables.

Ce poste a été créé en février 1993. Quelques mois plus tard, après les accords d’Oslo, une autre entité exerçait un pouvoir sur cette zone, l’Autorité Palestinienne, puis après 2007 le Hamas à Gaza. Certains Rapporteurs ont au début demandé une extension de leur champ d’investigation aux exactions commises par les Palestiniens. Ce ne fut jamais accepté. 

Les biais qui ont déconsidéré la Commission des Droits de l’Homme ont persisté quand celle-ci fut remplacée par un Conseil des Droits de l’Homme: la loi des nombres dominait, Israël était la cible prioritaire, sans cesse condamné, alors que les pays les plus tyranniques de la planète siégeaient au Conseil en se drapant d’une virginité institutionnelle.

Seuls des antisionistes pouvaient postuler à des postes tels que celui de Rapporteur sur les violations des droits de l’Homme dans les territoires palestiniens. aussi spectaculaire que soit Mme Albanese, elle suit une chaine antisioniste. Face à Israël il y a 57 pays membres de l’Organisation de la Coopération Islamique. Leurs représentants et les pays alliés géopolitiques ou occasionnels font la loi au Conseil des Droits de l’Homme. Et il arrive trop souvent que les démocraties occidentales, la France parmi elles, s’accommodent plutôt que de lutter contre le courant….Qu’en sera-t-il au sujet de Mme Albanese ?

Transparence et inéligibilité à gogo: faut-il un casier vierge pour gouverner?

Elisabeth Lévy se demande avec Gérard Larcher si nous avons été trop loin dans l’exigence de moralisation de la vie politique…


Avons-nous été un peu trop loin dans l’exigence de moralisation de la vie politique? Poser la question, c’est déjà y répondre. Interrogé par Le Figaro sur le jugement de Marine Le Pen, qui suscite de nombreux troubles dans la classe politique, le président du Sénat, Gérard Larcher, prend mille précautions. Les décisions de justice ? Bien sûr, il les respecte, c’est essentiel… Mais il finit par lâcher le morceau: le tribunal applique la loi, oui, mais peut-être que la loi est mal faite1.

Une multiplication par 20 des peines d’inéligibilité !

Dans son viseur : la loi Sapin II de 2016 (même si elle n’était pas applicable en l’espèce, les faits reprochés à Marine Le Pen et au FN étant antérieurs). En 2018, on comptait 440 peines d’inéligibilité, contre 8 857 en 2022 ! Incroyable. Le juge devient le pré-arbitre électoral, puisqu’il décide de qui peut briguer les suffrages des Français. Personnellement, je serais favorable à la suppression de toutes les peines d’inéligibilité en correctionnelle. Si les Français veulent élire un délinquant, c’est leur droit. En revanche, on ne va pas laisser se présenter quelqu’un condamné aux assises pour un crime de sang. J’estime que c’est aux électeurs de décider du niveau de morale ou de probité qu’ils exigent de leurs représentants. S’ils veulent élire quelqu’un qui a été un peu margoulin, c’est quand même leur droit.

A ne pas manquer, Elisabeth Lévy: A la déloyale

Certes, toutes ces peines d’inéligibilité sont l’œuvre du législateur. Ce sont les élus (et on l’a suffisamment rappelé pour Marine Le Pen) qui ont voulu ces lois. Des lois d’émotion, selon Larcher, adoptées dans la foulée de l’affaire Cahuzac. Il fallait alors calmer l’opinion, montrer qu’on lavait plus blanc que blanc. Souvenez-vous des grands airs indignés de François Hollande en conférence de presse : pourtant, entre Cahuzac et Landru, il y a quand même une différence… Nous avons ensuite assisté à la création de la HATVP, une institution carrément robespierriste. À chaque élection, les élus doivent désormais se mettre à nu, révéler tout de leur patrimoine. Il n’y a rien de mieux pour nourrir les passions tristes (Ce salaud possède un deux-pièces à Trouville et pas moi, c’est dégoûtant !) et décourager les meilleurs d’entrer en politique (Tout de même, avoir les juges et les journalistes aux fesses, ça fait beaucoup).

Donc, peu importe que les élus piquent dans la caisse ?

Évidemment pas.

Des distinctions sont nécessaires. Avoir un compte en Suisse, même quand on est ministre des Comptes publics, demeure moins grave que tuer sa grand-mère. Et faire bosser son assistant pour son parti, c’est moins grave qu’un compte en Suisse. Comme dans les affaires de violences sexuelles, il faut savoir hiérarchiser : une blague leste, ce n’est pas un viol. Concernant les élus, la grande différence du point de vue de la morale, c’est l’enrichissement personnel. En matière de détournement, ce n’est évidemment pas bien d’enrichir son parti, mais c’est moins grave qu’un enrichissement personnel.

Il y a toujours, dans la transparence, quelque chose de totalitaire. Or, personne n’a l’obligation de toujours se montrer tel qu’il est à ses contemporains. Il est curieux d’exiger à la fois transparence et proximité. On voudrait les meilleurs aux responsabilités, mais aussi des types comme nous. C’est paradoxal : soit ils sont comme nous – faillibles, humains, menteurs –, soit ils sont effectivement les meilleurs. Il faudrait savoir !

A lire aussi, Jean-Baptiste Roques: Marine Le Pen inéligible: sa colère froide

Montesquieu disait (en substance) que, même en matière de vertu, il faut de la modération. Sous Pompidou, les gens se fichaient bien des affaires. Quelques décennies après, on a vu les excès de la vertu (Les dieux ont toujours soif). Aujourd’hui, notre exigence de morale semble indexée sur l’efficacité : si vous êtes nuls, au moins soyez propres.

Personne ne veut être gouverné par des margoulins. Mais pas non plus par des êtres parfaits. La politique doit rester une affaire humaine. Ou alors, confions les clés à ChatGPT, qui ne fait jamais de conneries.


Cette chronique a été diffusée sur Sud radio

  1. https://www.lefigaro.fr/politique/gerard-larcher-sur-la-condamnation-de-marine-le-pen-si-la-loi-va-trop-loin-le-legislateur-doit-pouvoir-la-corriger-20250402 ↩︎

« Il est impossible de mettre un mineur en prison »

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Détenus dans la cour de la maison d'arrêt de Seine-Saint-Denis, Villepinte, 4 mars 2021 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Au cœur de l’actualité politique, médiatique et législative, la justice des mineurs demeure mal connue et mal comprise du grand public. Au-delà du fait qu’il est surprenant de voir des députés de la majorité présidentielle remettre en question le code de justice pénale des mineurs (CJPM), que leur camp a pourtant conçu et porté, notre collectif affirme que la réforme qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale ne résoudra rien tant elle pèche par manque d’analyse des causes profondes des dysfonctionnements actuels.


De fait divers en fait de société, la justice pénale des mineurs est régulièrement au centre des débats, que ce soit pour critiquer son ambition affichée de donner la primauté à l’éducatif sur le répressif ou pour dénoncer le code de justice pénale des mineurs comme un ouvrage crypto-fasciste ayant pour but d’incarcérer tous les mineurs de France. Les commentateurs de tous bords semblent parfois oublier qu’on ne s’improvise pas juriste et que, tout comme ils ne s’aviseraient pas de procéder à la révision d’une centrale nucléaire sur la base de quelques vagues notions de physique, ils devraient s’abstenir de livrer des pseudo-analyses fondées sur des poncifs et des contre-vérités à propos d’un droit qu’ils maîtrisent mal et qui relève davantage de l’usine à gaz que du bel ouvrage législatif. Une mise au point s’impose, précisément dans l’intérêt du débat public, afin que chacun puisse se faire une opinion éclairée, fondée sur des informations précises et fiables.

Nous analyserons donc cinq réflexions fréquentes à propos de la justice des mineurs et tenterons de démêler le vrai du faux. Cet exercice sera également l’occasion de tenter de répondre à la question centrale pour qui voudrait réformer la Justice française : si laxisme il y a, la faute aux juges ou la faute à la loi ? Enfin, nous tâcherons d’apporter des propositions de réforme réelle, voire de véritable révolution.


Avant le jugement : la détention provisoire

Sous réserve de ce qui a été évoqué dans les épisodes précédents1, l’urgence à ce jour n’est pas uniquement celle de la rapidité voire de l’immédiateté du jugement, régulièrement présentée comme l’antidote ultime au sentiment d’impunité. La question est aussi voire surtout celle du sort du mineur entre le jour de décision de poursuite prise par le procureur (en général à l’issue de la garde à vue) et le jour du jugement. Cette période de latence est en effet à ce jour inévitable compte tenu de l’encombrement de l’appareil judiciaire, rendant impossible la généralisation des procédures de jugement rapide.

Le prononcé de mesures de sûreté permet de compenser l’existence de ce délai de latence : ce sont des mesures de contrôle qui s’imposent aux délinquants dans l’attente de leur jugement. Elles permettent (en théorie) de prévenir la commission de nouvelles infractions, de protéger les victimes et les témoins, d’empêcher des contacts entre les complices et de garantir la présence du suspect le jour du procès. Il s’agit également de répondre, dans les cas les plus graves, au trouble causé à l’ordre public, en apportant une réponse ferme à la fois dissuasive pour les délinquants et les criminels et rassurante pour les honnêtes citoyens.

Concernant les mineurs, le principe est l’absence de mesure de sûreté et le prononcé d’une mesure éducative judiciaire provisoire en cas de déferrement (présentation directe au tribunal à l’issue de la garde-à-vue). Concrètement, la violation de cette mesure ne donne lieu à aucune sanction. Le contrôle judiciaire n’est prononcé que si la mesure éducative est insuffisante. Et la détention provisoire n’est possible que dans le cas de la procédure de l’audience unique.

La détention provisoire d’un mineur dès la commission de l’infraction (sans attendre la violation du contrôle judiciaire) n’est possible que dans deux cas :

→ L’audience unique pour les délits (voir épisode 2) : La procédure d’audience unique ne permet pas de placer en détention provisoire un mineur de moins de 16 ans, quelle que soit la gravité des faits commis, mais uniquement de le placer sous contrôle judiciaire. Ce contrôle judiciaire ne pourra être révoqué que si le mineur est placé en centre éducatif fermé (encore faut-il trouver une place) ET qu’il ne respecte pas ce placement.

Elle permet en revanche de placer en détention provisoire le mineur âgé de 16 ans révolus pour une durée comprise entre 10 jours et un mois, en attendant son jugement par le tribunal pour enfants. Cependant, il faut que les conditions de l’audience unique soient réunies : une peine minimum de trois ans d’emprisonnement encourue et l’existence d’un antécédent (donc concrètement que l’agresseur ait déjà volé/violenté/détruit quelque chose ou quelqu’un).

→ L’information judiciaire (principalement pour les crimes) : le mineur présenté à un juge d’instruction peut être placé en détention provisoire s’il a commis un crime ou un délit. Cependant, les délais sont plus courts que ceux des majeurs. Pour exemple, un mineur de moins de 16 ans mis en examen pour un viol ou un meurtre ne peut être détenu que pour une durée maximale d’un an.

Exemple : Amine a 15 ans. Sur ordre d’un dealer il abat un concurrent sur un point de deal. Il est mis en examen pour assassinat. Il peut être détenu pendant 12 mois, puis il peut être placé en centre éducatif fermé pendant 12 mois. Si l’instruction n’est pas terminée dans ces délais, notre apprenti tueur à gages sera remis en liberté… Chez lui ou dans un foyer classique.

En conclusion, comme le souligne le syndicat Unité magistrats FO, dont nous saluons la dernière communication sur la réforme de la justice des mineurs : « les conditions d’incarcération des mineurs de moins de 16 ans sont devenues trop restrictives avec le CJPM, et rendent quasiment impossible leur placement en détention provisoire y compris lorsqu’ils sont réitérants et commettent des faits graves. Cela contribue à alimenter chez ces mineurs un sentiment d’impunité voire de toute-puissance, telle que le rapporte le pédopsychiatre Maurice Berger dans son dernier livre »2.

RESPONSABLE PRINCIPAL : LA LOI

Après le jugement : la peine d’emprisonnement ferme

Dans un délai de 6 à 9 mois après la déclaration de culpabilité, le mineur comparaît à nouveau devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants pour recevoir sa sanction.

S’il comparaît devant le juge des enfants, celui-ci ne peut prononcer qu’une mesure éducative, un travail d’intérêt général ou un stage : pas de peine d’emprisonnement possible. Cette règle s’applique quelle que soit la nature des faits commis : Amine peut donc être jugé par un juge des enfants seul et condamné à un stage ou un avertissement pour des faits de trafic de stupéfiants ou d’agression sexuelle. Il n’y a aucune obligation légale de traduire les mineurs ayant commis des faits graves devant le tribunal pour enfants.

S’il comparaît devant le tribunal pour enfants, tous les types de peine peuvent en revanche être prononcés : amende, stage, travail d’intérêt général, emprisonnement avec sursis simple, avec période de probation, bracelet électronique, semi-liberté et même de l’emprisonnement ferme avec une mise en détention immédiate. Il est donc nécessaire pour pouvoir sanctionner un mineur par de l’emprisonnement de l’envoyer devant le tribunal pour enfants.

Le choix d’orienter le mineur vers le juge des enfants ou le tribunal pour enfants est une décision du… juge des enfants. La juridiction de principe désignée par la loi est… le juge des enfants. Dans la majorité des cas, le jugement sur la sanction aura donc lieu en chambre du conseil, c’est-à-dire devant le juge des enfants seul (encore lui !). La question de l’emprisonnement ne se posera alors même pas. Devant le tribunal pour enfants, en revanche, l’emprisonnement est possible mais… dépend du bon vouloir de la juridiction. Les tribunaux pour enfants sont-ils connus pour sanctionner sévèrement les mineurs ? La réponse au prochain épisode.

On comprend aisément que la question de l’incarcération du mineur dépend avant tout de la volonté du juge des enfants : s’il envoie Amine devant la chambre du conseil, aucun emprisonnement possible. Si par miracle il l’envoie devant le tribunal pour enfants, c’est encore le juge des enfants (bienveillant, empathique et fervent lecteur de Rousseau3), qui décidera de son sort. Vous le devinez, Amine passera loin, très loin, de la case prison.

RESPONSABLE PRINCIPAL : LE JUGE DES ENFANTS

NOS PROPOSITIONS POUR EN SORTIR :

  • Rendre le placement sous contrôle judiciaire obligatoire si le mineur a déjà été condamné ou est déjà sous mesure éducative judiciaire provisoire
  • Étendre la possibilité de détention provisoire aux mineurs de moins de 16 ans et à toutes les atteintes aux personnes, sans condition de peine encourue ni d’antécédent
  • Allonger les délais de la détention provisoire criminelle à 2 ans pour les mineurs de moins de 16 ans
  • Permettre au parquet de saisir directement le juge des libertés et de la détention pour faire révoquer le contrôle judiciaire d’un mineur, sans passer par le juge des enfants
  • Permettre la révocation du contrôle judiciaire dès qu’il y a une violation, même sans placement en centre éducatif fermé et quel que soit l’âge du mineur
  1. https://www.causeur.fr/la-cesure-du-proces-penal-est-une-mauvaise-reforme-cjpm-305918
    https://www.causeur.fr/il-faut-une-comparution-immediate-pour-les-mineurs-306452 ↩︎
  2. https://unite-magistrats.org/publications/delinquance-des-mineurs-l-urgence-d-une-reforme-a-la-hauteur-des-enjeux ↩︎
  3. Jean-Jacques, pas Sandrine. Quoique, on peut toujours tomber sur un adhérent du SM. ↩︎

De la salle de classe à la rue: le partenariat avec l’université Reichman embrase Sciences Po Strasbourg

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Marche aux flambeaux pour la Palestine, Strasbourg, le 02 février 2024 © Okyanus Kar Sen/SIPA

Climat pesant, pressions internes, divisions profondes: derrière la controverse autour du partenariat entre Sciences Po Strasbourg et l’Université Reichman, un étudiant témoigne d’une institution prise dans la tourmente. Entre mobilisations, accusations de partialité et tensions croissantes, chaque camp continue d’essayer d’imposer sa vision


L’Institut d’études politiques de Strasbourg (Sciences Po Strasbourg) a récemment été le théâtre de vives tensions autour de son partenariat académique avec l’Université Reichman, un établissement privé israélien situé à Herzliya. Cette université jouit d’une réputation internationale dans les domaines des relations internationales, du droit, du commerce et de l’innovation technologique, et accueille chaque année un grand nombre d’étudiants venus du monde entier. Le lien entre les deux institutions remonte à l’année 2015, date à laquelle un accord de coopération a été signé. Ce partenariat prenait la forme d’un programme d’échange, permettant à des étudiants de Sciences Po Strasbourg de poursuivre un semestre ou une année de leur cursus à l’Université Reichman, et offrait en retour à des étudiants israéliens l’opportunité d’étudier à Strasbourg.


En juin 2024, dans un climat international particulièrement tendu à la suite du massacre du 7-octobre et de la guerre qui l’avait suivi, le conseil d’administration de l’Institut d’études politiques de Strasbourg a voté la suspension du partenariat qui le liait à l’Université Reichman. Cette décision ne s’est pas imposée d’elle-même : elle faisait suite à une motion portée par Solidarit’Étudiants, une association étudiante majoritaire au sein du conseil, qui dénonçait le contenu politique implicite d’un tel partenariat. Solidarit’Étudiants est une organisation étudiante active au sein de l’Institut d’études politiques de Strasbourg. Elle s’est fait connaître notamment par son positionnement engagé sur les enjeux sociaux, internationaux et éthiques. En 2024, elle détenait huit des dix sièges réservés aux étudiants au sein du conseil d’administration de l’établissement, ce qui lui conférait une majorité décisive dans certaines prises de position institutionnelles. L’association se revendique comme « progressiste, solidaire et internationaliste, attachée à la défense des droits humains, à la critique des rapports de domination, et à une approche éthique de la coopération universitaire ».

Mobilisation étudiante et tensions sur le campus

Il est significatif de constater qu’à Sciences Po Strasbourg, la dynamique étudiante autour de la cause palestinienne a trouvé un relais actif dans l’émergence d’un Comité Palestine, dont le rôle s’est affirmé au fil des mois dans les mobilisations liées aux relations entre l’institution strasbourgeoise et l’Université Reichman en Israël. Ce comité a organisé plusieurs manifestations sur le campus et semble avoir joué le rôle de catalyseur. Parmi ces initiatives, on note notamment la tenue d’une soirée de soutien à la cause palestinienne, organisée le 9 avril 2024, qui s’inscrivait dans une logique de sensibilisation mais aussi de contestation des partenariats jugés problématiques. Un étudiant, qui a souhaité rester anonyme, témoigne d’un climat de plus en plus polarisé au sein de l’établissement. Selon lui, « la division à l’intérieur de l’université est palpable. Certains professeurs soutiennent le boycott et exercent une pression sur la direction, tandis que d’autres subissent les blocages et tentent de résister. »

À lire aussi, Gil Mihaely : Nétanyahou : ni juges ni Hamas

La suspension du partenariat a suscité de vives réactions. La Ligue internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (Licra) a exprimé son inquiétude.1 Le 4 décembre, sur le plateau de BFM Alsace, Simon Levan (étudiant et dirigeant de Solidarit’Étudiants) et Vincent Dubois (professeur à Sciences Po Strasbourg et soutien de la suspension du partenariat) expliquaient qu’il ne s’agit pas d’un boycott de Reichman parce qu’université israélienne, mais à cause de son implication spécifique dans la guerre à Gaza, à travers ses liens particulièrement étroits avec les institutions de la défense du pays.2

Coup de théâtre au conseil d’administration

Ces arguments n’ont pas convaincu le conseil d’administration de l’IEP, qui, le 18 décembre 2024, a voté en faveur de la reprise du partenariat avec l’université Reichman. Cette décision a été adoptée à quatorze voix pour, une contre et quatre abstentions, tandis que quatorze membres n’ont pas pris part au vote. À la suite de ce vote, cinq enseignants-chercheurs ont démissionné du conseil d’administration. Vincent Dubois, Michel Fabreguet, Valérie Lozac’h, Jérémy Sinigaglia et Nadine Willmann ont qualifié ce vote de « déni de démocratie » et ont dénoncé les « nombreuses pressions tant internes qu’externes » entourant le scrutin.

À la suite de cette décision, plusieurs collectifs étudiants ont de nouveau exprimé leur opposition au maintien du partenariat avec l’Université Reichman. Cette mobilisation a entraîné des actions concrètes à l’intérieur même de l’établissement. En janvier 2025, des étudiants ont bloqué l’accès à l’IEP pour protester contre la reprise du partenariat. Le 30 janvier, les forces de l’ordre sont intervenues pour évacuer les manifestants, permettant la reprise des activités normales de l’établissement. En mars 2025, un accord a enfin été trouvé pour créer un comité d’examen chargé d’évaluer le partenariat avec l’université Reichman. À la suite de cet accord, les étudiants ont finalement levé le blocage de l’établissement.

Mais, pour certains observateurs, ce comité ne reflèterait pas la diversité des points de vue au sein de l’établissement. L’étudiant anonyme mentionné plus tôt évoque une ambiance pesante où « la difficulté à débattre sereinement » est devenue manifeste : « Beaucoup d’étudiants, bien qu’intéressés par le sujet, évitent les discussions par peur d’être mal perçus ou de s’attirer des ennuis. » Selon lui, la radicalisation des positions entrave le dialogue et marginalise les voix nuancées ou prudentes. Pire encore, il pointe également des conditions inéquitables dans la création du comité étudiant chargé d’examiner le partenariat : « Alors que certains avaient plusieurs semaines pour se préparer, d’autres n’ont eu que deux jours, ce qui posait de sérieuses questions en termes de démocratie et d’équité. » Il ajoute que la composition du comité semblait orientée, en majorité favorable aux militants pro-palestiniens. Sauf surprise, le comité déciderait de suspendre le partenariat avec Reichman dans les prochains jours…


  1. Motion de Sciences Po Strasbourg contre l’université Reichman de Tel Aviv : une source d’aggravation des tensions et de discriminations ↩︎
  2. Sciences Po Strasbourg: les raisons de la suspension du partenariat avec l’université Reichman ↩︎

Peur: le mot de l’année

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Le 2 avril 2025, Emmanuel Macron remet le Prix Jean Pierre-Bloch de la LICRA à Sophia Aram et Arthur, palais de l'Elysée, Paris. DR.

Récompensé par un prix de la Licra mercredi à l’Elysée, l’animateur télé Arthur a tenu un discours émouvant et bouleversant pendant quatre minutes. « Pendant que la République parfois hésite, la haine avance, elle s’installe », a-t-il notamment affirmé.


Il y a les peurs que distillent plus ou moins à dessein nos gouvernants à bout de souffle, arguant de l’imminence du déferlement de hordes poutinesques dans nos villes et campagnes, de celle, à présent, d’un conflit d’ampleur avec les mollahs de ce qui fut jadis le bel empire Perse. Peur encore devant la guerre économique trumpienne dont l’Europe et singulièrement la France, devraient, à les en croire, sortir en chemise.

Mais il y a une autre peur, hélas bien réelle et concrète celle-ci, et qui nous concerne tous, nous autres citoyens de France, car nous sommes tous autant que nous sommes en capacité de lutter contre. C’est celle que dénonçait Arthur, l’homme de télévision, l’autre soir après que le président de la République lui a remis, ainsi qu’à Sophia Aram, le prix Jean-Pierre Bloch pour son engagement contre l’antisémitisme. Un président de la République – je tiens à le souligner – qui pourtant s’est bien gardé de participer, de se monter ne serait-ce que quelques instants, le 13 novembre 2023 à la grande marche contre cet ignoble fléau.

« Une peur intime qui me réveille la nuit, confesse Arthur. Non pas une peur abstraite, une peur active… » « Je parle,  ajoute-t-il, pour mes parents qui changent leur nom lorsqu’ils commandent un taxi (…) pour les rabbins frappés en pleine rue… » Et d’ajouter : « Quelque chose s’est brisé (…) La haine s’installe. Ça commence par les Juifs et ça emporte tout. » En effet, quelque chose s’est brisé au sein de notre nation ces deux dernières années. Et ce n’est plus aujourd’hui une simple fêlure, c’est d’ores et déjà une plaie dont la béance s’aggrave de jour en jour.

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Comment peut-on accepter, tolérer que, dans ce pays de France, des femmes, des hommes des enfants mêmes, tant de nos concitoyens, aient à vivre dans la peur ? Comment est-ce seulement possible ? Quel est le nom de cette résignation collective, de cette apathie qui nous empêcherait de faire front, massivement, tous ensemble, unis, déterminés ? Quel est ce nom, sinon lâcheté.

La cause commune qui doit nous rassembler aujourd’hui – et de toute urgence – est bien celle-ci : la croisade contre l’antisémitisme, cette haine irrationnelle, monstrueuse, cette peste qui – Arthur dit vrai – nous emportera tous si nous tardons à nous dresser contre elle. Cela  sans mollesse aucune, sans tergiversation. Pour commencer il est urgent que tous les partis et mouvements politiques – tous ! – s’allient, dès aujourd’hui, pour placer en tête de leur engagement cette lutte-là et en faire très officiellement, très clairement la toute première de nos grandes causes nationales. Oui, combattre sans faiblesse, sans ces pruderies des âmes molles éternellement engluées dans l’artifice foireux du feint souci de ménager la chèvre et le chou.

Je reprendrai donc ici le mot de Voltaire, dont on ne peut pas dire qu’il ait été sa vie durant un boute-feu frénétique, un zélateur de la violence à tout crin : « J’ai vu qu’il n’y avait rien à gagner à être modéré, et que c’est une duperie », écrit-il. Qu’on se le dise !

Rien à gagner non plus à atermoyer. Il est grand temps, si l’on veut pour de bon empêcher que le mot de l’année ne devienne le mal du siècle.

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Affaire Le Pen: le Système? Quel Système?

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Le député RN Jean-Philippe Tanguy répond aux médias, Assemblée nationale, 1er avril © 2025 LEO VIGNAL/SIPA

Depuis la condamnation de Marine Le Pen le 31 mars, les médias français se sont appliqués à dénoncer cette « internationale réactionnaire » qui ose prendre le parti de la chef du groupe des RN à l’Assemblée contre nos juges.


Introduction apéritive. À la recherche des propos les plus ineptes tenus à la suite de la condamnation de Marine Le Pen, il ne m’a pas fallu longtemps pour tomber sur la perle rare, en l’occurence un message de Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV, sur X : « Je ne vais pas pleurer pour Marine Le Pen. Je réserve mes larmes pour la communauté trans, qui dans le monde entier est en première ligne face aux attaques haineuses de tous.tes les transphobes, qui sont d’ailleurs souvent les ami.es de Madame Le Pen. Pendant le NFP, on a même vu notre président s’en prendre à elle pour marcher dans les pas de l’extrême droite. Je n’oublie pas, et je n’oublie pas non plus qu’aujourd’hui devrait être la journée où on lui donne de la visibilité. Comme l’a dit Pedro Pascal, dont la sœur est une actrice transgenre : “un monde sans personnes trans n’a jamais existé et n’existera jamais.” On pense à vous et on se battra pour vous, tous les jours. Les droits des personnes trans sont des droits humains. » Mme Tondelier n’est pas le prototype d’un abêtissement nouveau mais l’aboutissement d’un long processus d’abaissement de l’intelligence ayant conduit à une idéologie bâtarde, l’écolo-wokisme. Marine Tondelier, Sandrine Rousseau, Éric Piolle – si ces noms doivent figurer un jour dans un livre d’histoire de France, cela ne sera probablement pas au chapitresur les Grands esprits du XXIe siècle.

Holding de l’audiovisuel public : Rachida Dati nous prive de France inter !

Ce mardi 1er avril, France Inter était en grève. Dommage ! Les journalistes de la matinale auraient pourtant aimé pouvoir livrer leurs remarquables analyses sur la condamnation de Marine Le Pen dès le lendemain de cet évènement. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ils en ont profité pour fourbir leurs discours et affûter leurs éditos. Le 2 avril, remontés comme des coucous, ils se sont livrés à l’exercice journalistique qu’ils préfèrent, la castorisation dite républicaine, avec l’absence totale de neutralité et de pluralisme qui les caractérise. Patrick Cohen, qui a eu l’occasion de s’entraîner la veille dans l’émission télévisuelle “C à vous” dont nous allons reparler, se distingue une fois de plus : le RN, martèle-t-il, « a épousé le trumpisme ». Marine Le Pen dénonce le Système médiatico-politique ? L’éditorialiste ne voit pas de quel système il s’agit mais… détaille ses méfaits : « Vous savez, ce fameux “système” qui tient secrètement le pays, qui ferme une chaine de télé, réécrit Crépol ou nous fait croire que Poutine est une menace. » France Inter faisant partie dudit système, M. Cohen s’agite et cogite : il devine, derrière cette dénonciation, un « fatras complotiste » et… une trumpisation des esprits – c’est la nouvelle marotte castorisatrice des journalistes de gauche, marotte qu’agitera quelques minutes plus tard, avec sa subtilité coutumière, l’impayable Sonia Devillers lorsqu’elle recevra le vice-président du RN, Sébastien Chenu. Celui-ci ayant eu le mauvais goût de s’esclaffer en entendant l’éditorial de son confrère, Mme Devillers sonne la charge : « Vous avez ri en entendant la chronique de Patrick Cohen. Mais la rhétorique de Marine Le Pen n’est-elle pas celle de Donald Trump qui a donné lieu à un assaut populaire contre le Capitole ? » Le système médiatico-politique qui, rappelons-le, n’existe pas, s’est apparemment passé le mot…

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… la preuve, avec le président du conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, qui a pour habitude de répéter les platitudes les plus plates. Sur RTL, face à Thomas Sotto, il ne déroge pas à cette règle qui a fait de lui l’homme politique de droite le plus transparent et le plus prévisible de sa génération. Écouter M. Bertrand, c’est se laisser bercer par une brise insipide, c’est entendre l’écho souffreteux d’un discours convenu compilant de médiocres clichés : ses « valeurs républicaines », dit-il, l’incitent à « ne pas avoir peur du Rassemblement national ». Mais, ajoute-t-il, il se désole de constater que « l’internationale de l’extrême droite a manifesté son soutien à Marine Le Pen ». Il craint par conséquent que la manifestation de soutien à cette dernière prévue à Paris ne tourne mal : « Je n’ai pas envie qu’on joue un mauvais remake du Capitole. » M. Bertrand aurait aimé raviver le souvenir du fracas que fut, selon lui, cet « assaut contre la démocratie ». Mais c’est le son creux des banalités rabâchées qui envahit le studio de RTL…

… puis s’en va investir celui de BFMTV, où le pendant socialiste de M. Bertrand s’évertue, comme il le fait avec brio depuis des décennies, à ne pas paraître démesurément brillant ni original. François Hollande reprend les éléments de langage de Xavier Bertrand et des journalistes de la radio publique. Il prend son temps pour ne pas choisir ses mots. Il fait semblant de découvrir des phrases toutes faites, qui ne sont pas de lui. Sans doute espère-t-il qu’elles passeront auprès des « sans-dents » pour le summum d’une pensée authentique. Mais les oreilles ne s’y trompent pas : l’éloquence hoqueteuse et laborieuse de celui qui fut, on a peine à le croire, président de la République, martyrise le tympan. Le cerveau, quant à lui, n’a pas beaucoup de travail à effectuer : les propos lénifiants de M. Hollande sont immédiatement analysés, disséqués, digérés, pour finir dans le coin le plus obscur de ce noble organe, une mystérieuse mais efficace cavité dans laquelle sont dissous pour disparaître à tout jamais les propos inutiles, les déchets, les encombrants de la pensée politique.

RN / Journalistes : le choc frontal

Audiovisuel public, encore. France 5, officine de gauche. Sur le plateau de “C à vous”, Anne-Elisabeth Lemoine, l’air toujours aussi inspiré, sourit lorsque le député RN Jean-Philippe Tanguy ose demander que Tristan Berteloot, participant à l’émission, ne soit pas simplement présenté comme un journaliste de Libération, mais aussi comme l’enquêteur de la cellule anti-RN que le quotidien a créée. « Alors, il y a un complot de Libération ? » ironise Mme Lemoine qui ignore de toute évidence qu’il existe effectivement, comme l’indiquait Libé, le 23 août 2023, dans un communiqué annonçant son lancement, une « cellule spécialisée sur l’extrême droite », que cette cellule a été créée pour faire « face à la banalisation d’un Rassemblement national entré en force à l’Assemblée », qu’elle publie chaque mardi une newsletter intitulée Frontal et qu’elle est composée de « quatre journalistes qui travaillent à temps plein sur le sujet », dont le journaliste et enquêteur Tristan Berteloot. Sur le plateau, Maître Patrick Maisonneuve, l’avocat du Parlement européen qui, étrangement, s’étonne que Marine Le Pen se défende en niant la qualification des faits qui lui sont reprochés, ajoute son grain de sel en ricanant : « Et probablement que nous nous réunissons la nuit [avec M. Berteloot], dans une cave. » Inutile, je pense, de préciser que Jean-Philippe Tanguy a été « reçu » avec tous les  honneurs dus à son statut de représentant de « l’extrême droite ». Rappelons quel’émission“C à vous” est produite par la société 3e Œil Productions, laquelle fait partie de Mediawan, entreprise dont l’un des actionnaires est Matthieu Pigasse, le même Matthieu Pigasse qui déclarait dernièrement dans Libération : « Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale. » Arrêtez de voir le mal partout – puisqu’on vous dit qu’il n’y a pas de système…

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Le Monde confirme pourtant que tout média refusant d’y appartenir doit être puni, voire éliminé : « Le traitement de la condamnation de Marine Le Pen sur CNews et Europe 1 interroge. » Après s’être interrogé, le Monde préconise : « l’Arcom devra évaluer si les médias de Bolloré manquent à leurs obligations de pluralisme et d’honnêteté dans la présentation des informations. » Pas un mot, naturellement, sur le traitement tendancieux de cet évènement par l’audiovisuel public. CNews est maintenant, et de loin, la première chaîne d’info continue, certaines de ses émissions dépassant régulièrement le million de téléspectateurs, tandis qu’Europe 1 poursuit sa reconquête. Aux yeux de la caste médiatique établie, cela est tout bonnement insupportable. Il est donc nécessaire de faire baliser dès à présent, à coups d’avertissements et de mises en garde, le chemin qui mènera, comme pour C8, à des amendes de plus en plus élevées et, finalement, à une remise en cause de l’existence même de ces médias dissidents. Histoire que le Système (qui n’existe pas) puisse enfin dormir sur ses deux oreilles…

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Donald Trump : brise-tout inculte ou stratège hétérodoxe ?

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Le président Donald Trump présente de nouveaux tarifs douaniers lors du "Jour de la Libération" dans la roseraie de la Maison-Blanche, le 2 avril 2025, à Washington © Samuel Corum/Sipa USA/SIPA

D’est en ouest, des voix s’élèvent à travers le monde pour dénoncer la politique tarifaire que vient d’annoncer le président américain, politique qualifiée sans hésitation de « violente », « suicidaire », « incohérente », « inepte » ou « contraire aux règles élémentaires du commerce ». Dans Hamlet, le vieux chambellan Polonius commente ainsi le comportement apparemment erratique du personnage central : « Bien que ce soit de la folie, il y a pourtant de la méthode en cela ». Ne devons-nous pas, avant de vouer Donald Trump aux gémonies sur le plan intellectuel, nous demander s’il n’y a pas une certaine méthode derrière ses actions, et si oui, laquelle ? Tentative d’explications.


A 16h00, heure locale, Donald Trump a pris place, debout devant son pupitre dans la roseraie de la Maison Blanche, pour annoncer les nouveaux tarifs que les États-Unis vont imposer à leurs partenaires commerciaux. Vêtu de sa cravate rouge et de son pardessus bleu foncé, sans notes, celui qui est de loin le meilleur comédien en politique de toute la planète, a parlé du 2 avril comme du « jour de Libération » de son pays. Faisant référence au célèbre document de 1776, il a affirmé : « A mon avis, c’est un des jours les plus importants de toute l’histoire américaine. C’est notre Déclaration d’indépendance économique ». Le programme qu’il a présenté ressemblait moins à une forme de libération qu’à un acte de revanche. Selon lui, les États-Unis auraient été « pillés » par les autres nations « pendant des décennies ». Les nations amies auraient participé à ce pillage aussi bien que les nations ennemies – elles auraient même été pires que les ennemies dans la spoliation du géant américain.

Les mesures spécifiques annoncées par Trump afin de remédier à la situation qu’il a évoquée ont attiré immédiatement dénonciations et moqueries de la part de la majorité des politiques et des commentateurs, surtout en Europe. Lors d’un débat sur BFM TV le soir du 3 avril, Thierry Breton, ancien ministre français et ex-commissaire européen, incarnant toute la morgue du vieux continent à l’égard des arrivistes yankee, a tout simplement qualifié le projet trumpien de « véritable absurdité ». Pourtant, des expressions de mépris nous permettront-elles d’éviter les conséquences des tarifs américains ou au moins de pallier leurs effets ? Ne vaut-il pas mieux essayer de comprendre d’abord ce que veut le président américain et quelles sont ses motivations ?

Les Américains ne s’en balancent pas

Depuis 2017, la balance commerciale américaine affiche un solde négatif d’au moins 500 milliards de dollars. C’est surtout la conséquence des échanges avec la Chine, qui en 2024 avait un excédent commercial de 295,4 milliards de dollars avec les États-Unis, et avec l’Union européenne, qui avait un excédent de 235 milliards.

Le déficit commercial des États-Unis a ses raisons et ses conséquences. D’abord, c’est une fonction de la richesse de ce pays. Les Américains, étant la population la plus riche du monde, peuvent acheter pratiquement ce qu’ils veulent où ils veulent. En même temps, leur déficit commercial permet aux autres pays, surtout aux plus pauvres, qui ont des excédents commerciaux, de participer aux échanges économiques et ainsi d’être moins pauvres. Mais c’est ici qu’arrive un problème. Le déficit américain a permis à un des pays en développement, la Chine, qui jouit toujours du statut de pays en développement, de s’enrichir aux dépens des Américains et de rivaliser avec les États-Unis sur les plans économique et militaire. Afin de préserver l’hégémonie américaine, Trump a décidé de s’attaquer au déficit. Son message est très clair : il faut que la communauté internationale trouve une autre base, un autre lubrifiant, que le déficit américain pour garantir la circulation des biens dans le monde.

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Un autre élément important dans la création du déficit américain est la puissance du dollar, qui permet aux Américains d’acheter à l’étranger (parfois en dépit des tarifs élevés imposés par leur propre gouvernement), mais qui empêche souvent leurs industries d’exporter. Une des raisons de cette puissance est la volonté des autres pays aisés de thésauriser leurs richesses en achetant des obligations du Trésor américain, libellées bien sûr en dollars. Réduire la puissance de sa monnaie fait partie aussi du programme de Trump, à côté des nouveaux tarifs. Il s’agit d’une opération particulièrement délicate, mais pour Trump l’objectif est, non pas de mettre fin à la mondialisation, mais de redessiner le système de fond en comble. D’autres dirigeants et candidats politiques ont parlé de la nécessité de le faire ; seul Trump est passé à l’action.

Le système anti-système

Par une mise en scène théâtrale, Trump a fait de son annonce un défi, une gifle, un ultimatum, lancés au reste du monde. Mais à dire la vérité, ce n’était guère surprenant. Après son premier mandat et ses déclarations au cours de la campagne présidentielle de 2024, nul n’a pu douter que Trump ait recours à des mesures extrêmes. S’il a nommé l’avocat, Robert Lighthizer, comme son expert principal en matière de commerce international en 2017, sa nouvelle équipe de conseillers est encore plus radicale. Les Européens sont partagés entre lamentations et déclarations belliqueuses, mais ils ne peuvent pas prétendre qu’ils n’avaient rien vu venir.

Entre ces lamentations, on entend que Trump est en train de détruire le système des échanges internationaux mis en place il y a quatre-vingts ans, c’est-à-dire juste après la Seconde Guerre mondiale. En réalité, le système n’a jamais cessé de muer au cours des décennies. Le choc que Trump s’apprête à faire subir au monde a même un précédent, le « choc Nixon » de 1971. Élu en 1969, ce dernier s’est trouvé face à un désastre économique potentiel. L’inflation montait de manière alarmante dans son pays. Sa balance commerciale affichait un solde négatif et la place des États-Unis dans l’économie mondiale déclinait sans cesse. Sa part de la production économique mondiale était tombée de 35% en 1950 à 27% en 1969. La faute en était en partie au système commercial connu sous le nom de « Bretton Woods ». Les taux de change étaient stables car les devises des différents pays étaient indexées sur le dollar et le dollar était convertible en or. Mais d’autres pays voulant convertir leurs dollars en or, les réserves américaines se fondaient à vue d’œil. Nixon a mis fin à la convertibilité du dollar en or et a imposé un tarif de 10% sur toutes les importations. Le monde a en essuyé les répercussions, notamment la combinaison d’inflation et d’absence de croissance – « stagflation » – qui a caractérisé les années 1970.

Le système actuel est en partie la conséquence du choc Nixon, mais aussi de la création en 1994 de l’Organisation mondiale du commerce qui est censée encadrer les échanges commerciaux et veiller au respect des principes. L’accession de la Chine à l’OMC en 2001, lui permettant de participer librement à la mondialisation, a été un autre choc pour l’économie globale. L’OMC dispose d’un Organe d’appel destiné à régler les différends entre les pays. Or, le fonctionnement de cet Organe a été bloqué par les États-Unis qui refuse de nommer des membres du panel de sept arbitres. Ce refus a commencé sous Obama, mais c’est sous Trump en 2019 que l’Organe est devenu totalement inopérant. L’action américaine a pour motif la tendance de cet instance – selon les États-Unis – à aller trop loin dans l’interprétation des règles, en se substituant au législateur. C’est ainsi que l’Organe, en 2013, a rendu un jugement très favorable à la Chine, en acceptant une définition d’une entreprise d’État qui a permis à de nombreuses sociétés chinoises subventionnées par leur gouvernement de commercer en toute liberté. C’est aussi l’OMC qui permet à la Chine, deuxième économie mondiale, de jouir du statut de pays en développement.

Les tarifs de Trump sont ainsi destinés d’abord à bafouer les règles de l’OMC, selon lesquelles de telles mesures sont inadmissibles. Le président indique ainsi que ce système a déjà cessé de fonctionner. Un nouveau système doit donc naître des cendres de l’actuel, mais il faut d’abord réduire ce dernier en cendres.

Tableau de chasse

Lors de sa conférence de presse, Trump a brandi un tableau qui listait les principaux partenaires commerciaux des États-Unis en spécifiant les tarifs que, selon lui, ces derniers appliquent aux exportations américaines, suivis des tarifs que Trump va leur imposer. Le président américain a déjà imposé des tarifs de 25% sur les importations d’acier, d’aluminium et de voitures achevées. Maintenant il impose d’autres tarifs adaptés à chaque partenaire. Il a prétendu que son équipe a calculé le niveau des tarifs imposés par les partenaires – par exemple, 67% par la Chine, 39% par l’UE, 46% par le Japon – en prenant en compte les tarifs en tant que tels, la manière dont ces pays auraient « manipulé » leur devise, la TVA et d’autres mesures non-tarifaires comme les normes de sécurité. En réalité, le chiffre n’est que l’excédent commercial de chaque pays avec États-Unis divisé par le volume de ses exportations vers l’Amérique. La riposte trumpienne est le même pourcentage coupé en deux par pure bonté car, dit-il, « nous sommes très gentils ». Il y a un tarif minimum de 10% pour tous les pays, même ceux qui ont un déficit dans le commerce des biens avec les États-Unis, comme le Royaume Uni, ou qui ont déjà un accord commercial avec les Américains, comme l’Australie. La Russie ne figure pas dans le tableau, car les échanges sont très réduits actuellement. Le Canada et le Mexique sont absents car ils sont déjà dans le collimateur de Trump dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain, signé en 1994 et renégocié par Trump en 2020.

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Les pays les plus durement touchés sont la Chine, à 34%, le Japon à 24%, l’Inde à 26%, la Corée du Sud à 25%, le Vietnam à 46%, le Cambodge à 49% et la Thaïlande à 36% L’UE est à 20%. C’est très clairement la rivale chinoise qui est visée le plus ici, car avec des tarifs déjà imposés par Trump, le montant revient à 65%. En mai, le système « de minimis » qui permet actuellement l’entrée sans tarifs aux États-Unis de colis représentant une valeur chacun de moins de 800 dollars sera aboli. Ce système a beaucoup profité à des sites de vente en ligne chinois comme Shein. L’UE est taxée juste au moment où elle commence à se méfier elle-même des importations de la Chine, mais pour Trump elle a besoin de montrer clairement qu’elle est du côté américain dans la lutte commerciale. Mais pourquoi Trump punit-il tellement les alliés des États-Unis que sont l’Inde, la Corée du Sud, le Vietnam, le Cambodge et la Thaïlande ? La raison est l’échec de la politique de friend shoring, c’est-à-dire la tentative de se fournir auprès de pays amis ou de concentrer les maillons des chaînes d’approvisionnement de ses propres entreprises dans ces mêmes pays. C’est l’approche adoptée par les Américains après l’imposition de tarifs à la Chine par Trump dans son premier mandat et par Biden. Le hic, c’est que la Chine a établi des usines dans ces pays amis, pendant que des entreprises dans ces pays ont réemballé des biens ou des pièces importés de Chine pour les exporter vers les États-Unis. La punition commerciale de ces pays par Trump est un signal très clair : pas de collaboration possible avec les Chinois.

On a beaucoup commenté des anomalies apparemment comiques dans le tableau de Trump : des îles inhabitées ont été imposées ou des territoires d’outre-mer ont été taxés plus que la métropole. C’est ainsi que les huit îles françaises de Saint Pierre et Miquelon se trouvent à 50% quand la France elle-même n’est qu’à 20%. Cela a permis aux commentateurs de donner libre cours à leur mépris pour l’amateurisme des Américains, mais il se peut qu’il s’agisse d’un écran de fumée pour détourner l’attention. Ce qui compte, aux yeux de Trump, c’est sûrement les négociations qui vont commencer avec les partenaires, négociations qui auront lieu d’abord dans les coulisses.

Les buts de Trump sont multiples : réduire son déficit, encourager le rapatriement des chaînes de fabrication, attirer des investissements (il prétend avoir déjà attiré 4 000 milliards de la part de grandes entreprises comme Apple, Oracle ou Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), réduire la valeur du dollar et créer des emplois sur son sol. Les Américains parlent aussi de remplacer les revenus en provenance des impôts par d’autres en provenance des tarifs, ce qui correspond à ce qui se passait aux États-Unis dans la dernière partie du XIXe siècle. Pourtant, cela semble très difficile à réaliser.

Retaliate or negotiate

La conséquence immédiate de l’action de Trump, c’est de donner aux partenaires des Américains le choix entre la guerre commerciale ou la négociation d’un accord. Le Canada, est pour l’instant entre les deux. Les Européens se préparent à la guerre. Le Royaume Uni tente de négocier un accord limité. Le président américain veut surtout que les différents pays choisissent entre les États-Unis et la Chine. Cette dernière doit être isolée sur le plan commercial. Le nouveau système, centré sur une Amérique revigorée, a déjà été baptisé par certains économistes « l’accord Mar-a-Lago ». Verrons-nous ce nouvel âge d’or américain ou une grande récession que d’autres ont surnommée la « Trumpcession » ? En tout cas, Trump a pris un risque énorme en menaçant non seulement de chambouler tout le système mondial mais de le détruire si les autres nations ne collaborent pas avec lui.

Nétanyahou : ni juges ni Hamas

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Benyamin Nétanyahou visite le corridor de Netzarim dans la bande de Gaza, 21 novembre 2024 © Maayan Toaf/Israel Gpo/ZUMA/SIPA

La nouvelle offensive d’Israël à Gaza vise notamment à empêcher le Hamas de reconstituer ses forces militaires et de conserver son pouvoir politique. Mais de nombreuses voix soupçonnent Benyamin Nétanyahou de motivations politiciennes, alors que le pays pourrait plonger dans une crise constitutionnelle inédite.


Dans la nuit du lundi au mardi 18 mars 2025, à 2 h 10 du matin, l’armée israélienne a lancé une attaque surprise d’envergure contre la bande de Gaza dans le cadre de l’opération baptisée « Oz VeHerev » (« Vaillance et Épée »). L’assaut, qui a duré une dizaine de minutes, a mobilisé des dizaines d’aéronefs de l’armée de l’air ainsi que des bâtiments de la marine, lesquels ont visé environ 80 cibles réparties dans l’ensemble de l’enclave palestinienne.

L’opération, suivie d’une offensive terrestre, avait plusieurs objectifs. D’abord surmonter l’impasse des négociations sur la libération des otages (sachant qu’une majorité d’Israéliens – contrairement aux familles des otages, ce qui n’est pas rien – considère que l’usage de la force est le moyen le plus efficace pour pousser le Hamas à avancer dans les discussions). Ensuite, l’État hébreu cherche à faire comprendre à l’organisation islamiste qu’il ne la combat pas seulement en tant qu’entité militaire, mais aussi en tant qu’autorité civile, et qu’au fond il ne fait pas la distinction entre les deux.

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C’est dans cette logique que six hauts responsables du gouvernement politique du mouvement ont été éliminés. Il s’agit d’Essam Al-Dalis, chef du gouvernement du Hamas dans la bande de Gaza (dont le remplaçant a subi le même sort cinq jours plus tard) ; de Mahmoud Abou Watfa, ministre de l’Intérieur, responsable des forces de police et des services de sécurité intérieure ; de Bahjat Abou Sultan, directeur général des services de sécurité intérieure ; d’Ahmad Al-Khatta, directeur général du ministère de la Justice ; d’Issam Da’alis, haut fonctionnaire chargé de la gestion quotidienne des affaires civiles ; et d’Abu Ubaida Al-Jamassi du bureau politique du Hamas.

Un effort conjoint avec les États-Unis

Le troisième but de l’offensive est d’interrompre les efforts du Hamas pour reconstituer ses forces. Profitant des semaines de cessez-le-feu, le groupe terroriste aurait, d’après les renseignements israéliens, lancé une nouvelle campagne de recrutement, et disposerait à présent d’environ 20 000 combattants en état de se lancer dans des opérations offensives. Un chiffre à comparer avec l’effectif de 30 000 combattants en armes, dont 15 000 à 20 000 combattants professionnels, dont le Hamas disposait au moment de l’attaque du 7-Octobre.

Enfin, en coordination étroite avec les États-Unis, Israël participe à un effort stratégique visant à exercer une pression militaire soutenue sur l’ensemble des acteurs de l’axe de résistance chiite : les Houthis, le Hamas, le Hezbollah, la Syrie et l’Iran. L’objectif de l’administration Trump consiste à démontrer aux acteurs régionaux et aux puissances mondiales dont ils sont les courroies de transmission que sa stratégie d’intimidation repose sur des actions concrètes et crédibles.

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L’axe américano-israélien poursuit plusieurs buts de guerre conjoints : obtenir la libération des otages, expulser le Hamas de la bande de Gaza, affaiblir durablement les capacités militaires des Houthis, et surtout forcer l’Iran à revenir à la table des négociations afin de conclure un nouvel accord nucléaire par lequel Téhéran accepterait de renoncer à l’arme atomique.

Un cessez-le-feu permanent, c’est le réarmement du Hamas

En Israël, de nombreuses voix accusent Benyamin Nétanyahou d’avoir unilatéralement rompu l’accord conclu avec le Hamas début janvier et relancé la guerre pour des raisons avant tout politiciennes. Parmi les desseins cachés qu’on lui prête, il y aurait son intention de faire revenir au gouvernement le leader de la droite messianique Itamar Ben Gvir (qui a démissionné pour protester contre l’accord, de peur qu’il ne mène à un cessez-le-feu permanent), ainsi que la volonté de continuer à faire avancer la très controversée réforme constitutionnelle. Ces accusations ne sont pas sans fondement. Toutefois, même si « Bibi » poursuit probablement plusieurs desseins en même temps – certains plus assumés que d’autres –, sa stratégie militaire ne manque pas de cohérence.

Pour le Premier ministre israélien, il est hors de question d’accepter la principale exigence du Hamas : l’instauration d’un cessez-le-feu garanti par les États-Unis, qui permettrait au mouvement islamiste de demeurer une force politico-militaire hégémonique à Gaza. D’après Nétanyahou, cela ne ferait que renforcer l’organisation islamiste, qui, selon les déclarations répétées de ses dirigeants, cherche à se réarmer pour préparer un nouveau 7-Octobre.

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Seule une liberté d’action militaire totale peut permettre à Israël de prévenir un nouveau massacre de civils sur son territoire. Et pour préserver cette liberté d’action, Nétanyahou semble prêt à risquer la vie de certains otages. Le temps où Israël était disposé à relâcher des prisonniers palestiniens condamnés pour meurtre, avec tous les risques que cela impliquait, paraît révolu. Désormais Nétanyahou n’acceptera, semble-t-il, aucune concession susceptible de permettre au Hamas de préparer un nouveau massacre : c’est, à ses yeux, une ligne rouge absolue. Il est difficile de lui donner tort sur ce point.

Enfin, la reprise des opérations coïncide avec le limogeage du chef du Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien, et avec une aggravation notable de la crise politique et constitutionnelle en Israël.

Réforme constitutionnelle et marge de manœuvre géopolitique

Depuis son arrivée au pouvoir fin 2022, Nétanyahou s’emploie à affaiblir – certains disent anéantir – le contrôle judiciaire sur le gouvernement et le Parlement. L’enjeu principal, c’est le mode de nomination des 15 juges de la Cour suprême, à la fois cour d’appel et cour constitutionnelle. Nétanyahou souhaite accroître le poids de la majorité dans les instances chargées de nommer ces hauts magistrats, afin de politiser la Cour. Cette conception de la Cour constitutionnelle n’est pas, a priori, illégitime. Seulement, la précipitation avec laquelle agit Nétanyahou semble dictée par ses intérêts conjoncturels. En clair, on a l’impression que Bibi manœuvre pour sortir de ses ennuis judiciaires ou pour accorder aux ultrareligieux, pilier de la majorité, des privilèges constituant une rupture flagrante de l’égalité. Résultat, cette réforme est suspecte, même aux yeux de conservateurs qui aimeraient voir le périmètre d’intervention des juges constitutionnels fortement restreint.

Le chef du Shin Bet et la procureure de la République, deux hauts fonctionnaires dont les responsabilités, selon la loi, incluent la sauvegarde de la démocratie (libérale) israélienne, ont clairement indiqué qu’en cas de conflit entre l’exécutif et la Cour constitutionnelle, ils obéiraient à cette dernière. Nétanyahou a décidé de les limoger – évoquant une perte de confiance –, une décision immédiatement contestée devant la Cour constitutionnelle, qui a émis une mesure conservatoire dans l’attente d’un jugement prévu le 10 avril. Or, Nétanyahou a déjà annoncé qu’il n’obéirait pas à la Cour si celle-ci venait à censurer la décision du gouvernement. Israël pourrait ainsi se retrouver plongé dans une crise constitutionnelle sans précédent, avec à la tête de l’armée, de la police et du ministère de la Sécurité intérieure des personnalités nommées par la majorité au pouvoir.

Ces deux dynamiques – crise politique et guerre – ne sont pas indépendantes l’une de l’autre. En l’absence d’une solution claire pour l’avenir de Gaza – nul ne sait véritablement comment « dé-hamasiser » la bande de Gaza, pas plus que « déradicaliser » des djihadistes –, Israël a choisi d’intensifier la pression, façon on secoue le cocotier et on voit ce qui tombe. Pour mener une telle politique, il faut un gouvernement soutenu par une majorité stable et disposée à appuyer une stratégie dite « ouverte » : une opération sans limite de durée, sans objectifs définis à l’avance, qui accorde de facto carte blanche au chef de l’exécutif. Une telle stratégie n’est pas envisageable dans le cadre constitutionnel israélien traditionnel.

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Dans ce contexte, Nétanyahou s’efforce de consolider et de renforcer son pouvoir, convaincu qu’il se trouve face à une fenêtre d’opportunité historique. Avec Trump à la Maison-Blanche, la Syrie réduite à l’état d’épave politique et géopolitique, l’Iran au plus bas depuis la guerre avec l’Irak, le Hezbollah affaibli et la branche armée du Hamas laminée, c’est la première fois depuis 1967, voire depuis 1948, que la conjoncture régionale et mondiale permettrait de faire évoluer durablement les lignes du conflit israélo-palestinien. Nétanyahou croit même que le statu quo établi en Cisjordanie depuis les accords d’Oslo en 1994 pourrait être profondément modifié au profit d’Israël. Et il est persuadé d’être l’homme providentiel, le seul à même de saisir cette occasion et de l’exploiter pleinement.

S’agissant de la durée de ses mandats à la tête de l’exécutif, Nétanyahou a déjà dépassé David Ben Gourion, le fondateur de l’État d’Israël. On aimerait croire qu’il sera capable d’accomplir autant pour l’État d’Israël.

Le 7-Octobre a fauché aux juifs français leur libre conscience politique

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Jordan Bardella, à droite, écoute l’Israélien Haim Brakha raconter son expérience lors d’une visite à un mémorial en hommage aux victimes et aux otages des attaques du Hamas en 2023, près du kibboutz Re'im, dans le sud d’Israël, le mercredi 26 mars 2025 © Jack Guez/AP/SIPA

Ce ne sont pas ceux qui n’ont pas réussi à faire incriminer LFI pour antisémitisme qui auront la légitimité pour criminaliser le RN pour la même chose…


À Jérusalem, jeudi 27 mars, Jordan Bardella a été invité à s’exprimer parmi les invités d’un colloque organisé par le ministre israélien de la Diaspora Amihai Chikli. La salle a particulièrement retenu son attention vers 17h lorsque résonnait à quelques mètres du mur des Lamentations le discours d’un politicien encore qualifié d’extrême droite par une partie importante de la communauté juive et de la classe politique. Le Rassemblement national est-il en voie de s’extraire durablement de la stigmatisation d’antisémitisme qui lui collait encore à la peau avant le 7-Octobre ?

Acculés

Trêve de condescendance, et de culpabilisation : non, il ne s’agit pas de savoir si les juifs qui ont accueilli la venue du Rassemblement national avec bienveillance en Israël ont suffisamment conscience du noyau dur qui tourne autour du parti. Il est su de tous que d’anciens libraires négationnistes siègent à l’Assemblée nationale, que Jordan Bardella a eu des difficultés à se dépatouiller d’une question piège sur Jean-Marie Le Pen ou que le GUD constituait le noyau historique de l’extrême droite française. Néanmoins, ceux qui courent aux abris sous les tirs des Houthis, du Hamas et du Hezbollah répondent à d’autres logiques qu’à ces jugements qu’ils considèrent anecdotiques.

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Acculés depuis un an et demi, les Franco-israéliens et le reste d’Israël sont tournés vers d’autres impératifs que ceux du CRIF ou d’institutions proches de l’Elysée. Pendant que certains snobent un évènement historique à cause du déplacement du RN, Ugo Bernalicis, député Insoumis, lance en pleine Assemblée nationale qu’il faut une « solution finale », sourire en coin, au sujet du narcotrafic. Comme pour les affiches sur Cyril Hanouna, LFI joue avec l’accusation d’antisémitisme comme un adolescent retardé jouerait à chat-perché. Et aussi difficile que cela puisse être de bousculer nos représentations, les faits sont là : le RN a lutté contre la bête immonde avec ardeur et assiduité depuis le 7-Octobre. Rappelons comment, en pleine Assemblée nationale, Marine Le Pen s’est transformée en résistante face à Mathilde Panot qui faisait alors l’apologie du Hamas en refusant de reconnaître son caractère terroriste, alors que Jean-Luc Mélenchon déclarait en toute décontraction face à Benjamin Duhamel qu’il n’y avait pas eu de pogrom le 7-Octobre. Les esprits critiques crieront à l’opportunisme électoral, à l’hypocrisie et à la naïveté. Le problème étant que l’antisémitisme se prouve, et de préférence, de manière irréfutable. Ce n’est pas ceux qui n’ont pas réussi à faire incriminer LFI pour antisémitisme qui auront la légitimité pour criminaliser le RN pour la même chose.

Le règne de la froide realpolitik

En Israël, peut-être encore plus qu’ailleurs, le règne actuel est celui de la realpolitik, celle qui privilégie l’intérêt et remplace nos attachements idéologiques par le simple pragmatisme. L’électeur politique raisonne dorénavant à court terme : qui est là, pour répondre aux besoins qui sont les miens, tout de suite, maintenant ? Cette nouvelle perception du fait politique détourne mécaniquement l’électeur de l’histoire des partis politiques, notamment lorsque l’impact de l’histoire n’est plus sans incidence aucune. En effet, qu’est-ce que cela peut bien changer au sort d’Israël ou des juifs de France si Jordan Bardella n’a pas publiquement qualifié Jean-Marie Le Pen d’antisémite ? En avait-il la possibilité, si ce n’est la nécessité ? En quoi le GUD a-t-il une influence sur les décisions politiques du RN ? Plus encore, ce changement de paradigme va dans les deux sens et restructure complètement l’appareil politique. Si le GUD était à l’époque du FN une composante principale de son électorat, force est d’admettre qu’il devient une charge pour un RN en voie de démocratisation : avec 32% de voix obtenues aux dernières élections législatives, le RN a tout intérêt à s’en défaire pour prouver une évolution réelle. C’est peut-être confirmé par les propos forts de Bardella dans la conclusion de son discours tenu à Jérusalem : « Que l’antisémitisme provienne d’islamistes fanatiques, de l’extrême gauche camouflée en antisionisme ou encore de groupuscules d’extrême droite et de leurs complots délirants, aucune de ces haines n’a de place en France et en Europe ».

Demandez à Mélenchon, il connaît bien la chanson : l’hypocrite ne reconnaît pas le mal, et s’en affranchit niaisement. Ces mots du président du parti rappellent qu’il n’est pas venu participer à un colloque de lutte contre l’islamisme radical, mais de lutte contre l’antisémitisme. Il ajoutera aussi, « je n’aurais pas la main qui tremble pour traiter les faits antisémites ». Des paroles simples, mais qui définissent la voie idéologique du parti, à l’heure où Emmanuel Macron n’aurait probablement pas daigné rejoindre une conférence à 5000km de chez lui alors qu’il a refusé de prendre part à une simple manifestation en contre bas de l’Elysée. In fine, sont venus ceux qui voulaient venir.

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Soutien moral

De son côté, le ministère de la Diaspora et le gouvernement israélien ont bien compris qu’Israël avait besoin d’alliés. Les Franco-israéliens ont, eux aussi, besoin de soutien moral, et de sentir un avenir meilleur, offerts sur plateau par cette bouffée d’oxygène qui leur laisse la perspective d’un ennemi en moins.

Plus pessimistes, en fin de soirée, une petite poignée de manifestants franco-israéliens de gauche traditionnelle sont venus devant la salle de Conférence Binyan Aouma, pancartes à la main, pour exprimer leur refus de voir le « devoir de mémoire être instrumentalisé par l’extrême droite » suite à la visite de Yad Vashem. Ils ont été surpris quand l’un des conseillers de Marion Maréchal, en pleine interview pour CNews est venu échanger avec eux pour expliquer combien il se sentait offensé. En effet, en ayant lui-même des grands-parents résistants déportés dans les camps, il leur a indiqué combien ces affiches sont indignes et insultent aussi son histoire familiale. Les idéologies sont en mouvement, n’en déplaisent aux ultra-conservateurs… d’extrême gauche.

Conservatoire: on ne joue plus!

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Louis Jouvet joue son propre rôle de professeur au Conservatoire, dans le film « Entrée des artistes », de Marc Allégret, 1938 © René Château

Qu’enseigne aujourd’hui le Conservatoire national d’art dramatique? Pas grand-chose, semble-t-il. Les élèves en ressortent vierges de toute culture théâtrale et de toute technique de jeu. Pour mesurer la catastrophe, il faut se rappeler les grands artistes qu’il a su former dans le passé et observer les diplômés d’aujourd’hui.


J’ai déjà craché dans les pages de Causeur sur la Comédie-Française, adorée de tous, progressistes déconstructeurs et réactionnaires incultes ou ayant simplement perdu la mémoire de la beauté. Je veux aujourd’hui – et bien seul toujours ! – m’attaquer à une autre institution : le Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Dans son état actuel, à quoi sert-il encore ?

Une institution (autrefois) prestigieuse

Autrefois, les professeurs du Conservatoire étaient en majeure partie d’éminents maîtres de l’art dramatique, des acteurs ou metteurs en scène rayonnants. Talma, Sarah Bernhardt, Paul Mounet, Jouvet, Jean Yonnel, Béatrix Dussane, Jean-Louis Barrault, Fernand Ledoux, Louis Seigner, Madeleine Marion, Vitez, Claude Régy, Michel Bouquet, Catherine Hiegel, Daniel Mesguich ou encore Michel Fau (pour ne citer qu’eux !) y ont enseigné. Connaissez-vous les professeurs actuels ? Agnès Adam, Adama Diop, Sharif Andoura, Valérie Blanchon, Valérie Dréville et Nada Strancar. Bien qu’inconnue du grand public, Nada Strancar (élève de Georges Chamarat, puis de Vitez au Conservatoire), est une grande actrice, entendu. Mais ce n’est pas l’actuelle directrice Sandy Ouvrier, ni son horrible prédécesseur Claire Lasne, qui l’ont nommée. Strancar est un héritage. Quant aux autres, en quoi font-ils autorité ?! Pour comprendre ce qu’étaient cette institution et sa mission, il faut écouter quelques-uns des grands maîtres qui y professaient. Roger Ferdinand, directeur de 1955 à 1967, expliquait que le devoir de cette école était de « former des défenseurs éclatants du grand répertoire ». C’est-à-dire des acteurs capables de jouer dans les règles de l’art les différents styles du répertoire dramatique. Pour vous rendre concrète cette parole, on citera Denise Grey. « Je ne suis jamais passée par une école et je le regrette parce que, si ça avait été le cas, lorsque j’ai eu la chance d’être engagée à la Comédie-Française, j’aurais été capable de jouer les rôles pour lesquels la culture classique est absolument nécessaire. » Le Conservatoire enseignait, entre autres, une technique pour aborder les auteurs classiques et le style dans lequel les jouer. La diction, le maintien en scène, le geste, le rythme, l’alexandrin, les ruptures, les apartés, le placement de la voix. Une culture théâtrale ! Des connaissances solides pour s’attaquer aux montagnes tragiques, farcesques ou vaudevillesques de Racine, Corneille, Molière, Feydeau ou encore Labiche. Lise Delamare, ex-sociétaire de la Comédie-Française, nommée professeur au Conservatoire en 1967 où elle a notamment formé Nicole Garcia et Patrick Chesnais, expliquait : « Je ne suis pas là pour donner des directives artistiques, mais pour apprendre, comme un professeur de piano apprend à jouer du piano. » Elle force un peu le trait. Il me semble qu’un professeur doit aussi proposer une vision de son art à ses élèves et les aider à faire éclater leur personnalité. Mais l’enseignement de la technique était autrefois inévitable ! Georges Le Roy, illustre professeur au Conservatoire, lui-même ancien élève de Sarah Bernhardt, expliquait en 1964 : « Il y a beaucoup de comédiens qui ont du talent mais n’ont pas la maîtrise pour jouer le grand répertoire. » S’il voyait aujourd’hui l’état des lieux ! Je ne connais pas un acteur de moins de 40 ans possédant la technique et le savoir nécessaires pour jouer la tragédie en alexandrins. En 1967, Jean Meyer, professeur au Conservatoire lui aussi, disait : « L’une de mes préoccupations essentielles est le respect d’une tradition […] Nul n’a le droit à la liberté sans la tradition. Aujourd’hui, lorsqu’on joue une tragédie, on fait à peu près 4 000 à 5 000 fautes techniques par représentation. Si l’on faisait trois fautes dans une symphonie de Mozart, la salle hurlerait. » Beaucoup d’entre nos lecteurs ont en tête – j’en suis sûr ! – les admirables vaudevilles joués à la Comédie-Française par Charon, Hirsch, Denise Gence ou encore Catherine Samie. Ou encore les alexandrins jaillissant des entrailles de Martine Chevallier ou de Christine Fersen. Tous ces acteurs ont été formés au Conservatoire. J’engage maintenant nos lecteurs à regarder le documentaire de Valérie Donzelli intitulé Rue du Conservatoire. Elle y filme en 2024 les répétitions du spectacle de fin d’année d’une classe d’élèves de troisième et donc dernière année. C’est Hamlet qui est monté (ou plutôt démonté) si j’ai bien compris (et c’est difficile à comprendre !). Il faut voir ce ramassis de jeunes acteurs ineptes s’agiter dans tous les sens anarchiquement, hurler, s’égosiller, bafouiller. Ils en sont au niveau zéro. Qu’ont-ils appris en trois ans ? Quelle maîtrise ont-ils de leur art ? Aucune ! Voilà l’état du théâtre. Qu’ils me pardonnent ma sévérité. Ce n’est évidemment pas de leur faute. Que leur a-t-on enseigné ?

« Rue du conservatoire », documentaire de Valérie Donzelli, 2024 © CNSD

Nouvelle directrice, nouveau tournant radical

Depuis la nomination de Claire Lasne à la tête de l’école en 2013, c’est la déconstruction, la destruction, le néant. L’obsession unique de cette sinistre femme a été l’égalitarisme, l’inclusion, la représentation des minorités. « Tout geste artistique dont est a priori exclue une partie de la population ne m’intéresse pas. Si brillant soit-il, si merveilleux soit-il. […] Moi, j’ai peur dans un endroit où il n’y a que des Blancs. » Voilà le grand projet de Madame Lasne. Jamais je n’ai entendu cette femme parler d’art. Insertion, égalité, solidarité, racisme, inclusion sont les seuls mots qui sortent de sa bouche à jet continu. C’est cette même directrice qui, dès sa nomination, a décidé du non-renouvellement du poste du grand Michel Fau, alors professeur d’interprétation. Cependant, j’exagère un peu en dédouanant totalement les élèves. Accepteraient-ils un enseignement « traditionnel » ? N’oublions pas que ce sont les élèves qui, en 2012, ont eu la peau du directeur Daniel Mesguich. La quasi-totalité avait cosigné une lettre au ministère de la Culture demandant le non-renouvellement du mandat de leur directeur auquel ils reprochaient notamment de les « couper progressivement du monde ». En clair, il était trop tradi, pas assez branché. Mesguich avait magistralement répondu dans une superbe lettre, cruelle, érudite, désespérée, mais pleine de style et de panache que je vous supplie de lire pour bien comprendre ce que je tente brièvement d’exposer ici. « J’ai voulu, écrivait-il notamment, préserver [les élèves] des effets de mode (fluctuants dans nos métiers). Et je n’ai pas sollicité les metteurs en scène qui auraient réussi un spectacle […], mais resteraient cois devant une scène de Shakespeare ou de Racine. » Il ajoutait qu’un professeur doit « être savant, détenteur d’une culture générale solide »1. Rappelons que Mesguich avait nommé Michel Fau professeur et tenté de convaincre Philippe Caubère. Il avait également fait intervenir le grand Alfredo Arias. Des hommes de théâtre solides, des vrais quoi ! Il insistait aussi sur l’importance des cours d’histoire du théâtre. Oui, Mesguich s’inscrivait dans la continuité de l’histoire de cette institution. Trop pour des élèves de notre temps.

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Il n’y a plus rien à conserver

Pourquoi ratiociner dans Causeur sur une institution dont tout le monde se fout ? Parce que, si vous vous fichez du théâtre, je suis certain que vous êtes soucieux de notre langue et de son avenir. Je mentionnerai donc une seule des conséquences de tout ce merdier. Vous qui aimez et défendez la grande langue française, mépriseriez-vous Racine et Corneille au point d’être indifférent au fait de ne plus pouvoir entendre jamais rayonner leur langue sur les scènes des théâtres ? La tragédie en alexandrins n’a pas été écrite pour être lue, mais pour être jouée. Le simple lecteur n’a pas la force d’inventer la voix tragique qui porte le vers au firmament. Non. Si vous désirez accéder à nos grands poètes tragiques, il vous faut inévitablement passer par le truchement de leurs prêtres et de leurs prêtresses. C’était encore possible il y a quelque temps… Il y avait Maria Casarès ou plus récemment encore Christine Fersen, Jany Gastaldi et Martine Chevallier (dégueulassement virée de la Comédie-Française il y a quelques années). Et aujourd’hui ? Plus personne. Oui, je vous le dis, plus personne. Les quelques tragédiens qui restent sont au chômage. Lorsque Philippe Girard, Martine Chevallier et les quelques autres quitteront cette terre, la grande tradition de la tragédie en alexandrins disparaîtra. Pour ressurgir peut-être, qui sait, dans un siècle ou deux. Mais une filiation se sera interrompue.

Les élèves du Conservatoire national de musique sortent de l’école dotés d’une technique à toute épreuve et sachant jouer Bach, Debussy ou Ravel dans le style voulu par les compositeurs. Ceux du Conservatoire national d’art dramatique, eux, en sortent comme ils sont entrés : vierges de toute culture et de toute technique. Du conservatoire de musique et de danse on peut, aujourd’hui encore, sortir avec un premier ou un second prix. Pas du Conservatoire national d’art dramatique depuis que Jacques Rosner – directeur chargé de réformer l’école après 1968 – a supprimé les concours de sortie. Après la suppression du concours de sortie, je propose donc un pas de plus : supprimer le Conservatoire. Il n’y a plus rien à conserver. Rideau !

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Francesca Albanese et les hypocrisies du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU

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La Rapporteure spéciale de l'ONU pour les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, donne une conférence de presse à la Cité de l'ONU à Copenhague, le mercredi 5 février 2025 © Ida Marie Odgaard/AP/SIPA

La rapporteuse très très spéciale de l’ONU verra-t-elle son mandat renouvelé demain ? Coulisses…


Sera-t-elle reconduite? On pensait que la décision serait annoncée le 1er avril ; on parle aujourd’hui du 4 avril…

C’est alors que nous saurons si le mandat de trois ans de Mme Francesca Albanese, Rapporteur spécial aux Droits de l’Homme dans les Territoires occupés par Israël depuis 1967, sera renouvelé par le Président du Conseil des Droits de l’Homme. Il y a toutes les chances qu’il le soit, la plupart des 47 pays qui composent ce Conseil sont satisfaits, et plusieurs même admiratifs de la façon dont la magistrate italienne a effectué son premier mandat. Il y a bien ceux qui bougonnent, les diplomaties et parfois les groupes de députés de France, Allemagne, Pays Bas, sans compter les nombreuses organisations juives, qui ont dit que Mme Albanese n’était pas digne de ses fonctions. Mais aucun de ces pays, sans compter les Américains qui viennent de quitter le Conseil, ne semble avoir émis d’opposition officielle.

Lobby juif

Le contentieux est pourtant lourd. UN Watch, cette remarquable organisation basée à Genève a identifié dans un rapport d’octobre dernier 53 instances où Mme Albanese avait émis des propos auxquels on peut attribuer un caractère antisémite sur les critères usuels de l’IHRA.

Parmi les exemples, déni des atrocités commises le 7-Octobre, mise en doute systématique des témoignages de violences contre les otages, soutien explicite au Hamas décrit comme un mouvement de résistance, assimilation des Israéliens aux nazis et de Netanyahu à Hitler.

En 2014, bien avant d’être nommée à l’ONU, Mme Albanese écrit à l’évêque de sa ville italienne natale. Elle lui décrit à des fins de Fundraising pour l’UNWRA pour laquelle elle travaille les souffrances des Palestiniens de façon particulièrement tragique, s’étonne de ce que les Etats-Unis et les pays européens réagissent si peu et conclut: « C’est parce qu’ils sont subjugués par le lobby juif…». 

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Mme Albenese utilise sans relâche le mot de génocide. De fait, une organisation qu’elle avait elle-même créée en Jordanie, prétend avoir été la première à marteler ce terme dans le but de criminaliser les Israéliens.

En mars 2024, exploitant son image de juriste internationale, bien avant les plaidoiries israéliennes et sud africaines devant la CIJ et bien avant que celle-ci ne décide de reporter sa décision finale, Mme Albanese  intitule son rapport à l’ONU «Anatomie d’un génocide», copiant le titre d’un livre de l’historien Omer Bartov sur l’extermination d’un village de Galicie par les nazis. Elle n’y apporte pas la moindre preuve que Israël détruit intentionnellement la population civile de Gaza. Du reste, à suivre son argumentation, n’importe quelle opération militaire où des civils trouvent la mort pourrait être qualifiée de génocidaire, si Mme Albanese était intéressée à l’appeler ainsi. Mais il se trouve qu’elle est exclusivement polarisée contre Israël. 

Mme Albanese ne nie pas la Shoah, mais celle-ci ne l’intéresse que dans la mesure où à en parler, on risque de faire le jeu du lobby juif et à négliger ce qui est pour elle l’essence du conflit israélo-palestinien, comme elle l’a dit à un journaliste: les Palestiniens sont avant tout les survivants d’un génocide, celui de la Neqba. De la même façon, son mari, qui après avoir été conseiller économique du gouvernement palestinien est économiste de la Banque Mondiale à Tunis, publie sur les réseaux sociaux des textes particulièrement violents contre Israël, mais il pense peut-être qu’il honore les combattants du ghetto de Varsovie en les comparant à ceux du Hamas.

Un mandat hypocrite

Le passé militant de Mme Albanese, ses dérapages antisémites, les liens de son mari avec l’Autorité Palestinienne, étaient connus de la commission qui a analysé le profil  des candidats au poste de rapporteur dans les territoires Palestiniens, poste qui suivant les statuts requiert une complète impartialité. Comment après le choix d’une candidate aussi manifestement biaisée et qui dès les premiers mois de sa nomination en 2022 a attaqué Israël avec une virulence particulière le Président du Conseil des droits de l’Homme a-t-il osé déclarer que la commission de sélection (quatre pays dont l’Afrique du Sud et la Malaisie, deux pays particulièrement hostiles à Israël) avait fait un travail irréprochable? Tout simplement parce que tout est hypocrite dans ce mandat de Rapporteur. Statutairement il ne s’intéresse qu’aux  violations qui peuvent être attribuées à Israël, jamais à celles dont les Palestiniens pourraient être coupables.

Ce poste a été créé en février 1993. Quelques mois plus tard, après les accords d’Oslo, une autre entité exerçait un pouvoir sur cette zone, l’Autorité Palestinienne, puis après 2007 le Hamas à Gaza. Certains Rapporteurs ont au début demandé une extension de leur champ d’investigation aux exactions commises par les Palestiniens. Ce ne fut jamais accepté. 

Les biais qui ont déconsidéré la Commission des Droits de l’Homme ont persisté quand celle-ci fut remplacée par un Conseil des Droits de l’Homme: la loi des nombres dominait, Israël était la cible prioritaire, sans cesse condamné, alors que les pays les plus tyranniques de la planète siégeaient au Conseil en se drapant d’une virginité institutionnelle.

Seuls des antisionistes pouvaient postuler à des postes tels que celui de Rapporteur sur les violations des droits de l’Homme dans les territoires palestiniens. aussi spectaculaire que soit Mme Albanese, elle suit une chaine antisioniste. Face à Israël il y a 57 pays membres de l’Organisation de la Coopération Islamique. Leurs représentants et les pays alliés géopolitiques ou occasionnels font la loi au Conseil des Droits de l’Homme. Et il arrive trop souvent que les démocraties occidentales, la France parmi elles, s’accommodent plutôt que de lutter contre le courant….Qu’en sera-t-il au sujet de Mme Albanese ?

Transparence et inéligibilité à gogo: faut-il un casier vierge pour gouverner?

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Le président de la Republique François Hollande, Michel Sapin, ministre du Travail et Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, Palais de l'Elysée, Paris, 4 janvier 2013 © BERNARD BISSON/JDD/SIPA

Elisabeth Lévy se demande avec Gérard Larcher si nous avons été trop loin dans l’exigence de moralisation de la vie politique…


Avons-nous été un peu trop loin dans l’exigence de moralisation de la vie politique? Poser la question, c’est déjà y répondre. Interrogé par Le Figaro sur le jugement de Marine Le Pen, qui suscite de nombreux troubles dans la classe politique, le président du Sénat, Gérard Larcher, prend mille précautions. Les décisions de justice ? Bien sûr, il les respecte, c’est essentiel… Mais il finit par lâcher le morceau: le tribunal applique la loi, oui, mais peut-être que la loi est mal faite1.

Une multiplication par 20 des peines d’inéligibilité !

Dans son viseur : la loi Sapin II de 2016 (même si elle n’était pas applicable en l’espèce, les faits reprochés à Marine Le Pen et au FN étant antérieurs). En 2018, on comptait 440 peines d’inéligibilité, contre 8 857 en 2022 ! Incroyable. Le juge devient le pré-arbitre électoral, puisqu’il décide de qui peut briguer les suffrages des Français. Personnellement, je serais favorable à la suppression de toutes les peines d’inéligibilité en correctionnelle. Si les Français veulent élire un délinquant, c’est leur droit. En revanche, on ne va pas laisser se présenter quelqu’un condamné aux assises pour un crime de sang. J’estime que c’est aux électeurs de décider du niveau de morale ou de probité qu’ils exigent de leurs représentants. S’ils veulent élire quelqu’un qui a été un peu margoulin, c’est quand même leur droit.

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Certes, toutes ces peines d’inéligibilité sont l’œuvre du législateur. Ce sont les élus (et on l’a suffisamment rappelé pour Marine Le Pen) qui ont voulu ces lois. Des lois d’émotion, selon Larcher, adoptées dans la foulée de l’affaire Cahuzac. Il fallait alors calmer l’opinion, montrer qu’on lavait plus blanc que blanc. Souvenez-vous des grands airs indignés de François Hollande en conférence de presse : pourtant, entre Cahuzac et Landru, il y a quand même une différence… Nous avons ensuite assisté à la création de la HATVP, une institution carrément robespierriste. À chaque élection, les élus doivent désormais se mettre à nu, révéler tout de leur patrimoine. Il n’y a rien de mieux pour nourrir les passions tristes (Ce salaud possède un deux-pièces à Trouville et pas moi, c’est dégoûtant !) et décourager les meilleurs d’entrer en politique (Tout de même, avoir les juges et les journalistes aux fesses, ça fait beaucoup).

Donc, peu importe que les élus piquent dans la caisse ?

Évidemment pas.

Des distinctions sont nécessaires. Avoir un compte en Suisse, même quand on est ministre des Comptes publics, demeure moins grave que tuer sa grand-mère. Et faire bosser son assistant pour son parti, c’est moins grave qu’un compte en Suisse. Comme dans les affaires de violences sexuelles, il faut savoir hiérarchiser : une blague leste, ce n’est pas un viol. Concernant les élus, la grande différence du point de vue de la morale, c’est l’enrichissement personnel. En matière de détournement, ce n’est évidemment pas bien d’enrichir son parti, mais c’est moins grave qu’un enrichissement personnel.

Il y a toujours, dans la transparence, quelque chose de totalitaire. Or, personne n’a l’obligation de toujours se montrer tel qu’il est à ses contemporains. Il est curieux d’exiger à la fois transparence et proximité. On voudrait les meilleurs aux responsabilités, mais aussi des types comme nous. C’est paradoxal : soit ils sont comme nous – faillibles, humains, menteurs –, soit ils sont effectivement les meilleurs. Il faudrait savoir !

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Montesquieu disait (en substance) que, même en matière de vertu, il faut de la modération. Sous Pompidou, les gens se fichaient bien des affaires. Quelques décennies après, on a vu les excès de la vertu (Les dieux ont toujours soif). Aujourd’hui, notre exigence de morale semble indexée sur l’efficacité : si vous êtes nuls, au moins soyez propres.

Personne ne veut être gouverné par des margoulins. Mais pas non plus par des êtres parfaits. La politique doit rester une affaire humaine. Ou alors, confions les clés à ChatGPT, qui ne fait jamais de conneries.


Cette chronique a été diffusée sur Sud radio

  1. https://www.lefigaro.fr/politique/gerard-larcher-sur-la-condamnation-de-marine-le-pen-si-la-loi-va-trop-loin-le-legislateur-doit-pouvoir-la-corriger-20250402 ↩︎