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Une fatwa anti-Hamas

Les langues se délient contre le Hamas, le professeur Salman Al-Dayah condamne leurs actions dans une fatwa, jugeant qu’ils ont « violé les principes qui régissent le djihad »… nourrissant le débat dans le monde arabo-musulman sur le recours à la violence.


Le pogrom du 7-octobre vient d’être condamné, non par quelque institution occidentale suspectée de philosémitisme, mais par un des érudits religieux les plus respectés de Gaza. D’après la BBC, le professeur Salman al-Dayah, anciennement doyen de la faculté de charia et de droit de l’université islamique de Gaza, a publié début novembre une fatwa, ou avis juridique, qui condamne le Hamas pour avoir « violé les principes islamiques qui régissent le djihad ». La fatwa, dont le texte de six pages a été posté sur Facebook, assène que si le djihad – qu’il soit une lutte pour le progrès spirituel ou un combat armé contre les infidèles – ne respecte pas ses propres « piliers, causes ou conditions », « il doit être évité pour ne pas détruire les vies des gens ». En lançant l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », les dirigeants du Hamas auraient pu prévoir la réponse d’Israël qui dispose d’une puissance militaire écrasante. Ils auraient dû donc abandonner ce projet afin d’épargner des vies palestiniennes. L’érudit dénonce aussi l’utilisation de la population civile et de ses infrastructures comme boucliers humains, accusant le Hamas de ne pas respecter l’obligation « d’éloigner les combattants des maisons et des abris des civils sans défense » et de faire le plus possible pour garantir leur sécurité, leur santé, et leur accès à l’éducation et à l’activité économique. Enfin, il pointe la part de responsabilité du Hamas dans la pénurie d’approvisionnements à Gaza. Étayant ses arguments par des citations du Coran et des références à la sunna, le professeur déclare : « La vie humaine est plus précieuse aux yeux de Dieu que La Mecque. » Salafiste modéré voire quiétiste, Salman al-Dayah s’oppose au Hamas sur plusieurs points : le bien-fondé de la lutte armée, la priorité accordée aux décisions des dirigeants politiques plutôt qu’aux principes islamiques et la coopération avec l’Iran chiite. Sa fatwa est une humiliation pour le Hamas qui se targue de justifier ses actions par des arguments religieux. Elle pourrait aussi nourrir le débat dans le monde arabo-musulman sur le recours à la violence dans la poursuite de buts qu’on prétend spirituels.

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Mal de maires

Dans les hautes sphères administratives, tout le monde est convaincu que le mille-feuilles territorial et la fonction publique qui va avec nous coûtent un pognon de dingue. Cependant les élus locaux ont de solides arguments pour résister aux coups de laminoir envisagés à Paris.


Dans les années 1990, les cours de Sciences-Po parlaient des « grandes lois de décentralisation ». Le pouvoir se rapprochait du peuple. Aujourd’hui, on ne sait plus comment se dépêtrer de cette usine à gaz territoriale devenue pompe à fric. Début octobre, la Cour des comptes a rendu public un rapport pointant une dérive des dépenses des collectivités (communes, départements et régions). L’analyse des sages de la rue Cambon est assortie d’une proposition : se séparer de 100 000 agents de la fonction publique territoriale (FPT) pour économiser 4 milliards d’euros par an.

Agacée, l’AMF (Association des maires de France) a rejeté en bloc les chiffres comme les propositions du rapport. Les élus locaux n’en démordent pas : leurs collectivités, qui ne cessent d’assumer de nouvelles compétences, ont besoin de personnel. Ce n’est pas chez eux qu’on trouvera du gras. Résultat, Michel Barnier, qui dans une de ses premières moutures budgétaires pensait leur imposer un régime minceur de 5 milliards d’euros, a battu en retraite. Au-delà des polémiques, ce dialogue de sourds entre l’État et les collectivités par le truchement de la Cour des comptes met en lumière une question fondamentale : qui fait quoi et qui paie quoi ?

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Dans cette affaire, tout le monde a raison et tout le monde a tort. Pour le comprendre, il faut mettre de côté les « villes-mondes » comme Paris, où se trouvent les plus grands centres de décisions et qui attirent les talents internationaux, pour s’intéresser aux communes plus modestes, dans lesquelles vit la majorité des Français. Sur ces territoires, qui font le charme du pays, le maire n’est pas seulement un dirigeant, il est un pilier social, l’incarnation de l’existence même d’une communauté politique.

Recruter est une course d’obstacles pour les élus locaux

L’édile d’une ville moyenne confie, non sans une pointe d’amertume : « Il y a des agents que nous conservons simplement parce qu’ils ne trouveraient jamais un emploi ailleurs. Les licencier créerait un drame. Je suis le premier employeur de la ville ! » Un « maire poule » en somme. Et d’ajouter : « Quelques dizaines d’autres glandouillent, mais ils sont intouchables à cause du statut des fonctionnaires. » La gestion des ressources humaines dans la FPT, ce n’est pas seulement une affaire de comptes, mais de parents qu’on croise au marché, d’enfants qu’on a vus naître. Et puis, il y a tous ces risques de procès si l’on touche à un cheveu du personnel. Sans oublier les calculs électoralistes et leur volet clientéliste. Les maires se trouvent souvent face à des dilemmes difficiles à trancher.

En prime, recruter est une course d’obstacles pour les élus locaux, qui doivent en permanence jongler entre statuts et contraintes administratives. Surtout que les agents de la FPT, majoritairement de catégorie C (71,3 % contre 20 % pour l’État), souffrent d’une rémunération modeste et ne bénéficient pas des mêmes avantages que leurs collègues de la fonction publique d’État. Nombre de ceux que nous avons interrogés indiquent, par exemple, ne pas disposer de titres-restaurant.

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Un indicateur clé permet cependant d’esquisser une analyse comparative : le taux d’encadrement, qui mesure le nombre d’agents municipaux pour 1 000 habitants. À première vue, ces chiffres semblent éclairants. Avec 20 agents pour 1 000 habitants, la commune du maire cité plus haut affiche un ratio similaire à des villes comme Rennes ou Angers, mais largement supérieur à celui de métropoles comme Marseille (13,8) ou Lyon (14,3). « On ne peut pas comparer les mairies sur le simple taux d’encadrement, cela dépend énormément des niveaux de gestion territoriale », relativise le maire. Il n’a pas tort. Un directeur de mairie en Île-de-France explique : « Nous avons de nombreux équipements sportifs et culturels qui profitent aux habitants des communes voisines, mais ce sont nos agents qui les gèrent. » Ces disparités brouillent les comparaisons.

La nécessité d’une simplification drastique du mille-feuilles administratif

Reste un constat implacable : la décentralisation, amorcée par la loi Defferre en 1982, a multiplié les échelons administratifs. Et les « mutualisations » annoncées n’ont pas toujours fait diminuer les effectifs. Car il ne suffit pas de répéter que « le service public a un coût légitime ». Il faut répondre aussi à la question : ce coût est-il optimal ? Or, malgré des dépenses conséquentes, le citoyen moyen continue de pointer du doigt la qualité des services publics, qu’il juge insuffisante. L’exemple de Montpellier est édifiant. Entre 2015 et 2021, la Ville a vu ses charges de personnel augmenter de 18 millions d’euros, tandis que ses effectifs passaient de 3 510 à 3 710, malgré une mutualisation avec la métropole et une externalisation de certains services. « Toujours de bonnes raisons d’embaucher, mais peu de critères objectifs pour évaluer l’efficacité », alerte un rapport de la chambre régionale des comptes d’Occitanie.

Dans les plus petites villes, le sujet est tout autre. En Île-de-France, un élu raconte comment sa commune a privatisé la gestion des crèches : « Cela a réduit les coûts et satisfait les parents, mais les anciens agents municipaux ont été maintenus jusqu’à leur départ en retraite. » Une transition peu optimale, qui s’explique à la fois par les difficultés administratives quand on veut réaffecter un agent, et par l’effet « petite ville » où tout le monde croise tout le monde.

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À ces problématiques s’ajoutent les nouvelles missions confiées aux communes, comme la délivrance des passeports ou des cartes d’identité. Dans une autre mairie d’Île-de-France où nous avons enquêté, deux agents ont dû être embauchés pour cette tâche, alors que les recettes générées reviennent intégralement à l’État.

Pour les élus et les fonctionnaires locaux, la solution passe par une simplification drastique du mille-feuilles administratif et une autonomie accrue. « Laissez-nous faire les grands choix dans un cadre légal clair et égal pour tous, assuré par l’État », plaide un maire. Les grilles salariales figées, la rigidité statutaire et le manque de flexibilité découragent les talents, particulièrement chez les cadres, et ne permettent pas d’attirer des techniciens hautement qualifiés. Bref, il ne faut rien s’interdire. Surtout pas de réfléchir à la pertinence d’un statut protecteur qui finit par pénaliser tout le monde, y compris les principaux intéressés.

Benjamin Stora, avocat de l’Algérie ou ambassadeur plénipotentiaire de la France ?

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L’historien auteur du fameux « Rapport » qui porte son nom a paru peu enclin à défendre Boualem Sansal après son arrestation par les autorités algériennes. Ce fait est à mettre en parallèle avec son refus obstiné à admettre l’existence d’une judéophobie musulmane en Algérie avant, pendant et après l’indépendance de ce pays. Tribune du cinéaste et essayiste, Jean-Pierre Lledo.


Beaucoup de ceux qui avaient encore quelque estime pour cet historien ont été choqués par ses propos le dimanche 24 novembre sur la chaine publique France 5, suite à l’arrestation de l’écrivain algérien Boualem Sansal dès son arrivée à l’aéroport d’Alger, huit jours plus tôt.

Choqués de constater que sa réprobation de l’arrestation, du bout des lèvres, n’ait été que le prélude obligé à une condamnation sans appel de l’écrivain proférée du haut de son piédestal d’historien, de surcroit avec une joie mauvaise. Choqués donc qu’au moment où les voix de grands intellectuels s’élevaient contre l’arrestation d’un écrivain qui n’était coupable d’aucun acte criminel, l’historien, lui, tirait sur l’ambulance. 

A cette triste inconvenance, s’ajoutait une tentative de réfutation des propos de l’écrivain, tout à fait indigne d’un historien qui, s’il se vend habituellement comme « Monsieur Guerre d’Algérie », n’a jamais été un spécialiste de l’histoire ancienne du Maghreb. 

Mais qu’avait donc dit Boualem Sansal de si répréhensible ? « Tout le problème vient d’une décision prise par le gouvernement français : quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc, Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara […] la France a décidé comme ça, arbitrairement, de tracer une frontière… ».

Et que répliqua Stora à l’écrivain qui ne pouvait désormais plus lui répondre ?  

« C’est l’Émir Abdelkader qui a levé l’étendard contre la France… ! C’est un héros national en Algérie ! L’Emir Abdelkader qui était de Mascara… ! Mais je vais aller plus loin ! [Rires de Stora et du présentateur] C’est que celui qui a inventé le mouvement national algérien, avec d’autres, s’appelle Messali Hadj, il est né à Tlemcen… ! Tlemcen, c’est à la frontière avec le Maroc ! Et c’est lui qui va porter l’idée nationale ! Et on nous dit que ce n’est pas important ? ! »

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L’Emir Abdelkader a levé l’étendard contre la France, certes, mais quel étendard ? Celui de l’Algérie ? Non, elle n’existait pas comme nation. Ou plutôt l’étendard de l’islam et de quelques tribus de l’ouest ? L’Émir ne fut-il pas vaincu précisément parce que sa révolte resta seulement celle des tribus qui appartenaient à sa confrérie religieuse des Qadirya ? « Il se réclamait de la protection du sultan du Maroc, sous laquelle il a cherché refuge avant de reprendre la lutte en 1845 et de se réfugier une dernière fois au Maroc – qui l’obligea à se rendre aux Français – en 1847 », précise un historien moins soucieux d’idéologie, et plus des faits, Guy Pervillé. Enfin, si la Régence ottomane ne put s’emparer que de la partie orientale du Maghreb (Tunis) et de sa partie centrale (Alger), et jamais de sa partie occidentale, n’est-ce pas parce que le Maroc, au travers de toutes les dynasties qui l’ont constitué en royaume, avait déjà une personnalité suffisamment affirmée pour s’affranchir de son joug ?

Quant à Messali Hadj, en quoi viendrait-il contredire Sansal, lui qui devint le chef du premier parti nationaliste, le PPA… en 1933 ? Un siècle après la conquête française ! Et ce alors que la France a déjà annexé des territoires marocains, qui deviendront de la sorte des territoires algériens, sans que la promesse du FLN de redéfinir la frontière avec le Roi du Maroc après l’indépendance de l’Algérie ne soit jamais honorée, source de conflits et d’animosité jusqu’à aujourd’hui, puisqu’à plusieurs reprises les frontières ont été fermées, et les relations diplomatiques rompues. Au fait, l’historien partagerait-il la vision du PPA et de son chef Messali Hadj : « La Nation algérienne, arabe et musulmane, existe depuis le VIIème siècle » (selon le mémorandum présenté à l’ONU à la fin de 1948) ?

Et c’est sans doute parce que Stora est quand même conscient de sa faiblesse argumentative, qu’il n’hésite pas à franchir le pas de l’histoire vers l’affect : « Imaginez ce que ça représente pour les Algériens ! Ça blesse le sentiment national ! »Mais de quelle autorité, de quels travaux peut-il se prévaloir, pour se poser en spécialiste de la psyché algérienne ? Serait-il devenu l’avocat du pouvoir algérien, son ambassadeur ?

Question tout à fait légitime de mon point de vue qui ai eu plusieurs fois maille à partir avec cet historien.

Algérie, histoires à ne pas dire

Ce film qui montrait que la guerre de libération fut aussi une guerre d’épuration des populations non-musulmanes, fut interdit par les autorités algériennes dès que je le terminai, en juin 2007. Sorti en France en février 2008, Le Monde lui consacra sa 3ème de page. La critique cinématographique de Thomas Sotinel étant élogieuse, la journaliste politique Florence Beaugé se chargea de la contrecarrer sur le plan historique. Et face à Mohammed Harbi, que j’avais invité à voir le film, qui déclare honnêtement : « le principal mérite de ce documentaire est de jeter un pavé dans la mare et d’inciter les Algériens à accepter de se regarder, même si le miroir qu’on leur présente est déformant », les deux autres, Djerbal et Stora, « regrettent que les témoignages présentés par Lledo soient sortis de tout contexte »… Ah, ce « contexte », régulièrement convoqué pour atténuer la barbarie ! Le 7 octobre 2023, le Hamas se comporta de manière barbare… ? « Oui, mais… le contexte ! » Dans cet article, la journaliste ne trouvera rien de plus précis à leur faire dire. Et pour cause ! Ni l’un ni l’autre n’avaient vu le film ! J’avais organisé 3 projections (privées), en juillet à Alger où j’avais invité Harbi de passage, et Djerbal ne vint pas, et une générale en février 2008 à Paris où j’avais réinvité Harbi, mais pas Stora.

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Et si Stora s’est senti obligé de dire son désaccord avec l’arrestation de Sansal, dans mon cas, il ne s’éleva même pas contre la censure du film en Algérie. Et ce, pour la simple raison que la quête des personnages principaux, tous quatre Algériens musulmans, qui montre que l’épuration des non-musulmans est, durant toute la durée de la guerre d’Algérie, une stratégie concertée du FLN-ALN dès le début de la guerre, et non l’effet d’une cascade d’événements, va à l’encontre du méta-discours qu’il tient avec constance sur l’Algérie depuis ses débuts d’historien.

Le 5 juillet 1962 à Oran

En ce jour-là qui devait commémorer officiellement l’indépendance, suite aux résultats du référendum, eut lieu la plus grande tuerie de toute la guerre d’Algérie. L’historien Jean-Jacques Jordi, après plusieurs années de recherche dans les seules archives françaises, a réussi à identifier plus de 700 victimes assassinées ou disparues (quelques Arabes, une majorité de chrétiens, et une centaine de Juifs). Lorsque les archives algériennes seront ouvertes, ce nombre pourra être multiplié par deux ou trois. 

En 2013, je fis la description de cette terrible journée à propos de laquelle j’avais récolté des dizaines de témoignages d’Oranais de toutes origines, y compris familiaux, dans un article publié en deux parties par le Huffington Post qui s’attira une réponse de Stora contresignée par une dizaine d’universitaires et politiciens algériens qui n’avaient jamais écrit une seule ligne sur cette tragédie. 

Celui qui n’a jamais cru bon de consacrer un livre à l’évènement le plus meurtrier de toute la guerre, me répondit sans jamais évoquer mon film interdit en Algérie, dont la quatrième partie est entièrement consacrée à cet événement du 5 Juillet 1962. Notons que ce film n’a jamais été diffusé par une télévision en France, alors que Stora, qui n’est pas cinéaste, a bénéficié de ce privilège à de multiples reprises.

Mensonge direct ou par omission, diffamation, occultation, amalgame, fausse accusation, déduction abusive, tout cela en deux pages, sa réponse vise surtout à dénier que l’évènement ait pu être organisé en haut lieu… « Il ne faut pas non plus en venir à mettre en cause de manière globale et simpliste les indépendantistes algériens, ni négliger les nombreux témoignages qui relatent des faits de délinquance pure, commis dans un moment d’anarchie… ». Mais y a-t-il jamais eu un pogrom « spontané » ? La justice des Pays Bas ne vient-elle pas de déclarer que celui récent d’Amsterdam avait été concerté, technologie oblige, par WhatsApp ? La tuerie qui advint le 5 juillet 62, simultanément à la même heure (entre 11h et midi) dans tous les quartiers d’Oran, chrétiens et juifs, n’en est-il pas la meilleure preuve ? 

Mon film ne visait pas à se substituer au travail des historiens (véritables), mais à révéler des facettes de la guerre d’Algérie occultées par l’historiographie algérienne, qui sont absolument taboues. Pourtant, Stora m’accusait : « d’écrire une histoire hémiplégique qui ne s’intéresse qu’à une seule catégorie de victimes ». On voit bien aujourd’hui avec Sansal ce qu’il en coûte d’aller à l’encontre des narratifs historiques du pouvoir. 

Mais qui est « hémiplégique » ?

Le Rapport Stora de janvier 2021

L’Algérie n’ayant pas donné suite au projet d’un Rapport rédigé par une commission mixte d’historiens algériens et français, le président Macron commanda à Stora un rapport sur « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Publié en son nom propre, l’objectif déclaré est de contribuer à une réconciliation franco-algérienne en apaisant les mémoires. Le résultat fut un ratage complet, le pouvoir algérien considérant que les concessions françaises n’étaient pas suffisantes. Et pourtant à combien de courbettes ce rapport ne s’était-il pas complu ! (Voir mes commentaires sur les parties 1, 2, 3, 4 et 5 du rapport).

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Lorsque des « massacres » y sont évoqués, il ne s’agit que de ceux dont ont été victimes les « Algériens ». Stora ignorerait-il que dans la région de Sétif en mai 1945, puis dans le Constantinois le 20 août 1955, ce sont les nationalistes musulmans qui déclenchèrent des insurrections dont la cible, au faciès, furent les non-musulmans, n’épargnant même pas les communistes, pourtant partisans de l’indépendance ? Quant aux massacres des Harkis, ce ne seraient que des « représailles », ce qui est reprendre à son compte le narratif scandaleux de l’État algérien les criminalisant.

Stora propose de commémorer des dates symboliques. Par exemple la répression de la manifestation FLN à Paris du 17 octobre 1961. Mais pourquoi pas aussi le massacre du 26 mars 1962 commis par l’armée française, fauchant en quelques minutes, à la mitrailleuse, près de 80 civils Pieds-Noirs sans armes ?

Il propose de reconnaître l’assassinat de l’avocat et militant politique Ali Boumendjel. Mais pourquoi pas aussi l’assassinat du chantre juif de la musique andalouse Raymond Leyris, assassiné le 22 juin 1961 à Constantine, à ce jour non revendiqué par le FLN ? Musique « judéo-amazigho-arabo-andalouse », et non pas seulement « arabo-andalouse », rectifie Mr Stora qui est resté muet lorsque Khalida Toumi, quatre fois ministre de la Culture dans les gouvernements Bouteflika, déclara s’être donné pour objectif de « déjudaïser la musique arabo-andalouse » ![1]

Et le Panthéon ? Oui, mais pas pour Gisèle Halimi, originaire de Tunisie, qui hormis son métier d’avocate, se positionna comme une militante anti-harki et anti-pied-noir. Pourquoi pas plutôt l’écrivain Jean Pélégri, publié par Gallimard, dont toute l’œuvre est marquée par l’idée de la complémentarité mémorielle entre l’Arabe et le Pied-Noir, ainsi que par les drames des injustices coloniales, puis algériennes ?

Stora attribue au cinéma la vertu d’être un « formidable catalyseur de mémoire ». Bien sûr, mais pourquoi taire l’omnipotence de la censure en Algérie ? Et au-delà du cinéma et de la littérature, l’exemple du chanteur Enrico Macias, interdit d’antenne et de scène dans son pays natal depuis 60 ans, alors qu’il est adulé par les Algériens !

Alors qui est « hémiplégique » ?

Colloque sur les Juifs d’Algérie – Jérusalem – 24 au 26 Septembre 2024

Ce colloque, ouvert au public, qui s’est tenu en Zoom, avait réuni des universitaires israéliens et français. Les questions soulevées par les intervenants étaient intéressantes. Sauf qu’il en manquait une et de taille : celle de la judéophobie musulmane avant, durant, et après l’indépendance. Ayant eu à examiner les relations judéo-musulmanes dans divers ouvrages et conférences, Stora était l’un des invités. 

Dès la fin de son exposé, la parole me fut accordée et je posai deux questions, l’une aux organisateurs et la suivante à Stora :

  • Comment se fait-il que dans un tel Colloque sur les « Juifs d’Algérie », il n’y ait pas une seule intervention sur la judéophobie musulmane, laquelle a été une réalité historique et est toujours une question d’actualité ?[2]
  • Mr Stora, pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous avez constamment cherché à atténuer cette réalité ? Et pour ne prendre qu’un exemple, prenons celui du livre, commandité par l’Europe, que vous avez dirigé avec le Tunisien Abdelwaheb Meddeb Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, dédié à la conviviencia judéo-musulmane. L’un des articles écrits par l’un de vos amis constantinois, Abdelmajid Merdaci, fait les louanges de Raymond Leyris (il chantait en arabe, il y avait des Arabes dans son orchestre, etc.), sauf… qu’il occulte le fait que le musicien juif ait été… assassiné par le FLN, le 22 juin 1961.

Ne me laissant pas finir, Stora se mit à crier : « C’est faux ! ». Je pus lui répondre que c’était le témoignage de Jacques Leyris, le fils de Raymond. Menaçant de s’en aller, Stora continua son cirque, et les organisateurs coupèrent mon micro.

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Si j’avais pu poursuivre, j’aurais demandé aussi à Stora pourquoi dans le livre précité, il avait expurgé de la bibliographie les noms d’universitaires qui eux, n’avaient pas occulté dans leurs œuvres la judéophobie musulmane en Algérie, ces éminents chercheurs que sont Shmuel Trigano, Georges Bensoussan, Paul Fenton, et David Littman. Étrange coïncidence : ces mêmes universitaires n’avaient pas été invités à ce Colloque (à part Littman, décédé).

Conclusions

J’arrêterai là la liste loin d’être exhaustive de mes griefs. Ceux ici invoqués sont suffisants pour que l’on puisse se persuader que le coup de poignard dans le dos asséné à un écrivain jeté en prison n’était pas un lapsus. C’était plutôt la continuation en droite ligne de sa tentative d’exonérer de ses crimes le nationalisme algérien, et de sa vision irénique des relations judéo-arabes.

Pourtant si les chefs nationalistes masquèrent leur projet d’épuration ethnique durant la guerre d’Algérie, ils ne le dissimulèrent plus, l’indépendance acquise. Ainsi l’un des négociateurs des Accords d’Évian, qui fut un Premier ministre anti-intégriste durant la décennie noire, le « moderniste » Réda Malek : « Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé ».[3] Ou bien Ben Khedda, le président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), 1961-1962 : « En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale ».[4]

Benjamin qui, la retraite venue, semble découvrir sa judéité, aura-t-il le courage d’un Nathan Weinstock, lequel après avoir écrit deux ouvrages dans les années 70 qui devinrent la Bible des Falestiniens, osa remettre en cause ses convictions ébranlées par la réalité d’un terrorisme falestinien dont le but était et demeure la destruction d’Israël et des Juifs ? Osera-t-il à son tour écrire une histoire de la judéophobie musulmane en Algérie, aujourd’hui dissimulée en israélophobie ?

Je l’espère, sinon s’il s’entête à vouloir plaire aux uns et à ne pas déplaire aux autres, il lui faudra assumer l’inconfort d’être en alternance l’historien officiel de la repentance française, et à ses heures perdues, un ambassadeur plénipotentiaire. 

De la France ou de l’Algérie ? On ne sait trop…

Ah, j’oubliais… Comme à la bonne époque de votre trotskysme, vous vous êtes infiltré dans le Comité de soutien à Sansal. Quel culot ! Auriez-vous l’obligeance de vous en retirer ? Merci.


[1] Propos tenus le 10 février 2008 dans le quotidien algérien arabophone, de tendance islamique, Ech Chourouq.

[2] Voir J.-P. Lledo, « La judéophobie musulmane en Algérie avant, pendant, et après la période française » in Juifs d’Algérie, dirigé par Joëlle Allouche-Benayoun et Geneviève Dermenjian (PUF, 2015).

[3] Réda Malek, Accords d’Évian (Seuil, 1990).

[4] Ben Khedda, La fin de la guerre d’Algérie (Casbah Ed., Alger, 1998).

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Guerre en Ukraine : des torts partagés ?

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La guerre d’Ukraine n’aurait pas dû avoir lieu, ne cesse de dire Pierre Lellouche, ancien secrétaire d’État et chroniqueur du magazine Valeurs actuelles. Son dernier livre est un essai fouillé et incisif de bout en bout dans lequel il estime que les Européens ont péché par optimisme démocratique face à la Russie agressive de Vladimir Poutine.


« La fin de l’Europe de Yalta ne doit à aucun prix mener à l’Europe de Versailles », Zbigniew Brzezinski.

Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes puis du Commerce extérieur dans deux des gouvernements de François Fillon, nous explique dans son dernier ouvrage, Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde, pourquoi il pense et dit, et ce depuis le début, que la guerre en Ukraine aurait pu et aurait dû être évitée. Par ailleurs, il en déroule toutes les conséquences pour le monde, et le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont légion.

En 1991, après des siècles de dominations diverses (Pologne, Lituanie, Russie) où elle changea d’alliances pour se délivrer de l’ennemi d’hier, lequel n’était jamais le même, l’Ukraine acquit son indépendance à condition de rendre à César ce qui lui appartenait ; à savoir aux Russes tout l’arsenal nucléaire et militaire qu’elle comptait sur son territoire[1] et ce, parce que des traités lui garantissaient protection de la part de pays occidentaux. La Russie, de son côté, s’engageait à ne pas l’agresser ; ce qu’elle fit cependant, arguant que la Révolution de Maïdan était en fait un coup d’Etat perpétré par Kiev et les Américains pour se débarrasser d’un président pro-russe, ce qui rendait nulle et non avenue sa signature des traités.

Une sécession douloureuse

Mais revenons en arrière. Si la fin de la Guerre froide laissa espérer aux Russes une sorte d’accord avec les Américains pour protéger leur « zone d’influence » et pour que ces derniers ne s’empressent pas d’abriter sous leur aile otanusienne tous les anciens pays satellites, force fut de constater que rien de tel n’eut lieu. Le mépris « versaillais » l’emporta sur la raison, on regarda de haut cette « région provinciale » (Barak Obama) ou, pire encore, cette « grosse station d’essence avec des armes atomiques » (le sénateur John McCain). Et Pierre Lellouche d’affirmer : « L’Occident victorieux n’a pas cru bon de définir une architecture de sécurité qui fasse sa place à la Russie ». Pourtant, « avec la réunification de l’Allemagne, l’Alliance atlantique avait rempli sa mission historique. […] L’Europe centrale accédait quant à elle à la liberté. Un autre système de sécurité collective devenait alors possible, avec la Russie, et non contre elle ».

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Par ailleurs, et contrairement aux pays dits satellites, la Russie a toujours considéré l’Ukraine comme son centre de gravité. Se séparer d’elle radicalement, c’était s’amputer. Le « Petit russe » et le « Grand russe » comme on les appelait au XIXème siècle, tous deux slaves, tous deux orthodoxes, ayant une langue sinon commune au moins voisine, n’étaient pas voués à faire sécession, estime Lellouche. Sans compter que l’Ukraine a sur son sol une population russe (11,3 millions de Russes ethniques, soit plus de 22% des habitants) et une population ukrainienne souvent mélangées. Elles n’étaient donc pas promises au divorce et ce, malgré les affrontements du passé. Bref, si la Russie avait accepté l’indépendance de sa voisine, c’était à condition que celle-ci reste neutre et dans sa zone d’influence. Soljenitsyne, dans son essai Reconstruire la Russie publié en 1990, essai qui a beaucoup influencé Poutine, admettait cependant que si les Ukrainiens choisissaient de se séparer de la Russie, ils devaient pouvoir être libres de le faire « sauf pour les régions qui ne faisaient pas partie intégrante de la vieille Ukraine, c’est-à-dire la Novorossia : la Crimée, le Donbass et les zones proches de la mer Noire ». Comment mieux résumer l’histoire de cette guerre ? Et Kissinger (1923-2023) déplorera à son tour le malentendu entre Russes et Occidentaux au sujet de la fin de l’URSS, les seconds ne comprenant pas que seuls les non-Russes voulaient quitter « l’Empire ».

Une Europe naïve

Pierre Lellouche souligne fort bien les croyances et les incohérences du bloc occidental et en particulier de l’Europe. Après la chute de l’URSS, la démocratie avait gagné, la guerre devint un « impensé désagréable » et tous les pays du monde allaient se donner la main pour faire régner droits de l’homme et déconstruction post-nationale. Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.

Après, notamment, l’invasion de l’Irak par les Américains, le modèle occidental n’en fut plus un pour le restant du monde, et l’ordre mondial que ceux-ci avaient déterminé depuis 1945 fut remis en question par tous ceux qui, anciennement colonisés ou pas, n’acceptaient plus cette domination. Et les fameuses valeurs qui allaient avec. C’est ainsi qu’on vit émerger l’« affirmation identitaire des uns » et le « déni des réalités des autres » ; les autres étant ici les Européens qui avaient, du reste, remis leur sécurité dans les mains des Américains. Cette «servitude volontaire » fit que le sort de l’Ukraine dépendait infiniment plus de l’armement et de l’argent des États-Unis que de ceux de l’Europe qui n’auraient jamais été suffisants. Pour autant, cette dernière donna la modique somme de « 300 milliards d’euros pour un pays tiers, non membre de son alliance, en déléguant officiellement à ce dernier, et à lui seul, la responsabilité de dire quand et comment la guerre doit s’arrêter ». Ainsi, et même si l’Europe n’y suffirait absolument pas, on arme et on finance quand même une guerre sans avoir vraiment voix au chapitre, au nom d’une émotion dont l’auteur nous dit qu’elle joua un rôle considérable dans ce conflit. Tout semble désormais soumis aux bons sentiments ou aux grands principes moraux avec lesquels on ne fait pas de politique sérieuse. Encore moins de géopolitique tout court. 

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Selon Halford John Mackinder (1861-1947), le but de la géopolitique dont il fut l’un des maîtres au début du XXème siècle, n’est autre que « l’aboutissement à un équilibre des puissances, lequel garantit à chaque nation sa sécurité et représente la condition de ses libertés ». Or, ajoute Pierre Lellouche, « l’équilibre des puissances ne s’obtient pas, loin de là, par la seule proclamation de « droits », surtout si une telle proclamation conduit à engendrer des déséquilibres périlleux ».De fait, l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan obligerait le bloc occidental à entrer dans le conflit (même si, d’une certaine manière, il fait déjà la guerre à la Russie par procuration), ce qui mènerait tout droit à une Troisième Guerre mondiale. D’autre part, le minimum est d’avoir les moyens de ses beaux discours, et « l’hubris jupitérienne » ne palliera pas notre armée et notre armement amaigris… Pierre Lellouche n’hésite pas à dire que : « Cette défaite intellectuelle devant l’émotion, cette préférence pour le déni des réalités […] sont les symptômes, parmi beaucoup d’autres, de la maladie profonde de nos systèmes démocratiques ».

Avons-nous réveillé les quatre cavaliers de l’Apocalypse?

Alors, on diabolisa l’adversaire ; Poutine allait envahir l’Europe, cette guerre était la nôtre, la victoire devait être totale et donc sans concession. Il y eut pourtant plusieurs rencontres dans ce sens, avant le déclenchement de la guerre et même après. « Ma conviction est qu’une négociation à la mi-décembre 2021, si elle avait pu se teniraurait pu éviter les destructions et les 500 000 morts et blessés que nous déplorons aujourd’hui » soutient l’ancien secrétaire d’État. Et nous ne réussîmes, de surcroît, qu’à affaiblir notre propre économie avec des sanctions qui touchèrent fort peu la Russie, laquelle réussit à vendre ailleurs, et nous favorisâmes le tropisme eurasien en jetant les Russes dans les bras des Chinois. Et pas seulement eux ! Pierre Lellouche appelle les « quatre cavaliers de l’Apocalypse » la coalition entre Russie, Chine, Corée du Nord et Iran.

Dans une seconde partie, Pierre Lellouche s’attaque aux conséquences de cette guerre qui n’aurait pas dû avoir lieu : fin de la confiance dans les traités, ainsi que mise à mal de la dissuasion nucléaire, puisque, d’une part, la présence d’armes nucléaires n’empêcha pas une guerre de haute intensité et de longue durée, et que, d’autre part, la nucléarisation du monde bat son plein. Les Russes et les Chinois ont cessé toute coopération avec les Occidentaux pour freiner le programme iranien, et Poutine soutient « le droit de la Corée du Nord de renforcer sa défense […] contre la dictature néo-colonialiste mondiale ».

Et qui, mieux qu’Israël – selon Lellouche – pour représenter « ce porte-avions avancé de l’Occident colonialiste en Orient ? » C’est là que la guerre de Gaza, dont Pierre Lellouche rappelle opportunément qu’elle commença le7-Octobre, rejoint celle d’Ukraine, en créant un front anti-occidental global. Le nouveau damné de la terre est le Palestinien qui va inspirer non seulement au « Sud global » mais à nos universités, l’idée d’une « deuxième décolonisation ». Celle-ci trouvera un allié dans les BRICS+ (au nombre de 10, à présent) une organisation représentant près de la moitié de la population mondiale, le 1/3 du PIB et la moitié de la production de pétrole de la planète. Leur Nouvelle banque de développement (NDB) créée en 2014, sorte d’anti-FMI, compte bien échapper aux contraintes politiques et sociales imposées par Washington en vue de se passer, à terme, du dollar et des sanctions qui vont avec…

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Quant à l’Europe et à ses deux mantras fétiches – la transition énergétique qui rend « vertueux » et l’élargissement d’elle-même jusqu’à des pays qui sont de véritables poudrières (et ce… au nom de la Paix) –, elle s’englue dans des considérations administratives et juridiques sans réussir à organiser une défense commune, et surtout, sans se voir disparaître. Relégués au rang de consommateurs puisque nous avons favorisé la production à l’Est (véritable appel d’air pour les cerveaux de demain et pas seulement les petites mains), la Chine en particulier, qui produit du CO2 parfaitement mondialiste, ce qui rendra nos efforts de tri sélectif assez vains, nous dormons les yeux ouverts. La France surtout, de plus en plus à la remorque d’une Allemagne sachant toujours ou presque défendre ses intérêts, et sachant fort bien dans certains cas nuire aux nôtres.

Pierre Lellouche se demande alors si l’Europe va se réveiller, pour « préparer l’après-guerre en Ukraine, répondre aux défis économiques américain et chinois, tout en protégeant son identité, c’est-à-dire ses frontières face à des vagues migratoires sans précédent. Voilà le défi. Il est immense. C’est ici que Boutcha en Ukraine, Gaza en Orient, et Lampedusa en Sicile se rejoignent ».

Pierre Lellouche, Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde (Odile Jacob, 2024).


[1] 5000 ogives nucléaires, dont 376 missiles intercontinentaux, faisant de l’Ukraine la troisième puissance nucléaire, retournèrent en Russie.

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Geert Wilders instrumentalise-t-il les tensions entre les Pays-Bas et Israël ? 

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Les violences commises contre les supporteurs de Maccabi Tel-Aviv dans la nuit du 6 au 7 novembre ont provoqué une crise diplomatique entre les gouvernements israélien et néerlandais, crise exploitée par le dirigeant du Parti pour la Liberté qui pourrait l’utiliser pour mettre fin à la coalition au pouvoir.


L’amitié néerlandaise pour Israël connaît des limites que l’État hébreu semble ne pas hésiter à franchir. Ses accusations selon lesquelles les Pays-Bas auraient, le mois dernier, facilité des « pogroms » lors de la « nuit de Cristal » à Amsterdam, quand des supporteurs du Maccabi Tel-Aviv furent violentés, passent mal. Tout comme les appels téléphoniques « furieux », selon des médias néerlandais, du Premier ministre Benyamin Netanyahou et d’autres dirigeants israéliens aux responsables néerlandais. Le président Isaac Herzog, qui fut copieusement hué par des manifestants propalestiniens lors de l’ouverture du musée de l’Holocauste à Amsterdam en début d’année, aurait même accablé le roi néerlandais Willem-Alexander de reproches sur le manque de protection de Juifs dans la capitale néerlandaise.

Au Parlement de La Haye, l’opposition a exigé et obtenu que le gouvernement conservateur du Premier ministre, M. Dick Schoof, enquête sur « l’ingérence israélienne ». C’est que dans la foulée du mal nommé pogrom, le ministère israélien pour la Diaspora avait fait parvenir à des parlementaires néerlandais des rapports truffés d’inexactitudes et de mensonges, selon des non-destinataires. Ainsi, le Mossad aurait vainement prévenu les autorités amstellodamoises que des « commandos anti-juifs » tramaient des actions violentes contre les visiteurs israéliens. Et de désigner sur des réseaux sociaux, sans preuves, des activistes propalestiniens néerlandais comme de dangereux activistes à la solde du Hamas. Ce qui constitue une menace pour leur sécurité, aux dires du ministre de la Justice. Qui refusa pourtant la demande de l’opposition de « rappeler à l’ordre » l’ambassadeur d’Israël, dont les amis au parlement prirent les accusations pour argent comptant. 

L’ambassadeur avait fustigé « le terrorisme coordonné » par des malfrats dans les rues d’Amsterdam le 6 et 7 novembre, suite au comportement de hooligans israéliens qui, en scandant « fuck the Arabs » et en déchirant des drapeaux palestiniens, avaient mis le feu aux poudres. Des « jeunes des quartiers » y voyaient le signal de départ pour « une chasse aux Juifs », selon leurs messages sur WhatsApp lus pendant le procès de sept d’entre eux. (Le 24 décembre, quatre hommes ont été condamnés par le parquet d’Amsterdam à des peines de prison et un cinquième à des travaux d’intérêt général).

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Les Pays-Bas se sont également attiré les foudres de puissantes organisations juives aux Etats-Unis comme le Simon Wiesenthal Center de Los Angeles, qui a déclaré Amsterdam zone de non-droit pour les Juifs du monde entier. Au grand dam de la maire de gauche de la capitale, Femke Halsema, vilipendée par le ministre israélien des Affaires étrangères, M. Gideon Saar. Quand la maire disait regretter avoir prononcé le mot pogrom, jugé excessif, M. Saar l’accusait de vouloir « étouffer » les horreurs dans sa ville. 

Un hasard du calendrier vint envenimer la tension entre les deux pays amis d’antan : le 21 novembre, la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye émit des mandats d’arrêt pour crimes contre l’humanité contre notamment M. Netanyahou. Le ministre néerlandais des Affaires étrangères, M. Caspar Veldkamp, affirma que « Bibi » serait effectivement arrêté dès qu’il foulerait le sol néerlandais. Furieux de ce que La Haye puisse remplir ainsi ses obligations, Israël annula la visite de M. Veldkamp prévue pour une semaine plus tard. 

Cependant, l’État hébreu vient d’accueillir à bras ouverts le politicien anti-islam néerlandais mondialement connu, M. Geert Wilders, qui y entama une visite le 8 décembre, sa cinquantième, selon le journal Algemeen Dagblad. Au parlement, M. Wilders, condamné à mort par des organisations islamistes, dirige le groupe de députés de loin le plus important. Quelqu’un peu au fait de la réalité néerlandaise aurait pu le prendre pour le Premier ministre quand il s’était engagé dans une course à l’échalote pour saluer à l’aéroport d’Amsterdam le ministre Gideon Saar, venu tancer les responsables néerlandais pour leur non-assistance à fans de foot israéliens en danger. M. Schoof se trouvant à l’étranger, le gouvernement dépêcha dare-dare son ministre de la Justice pour être le premier dignitaire à se faire traiter d’incompétent, si ce n’est d’antisémite, par l’hôte israélien qui s’était auto-invité.

Les retrouvailles, une demi-heure plus tard, à l’aéroport, avec M. Wilders, furent cependant tout ce qu’il y a de plus chaleureuses.

Son israélophilie, datant de son séjour en Cisjordanie dans sa jeunesse, a plus d’une fois mis dans l’embarras la coalition gouvernementale dont pourtant il fait partie. Ainsi, l’été dernier, M. Wilders déclara que les Palestiniens « disposent déjà d’un État, la Jordanie ». Avis conforme à celui de la droite et l’extrême-droite israéliennes, mais qui va à l’encontre de la position officielle néerlandaise calquée sur celle de l’UE. La sortie de M. Wilders avait valu à l’ambassadeur néerlandais à Amman de se faire sermonner par le gouvernement jordanien. 

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En Israël, en tant qu’invité du parti Likoud au pouvoir, M. Wilders ne manqua pas de visiter quelques colons en Cisjordanie, devenus des potes au fil des ans, et de se faire couvrir de louanges à la Knesset. Sa poignée de main avec Netanyahou était comme un pied de nez au gouvernement de M. Schoof, tenu par la CPI de le faire arrêter. Si, en coulisse, d’autres membres de la coalition quadripartite branlante fustigent cette énième provocation, ils se sont engagés à en dire le moins possible, craignant que M. Wilders n’utilise une condamnation ouverte comme prétexte à retirer son Parti pour la Liberté du gouvernement. Tant pis pour ceux qui lui font confiance de mener « la politique d’asile la plus sévère jamais connue ».

Mener la bataille idéologique sur les fonctionnaires vipère au poing

Pour Benjamin Amar, quand les fonctionnaires sont attaqués, c’est l’État qui est visé. Il dénonce une charge libérale, voire « réactionnaire », basée sur des éléments biaisés et caricaturaux, alors que dans bien des domaines, le service public est plus efficace que la gestion privée.


À chaque fois qu’une crise économique éclate et engendre en cascade une crise politique, deux choses sont certaines : le soleil va se lever le lendemain, et des langues fourchues des cercles politiques et médiatiques vont sortir de leur antre sombre, tel Caliban, pour distiller leur fiel sur les fonctionnaires. Cette passion triste consistant à fustiger les fonctionnaires est une obsession historique de la bourgeoisie, comme en atteste le roman médiocre de Courteline en 1892, Messieurs les ronds-de-cuir. Des figures littéraires, légères comme le parpaing, s’y moquent à longueur de pages de la prétendue faculté́ inépuisable des fonctionnaires à tirer leur flemme, en protégeant leur arrière-train par un petit coussin de cuir posé sur leur fauteuil.

Derrière les fonctionnaires, c’est bien sûr l’État qui est visé par les libéraux et les réactionnaires, dans ses prétentions à intervenir dans la sphère économique et sociale. En jetant du vitriol sur les agents de l’État, décrits comme des parasites inutiles et incompétents, c’est bien celui-ci qui est frappé d’infamie. Cette complainte antiétatique et antifonctionnaires est portée par de nombreux prophètes et oiseaux de mauvais augure, qui sont autant de figures tutélaires de la droite dure du monde occidental : Pierre Poujade, le papetier de Saint-Céré en croisade dans les années 1950 contre « l’État vampire », Margaret Thatcher, qui fera fondre les effectifs des agents publics comme de la neige sous un soleil de plomb, ou Ronald Reagan, qui diminuera le budget des administrations publiques américaines de 41 milliards, dès son arrivée au pouvoir.

Une doctrine antifonctionnaires reposant sur des éléments biaisés

D’ailleurs nul besoin d’ouvrir des archives poussiéreuses pour faire ce constat. Donald Trump, qui vient d’être réélu, souhaite tailler dans les effectifs publics de façon drastique et il a nommé Elon Musk à la tête d’une commission pour « l’efficacité gouvernementale ». Musk a annoncé la couleur : il veut renvoyer des milliers d’agents et il parle des fonctionnaires comme d’une « bureaucratie enkystée qui est une menace existentielle » pour le pays. Rien que ça ! On le voit donc, cette ritournelle est une boussole des propagandes de droite à l’échelle internationale. On ignore trop souvent que cette sale rengaine entendue en France comme un juke-box rayé fait aussi un tabac outre-Atlantique.

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Il faut souligner à quel point cette doctrine antifonctionnaires repose sur des éléments biaisés qui sont autant de caricatures. Expliquer que la France serait la championne du monde de la fonction publique en arborant comme une oriflamme le chiffre des 5,4 millions de fonctionnaires est d’une grande malhonnêteté, dès lors qu’on oublie que l’indicateur le plus pertinent est le nombre de fonctionnaires pour 1 000 habitants. Or la France de ce point de vue est largement devancée par des pays parmi les plus développés : avec ses 89 agents pour 1 000 habitants, l’Hexagone est loin derrière la Norvège (159), le Danemark (142), la Suède (138), ou encore le Canada (100). Et la Grande-Bretagne n’est pas bien loin (80). En revanche, les réactionnaires et les libéraux de tous crins passent beaucoup plus sous silence qu’en comparaison avec les pays de l’OCDE, la France paie très mal ses agents. On les comprend quand on sait que les professeurs français sont moins payés que leurs collègues slovènes, portugais ou colombiens : il est compliqué dès lors de les présenter comme des privilégiés et des nababs.

Autre baratin éculé et rabâché par les propagandistes de droite et d’extrême droite sur les services publics et leurs agents : l’efficacité amoindrie et supposée par rapport au privé. Quand la privatisation et le découpage de la compagnie des chemins de fer britanniques ont été lancés en 1996, ses thuriféraires annonçaient des trains sûrs et ponctuels. Le désastre a été tel, la British Railway est devenue un tel marasme avec ses tarifs exorbitants, ses accidents à répétition, ses retards systématiques et ses wagons fantômes qui se décrochent de la locomotive que la renationalisation vient d’être votée au Parlement et elle est soutenue par les deux tiers des Britanniques. On pourrait multiplier les exemples où la gestion publique s’est révélée plus optimale et efficace que la logique privée, à l’instar de la gestion des eaux dans les villes, où la délégation de service public vers le privé est de moins en moins majoritaire, car elle signifie souvent surcoût et facturation excessive pour les usagers.

« Jusqu’à quand enfin vas-tu abuser de notre patience ? »

La réalité est que les fonctionnaires, à travers leur mission de service public, défendent l’intérêt général. Leur mission est essentielle pour notre vie quotidienne, mais aussi en cas de drame et de catastrophe naturelle. Et leur absence ou leur présence insuffisante engendre à juste titre protestations et colères. Un des motifs du mouvement des gilets jaunes fut l’éloignement des services publics. Quand les inondations frappent ou que le gel paralyse les transports, ce sont les fonctionnaires territoriaux qui se lèvent à l’aube ou se couchent très tard pour des salaires bien chiches. Il y a des millions d’heures supplémentaires non payées et non récupérées par les fonctionnaires hospitaliers qui pourtant n’ont jamais cessé de veiller sur nous pendant et après le Covid. Les macronistes qui les faisaient applaudir en 2020 à vingt heures sont ceux qui, avec le ministre de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, en 2024, veulent leur imposer trois jours de carence sous prétexte qu’ils seraient absentéistes.

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« Jusqu’à quand enfin vas-tu abuser de notre patience ? » lance Cicéron à Catilina. On peut poser la même question à ceux qui surjouent la division des travailleurs du privé et du public, alors que la précarité progresse partout de façon transversale, tout comme le fait d’être à découvert le 5 du mois. Cette division sert les intérêts de ceux qui veulent continuer à payer au lance-pierre, à casser le Code du travail et la Sécurité sociale. Dans le climat délétère du « tous contre tous », le fonctionnaire est avec le chômeur et l’immigré une cible de choix pour ceux qui veulent faire diversion sur leurs politiques scélérates.

À dire vrai, tout syndicaliste de classe et de masse doit faire de la défense des travailleurs du privé et des fonctionnaires un impératif en toutes circonstances. Car il faut redonner à chacune et à chacun la fierté du travail. En rejetant d’un revers de main les calomnies diffusées par ceux qui veulent faire opportunément de nous tous le privilégié du voisin. Pour ma part, je mènerai cette bataille idéologique, vipère au poing, jusqu’au neuvième cercle de l’Enfer. La preuve, je publie une tribune dans les colonnes de Causeur !

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D’un gouvernement minoritaire l’autre

Comme cadeau de Noël, les François ont reçu un nouveau gouvernement et le Père Noël qui l’a apporté, c’est François Bayrou. Mais comme beaucoup d’autres cadeaux, il risque d’être oublié dès le mois de janvier. Analyse de Céline Pina.


La composition du gouvernement a été annoncée. Elle acte d’emblée l’échec prévisible de François Bayrou. Celui-ci a été incapable d’élargir l’assise du gouvernement. Le nouveau gouvernement couvre le même périmètre que celui de Michel Barnier et force est de constater que l’on est confronté aux mêmes limites politiques, le côté sympathique et rassurant en moins. L’interview de François Bayrou qui a suivi ne pouvait que confirmer ce sentiment. Apolline de Malherbe comme Benjamin Duhamel ont bien tenté de faire dire quelque chose de consistant au nouveau premier ministre, mais à part de savantes dissertations sur la méthode idéale pour bâtir un gouvernement et des louanges auto-administrées sur sa propre lucidité et son courage, force est de constater que personne ne sait où va la France. Cela n’interpelle pas l’égo surdimensionné du nouveau chef du gouvernement qui ne parait pas voir que le seul chemin de crête qui reste dans sa situation oscille entre l’échec programmé et l’immobilisme guère salvateur. Il n’a pas déjà commencé son tour de ménage que la seule mélodie que l’on a en tête est la fameuse chanson de Jacques Brel : « Au suivant ».

Tout ça pour ça

L’échec de l’élargissement est symbolisé par le refus de soutien du PS, même si le ministre de l’Économie et des finances, Éric Lombard a été choisi pour donner des gages à l’ancienne gauche de gouvernement. Mais le trophée a d’ores et déjà été décroché du mur : la tentative de séduire le PS a échoué. Le parti est entre les mains de LFI, il a besoin de l’électorat radicalisé des quartiers mais, ce faisant, il a affaibli son propre électorat et a perdu toutes ses caractéristiques de parti de gouvernement. Il n’a guère d’autre choix que de rester à la solde de LFI, il n’a plus rien à dire au pays, pas de chemin à tracer, pas de personnalités susceptibles de constituer un repère, d’incarner même quoi que ce soit. L’ancien président Hollande a continué à montrer dans l’opposition la même médiocrité que lorsqu’il était au pouvoir et ne peut même pas se prévaloir de la sagesse issue de l’expérience. Pour la plupart des Français, il est insignifiant.

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Certes, quelques personnalités de gauche qui n’ont pas cautionné la dérive antisémite de LFI ni l’alliance avec les islamistes, comme Manuel Valls ou François Rebsamen, sont présentes, mais elles n’appartiennent pas à une force constituée ou à un courant d’opinion structuré. Elles n’ont pas de troupes parlementaires. Sans surprise donc la gauche adepte de l’antisémitisme s’étouffe de rage et nous sert à nouveau la complainte de ceux à qui on a volé l’élection alors qu’elle est tout aussi minoritaire que les autres forces représentées au parlement. Quant au leader du PS, tout en nuance et justesse, il hurle au fascisme sans se rendre compte qu’en s’alliant avec une LFI antisémite et adepte de la violence politique il cautionne au nom d’un fascisme qui n’existe pas (celui attribué à Marine le Pen), une dérive à gauche qui, elle, est bien réelle. Il parle donc de « provocation » et de « droite extrême au pouvoir sous la surveillance de l’extrême-droite ». Pour la gauche, regarder en face la question migratoire et sécuritaire, c’est sombrer dans le nazisme.

Certes l’annonce du tandem Retailleau-Darmanin, le premier à l’Intérieur et le second à la Justice envoie un message de cohérence sur le régalien et c’est une première, mais le gouvernement étant minoritaire, il n’y a guère de chemin législatif sans le soutien du RN. Mais peut-être sera-t-il possible d’afficher des résultats en matière d’expulsion, de rétablissement des contrôles et d’agir via tout ce qui est réglementaire. Marine Le Pen a à ce sujet une réaction de bon sens. Elle fait le constat que les Français n’attendaient pas grand-chose de cette nomination et que ce gouvernement « s’appuie comme le précédent sur une absence manifeste de légitimité et une majorité introuvable ». Quant à Laurent Wauquiez, président de la droite républicaine, il annonce que les « votes se décideront texte par texte » et ne s’interdit pas de « retirer son soutien », déjà peu ferme.

Un siège éjectable

Mais là où Michel Barnier avait au moins réussi à donner un peu de lustre et de hauteur à la fonction politique et avait su se montrer rassurant et élégant, François Bayrou peine à s’extraire du commun, voire d’une forme d’affrontement sans véritable objet qui fait du mal à la politique. Sa dispute avec Xavier Bertrand à coup de communiqués ne grandit pas les deux parties. On se demande pourquoi le ministère de la Justice aurait été proposé à Xavier Bertrand alors que ce ne pouvait être qu’urticant pour Marine Le Pen et que le gouvernement a besoin de l’abstention du RN pour durer. D’ores et déjà, le ministère de la Justice, institution contestée et peu reconnue par les Français, subit l’impact de cette querelle politicienne alors que les Français ont besoin de retrouver confiance en la justice de leur pays. Une justice dont ils trouvent les jugements laxistes ou déconnectés, en tout cas souvent incompréhensibles et peu fiables. Sur ce terrain, le règne de François Bayrou commence mal.

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D’autant plus mal que l’interview donnée pour expliciter le choix du gouvernement a montré un dirigeant sans colonne vertébrale ni feuille de route claire, ayant surtout l’air de jouir de sa propre image et de se contempler en majesté. Ici le chambellan n’est pas nu, mais c’est parce qu’il porte les vêtements du roi. Or, comme celui à qui il l’a subtilisé, le costume est bien trop grand et entrave plus ses mouvements qu’il ne les revêt de sens et d’éclat. De ce que l’on a vu, le gouvernement Bayrou devrait tenir tant que les oppositions n’auront pas intérêt à appuyer sur le siège éjectable. D’ores et déjà, Mathilde Panot a écrit ce que tout le monde sait. C’est la démission du président de la République qui se dessine si la France est incapable de voter un budget. Et cela ne dépend ni de François Bayrou, ni d’Emmanuel Macron, mais de l’agenda de Marine Le Pen, puisque côté LFI l’addiction à la censure est manifeste, reconnue et systématique. 

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L’éléphant de Mazan

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Beaucoup de commentateurs voient dans l’affaire Pélicot la preuve que notre société est profondément patriarcale. Mais le procès Pélicot démontre tout le contraire.


Maintenant que les sanctions ont été prononcées, que le procès est achevé – en attendant toutefois les diverses procédures en appel – et que l’émotion retombe un peu, comme la neige dans une petite boule de verre trop secouée, on peut essayer de hasarder une ou deux remarques sur ce procès de Mazan que certains n’hésitent pas à qualifier « d’historique ».

Avant tout, et pour éviter tout malentendu, je tiens à saluer moi aussi le courage et la dignité dont a su faire preuve Mme Pélicot, et à souligner que les violences qu’elle a subies méritent la compassion et le respect de tous.

Cela dit, intéressons-nous au retentissement et à l’interprétation donnés à ce procès. Procès d’une cinquantaine de violeurs d’occasion, procès d’un homme incontestablement pervers qui a pu droguer son épouse pour la livrer auxdits violeurs. Mais aussi, paraît-il, procès d’une « culture du viol » qui irriguerait notre société, d’un « patriarcat » encore et toujours dominateur et oppresseur, d’une « masculinité toxique » qui expliquerait les agissements de M. Pélicot et dont la violente mise en évidence devrait pousser les hommes, tous les hommes, unanimement et indistinctement, à s’interroger et à se remettre en question.

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Eh bien, non. Parce qu’il y avait un éléphant dans le prétoire. Un éléphant tellement énorme que personne ne semble l’avoir remarqué.

Cet éléphant, c’était le procès lui-même.

Car s’il y a eu procès – et plus encore, s’il y a eu sanctions – c’est bien que notre société, collectivement, considère les actes de M. Pélicot et de ses co-accusés comme répréhensibles et méritant d’être punis. La Déclaration des Droits de l’Homme, dans son article 6, définit la loi comme « l’expression de la volonté générale ». Si en vertu de la loi, M. Pélicot et ses co-accusés ont pu être punis de trois à vingt ans de prison, c’est bien que cette « volonté générale » qui émane de chacun des citoyens français, sans distinction de genre, réprouve leurs actes et en exige le châtiment. Et par conséquent, c’est que la « culture du viol » et le « patriarcat oppresseur » ne structurent pas notre société autant que nos néo-féministes de choc veulent bien le clamer à grands coups de trompette.

Dans une société véritablement « patriarcale » au sens où l’entendent lesdites néo-féministes, les actes de M. Pélicot et de ses complices auraient été considérés comme une bagatelle à peine digne d’une légère réprobation. Ou bien, ils auraient été regardés sous un tout autre angle. En veut-on un exemple ? En août 2017, dans un village du Pakistan, une jeune fille fut violée. Le conseil des anciens estima que cela nuisait à l’honneur de sa famille et qu’il fallait réparation. Sitôt dit, sitôt fait : le frère de la jeune fille fut autorisé à… violer à son tour la sœur du violeur. Voilà ce qu’on peut appeler une justice patriarcale, pour laquelle les considérations tribales et familiales comptent largement plus que les souffrances infligées à une femme. Reconnaissons que nous en sommes très, très loin, et que – fort heureusement – nous portons sur le viol et les violences sexuelles un tout autre regard.

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Qu’il se soit trouvé en neuf ans une cinquantaine d’hommes assez en mal de sexe ou de fantasmes pour donner suite aux propositions ignobles de M. Pélicot, c’est un fait. Mais que ces hommes aient été arrêtés, emprisonnés, jugés et condamnés, c’est aussi un fait. Un fait qui démontre que leurs actes nous ont parus, collectivement, inacceptables. Vouloir ériger ces cinquante coupables en stéréotypes du comportement masculin, cela n’a pas plus de sens que de prétendre que les auteurs de hold-up, de trafic de drogue, de meurtre ou de tout autre crime ou délit punis par la loi sont représentatifs de telle ou telle catégorie de population dans sa totalité. Pour ma part, je suis révolté par les agissements de M. Pélicot et de ses complices. Je trouve normal et sain qu’ils aient été jugés et condamnés. Mais je ne me sens pas plus concerné ou impliqué par leurs actes que par ceux de n’importe quel groupe de braqueurs, de violeurs ou d’assassins dont l’actualité, hélas, nous fait connaître régulièrement l’existence.

Vols de kiki

Sorcellerie et autres maraboutages, les légendes urbaines connaissent un nouveau sursaut avec les réseaux sociaux et un homme africain averti en vaut deux : surtout lorsqu’il est question de ses bijoux de famille…


Fin octobre, une information improbable a inondé les réseaux sociaux en Afrique subsaharienne : les hommes centrafricains auraient été victimes, en pleine nuit, d’un vol de pénis en série. Les coupables présumés ? Des agents de la DGSE française, accusés de chaparder les fiers attributs masculins africains pour… fabriquer une potion dans un bunker secret sous le palais de Versailles afin de revigorer le vit tricolore français en berne. Certains médias ont même pointé le rôle des nanotechnologies dans cette opération censée apporter une solution aux problèmes démographiques de l’Hexagone.

De telles accusations de vol de sexe ne datent pas d’hier. Déjà dans les années 1970, le Nigeria a été le terreau de récits similaires, souvent liés à des affaires de sorcellerie. Dans la plupart des cas, les « victimes » retrouvaient leurs précieux attributs aussi mystérieusement qu’ils les avaient perdus – souvent sous le regard perplexe des juges et des médecins. Qu’importe la réalité scientifique : les légendes urbaines ont la vie dure, surtout dans des régions où les croyances traditionnelles restent profondément enracinées.

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Rassurez-vous, cette nouvelle affaire a tout l’air d’un coup monté. L’information, soigneusement agrémentée d’une pincée de néocolonialisme, a provoqué un torrent de commentaires antifrançais sur les réseaux sociaux africains. Si le site malien bamada.net est à l’origine de cette fake news virale, elle a été relayée par des comptes ayant des liens avec des usines à trolls russes, experts en désinformation. Leur objectif ? Saborder l’image de la France en Afrique. Car ne nous y trompons pas, cet épisode grotesque s’inscrit dans une guerre d’influence plus large entre Paris et Moscou, où tous les coups sont permis – même les plus absurdes. Pendant ce temps, la France, visiblement prise de court, a préféré défendre son rôle sur le continent en parlant sécurité, développement et coopération que de commenter un article éphémère représentant décidément un coup en dessous de la ceinture.

Parigots : têtes de veau et vaches à lait

La Mairie de Paris est tellement généreuse avec l’argent des Parisiens, qu’elle ignore le nombre exact de fonctionnaires qu’elle entretient, et continue, chaque année, d’embaucher de nouvelles légions.


« La Ville de Paris a plus de fonctionnaires que toutes les institutions de l’Union européenne dans tous les États de l’Union réunis. On jette l’argent par la fenêtre et on s’étonne que nos services publics manquent de moyens », lançait à l’Assemblée Philippe Juvin, député LR de Courbevoie, le 21 octobre. Les jours suivants, des démonstrations spécieuses fusaient dans la presse pour tenter de prouver le contraire. Or, l’Union européenne, toutes institutions et agences confondues, emploie bien 56 000 personnes pour quelque 500 millions de citoyens ; quand notre Hôtel de Ville totalise 51 578 fonctionnaires pour à peine plus de 2 millions d’habitants – et encore, sans compter les agents qui travaillent pour les innombrables satellites de la Ville, dont le centre d’action sociale, qui dénombrait à lui seul 5 952 salariés en 2020[1]. C’est pourquoi on évoque un bataillon de 51 578 individus, ou 52 000, 55 000, voire plus encore. Tous ces chiffres officiels prouvent que personne ne sait exactement combien de fonctionnaires la Ville de Paris entretient ! La chambre régionale des comptes (CRC), qui a le mauvais goût de vouloir compter juste, estime qu’entre 2014 et 2020, les effectifs sont passés de 47 970 à 51 437. Depuis, il a fallu embaucher du personnel de crèches, des agents en pagaille, des responsables de bidules écolos… et voilà comment la Mairie de Paris justifie la création de 1 031 postes en 2024 : 359 sont dédiés à la police municipale, 322 à la « résorption de l’emploi précaire » (mais encore ?) ; 104 aux « enjeux de développement durable, des mobilités douces » (ben voyons !) ; 63 « pour soutenir la politique de construction du logement social » (pour 100 % de HLM ?), etc., et 11 postes pour les Jeux olympiques (c’est passé, non ?). La Ville prévient déjà que le nombre d’employés nécessaires à « la propreté et à la qualité de l’espace public » (prière de ne pas rire) augmentera encore l’année prochaine. Et il n’est nullement question de remettre en cause les 395 génies qui suent au service communication.

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L’Hôtel de Ville étant peuplé de gens bien élevés, on ne parle jamais d’argent, mais cette générosité coûtera cette année aux Parisiens plus de 2,8 milliards d’euros de salaires, soit le deuxième poste de dépenses. Rapport après rapport, on constate aussi une augmentation du nombre d’« encadrants » et une diminution d’« agents d’exécution », jusqu’à arriver à des situations dignes de Boulgakov. Le rapport social 2021 de la Mairie fait état de 34 directeurs en 2018 et de 36 en 2021 pour gérer… 22 directions.

Serait-ce un problème d’organisation ? Le Land de Berlin, qui emploie 120 000 personnes pour plus de 3,4 millions d’habitants, s’est lancé à la chasse aux postes inutiles depuis des années (déjà 20 000 fonctionnaires recasés), et la Ville de Londres est à la diète avec 74 000 employés pour plus de 8,9 millions d’âmes. Ces travailleurs doivent sûrement travailler car, en plus, à Paris, le taux d’absentéisme cette année est en moyenne de 39,6 jours. Il est de 9,7 dans la fonction publique à l’échelle nationale et de 6,7 dans le privé.

Finalement, le plus faible contingent sur lequel peut compter Anne Hidalgo est celui des Parisiens qui ont voté pour elle à la dernière élection présidentielle : moins de 23 000.


[1]. Le Parisien, 12 décembre 2022.

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Une fatwa anti-Hamas

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© D. R.

Les langues se délient contre le Hamas, le professeur Salman Al-Dayah condamne leurs actions dans une fatwa, jugeant qu’ils ont « violé les principes qui régissent le djihad »… nourrissant le débat dans le monde arabo-musulman sur le recours à la violence.


Le pogrom du 7-octobre vient d’être condamné, non par quelque institution occidentale suspectée de philosémitisme, mais par un des érudits religieux les plus respectés de Gaza. D’après la BBC, le professeur Salman al-Dayah, anciennement doyen de la faculté de charia et de droit de l’université islamique de Gaza, a publié début novembre une fatwa, ou avis juridique, qui condamne le Hamas pour avoir « violé les principes islamiques qui régissent le djihad ». La fatwa, dont le texte de six pages a été posté sur Facebook, assène que si le djihad – qu’il soit une lutte pour le progrès spirituel ou un combat armé contre les infidèles – ne respecte pas ses propres « piliers, causes ou conditions », « il doit être évité pour ne pas détruire les vies des gens ». En lançant l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », les dirigeants du Hamas auraient pu prévoir la réponse d’Israël qui dispose d’une puissance militaire écrasante. Ils auraient dû donc abandonner ce projet afin d’épargner des vies palestiniennes. L’érudit dénonce aussi l’utilisation de la population civile et de ses infrastructures comme boucliers humains, accusant le Hamas de ne pas respecter l’obligation « d’éloigner les combattants des maisons et des abris des civils sans défense » et de faire le plus possible pour garantir leur sécurité, leur santé, et leur accès à l’éducation et à l’activité économique. Enfin, il pointe la part de responsabilité du Hamas dans la pénurie d’approvisionnements à Gaza. Étayant ses arguments par des citations du Coran et des références à la sunna, le professeur déclare : « La vie humaine est plus précieuse aux yeux de Dieu que La Mecque. » Salafiste modéré voire quiétiste, Salman al-Dayah s’oppose au Hamas sur plusieurs points : le bien-fondé de la lutte armée, la priorité accordée aux décisions des dirigeants politiques plutôt qu’aux principes islamiques et la coopération avec l’Iran chiite. Sa fatwa est une humiliation pour le Hamas qui se targue de justifier ses actions par des arguments religieux. Elle pourrait aussi nourrir le débat dans le monde arabo-musulman sur le recours à la violence dans la poursuite de buts qu’on prétend spirituels.

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Mal de maires

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106e Congrès des Maires à Paris, 21 novembre 2024. Au centre, David Lisnard, président de l'Association des Maires de France © Lionel Guericolas /MPP/SIPA

Dans les hautes sphères administratives, tout le monde est convaincu que le mille-feuilles territorial et la fonction publique qui va avec nous coûtent un pognon de dingue. Cependant les élus locaux ont de solides arguments pour résister aux coups de laminoir envisagés à Paris.


Dans les années 1990, les cours de Sciences-Po parlaient des « grandes lois de décentralisation ». Le pouvoir se rapprochait du peuple. Aujourd’hui, on ne sait plus comment se dépêtrer de cette usine à gaz territoriale devenue pompe à fric. Début octobre, la Cour des comptes a rendu public un rapport pointant une dérive des dépenses des collectivités (communes, départements et régions). L’analyse des sages de la rue Cambon est assortie d’une proposition : se séparer de 100 000 agents de la fonction publique territoriale (FPT) pour économiser 4 milliards d’euros par an.

Agacée, l’AMF (Association des maires de France) a rejeté en bloc les chiffres comme les propositions du rapport. Les élus locaux n’en démordent pas : leurs collectivités, qui ne cessent d’assumer de nouvelles compétences, ont besoin de personnel. Ce n’est pas chez eux qu’on trouvera du gras. Résultat, Michel Barnier, qui dans une de ses premières moutures budgétaires pensait leur imposer un régime minceur de 5 milliards d’euros, a battu en retraite. Au-delà des polémiques, ce dialogue de sourds entre l’État et les collectivités par le truchement de la Cour des comptes met en lumière une question fondamentale : qui fait quoi et qui paie quoi ?

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Dans cette affaire, tout le monde a raison et tout le monde a tort. Pour le comprendre, il faut mettre de côté les « villes-mondes » comme Paris, où se trouvent les plus grands centres de décisions et qui attirent les talents internationaux, pour s’intéresser aux communes plus modestes, dans lesquelles vit la majorité des Français. Sur ces territoires, qui font le charme du pays, le maire n’est pas seulement un dirigeant, il est un pilier social, l’incarnation de l’existence même d’une communauté politique.

Recruter est une course d’obstacles pour les élus locaux

L’édile d’une ville moyenne confie, non sans une pointe d’amertume : « Il y a des agents que nous conservons simplement parce qu’ils ne trouveraient jamais un emploi ailleurs. Les licencier créerait un drame. Je suis le premier employeur de la ville ! » Un « maire poule » en somme. Et d’ajouter : « Quelques dizaines d’autres glandouillent, mais ils sont intouchables à cause du statut des fonctionnaires. » La gestion des ressources humaines dans la FPT, ce n’est pas seulement une affaire de comptes, mais de parents qu’on croise au marché, d’enfants qu’on a vus naître. Et puis, il y a tous ces risques de procès si l’on touche à un cheveu du personnel. Sans oublier les calculs électoralistes et leur volet clientéliste. Les maires se trouvent souvent face à des dilemmes difficiles à trancher.

En prime, recruter est une course d’obstacles pour les élus locaux, qui doivent en permanence jongler entre statuts et contraintes administratives. Surtout que les agents de la FPT, majoritairement de catégorie C (71,3 % contre 20 % pour l’État), souffrent d’une rémunération modeste et ne bénéficient pas des mêmes avantages que leurs collègues de la fonction publique d’État. Nombre de ceux que nous avons interrogés indiquent, par exemple, ne pas disposer de titres-restaurant.

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Un indicateur clé permet cependant d’esquisser une analyse comparative : le taux d’encadrement, qui mesure le nombre d’agents municipaux pour 1 000 habitants. À première vue, ces chiffres semblent éclairants. Avec 20 agents pour 1 000 habitants, la commune du maire cité plus haut affiche un ratio similaire à des villes comme Rennes ou Angers, mais largement supérieur à celui de métropoles comme Marseille (13,8) ou Lyon (14,3). « On ne peut pas comparer les mairies sur le simple taux d’encadrement, cela dépend énormément des niveaux de gestion territoriale », relativise le maire. Il n’a pas tort. Un directeur de mairie en Île-de-France explique : « Nous avons de nombreux équipements sportifs et culturels qui profitent aux habitants des communes voisines, mais ce sont nos agents qui les gèrent. » Ces disparités brouillent les comparaisons.

La nécessité d’une simplification drastique du mille-feuilles administratif

Reste un constat implacable : la décentralisation, amorcée par la loi Defferre en 1982, a multiplié les échelons administratifs. Et les « mutualisations » annoncées n’ont pas toujours fait diminuer les effectifs. Car il ne suffit pas de répéter que « le service public a un coût légitime ». Il faut répondre aussi à la question : ce coût est-il optimal ? Or, malgré des dépenses conséquentes, le citoyen moyen continue de pointer du doigt la qualité des services publics, qu’il juge insuffisante. L’exemple de Montpellier est édifiant. Entre 2015 et 2021, la Ville a vu ses charges de personnel augmenter de 18 millions d’euros, tandis que ses effectifs passaient de 3 510 à 3 710, malgré une mutualisation avec la métropole et une externalisation de certains services. « Toujours de bonnes raisons d’embaucher, mais peu de critères objectifs pour évaluer l’efficacité », alerte un rapport de la chambre régionale des comptes d’Occitanie.

Dans les plus petites villes, le sujet est tout autre. En Île-de-France, un élu raconte comment sa commune a privatisé la gestion des crèches : « Cela a réduit les coûts et satisfait les parents, mais les anciens agents municipaux ont été maintenus jusqu’à leur départ en retraite. » Une transition peu optimale, qui s’explique à la fois par les difficultés administratives quand on veut réaffecter un agent, et par l’effet « petite ville » où tout le monde croise tout le monde.

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À ces problématiques s’ajoutent les nouvelles missions confiées aux communes, comme la délivrance des passeports ou des cartes d’identité. Dans une autre mairie d’Île-de-France où nous avons enquêté, deux agents ont dû être embauchés pour cette tâche, alors que les recettes générées reviennent intégralement à l’État.

Pour les élus et les fonctionnaires locaux, la solution passe par une simplification drastique du mille-feuilles administratif et une autonomie accrue. « Laissez-nous faire les grands choix dans un cadre légal clair et égal pour tous, assuré par l’État », plaide un maire. Les grilles salariales figées, la rigidité statutaire et le manque de flexibilité découragent les talents, particulièrement chez les cadres, et ne permettent pas d’attirer des techniciens hautement qualifiés. Bref, il ne faut rien s’interdire. Surtout pas de réfléchir à la pertinence d’un statut protecteur qui finit par pénaliser tout le monde, y compris les principaux intéressés.

Benjamin Stora, avocat de l’Algérie ou ambassadeur plénipotentiaire de la France ?

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Emmanuel Macron reçoit des mains de l'historien Benjamin Stora son rapport sur la mémoire de la colonisation de l'Algérie, palais de l'Elysée, 20/01/2021, Christian Hartmann/AP/SIPA.

L’historien auteur du fameux « Rapport » qui porte son nom a paru peu enclin à défendre Boualem Sansal après son arrestation par les autorités algériennes. Ce fait est à mettre en parallèle avec son refus obstiné à admettre l’existence d’une judéophobie musulmane en Algérie avant, pendant et après l’indépendance de ce pays. Tribune du cinéaste et essayiste, Jean-Pierre Lledo.


Beaucoup de ceux qui avaient encore quelque estime pour cet historien ont été choqués par ses propos le dimanche 24 novembre sur la chaine publique France 5, suite à l’arrestation de l’écrivain algérien Boualem Sansal dès son arrivée à l’aéroport d’Alger, huit jours plus tôt.

Choqués de constater que sa réprobation de l’arrestation, du bout des lèvres, n’ait été que le prélude obligé à une condamnation sans appel de l’écrivain proférée du haut de son piédestal d’historien, de surcroit avec une joie mauvaise. Choqués donc qu’au moment où les voix de grands intellectuels s’élevaient contre l’arrestation d’un écrivain qui n’était coupable d’aucun acte criminel, l’historien, lui, tirait sur l’ambulance. 

A cette triste inconvenance, s’ajoutait une tentative de réfutation des propos de l’écrivain, tout à fait indigne d’un historien qui, s’il se vend habituellement comme « Monsieur Guerre d’Algérie », n’a jamais été un spécialiste de l’histoire ancienne du Maghreb. 

Mais qu’avait donc dit Boualem Sansal de si répréhensible ? « Tout le problème vient d’une décision prise par le gouvernement français : quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc, Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara […] la France a décidé comme ça, arbitrairement, de tracer une frontière… ».

Et que répliqua Stora à l’écrivain qui ne pouvait désormais plus lui répondre ?  

« C’est l’Émir Abdelkader qui a levé l’étendard contre la France… ! C’est un héros national en Algérie ! L’Emir Abdelkader qui était de Mascara… ! Mais je vais aller plus loin ! [Rires de Stora et du présentateur] C’est que celui qui a inventé le mouvement national algérien, avec d’autres, s’appelle Messali Hadj, il est né à Tlemcen… ! Tlemcen, c’est à la frontière avec le Maroc ! Et c’est lui qui va porter l’idée nationale ! Et on nous dit que ce n’est pas important ? ! »

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L’Emir Abdelkader a levé l’étendard contre la France, certes, mais quel étendard ? Celui de l’Algérie ? Non, elle n’existait pas comme nation. Ou plutôt l’étendard de l’islam et de quelques tribus de l’ouest ? L’Émir ne fut-il pas vaincu précisément parce que sa révolte resta seulement celle des tribus qui appartenaient à sa confrérie religieuse des Qadirya ? « Il se réclamait de la protection du sultan du Maroc, sous laquelle il a cherché refuge avant de reprendre la lutte en 1845 et de se réfugier une dernière fois au Maroc – qui l’obligea à se rendre aux Français – en 1847 », précise un historien moins soucieux d’idéologie, et plus des faits, Guy Pervillé. Enfin, si la Régence ottomane ne put s’emparer que de la partie orientale du Maghreb (Tunis) et de sa partie centrale (Alger), et jamais de sa partie occidentale, n’est-ce pas parce que le Maroc, au travers de toutes les dynasties qui l’ont constitué en royaume, avait déjà une personnalité suffisamment affirmée pour s’affranchir de son joug ?

Quant à Messali Hadj, en quoi viendrait-il contredire Sansal, lui qui devint le chef du premier parti nationaliste, le PPA… en 1933 ? Un siècle après la conquête française ! Et ce alors que la France a déjà annexé des territoires marocains, qui deviendront de la sorte des territoires algériens, sans que la promesse du FLN de redéfinir la frontière avec le Roi du Maroc après l’indépendance de l’Algérie ne soit jamais honorée, source de conflits et d’animosité jusqu’à aujourd’hui, puisqu’à plusieurs reprises les frontières ont été fermées, et les relations diplomatiques rompues. Au fait, l’historien partagerait-il la vision du PPA et de son chef Messali Hadj : « La Nation algérienne, arabe et musulmane, existe depuis le VIIème siècle » (selon le mémorandum présenté à l’ONU à la fin de 1948) ?

Et c’est sans doute parce que Stora est quand même conscient de sa faiblesse argumentative, qu’il n’hésite pas à franchir le pas de l’histoire vers l’affect : « Imaginez ce que ça représente pour les Algériens ! Ça blesse le sentiment national ! »Mais de quelle autorité, de quels travaux peut-il se prévaloir, pour se poser en spécialiste de la psyché algérienne ? Serait-il devenu l’avocat du pouvoir algérien, son ambassadeur ?

Question tout à fait légitime de mon point de vue qui ai eu plusieurs fois maille à partir avec cet historien.

Algérie, histoires à ne pas dire

Ce film qui montrait que la guerre de libération fut aussi une guerre d’épuration des populations non-musulmanes, fut interdit par les autorités algériennes dès que je le terminai, en juin 2007. Sorti en France en février 2008, Le Monde lui consacra sa 3ème de page. La critique cinématographique de Thomas Sotinel étant élogieuse, la journaliste politique Florence Beaugé se chargea de la contrecarrer sur le plan historique. Et face à Mohammed Harbi, que j’avais invité à voir le film, qui déclare honnêtement : « le principal mérite de ce documentaire est de jeter un pavé dans la mare et d’inciter les Algériens à accepter de se regarder, même si le miroir qu’on leur présente est déformant », les deux autres, Djerbal et Stora, « regrettent que les témoignages présentés par Lledo soient sortis de tout contexte »… Ah, ce « contexte », régulièrement convoqué pour atténuer la barbarie ! Le 7 octobre 2023, le Hamas se comporta de manière barbare… ? « Oui, mais… le contexte ! » Dans cet article, la journaliste ne trouvera rien de plus précis à leur faire dire. Et pour cause ! Ni l’un ni l’autre n’avaient vu le film ! J’avais organisé 3 projections (privées), en juillet à Alger où j’avais invité Harbi de passage, et Djerbal ne vint pas, et une générale en février 2008 à Paris où j’avais réinvité Harbi, mais pas Stora.

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Et si Stora s’est senti obligé de dire son désaccord avec l’arrestation de Sansal, dans mon cas, il ne s’éleva même pas contre la censure du film en Algérie. Et ce, pour la simple raison que la quête des personnages principaux, tous quatre Algériens musulmans, qui montre que l’épuration des non-musulmans est, durant toute la durée de la guerre d’Algérie, une stratégie concertée du FLN-ALN dès le début de la guerre, et non l’effet d’une cascade d’événements, va à l’encontre du méta-discours qu’il tient avec constance sur l’Algérie depuis ses débuts d’historien.

Le 5 juillet 1962 à Oran

En ce jour-là qui devait commémorer officiellement l’indépendance, suite aux résultats du référendum, eut lieu la plus grande tuerie de toute la guerre d’Algérie. L’historien Jean-Jacques Jordi, après plusieurs années de recherche dans les seules archives françaises, a réussi à identifier plus de 700 victimes assassinées ou disparues (quelques Arabes, une majorité de chrétiens, et une centaine de Juifs). Lorsque les archives algériennes seront ouvertes, ce nombre pourra être multiplié par deux ou trois. 

En 2013, je fis la description de cette terrible journée à propos de laquelle j’avais récolté des dizaines de témoignages d’Oranais de toutes origines, y compris familiaux, dans un article publié en deux parties par le Huffington Post qui s’attira une réponse de Stora contresignée par une dizaine d’universitaires et politiciens algériens qui n’avaient jamais écrit une seule ligne sur cette tragédie. 

Celui qui n’a jamais cru bon de consacrer un livre à l’évènement le plus meurtrier de toute la guerre, me répondit sans jamais évoquer mon film interdit en Algérie, dont la quatrième partie est entièrement consacrée à cet événement du 5 Juillet 1962. Notons que ce film n’a jamais été diffusé par une télévision en France, alors que Stora, qui n’est pas cinéaste, a bénéficié de ce privilège à de multiples reprises.

Mensonge direct ou par omission, diffamation, occultation, amalgame, fausse accusation, déduction abusive, tout cela en deux pages, sa réponse vise surtout à dénier que l’évènement ait pu être organisé en haut lieu… « Il ne faut pas non plus en venir à mettre en cause de manière globale et simpliste les indépendantistes algériens, ni négliger les nombreux témoignages qui relatent des faits de délinquance pure, commis dans un moment d’anarchie… ». Mais y a-t-il jamais eu un pogrom « spontané » ? La justice des Pays Bas ne vient-elle pas de déclarer que celui récent d’Amsterdam avait été concerté, technologie oblige, par WhatsApp ? La tuerie qui advint le 5 juillet 62, simultanément à la même heure (entre 11h et midi) dans tous les quartiers d’Oran, chrétiens et juifs, n’en est-il pas la meilleure preuve ? 

Mon film ne visait pas à se substituer au travail des historiens (véritables), mais à révéler des facettes de la guerre d’Algérie occultées par l’historiographie algérienne, qui sont absolument taboues. Pourtant, Stora m’accusait : « d’écrire une histoire hémiplégique qui ne s’intéresse qu’à une seule catégorie de victimes ». On voit bien aujourd’hui avec Sansal ce qu’il en coûte d’aller à l’encontre des narratifs historiques du pouvoir. 

Mais qui est « hémiplégique » ?

Le Rapport Stora de janvier 2021

L’Algérie n’ayant pas donné suite au projet d’un Rapport rédigé par une commission mixte d’historiens algériens et français, le président Macron commanda à Stora un rapport sur « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Publié en son nom propre, l’objectif déclaré est de contribuer à une réconciliation franco-algérienne en apaisant les mémoires. Le résultat fut un ratage complet, le pouvoir algérien considérant que les concessions françaises n’étaient pas suffisantes. Et pourtant à combien de courbettes ce rapport ne s’était-il pas complu ! (Voir mes commentaires sur les parties 1, 2, 3, 4 et 5 du rapport).

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Lorsque des « massacres » y sont évoqués, il ne s’agit que de ceux dont ont été victimes les « Algériens ». Stora ignorerait-il que dans la région de Sétif en mai 1945, puis dans le Constantinois le 20 août 1955, ce sont les nationalistes musulmans qui déclenchèrent des insurrections dont la cible, au faciès, furent les non-musulmans, n’épargnant même pas les communistes, pourtant partisans de l’indépendance ? Quant aux massacres des Harkis, ce ne seraient que des « représailles », ce qui est reprendre à son compte le narratif scandaleux de l’État algérien les criminalisant.

Stora propose de commémorer des dates symboliques. Par exemple la répression de la manifestation FLN à Paris du 17 octobre 1961. Mais pourquoi pas aussi le massacre du 26 mars 1962 commis par l’armée française, fauchant en quelques minutes, à la mitrailleuse, près de 80 civils Pieds-Noirs sans armes ?

Il propose de reconnaître l’assassinat de l’avocat et militant politique Ali Boumendjel. Mais pourquoi pas aussi l’assassinat du chantre juif de la musique andalouse Raymond Leyris, assassiné le 22 juin 1961 à Constantine, à ce jour non revendiqué par le FLN ? Musique « judéo-amazigho-arabo-andalouse », et non pas seulement « arabo-andalouse », rectifie Mr Stora qui est resté muet lorsque Khalida Toumi, quatre fois ministre de la Culture dans les gouvernements Bouteflika, déclara s’être donné pour objectif de « déjudaïser la musique arabo-andalouse » ![1]

Et le Panthéon ? Oui, mais pas pour Gisèle Halimi, originaire de Tunisie, qui hormis son métier d’avocate, se positionna comme une militante anti-harki et anti-pied-noir. Pourquoi pas plutôt l’écrivain Jean Pélégri, publié par Gallimard, dont toute l’œuvre est marquée par l’idée de la complémentarité mémorielle entre l’Arabe et le Pied-Noir, ainsi que par les drames des injustices coloniales, puis algériennes ?

Stora attribue au cinéma la vertu d’être un « formidable catalyseur de mémoire ». Bien sûr, mais pourquoi taire l’omnipotence de la censure en Algérie ? Et au-delà du cinéma et de la littérature, l’exemple du chanteur Enrico Macias, interdit d’antenne et de scène dans son pays natal depuis 60 ans, alors qu’il est adulé par les Algériens !

Alors qui est « hémiplégique » ?

Colloque sur les Juifs d’Algérie – Jérusalem – 24 au 26 Septembre 2024

Ce colloque, ouvert au public, qui s’est tenu en Zoom, avait réuni des universitaires israéliens et français. Les questions soulevées par les intervenants étaient intéressantes. Sauf qu’il en manquait une et de taille : celle de la judéophobie musulmane avant, durant, et après l’indépendance. Ayant eu à examiner les relations judéo-musulmanes dans divers ouvrages et conférences, Stora était l’un des invités. 

Dès la fin de son exposé, la parole me fut accordée et je posai deux questions, l’une aux organisateurs et la suivante à Stora :

  • Comment se fait-il que dans un tel Colloque sur les « Juifs d’Algérie », il n’y ait pas une seule intervention sur la judéophobie musulmane, laquelle a été une réalité historique et est toujours une question d’actualité ?[2]
  • Mr Stora, pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous avez constamment cherché à atténuer cette réalité ? Et pour ne prendre qu’un exemple, prenons celui du livre, commandité par l’Europe, que vous avez dirigé avec le Tunisien Abdelwaheb Meddeb Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, dédié à la conviviencia judéo-musulmane. L’un des articles écrits par l’un de vos amis constantinois, Abdelmajid Merdaci, fait les louanges de Raymond Leyris (il chantait en arabe, il y avait des Arabes dans son orchestre, etc.), sauf… qu’il occulte le fait que le musicien juif ait été… assassiné par le FLN, le 22 juin 1961.

Ne me laissant pas finir, Stora se mit à crier : « C’est faux ! ». Je pus lui répondre que c’était le témoignage de Jacques Leyris, le fils de Raymond. Menaçant de s’en aller, Stora continua son cirque, et les organisateurs coupèrent mon micro.

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Si j’avais pu poursuivre, j’aurais demandé aussi à Stora pourquoi dans le livre précité, il avait expurgé de la bibliographie les noms d’universitaires qui eux, n’avaient pas occulté dans leurs œuvres la judéophobie musulmane en Algérie, ces éminents chercheurs que sont Shmuel Trigano, Georges Bensoussan, Paul Fenton, et David Littman. Étrange coïncidence : ces mêmes universitaires n’avaient pas été invités à ce Colloque (à part Littman, décédé).

Conclusions

J’arrêterai là la liste loin d’être exhaustive de mes griefs. Ceux ici invoqués sont suffisants pour que l’on puisse se persuader que le coup de poignard dans le dos asséné à un écrivain jeté en prison n’était pas un lapsus. C’était plutôt la continuation en droite ligne de sa tentative d’exonérer de ses crimes le nationalisme algérien, et de sa vision irénique des relations judéo-arabes.

Pourtant si les chefs nationalistes masquèrent leur projet d’épuration ethnique durant la guerre d’Algérie, ils ne le dissimulèrent plus, l’indépendance acquise. Ainsi l’un des négociateurs des Accords d’Évian, qui fut un Premier ministre anti-intégriste durant la décennie noire, le « moderniste » Réda Malek : « Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé ».[3] Ou bien Ben Khedda, le président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), 1961-1962 : « En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale ».[4]

Benjamin qui, la retraite venue, semble découvrir sa judéité, aura-t-il le courage d’un Nathan Weinstock, lequel après avoir écrit deux ouvrages dans les années 70 qui devinrent la Bible des Falestiniens, osa remettre en cause ses convictions ébranlées par la réalité d’un terrorisme falestinien dont le but était et demeure la destruction d’Israël et des Juifs ? Osera-t-il à son tour écrire une histoire de la judéophobie musulmane en Algérie, aujourd’hui dissimulée en israélophobie ?

Je l’espère, sinon s’il s’entête à vouloir plaire aux uns et à ne pas déplaire aux autres, il lui faudra assumer l’inconfort d’être en alternance l’historien officiel de la repentance française, et à ses heures perdues, un ambassadeur plénipotentiaire. 

De la France ou de l’Algérie ? On ne sait trop…

Ah, j’oubliais… Comme à la bonne époque de votre trotskysme, vous vous êtes infiltré dans le Comité de soutien à Sansal. Quel culot ! Auriez-vous l’obligeance de vous en retirer ? Merci.


[1] Propos tenus le 10 février 2008 dans le quotidien algérien arabophone, de tendance islamique, Ech Chourouq.

[2] Voir J.-P. Lledo, « La judéophobie musulmane en Algérie avant, pendant, et après la période française » in Juifs d’Algérie, dirigé par Joëlle Allouche-Benayoun et Geneviève Dermenjian (PUF, 2015).

[3] Réda Malek, Accords d’Évian (Seuil, 1990).

[4] Ben Khedda, La fin de la guerre d’Algérie (Casbah Ed., Alger, 1998).

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Guerre en Ukraine : des torts partagés ?

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Pierre Lellouche au lendemain de la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles de 2016, 09/11/2016. WITT/SIPA

La guerre d’Ukraine n’aurait pas dû avoir lieu, ne cesse de dire Pierre Lellouche, ancien secrétaire d’État et chroniqueur du magazine Valeurs actuelles. Son dernier livre est un essai fouillé et incisif de bout en bout dans lequel il estime que les Européens ont péché par optimisme démocratique face à la Russie agressive de Vladimir Poutine.


« La fin de l’Europe de Yalta ne doit à aucun prix mener à l’Europe de Versailles », Zbigniew Brzezinski.

Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes puis du Commerce extérieur dans deux des gouvernements de François Fillon, nous explique dans son dernier ouvrage, Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde, pourquoi il pense et dit, et ce depuis le début, que la guerre en Ukraine aurait pu et aurait dû être évitée. Par ailleurs, il en déroule toutes les conséquences pour le monde, et le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont légion.

En 1991, après des siècles de dominations diverses (Pologne, Lituanie, Russie) où elle changea d’alliances pour se délivrer de l’ennemi d’hier, lequel n’était jamais le même, l’Ukraine acquit son indépendance à condition de rendre à César ce qui lui appartenait ; à savoir aux Russes tout l’arsenal nucléaire et militaire qu’elle comptait sur son territoire[1] et ce, parce que des traités lui garantissaient protection de la part de pays occidentaux. La Russie, de son côté, s’engageait à ne pas l’agresser ; ce qu’elle fit cependant, arguant que la Révolution de Maïdan était en fait un coup d’Etat perpétré par Kiev et les Américains pour se débarrasser d’un président pro-russe, ce qui rendait nulle et non avenue sa signature des traités.

Une sécession douloureuse

Mais revenons en arrière. Si la fin de la Guerre froide laissa espérer aux Russes une sorte d’accord avec les Américains pour protéger leur « zone d’influence » et pour que ces derniers ne s’empressent pas d’abriter sous leur aile otanusienne tous les anciens pays satellites, force fut de constater que rien de tel n’eut lieu. Le mépris « versaillais » l’emporta sur la raison, on regarda de haut cette « région provinciale » (Barak Obama) ou, pire encore, cette « grosse station d’essence avec des armes atomiques » (le sénateur John McCain). Et Pierre Lellouche d’affirmer : « L’Occident victorieux n’a pas cru bon de définir une architecture de sécurité qui fasse sa place à la Russie ». Pourtant, « avec la réunification de l’Allemagne, l’Alliance atlantique avait rempli sa mission historique. […] L’Europe centrale accédait quant à elle à la liberté. Un autre système de sécurité collective devenait alors possible, avec la Russie, et non contre elle ».

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Par ailleurs, et contrairement aux pays dits satellites, la Russie a toujours considéré l’Ukraine comme son centre de gravité. Se séparer d’elle radicalement, c’était s’amputer. Le « Petit russe » et le « Grand russe » comme on les appelait au XIXème siècle, tous deux slaves, tous deux orthodoxes, ayant une langue sinon commune au moins voisine, n’étaient pas voués à faire sécession, estime Lellouche. Sans compter que l’Ukraine a sur son sol une population russe (11,3 millions de Russes ethniques, soit plus de 22% des habitants) et une population ukrainienne souvent mélangées. Elles n’étaient donc pas promises au divorce et ce, malgré les affrontements du passé. Bref, si la Russie avait accepté l’indépendance de sa voisine, c’était à condition que celle-ci reste neutre et dans sa zone d’influence. Soljenitsyne, dans son essai Reconstruire la Russie publié en 1990, essai qui a beaucoup influencé Poutine, admettait cependant que si les Ukrainiens choisissaient de se séparer de la Russie, ils devaient pouvoir être libres de le faire « sauf pour les régions qui ne faisaient pas partie intégrante de la vieille Ukraine, c’est-à-dire la Novorossia : la Crimée, le Donbass et les zones proches de la mer Noire ». Comment mieux résumer l’histoire de cette guerre ? Et Kissinger (1923-2023) déplorera à son tour le malentendu entre Russes et Occidentaux au sujet de la fin de l’URSS, les seconds ne comprenant pas que seuls les non-Russes voulaient quitter « l’Empire ».

Une Europe naïve

Pierre Lellouche souligne fort bien les croyances et les incohérences du bloc occidental et en particulier de l’Europe. Après la chute de l’URSS, la démocratie avait gagné, la guerre devint un « impensé désagréable » et tous les pays du monde allaient se donner la main pour faire régner droits de l’homme et déconstruction post-nationale. Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.

Après, notamment, l’invasion de l’Irak par les Américains, le modèle occidental n’en fut plus un pour le restant du monde, et l’ordre mondial que ceux-ci avaient déterminé depuis 1945 fut remis en question par tous ceux qui, anciennement colonisés ou pas, n’acceptaient plus cette domination. Et les fameuses valeurs qui allaient avec. C’est ainsi qu’on vit émerger l’« affirmation identitaire des uns » et le « déni des réalités des autres » ; les autres étant ici les Européens qui avaient, du reste, remis leur sécurité dans les mains des Américains. Cette «servitude volontaire » fit que le sort de l’Ukraine dépendait infiniment plus de l’armement et de l’argent des États-Unis que de ceux de l’Europe qui n’auraient jamais été suffisants. Pour autant, cette dernière donna la modique somme de « 300 milliards d’euros pour un pays tiers, non membre de son alliance, en déléguant officiellement à ce dernier, et à lui seul, la responsabilité de dire quand et comment la guerre doit s’arrêter ». Ainsi, et même si l’Europe n’y suffirait absolument pas, on arme et on finance quand même une guerre sans avoir vraiment voix au chapitre, au nom d’une émotion dont l’auteur nous dit qu’elle joua un rôle considérable dans ce conflit. Tout semble désormais soumis aux bons sentiments ou aux grands principes moraux avec lesquels on ne fait pas de politique sérieuse. Encore moins de géopolitique tout court. 

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Selon Halford John Mackinder (1861-1947), le but de la géopolitique dont il fut l’un des maîtres au début du XXème siècle, n’est autre que « l’aboutissement à un équilibre des puissances, lequel garantit à chaque nation sa sécurité et représente la condition de ses libertés ». Or, ajoute Pierre Lellouche, « l’équilibre des puissances ne s’obtient pas, loin de là, par la seule proclamation de « droits », surtout si une telle proclamation conduit à engendrer des déséquilibres périlleux ».De fait, l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan obligerait le bloc occidental à entrer dans le conflit (même si, d’une certaine manière, il fait déjà la guerre à la Russie par procuration), ce qui mènerait tout droit à une Troisième Guerre mondiale. D’autre part, le minimum est d’avoir les moyens de ses beaux discours, et « l’hubris jupitérienne » ne palliera pas notre armée et notre armement amaigris… Pierre Lellouche n’hésite pas à dire que : « Cette défaite intellectuelle devant l’émotion, cette préférence pour le déni des réalités […] sont les symptômes, parmi beaucoup d’autres, de la maladie profonde de nos systèmes démocratiques ».

Avons-nous réveillé les quatre cavaliers de l’Apocalypse?

Alors, on diabolisa l’adversaire ; Poutine allait envahir l’Europe, cette guerre était la nôtre, la victoire devait être totale et donc sans concession. Il y eut pourtant plusieurs rencontres dans ce sens, avant le déclenchement de la guerre et même après. « Ma conviction est qu’une négociation à la mi-décembre 2021, si elle avait pu se teniraurait pu éviter les destructions et les 500 000 morts et blessés que nous déplorons aujourd’hui » soutient l’ancien secrétaire d’État. Et nous ne réussîmes, de surcroît, qu’à affaiblir notre propre économie avec des sanctions qui touchèrent fort peu la Russie, laquelle réussit à vendre ailleurs, et nous favorisâmes le tropisme eurasien en jetant les Russes dans les bras des Chinois. Et pas seulement eux ! Pierre Lellouche appelle les « quatre cavaliers de l’Apocalypse » la coalition entre Russie, Chine, Corée du Nord et Iran.

Dans une seconde partie, Pierre Lellouche s’attaque aux conséquences de cette guerre qui n’aurait pas dû avoir lieu : fin de la confiance dans les traités, ainsi que mise à mal de la dissuasion nucléaire, puisque, d’une part, la présence d’armes nucléaires n’empêcha pas une guerre de haute intensité et de longue durée, et que, d’autre part, la nucléarisation du monde bat son plein. Les Russes et les Chinois ont cessé toute coopération avec les Occidentaux pour freiner le programme iranien, et Poutine soutient « le droit de la Corée du Nord de renforcer sa défense […] contre la dictature néo-colonialiste mondiale ».

Et qui, mieux qu’Israël – selon Lellouche – pour représenter « ce porte-avions avancé de l’Occident colonialiste en Orient ? » C’est là que la guerre de Gaza, dont Pierre Lellouche rappelle opportunément qu’elle commença le7-Octobre, rejoint celle d’Ukraine, en créant un front anti-occidental global. Le nouveau damné de la terre est le Palestinien qui va inspirer non seulement au « Sud global » mais à nos universités, l’idée d’une « deuxième décolonisation ». Celle-ci trouvera un allié dans les BRICS+ (au nombre de 10, à présent) une organisation représentant près de la moitié de la population mondiale, le 1/3 du PIB et la moitié de la production de pétrole de la planète. Leur Nouvelle banque de développement (NDB) créée en 2014, sorte d’anti-FMI, compte bien échapper aux contraintes politiques et sociales imposées par Washington en vue de se passer, à terme, du dollar et des sanctions qui vont avec…

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Quant à l’Europe et à ses deux mantras fétiches – la transition énergétique qui rend « vertueux » et l’élargissement d’elle-même jusqu’à des pays qui sont de véritables poudrières (et ce… au nom de la Paix) –, elle s’englue dans des considérations administratives et juridiques sans réussir à organiser une défense commune, et surtout, sans se voir disparaître. Relégués au rang de consommateurs puisque nous avons favorisé la production à l’Est (véritable appel d’air pour les cerveaux de demain et pas seulement les petites mains), la Chine en particulier, qui produit du CO2 parfaitement mondialiste, ce qui rendra nos efforts de tri sélectif assez vains, nous dormons les yeux ouverts. La France surtout, de plus en plus à la remorque d’une Allemagne sachant toujours ou presque défendre ses intérêts, et sachant fort bien dans certains cas nuire aux nôtres.

Pierre Lellouche se demande alors si l’Europe va se réveiller, pour « préparer l’après-guerre en Ukraine, répondre aux défis économiques américain et chinois, tout en protégeant son identité, c’est-à-dire ses frontières face à des vagues migratoires sans précédent. Voilà le défi. Il est immense. C’est ici que Boutcha en Ukraine, Gaza en Orient, et Lampedusa en Sicile se rejoignent ».

Pierre Lellouche, Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde (Odile Jacob, 2024).


[1] 5000 ogives nucléaires, dont 376 missiles intercontinentaux, faisant de l’Ukraine la troisième puissance nucléaire, retournèrent en Russie.

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Geert Wilders instrumentalise-t-il les tensions entre les Pays-Bas et Israël ? 

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Geert Wilders quitte la résidence du Premier ministre Dick Schoof à La Haye (Pays-Bas), après une discussion de crise à propos des violences lors du match entre Ajax Amsterdam et Maccabi Tel Aviv. 15/11/2024 Phil Nijhuis/AP/SIPA

Les violences commises contre les supporteurs de Maccabi Tel-Aviv dans la nuit du 6 au 7 novembre ont provoqué une crise diplomatique entre les gouvernements israélien et néerlandais, crise exploitée par le dirigeant du Parti pour la Liberté qui pourrait l’utiliser pour mettre fin à la coalition au pouvoir.


L’amitié néerlandaise pour Israël connaît des limites que l’État hébreu semble ne pas hésiter à franchir. Ses accusations selon lesquelles les Pays-Bas auraient, le mois dernier, facilité des « pogroms » lors de la « nuit de Cristal » à Amsterdam, quand des supporteurs du Maccabi Tel-Aviv furent violentés, passent mal. Tout comme les appels téléphoniques « furieux », selon des médias néerlandais, du Premier ministre Benyamin Netanyahou et d’autres dirigeants israéliens aux responsables néerlandais. Le président Isaac Herzog, qui fut copieusement hué par des manifestants propalestiniens lors de l’ouverture du musée de l’Holocauste à Amsterdam en début d’année, aurait même accablé le roi néerlandais Willem-Alexander de reproches sur le manque de protection de Juifs dans la capitale néerlandaise.

Au Parlement de La Haye, l’opposition a exigé et obtenu que le gouvernement conservateur du Premier ministre, M. Dick Schoof, enquête sur « l’ingérence israélienne ». C’est que dans la foulée du mal nommé pogrom, le ministère israélien pour la Diaspora avait fait parvenir à des parlementaires néerlandais des rapports truffés d’inexactitudes et de mensonges, selon des non-destinataires. Ainsi, le Mossad aurait vainement prévenu les autorités amstellodamoises que des « commandos anti-juifs » tramaient des actions violentes contre les visiteurs israéliens. Et de désigner sur des réseaux sociaux, sans preuves, des activistes propalestiniens néerlandais comme de dangereux activistes à la solde du Hamas. Ce qui constitue une menace pour leur sécurité, aux dires du ministre de la Justice. Qui refusa pourtant la demande de l’opposition de « rappeler à l’ordre » l’ambassadeur d’Israël, dont les amis au parlement prirent les accusations pour argent comptant. 

L’ambassadeur avait fustigé « le terrorisme coordonné » par des malfrats dans les rues d’Amsterdam le 6 et 7 novembre, suite au comportement de hooligans israéliens qui, en scandant « fuck the Arabs » et en déchirant des drapeaux palestiniens, avaient mis le feu aux poudres. Des « jeunes des quartiers » y voyaient le signal de départ pour « une chasse aux Juifs », selon leurs messages sur WhatsApp lus pendant le procès de sept d’entre eux. (Le 24 décembre, quatre hommes ont été condamnés par le parquet d’Amsterdam à des peines de prison et un cinquième à des travaux d’intérêt général).

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Les Pays-Bas se sont également attiré les foudres de puissantes organisations juives aux Etats-Unis comme le Simon Wiesenthal Center de Los Angeles, qui a déclaré Amsterdam zone de non-droit pour les Juifs du monde entier. Au grand dam de la maire de gauche de la capitale, Femke Halsema, vilipendée par le ministre israélien des Affaires étrangères, M. Gideon Saar. Quand la maire disait regretter avoir prononcé le mot pogrom, jugé excessif, M. Saar l’accusait de vouloir « étouffer » les horreurs dans sa ville. 

Un hasard du calendrier vint envenimer la tension entre les deux pays amis d’antan : le 21 novembre, la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye émit des mandats d’arrêt pour crimes contre l’humanité contre notamment M. Netanyahou. Le ministre néerlandais des Affaires étrangères, M. Caspar Veldkamp, affirma que « Bibi » serait effectivement arrêté dès qu’il foulerait le sol néerlandais. Furieux de ce que La Haye puisse remplir ainsi ses obligations, Israël annula la visite de M. Veldkamp prévue pour une semaine plus tard. 

Cependant, l’État hébreu vient d’accueillir à bras ouverts le politicien anti-islam néerlandais mondialement connu, M. Geert Wilders, qui y entama une visite le 8 décembre, sa cinquantième, selon le journal Algemeen Dagblad. Au parlement, M. Wilders, condamné à mort par des organisations islamistes, dirige le groupe de députés de loin le plus important. Quelqu’un peu au fait de la réalité néerlandaise aurait pu le prendre pour le Premier ministre quand il s’était engagé dans une course à l’échalote pour saluer à l’aéroport d’Amsterdam le ministre Gideon Saar, venu tancer les responsables néerlandais pour leur non-assistance à fans de foot israéliens en danger. M. Schoof se trouvant à l’étranger, le gouvernement dépêcha dare-dare son ministre de la Justice pour être le premier dignitaire à se faire traiter d’incompétent, si ce n’est d’antisémite, par l’hôte israélien qui s’était auto-invité.

Les retrouvailles, une demi-heure plus tard, à l’aéroport, avec M. Wilders, furent cependant tout ce qu’il y a de plus chaleureuses.

Son israélophilie, datant de son séjour en Cisjordanie dans sa jeunesse, a plus d’une fois mis dans l’embarras la coalition gouvernementale dont pourtant il fait partie. Ainsi, l’été dernier, M. Wilders déclara que les Palestiniens « disposent déjà d’un État, la Jordanie ». Avis conforme à celui de la droite et l’extrême-droite israéliennes, mais qui va à l’encontre de la position officielle néerlandaise calquée sur celle de l’UE. La sortie de M. Wilders avait valu à l’ambassadeur néerlandais à Amman de se faire sermonner par le gouvernement jordanien. 

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En Israël, en tant qu’invité du parti Likoud au pouvoir, M. Wilders ne manqua pas de visiter quelques colons en Cisjordanie, devenus des potes au fil des ans, et de se faire couvrir de louanges à la Knesset. Sa poignée de main avec Netanyahou était comme un pied de nez au gouvernement de M. Schoof, tenu par la CPI de le faire arrêter. Si, en coulisse, d’autres membres de la coalition quadripartite branlante fustigent cette énième provocation, ils se sont engagés à en dire le moins possible, craignant que M. Wilders n’utilise une condamnation ouverte comme prétexte à retirer son Parti pour la Liberté du gouvernement. Tant pis pour ceux qui lui font confiance de mener « la politique d’asile la plus sévère jamais connue ».

Mener la bataille idéologique sur les fonctionnaires vipère au poing

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Benjamin Amar © BO/SIPA

Pour Benjamin Amar, quand les fonctionnaires sont attaqués, c’est l’État qui est visé. Il dénonce une charge libérale, voire « réactionnaire », basée sur des éléments biaisés et caricaturaux, alors que dans bien des domaines, le service public est plus efficace que la gestion privée.


À chaque fois qu’une crise économique éclate et engendre en cascade une crise politique, deux choses sont certaines : le soleil va se lever le lendemain, et des langues fourchues des cercles politiques et médiatiques vont sortir de leur antre sombre, tel Caliban, pour distiller leur fiel sur les fonctionnaires. Cette passion triste consistant à fustiger les fonctionnaires est une obsession historique de la bourgeoisie, comme en atteste le roman médiocre de Courteline en 1892, Messieurs les ronds-de-cuir. Des figures littéraires, légères comme le parpaing, s’y moquent à longueur de pages de la prétendue faculté́ inépuisable des fonctionnaires à tirer leur flemme, en protégeant leur arrière-train par un petit coussin de cuir posé sur leur fauteuil.

Derrière les fonctionnaires, c’est bien sûr l’État qui est visé par les libéraux et les réactionnaires, dans ses prétentions à intervenir dans la sphère économique et sociale. En jetant du vitriol sur les agents de l’État, décrits comme des parasites inutiles et incompétents, c’est bien celui-ci qui est frappé d’infamie. Cette complainte antiétatique et antifonctionnaires est portée par de nombreux prophètes et oiseaux de mauvais augure, qui sont autant de figures tutélaires de la droite dure du monde occidental : Pierre Poujade, le papetier de Saint-Céré en croisade dans les années 1950 contre « l’État vampire », Margaret Thatcher, qui fera fondre les effectifs des agents publics comme de la neige sous un soleil de plomb, ou Ronald Reagan, qui diminuera le budget des administrations publiques américaines de 41 milliards, dès son arrivée au pouvoir.

Une doctrine antifonctionnaires reposant sur des éléments biaisés

D’ailleurs nul besoin d’ouvrir des archives poussiéreuses pour faire ce constat. Donald Trump, qui vient d’être réélu, souhaite tailler dans les effectifs publics de façon drastique et il a nommé Elon Musk à la tête d’une commission pour « l’efficacité gouvernementale ». Musk a annoncé la couleur : il veut renvoyer des milliers d’agents et il parle des fonctionnaires comme d’une « bureaucratie enkystée qui est une menace existentielle » pour le pays. Rien que ça ! On le voit donc, cette ritournelle est une boussole des propagandes de droite à l’échelle internationale. On ignore trop souvent que cette sale rengaine entendue en France comme un juke-box rayé fait aussi un tabac outre-Atlantique.

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Il faut souligner à quel point cette doctrine antifonctionnaires repose sur des éléments biaisés qui sont autant de caricatures. Expliquer que la France serait la championne du monde de la fonction publique en arborant comme une oriflamme le chiffre des 5,4 millions de fonctionnaires est d’une grande malhonnêteté, dès lors qu’on oublie que l’indicateur le plus pertinent est le nombre de fonctionnaires pour 1 000 habitants. Or la France de ce point de vue est largement devancée par des pays parmi les plus développés : avec ses 89 agents pour 1 000 habitants, l’Hexagone est loin derrière la Norvège (159), le Danemark (142), la Suède (138), ou encore le Canada (100). Et la Grande-Bretagne n’est pas bien loin (80). En revanche, les réactionnaires et les libéraux de tous crins passent beaucoup plus sous silence qu’en comparaison avec les pays de l’OCDE, la France paie très mal ses agents. On les comprend quand on sait que les professeurs français sont moins payés que leurs collègues slovènes, portugais ou colombiens : il est compliqué dès lors de les présenter comme des privilégiés et des nababs.

Autre baratin éculé et rabâché par les propagandistes de droite et d’extrême droite sur les services publics et leurs agents : l’efficacité amoindrie et supposée par rapport au privé. Quand la privatisation et le découpage de la compagnie des chemins de fer britanniques ont été lancés en 1996, ses thuriféraires annonçaient des trains sûrs et ponctuels. Le désastre a été tel, la British Railway est devenue un tel marasme avec ses tarifs exorbitants, ses accidents à répétition, ses retards systématiques et ses wagons fantômes qui se décrochent de la locomotive que la renationalisation vient d’être votée au Parlement et elle est soutenue par les deux tiers des Britanniques. On pourrait multiplier les exemples où la gestion publique s’est révélée plus optimale et efficace que la logique privée, à l’instar de la gestion des eaux dans les villes, où la délégation de service public vers le privé est de moins en moins majoritaire, car elle signifie souvent surcoût et facturation excessive pour les usagers.

« Jusqu’à quand enfin vas-tu abuser de notre patience ? »

La réalité est que les fonctionnaires, à travers leur mission de service public, défendent l’intérêt général. Leur mission est essentielle pour notre vie quotidienne, mais aussi en cas de drame et de catastrophe naturelle. Et leur absence ou leur présence insuffisante engendre à juste titre protestations et colères. Un des motifs du mouvement des gilets jaunes fut l’éloignement des services publics. Quand les inondations frappent ou que le gel paralyse les transports, ce sont les fonctionnaires territoriaux qui se lèvent à l’aube ou se couchent très tard pour des salaires bien chiches. Il y a des millions d’heures supplémentaires non payées et non récupérées par les fonctionnaires hospitaliers qui pourtant n’ont jamais cessé de veiller sur nous pendant et après le Covid. Les macronistes qui les faisaient applaudir en 2020 à vingt heures sont ceux qui, avec le ministre de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, en 2024, veulent leur imposer trois jours de carence sous prétexte qu’ils seraient absentéistes.

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« Jusqu’à quand enfin vas-tu abuser de notre patience ? » lance Cicéron à Catilina. On peut poser la même question à ceux qui surjouent la division des travailleurs du privé et du public, alors que la précarité progresse partout de façon transversale, tout comme le fait d’être à découvert le 5 du mois. Cette division sert les intérêts de ceux qui veulent continuer à payer au lance-pierre, à casser le Code du travail et la Sécurité sociale. Dans le climat délétère du « tous contre tous », le fonctionnaire est avec le chômeur et l’immigré une cible de choix pour ceux qui veulent faire diversion sur leurs politiques scélérates.

À dire vrai, tout syndicaliste de classe et de masse doit faire de la défense des travailleurs du privé et des fonctionnaires un impératif en toutes circonstances. Car il faut redonner à chacune et à chacun la fierté du travail. En rejetant d’un revers de main les calomnies diffusées par ceux qui veulent faire opportunément de nous tous le privilégié du voisin. Pour ma part, je mènerai cette bataille idéologique, vipère au poing, jusqu’au neuvième cercle de l’Enfer. La preuve, je publie une tribune dans les colonnes de Causeur !

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D’un gouvernement minoritaire l’autre

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Francois Bayrou, Premier ministre, lors de la réunion de la cellule de crise sur la situation à Mayotte, le 23/12/2024. Eric TSCHAEN-Pool/SIPA

Comme cadeau de Noël, les François ont reçu un nouveau gouvernement et le Père Noël qui l’a apporté, c’est François Bayrou. Mais comme beaucoup d’autres cadeaux, il risque d’être oublié dès le mois de janvier. Analyse de Céline Pina.


La composition du gouvernement a été annoncée. Elle acte d’emblée l’échec prévisible de François Bayrou. Celui-ci a été incapable d’élargir l’assise du gouvernement. Le nouveau gouvernement couvre le même périmètre que celui de Michel Barnier et force est de constater que l’on est confronté aux mêmes limites politiques, le côté sympathique et rassurant en moins. L’interview de François Bayrou qui a suivi ne pouvait que confirmer ce sentiment. Apolline de Malherbe comme Benjamin Duhamel ont bien tenté de faire dire quelque chose de consistant au nouveau premier ministre, mais à part de savantes dissertations sur la méthode idéale pour bâtir un gouvernement et des louanges auto-administrées sur sa propre lucidité et son courage, force est de constater que personne ne sait où va la France. Cela n’interpelle pas l’égo surdimensionné du nouveau chef du gouvernement qui ne parait pas voir que le seul chemin de crête qui reste dans sa situation oscille entre l’échec programmé et l’immobilisme guère salvateur. Il n’a pas déjà commencé son tour de ménage que la seule mélodie que l’on a en tête est la fameuse chanson de Jacques Brel : « Au suivant ».

Tout ça pour ça

L’échec de l’élargissement est symbolisé par le refus de soutien du PS, même si le ministre de l’Économie et des finances, Éric Lombard a été choisi pour donner des gages à l’ancienne gauche de gouvernement. Mais le trophée a d’ores et déjà été décroché du mur : la tentative de séduire le PS a échoué. Le parti est entre les mains de LFI, il a besoin de l’électorat radicalisé des quartiers mais, ce faisant, il a affaibli son propre électorat et a perdu toutes ses caractéristiques de parti de gouvernement. Il n’a guère d’autre choix que de rester à la solde de LFI, il n’a plus rien à dire au pays, pas de chemin à tracer, pas de personnalités susceptibles de constituer un repère, d’incarner même quoi que ce soit. L’ancien président Hollande a continué à montrer dans l’opposition la même médiocrité que lorsqu’il était au pouvoir et ne peut même pas se prévaloir de la sagesse issue de l’expérience. Pour la plupart des Français, il est insignifiant.

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Certes, quelques personnalités de gauche qui n’ont pas cautionné la dérive antisémite de LFI ni l’alliance avec les islamistes, comme Manuel Valls ou François Rebsamen, sont présentes, mais elles n’appartiennent pas à une force constituée ou à un courant d’opinion structuré. Elles n’ont pas de troupes parlementaires. Sans surprise donc la gauche adepte de l’antisémitisme s’étouffe de rage et nous sert à nouveau la complainte de ceux à qui on a volé l’élection alors qu’elle est tout aussi minoritaire que les autres forces représentées au parlement. Quant au leader du PS, tout en nuance et justesse, il hurle au fascisme sans se rendre compte qu’en s’alliant avec une LFI antisémite et adepte de la violence politique il cautionne au nom d’un fascisme qui n’existe pas (celui attribué à Marine le Pen), une dérive à gauche qui, elle, est bien réelle. Il parle donc de « provocation » et de « droite extrême au pouvoir sous la surveillance de l’extrême-droite ». Pour la gauche, regarder en face la question migratoire et sécuritaire, c’est sombrer dans le nazisme.

Certes l’annonce du tandem Retailleau-Darmanin, le premier à l’Intérieur et le second à la Justice envoie un message de cohérence sur le régalien et c’est une première, mais le gouvernement étant minoritaire, il n’y a guère de chemin législatif sans le soutien du RN. Mais peut-être sera-t-il possible d’afficher des résultats en matière d’expulsion, de rétablissement des contrôles et d’agir via tout ce qui est réglementaire. Marine Le Pen a à ce sujet une réaction de bon sens. Elle fait le constat que les Français n’attendaient pas grand-chose de cette nomination et que ce gouvernement « s’appuie comme le précédent sur une absence manifeste de légitimité et une majorité introuvable ». Quant à Laurent Wauquiez, président de la droite républicaine, il annonce que les « votes se décideront texte par texte » et ne s’interdit pas de « retirer son soutien », déjà peu ferme.

Un siège éjectable

Mais là où Michel Barnier avait au moins réussi à donner un peu de lustre et de hauteur à la fonction politique et avait su se montrer rassurant et élégant, François Bayrou peine à s’extraire du commun, voire d’une forme d’affrontement sans véritable objet qui fait du mal à la politique. Sa dispute avec Xavier Bertrand à coup de communiqués ne grandit pas les deux parties. On se demande pourquoi le ministère de la Justice aurait été proposé à Xavier Bertrand alors que ce ne pouvait être qu’urticant pour Marine Le Pen et que le gouvernement a besoin de l’abstention du RN pour durer. D’ores et déjà, le ministère de la Justice, institution contestée et peu reconnue par les Français, subit l’impact de cette querelle politicienne alors que les Français ont besoin de retrouver confiance en la justice de leur pays. Une justice dont ils trouvent les jugements laxistes ou déconnectés, en tout cas souvent incompréhensibles et peu fiables. Sur ce terrain, le règne de François Bayrou commence mal.

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D’autant plus mal que l’interview donnée pour expliciter le choix du gouvernement a montré un dirigeant sans colonne vertébrale ni feuille de route claire, ayant surtout l’air de jouir de sa propre image et de se contempler en majesté. Ici le chambellan n’est pas nu, mais c’est parce qu’il porte les vêtements du roi. Or, comme celui à qui il l’a subtilisé, le costume est bien trop grand et entrave plus ses mouvements qu’il ne les revêt de sens et d’éclat. De ce que l’on a vu, le gouvernement Bayrou devrait tenir tant que les oppositions n’auront pas intérêt à appuyer sur le siège éjectable. D’ores et déjà, Mathilde Panot a écrit ce que tout le monde sait. C’est la démission du président de la République qui se dessine si la France est incapable de voter un budget. Et cela ne dépend ni de François Bayrou, ni d’Emmanuel Macron, mais de l’agenda de Marine Le Pen, puisque côté LFI l’addiction à la censure est manifeste, reconnue et systématique. 

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L’éléphant de Mazan

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Rassemblement devant le tribunal d'Avignon, le 20 décembre 2024. Frederic MUNSCH/SIPA

Beaucoup de commentateurs voient dans l’affaire Pélicot la preuve que notre société est profondément patriarcale. Mais le procès Pélicot démontre tout le contraire.


Maintenant que les sanctions ont été prononcées, que le procès est achevé – en attendant toutefois les diverses procédures en appel – et que l’émotion retombe un peu, comme la neige dans une petite boule de verre trop secouée, on peut essayer de hasarder une ou deux remarques sur ce procès de Mazan que certains n’hésitent pas à qualifier « d’historique ».

Avant tout, et pour éviter tout malentendu, je tiens à saluer moi aussi le courage et la dignité dont a su faire preuve Mme Pélicot, et à souligner que les violences qu’elle a subies méritent la compassion et le respect de tous.

Cela dit, intéressons-nous au retentissement et à l’interprétation donnés à ce procès. Procès d’une cinquantaine de violeurs d’occasion, procès d’un homme incontestablement pervers qui a pu droguer son épouse pour la livrer auxdits violeurs. Mais aussi, paraît-il, procès d’une « culture du viol » qui irriguerait notre société, d’un « patriarcat » encore et toujours dominateur et oppresseur, d’une « masculinité toxique » qui expliquerait les agissements de M. Pélicot et dont la violente mise en évidence devrait pousser les hommes, tous les hommes, unanimement et indistinctement, à s’interroger et à se remettre en question.

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Eh bien, non. Parce qu’il y avait un éléphant dans le prétoire. Un éléphant tellement énorme que personne ne semble l’avoir remarqué.

Cet éléphant, c’était le procès lui-même.

Car s’il y a eu procès – et plus encore, s’il y a eu sanctions – c’est bien que notre société, collectivement, considère les actes de M. Pélicot et de ses co-accusés comme répréhensibles et méritant d’être punis. La Déclaration des Droits de l’Homme, dans son article 6, définit la loi comme « l’expression de la volonté générale ». Si en vertu de la loi, M. Pélicot et ses co-accusés ont pu être punis de trois à vingt ans de prison, c’est bien que cette « volonté générale » qui émane de chacun des citoyens français, sans distinction de genre, réprouve leurs actes et en exige le châtiment. Et par conséquent, c’est que la « culture du viol » et le « patriarcat oppresseur » ne structurent pas notre société autant que nos néo-féministes de choc veulent bien le clamer à grands coups de trompette.

Dans une société véritablement « patriarcale » au sens où l’entendent lesdites néo-féministes, les actes de M. Pélicot et de ses complices auraient été considérés comme une bagatelle à peine digne d’une légère réprobation. Ou bien, ils auraient été regardés sous un tout autre angle. En veut-on un exemple ? En août 2017, dans un village du Pakistan, une jeune fille fut violée. Le conseil des anciens estima que cela nuisait à l’honneur de sa famille et qu’il fallait réparation. Sitôt dit, sitôt fait : le frère de la jeune fille fut autorisé à… violer à son tour la sœur du violeur. Voilà ce qu’on peut appeler une justice patriarcale, pour laquelle les considérations tribales et familiales comptent largement plus que les souffrances infligées à une femme. Reconnaissons que nous en sommes très, très loin, et que – fort heureusement – nous portons sur le viol et les violences sexuelles un tout autre regard.

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Qu’il se soit trouvé en neuf ans une cinquantaine d’hommes assez en mal de sexe ou de fantasmes pour donner suite aux propositions ignobles de M. Pélicot, c’est un fait. Mais que ces hommes aient été arrêtés, emprisonnés, jugés et condamnés, c’est aussi un fait. Un fait qui démontre que leurs actes nous ont parus, collectivement, inacceptables. Vouloir ériger ces cinquante coupables en stéréotypes du comportement masculin, cela n’a pas plus de sens que de prétendre que les auteurs de hold-up, de trafic de drogue, de meurtre ou de tout autre crime ou délit punis par la loi sont représentatifs de telle ou telle catégorie de population dans sa totalité. Pour ma part, je suis révolté par les agissements de M. Pélicot et de ses complices. Je trouve normal et sain qu’ils aient été jugés et condamnés. Mais je ne me sens pas plus concerné ou impliqué par leurs actes que par ceux de n’importe quel groupe de braqueurs, de violeurs ou d’assassins dont l’actualité, hélas, nous fait connaître régulièrement l’existence.

Vols de kiki

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© D. R.

Sorcellerie et autres maraboutages, les légendes urbaines connaissent un nouveau sursaut avec les réseaux sociaux et un homme africain averti en vaut deux : surtout lorsqu’il est question de ses bijoux de famille…


Fin octobre, une information improbable a inondé les réseaux sociaux en Afrique subsaharienne : les hommes centrafricains auraient été victimes, en pleine nuit, d’un vol de pénis en série. Les coupables présumés ? Des agents de la DGSE française, accusés de chaparder les fiers attributs masculins africains pour… fabriquer une potion dans un bunker secret sous le palais de Versailles afin de revigorer le vit tricolore français en berne. Certains médias ont même pointé le rôle des nanotechnologies dans cette opération censée apporter une solution aux problèmes démographiques de l’Hexagone.

De telles accusations de vol de sexe ne datent pas d’hier. Déjà dans les années 1970, le Nigeria a été le terreau de récits similaires, souvent liés à des affaires de sorcellerie. Dans la plupart des cas, les « victimes » retrouvaient leurs précieux attributs aussi mystérieusement qu’ils les avaient perdus – souvent sous le regard perplexe des juges et des médecins. Qu’importe la réalité scientifique : les légendes urbaines ont la vie dure, surtout dans des régions où les croyances traditionnelles restent profondément enracinées.

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Rassurez-vous, cette nouvelle affaire a tout l’air d’un coup monté. L’information, soigneusement agrémentée d’une pincée de néocolonialisme, a provoqué un torrent de commentaires antifrançais sur les réseaux sociaux africains. Si le site malien bamada.net est à l’origine de cette fake news virale, elle a été relayée par des comptes ayant des liens avec des usines à trolls russes, experts en désinformation. Leur objectif ? Saborder l’image de la France en Afrique. Car ne nous y trompons pas, cet épisode grotesque s’inscrit dans une guerre d’influence plus large entre Paris et Moscou, où tous les coups sont permis – même les plus absurdes. Pendant ce temps, la France, visiblement prise de court, a préféré défendre son rôle sur le continent en parlant sécurité, développement et coopération que de commenter un article éphémère représentant décidément un coup en dessous de la ceinture.

Parigots : têtes de veau et vaches à lait

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Anne Hidalgo - Firas Abdullah-Pool/SIPA

La Mairie de Paris est tellement généreuse avec l’argent des Parisiens, qu’elle ignore le nombre exact de fonctionnaires qu’elle entretient, et continue, chaque année, d’embaucher de nouvelles légions.


« La Ville de Paris a plus de fonctionnaires que toutes les institutions de l’Union européenne dans tous les États de l’Union réunis. On jette l’argent par la fenêtre et on s’étonne que nos services publics manquent de moyens », lançait à l’Assemblée Philippe Juvin, député LR de Courbevoie, le 21 octobre. Les jours suivants, des démonstrations spécieuses fusaient dans la presse pour tenter de prouver le contraire. Or, l’Union européenne, toutes institutions et agences confondues, emploie bien 56 000 personnes pour quelque 500 millions de citoyens ; quand notre Hôtel de Ville totalise 51 578 fonctionnaires pour à peine plus de 2 millions d’habitants – et encore, sans compter les agents qui travaillent pour les innombrables satellites de la Ville, dont le centre d’action sociale, qui dénombrait à lui seul 5 952 salariés en 2020[1]. C’est pourquoi on évoque un bataillon de 51 578 individus, ou 52 000, 55 000, voire plus encore. Tous ces chiffres officiels prouvent que personne ne sait exactement combien de fonctionnaires la Ville de Paris entretient ! La chambre régionale des comptes (CRC), qui a le mauvais goût de vouloir compter juste, estime qu’entre 2014 et 2020, les effectifs sont passés de 47 970 à 51 437. Depuis, il a fallu embaucher du personnel de crèches, des agents en pagaille, des responsables de bidules écolos… et voilà comment la Mairie de Paris justifie la création de 1 031 postes en 2024 : 359 sont dédiés à la police municipale, 322 à la « résorption de l’emploi précaire » (mais encore ?) ; 104 aux « enjeux de développement durable, des mobilités douces » (ben voyons !) ; 63 « pour soutenir la politique de construction du logement social » (pour 100 % de HLM ?), etc., et 11 postes pour les Jeux olympiques (c’est passé, non ?). La Ville prévient déjà que le nombre d’employés nécessaires à « la propreté et à la qualité de l’espace public » (prière de ne pas rire) augmentera encore l’année prochaine. Et il n’est nullement question de remettre en cause les 395 génies qui suent au service communication.

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L’Hôtel de Ville étant peuplé de gens bien élevés, on ne parle jamais d’argent, mais cette générosité coûtera cette année aux Parisiens plus de 2,8 milliards d’euros de salaires, soit le deuxième poste de dépenses. Rapport après rapport, on constate aussi une augmentation du nombre d’« encadrants » et une diminution d’« agents d’exécution », jusqu’à arriver à des situations dignes de Boulgakov. Le rapport social 2021 de la Mairie fait état de 34 directeurs en 2018 et de 36 en 2021 pour gérer… 22 directions.

Serait-ce un problème d’organisation ? Le Land de Berlin, qui emploie 120 000 personnes pour plus de 3,4 millions d’habitants, s’est lancé à la chasse aux postes inutiles depuis des années (déjà 20 000 fonctionnaires recasés), et la Ville de Londres est à la diète avec 74 000 employés pour plus de 8,9 millions d’âmes. Ces travailleurs doivent sûrement travailler car, en plus, à Paris, le taux d’absentéisme cette année est en moyenne de 39,6 jours. Il est de 9,7 dans la fonction publique à l’échelle nationale et de 6,7 dans le privé.

Finalement, le plus faible contingent sur lequel peut compter Anne Hidalgo est celui des Parisiens qui ont voté pour elle à la dernière élection présidentielle : moins de 23 000.


[1]. Le Parisien, 12 décembre 2022.

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