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Jacques Benoist-Méchin: l’ordre et le désir


Qui pour rassembler Proust, Pompidou, Hitler et le colonel Kadhafi dans un même salon ? Réponse : un écrivain collaborationniste, arabisant et homosexuel, baron d’Empire, qui répond au nom de Jacques Benoist-Méchin (1901-1983).

Éric Roussel, le biographe des présidents de la Ve République, raconte les mille et une vies de cet orientaliste amoureux des lettres et des beaux plafonds dans Jusqu’au bout de la nuit, aux éditions Perrin. L’ouvrage n’est pas une réhabilitation ; elle aurait été de toute façon difficilement publiable. Ses faits de collaboration et son « intelligence avec l’ennemi » le rendent « indigne de la nation » en 1947, après un procès en Haute Cour d’épuration. Il échappe de peu au peloton d’exécution… Fait original : il connaît une seconde vie et une seconde gloire après-guerre, cette fois littéraire.

Jacques Benoist-Méchin fut d’abord un jeune homme de bonne famille, rêveur, timide et emprunté. Sa famille bourgeoise et mondaine néglige un peu son éducation. Le milieu littéraire parisien le repère et l’adopte, remarquant ses qualités de polyglotte. Dans ce Paris d’avant-guerre, délicieusement littéraire et cosmopolite, où l’on croise Hemingway, Joyce, Fitzgerald ou Ezra Pound place de la Contrescarpe, il est bien vu de pouvoir, comme lui, traduire Kafka et Joyce. Il croise le légendaire magnat de la presse William Randolph Hearst (lequel a inspiré le personnage de Citizen Kane), mais s’en détourne vite, un peu écœuré par le management à l’américaine et la quête permanente du scoop journalistique. « Ses vrais talents sont ailleurs », précise Roussel. Cette expérience professionnelle nourrit un profond dégoût pour le Nouveau Monde : « J’étais allergique à l’Amérique (…) tout était calculé en fonction de cette espèce d’optimisme béat qui veut que tous les talents, toutes les vertus soient récompensés, que le bien c’est d’être riche, le mal d’être pauvre, que quelqu’un de pauvre est forcément mauvais… » La vieille Europe sera son seul secours.

L’Europe, l’Europe…

Benoist-Méchin rêve d’Europe. En lecteur cosmopolite, il aimerait que le vieux continent s’unisse et affirme sa culture commune. En 1918, il supplie son père – il n’a que 17 ans – de faire jouer ses relations parisiennes pour adoucir le traité de Versailles et empêcher un démembrement de l’Allemagne qui conduirait « à une nouvelle guerre mondiale ».

L’occupation de la Rhénanie l’indigne. Un séjour en Allemagne achève de le « germaniser ». Son Histoire de l’armée allemande en 1936 lui ouvre les portes des cercles dirigeants nazis : il donne des conférences à partir de ses travaux sur l’armée allemande devant le gratin du IIIe Reich. Précoce, il commence presque la collaboration en 1938. Benoist-Méchin bascule et adhère au PPF de Doriot, le premier (et presque le seul) parti fasciste français. La défaite vient, et Benoist-Méchin entonne l’air du « Je vous l’avais dit » : « Ayant perdu à un degré inimaginable le sens du réel, [la République française] n’a jamais voulu regarder les choses en face, ni prendre conscience des problèmes qu’elle avait à résoudre. Par un fléchissement inexcusable de sa raison et de sa vitalité, elle s’est constamment refusée à tout effort, à tout sacrifice. » 1936, le Front populaire, l’esprit de jouissance, les congés payés, l’oisiveté prolétaire sont, selon lui, responsables de la défaite militaire. L’antienne est bien connue. Marc Bloch lui réglera son sort dans L’Étrange Défaite.

Non pas collaborer, mais « cobelligérer »

Quand De Gaulle fait le pari, le 18 juin, d’une victoire anglo-saxonne, Jacques Benoist-Méchin et Pierre Laval font à l’inverse le pari d’une victoire allemande. Il n’y a pas de fascination romantique pour les charmes frelatés du fascisme, comme chez Drieu la Rochelle ou Robert Brasillach ; c’est d’ailleurs là son originalité parmi les écrivains collabos. Avec franchise – et sans doute froideur logique – il pense que la France doit se positionner pour l’après-guerre du côté des gagnants, c’est-à-dire « avec son vainqueur » et entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne, ou « cobelligérer » et assumer un véritable basculement d’alliance. Ce qui revient à aller plus loin que Pétain. Il assiste Laval au ministère. Le calcul était un peu fou : rien, dans l’attitude constante des autorités d’occupation, ne ressemblait à un traitement de faveur pour la France… Condamné à mort par la Haute Cour en 1947, il végétera à Clairvaux avant de sortir en 1954 au bénéfice d’une grâce générale. La réhabilitation viendra plus tard. Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident, sans renier grand-chose, raconte le déclenchement de la guerre, célèbre le génie politique du général de Gaulle et trouve quelques lecteurs dans le gratin politique.

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Déçu de l’Europe, Jacques Benoist-Méchin passe à l’Orient et devient un spécialiste reconnu du monde arabe. Il se fait aussi l’avocat passionné de la cause palestinienne. La lecture d’Un printemps arabe aurait influencé le durcissement de la position du général de Gaulle envers Israël. Il est introduit un peu partout : à Alger, en Libye, où Kadhafi le reçoit sous sa tente en plein désert. Par beau temps, il bronze et divague ; il rêve d’une fusion entre l’Orient et l’Occident, ou d’une conversion de l’Europe à l’islam. Autant frotter la lampe d’Aladin… Divagateur, narrateur, il excelle cependant dans le genre de la biographie historique – négligée par l’Université – et compose une série de portraits de passeurs entre Orient et Occident : Lyautey, Bonaparte, Cléopâtre, Alexandre le Grand…

Roussel, psychanalyste de l’uniforme

La biographie d’Éric Roussel soulève et résout aussi quelques mystères savoureux. Benoist-Méchin a entretenu une relation d’un genre particulier et particulièrement inattendu avec Adrienne Monnier. Tous deux étaient homosexuels… On apprend qu’un enfant a été conçu et avorté. Joyce aurait ainsi changé la célèbre et magistrale fin d’Ulysse – laquelle est connue dans l’histoire littéraire pour avoir fixé le genre du monologue intérieur – sous les conseils de Benoist-Méchin. Surtout, on apprend comment il échappe à la mort en 1947. Malin, il avait quelques dossiers sous le coude.

Proust et Joyce, le Paris cosmopolite et l’Allemagne nazie, le pacifisme et la cobelligérance, Hitler et De Gaulle, Pompidou et Nasser, le grand Occident et l’islam, Cléopâtre et Kadhafi, la bohème et la centrale de Clairvaux… un tel mélange défie un peu l’entendement. Il faut le talent de biographe de Roussel pour déceler, dans l’apparent chaos, une unité de vie, ou plutôt une esthétique. Il y a chez Benoist-Méchin une pente, et presque une pulsion, vers l’ordre – non pas celui « juste » de Ségolène Royal – mais sensuel. L’esthète proustien des années de formation s’est dédoublé en un esthète de l’histoire et même en un esthète du pouvoir épris de virilité… Roussel psychanalyse délicatement l’homosexualité de Benoist-Méchin (dont faisait déjà état Patrick Buisson dans 1939-1945, années érotiques). L’intellectuel emprunté frémissait facilement devant les parades de bottes, les uniformes bien coupés et les gestes carrés de ces hommes de rue, nazis ou révolutionnaires panarabes, qui arrivent au pouvoir. De la brutalité à l’autorité : un pouvoir aux accents phalliques et homoérotiques. « Vous n’imaginez pas combien Kadhafi jeune était beau », confie-t-il. Benoist-Méchin était doué d’une lucidité intime sur les êtres, mais d’un sens politique souvent désastreux. Le tragique des impuissants que le pouvoir fascine…

416 pages

Jusqu'au bout de la nuit: Les vies de Jacques Benoist-Méchin

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Ces dames à l’heure du Tea

Aux États-Unis, l’application réservée aux femmes controversée Tea vient de subir une fuite massive de données affectant environ 72 000 images, dont des selfies et pièces d’identité utilisées pour la vérification des utilisatrices. Tea permet de partager anonymement des informations sur les hommes célibataires, afin d’identifier leurs éventuels comportements « problématiques ».


Ces jours-ci, une application américaine réservée aux femmes en mal de rencontres via internet fait beaucoup parler d’elle. Tea est son nom. Voilà quelques jours, ses dirigeants se glorifiaient d’avoir enregistré plus de quatre millions d’utilisatrices. En fait, ce chiffre des plus flatteurs risque bien de se voir sérieusement revu à la baisse, des piratages intrusifs en quantité ayant été détectés. Ainsi le veut la modernité galopante de ce siècle. À peine croit-on avoir mis en place un cybersystème inviolable qu’il se trouve aussitôt allègrement violé.

Adopte un mec

Mise à la disposition exclusive de la gent féminine, l’application Tea a été créée en 2023 par un certain Sean Cook. Le but : « donner aux femmes les outils dont elles ont besoin pour faire des rencontres en toute sécurité dans un monde qui néglige leur protection. » L’intention est louable, même si on ne peut s’empêcher de considérer qu’il y aurait comme une légère contradiction à rechercher la sécurité maximale tout en s’aventurant à titiller Cupidon du côté de parfaits inconnus. Sans doute faut-il croire que la réalisation de certains fantasmes féminins aura toujours des raisons que la raison ne connaît pas.

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Donc, la dame en recherche s’inscrit sur Tea en envoyant un selfie, et l’application va se charger de l’informer sur le degré de dangerosité, d’insécurité, de toxicité de ou des individus qu’elle a sélectionnés sur tel ou tel site de rencontres. Le type est-il marié, a-t-il un casier judiciaire, est-il sur plusieurs plans du même tonneau à la fois, d’autres femmes ont-elles eu affaire à lui et qu’en disent-elles… Un détail amusant : cela marche un peu comme à la plage avec drapeaux de couleurs. Drapeau vert, baignade autorisée, rouge s’abstenir…

La sphère masculiniste remontée

On s’en doute, tout cela n’est guère du goût de ces messieurs. Ils se dressent bec et ongles contre l’application. « Atteinte à la vie privée, dépotoir à ragots, fausses informations… » Tout cela, qui plus est, dans leur dos, à leur insu puisque l’accès leur est strictement interdit.

Il est vrai que, pour certaines qui n’auraient pas trouvé auprès de tel partenaire de rencontre toute la satisfaction qu’elles en espéraient, la tentation de régler leurs comptes pourrait être forte. À chacun de nos lecteurs, à chacune de nos lectrices, d’imaginer la teneur de commentaires inspirés par le dépit, la jalousie, la rancœur ou encore un vieux fonds de misandrie plus ou moins taquine.

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Mais à la vérité, ne serait-il pas de très longue tradition que des dames, entre elles, à l’heure du thé par exemple, s’échangent ce genre de confidences, volontiers acerbes, ironiques, graveleuses ? Nous avons cette scène de salon, au XVIIIème siècle, où, soudain, une marquise, entourée de dames, lâche cette question qui manifestement la démangeait « Pensez-vous que Monsieur le Conseiller soit une bonne jouissance ? » Tea n’aurait donc pas inventé grand-chose. De tous temps semble-t-il les femmes ont parfaitement su, d’un mot, d’un trait, nous étiqueter, nous marquer au fer. Cela est plus que certain. Que ce soit à l’heure du thé ou en toute autre circonstance.

Faites ce que je dis, pas ce que je fais…

Cependant, parmi les critiques énoncées à l’encontre de l’application, il en est une qui semble particulièrement pertinente. Si au lieu d’être féminine Tea était exclusivement masculine, et que les commentaires, les informations déballées aient pour cibles des femmes, elle aurait probablement été fermée dès le premier jour, sans tambours ni trompettes. À juste titre, d’ailleurs… Tel n’est pas le cas pour Tea.

Mais, au fond, l’important, l’essentiel n’est-il pas que ces dames continuent encore et toujours à parler de nous ? Si elles venaient à s’en abstenir, à en être empêchées, je crois que ce serait pour nous, vaniteux que nous sommes, comme une petite mort…

30 GLORIEUSES - LA DÉCONSTRUCTION EN MARCHE

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B-2 or not B-2

Pour les connaisseurs des relations entre l’Amérique et Israël, les deux pays ont évidemment coordonné leurs attaques. En épaulant son allié et ami Bibi pour détruire ou paralyser les capacités nucléaires iraniennes, Trump a renié son engagement de ne plus lancer l’Amérique dans des guerres. Mais face au succès affiché, sa base MAGA le soutient avec enthousiasme.


Tout s’est passé soudainement et rapidement. Le 21 juin, alors qu’il venait de faire savoir, quelques heures auparavant, qu’il prendrait sa décision de bombarder ou non les sites nucléaires iraniens « au cours des deux semaines à venir », Donald Trump donne l’ordre à sept bombardiers furtifs B-2 Spirit, chargés des fameuses bombes « Bunker Busters » pesant chacune 14 tonnes, de pilonner les usines d’enrichissement d’uranium de Fordo et Natanz. En réponse, Téhéran prétend avoir déjà déplacé son programme atomique et lance des frappes de représailles contre la base américaine d’Al-Udeid, au Qatar. Prévenus par les Iraniens, les Américains ne déplorent aucune perte.

Contradiction

L’enchaînement inattendu des événements laisse perplexe. Alors que les Américains viennent d’élire un président opposé à toute participation à des guerres extérieures, les États-Unis ont pris les armes aux côtés des Israéliens. Cette contradiction apparente soulève de nombreuses questions. Que savait Trump quand Netanyahou a lancé les premiers bombardements sur l’Iran ? Comment la base MAGA réagit-elle à des événements qui, selon certains commentateurs, sonnent le glas d’une promesse électorale ? Le président américain payera-t-il un prix politique ? Ses décisions de juin 2025 finiront-elles par plonger le Proche-Orient dans une conflagration générale, où les États-Unis seront de nouveau empêtrés ? On peut déjà répondre clairement à quelques-unes de ces questions.

Lorsque Benyamin Netanyahou lance, une semaine avant celle des Américains, une attaque aérienne contre l’Iran le 13 juin, tout le monde s’interroge : « A-t-il prévenu Donald ? » Ces deux-là sont de proches alliés. Au cours de son premier mandat, Trump a apporté un soutien inconditionnel au premier ministre israélien, allant jusqu’à transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. « Bibi », après quatre ans de relations de plus en plus difficiles avec Joe Biden, n’a pas caché sa joie de retrouver son vieil ami Républicain à la Maison-Blanche. Au cours des six premiers mois de la nouvelle administration Trump, les deux hommes se sont fréquemment rencontrés et peu de connaisseurs doutent qu’ils aient échangé au sujet de leurs projets pour l’Iran.

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Par exemple Larry Haas, ancien responsable de l’administration Clinton et ex-directeur de la communication du vice-président Al Gore : « Au cours de ces derniers mois, le président Trump a surpris Israël avec certaines de ses actions, en particulier l’accord séparé qu’il a conclu avec les rebelles houtis. Malgré tout, je n’arrive pas à croire que Netanyahou puisse lancer des frappes contre les installations nucléaires iraniennes sans en prévenir la Maison-Blanche. La frappe américaine ultérieure semble faire partie d’une stratégie américano-israélienne plus large visant à paralyser ou à détruire la capacité nucléaire naissante de l’Iran une fois pour toutes. »

Même son de cloche chez l’historien Irwin Gellman, auteur d’une biographie monumentale de Richard Nixon : « Tout comme Jack Kennedy et David Ben Gourion ont sans doute discuté de ce qu’Israël ferait à un ennemi potentiel, je ne doute pas un seul instant que Netanyahou ait discuté de son attaque initiale contre l’Iran avec Trump. » Il ajoute que les deux dirigeants sont « très complices. Du moins, dans l’esprit de Bibi ».

Reste à savoir ce que sera la réaction de la base MAGA après ce qui ressemble fortement à un reniement de l’engagement pris par Trump dès l’annonce de sa première candidature présidentielle il y a dix ans.

Le matin du 18 juin, soit trois jours avant les frappes américaines, Steve Bannon, ancien conseiller de Trump, et porte-parole de l’aile radicale du courant MAGA, donne une conférence de presse matinale à Washington, organisée par le très réputé Christian Science Monitor. Il prône la prudence : « Si nous sommes forcés d’attaquer l’Iran militairement, il ne faut pas le faire demain, après-demain ou le jour suivant. Le président devrait prendre son temps et bien réfléchir en consultant ses conseillers. » Se déclarant ami d’Israël, l’animateur du podcast très populaire « War Room » critique néanmoins l’attaque des installations nucléaires par Tsahal, qu’il voit comme une tentative irresponsable de « changer » le régime iranien, voire de le « détruire ».

Si Bannon n’a pas tort quant à l’objectif ultime de Netanyahou, il se trompe sur la décision de Trump. Il rappelle qu’en 2016, nombre d’experts ont annoncé la défaite de Trump lors de la primaire de Caroline du Sud parce que son opposition aux « forewer wars» guerres sans fin » ( était selon eux insultante dans « l’un des États les plus patriotiques de l’Union ». Et Bannon d’expliquer comment Trump a néanmoins triomphé sur son rival, Jeb Bush, l’ancien gouverneur de Floride, en associant son image à celle de son frère George W. Bush, responsable de la guerre en Irak. Puis, se tournant vers le présent et l’Iran, il déclare, catégorique : « Nous ne voulons plus de guerres éternelles », avant d’attaquer la chaîne Fox News, qu’il accuse de faire de la propagande belliqueuse vingt-quatre heures sur vingt-quatre exactement comme à l’époque de l’invasion de l’Irak. Selon lui, les journalistes de la chaîne d’information continue sont aux antipodes de l’esprit MAGA. Mais dans quelle mesure Bannon l’incarne-t-il lui-même ?

Une révolte des Républicains peu crédible

Bob Livingston, ex-président de la puissante commission budgétaire de la Chambre basse du Congrès, ne croit pas à une révolte des élus républicains. Certes deux représentants au Congrès, le très libertaire Thomas Massie (Kentucky), et  la figure de l’alt-right Marjorie Taylor Greene (Georgie) s’opposent de façon véhémente au bombardement de l’Iran, « mais pas beaucoup d’autres », note-t-il. « Exprimer bruyamment leur opposition est une chose, mais je ne peux pas concevoir que même Massie et Greene se rangent du côté des démocrates pour limiter le pouvoir du commandant en chef. »

Si une majorité des élus restent fidèles à Trump, il en va de même pour les militants. Selon Marc Rotterman, journaliste de Caroline du Nord spécialisé dans les affaires publiques, « une majorité de la base MAGA est d’accord avec la décision du président Trump de détruire les installations nucléaires iraniennes ». C’est aussi l’opinion de Bill Ballenger, grand expert de la vie politique au Michigan : « Il y aura quelques dissensions au sein de la base MAGA, mais dans l’ensemble, ils acceptent la décision de Trump. »

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Il ne faut pas oublier le prestige dont jouit Donald Trump en tant que fondateur et chef incontesté du courant MAGA. De même que Ronald Reagan, largement considéré comme l’incarnation du mouvement conservateur moderne, se faisait pardonner chaque fois qu’il quittait sa ligne strictement conservatrice (comme quand en 1982 il est revenu sur une partie des réductions d’impôts de l’année précédente), Trump est excusé par sa base pour son intervention dans le conflit irano-israélien. « Les électeurs MAGA adulent Trump et lui font confiance, affirme Henry Olsen, chroniqueur respecté et auteur d’un livre sur les cols bleus qui votent républicain. Ils sont prêts à approuver son action dans tel ou tel domaine jusqu’à ce qu’il échoue sans reculer, ce qui n’est pas encore arrivé. Beaucoup d’influenceurs MAGA sur le Net exercent peu d’influence sur leur public, surtout quand ils critiquent Trump. »

Ravitaillement en vol d’un bombardier furtif B‑2 Spirit de l’US Air Force. Les sept B‑2 engagés dans l’opération « Midnight Hammer » ont largué quatorze bombes GBU‑57 (MOP) sur les complexes nucléaires de Fordo, Natanz et Ispahan, les 21 et 22 juin 2025. D.R.

Au moment où ces lignes sont écrites, début juillet, rien ne suggère que le bombardement américain de l’Iran conduira à un déploiement de troupes dans un conflit auquel le président est pressé de mettre fin. Ni que les fidèles de Trump pourraient l’abandonner ou même le critiquer. La situation est bien résumée par Christopher Nicholas, conseiller politique chevronné des républicains en Pennsylvanie : « La majorité de sa base sera parfaitement à l’aise avec l’intervention militaire, pourvu que celle-ci s’arrête à peu près là. »

Trump peut-il se présenter comme un artisan de la paix ? À 5 h 30, le 24 juin, sur le point de partir pour le sommet de l’OTAN à La Haye, il essaye de se placer au-dessus des deux adversaires, en déclarant aux journalistes présents : « Nous avons essentiellement deux pays qui se battent depuis si longtemps et avec tant d’acharnement qu’ils ne savent plus ce qu’ils foutent » (« …what the f*ck they’re doing »).Au-delà de ses fanfaronnades et de ses grossièretés, les spécialistes du trumpisme sont convaincus que le président est déterminé à éviter d’impliquer les États-Unis dans une lutte entre des ennemis jurés.

Dans un article récent publié dans Foreign Affairs, Lawrence D. Freedman, professeur émérite d’études de guerre au King’s College de Londres, voit dans l’échec de la guerre américaine en Afghanistan (la plus longue de l’histoire des États-Unis), comme dans l’enlisement de la guerre russe en Ukraine, la preuve que la force armée est incapable d’apporter des victoires décisives : selon lui la puissance militaire se transforme de nos jours inmanquablement en impuissance politique[1]. Trump n’a pas dit autre chose, le 13 mai, lors d’un discours capital à Riyad, en Arabie saoudite, durant lequel il a explicitement rejeté l’idée selon laquelle des changements positifs au Proche-Orient pourraient être imposés par la force. Il est donc très peu probable qu’il aille plus loin dans son soutien opérationnel à Netanyahou ou qu’il fasse quoi que ce soit de nature à lui aliéner une base qui continue de soutenir avec autant d’enthousiasme.


[1] « The Age of Forever Wars », Foreign Affairs, 14 avril 2025.

À double face

À la recherche de l’esprit français


L’esprit n’est d’aucune terre en particulier, et s’il se trouve circonscrit à un village (ou un pays), il déchoit. Mais l’esprit n’existe pas non plus dans une pureté désincarnée, sans aucun lien avec des paysages, des rues, des souvenirs, et surtout sans la langue où il se déploie. La particularité de l’esprit français est d’avoir promu les jeux de l’esprit, la beauté de l’esprit : l’esprit pour lui-même. Dans Le Livre du courtisan, Castiglione regrette, au début du XVIe siècle, la brutalité des Français qui méprisent les lettres et n’aiment que la noblesse des armes. La France, sur le modèle italien, se transformerait bientôt en une société de cour, où l’agglomération des courtisans, la prétention, la vanité et l’ennui allaient donner au mot d’esprit, et à l’esprit, une place nouvelle. Qui n’a pas d’esprit en France se confond avec le vulgaire, fût-il un Grand de la République. La France a pris la dimension d’un salon universel, où l’on pique (« ça pique ! »), où l’on débite des paradoxes, où l’on aime critiquer des films, des matchs (« on refait le match »), des livres (« t’en as pensé quoi ? »). Dans le meilleur des cas, l’esprit français est un bretteur faussement grincheux, animé par le goût de la bagarre, le sens de la drôlerie et le panache des causes perdues. Dans le pire des cas, cet esprit n’a rien d’élevé : « Les autres parties du monde ont des singes ; l’Europe a des Français. Cela se compense » (Schopenhauer).

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Croûtes et confidences

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Dans Une confession, Véronique de Bure nous parle de son expérience professionnelle auprès de Jean Guitton tout en nous racontant une histoire d’adultère plus obscure.


Charmant et émouvant : il n’est pas de termes plus justes pour qualifier le bref, juvénile et très féminin compagnonnage intellectuel que vécut, quelque temps avant sa mort en 1999, l’académicien français et confident de Paul VI, Jean Guitton, avec la jeune éditrice Véronique de Bure.

À dire vrai, le « clou » du livre n’a qu’un maigre intérêt, à l’image de bien des tromperies conjugales. Notez-le au passage : adultère est un mot laid, bien peu sexy, qui rime avec adulte, austère, sévère ; quant à adultérin, il consomme avec vipérin. Non, ce qui intéresse en l’occurrence, c’est ce que nous révèle de lui-même un homme alerte, espiègle parfois, à en être presque coquin, content de lui mais sans orgueil, et dont la curiosité envers la jeunesse est redoublée lorsque cette dernière s’incarne en une douce jeune fille à particule. Oui, le snobisme faisait partir des gentils travers de notre homme quand ce n’était pas la haute idée qu’il se faisait de sa peinture.

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Visiez-vous l’Académie ? Il convenait, lorsque vous lui rendiez visite, de ne pas tomber dans le piège des compléments littéraires. Il vous laissait parler pour, enfin, vous couper en vous disant : Raté ! De l’avis général, ses portraits étaient des croûtes (sauf peut-être, selon nous, cette sorte de diptyque de Pascal et Spinoza où, tout, en montrant une forte ressemblance, le visage du premier de nos philosophes montre des traits concaves et le second, convexes), mais c’était de l’artiste-peintre qu’il voulait que l’on dise grand bien.

‘‘Autrice’’ étant à bannir, nous dirons que notre jeune auteur réussit d’autant mieux à se souvenir du babil de ce sage que ni l’un, ni l’autre ne se prennent au sérieux. On a plutôt affaire à un grand-père dont la chasteté, de fait, n’éteint nullement mais plutôt active et réactive un œil rieur d’une incroyable lucidité, le mot, pour un peu, flirtant avec lubricité.

« Autorisée », ou non, une future biographie de Jean Guitton devra faire grand cas des anecdotes à la fois doctes, amusées et amusantes sur un sage se confiant, dans ces derniers temps, à celle qui était peut-être pour lui comme sa petite-fille rêvée.

Véronique de Bure, Une confession, Flammarion, 185 p.

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L’ère de la calomnie

Le président d’Avocats sans frontières accuse Le Monde, l’AFP et France Inter de plaider en faveur du Hamas


Qui aurait pu croire qu’un jour le Hamas tiendrait la plume de journalistes devenus ses auxiliaires ? J’affirme que ce moment est survenu.

Il y a d’abord Le Monde, dont la spécialité est d’aller recueillir les accusations de l’extrême gauche israélienne, qui n’a rien à envier aux autres extrêmes gauches mondiales. Alors que depuis près de deux ans, chaque jour, le quotidien vespéral publie les états d’âme, parfois honorables, de pacifistes israéliens s’étalant au long des pages, je mets au défi le journal à la dérive sans fin, de montrer une fois, rien qu’une fois, les états d’âme d’un Palestinien après le Grand Pogrom.

C’est dans le creux de cette différence immorale de traitement que gîte l’impossibilité d’un règlement.

J’affirme surtout que l’AFP, devenue une sorte de Pravda capitaliste, a décidé de considérer les affirmations propagandistes de l’organisation terroriste islamiste comme dignes de foi, et qu’elle les reprend sans la moindre précaution. Dans le même temps, elle néglige délibérément de publier les commentaires ou démentis d’une armée d’un État démocratique agressé.

A lire aussi : Amir, victime d’un festival de haine anti-israélienne en Belgique

Pour entrer plus avant dans les détails, peu après le 7-Octobre, l’AFP – suivie par Le Monde et quelques autres médias – a fait le choix plus que discutable de publier les bilans victimaires de la « Défense civile » de Gaza ou du « ministère de la Santé » du même territoire. Mais je dois ajouter que ces médias eurent l’honnêteté professionnelle et morale minimale de préciser que ces organisations précitées aux noms humanitaires ronflants… étaient dirigées par le Hamas, ce que tout le monde savait au demeurant.

Seulement, sauf à être crédule, on pouvait imaginer que des informations livrées par une organisation pogromiste qui joue à qui perd-son-enfant-gagne tout en protégeant ses tueurs sous les écoles, ne se caractériseraient pas par une priorité donnée à la vérité. Qu’importe, telle fut l’habitude observée.

Mais il y a pire à présent. Car j’affirme solennellement que depuis plus d’un an, l’AFP, Le Monde, France Inter, France Info et consorts délivrent à chaque heure, et sans précautions, les accusations et bilans mensongers de la « Défense civile », sans publier les démentis de l’armée israélienne, mais SURTOUT en cachant désormais que le Hamas se cache en réalité derrière. On comprend bien que ce mensonge par omission dissimule à peine le désir de renforcer la crédibilité d’une organisation qui, sinon, en serait totalement dénuée.

Derrière le mensonge se cachent d’encore plus tristes réalités.

La première est que nombre de journalistes ne sont plus que des militants, qui accordent plus d’importance à leur combat idéologique qu’à leur devoir professionnel de publier la réalité factuelle.

La seconde est leur détestation pathologique d’Israël.

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Une Somme de tueurs!

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Avec Il pleut des tueurs, Dominique Zay propose un thriller vif et inquiétant, ancré dans la bonne ville d’Amiens où il s’en passe des belles…


L’énigme d’un thriller peut déjà être difficile à résoudre lorsqu’il n’y a qu’un suspect et/ou un criminel. Dans Il pleut des tueurs, dernier roman policier de Dominique Zay, les assassins ou les assassins potentiels, on ne les compte plus tant ils sont nombreux ; d’où le titre.
Ancrée à Amiens, dans la Somme, que raconte l’histoire ?

Organisation mafieuse

Quand Clara, la nièce adorée d’Alban, est laissée pour morte, victime d’un chauffeur fugitif, il fait appel à son vieux camarade Yan Zadek, un détective privé très efficace mais un brin particulier. Le principal suspect, Julien Bacquet, est déjà inquiété pour un féminicide (le samedi 9 mars 2024, il a zigouillé sa légitime, Guyslaine Bacquet), meurtre dont s’accuse un certain Bruno Rousselot. On comprend que là, l’affaire se complique. La sexy sexa, Eugénie Klein, 68 ans, veuve depuis quinze ans d’un vieux mari riche et cardiaque, tente d’expliquer à Yan que Rousselot n’a rien à se reprocher puisque, le soir du méfait, « il était avec moi… dans mon lit. » Il est vrai que le Bacquet se révèle un personnage carrément horrible et peu recommandable : « Le peu de cas qu’il faisait de la nature humaine avait davantage diminué derrière les barreaux au contact de plus pourris que lui, et la seule chose qui trouvait grâce à ses yeux aujourd’hui résidait dans la visite de cette escort-girl ukrainienne qui venait le masser intégralement tous les samedis. » Coupable idéal ? Trop idéal ?

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Zadek cherche, s’accroche en bon enquêteur têtu. Il finit par découvrir, grâce à la toujours appétissante Eugénie, que derrière tout ça se cache une terrible organisation criminelle, une mafia sans morale aucune, Miss T, « c’est Thémis à l’envers, miss T/ Thémis, la déesse de la justice chez les Grecs, la loi divine (…) »

Bref et brutal

Pour certains, on s’en doute, cela se terminera très mal, très très mal… Yan, lui, à la faveur d’une promenade dans un parc, connaîtra un véritable coup de foudre pour Mona, une délicieuse métisse, qu’il retrouvera un peu plus tard et qui deviendra sa maîtresse : « Comme dans la chanson de Souchon, l’odeur de Mona serait dorénavant son alcool profond ».

Ce roman de Dominique Zay séduit par sa rapidité, ses chapitres uppercut d’une brièveté vivifiante, et par son intrigue bien ficelée. De plus, la ville d’Amiens y est parfaitement bien décrite jusque dans ses plus obscurs recoins. Un bon polar.

Il pleut des tueurs, Dominique Zay. Aubane éditions ; 198 pages.

Quand la voix de la France fait honte

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Le président Macron apparaît incapable de défendre les intérêts commerciaux français face à Donald Trump, et donne l’impression de légitimer la stratégie terroriste du Hamas en reconnaissant un État palestinien alors que des otages israéliens sont toujours retenus à Gaza.


« Déséquilibré » : c’est ainsi que la France a jugé, ce lundi matin par la voix du ministre des Affaires européennes, Benjamin Haddad, l’accord commercial conclu dimanche entre Donald Trump et Ursula von der Leyen, au nom de l’Union européenne. C’est à l’occasion de sa présence sur son golf écossais de Turnberry que le président américain avait convoqué la présidente de la commission européenne. La mise en scène, volontairement humiliante, a laissé voir la vassalisation de l’Europe. Celle-ci s’est notamment engagée, pour obtenir des droits de douane à 15%, à acheter aux États-Unis jusqu’à 750 milliards de dollars d’énergies diverses, à y investir 600 milliards et à acheter son armement militaire.

En qualifiant ce « deal » de déséquilibré, M. Haddad s’est évidemment fait le porte-voix d’Emmanuel Macron. Le coup de griffe contre la conduite de l’Europe laisse deviner les ambitions européennes du président français, en quête de rebond à l’issue de son mandat.

Dans sa prise de parole du 14 juillet, il avait notamment déclaré : « Pour être libre il faut être craint ; pour être craint il faut être puissant ». Mais Macron est-il ce qu’il croit montrer, notamment à travers une musculature très travaillée des biceps, à en croire les observateurs des petits détails signifiants ? Sur le plan intérieur, sa puissance relève de forfanterie. Jamais la France n’a été aussi vulnérable financièrement que sous sa présidence. Une pré-guerre civile, menée par les enfants-soldats de la contre-colonisation, a enflammé dernièrement des villes moyennes comme Limoges, Compiègne, Charleville-Mézières, Vendôme, Auch, Béziers.

A lire ensuite: Le macronisme s’est déjà tué lui-même…

Le « guide » qu’il rêverait d’être sur le plan européen ne correspond pas non plus au sens de l’histoire. A rebours de ses convictions supranationales et mondialistes, les peuples indigènes réclament davantage de protections, de frontières, d’égards pour leurs racines. Son bellicisme surjoué contre la Russie slave et chrétienne, dont il ne se résout pas à admettre qu’elle a gagné sa guerre contre l’Ukraine, est à comparer avec ses vils accommodements vis-à-vis de l’islam conquérant et judéophobe.

Le déséquilibre est bien la marque de sa politique extérieure et de sa faiblesse. L’annonce, le 24 juillet, de sa décision de reconnaitre un État palestinien en septembre est destinée avant tout à se rapprocher de la « rue arabe » au Proche Orient mais aussi en France, au détriment des Juifs. D’ailleurs, Macron a été immédiatement félicité par la Hamas qui y a vu « un pas positif ». Le parti de Jean-Luc Mélenchon a salué « une victoire morale ». La France semble convaincue d’obtenir, d’ici là, la libération des derniers otages israéliens, la reddition du Hamas, son désarmement, l’engagement des pays arabes à reconnaître Israël. Mais ce récit mirobolant n’est que l’effet de la mégalomanie d’un homme noyé dans son narcissisme. L’effet de la reconnaissance d’un État palestinien est de donner raison à la stratégie terroriste du Hamas, appliquée le 7 octobre 2023. Comme le rappelait l’historien Georges Bensoussan dans le JDD, la charte du Hamas appelle à purifier la Palestine de la « pourriture juive ». Macron fait honte.

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Amour, gloire et beauté

Pour l’historien Franck Ferrand, l’esprit français se niche autant dans les jardins de Le Nôtre que dans le Tour de France, dans le savoir-vivre des salons comme dans le savoir-faire des bâtisseurs de cathédrales. Sa palette est aussi variée que les paysages et les terroirs qui composent notre beau pays.


Causeur. Qu’est-ce que l’esprit français selon vous ?

Franck Ferrand. C’est d’abord une disposition mentale, une manière fine et directe, rapide si vous voulez, de faire sourire aux dépens des idiots. Et puis c’est une posture ironique et frondeuse – songez aux mazarinades du XVIIe siècle, aux poissonnades du XVIIIe… Je mettrais par ailleurs sous ce terme une forme d’élégance morale, de panache à la Cyrano. Enfin il y a tout ce qui imprègne chez nous les arts et les lettres : une exigence de clarté, de mesure, d’équilibre – en un mot : d’intelligence. On doit pouvoir comparer l’esprit français à ce qu’a été, dans la Grèce antique, l’esprit athénien, opposé par sa douceur à l’esprit spartiate et, dans son essence, à l’esprit perse. L’acropole d’Athènes est certes grandiose, mais elle rayonne à taille humaine, tandis que le palais de Darius à Suse était conçu pour écraser. Vous retrouverez une légèreté comparable à Trianon, par exemple : comme une impression de grandeur aimable. Il y a dans l’esprit français quelque chose de la section d’or : je veux dire, un rapport de proportions. Si vous lisez des auteurs comme La Fontaine ou Mme de Sévigné, vous verrez ce que c’est que la simplicité, le naturel, la convenance, la civilité… Vous y retrouverez l’esprit d’Albert Samain dans ces vers sur Versailles :
Grand air. Urbanité des façons anciennes.
Mains royales sur les épinettes. Antiennes
Des évêques devant Monseigneur le Dauphin.
Gestes de menuet et cœurs de biscuit fin ;
Et ces grâces que l’on disait Autrichiennes…

Tous les éléments que vous mentionnez convergent vers un même souci de la forme.

Assurément. Les Français sont formalistes, sans doute, ils entretiennent avec l’esthétique un lien d’élection. Leurs productions se doivent d’être belles, non seulement pour le patron ou pour le client, comme disait Charles Péguy dans sa belle page sur le bâton de chaise, mais aussi en soi et pour soi. Il appelait cela « l’esprit des cathédrales », par référence aux constructions gothiques dont même les parties invisibles, placées tout en haut sous la voûte, étaient soignées à la perfection.

Question difficile : d’où cela vient-il ? Norbert Elias parlait d’un « procès [processus] de civilisation », ce long chemin par lequel passent les mœurs pour se raffiner, se policer… Un processus qui en France a eu pour cadre privilégié la cour royale et pour moteur la courtoisie – c’est-à-dire les bonnes manières, spécialement envers les dames. Il est certain qu’avec Anne de Bretagne, la cour s’est féminisée ; mais Aliénor d’Aquitaine avait depuis longtemps ouvert la voie, avec ses « cours d’amour »… L’une des dernières représentantes de ce long processus fut sans doute Mme de Genlis, qui à la Restauration devait faire paraître De l’Esprit des étiquettes, charmant ouvrage où l’esprit français souffle à chaque ligne.

Qui était-elle ?

Une de ces grandes dames qui, à la fin de l’Ancien Régime, ont fait briller l’esprit français. Proche des Orléans avant la Révolution, elle s’est trouvée en charge de l’éducation du jeune Louis-Philippe, avant de devenir, la tempête une fois calmée, l’éducatrice de ses enfants. Destinée limpide et emblématique ! Mme de Genlis était de celles qui possèdent les usages sur le bout des doigts, qui sentent d’instinct si l’on doit s’asseoir au fond, au milieu ou au bord d’un siège, en fonction de la personne que l’on a en face ; qui savent, selon l’occasion, s’il convient de saluer la maîtresse de maison avant de quitter son salon, ou s’il vaut mieux filer à l’anglaise…

C’est un peu futile, non ?

Nous y voilà… Je ne suis pas d’accord avec cela. Ces futilités apparentes procèdent au vrai d’une étonnante ambition : promouvoir une société du respect.

Et puis, ce qu’il y a de sérieux dans l’esprit français, c’est que sa forme épouse le fond des choses jusqu’à se confondre avec lui. Écoutez la musique française : vous n’y trouverez pas facilement la cérébralité d’un Bach, le souffle d’un Beethoven, le brio d’un Verdi. Mais dans son formalisme équilibré, dans ses grâces mélodiques, vous pourrez déceler tout le fruit – faussement futile – d’un long cheminement. Quand Ravel rentre du front, après la Première Guerre mondiale, il n’a rien de plus pressé que d’écrire un Tombeau de Couperin qui, tout moderne qu’il soit, s’inscrit dans une tradition. Même chose avec les philosophes français : on serait tenté de les juger moins créatifs, moins disruptifs que leurs homologues allemands ou nordiques ; Montaigne, Pascal, Rousseau, Tocqueville ou Alain parlent une langue si pure, si nette, si compréhensible, qu’elle paraît tirée d’une conversation de salon. Mais qu’on s’en imprègne seulement, et l’on verra tout ce que peut s’y cacher de profondeur. Trois paragraphes de Bergson valent bien souvent un livre entier de Heidegger.

Autre domaine que j’affectionne, vous le savez, et dans lequel s’épanouit l’esprit français : les arts décoratifs. Même notre mobilier le plus rocaille se tient éloigné de la folie qu’on voit dans certains palais de Venise. Prenez un cabriolet Louis XV, tout en courbes, avec quelques rinceaux et une petite coquille : jamais celle-ci ne viendra occuper la moitié du dossier, comme dans le baroque méridional. Parce qu’il est mesuré, notre formalisme amodie ce qu’il pourrait y avoir d’excessif dans la tendance du moment.

Est-ce qu’une partie de tout cela n’a pas disparu avec la royauté ? La Révolution n’a pas brillé par son sens de la mesure ou son amour de la beauté.

Dans son amorce et ses principes, la Révolution ne rompt pas, que je sache, avec l’esthétique. La Déclaration des droits de l’hommeest écrite dans une langue suprêmement élégante. Je viens de donner un spectacle sur les femmes de la Révolution, dans lequel ma partenaire, la comédienne Garance Bocobza, lisait des textes d’Olympe de Gouges, Théroigne de Méricourt, Manon Roland et Charlotte Corday ; le public a pu y découvrir de véritables trésors d’écriture ! Que la Révolution, à partir de 1792 et 1793, ait basculé dans tout ce qu’on sait, et que des merveilles aient été détruites au nom de l’idéologie, ne doit pas faire oublier l’affinité première des Lumières avec un certain raffinement. Bien sûr, la Révolution a mené vers le pouvoir et la richesse des strates sociales moins policées par les siècles… Bien sûr, l’empereur n’est plus aussi raffiné que le roi ; et lorsque Napoléon, grossier, demande à la duchesse de Richelieu si les perles qu’elle porte aux Tuileries sont vraies, il s’entend rétorquer : « Non, Sire, mais je me suis dit que pour venir ici, c’était bien assez. » C’est aussi cela, l’esprit français : le bon mot qui remet les choses – et les gens – à leur place…

Pour autant, je ne pense pas que le faubourg Saint-Germain, au temps de Marcel Proust, ait forcément moins brillé qu’à l’époque de Voltaire. La raréfaction de l’esprit français est venue plus tard, avec la massification de la culture et le rabotage des singularités – à notre époque, autrement dit…

Lecture dans un salon (ou La Lecture de Molière), Jean François de Troy, vers 1728 D.R.

Et vous ne voyez personne pour reprendre le flambeau ?

Vous savez aussi bien que moi que certaines personnalités s’ingénient toujours à le porter bien haut… Mais je constate que, bien souvent, c’est de l’étranger que nous viennent des appels à défendre et maintenir cette forme d’esprit. Des amis brésiliens, chinois, marocains ou autres me disent leur regret de voir reculer ce qu’ils ont admiré. Et quand j’entends mon ami belge Hippolyte Wouters faire briller la langue de Corneille, quand je le vois écrire des pièces entières en alexandrins, je me dis que nul n’est prophète en son pays et que de l’extérieur, peut-être, viendra le Salut…

Beaucoup de Français passent leur été avec vous, puisque vous commentez chaque année les merveilles patrimoniales du Tour de France. Peut-on retrouver quelque chose de l’esprit français dans cet événement sportif ?

En cultivant le paradoxe, on pourrait dire que le Tour de France en est une des dernières manifestations… Savez-vous qu’il s’agit, à l’échelle mondiale, du direct le plus regardé à la télévision – davantage même que les Jeux olympiques ? Nous sommes diffusés dans 190 pays ! Ce succès doit beaucoup aux exploits des coureurs, c’est vrai ; mais il est aussi un hommage plus diffus à la France dans toute sa variété. Lors du Tour, notre survol du peloton, de coteau en vallon, de plaine en bocage, finit par constituer une sorte de grand kaléidoscope de cette prodigalité.

Sacha Guitry, d’un chauvinisme souriant, a célébré dans Ceux de chez nous cette munificence. Un jour qu’il s’apprêtait à déjeuner avec Claude Monet et Auguste Rodin, les deux grands artistes, au moment de passer à table, se sont fait des politesses : « Passez donc… mais je n’en ferai rien, vous d’abord… » ; Monet finit par dire : « Pardon, mais je suis de 1840 » ; et Rodin : « Pardon, mais moi aussi ! » ; alors Monet : « Oui, mais je suis de novembre » ; Rodin : « Mais moi aussi ! » ; Monet : « Je suis du 14 » ; Rodin : « Moi aussi ! » Guitry s’est un peu arrangé avec les dates, mais il célébrait dans cette coïncidence un signe de l’incomparable richesse d’un pays capable de donner, le même jour, deux génies à l’humanité.

Parmi les paysages survolés par l’hélicoptère du Tour de France, certains vous touchent-ils plus que d’autres ?

Les jardins à la française. Vus du ciel, ils pourraient au premier abord avoir l’air ennuyeux. Ces grandes allées, ces étoiles, ces quinconces… Seulement voilà : quand on descend dans le jardin et qu’on se promène aux côtés de M. Le Nôtre qui en a livré la quintessence, le jardin à la française devient plus intéressant. D’abord il joue sur les masses et les volumes, crée des perspectives et des rythmes… Il fait alterner le plein et le vide, le grand et le petit, l’attendu et l’inattendu ; car en son cœur se dissimulent des bosquets, comme autant d’évocations de l’Éden. Ils peuvent même tolérer l’anecdote, à travers de petits jeux d’eau ou des aménagements pour rire… Oui, plus j’y pense, et plus je vois dans le jardin à la française un symbole vivant de l’esprit français dans ce qu’il peut avoir d’intelligent et de formel, mais aussi de surprenant.

Viols: pourquoi ajouter la notion de «consentement» dans la loi était une mauvaise idée

La présomption d’innocence est dans de jolis draps… « Le fait de ne pas dire non ne veut pas dire oui », postule le gouvernement par la voix de la maîtresse d’école Aurore Bergé, notre ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Une dérive inquiétante, déplore notre contributeur, avocat au barreau de Paris. Le Conseil constitutionnel devra examiner, et l’on peut l’espérer, censurer l’introduction du critère de consentement dans la définition du viol du Code pénal.


Sans étude d’impact préalable, nos législateurs ont cru bon de modifier le crime de viol en ajoutant aux critères de violence, contrainte, menace ou surprise, la notion de « consentement » ainsi exposée : « Le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable (…) il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime ».

L’enfer en est pavé…

Cette modification s’inscrit dans un souci de protéger les femmes des hommes prédateurs sexuels. Qui a priori serait contre ? Mais par définition, le violeur se moque du consentement. Il n’est pas dans l’idée de relation sexuelle, mais d’imposition sexuelle : violence, contrainte, menace ou surprise suffisent à caractériser cela. Or, il s’agit ici de légiférer sur un crime, le définir, et non pas de réglementer les relations sexuelles en général. Si dans certains cas, il est difficile de prouver la présence d’un de ces éléments, c’est parce que la vie privée est peu propice aux témoignages extérieurs. Si c’est parole contre parole, alors les poursuites pénales sont vouées à l’échec. En effet, notre loi oblige celle qui accuse à prouver. C’est un garde-fou qui protège tout le monde des accusations imaginaires ou malveillantes.

A lire aussi, Sophie Flamand: Gisèle Pelicot, Nahel: jusqu’où ira la glorification des victimes?

Or, non seulement l’introduction du consentement ne servira à rien pour condamner plus de violeurs, mais elle va obliger tous ceux qui ont des rapports sexuels à des précautions d’ordre obsessionnel dont les questions suivantes ne sont qu’un florilège : avant tout rapport, qu’est-ce que s’exprimer « spécifiquement » : « tu viens ? »  est-il suffisant ? « fais-moi ça » ?  « pas ça » ? La féminité purement passive ou le consentement par le silence sera-t-il toujours légal ? Pendant l’acte, la femme devra-t-elle s’exprimer activement, en permanence et avec enthousiasme, faute de quoi son silence serait perçu par l’homme comme le signe d’un viol en cours ? Faut-il enregistrer le consentement pour en garder la preuve ? En audio ou en vidéo ? Et conserver cette preuve pendant le délai de prescription de 20 ans après l’acte ?  Conserver comment et à quel coût ? N’est-ce pas une violation de la vie privée ? Ne se dirige-t-on pas vers le chantage potentiel permanent ? Les deux sexes auront-ils le droit de boire un peu ou beaucoup d’alcool avant de prononcer – et entendre – clairement le fameux consentement libre et éclairé ? Ou bien seul l’homme pourra boire ? Et si la femme boit, à partir de combien de verres, même volontairement absorbés, son consentement – ou sa rétractation – sera-t-il considéré comme n’étant plus libre et éclairé ?  

Belle vie sexuelle en perspective ! Et quantité de questions de gendarmes, de juges et d’avocats bien plus désagréables que celles jusqu’alors nécessaires à prouver seulement violence, contrainte, menace ou surprise.

Les propos étonnants du garde des Sceaux

À la tribune du Sénat le garde des Sceaux, Gérald Darmanin a précisé : « Ce n’est pas un nouveau texte technique et juridique mais avant tout un texte de civilisation et d’humanité, surtout un texte d’espoir[1] ». Une telle déclaration est surprenante de la part d’un garde des Sceaux s’agissant d’un texte aux effets juridiques directs modifiant le Code pénal, lequel prévoit de très lourdes peines en cas de viol. Mais aussi très étonnante venant de Monsieur Darmanin : si la loi qu’il promeut aujourd’hui avait été en vigueur en 2018, il n’aurait peut-être pas bénéficié d’un non-lieu dans sa propre affaire de viol allégué. En effet, le non-lieu qui l’a libéré du collimateur de la Justice a été rédigé ainsi par le juge d’instruction : « Le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d’imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise[2] »

A lire ensuite, Elisabeth Lévy: Rendez-nous Nicolas Bedos !

On le voit, loin d’améliorer la répression du crime de viol, la nouvelle loi permettra de poursuivre pénalement des rapports sexuels ordinaires au nom du ressenti ou du quiproquo, et ce pendant vingt ans après les faits. Loi d’infantilisation et d’encadrement du pouvoir de séduction des femmes, elle va augmenter la défiance mutuelle entre les sexes, les poussant à un renoncement à la sexualité. Loi de culpabilisation du désir sexuel, elle va augmenter la frustration et les risques de violence et de dépression. L’onanisme, la pornographie, la réalité virtuelle et les services sexuels précis et tarifés ont donc de beaux jours devant eux !

Le Conseil constitutionnel devra examiner et on l’espère abolir cette disposition intrusive comme attentatoire au respect de la vie privée, à l’intimité de la vie privée, à la présomption d’innocence et au principe qu’il n’y a point de crime sans intention de le commettre.

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Présumés coupables: Pour une mise en examen du système pénal

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[1] Déclaration reproduite dans l’article de Simon Barbarit, site de Public Sénat, publication du 19 juin 2025 : https://www.publicsenat.fr/actualites/parlementaire/viol-le-senat-adopte-a-lunanimite-la-notion-de-non-consentement-dans-le-code-penal

[2] La motivation de ce non-lieu figure dans  Le Monde en date du 31 août 2018 « Plainte pour viol contre Darmanin : un juge ordonne un non-lieu » : https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/08/31/plainte-pour-viol-contre-darmanin-un-juge-ordonne-un-non-lieu_5348663_1653578.html

Jacques Benoist-Méchin: l’ordre et le désir

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Perrin.

Qui pour rassembler Proust, Pompidou, Hitler et le colonel Kadhafi dans un même salon ? Réponse : un écrivain collaborationniste, arabisant et homosexuel, baron d’Empire, qui répond au nom de Jacques Benoist-Méchin (1901-1983).

Éric Roussel, le biographe des présidents de la Ve République, raconte les mille et une vies de cet orientaliste amoureux des lettres et des beaux plafonds dans Jusqu’au bout de la nuit, aux éditions Perrin. L’ouvrage n’est pas une réhabilitation ; elle aurait été de toute façon difficilement publiable. Ses faits de collaboration et son « intelligence avec l’ennemi » le rendent « indigne de la nation » en 1947, après un procès en Haute Cour d’épuration. Il échappe de peu au peloton d’exécution… Fait original : il connaît une seconde vie et une seconde gloire après-guerre, cette fois littéraire.

Jacques Benoist-Méchin fut d’abord un jeune homme de bonne famille, rêveur, timide et emprunté. Sa famille bourgeoise et mondaine néglige un peu son éducation. Le milieu littéraire parisien le repère et l’adopte, remarquant ses qualités de polyglotte. Dans ce Paris d’avant-guerre, délicieusement littéraire et cosmopolite, où l’on croise Hemingway, Joyce, Fitzgerald ou Ezra Pound place de la Contrescarpe, il est bien vu de pouvoir, comme lui, traduire Kafka et Joyce. Il croise le légendaire magnat de la presse William Randolph Hearst (lequel a inspiré le personnage de Citizen Kane), mais s’en détourne vite, un peu écœuré par le management à l’américaine et la quête permanente du scoop journalistique. « Ses vrais talents sont ailleurs », précise Roussel. Cette expérience professionnelle nourrit un profond dégoût pour le Nouveau Monde : « J’étais allergique à l’Amérique (…) tout était calculé en fonction de cette espèce d’optimisme béat qui veut que tous les talents, toutes les vertus soient récompensés, que le bien c’est d’être riche, le mal d’être pauvre, que quelqu’un de pauvre est forcément mauvais… » La vieille Europe sera son seul secours.

L’Europe, l’Europe…

Benoist-Méchin rêve d’Europe. En lecteur cosmopolite, il aimerait que le vieux continent s’unisse et affirme sa culture commune. En 1918, il supplie son père – il n’a que 17 ans – de faire jouer ses relations parisiennes pour adoucir le traité de Versailles et empêcher un démembrement de l’Allemagne qui conduirait « à une nouvelle guerre mondiale ».

L’occupation de la Rhénanie l’indigne. Un séjour en Allemagne achève de le « germaniser ». Son Histoire de l’armée allemande en 1936 lui ouvre les portes des cercles dirigeants nazis : il donne des conférences à partir de ses travaux sur l’armée allemande devant le gratin du IIIe Reich. Précoce, il commence presque la collaboration en 1938. Benoist-Méchin bascule et adhère au PPF de Doriot, le premier (et presque le seul) parti fasciste français. La défaite vient, et Benoist-Méchin entonne l’air du « Je vous l’avais dit » : « Ayant perdu à un degré inimaginable le sens du réel, [la République française] n’a jamais voulu regarder les choses en face, ni prendre conscience des problèmes qu’elle avait à résoudre. Par un fléchissement inexcusable de sa raison et de sa vitalité, elle s’est constamment refusée à tout effort, à tout sacrifice. » 1936, le Front populaire, l’esprit de jouissance, les congés payés, l’oisiveté prolétaire sont, selon lui, responsables de la défaite militaire. L’antienne est bien connue. Marc Bloch lui réglera son sort dans L’Étrange Défaite.

Non pas collaborer, mais « cobelligérer »

Quand De Gaulle fait le pari, le 18 juin, d’une victoire anglo-saxonne, Jacques Benoist-Méchin et Pierre Laval font à l’inverse le pari d’une victoire allemande. Il n’y a pas de fascination romantique pour les charmes frelatés du fascisme, comme chez Drieu la Rochelle ou Robert Brasillach ; c’est d’ailleurs là son originalité parmi les écrivains collabos. Avec franchise – et sans doute froideur logique – il pense que la France doit se positionner pour l’après-guerre du côté des gagnants, c’est-à-dire « avec son vainqueur » et entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne, ou « cobelligérer » et assumer un véritable basculement d’alliance. Ce qui revient à aller plus loin que Pétain. Il assiste Laval au ministère. Le calcul était un peu fou : rien, dans l’attitude constante des autorités d’occupation, ne ressemblait à un traitement de faveur pour la France… Condamné à mort par la Haute Cour en 1947, il végétera à Clairvaux avant de sortir en 1954 au bénéfice d’une grâce générale. La réhabilitation viendra plus tard. Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident, sans renier grand-chose, raconte le déclenchement de la guerre, célèbre le génie politique du général de Gaulle et trouve quelques lecteurs dans le gratin politique.

A lire aussi, du même auteur: Le fascisme: ce centrisme qui s’ignore

Déçu de l’Europe, Jacques Benoist-Méchin passe à l’Orient et devient un spécialiste reconnu du monde arabe. Il se fait aussi l’avocat passionné de la cause palestinienne. La lecture d’Un printemps arabe aurait influencé le durcissement de la position du général de Gaulle envers Israël. Il est introduit un peu partout : à Alger, en Libye, où Kadhafi le reçoit sous sa tente en plein désert. Par beau temps, il bronze et divague ; il rêve d’une fusion entre l’Orient et l’Occident, ou d’une conversion de l’Europe à l’islam. Autant frotter la lampe d’Aladin… Divagateur, narrateur, il excelle cependant dans le genre de la biographie historique – négligée par l’Université – et compose une série de portraits de passeurs entre Orient et Occident : Lyautey, Bonaparte, Cléopâtre, Alexandre le Grand…

Roussel, psychanalyste de l’uniforme

La biographie d’Éric Roussel soulève et résout aussi quelques mystères savoureux. Benoist-Méchin a entretenu une relation d’un genre particulier et particulièrement inattendu avec Adrienne Monnier. Tous deux étaient homosexuels… On apprend qu’un enfant a été conçu et avorté. Joyce aurait ainsi changé la célèbre et magistrale fin d’Ulysse – laquelle est connue dans l’histoire littéraire pour avoir fixé le genre du monologue intérieur – sous les conseils de Benoist-Méchin. Surtout, on apprend comment il échappe à la mort en 1947. Malin, il avait quelques dossiers sous le coude.

Proust et Joyce, le Paris cosmopolite et l’Allemagne nazie, le pacifisme et la cobelligérance, Hitler et De Gaulle, Pompidou et Nasser, le grand Occident et l’islam, Cléopâtre et Kadhafi, la bohème et la centrale de Clairvaux… un tel mélange défie un peu l’entendement. Il faut le talent de biographe de Roussel pour déceler, dans l’apparent chaos, une unité de vie, ou plutôt une esthétique. Il y a chez Benoist-Méchin une pente, et presque une pulsion, vers l’ordre – non pas celui « juste » de Ségolène Royal – mais sensuel. L’esthète proustien des années de formation s’est dédoublé en un esthète de l’histoire et même en un esthète du pouvoir épris de virilité… Roussel psychanalyse délicatement l’homosexualité de Benoist-Méchin (dont faisait déjà état Patrick Buisson dans 1939-1945, années érotiques). L’intellectuel emprunté frémissait facilement devant les parades de bottes, les uniformes bien coupés et les gestes carrés de ces hommes de rue, nazis ou révolutionnaires panarabes, qui arrivent au pouvoir. De la brutalité à l’autorité : un pouvoir aux accents phalliques et homoérotiques. « Vous n’imaginez pas combien Kadhafi jeune était beau », confie-t-il. Benoist-Méchin était doué d’une lucidité intime sur les êtres, mais d’un sens politique souvent désastreux. Le tragique des impuissants que le pouvoir fascine…

416 pages

Jusqu'au bout de la nuit: Les vies de Jacques Benoist-Méchin

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Ces dames à l’heure du Tea

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© Jonathan Raa/Sipa USA/SIPA

Aux États-Unis, l’application réservée aux femmes controversée Tea vient de subir une fuite massive de données affectant environ 72 000 images, dont des selfies et pièces d’identité utilisées pour la vérification des utilisatrices. Tea permet de partager anonymement des informations sur les hommes célibataires, afin d’identifier leurs éventuels comportements « problématiques ».


Ces jours-ci, une application américaine réservée aux femmes en mal de rencontres via internet fait beaucoup parler d’elle. Tea est son nom. Voilà quelques jours, ses dirigeants se glorifiaient d’avoir enregistré plus de quatre millions d’utilisatrices. En fait, ce chiffre des plus flatteurs risque bien de se voir sérieusement revu à la baisse, des piratages intrusifs en quantité ayant été détectés. Ainsi le veut la modernité galopante de ce siècle. À peine croit-on avoir mis en place un cybersystème inviolable qu’il se trouve aussitôt allègrement violé.

Adopte un mec

Mise à la disposition exclusive de la gent féminine, l’application Tea a été créée en 2023 par un certain Sean Cook. Le but : « donner aux femmes les outils dont elles ont besoin pour faire des rencontres en toute sécurité dans un monde qui néglige leur protection. » L’intention est louable, même si on ne peut s’empêcher de considérer qu’il y aurait comme une légère contradiction à rechercher la sécurité maximale tout en s’aventurant à titiller Cupidon du côté de parfaits inconnus. Sans doute faut-il croire que la réalisation de certains fantasmes féminins aura toujours des raisons que la raison ne connaît pas.

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Donc, la dame en recherche s’inscrit sur Tea en envoyant un selfie, et l’application va se charger de l’informer sur le degré de dangerosité, d’insécurité, de toxicité de ou des individus qu’elle a sélectionnés sur tel ou tel site de rencontres. Le type est-il marié, a-t-il un casier judiciaire, est-il sur plusieurs plans du même tonneau à la fois, d’autres femmes ont-elles eu affaire à lui et qu’en disent-elles… Un détail amusant : cela marche un peu comme à la plage avec drapeaux de couleurs. Drapeau vert, baignade autorisée, rouge s’abstenir…

La sphère masculiniste remontée

On s’en doute, tout cela n’est guère du goût de ces messieurs. Ils se dressent bec et ongles contre l’application. « Atteinte à la vie privée, dépotoir à ragots, fausses informations… » Tout cela, qui plus est, dans leur dos, à leur insu puisque l’accès leur est strictement interdit.

Il est vrai que, pour certaines qui n’auraient pas trouvé auprès de tel partenaire de rencontre toute la satisfaction qu’elles en espéraient, la tentation de régler leurs comptes pourrait être forte. À chacun de nos lecteurs, à chacune de nos lectrices, d’imaginer la teneur de commentaires inspirés par le dépit, la jalousie, la rancœur ou encore un vieux fonds de misandrie plus ou moins taquine.

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Mais à la vérité, ne serait-il pas de très longue tradition que des dames, entre elles, à l’heure du thé par exemple, s’échangent ce genre de confidences, volontiers acerbes, ironiques, graveleuses ? Nous avons cette scène de salon, au XVIIIème siècle, où, soudain, une marquise, entourée de dames, lâche cette question qui manifestement la démangeait « Pensez-vous que Monsieur le Conseiller soit une bonne jouissance ? » Tea n’aurait donc pas inventé grand-chose. De tous temps semble-t-il les femmes ont parfaitement su, d’un mot, d’un trait, nous étiqueter, nous marquer au fer. Cela est plus que certain. Que ce soit à l’heure du thé ou en toute autre circonstance.

Faites ce que je dis, pas ce que je fais…

Cependant, parmi les critiques énoncées à l’encontre de l’application, il en est une qui semble particulièrement pertinente. Si au lieu d’être féminine Tea était exclusivement masculine, et que les commentaires, les informations déballées aient pour cibles des femmes, elle aurait probablement été fermée dès le premier jour, sans tambours ni trompettes. À juste titre, d’ailleurs… Tel n’est pas le cas pour Tea.

Mais, au fond, l’important, l’essentiel n’est-il pas que ces dames continuent encore et toujours à parler de nous ? Si elles venaient à s’en abstenir, à en être empêchées, je crois que ce serait pour nous, vaniteux que nous sommes, comme une petite mort…

30 GLORIEUSES - LA DÉCONSTRUCTION EN MARCHE

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B-2 or not B-2

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Donald Trump à la Maison-Blanche, Washington, 21 juin 2025, après avoir ordonné l’opération militaire contre des sites nucléaires iraniens © Ron Sachs/CNP/AdMedia/SIPA

Pour les connaisseurs des relations entre l’Amérique et Israël, les deux pays ont évidemment coordonné leurs attaques. En épaulant son allié et ami Bibi pour détruire ou paralyser les capacités nucléaires iraniennes, Trump a renié son engagement de ne plus lancer l’Amérique dans des guerres. Mais face au succès affiché, sa base MAGA le soutient avec enthousiasme.


Tout s’est passé soudainement et rapidement. Le 21 juin, alors qu’il venait de faire savoir, quelques heures auparavant, qu’il prendrait sa décision de bombarder ou non les sites nucléaires iraniens « au cours des deux semaines à venir », Donald Trump donne l’ordre à sept bombardiers furtifs B-2 Spirit, chargés des fameuses bombes « Bunker Busters » pesant chacune 14 tonnes, de pilonner les usines d’enrichissement d’uranium de Fordo et Natanz. En réponse, Téhéran prétend avoir déjà déplacé son programme atomique et lance des frappes de représailles contre la base américaine d’Al-Udeid, au Qatar. Prévenus par les Iraniens, les Américains ne déplorent aucune perte.

Contradiction

L’enchaînement inattendu des événements laisse perplexe. Alors que les Américains viennent d’élire un président opposé à toute participation à des guerres extérieures, les États-Unis ont pris les armes aux côtés des Israéliens. Cette contradiction apparente soulève de nombreuses questions. Que savait Trump quand Netanyahou a lancé les premiers bombardements sur l’Iran ? Comment la base MAGA réagit-elle à des événements qui, selon certains commentateurs, sonnent le glas d’une promesse électorale ? Le président américain payera-t-il un prix politique ? Ses décisions de juin 2025 finiront-elles par plonger le Proche-Orient dans une conflagration générale, où les États-Unis seront de nouveau empêtrés ? On peut déjà répondre clairement à quelques-unes de ces questions.

Lorsque Benyamin Netanyahou lance, une semaine avant celle des Américains, une attaque aérienne contre l’Iran le 13 juin, tout le monde s’interroge : « A-t-il prévenu Donald ? » Ces deux-là sont de proches alliés. Au cours de son premier mandat, Trump a apporté un soutien inconditionnel au premier ministre israélien, allant jusqu’à transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. « Bibi », après quatre ans de relations de plus en plus difficiles avec Joe Biden, n’a pas caché sa joie de retrouver son vieil ami Républicain à la Maison-Blanche. Au cours des six premiers mois de la nouvelle administration Trump, les deux hommes se sont fréquemment rencontrés et peu de connaisseurs doutent qu’ils aient échangé au sujet de leurs projets pour l’Iran.

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Par exemple Larry Haas, ancien responsable de l’administration Clinton et ex-directeur de la communication du vice-président Al Gore : « Au cours de ces derniers mois, le président Trump a surpris Israël avec certaines de ses actions, en particulier l’accord séparé qu’il a conclu avec les rebelles houtis. Malgré tout, je n’arrive pas à croire que Netanyahou puisse lancer des frappes contre les installations nucléaires iraniennes sans en prévenir la Maison-Blanche. La frappe américaine ultérieure semble faire partie d’une stratégie américano-israélienne plus large visant à paralyser ou à détruire la capacité nucléaire naissante de l’Iran une fois pour toutes. »

Même son de cloche chez l’historien Irwin Gellman, auteur d’une biographie monumentale de Richard Nixon : « Tout comme Jack Kennedy et David Ben Gourion ont sans doute discuté de ce qu’Israël ferait à un ennemi potentiel, je ne doute pas un seul instant que Netanyahou ait discuté de son attaque initiale contre l’Iran avec Trump. » Il ajoute que les deux dirigeants sont « très complices. Du moins, dans l’esprit de Bibi ».

Reste à savoir ce que sera la réaction de la base MAGA après ce qui ressemble fortement à un reniement de l’engagement pris par Trump dès l’annonce de sa première candidature présidentielle il y a dix ans.

Le matin du 18 juin, soit trois jours avant les frappes américaines, Steve Bannon, ancien conseiller de Trump, et porte-parole de l’aile radicale du courant MAGA, donne une conférence de presse matinale à Washington, organisée par le très réputé Christian Science Monitor. Il prône la prudence : « Si nous sommes forcés d’attaquer l’Iran militairement, il ne faut pas le faire demain, après-demain ou le jour suivant. Le président devrait prendre son temps et bien réfléchir en consultant ses conseillers. » Se déclarant ami d’Israël, l’animateur du podcast très populaire « War Room » critique néanmoins l’attaque des installations nucléaires par Tsahal, qu’il voit comme une tentative irresponsable de « changer » le régime iranien, voire de le « détruire ».

Si Bannon n’a pas tort quant à l’objectif ultime de Netanyahou, il se trompe sur la décision de Trump. Il rappelle qu’en 2016, nombre d’experts ont annoncé la défaite de Trump lors de la primaire de Caroline du Sud parce que son opposition aux « forewer wars» guerres sans fin » ( était selon eux insultante dans « l’un des États les plus patriotiques de l’Union ». Et Bannon d’expliquer comment Trump a néanmoins triomphé sur son rival, Jeb Bush, l’ancien gouverneur de Floride, en associant son image à celle de son frère George W. Bush, responsable de la guerre en Irak. Puis, se tournant vers le présent et l’Iran, il déclare, catégorique : « Nous ne voulons plus de guerres éternelles », avant d’attaquer la chaîne Fox News, qu’il accuse de faire de la propagande belliqueuse vingt-quatre heures sur vingt-quatre exactement comme à l’époque de l’invasion de l’Irak. Selon lui, les journalistes de la chaîne d’information continue sont aux antipodes de l’esprit MAGA. Mais dans quelle mesure Bannon l’incarne-t-il lui-même ?

Une révolte des Républicains peu crédible

Bob Livingston, ex-président de la puissante commission budgétaire de la Chambre basse du Congrès, ne croit pas à une révolte des élus républicains. Certes deux représentants au Congrès, le très libertaire Thomas Massie (Kentucky), et  la figure de l’alt-right Marjorie Taylor Greene (Georgie) s’opposent de façon véhémente au bombardement de l’Iran, « mais pas beaucoup d’autres », note-t-il. « Exprimer bruyamment leur opposition est une chose, mais je ne peux pas concevoir que même Massie et Greene se rangent du côté des démocrates pour limiter le pouvoir du commandant en chef. »

Si une majorité des élus restent fidèles à Trump, il en va de même pour les militants. Selon Marc Rotterman, journaliste de Caroline du Nord spécialisé dans les affaires publiques, « une majorité de la base MAGA est d’accord avec la décision du président Trump de détruire les installations nucléaires iraniennes ». C’est aussi l’opinion de Bill Ballenger, grand expert de la vie politique au Michigan : « Il y aura quelques dissensions au sein de la base MAGA, mais dans l’ensemble, ils acceptent la décision de Trump. »

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Il ne faut pas oublier le prestige dont jouit Donald Trump en tant que fondateur et chef incontesté du courant MAGA. De même que Ronald Reagan, largement considéré comme l’incarnation du mouvement conservateur moderne, se faisait pardonner chaque fois qu’il quittait sa ligne strictement conservatrice (comme quand en 1982 il est revenu sur une partie des réductions d’impôts de l’année précédente), Trump est excusé par sa base pour son intervention dans le conflit irano-israélien. « Les électeurs MAGA adulent Trump et lui font confiance, affirme Henry Olsen, chroniqueur respecté et auteur d’un livre sur les cols bleus qui votent républicain. Ils sont prêts à approuver son action dans tel ou tel domaine jusqu’à ce qu’il échoue sans reculer, ce qui n’est pas encore arrivé. Beaucoup d’influenceurs MAGA sur le Net exercent peu d’influence sur leur public, surtout quand ils critiquent Trump. »

Ravitaillement en vol d’un bombardier furtif B‑2 Spirit de l’US Air Force. Les sept B‑2 engagés dans l’opération « Midnight Hammer » ont largué quatorze bombes GBU‑57 (MOP) sur les complexes nucléaires de Fordo, Natanz et Ispahan, les 21 et 22 juin 2025. D.R.

Au moment où ces lignes sont écrites, début juillet, rien ne suggère que le bombardement américain de l’Iran conduira à un déploiement de troupes dans un conflit auquel le président est pressé de mettre fin. Ni que les fidèles de Trump pourraient l’abandonner ou même le critiquer. La situation est bien résumée par Christopher Nicholas, conseiller politique chevronné des républicains en Pennsylvanie : « La majorité de sa base sera parfaitement à l’aise avec l’intervention militaire, pourvu que celle-ci s’arrête à peu près là. »

Trump peut-il se présenter comme un artisan de la paix ? À 5 h 30, le 24 juin, sur le point de partir pour le sommet de l’OTAN à La Haye, il essaye de se placer au-dessus des deux adversaires, en déclarant aux journalistes présents : « Nous avons essentiellement deux pays qui se battent depuis si longtemps et avec tant d’acharnement qu’ils ne savent plus ce qu’ils foutent » (« …what the f*ck they’re doing »).Au-delà de ses fanfaronnades et de ses grossièretés, les spécialistes du trumpisme sont convaincus que le président est déterminé à éviter d’impliquer les États-Unis dans une lutte entre des ennemis jurés.

Dans un article récent publié dans Foreign Affairs, Lawrence D. Freedman, professeur émérite d’études de guerre au King’s College de Londres, voit dans l’échec de la guerre américaine en Afghanistan (la plus longue de l’histoire des États-Unis), comme dans l’enlisement de la guerre russe en Ukraine, la preuve que la force armée est incapable d’apporter des victoires décisives : selon lui la puissance militaire se transforme de nos jours inmanquablement en impuissance politique[1]. Trump n’a pas dit autre chose, le 13 mai, lors d’un discours capital à Riyad, en Arabie saoudite, durant lequel il a explicitement rejeté l’idée selon laquelle des changements positifs au Proche-Orient pourraient être imposés par la force. Il est donc très peu probable qu’il aille plus loin dans son soutien opérationnel à Netanyahou ou qu’il fasse quoi que ce soit de nature à lui aliéner une base qui continue de soutenir avec autant d’enthousiasme.


[1] « The Age of Forever Wars », Foreign Affairs, 14 avril 2025.

À double face

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© Hassah Assouline / Causeur

À la recherche de l’esprit français


L’esprit n’est d’aucune terre en particulier, et s’il se trouve circonscrit à un village (ou un pays), il déchoit. Mais l’esprit n’existe pas non plus dans une pureté désincarnée, sans aucun lien avec des paysages, des rues, des souvenirs, et surtout sans la langue où il se déploie. La particularité de l’esprit français est d’avoir promu les jeux de l’esprit, la beauté de l’esprit : l’esprit pour lui-même. Dans Le Livre du courtisan, Castiglione regrette, au début du XVIe siècle, la brutalité des Français qui méprisent les lettres et n’aiment que la noblesse des armes. La France, sur le modèle italien, se transformerait bientôt en une société de cour, où l’agglomération des courtisans, la prétention, la vanité et l’ennui allaient donner au mot d’esprit, et à l’esprit, une place nouvelle. Qui n’a pas d’esprit en France se confond avec le vulgaire, fût-il un Grand de la République. La France a pris la dimension d’un salon universel, où l’on pique (« ça pique ! »), où l’on débite des paradoxes, où l’on aime critiquer des films, des matchs (« on refait le match »), des livres (« t’en as pensé quoi ? »). Dans le meilleur des cas, l’esprit français est un bretteur faussement grincheux, animé par le goût de la bagarre, le sens de la drôlerie et le panache des causes perdues. Dans le pire des cas, cet esprit n’a rien d’élevé : « Les autres parties du monde ont des singes ; l’Europe a des Français. Cela se compense » (Schopenhauer).

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Croûtes et confidences

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La romancière et éditrice Véronique de Bure © JM HAEDRICH/SIPA

Dans Une confession, Véronique de Bure nous parle de son expérience professionnelle auprès de Jean Guitton tout en nous racontant une histoire d’adultère plus obscure.


Charmant et émouvant : il n’est pas de termes plus justes pour qualifier le bref, juvénile et très féminin compagnonnage intellectuel que vécut, quelque temps avant sa mort en 1999, l’académicien français et confident de Paul VI, Jean Guitton, avec la jeune éditrice Véronique de Bure.

À dire vrai, le « clou » du livre n’a qu’un maigre intérêt, à l’image de bien des tromperies conjugales. Notez-le au passage : adultère est un mot laid, bien peu sexy, qui rime avec adulte, austère, sévère ; quant à adultérin, il consomme avec vipérin. Non, ce qui intéresse en l’occurrence, c’est ce que nous révèle de lui-même un homme alerte, espiègle parfois, à en être presque coquin, content de lui mais sans orgueil, et dont la curiosité envers la jeunesse est redoublée lorsque cette dernière s’incarne en une douce jeune fille à particule. Oui, le snobisme faisait partir des gentils travers de notre homme quand ce n’était pas la haute idée qu’il se faisait de sa peinture.

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Visiez-vous l’Académie ? Il convenait, lorsque vous lui rendiez visite, de ne pas tomber dans le piège des compléments littéraires. Il vous laissait parler pour, enfin, vous couper en vous disant : Raté ! De l’avis général, ses portraits étaient des croûtes (sauf peut-être, selon nous, cette sorte de diptyque de Pascal et Spinoza où, tout, en montrant une forte ressemblance, le visage du premier de nos philosophes montre des traits concaves et le second, convexes), mais c’était de l’artiste-peintre qu’il voulait que l’on dise grand bien.

‘‘Autrice’’ étant à bannir, nous dirons que notre jeune auteur réussit d’autant mieux à se souvenir du babil de ce sage que ni l’un, ni l’autre ne se prennent au sérieux. On a plutôt affaire à un grand-père dont la chasteté, de fait, n’éteint nullement mais plutôt active et réactive un œil rieur d’une incroyable lucidité, le mot, pour un peu, flirtant avec lubricité.

« Autorisée », ou non, une future biographie de Jean Guitton devra faire grand cas des anecdotes à la fois doctes, amusées et amusantes sur un sage se confiant, dans ces derniers temps, à celle qui était peut-être pour lui comme sa petite-fille rêvée.

Véronique de Bure, Une confession, Flammarion, 185 p.

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L’ère de la calomnie

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© AP Photo/Louise Delmotte/SIPA

Le président d’Avocats sans frontières accuse Le Monde, l’AFP et France Inter de plaider en faveur du Hamas


Qui aurait pu croire qu’un jour le Hamas tiendrait la plume de journalistes devenus ses auxiliaires ? J’affirme que ce moment est survenu.

Il y a d’abord Le Monde, dont la spécialité est d’aller recueillir les accusations de l’extrême gauche israélienne, qui n’a rien à envier aux autres extrêmes gauches mondiales. Alors que depuis près de deux ans, chaque jour, le quotidien vespéral publie les états d’âme, parfois honorables, de pacifistes israéliens s’étalant au long des pages, je mets au défi le journal à la dérive sans fin, de montrer une fois, rien qu’une fois, les états d’âme d’un Palestinien après le Grand Pogrom.

C’est dans le creux de cette différence immorale de traitement que gîte l’impossibilité d’un règlement.

J’affirme surtout que l’AFP, devenue une sorte de Pravda capitaliste, a décidé de considérer les affirmations propagandistes de l’organisation terroriste islamiste comme dignes de foi, et qu’elle les reprend sans la moindre précaution. Dans le même temps, elle néglige délibérément de publier les commentaires ou démentis d’une armée d’un État démocratique agressé.

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Pour entrer plus avant dans les détails, peu après le 7-Octobre, l’AFP – suivie par Le Monde et quelques autres médias – a fait le choix plus que discutable de publier les bilans victimaires de la « Défense civile » de Gaza ou du « ministère de la Santé » du même territoire. Mais je dois ajouter que ces médias eurent l’honnêteté professionnelle et morale minimale de préciser que ces organisations précitées aux noms humanitaires ronflants… étaient dirigées par le Hamas, ce que tout le monde savait au demeurant.

Seulement, sauf à être crédule, on pouvait imaginer que des informations livrées par une organisation pogromiste qui joue à qui perd-son-enfant-gagne tout en protégeant ses tueurs sous les écoles, ne se caractériseraient pas par une priorité donnée à la vérité. Qu’importe, telle fut l’habitude observée.

Mais il y a pire à présent. Car j’affirme solennellement que depuis plus d’un an, l’AFP, Le Monde, France Inter, France Info et consorts délivrent à chaque heure, et sans précautions, les accusations et bilans mensongers de la « Défense civile », sans publier les démentis de l’armée israélienne, mais SURTOUT en cachant désormais que le Hamas se cache en réalité derrière. On comprend bien que ce mensonge par omission dissimule à peine le désir de renforcer la crédibilité d’une organisation qui, sinon, en serait totalement dénuée.

Derrière le mensonge se cachent d’encore plus tristes réalités.

La première est que nombre de journalistes ne sont plus que des militants, qui accordent plus d’importance à leur combat idéologique qu’à leur devoir professionnel de publier la réalité factuelle.

La seconde est leur détestation pathologique d’Israël.

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Une Somme de tueurs!

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Le romancier français Dominique Zay. DR.

Avec Il pleut des tueurs, Dominique Zay propose un thriller vif et inquiétant, ancré dans la bonne ville d’Amiens où il s’en passe des belles…


L’énigme d’un thriller peut déjà être difficile à résoudre lorsqu’il n’y a qu’un suspect et/ou un criminel. Dans Il pleut des tueurs, dernier roman policier de Dominique Zay, les assassins ou les assassins potentiels, on ne les compte plus tant ils sont nombreux ; d’où le titre.
Ancrée à Amiens, dans la Somme, que raconte l’histoire ?

Organisation mafieuse

Quand Clara, la nièce adorée d’Alban, est laissée pour morte, victime d’un chauffeur fugitif, il fait appel à son vieux camarade Yan Zadek, un détective privé très efficace mais un brin particulier. Le principal suspect, Julien Bacquet, est déjà inquiété pour un féminicide (le samedi 9 mars 2024, il a zigouillé sa légitime, Guyslaine Bacquet), meurtre dont s’accuse un certain Bruno Rousselot. On comprend que là, l’affaire se complique. La sexy sexa, Eugénie Klein, 68 ans, veuve depuis quinze ans d’un vieux mari riche et cardiaque, tente d’expliquer à Yan que Rousselot n’a rien à se reprocher puisque, le soir du méfait, « il était avec moi… dans mon lit. » Il est vrai que le Bacquet se révèle un personnage carrément horrible et peu recommandable : « Le peu de cas qu’il faisait de la nature humaine avait davantage diminué derrière les barreaux au contact de plus pourris que lui, et la seule chose qui trouvait grâce à ses yeux aujourd’hui résidait dans la visite de cette escort-girl ukrainienne qui venait le masser intégralement tous les samedis. » Coupable idéal ? Trop idéal ?

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Zadek cherche, s’accroche en bon enquêteur têtu. Il finit par découvrir, grâce à la toujours appétissante Eugénie, que derrière tout ça se cache une terrible organisation criminelle, une mafia sans morale aucune, Miss T, « c’est Thémis à l’envers, miss T/ Thémis, la déesse de la justice chez les Grecs, la loi divine (…) »

Bref et brutal

Pour certains, on s’en doute, cela se terminera très mal, très très mal… Yan, lui, à la faveur d’une promenade dans un parc, connaîtra un véritable coup de foudre pour Mona, une délicieuse métisse, qu’il retrouvera un peu plus tard et qui deviendra sa maîtresse : « Comme dans la chanson de Souchon, l’odeur de Mona serait dorénavant son alcool profond ».

Ce roman de Dominique Zay séduit par sa rapidité, ses chapitres uppercut d’une brièveté vivifiante, et par son intrigue bien ficelée. De plus, la ville d’Amiens y est parfaitement bien décrite jusque dans ses plus obscurs recoins. Un bon polar.

Il pleut des tueurs, Dominique Zay. Aubane éditions ; 198 pages.

Quand la voix de la France fait honte

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Le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot s’exprime devant l’Assemblée générale sur le "Règlement pacifique de la question de la Palestine et la mise en œuvre de la solution à deux États" au siège des Nations Unies à New York, le 28 juillet 2025 © DEREK FRENCH/Shutterstock/SIPA

Le président Macron apparaît incapable de défendre les intérêts commerciaux français face à Donald Trump, et donne l’impression de légitimer la stratégie terroriste du Hamas en reconnaissant un État palestinien alors que des otages israéliens sont toujours retenus à Gaza.


« Déséquilibré » : c’est ainsi que la France a jugé, ce lundi matin par la voix du ministre des Affaires européennes, Benjamin Haddad, l’accord commercial conclu dimanche entre Donald Trump et Ursula von der Leyen, au nom de l’Union européenne. C’est à l’occasion de sa présence sur son golf écossais de Turnberry que le président américain avait convoqué la présidente de la commission européenne. La mise en scène, volontairement humiliante, a laissé voir la vassalisation de l’Europe. Celle-ci s’est notamment engagée, pour obtenir des droits de douane à 15%, à acheter aux États-Unis jusqu’à 750 milliards de dollars d’énergies diverses, à y investir 600 milliards et à acheter son armement militaire.

En qualifiant ce « deal » de déséquilibré, M. Haddad s’est évidemment fait le porte-voix d’Emmanuel Macron. Le coup de griffe contre la conduite de l’Europe laisse deviner les ambitions européennes du président français, en quête de rebond à l’issue de son mandat.

Dans sa prise de parole du 14 juillet, il avait notamment déclaré : « Pour être libre il faut être craint ; pour être craint il faut être puissant ». Mais Macron est-il ce qu’il croit montrer, notamment à travers une musculature très travaillée des biceps, à en croire les observateurs des petits détails signifiants ? Sur le plan intérieur, sa puissance relève de forfanterie. Jamais la France n’a été aussi vulnérable financièrement que sous sa présidence. Une pré-guerre civile, menée par les enfants-soldats de la contre-colonisation, a enflammé dernièrement des villes moyennes comme Limoges, Compiègne, Charleville-Mézières, Vendôme, Auch, Béziers.

A lire ensuite: Le macronisme s’est déjà tué lui-même…

Le « guide » qu’il rêverait d’être sur le plan européen ne correspond pas non plus au sens de l’histoire. A rebours de ses convictions supranationales et mondialistes, les peuples indigènes réclament davantage de protections, de frontières, d’égards pour leurs racines. Son bellicisme surjoué contre la Russie slave et chrétienne, dont il ne se résout pas à admettre qu’elle a gagné sa guerre contre l’Ukraine, est à comparer avec ses vils accommodements vis-à-vis de l’islam conquérant et judéophobe.

Le déséquilibre est bien la marque de sa politique extérieure et de sa faiblesse. L’annonce, le 24 juillet, de sa décision de reconnaitre un État palestinien en septembre est destinée avant tout à se rapprocher de la « rue arabe » au Proche Orient mais aussi en France, au détriment des Juifs. D’ailleurs, Macron a été immédiatement félicité par la Hamas qui y a vu « un pas positif ». Le parti de Jean-Luc Mélenchon a salué « une victoire morale ». La France semble convaincue d’obtenir, d’ici là, la libération des derniers otages israéliens, la reddition du Hamas, son désarmement, l’engagement des pays arabes à reconnaître Israël. Mais ce récit mirobolant n’est que l’effet de la mégalomanie d’un homme noyé dans son narcissisme. L’effet de la reconnaissance d’un État palestinien est de donner raison à la stratégie terroriste du Hamas, appliquée le 7 octobre 2023. Comme le rappelait l’historien Georges Bensoussan dans le JDD, la charte du Hamas appelle à purifier la Palestine de la « pourriture juive ». Macron fait honte.

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Amour, gloire et beauté

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Franck Ferrand © Hannah Assouline

Pour l’historien Franck Ferrand, l’esprit français se niche autant dans les jardins de Le Nôtre que dans le Tour de France, dans le savoir-vivre des salons comme dans le savoir-faire des bâtisseurs de cathédrales. Sa palette est aussi variée que les paysages et les terroirs qui composent notre beau pays.


Causeur. Qu’est-ce que l’esprit français selon vous ?

Franck Ferrand. C’est d’abord une disposition mentale, une manière fine et directe, rapide si vous voulez, de faire sourire aux dépens des idiots. Et puis c’est une posture ironique et frondeuse – songez aux mazarinades du XVIIe siècle, aux poissonnades du XVIIIe… Je mettrais par ailleurs sous ce terme une forme d’élégance morale, de panache à la Cyrano. Enfin il y a tout ce qui imprègne chez nous les arts et les lettres : une exigence de clarté, de mesure, d’équilibre – en un mot : d’intelligence. On doit pouvoir comparer l’esprit français à ce qu’a été, dans la Grèce antique, l’esprit athénien, opposé par sa douceur à l’esprit spartiate et, dans son essence, à l’esprit perse. L’acropole d’Athènes est certes grandiose, mais elle rayonne à taille humaine, tandis que le palais de Darius à Suse était conçu pour écraser. Vous retrouverez une légèreté comparable à Trianon, par exemple : comme une impression de grandeur aimable. Il y a dans l’esprit français quelque chose de la section d’or : je veux dire, un rapport de proportions. Si vous lisez des auteurs comme La Fontaine ou Mme de Sévigné, vous verrez ce que c’est que la simplicité, le naturel, la convenance, la civilité… Vous y retrouverez l’esprit d’Albert Samain dans ces vers sur Versailles :
Grand air. Urbanité des façons anciennes.
Mains royales sur les épinettes. Antiennes
Des évêques devant Monseigneur le Dauphin.
Gestes de menuet et cœurs de biscuit fin ;
Et ces grâces que l’on disait Autrichiennes…

Tous les éléments que vous mentionnez convergent vers un même souci de la forme.

Assurément. Les Français sont formalistes, sans doute, ils entretiennent avec l’esthétique un lien d’élection. Leurs productions se doivent d’être belles, non seulement pour le patron ou pour le client, comme disait Charles Péguy dans sa belle page sur le bâton de chaise, mais aussi en soi et pour soi. Il appelait cela « l’esprit des cathédrales », par référence aux constructions gothiques dont même les parties invisibles, placées tout en haut sous la voûte, étaient soignées à la perfection.

Question difficile : d’où cela vient-il ? Norbert Elias parlait d’un « procès [processus] de civilisation », ce long chemin par lequel passent les mœurs pour se raffiner, se policer… Un processus qui en France a eu pour cadre privilégié la cour royale et pour moteur la courtoisie – c’est-à-dire les bonnes manières, spécialement envers les dames. Il est certain qu’avec Anne de Bretagne, la cour s’est féminisée ; mais Aliénor d’Aquitaine avait depuis longtemps ouvert la voie, avec ses « cours d’amour »… L’une des dernières représentantes de ce long processus fut sans doute Mme de Genlis, qui à la Restauration devait faire paraître De l’Esprit des étiquettes, charmant ouvrage où l’esprit français souffle à chaque ligne.

Qui était-elle ?

Une de ces grandes dames qui, à la fin de l’Ancien Régime, ont fait briller l’esprit français. Proche des Orléans avant la Révolution, elle s’est trouvée en charge de l’éducation du jeune Louis-Philippe, avant de devenir, la tempête une fois calmée, l’éducatrice de ses enfants. Destinée limpide et emblématique ! Mme de Genlis était de celles qui possèdent les usages sur le bout des doigts, qui sentent d’instinct si l’on doit s’asseoir au fond, au milieu ou au bord d’un siège, en fonction de la personne que l’on a en face ; qui savent, selon l’occasion, s’il convient de saluer la maîtresse de maison avant de quitter son salon, ou s’il vaut mieux filer à l’anglaise…

C’est un peu futile, non ?

Nous y voilà… Je ne suis pas d’accord avec cela. Ces futilités apparentes procèdent au vrai d’une étonnante ambition : promouvoir une société du respect.

Et puis, ce qu’il y a de sérieux dans l’esprit français, c’est que sa forme épouse le fond des choses jusqu’à se confondre avec lui. Écoutez la musique française : vous n’y trouverez pas facilement la cérébralité d’un Bach, le souffle d’un Beethoven, le brio d’un Verdi. Mais dans son formalisme équilibré, dans ses grâces mélodiques, vous pourrez déceler tout le fruit – faussement futile – d’un long cheminement. Quand Ravel rentre du front, après la Première Guerre mondiale, il n’a rien de plus pressé que d’écrire un Tombeau de Couperin qui, tout moderne qu’il soit, s’inscrit dans une tradition. Même chose avec les philosophes français : on serait tenté de les juger moins créatifs, moins disruptifs que leurs homologues allemands ou nordiques ; Montaigne, Pascal, Rousseau, Tocqueville ou Alain parlent une langue si pure, si nette, si compréhensible, qu’elle paraît tirée d’une conversation de salon. Mais qu’on s’en imprègne seulement, et l’on verra tout ce que peut s’y cacher de profondeur. Trois paragraphes de Bergson valent bien souvent un livre entier de Heidegger.

Autre domaine que j’affectionne, vous le savez, et dans lequel s’épanouit l’esprit français : les arts décoratifs. Même notre mobilier le plus rocaille se tient éloigné de la folie qu’on voit dans certains palais de Venise. Prenez un cabriolet Louis XV, tout en courbes, avec quelques rinceaux et une petite coquille : jamais celle-ci ne viendra occuper la moitié du dossier, comme dans le baroque méridional. Parce qu’il est mesuré, notre formalisme amodie ce qu’il pourrait y avoir d’excessif dans la tendance du moment.

Est-ce qu’une partie de tout cela n’a pas disparu avec la royauté ? La Révolution n’a pas brillé par son sens de la mesure ou son amour de la beauté.

Dans son amorce et ses principes, la Révolution ne rompt pas, que je sache, avec l’esthétique. La Déclaration des droits de l’hommeest écrite dans une langue suprêmement élégante. Je viens de donner un spectacle sur les femmes de la Révolution, dans lequel ma partenaire, la comédienne Garance Bocobza, lisait des textes d’Olympe de Gouges, Théroigne de Méricourt, Manon Roland et Charlotte Corday ; le public a pu y découvrir de véritables trésors d’écriture ! Que la Révolution, à partir de 1792 et 1793, ait basculé dans tout ce qu’on sait, et que des merveilles aient été détruites au nom de l’idéologie, ne doit pas faire oublier l’affinité première des Lumières avec un certain raffinement. Bien sûr, la Révolution a mené vers le pouvoir et la richesse des strates sociales moins policées par les siècles… Bien sûr, l’empereur n’est plus aussi raffiné que le roi ; et lorsque Napoléon, grossier, demande à la duchesse de Richelieu si les perles qu’elle porte aux Tuileries sont vraies, il s’entend rétorquer : « Non, Sire, mais je me suis dit que pour venir ici, c’était bien assez. » C’est aussi cela, l’esprit français : le bon mot qui remet les choses – et les gens – à leur place…

Pour autant, je ne pense pas que le faubourg Saint-Germain, au temps de Marcel Proust, ait forcément moins brillé qu’à l’époque de Voltaire. La raréfaction de l’esprit français est venue plus tard, avec la massification de la culture et le rabotage des singularités – à notre époque, autrement dit…

Lecture dans un salon (ou La Lecture de Molière), Jean François de Troy, vers 1728 D.R.

Et vous ne voyez personne pour reprendre le flambeau ?

Vous savez aussi bien que moi que certaines personnalités s’ingénient toujours à le porter bien haut… Mais je constate que, bien souvent, c’est de l’étranger que nous viennent des appels à défendre et maintenir cette forme d’esprit. Des amis brésiliens, chinois, marocains ou autres me disent leur regret de voir reculer ce qu’ils ont admiré. Et quand j’entends mon ami belge Hippolyte Wouters faire briller la langue de Corneille, quand je le vois écrire des pièces entières en alexandrins, je me dis que nul n’est prophète en son pays et que de l’extérieur, peut-être, viendra le Salut…

Beaucoup de Français passent leur été avec vous, puisque vous commentez chaque année les merveilles patrimoniales du Tour de France. Peut-on retrouver quelque chose de l’esprit français dans cet événement sportif ?

En cultivant le paradoxe, on pourrait dire que le Tour de France en est une des dernières manifestations… Savez-vous qu’il s’agit, à l’échelle mondiale, du direct le plus regardé à la télévision – davantage même que les Jeux olympiques ? Nous sommes diffusés dans 190 pays ! Ce succès doit beaucoup aux exploits des coureurs, c’est vrai ; mais il est aussi un hommage plus diffus à la France dans toute sa variété. Lors du Tour, notre survol du peloton, de coteau en vallon, de plaine en bocage, finit par constituer une sorte de grand kaléidoscope de cette prodigalité.

Sacha Guitry, d’un chauvinisme souriant, a célébré dans Ceux de chez nous cette munificence. Un jour qu’il s’apprêtait à déjeuner avec Claude Monet et Auguste Rodin, les deux grands artistes, au moment de passer à table, se sont fait des politesses : « Passez donc… mais je n’en ferai rien, vous d’abord… » ; Monet finit par dire : « Pardon, mais je suis de 1840 » ; et Rodin : « Pardon, mais moi aussi ! » ; alors Monet : « Oui, mais je suis de novembre » ; Rodin : « Mais moi aussi ! » ; Monet : « Je suis du 14 » ; Rodin : « Moi aussi ! » Guitry s’est un peu arrangé avec les dates, mais il célébrait dans cette coïncidence un signe de l’incomparable richesse d’un pays capable de donner, le même jour, deux génies à l’humanité.

Parmi les paysages survolés par l’hélicoptère du Tour de France, certains vous touchent-ils plus que d’autres ?

Les jardins à la française. Vus du ciel, ils pourraient au premier abord avoir l’air ennuyeux. Ces grandes allées, ces étoiles, ces quinconces… Seulement voilà : quand on descend dans le jardin et qu’on se promène aux côtés de M. Le Nôtre qui en a livré la quintessence, le jardin à la française devient plus intéressant. D’abord il joue sur les masses et les volumes, crée des perspectives et des rythmes… Il fait alterner le plein et le vide, le grand et le petit, l’attendu et l’inattendu ; car en son cœur se dissimulent des bosquets, comme autant d’évocations de l’Éden. Ils peuvent même tolérer l’anecdote, à travers de petits jeux d’eau ou des aménagements pour rire… Oui, plus j’y pense, et plus je vois dans le jardin à la française un symbole vivant de l’esprit français dans ce qu’il peut avoir d’intelligent et de formel, mais aussi de surprenant.

Viols: pourquoi ajouter la notion de «consentement» dans la loi était une mauvaise idée

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DR.

La présomption d’innocence est dans de jolis draps… « Le fait de ne pas dire non ne veut pas dire oui », postule le gouvernement par la voix de la maîtresse d’école Aurore Bergé, notre ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Une dérive inquiétante, déplore notre contributeur, avocat au barreau de Paris. Le Conseil constitutionnel devra examiner, et l’on peut l’espérer, censurer l’introduction du critère de consentement dans la définition du viol du Code pénal.


Sans étude d’impact préalable, nos législateurs ont cru bon de modifier le crime de viol en ajoutant aux critères de violence, contrainte, menace ou surprise, la notion de « consentement » ainsi exposée : « Le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable (…) il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime ».

L’enfer en est pavé…

Cette modification s’inscrit dans un souci de protéger les femmes des hommes prédateurs sexuels. Qui a priori serait contre ? Mais par définition, le violeur se moque du consentement. Il n’est pas dans l’idée de relation sexuelle, mais d’imposition sexuelle : violence, contrainte, menace ou surprise suffisent à caractériser cela. Or, il s’agit ici de légiférer sur un crime, le définir, et non pas de réglementer les relations sexuelles en général. Si dans certains cas, il est difficile de prouver la présence d’un de ces éléments, c’est parce que la vie privée est peu propice aux témoignages extérieurs. Si c’est parole contre parole, alors les poursuites pénales sont vouées à l’échec. En effet, notre loi oblige celle qui accuse à prouver. C’est un garde-fou qui protège tout le monde des accusations imaginaires ou malveillantes.

A lire aussi, Sophie Flamand: Gisèle Pelicot, Nahel: jusqu’où ira la glorification des victimes?

Or, non seulement l’introduction du consentement ne servira à rien pour condamner plus de violeurs, mais elle va obliger tous ceux qui ont des rapports sexuels à des précautions d’ordre obsessionnel dont les questions suivantes ne sont qu’un florilège : avant tout rapport, qu’est-ce que s’exprimer « spécifiquement » : « tu viens ? »  est-il suffisant ? « fais-moi ça » ?  « pas ça » ? La féminité purement passive ou le consentement par le silence sera-t-il toujours légal ? Pendant l’acte, la femme devra-t-elle s’exprimer activement, en permanence et avec enthousiasme, faute de quoi son silence serait perçu par l’homme comme le signe d’un viol en cours ? Faut-il enregistrer le consentement pour en garder la preuve ? En audio ou en vidéo ? Et conserver cette preuve pendant le délai de prescription de 20 ans après l’acte ?  Conserver comment et à quel coût ? N’est-ce pas une violation de la vie privée ? Ne se dirige-t-on pas vers le chantage potentiel permanent ? Les deux sexes auront-ils le droit de boire un peu ou beaucoup d’alcool avant de prononcer – et entendre – clairement le fameux consentement libre et éclairé ? Ou bien seul l’homme pourra boire ? Et si la femme boit, à partir de combien de verres, même volontairement absorbés, son consentement – ou sa rétractation – sera-t-il considéré comme n’étant plus libre et éclairé ?  

Belle vie sexuelle en perspective ! Et quantité de questions de gendarmes, de juges et d’avocats bien plus désagréables que celles jusqu’alors nécessaires à prouver seulement violence, contrainte, menace ou surprise.

Les propos étonnants du garde des Sceaux

À la tribune du Sénat le garde des Sceaux, Gérald Darmanin a précisé : « Ce n’est pas un nouveau texte technique et juridique mais avant tout un texte de civilisation et d’humanité, surtout un texte d’espoir[1] ». Une telle déclaration est surprenante de la part d’un garde des Sceaux s’agissant d’un texte aux effets juridiques directs modifiant le Code pénal, lequel prévoit de très lourdes peines en cas de viol. Mais aussi très étonnante venant de Monsieur Darmanin : si la loi qu’il promeut aujourd’hui avait été en vigueur en 2018, il n’aurait peut-être pas bénéficié d’un non-lieu dans sa propre affaire de viol allégué. En effet, le non-lieu qui l’a libéré du collimateur de la Justice a été rédigé ainsi par le juge d’instruction : « Le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d’imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise[2] »

A lire ensuite, Elisabeth Lévy: Rendez-nous Nicolas Bedos !

On le voit, loin d’améliorer la répression du crime de viol, la nouvelle loi permettra de poursuivre pénalement des rapports sexuels ordinaires au nom du ressenti ou du quiproquo, et ce pendant vingt ans après les faits. Loi d’infantilisation et d’encadrement du pouvoir de séduction des femmes, elle va augmenter la défiance mutuelle entre les sexes, les poussant à un renoncement à la sexualité. Loi de culpabilisation du désir sexuel, elle va augmenter la frustration et les risques de violence et de dépression. L’onanisme, la pornographie, la réalité virtuelle et les services sexuels précis et tarifés ont donc de beaux jours devant eux !

Le Conseil constitutionnel devra examiner et on l’espère abolir cette disposition intrusive comme attentatoire au respect de la vie privée, à l’intimité de la vie privée, à la présomption d’innocence et au principe qu’il n’y a point de crime sans intention de le commettre.

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[1] Déclaration reproduite dans l’article de Simon Barbarit, site de Public Sénat, publication du 19 juin 2025 : https://www.publicsenat.fr/actualites/parlementaire/viol-le-senat-adopte-a-lunanimite-la-notion-de-non-consentement-dans-le-code-penal

[2] La motivation de ce non-lieu figure dans  Le Monde en date du 31 août 2018 « Plainte pour viol contre Darmanin : un juge ordonne un non-lieu » : https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/08/31/plainte-pour-viol-contre-darmanin-un-juge-ordonne-un-non-lieu_5348663_1653578.html