Tony Garnett est comblé. Alors que les chars russes pilonnent l’Ukraine, ce jeune homme de Bradford, en Angleterre, se met en quête de réfugiés à accueillir. Grâce à un employé de clinique, il est mis en relation sur Facebook avec Sofiia, une jeune Ukrainienne de Lviv. Il propose de la parrainer afin qu’elle s’exile légalement au Royaume Uni. La jeune femme débarque donc à Bradford. Depuis dix ans, Tony vit en ménage avec Lorna. Le couple a deux enfants. Pour faire de la place à Sofiia, Tony débarque sa fille de six ans de sa chambre et la met dans celle de sa cadette de trois ans. Lorna s’indigne mais Tony s’en moque. Sous les yeux de Lorna, il profite de la présence de Sofiia pour pratiquer le slovaque, une langue que lui a transmis son grand-père. Puis il emmène Sofiia à la salle de sport. Avant de rentrer, ils passent du temps en voiture. Ils y rient aux éclats, ils traînent sur le parking, laissant la pauvre Lorna esseulée. Et le soir, tard, Tony et Sofiia de regarder la télé.
« J’ai réalisé qu’à la maison, nous cherchions des excuses pour nous toucher, nous flirtions mais il ne s’était encore rien passé », a confié Tony au tabloïd britannique The Sun. La tension monte. Submergée de jalousie, Lorna devient toute aigrie. « Pourquoi tu le suis partout ? », demande-t-elle, très remontée, à Sofiia. Cette dernière aurait alors annoncé à Tony que dans de telles conditions, elle songeait sérieusement à partir. Tony a alors pris les devants. « J’ai dit à Lorna : « Si elle part, alors moi aussi ». Nous avons fait nos bagages et nous sommes allés chez mes parents ».
Aux dernières nouvelles, Tony et Sofiia visitaient des appartements pour emménager ensemble, et venaient de demander un visa permanent pour Sofiia. De son côté, Lorna est effondrée : dix ans de vie conjugale balayés en dix jours. Et pendant ce temps-là, en France, des centaines de milliers d’hommes rêvent d’être à la place de Tony.
L’écologie s’oppose au modèle occidental: comment «sauver la nature» en défendant le transhumanisme et la surconsommation? En respectant les êtres vivants comme ses semblables, l’être humain fera un geste pour l’environnement.
L’écologie telle qu’on la pratique aujourd’hui est-elle dans une impasse ? Les discours et comportements qu’elle inspire la montrent en tout cas traversée par des contradictions qui sont pour une grande part celles du monde actuel dont il lui faudrait, pour être fidèle à elle-même, changer radicalement le logiciel : ce qu’ambitionne de faire l’écosophie en tant que « sagesse de l’habiter », théorisée par Félix Guattari (Les Trois Écologies, 1989) puis par Michel Maffesoli (Écosophie, 2017). Or, à force de sonner le tocsin en prévision d’une apocalypse environnementale dont personne ne peut dire avec certitude si elle aura lieu ni dans quels délais, on est en train de perdre de vue que l’« environnement » ne se réduit pas pour l’homme à la nature, dévastée ou sanctuarisée ; et que l’écologie est justement censée apporter une connaissance avisée de ce qu’il conviendrait de faire, à titre individuel et collectif, pour préserver les liens vitaux entre les êtres vivants et leur « habitat », proche ou plus lointain selon l’extension reconnue à la biosphère.
À force aussi d’inciter les citoyens de tous les pays à se montrer « écoresponsables » en triant leurs déchets, en économisant l’eau et en mangeant bio (s’ils en ont les moyens financiers), tout en dénonçant comme il se doit l’indifférence ou le cynisme des pollueurs et des profiteurs, on est en passe d’oublier que l’écologie est, selon Ernst Haeckel et au sens large du terme, « le savoir des conditions d’existence ». Constituant de ce fait même l’axe et le moteur de tout grand projet anthropologique et civilisationnel, elle ne saurait se limiter à une contre-culture protestataire. Si utile soit-elle quant aux menaces réelles qui pèsent sur l’environnement, la dénonciation permanente risque même de devenir l’arbre qui cache la forêt. À défaut qui plus est de porte-parole qui soit à la hauteur du message « holistique » qui est le sien, cette écologie globale et profonde reste pour l’heure dans les limbes ou se caricature elle-même dans des discours intégristes et totalitaires à la Sandrine Rousseau.
L’environnement de l’homme est autant naturel que culturel
Pas d’écologie vraiment responsable certes sans une attention respectueuse à l’endroit de l’environnement, mais à condition de rappeler qu’il est pour l’être humain culturel au moins autant que naturel. On ne grille donc pas les feux rouges à vélo en écoutant le chant des oiseaux dans son casque ! On ne reste pas rivé à son siège dans le bus ou le métro pour mieux consulter son portable en ignorant délibérément ceux et celles qui debout vous entourent. La liste serait longue des gestes quotidiens qui agressent le « monde de la vie » – le Lebenswelt cher aux phénoménologies – autant que les pesticides empoisonnent les aliments.
Comment donc se dire aujourd’hui « écologiste » tout en s’accommodant de la perte de contact direct avec le monde environnant due à l’usage illimité des nouvelles technologies ? Personne ne peut évidemment savoir si les milliers de zombies qui hantent aujourd’hui les trottoirs des villes, les yeux fixés sur leur portable, sont dans le même temps des écolos convaincus ; mais le spectacle offert par les voyageurs qui ne lèvent pas les yeux sur le paysage durant tout le trajet qu’ils effectuent en train, laisse perplexe quant à la compatibilité entre une vision du monde demeurée « géopoétique », pour parler comme Kenneth White (Une apocalypse tranquille, 1985), et la cécité des Terriens pour qui le monde réel n’est plus qu’un décor négligeable. Quelles solutions l’écologie militante apporte-t-elle à ce divorce grandissant ?
« Côte vue avec Apollon et la Sibylle de Cumes » de Claude Lorrain (1645)
Ajoutons à cela qu’une bonne partie des comportements quotidiens érigés en vertus écocitoyennes et sanctifiés par les larmes de Greta Thunberg relevait il y a quelques décennies encore de l’éducation élémentaire, populaire comme bourgeoise : se laver souvent les mains, ne pas jeter ses déchets dans la rue, éviter de faire du mal aux êtres vivants et ne pas gaspiller nourriture et argent. La plupart de ces vertus « écologiques » ont depuis lors prospéré sur les ruines des systèmes éducatifs, scolaires autant que familiaux, et l’on tente aujourd’hui de réparer tant bien que mal ce qui a été détruit par l’idéologie progressiste voulant que la désinhibition des individus ne connaisse aucune limite et que la nature soit exploitable à merci. Souvent suspectée d’être en son essence « réactionnaire », car critique envers le monde moderne régi par l’industrie, l’écologie doit aujourd’hui apporter la preuve que la confiance retrouvée envers la nature n’est pas un songe creux, mais inaugure au contraire la seule forme de progrès qui, non contente de garantir la survie de l’homme et des espèces vivantes sur terre, accorde un surcroît de dignité à l’être humain.
L’écologie doit défendre toutes les natures, y compris celle de l’homme
Car c’est bien à l’idéologie du Progrès que l’écologie se heurte plus que jamais en dénonçant – avec raison – le cynisme des puissances financières et l’irresponsabilité des pouvoirs politiques. Force est cependant de constater que cette idéologie est relayée par tous ceux et celles qui s’identifient au rôle de « consommateur » qui leur a été imposé par la société marchande, qui tire ainsi le meilleur parti de l’individualisme contemporain et de l’appétit de jouissance immédiate qui le caractérise. Car la vraie question n’est pas de consommer mieux ou moins, mais de cesser de « consommer » pour être enfin libre de choisir et d’acheter ce dont on a vraiment envie ou besoin. Quand va-t-on s’insurger pour de bon, comme on a commencé à le faire dans les années 1970, contre cette indignité qu’est en soi une société « de consommation » ? Réciter chaque jour son bréviaire écocitoyen puisque c’est « bon pour la planète » n’a pourtant de sens que si ce respect retrouvé pour l’environnement permet aussi de prendre peu à peu conscience du rôle régulateur de la nature et de ses effets réparateurs sur les comportements humains.
Mais pourquoi d’ailleurs respecterait-on la Nature quand on déconstruit allègrement la « nature humaine » à laquelle le transhumanisme s’apprête à donner le coup de grâce ? La déconstruction de l’une comme de l’autre ne date pas d’hier il est vrai, et coïncide avec l’entrée de l’humanité occidentale dans les Temps modernes. Si aucune « nature » n’est commune aux êtres humains, on ne voit pas en effet l’intérêt de se référer à une nature environnante censée être la gardienne des repères identitaires les plus élémentaires. C’est bien pourquoi d’ailleurs l’éviction de l’une n’est pas allée sans celle de l’autre, et pourquoi l’écologie se trouve à ce sujet coincée entre l’enclume et le marteau : d’un côté, pour ne pas désavouer les idéaux progressistes, elle approuve les manipulations rien moins que naturelles visant à « augmenter » ou au moins modifier l’être humain ; de l’autre, elle refuse de s’aventurer, par respect pour ce qu’il y a en lui de « naturel », sur ce terrain anthropologique d’ores et déjà miné par des interventions artificielles aux effets inconnus. Du moins l’écologie militante oblige-t-elle à ne plus nier l’évidence : si l’idéologie du Progrès interdit, au moins en principe, de « dénaturer » les êtres humains par des traitements indignes, elle n’a par contre jamais dissuadé de considérer la nature comme un capital matériel exploitable à volonté ; cette mentalité prédatrice se pensant légitimée par la nécessité de maintenir en activité la machine économique afin de nourrir un nombre croissant d’êtres humains. Une écologie vraiment responsable ne devrait-elle donc pas appeler à une limitation volontaire mais drastique du nombre de ces prédateurs potentiels ?
« Paysage avec un village au loin » de Jacob van Ruisdael, (1646)
L’écosophie va d’emblée plus loin en reconsidérant la place de l’homme sur terre, invitant du même coup l’espèce humaine à abandonner l’anthropocentrisme qui a fait son éphémère supériorité, et à rentrer dans le rang en rejoignant les autres êtres vivants qui ont autant de « droits » qu’elle à habiter la planète ; aucun d’entre eux n’étant affligé de ce fardeau qu’est la liberté humaine dont le mésusage a déréglé les écosystèmes. Si sagesse il y a là, ce fut celle des ermites chrétiens cohabitant avec les bêtes sauvages, des taoïstes folâtrant dans le « Vide parfait », et des bouddhistes attentifs à ne détruire aucun être vivant. Rien n’est si simple dans la situation actuelle, et le débat sur la « viande cellulaire » témoigne de l’imbroglio de plus en plus inextricable entre nature et culture : faut-il recourir à des techniques de plus en plus sophistiquées pour ne pas attenter à la vie animale et donc protéger la nature ? Mais que faire en ce cas des milliers de sangliers qui, comme d’autres bêtes sauvages, ravagent les cultures et dont la population ne cesse de croître, en Corse en particulier ? Les Suisses répondraient sans doute à la question par une votation. Les Français préfèrent en débattre à l’infini, comme le faisaient jadis les théologiens du sexe des anges, de l’âme des fœtus et de celle des femmes. Ce qui conduit à penser que, dans un monde sans Dieu, l’écologie est devenue une nouvelle théologie.
À l’exception de grèves à la SNCF, évidemment décidées aux dates les plus sadiques possibles, la chienlit, criante lors du discours de politique générale de Mme Borne à l’Assemblée, ne s’observe heureusement pas ailleurs dans le pays. L’attitude déplorable, et finalement peu commentée, des députés d’extrême gauche, n’est pas rattrapée par les propos peu amènes de l’exécutif. Les compromis politiques seront difficiles à obtenir.
On peut dire que cela a commencé après le second tour des élections législatives. Le sentiment majoritaire dans le pays que malgré la majorité relative de Renaissance rien n’avait vraiment changé en politique, pour le gouvernement comme pour la pratique présidentielle, et que l’éloge du compromis n’était que l’obligation de faire, contre mauvaise fortune, bon cœur apparent. Les idées succédanés des chagrins, avait écrit Marcel Proust.
Mais, en considérant ce qui se passe à l’Assemblée nationale, ce haut lieu de la vie démocratique, quel terrifiant constat on est conduit à faire. Un mélange de grossièreté et de puérilité.
Le niveau baisse
Le refus de serrer la main de tel ou tel député RN quand on est un jeune homme non éduqué peut apparaître comme une peccadille.
L’insoumis Louis Boyard refuse de serrer la main au député RN Philippe Ballard, lors du vote pour la présidence de l’Assemblée nationale, Paris, le 28 juin 2022, D.R.
La marche faussement décontractée et vraiment ridicule de quelques ministres précédés par la Première ministre qui songe évidemment à autre chose avant son intervention capitale à 15 heures ne relève pas le niveau.
Mais la honte est absolue devant l’attitude collective de LFI lors de son discours de politique générale. Je sais que le chahut politique n’est pas d’aujourd’hui mais il a atteint le 6 juillet un comble d’indécence et de vulgarité. Sans le moindre esprit ni talent. Le savoir-vivre et l’élégance d’écouter sont jetés aux chiens.
Je ne suis pas persuadé qu’un homme aurait eu droit au même traitement et que, si Jean-Luc Mélenchon avait été député et de fait responsable de son groupe, les choses auraient tourné de la même manière, avec une telle indélicatesse républicaine. Je n’ose imaginer les réactions médiatiques si le RN s’était comporté avec cette même attitude : il aurait été voué aux gémonies. Mais, pour LFI, on prend acte et on ne condamne pas. Les applaudissements systématiques de Renaissance pouvaient agacer mais ne justifiaient en rien ce vacarme constant et si peu digne.
Faure ambigu sur la police, et un cercueil devant l’Assemblée
Quand la Première ministre rend hommage si légitimement à la police et que tous les députés, sauf ceux de la Nupes, se lèvent pour exprimer leur assentiment et applaudir, il y a là une traduction indiscutable de la très médiocre tonalité républicaine de ces sectaires qui n’ont même pas de courage : Olivier Faure est resté assis alors qu’il avait dénoncé le « la police tue » de Jean-Luc Mélenchon.
Pourtant, par souci d’équité et respect de la nuance, je considère qu’il n’est pas nécessaire d’intenter de faux procès à LFI quand tant de justifiés doivent l’être. Quand la présidente du groupe, Mathilde Panot, à l’égard de laquelle je n’ai pas la moindre dilection politique, parle de « rescapé » pour Elisabeth Borne, au regard du contexte on comprend évidemment qu’elle n’offense pas un passé tragique mais qu’elle fait référence seulement à une situation politique. Le vocabulaire le plus neutre, le plus ordinaire, n’est pas encore interdit dans notre monde à cause de l’Histoire, du moins je l’espère !
Malheureusement pour LFI on n’a pas à s’arrêter là ! À l’extérieur quelques députés, dans une pitoyable séquence, ont cru être drôles en « enterrant » le Front républicain et en singeant un mariage entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Il y a certains de leurs électeurs qui ont dû se retourner dans leur isoloir !
Plusieurs députés insoumis, dont Louis Boyard, organisent devant l’Assemblée Nationale un faux mariage d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen avec un cercueil. Capture d’écran Twitter.
Inélégance généralisée
Il serait malhonnête, au prétexte de ces outrances trop fréquentes (euphémisme!), de passer sous silence une exacerbation soft, des mots sans pensée ayant clairement dégradé un climat qui n’avait pas besoin de ces adjuvants délétères pour sombrer. Le président de la République n’est pas innocent quand il ostracise deux partis qui ne seraient pas de gouvernement à l’Assemblée nationale mais qui ne représenteraient à eux deux que la bagatelle de 15 millions de Français !
L’argumentation vaut aussi pour Pap Ndiaye, voulant tous les compromis sauf avec le RN, et pour Gérald Darmanin tellement désireux de faire oublier ses migrations partisanes qu’il en fait trop ! Quelle aberration à la fois méprisante et inappropriée que cette distinction entre adversaires et ennemis (LFI et RN). Alors que par principe les députés sont tous égaux en dignité à l’AN. Je sais bien qu’à leur manière moins souple, ces ministres ne font qu’emboîter le pas au président mais cela ne les exonère pas de leur choquante inconditionnalité.
Je regrette d’ailleurs à ce sujet que la Première ministre n’ait pas eu le courage, ou la sagesse, d’insérer dans son propos une double référence qui a manqué pour les entretiens qu’elle a eus : à Marine Le Pen et à Mathilde Panot. Comme un manque d’élégance de la part d’une personnalité qui a supporté pourtant avec beaucoup de classe, avec une présidente de l’AN en formation, le lamentable et impoli brouhaha de l’extrême gauche… On n’a jamais connu un tel début de quinquennat. Avec le paradoxe que pour l’instant la chienlit n’est pas dans le pays – je n’approuve pas pour autant le recours à la grève la plus sadique possible – mais dans le monde politique largement entendu. Quand la France attend qu’on relève les défis qui la concernent et les maux multiples dont elle souffre.
L’Éducation nationale n’est plus capable de certifier les compétences réelles des élèves. Les établissements de l’enseignement supérieur sont donc contraints de ruser avec Parcoursup, ce qui entraine des effets biaisés et souvent préjudiciables à certains étudiants.
Cette année encore, la plateforme Parcoursup, qui répartit les élèves bacheliers dans l’enseignement supérieur, a produit des résultats à la hauteur de ce qu’on pouvait en attendre. Causeur a publié hier la lettre du jeune Enguerrand Valmy, un excellent élève du lycée militaire de Saint-Cyr, premier de sa classe pendant trois ans, qui a vu tous ses vœux pour rentrer en classe préparatoire scientifique refusés. L’explication ? Selon toute probabilité, le problème est qu’il demandait à rentrer à l’internat (et on le comprend, vu l’intensité du travail nécessaire) ; mais n’étant pas boursier, son dossier n’était pas prioritaire. Donc au revoir la prépa.
Algorithmes opaques
Le cas particulier de ce garçon est très symptomatique des dysfonctionnements structurels de la plateforme Parcoursup, critiquée à raison depuis ses débuts en 2018. Entre critères de sélection absurdes, algorithmes opaques et absence totale de prise en compte des autres éléments que les notes, comme c’était pourtant l’objectif annoncé (via diverses « lettres de motivation » et « engagements citoyens » à mettre en avant), les ratés sont nombreux, et nourrissent un mécontentement général. On conviendra que ce n’est pas partout pour les mêmes raisons, cela dit. Peut-être le lecteur se souvient-il des grands blocages universitaires de 2018, qui critiquaient l’instauration d’une forme (timide) de sélection à l’université via Parcoursup dans le cas des filières surchargées, en remplacement de la méthode… du tirage au sort. Pour autant, si Parcoursup a éliminé cette anomalie délirante, d’autres n’ont pas manqué de surgir, car le principe même de la répartition des centaines de milliers de bacheliers dans l’enseignement supérieur via un tel mastodonte informatique pose des problèmes innombrables.
« Parcoursup est un rouleau compresseur très inégalitaire », dénonce Sophie Audugé, déléguée générale de SOS Education, interrogée par Causeur. « Il y a plusieurs couches d’algorithmes, au niveau général d’abord, puis au niveau des établissements, qui choisissent leurs critères de sélection. Le problème, c’est que les lycéens ne connaissent pas ces critères, qui sont parfois extrêmement réducteurs ». Par exemple : une classe préparatoire littéraire, submergée par les milliers de demandes pour les 40 places qu’elle offre, estime ne pas pouvoir regarder tous les dossiers en détail. Pour réduire les chiffres, elle va alors demander au système de Parcoursup de procéder à un tri automatique des candidatures, et de n’examiner que les dossiers des élèves qui ont été premiers de leur classe en français au lycée. Et le dossier de tel élève brillant, qui aura été deuxième dans un lycée prestigieux, ne sera jamais examiné par des « vrais gens ». Autre critère absurde qui aurait été adopté ici et là : un tri par année de naissance, c’est-à-dire que les lycéens ayant sauté une classe se trouveraient avantagés, et ceux ayant redoublé défavorisés. Sans parler bien sûr des mesures prises pour « réduire les inégalités sociales » qui avantagent mathématiquement les boursiers ou les élèves issus de quartiers classés en « zone d’éducation prioritaire ».
Bonnes notes pour tout le monde !
Ces dysfonctionnements, déjà lourds, se sont encore aggravés au moment de la réforme du bac. Puisque le passage partiel au contrôle continu a entraîné une suite de conséquences logiques qui auraient dû être prévues par le gouvernement, mais qui ne l’ont manifestement pas été. La principale, c’est une inflation des notes s’ajoutant encore à celle des dernières décennies, rapprochant toujours plus les moyennes générales de 20. D’abord parce que les professeurs de lycée veulent être « gentils » avec leurs élèves, mais aussi parce qu’il est dans l’intérêt des établissements de surnoter : le classement des lycées s’effectue en effet selon le nombre de mentions très bien obtenues au bac… et comme le bac dépend du contrôle continu, il s’agit de gonfler les notes pour monter dans le classement. Une logique circulaire délirante qui conduit les lycées « historiques » de bon niveau, connus auparavant pour leur notation plus exigeante, à s’aligner pour que leurs lycéens n’aient pas deux points de moins au bac que les autres.
Pour contourner cette logique dont les recruteurs ont bien conscience, ici et là on adopte le critère de la différence entre les notes du contrôle continu et celles de l’examen terminal : en cas de surperformance, qui aurait tendance à indiquer qu’on est issu d’un lycée exigeant, on a un bonus, et un malus en cas de sous-performance. Des mécanismes d’une complexité qui ne traduit qu’une seule chose : « L’Éducation nationale n’est plus capable de certifier les compétences des élèves, donc les recruteurs essaient de trouver d’autres moyens externes pour juger », explique Sophie Audugé.
Finalement, au contraire de l’idée qui était avancée avant la réforme du bac au contrôle continu – une évaluation plus proche des élèves, personnalisée, permettant d’éviter les accidents au jour de l’épreuve unique… le résultat est l’organisation d’une pression considérable sur les élèves de première et de terminale à chaque contrôle, que Parcoursup accentue puisqu’en tant que plateforme centralisée à l’échelle nationale, elle met en concurrence tous les lycéens de France entre eux. Ceux-ci n’ont qu’à cliquer pour proposer leur candidature « au cas où » à une formation à 600 km de chez eux dans laquelle ils n’iront jamais, mais qui doit tout de même traiter leur dossier parmi des milliers d’autres, et ils ne peuvent faire autrement pour cela qu’adopter des principes rigides d’examen informatisés.
Une année de plus d’approximations donc. Et ça n’est pas près de s’arranger.
En voilà des manières! Alors que le ministre de l’Intérieur désigne le RN et LFI comme des « ennemis », Elisabeth Borne tente d’humilier leurs représentants de groupe, lors de son discours de politique générale, à l’Assemblée nationale. On a déjà fait plus « rassembleur ».
Elisabeth Borne vient de s’exprimer devant l’Assemblée nationale. On appelle ça « un discours de politique générale ». La concernant, l’expression « un discours de politique exclusive » serait plus juste.
La politesse au Palais Bourbon veut qu’on cite tous les noms des présidents de groupe. Elisabeth Borne s’est pliée à cet exercice. Avec deux omissions de taille : elle n’a pas mentionné les noms de Mathilde Panot (LFI) et Marine Le Pen (RN).
En cela, elle s’est inspirée de Darmanin qui a distingué entre « les adversaires » (LR et PS) et « les ennemis » (LFI et RN). Et avec « les ennemis », on ne prend pas de gants. On les détruit ou, si l’on est d’humeur plus pacifique, on les fait manger à l’office avec le personnel de maison.
« Le Mépris » est un très beau film avec Jean Gabin et Brigitte Bardot. « Le Mépris » avec Elisabeth Borne est un pitoyable navet. Comment peut-elle effacer La France insoumise et le Rassemblement national de l’Assemblée nationale ? Comment Elisabeth Borne peut-elle s’assoir avec une telle désinvolture sur les millions de voix que ces partis ont obtenues ? Nous n’avons de sympathie particulière ni pour Jean-Luc Mélenchon ni pour Marine Le Pen. Mais la simple arithmétique démocratique indique qu’ils représentent plus de 40% des Français.
Le pin’s de Pap Ndiaye
Ils votent donc mal alors… Pour se débarrasser de ce boulet, une solution s’impose : rétablir le vote censitaire ! Seuls seront admis dans l’isoloir ceux qui seront à jour de leurs cotisations au parti de Macron. Et pour faire illusion, on leur adjoindra quelques supplétifs Républicains. C’est ça, la démocratie selon Elisabeth Borne !
Quelques mots pour finir sur Pap Ndiaye qui a dit « qu’être attaqué par l’extrême droite équivaut à un badge d’honneur ». Elisabeth Borne a choisi d’ignorer l’extrême droite. Elle n’aura pas son badge d’honneur, na!
Notre chroniqueur continue sa tournée des lectures d’été. Autant dire que la rédaction de Causeur, qui a pour la vertu une admiration sans bornes, se désolidarise complètement de ces affriolantes considérations sur les grandes courtisanes — en l’occurrence Doris Delevingne, vicomtesse Castlerosse.
La langue de la prostitution est incroyablement riche et colorée, des « pierreuses » qui tapinaient entre les blocs amassés au bas des « fortifs », dans les années 1880, jusqu’aux michetonneuses qui, à l’exemple de l’héroïne de Francis Leroi (1972), bouclent les fins de mois en vendant deux jambons pour une andouille.
Ce n’est pas de ces prolétaires du tapin que je veux vous parler ici, mais des grandes prêtresses de l’amour tarifé — au moins celles de l’époque moderne, étant entendu que les prostituées sacrées de l’Egypte antique obéissaient à des contraintes culturelles fort éloignées de nous. Si vous avez des trous dans votre culture antique, lisez donc l’Aphrodite de Pierre Louÿs (1896).
La lecture (instructive et passionnante, c’est délicieusement écrit par une femme experte en biographies de femmes libérées) du livre de Stéphanie des Horts, Doris, le secret de Churchill, qui vient de sortir, m’a donné l’idée de revenir sur ces grandes hétaïres, cocottes et autres demi-mondaines inventées par le XIXe siècle bourgeois, et qui ont disparu avec lui — un peu après-guerre. Doris Delevingne est l’une des dernières de ces gourgandines flamboyantes qui contribuèrent si puissamment à ruiner les fils de famille dévoyés — et leurs pères.
C’est toute l’histoire de la Dame aux camélias de Dumas fils. Publiée en 1848 en roman, adaptée au théâtre en 1852, elle s’inspire des amours de l’auteur avec une courtisane trop tôt disparue, Marie Duplessis (1824-1847). Verdi en a tiré en 1853 l’admirable Traviata : je m’esbaudis fort, à chaque représentation, du souffle fabuleux de la soprano qui interprète Violetta et qui, mourant de tuberculose, trouve la force de chanter jusqu’à son dernier souffle. Maria Callas (entre autres sublimes interprètes) faisait ça avec une grande conviction. À noter que c’est aussi à Dumas fils que l’on doit l’appellation « demi-mondaine », qui a une grande destinée en littérature, jusqu’à Odette de Crécy (in Un amour de Swann).
C’est aussi le sujet de Nana, le roman de Zola qui connut les plus forts tirages — près de 120 000 exemplaires dès la première édition, un chiffre colossal dans une France de 39 millions d’habitants. La fille des rues, l’enfant de Gervaise, l’héroïne de l’Assommoir, ruine plusieurs millionnaires, extorquant à l’un d’entre eux l’équivalent de 3 millions d’euros en un an. Ce n’est plus le prix d’une passe, mais d’une position sociale. Imaginez-vous le bourgeois parisien de 1879, venu au Café de Paris prendre un café sur le coup de onze heures, plongé dans la dernière page du Voltaire, la feuille de chou où le roman sortit d’abord en feuilleton, et dissimulant sous la nappe l’émoi que lui causait ce texte sulfureux ?
Méry Laurent au Chapeau Noir, Edouard Manet (1882). D.R.
Les modèles déclarés de Nana forment l’essentiel de la liste de ces grandes salopes de luxe. Blanche d’Antigny, par exemple, qui posa pour la Marie-Madeleine de Paul Baudry — pénitente ou pénis tente, allez savoir : revenue de Russie, elle se promenait en calèche dans Paris conduite par un moujik habillé de soie pourpre. Ou Méry Laurent, qui joua nue, comme Nana au début du roman, le personnage de Vénus Anadyomène, et tint salon pour tout ce que le XIXe siècle compta d’écrivains majeurs. Edouard Manet en a fait plusieurs portraits magnifiques — mon préféré étant celui au chapeau noir. Ou Valtesse de la Bigne, dont le lit de parade (Zola la supplia en vain de le lui montrer — mais il n’avait pas les moyens, lui rétorqua la belle) est aujourd’hui aux Arts décoratifs. Le fait est que c’est le genre de décor érotique où il vaut mieux se montrer à la hauteur. Une érection incertaine sur un tel champ de manœuvres vous déconsidère à tout jamais.
Ma préférée reste Cora Pearl, maîtresse de Napoléon III et du duc de Morny — voir la splendide photographie d’Eugène Disdéri, réalisée vers 1860. Elle prenait des bains de champagne pour se donner du pétillant, teignit son caniche en bleu pour l’assortir à sa robe, et se fit servir nue sur un immense plat d’argent au Café anglais. Elle ruina le jeune Alexandre Duval, qui essaya de se suicider après avoir tenté de la révolvériser — deux échecs, on juge le piètre indice de performance du garçon…
Mais d’autres préfèreront Liane de Pougy, la Païva, Caroline Otero ou Liane de Pougy. Ce siècle fut incroyablement riche en beautés délurées et quelquefois fatales : voir Marguerite Steinheil, qui tua d’amour Félix Faure.
Doris Delevingne donc — les plus belles jambes d’Angleterre, que tous les hommes rêvaient de prendre à leur cou. Elle fréquente (un joli euphémisme) tout ce que la bonne société londonienne de l’après-guerre compte de lords richissimes, qu’elle contribue à ruiner. Jusqu’à Winston Churchill qui, peintre du dimanche comme on sait, fit plusieurs portraits d’elle. Elle se marie avec le Duc de Kenmare, prend le titre de vicomtesse Castlerosse, divorce, tente les Etats-Unis — qui avaient déjà leur lot de créatures flamboyantes. C’est à Palm Springs que John Lavery la peint, installée sur le tremplin d’une piscine. Fragile équilibre, derniers éclats : le peintre meurt trois ans plus tard, la belle revient en Angleterre et se suicide (probablement) en 1942 à 42 ans en absorbant tout ce qu’il fallait de pilules porteuses d’oubli. La deuxième Guerre mondiale sonna le glas des Années folles, et Churchill passa du statut de débauché ordinaire à celui de grand homme d’Etat.
Fourrures, bijoux, caprices, Stéphanie des Horts ne nous cache rien de l’art savant de ruiner son prochain. C’est un livre qui se déguste comme on suce un esquimau. À petits coups de langue, jusqu’à ce qu’il ne reste dans votre bouche qu’un tout petit bâton — auquel cas on s’en offre un autre, comme les sucettes à l’anis d’Annie.
Nous voici loin des escorts contemporaines, que tout un chacun peut s’offrir pour quelques billets de cent, comme le raconte mon amie Maïna Lechebonnier dans son livre l’Utile et l’agréable, Mémoires d’escort. La prostitution de haut vol fait désormais du rase-mottes. Pédagogie, politique ou prostitution, partout nous avons descendu la barre. Comment disait l’autre, déjà ? Ah oui, décadence française…
Stéphanie des Horts, Doris, le secret de Churchill, Albin Michel, 288p.
« Them’s the breaks » (« contre mauvaise fortune, bon cœur ») : c’est avec ces mots que, après des mois de controverses et d’enquêtes sur son comportement, Boris Johnson vient de donner sa démission. Pourquoi ? Et, au-delà de toutes les polémiques récentes, quel homme était-il?
Le Premier ministre qui refusait de s’en aller vient enfin d’abdiquer volontairement, sous la pression des nombreuses démissions (jusqu’à 59) de ministres et de chefs de cabinet du gouvernement, et grâce à l’insistance d’un certain nombre de ses alliés les plus proches.
Après le « Partygate », après les accusations de corruption, après le lancement d’une enquête pour savoir s’il avait sciemment menti au Parlement ou non, après avoir survécu – sans gloire – à une motion de défiance lancée par ses propres députés le 6 juin, BoJo quitte enfin le pouvoir pour une affaire de mœurs. Le plus ironique, c’est qu’il ne s’agit pas de ses mœurs à lui. Le coup de grâce de sa carrière de Premier ministre a été la révélation qu’il avait nommé à un poste important dans le Parti conservateur, en février, un député, Chris Pincher, qui faisait l’objet d’une plainte pour inconduite sexuelle (en l’occurrence, des attouchements homosexuels). Johnson a prétendu qu’il n’était pas au courant de la plainte, avant que des témoignages – surtout celui d’un haut fonctionnaire – n’apportent la preuve du contraire. Cette révélation a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : toute une série de ministres, même d’État, se sont sentis obligés de démissionner pour protester contre la conduite de leur propre chef. Se cramponnant au pouvoir dans un déni de réalité extraordinaire, Johnson a finalement été obligé de reconnaître qu’il ne pouvait plus gouverner – surtout parce qu’il ne lui restait pas assez de députés ministrables pour former un gouvernement.
Des figues et des raisins
À l’heure actuelle, Boris Johnson a démissionné en tant que chef du Parti conservateur mais entend rester Premier ministre jusqu’à la rentrée afin de permettre au parti d’élire un nouveau leader. Selon le système démocratique britannique, le Premier ministre est normalement le chef du parti (ou de la coalition) qui a le plus de sièges à la Chambre des communes. Avec un locataire désormais intérimaire au 10, Downing Street, le pays entre dans une phase « mi-figue mi-raisin », pour ainsi dire, où il y a un gouvernement mais qui se retrouve privé de l’autorité dont il devrait jouir en temps normal. C’est d’autant plus grave que le pays fait face à une crise aiguë, les difficultés liées à l’inflation et au coût de la vie étant encore plus graves que dans d’autres pays européens. Ces difficultés sont-elles la conséquence directe du Brexit ? Ce dernier joue un rôle dans cette crise, mais ce n’est pour le moment qu’un élément parmi d’autres.
Élu triomphalement à la tête du pays le 13 décembre 2019, avec pour mission principale de mener à bien la sortie de l’UE, Boris Johnson doit faire face à un premier scandale en mai 2020 quand son conseiller spécial, Dominic Cummings, est accusé d’avoir violé les règles du confinement. Mais, c’est un an plus tard, avec le « Curtaingate » (qui concerne le financement de la décoration de son appartement privé du 10 Downing Street), que débute une ribambelle de scandales comprenant le « Partygate » et un certain nombre d’autres affaires de corruption. La charge principale contre BoJo n’est pas de profiter personnellement de sa position de pouvoir, mais de ne pas dire la vérité – ou toute la vérité – au Parlement et au public. L’énergie qu’il a dû consacrer à la gestion de tous ces scandales a indéniablement miné sa capacité à se focaliser sur les véritables problèmes du Royaume Uni. Sa démission représente un soulagement pour le pays, en permettant de sortir de l’impasse, sauf que la solution qu’apportera un nouveau leadership n’arrivera pas assez vite. Le navire britannique continuera à voguer plus ou moins à la dérive pendant un certain temps, faute d’un vrai gouvernail.
Ange ou démon?
Le nom de Boris Johnson restera associé au Brexit. C’est lui qui a été le visage de la campagne victorieuse lors du référendum de 2016 ; c’est lui qui prit les rênes du pouvoir, le 25 juillet 2019, après que Theresa May avait échoué sur toute la ligne à mener à bien sa vision du Brexit ; c’est lui qui, en tant que Premier ministre, a trouvé un accord de principe avec l’UE le 17 octobre de cette année et qui a présidé aux négociations conduisant au départ définitif du Royaume Uni, après la période de transition, le 31 décembre 2020. Ce lien indéfectible entre BoJo et le Brexit a fait de lui un héros populaire pour les uns et un démon populiste pour les autres. Mérite-t-il l’un ou l’autre de ces qualificatifs – ou les deux ? Boris Johnson a assumé pleinement son rôle de Brexiteur-en-chef en déployant tous les trésors de charisme dont il possède une abondance. À cet égard, c’est un authentique héros populaire. En même temps, il ne s’est jamais vraiment montré un génie en termes de stratégie politique. Toute sa carrière antérieure de député conservateur et de maire de Londres avait été marquée par un comportement assez chaotique qu’il compensait par son charme de tribun caractérisé par une combinaison particulière d’affabilité et d’humour. Son vrai talent en termes de stratégie a été de reconnaître et d’écouter ceux qui étaient de bon conseil. C’est ainsi qu’il a pris comme conseiller spécial le Dark Vador de la politique moderne au Royaume Uni, Dominic Cummings, le directeur de la campagne référendaire de 2016 qu’il a immédiatement réembauché en devenant Premier ministre. Or, en novembre 2020, dans une lutte d’influence entre le clan Cummings et celui de sa compagne, Carrie, Johnson a choisi celui de sa future épouse. Jusqu’alors, Johnson avait tout réussi, de son élection à la préparation du programme de vaccination contre le Covid qui devait démarrer le mois suivant. On peut dater du départ de Cummings, devenu lui-même impopulaire auprès du public, des fonctionnaires et des députés conservateurs, le début d’un manque général de direction dans la politique gouvernementale de Johnson, ainsi que le début de la multiplication des scandales. Par la suite, le seul domaine où BoJo gardera un cap sans faille avec l’appui du public et de toute la classe politique, c’est dans sa poursuite de la guerre en Ukraine. En ce qui concerne les grands projets – notamment la construction de nouvelles infrastructures et de nouveaux logements – qui devaient lui permettre de tenir sa promesse d’améliorer la qualité de vie des laissés-pour-compte de la mondialisation, tout est plus ou moins parti à vau-l’eau.
Est-ce pour autant un démon populiste ? Ses critiques parlent de lui comme d’un menteur pathologique. Il y a une distinction à introduire ici. Le slogan questionnable (inventé par Cummings, d’ailleurs) [1] sur la somme d’argent versée par Londres à Bruxelles qu’il a lancé pendant la campagne du référendum, ainsi que son engagement, assez floue, auprès des unionistes nord-irlandais à ne pas créer de frontière entre la Grande Bretagne et l’Irlande du Nord n’ont pas choqué les nombreux électeurs qui ont voté pour lui. En revanche, c’est son incapacité à dire et à reconnaître la vérité devant le Parlement sur des sujets qui ne concernaient pas directement sa politique générale qui a entraîné sa chute. Ses adversaires sur la question de l’UE – et ils sont particulièrement nombreux en Europe – le traitent de « populiste ». En fait, ils sont leurrés par la coïncidence du vote pour le Brexit et l’élection de Donald Trump la même année, coïncidence qui a conduit à la conclusion hâtive qu’il s’agissait d’un seul et même phénomène. Selon une définition courante, un populiste s’oppose aux institutions démocratiques traditionnelles, critiquées comme étant l’apanage de groupes d’intérêt plutôt que des assemblées véritablement libres qui représentent le peuple. On cite la tentative de Johnson, à la rentrée de 2019, de proroger le Parlement comme preuve de son mépris des institutions. Pourtant, il faisait tout, non pour gouverner sans les députés, mais pour provoquer des élections, car une loi de 2011 (abrogée depuis) avait privé l’exécutif de ce pouvoir traditionnel. D’ailleurs, de telles élections étaient justifiées par l’incapacité des Communes à prendre une décision claire concernant le Brexit – et elles ont eu lieu quelques mois plus tard. Johnson est bien plutôt électoraliste que populiste. Selon une autre définition courante de ce terme, un populiste est l’ennemi de l’immigration sous toutes ses formes. Les adversaires de Johnson citent le fait que le Brexit a mis fin aux flux de travailleurs détachés venant de l’UE. Ce qu’ils ne voient pas, c’est que, de 2010 à 2020, le gouvernement conservateur avait fixé l’objectif de réduire drastiquement les nombres d’immigrés venant de partout – et sans grand succès. Le gouvernement de Boris Johnson a aboli cet objectif. Les critiques citeront ensuite son projet pour envoyer des immigrés clandestins au Rwanda. Là encore, ils n’ont pas compris que la politique du gouvernement de Johnson était non d’arrêter l’immigration, mais d’encourager des immigrés qualifiés susceptibles de créer de la croissance pour tous. Le spectacle des clandestins qui, avec la complicité de bandes criminelles de trafiquants, traversaient la Manche chaque jour, remontait les Britanniques contre l’immigration en général. Il fallait décourager cette immigration illégale pour sauver l’immigration légale. Boris Johnson s’est toujours montré trop internationaliste pour être populiste. Qu’était-il alors ? En prétextant ses ancêtres turcs, on pourrait presque dire que c’était un sultan : aussi bienveillant que brouillon ; aimant certes le pouvoir mais sans affectation ni arrogance ; capable autant d’attirer l’affection de la foule que de s’illusionner sur sa popularité ; et enfin, face aux pires menaces pour la démocratie, capable de faire preuve de constance et de courage.
[1] “We send the EU £350 million a week, let’s fund our NHS instead. Vote Leave”
Enguerrand Vauby a l’impression d’avoir gâché trois ans de sa vie! Après s’être éloigné de sa famille, et avoir travaillé dur au lycée militaire de Saint-Cyr-L’École pendant trois ans, où il a obtenu les meilleures notes, il voit ses chances compromises et ses candidatures en classes préparatoires refusées, car il aurait coché une mauvaise case sur Parcoursup… Nous reproduisons ici son courrier adressé au président de la République.
Monsieur le président de la République,
Entré à 15 ans comme interne au Lycée Militaire de Saint-Cyr-L’École, j’ai dû faire de nombreux sacrifices, notamment m’éloigner de ma famille et de mes amis, car je croyais au mérite du travail pour réaliser mes ambitions. Je suis major de ma classe depuis trois années consécutives : en seconde, première et terminale. Chaque année, j’ai également été distingué du Coldo d’or (récompense du premier de classe) dont vous connaissez j’en suis certain l’exigence et la valeur. Je viens d’être reçu bachelier mention très bien le 5 juillet avec 19/20 en mathématiques et 19/20 en physique. Soucieux depuis mon plus jeune âge de réussir ma scolarité, j’ai toujours travaillé.
Mon but était de devenir un grand ingénieur, diplômé d’une des meilleures écoles françaises, pour servir mon pays. Fort des connaissances et des compétences que j’aurais ainsi développées, j’avais l’ambition de participer au renouveau de l’industrie française par l’innovation et d’agir pour notre compétitivité nationale. Le sésame pour intégrer Polytechnique, Centrale ou les Mines est d’entrer dans une des neuf classes préparatoires auxquelles j’ai candidaté.
Ce sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait et d’être un simple numéro sans intérêt, la variable d’ajustement d’un algorithme, je ne m’y résous pas
Et je m’en suis donné les moyens, j’ai travaillé et travaillé encore. Et j’ai aimé ça. Je suis passionné par les sciences mathématiques et la physique. Le 2 juin, j’ai appris qu’aucune des classes préparatoires qui pouvaient me permettre d’atteindre mes ambitions n’a retenu mon dossier. Je n’ose pas imaginer que mes efforts durant ces trois années ont été vains.
Monsieur le président, si je puis me permettre de faire mienne une de vos formules, je suis « premier de cordée » et pourtant aucune des classes préparatoires permettant d’accéder aux grandes écoles d’ingénieurs françaises, dont polytechnique que je vise, ne veut de moi. D’où ma question : est-ce normal, selon vous, qu’un jeune premier de cordée soit rejeté des classes préparatoires qui conduisent aux grandes écoles d’ingénieurs en France ?
À moins que je me sois trompé sur moi-même et que mon dossier académique ne revête pas les caractéristiques des premiers de cordée. Je vous laisse en juger :
– Lycée militaire de Saint-Cyr-L’École ; – Premier de classe en seconde, première, terminale ; – 17,43 de moyenne sur l’année de terminale ; – 19/20 en mathématiques et en physique au baccalauréat ; – Baccalauréat mention Très Bien.
D’autres élèves, qui n’ont pas ces moyennes, qui n’ont pas cette position de rang dans la classe, qui n’ont pas ces résultats au baccalauréat en mathématiques et en physique, sont pris en classes préparatoires. Monsieur le président de la République, est-ce moi ou est-ce le système qui a un problème ? La France croule-t-elle littéralement sous les dossiers d’excellents élèves pour écarter un dossier dont le professeur principal et le chef d’établissement ont écrit sur la fiche de candidature aux classes préparatoires :
« Un dossier remarquable dont l’excellence des résultats et des compétences dans toutes les matières lui permettront de réussir pleinement. Intelligent, pertinent et très compétent, il saura également exceller et parfaitement réussir dans toutes les tâches qui lui seront demandées. Toutes nos félicitations et toute notre confiance pour la suite de vos études. »
« Un élève dont l’excellence de ses compétences et ses résultats lui permettront de réussir pleinement, et de répondre avec excellence aux attentes et aux exigences d’une classe préparatoire. »
Monsieur le président de la République, je ne comprends pas. Pourriez-vous m’expliquer ?
Quand j’interroge les établissements, on m’apporte des réponses variées :
– « c’est parce que vous avez demandé l’internat » – ou a contrario, « l’internat n’a rien à voir là-dedans » – « c’est la machine (Parcoursup) qui fait tout » – « les boursiers sont prioritaires » – …
Qu’en est-il vraiment ? Où se situe l’égalité des chances dans mon cas ? Qu’en est-il de la méritocratie républicaine ? J’ai besoin de réponses claires. Pour moi et pour tous les autres élèves qui entrent au lycée avec des rêves dans la tête comme j’en avais et qui sont déterminés à travailler pour les atteindre.
Il faut les prévenir. Car la douche est froide. Et cette violence symbolique, ce sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait et d’être un simple numéro sans intérêt, la variable d’ajustement d’un algorithme, je ne m’y résous pas. Tout simplement parce que c’est injuste.
Vous l’aurez compris, avec tout le respect que je vous dois, et dont vous pouvez être assuré, j’ai besoin de réponses.
Il en va de l’avenir d’un jeune garçon méritant et déterminé dont vous venez de briser les ailes. J’espère sincèrement, Monsieur le président de la République, que vous comprendrez ma démarche. Je vous prie d’agréer, Monsieur le président de la République, l’expression de ma haute considération.
Les affaires médiatiques de “violences sexuelles” se multiplient. Beaucoup se réjouissent d’une “libération de la parole”, d’autres s’inquiètent d’une dérive. On craint d’être accusé de participer à la « culture du viol » si on ne croit pas toutes les femmes.
Après Gérald Darmanin et Éric Zemmour, Damien Abad et Chrysoula Zacharopoulou, c’est au tour d’Éric Coquerel d’avoir sa réputation jetée en pâture. Tous sont accusés de violences sexuelles.
Nous sommes toujours devant le même scénario: une femme affirme être victime de violences sexuelles et l’accusé nie. Inévitables, des questions épineuses nous taraudent. Que devons-nous faire? Qui devons-nous croire?
Présentement, deux réponses s’offrent à nous. La première consiste à n’accepter ni la version de l’accusatrice ni la version de l’accusé. La présomption d’innocence qui protège l’accusé n’est pas un acte de foi et ne discrédite pas l’accusatrice. Elle est provisoire, car elle s’efface devant le verdict. Soit l’accusé est reconnu coupable et la présomption est anéantie. Soit l’accusé est déclaré non coupable et la présomption devient affirmation.
Ne pas agir avant de savoir
La seconde réponse consiste à refuser de suspendre son jugement: il faut croire l’accusatrice. Bien que l’on honore, ou prétende honorer, la présomption d’innocence, l’on se met également à traiter l’accusé en lépreux. On interpelle l’employeur de l’accusé, on déclare que la personne ne peut plus occuper ses fonctions vu les accusations portées contre elle. Ainsi, bien que l’on ne demande pas à l’institution judiciaire de sanctionner l’accusé, on exige que d’autres acteurs, d’autres institutions sévissent à sa place.
Rappelons un instant que la présomption d’innocence sert un objectif précis. Fondamentalement, si l’appareil judiciaire punit alors nous devons nous demander qui doit être puni. La seule réponse qui vaille est qu’il faut punir les coupables et seulement eux. Il faut donc les identifier. Le procès est un instrument épistémique; il doit nous permettre de découvrir la vérité. La présomption d’innocence, c’est surtout éviter d’agir avant de savoir.
Soyons clairs, la présomption d’innocence n’interdit pas les pensées, mais elle doit empêcher les sanctions et les punitions.
D’aucuns diront qu’il faut établir des distinctions. On ne doit pas sanctionner ou sévir sur la base de calomnies ou de rumeurs. Les membres de la France insoumise qui défendent Éric Coquerel affirmaient qu’en l’absence d’une plainte on ne sévit pas. Ils poursuivaient en expliquant que bien que Damien Abad doive bénéficier de la présomption d’innocence, il ne peut demeurer ministre, car lui fait l’objet d’une enquête judiciaire.
La tartufferie des Insoumis
L’idée qu’il faille faire un tri entre les accusations n’est pas mauvaise, mais il faudrait se demander si ce genre de distinction n’est pas d’abord et avant tout motivé par l’intérêt. D’ailleurs, le test acide n’a pas tardé: l’accusatrice a depuis déposé plainte. Quand monsieur Coquerel démissionnera-t-il de la présidence de la commission des Finances ?
Mais au-delà de cette hiérarchisation – rumeurs, accusations publiques, dépositions de plaintes – nous devons nous poser une question plus essentielle. En l’absence d’une condamnation, sans preuve définitive ou l’aveu de la personne accusée, devrions-nous imposer des sanctions sociales? Pourquoi les citoyens devraient-ils devancer l’appareil judiciaire et se faire les bourreaux du tribunal populaire?
On pourrait répondre par l’affirmative en insistant sur l’importance de l’exemplarité. Nos institutions doivent être irréprochables, car elles doivent inspirer la confiance. Ainsi, un ministre qui fait l’objet d’une enquête judiciaire ne peut demeurer en poste puisqu’il discrédite l’autorité publique.
Sans nier l’importance de l’exemplarité ou de la confiance, nous pouvons tout de même nous demander pourquoi une accusation ou une plainte devrait nécessairement discréditer une personne ou une institution. Voulons-nous vraiment accepter comme norme qu’une plainte remplace le verdict, qu’elle suffise à faire tomber un ministre ou haut fonctionnaire? Croyions-nous aussi que le président doive démissionner si une plainte, ne serait-ce qu’une seule, était déposée contre lui?
La vie publique pourrait devenir insupportable
Évidemment, si nous nous mettions à appliquer une telle norme la vie publique deviendrait rapidement insupportable. Après tout, combien de plaintes ne donnent lieu à aucune condamnation? Combien d’enquêtes judiciaires ne valident pas la version de l’accusatrice? Deux fois, le judoka Alain Schmitt a été relaxé. Quelles sanctions sociales devions-nous lui imposer? Si chaque plainte rend inéligible l’accusé, alors toute plainte déposée aurait pour conséquence une démission.
Malgré sa valeur, l’exemplarité ne justifie ni le chaos ni l’iniquité. Impérativement, nous devons nous demander pourquoi une accusation ou une plainte devrait tout de suite motiver autant de soupçons? Comme une plainte met en œuvre un processus qui peut aboutir à un procès et ensuite un verdict, pourquoi ne nous contenterions-nous pas d’un scepticisme salutaire? Pourquoi ne pas dire que nous ne savons pas, que l’affirmation est disputée et que nous n’agirons pas sur la base de soupçons? Nous connaissons la réponse. On craint d’être accusé de participer à la « culture du viol » et cette peur pousse au jugement hâtif. En effet, selon ceux qui affirment que nous habitons une société où la violence sexuelle est endémique, faire preuve d’humilité intellectuelle ou de neutralité revient à prendre parti pour l’oppresseur. Lorsqu’une actrice dit «On doit aussi croire toutes les femmes qui parlent », il faut comprendre que la foi est prescrite et le doute proscrit. Affirmer qu’il existe une culture du viol revient à vouer un culte au soupçon à sens unique : s’il faut croire toutes les femmes, comment pouvons-nous aussi croire les accusés qui les contredisent? S’il faut croire toutes les femmes, plutôt que de croire les affirmations étayées par les meilleurs arguments et les preuves les plus solides, alors nous ne raisonnons plus. Derrière un culte du soupçon se cache un culte de la crédulité : croire toutes les femmes revient à les croire incapables d’erreurs ou de bassesses. Comment dit-on errare humanum est en néo-féministe?
La Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes), sous le feu des projecteurs, est omniprésente médiatiquement et bruyante dans et aux abords de l’Assemblée nationale. Mais, en réalité, elle brille surtout par sa faiblesse et son impuissance.
La capacité de bluff de la gauche est… bluffante. Ce mardi encore, Jean-Luc Mélenchon expliquait avec son aplomb habituel : « Avec 1,5% des voix en plus (aux législatives) la Nupes avait la majorité absolue. Mélenchon Premier ministre, c’était possible. » 1,5%, c’est environ 300 000 voix. C’est déjà bien plus que les 16 000 voix que le fanfaron de LFI jugeait manquantes au lendemain du scrutin. Mais il est encore (très) loin du compte !
Toutes nuances confondues (la Nupes plus le PRG et les dissidents), la gauche obtient au premier tour, le 12 juin 2022, un total de 6 676 550 suffrages, soit 29,36% des exprimés. Moins d’un électeur sur trois a mis un bulletin de gauche dans l’urne. Moins d’un sur sept, si l’on tient compte de l’électorat inscrit ! Dans toute l’histoire de la gauche, ce n’est arrivé qu’à trois reprises : en 1993 (26,7% des exprimés), à l’agonie de second mandat de François Mitterrand, en 2017 lors de l’irruption du jeune président Macron, et donc, en cette année 2022. Encore faut-il remarquer que le total des voix de gauche en 1993 (7 440 729) était supérieur de près de 800 000 à celui de cette année !
Dans les années soixante-dix et quatre-vingts, avec beaucoup moins d’inscrits qu’aujourd’hui, la gauche PS-PC-PSU-MRG recueillait systématiquement plus de 10 millions de voix (13 millions en 1978 et même 13,7 millions en 1981 !). Elle en est à la… moitié. En pourcentage, son influence a même été divisée par près de trois : en 1981 elle représentait 37,64% des inscrits. Cette année, le chiffre est descendu à 13,74%.
Retour vers 2002
Certes, il n’est pas nécessaire d’obtenir 50% des voix pour avoir la majorité absolue des sièges, mais avec 26%, le score de la Nupes, c’est strictement impossible. La perte de la majorité absolue par la coalition « Ensemble » d’Emmanuel Macron, qui réalise exactement le même score, le prouve.
Ajoutez à cette faiblesse en suffrages une géographie mitée du vote Nupes, qui aggrave le mauvais score global, et vous aurez une « gauche unie » en retard de cent sièges sur « Ensemble », plus homogènement réparti sur le territoire. Les troupes de Jean-Luc Mélenchon et de ses affidés Faure, Roussel et Bayou ont été littéralement chassées des zones rurales et de la vieille France désindustrialisée, car elles n’ont parlé qu’aux électeurs des métropoles et des banlieues. Si bien qu’avec un total de 163 fauteuils sur 577 au Palais Bourbon, la gauche de 2022 fait pâle figure face à celle de 2007, pourtant année de défaite électorale. Aux législatives qui avaient suivi l’élection de Nicolas Sarkozy, elle avait obtenu 227 élus. La gauche d’aujourd’hui se trouve à égalité avec celle de 2002, année de l’élimination de Jospin et de la qualification de Le Pen père au 2e tour de la présidentielle…
La gauche rêve d’une campagne électorale permanente
Il faut rendre justice à Jean-Luc Mélenchon : avec si peu de munitions, il arrive à faire beaucoup de bruit, et pas seulement en transformant l’hémicycle du Palais Bourbon en amphithéâtre de fac occupée par les gauchistes. Il a accaparé la campagne des législatives avec son slogan : « élisez-moi Premier ministre », et il a parasité en partie la déclaration de politique générale d’Elisabeth Borne avec une motion de censure vouée à l’échec. Deux coups médiatiques qui plaisent aux journalistes qui n’ont d’yeux que pour lui, mais ce sont des coups d’épée dans l’eau. Peu importe : l’essentiel est de monopoliser l’attention. Et de rester en vedette sur la scène, en attendant une possible dissolution de l’Assemblée pour retourner aux urnes.
Jean-Luc Mélenchon ne le cache pas. Après son échec au premier tour de la présidentielle, puis celui de la Nupes aux législatives, il vise un 5e tour. Puis un 6e… et pourquoi pas plus ! Il a de la persévérance, mais c’est justement ce qui peut le condamner à rester indéfiniment dans une opposition stérile. S’il persiste dans sa politique flattant les bobos des centres-villes et le communautarisme des banlieues, il n’a aucune chance de se rapprocher des électeurs de la France profonde qui le boudent et qui lui seraient indispensables pour arriver, enfin, aux responsabilités du pays…
Tony Garnett est comblé. Alors que les chars russes pilonnent l’Ukraine, ce jeune homme de Bradford, en Angleterre, se met en quête de réfugiés à accueillir. Grâce à un employé de clinique, il est mis en relation sur Facebook avec Sofiia, une jeune Ukrainienne de Lviv. Il propose de la parrainer afin qu’elle s’exile légalement au Royaume Uni. La jeune femme débarque donc à Bradford. Depuis dix ans, Tony vit en ménage avec Lorna. Le couple a deux enfants. Pour faire de la place à Sofiia, Tony débarque sa fille de six ans de sa chambre et la met dans celle de sa cadette de trois ans. Lorna s’indigne mais Tony s’en moque. Sous les yeux de Lorna, il profite de la présence de Sofiia pour pratiquer le slovaque, une langue que lui a transmis son grand-père. Puis il emmène Sofiia à la salle de sport. Avant de rentrer, ils passent du temps en voiture. Ils y rient aux éclats, ils traînent sur le parking, laissant la pauvre Lorna esseulée. Et le soir, tard, Tony et Sofiia de regarder la télé.
« J’ai réalisé qu’à la maison, nous cherchions des excuses pour nous toucher, nous flirtions mais il ne s’était encore rien passé », a confié Tony au tabloïd britannique The Sun. La tension monte. Submergée de jalousie, Lorna devient toute aigrie. « Pourquoi tu le suis partout ? », demande-t-elle, très remontée, à Sofiia. Cette dernière aurait alors annoncé à Tony que dans de telles conditions, elle songeait sérieusement à partir. Tony a alors pris les devants. « J’ai dit à Lorna : « Si elle part, alors moi aussi ». Nous avons fait nos bagages et nous sommes allés chez mes parents ».
Aux dernières nouvelles, Tony et Sofiia visitaient des appartements pour emménager ensemble, et venaient de demander un visa permanent pour Sofiia. De son côté, Lorna est effondrée : dix ans de vie conjugale balayés en dix jours. Et pendant ce temps-là, en France, des centaines de milliers d’hommes rêvent d’être à la place de Tony.
L’écologie s’oppose au modèle occidental: comment «sauver la nature» en défendant le transhumanisme et la surconsommation? En respectant les êtres vivants comme ses semblables, l’être humain fera un geste pour l’environnement.
L’écologie telle qu’on la pratique aujourd’hui est-elle dans une impasse ? Les discours et comportements qu’elle inspire la montrent en tout cas traversée par des contradictions qui sont pour une grande part celles du monde actuel dont il lui faudrait, pour être fidèle à elle-même, changer radicalement le logiciel : ce qu’ambitionne de faire l’écosophie en tant que « sagesse de l’habiter », théorisée par Félix Guattari (Les Trois Écologies, 1989) puis par Michel Maffesoli (Écosophie, 2017). Or, à force de sonner le tocsin en prévision d’une apocalypse environnementale dont personne ne peut dire avec certitude si elle aura lieu ni dans quels délais, on est en train de perdre de vue que l’« environnement » ne se réduit pas pour l’homme à la nature, dévastée ou sanctuarisée ; et que l’écologie est justement censée apporter une connaissance avisée de ce qu’il conviendrait de faire, à titre individuel et collectif, pour préserver les liens vitaux entre les êtres vivants et leur « habitat », proche ou plus lointain selon l’extension reconnue à la biosphère.
À force aussi d’inciter les citoyens de tous les pays à se montrer « écoresponsables » en triant leurs déchets, en économisant l’eau et en mangeant bio (s’ils en ont les moyens financiers), tout en dénonçant comme il se doit l’indifférence ou le cynisme des pollueurs et des profiteurs, on est en passe d’oublier que l’écologie est, selon Ernst Haeckel et au sens large du terme, « le savoir des conditions d’existence ». Constituant de ce fait même l’axe et le moteur de tout grand projet anthropologique et civilisationnel, elle ne saurait se limiter à une contre-culture protestataire. Si utile soit-elle quant aux menaces réelles qui pèsent sur l’environnement, la dénonciation permanente risque même de devenir l’arbre qui cache la forêt. À défaut qui plus est de porte-parole qui soit à la hauteur du message « holistique » qui est le sien, cette écologie globale et profonde reste pour l’heure dans les limbes ou se caricature elle-même dans des discours intégristes et totalitaires à la Sandrine Rousseau.
L’environnement de l’homme est autant naturel que culturel
Pas d’écologie vraiment responsable certes sans une attention respectueuse à l’endroit de l’environnement, mais à condition de rappeler qu’il est pour l’être humain culturel au moins autant que naturel. On ne grille donc pas les feux rouges à vélo en écoutant le chant des oiseaux dans son casque ! On ne reste pas rivé à son siège dans le bus ou le métro pour mieux consulter son portable en ignorant délibérément ceux et celles qui debout vous entourent. La liste serait longue des gestes quotidiens qui agressent le « monde de la vie » – le Lebenswelt cher aux phénoménologies – autant que les pesticides empoisonnent les aliments.
Comment donc se dire aujourd’hui « écologiste » tout en s’accommodant de la perte de contact direct avec le monde environnant due à l’usage illimité des nouvelles technologies ? Personne ne peut évidemment savoir si les milliers de zombies qui hantent aujourd’hui les trottoirs des villes, les yeux fixés sur leur portable, sont dans le même temps des écolos convaincus ; mais le spectacle offert par les voyageurs qui ne lèvent pas les yeux sur le paysage durant tout le trajet qu’ils effectuent en train, laisse perplexe quant à la compatibilité entre une vision du monde demeurée « géopoétique », pour parler comme Kenneth White (Une apocalypse tranquille, 1985), et la cécité des Terriens pour qui le monde réel n’est plus qu’un décor négligeable. Quelles solutions l’écologie militante apporte-t-elle à ce divorce grandissant ?
« Côte vue avec Apollon et la Sibylle de Cumes » de Claude Lorrain (1645)
Ajoutons à cela qu’une bonne partie des comportements quotidiens érigés en vertus écocitoyennes et sanctifiés par les larmes de Greta Thunberg relevait il y a quelques décennies encore de l’éducation élémentaire, populaire comme bourgeoise : se laver souvent les mains, ne pas jeter ses déchets dans la rue, éviter de faire du mal aux êtres vivants et ne pas gaspiller nourriture et argent. La plupart de ces vertus « écologiques » ont depuis lors prospéré sur les ruines des systèmes éducatifs, scolaires autant que familiaux, et l’on tente aujourd’hui de réparer tant bien que mal ce qui a été détruit par l’idéologie progressiste voulant que la désinhibition des individus ne connaisse aucune limite et que la nature soit exploitable à merci. Souvent suspectée d’être en son essence « réactionnaire », car critique envers le monde moderne régi par l’industrie, l’écologie doit aujourd’hui apporter la preuve que la confiance retrouvée envers la nature n’est pas un songe creux, mais inaugure au contraire la seule forme de progrès qui, non contente de garantir la survie de l’homme et des espèces vivantes sur terre, accorde un surcroît de dignité à l’être humain.
L’écologie doit défendre toutes les natures, y compris celle de l’homme
Car c’est bien à l’idéologie du Progrès que l’écologie se heurte plus que jamais en dénonçant – avec raison – le cynisme des puissances financières et l’irresponsabilité des pouvoirs politiques. Force est cependant de constater que cette idéologie est relayée par tous ceux et celles qui s’identifient au rôle de « consommateur » qui leur a été imposé par la société marchande, qui tire ainsi le meilleur parti de l’individualisme contemporain et de l’appétit de jouissance immédiate qui le caractérise. Car la vraie question n’est pas de consommer mieux ou moins, mais de cesser de « consommer » pour être enfin libre de choisir et d’acheter ce dont on a vraiment envie ou besoin. Quand va-t-on s’insurger pour de bon, comme on a commencé à le faire dans les années 1970, contre cette indignité qu’est en soi une société « de consommation » ? Réciter chaque jour son bréviaire écocitoyen puisque c’est « bon pour la planète » n’a pourtant de sens que si ce respect retrouvé pour l’environnement permet aussi de prendre peu à peu conscience du rôle régulateur de la nature et de ses effets réparateurs sur les comportements humains.
Mais pourquoi d’ailleurs respecterait-on la Nature quand on déconstruit allègrement la « nature humaine » à laquelle le transhumanisme s’apprête à donner le coup de grâce ? La déconstruction de l’une comme de l’autre ne date pas d’hier il est vrai, et coïncide avec l’entrée de l’humanité occidentale dans les Temps modernes. Si aucune « nature » n’est commune aux êtres humains, on ne voit pas en effet l’intérêt de se référer à une nature environnante censée être la gardienne des repères identitaires les plus élémentaires. C’est bien pourquoi d’ailleurs l’éviction de l’une n’est pas allée sans celle de l’autre, et pourquoi l’écologie se trouve à ce sujet coincée entre l’enclume et le marteau : d’un côté, pour ne pas désavouer les idéaux progressistes, elle approuve les manipulations rien moins que naturelles visant à « augmenter » ou au moins modifier l’être humain ; de l’autre, elle refuse de s’aventurer, par respect pour ce qu’il y a en lui de « naturel », sur ce terrain anthropologique d’ores et déjà miné par des interventions artificielles aux effets inconnus. Du moins l’écologie militante oblige-t-elle à ne plus nier l’évidence : si l’idéologie du Progrès interdit, au moins en principe, de « dénaturer » les êtres humains par des traitements indignes, elle n’a par contre jamais dissuadé de considérer la nature comme un capital matériel exploitable à volonté ; cette mentalité prédatrice se pensant légitimée par la nécessité de maintenir en activité la machine économique afin de nourrir un nombre croissant d’êtres humains. Une écologie vraiment responsable ne devrait-elle donc pas appeler à une limitation volontaire mais drastique du nombre de ces prédateurs potentiels ?
« Paysage avec un village au loin » de Jacob van Ruisdael, (1646)
L’écosophie va d’emblée plus loin en reconsidérant la place de l’homme sur terre, invitant du même coup l’espèce humaine à abandonner l’anthropocentrisme qui a fait son éphémère supériorité, et à rentrer dans le rang en rejoignant les autres êtres vivants qui ont autant de « droits » qu’elle à habiter la planète ; aucun d’entre eux n’étant affligé de ce fardeau qu’est la liberté humaine dont le mésusage a déréglé les écosystèmes. Si sagesse il y a là, ce fut celle des ermites chrétiens cohabitant avec les bêtes sauvages, des taoïstes folâtrant dans le « Vide parfait », et des bouddhistes attentifs à ne détruire aucun être vivant. Rien n’est si simple dans la situation actuelle, et le débat sur la « viande cellulaire » témoigne de l’imbroglio de plus en plus inextricable entre nature et culture : faut-il recourir à des techniques de plus en plus sophistiquées pour ne pas attenter à la vie animale et donc protéger la nature ? Mais que faire en ce cas des milliers de sangliers qui, comme d’autres bêtes sauvages, ravagent les cultures et dont la population ne cesse de croître, en Corse en particulier ? Les Suisses répondraient sans doute à la question par une votation. Les Français préfèrent en débattre à l’infini, comme le faisaient jadis les théologiens du sexe des anges, de l’âme des fœtus et de celle des femmes. Ce qui conduit à penser que, dans un monde sans Dieu, l’écologie est devenue une nouvelle théologie.
À l’exception de grèves à la SNCF, évidemment décidées aux dates les plus sadiques possibles, la chienlit, criante lors du discours de politique générale de Mme Borne à l’Assemblée, ne s’observe heureusement pas ailleurs dans le pays. L’attitude déplorable, et finalement peu commentée, des députés d’extrême gauche, n’est pas rattrapée par les propos peu amènes de l’exécutif. Les compromis politiques seront difficiles à obtenir.
On peut dire que cela a commencé après le second tour des élections législatives. Le sentiment majoritaire dans le pays que malgré la majorité relative de Renaissance rien n’avait vraiment changé en politique, pour le gouvernement comme pour la pratique présidentielle, et que l’éloge du compromis n’était que l’obligation de faire, contre mauvaise fortune, bon cœur apparent. Les idées succédanés des chagrins, avait écrit Marcel Proust.
Mais, en considérant ce qui se passe à l’Assemblée nationale, ce haut lieu de la vie démocratique, quel terrifiant constat on est conduit à faire. Un mélange de grossièreté et de puérilité.
Le niveau baisse
Le refus de serrer la main de tel ou tel député RN quand on est un jeune homme non éduqué peut apparaître comme une peccadille.
L’insoumis Louis Boyard refuse de serrer la main au député RN Philippe Ballard, lors du vote pour la présidence de l’Assemblée nationale, Paris, le 28 juin 2022, D.R.
La marche faussement décontractée et vraiment ridicule de quelques ministres précédés par la Première ministre qui songe évidemment à autre chose avant son intervention capitale à 15 heures ne relève pas le niveau.
Mais la honte est absolue devant l’attitude collective de LFI lors de son discours de politique générale. Je sais que le chahut politique n’est pas d’aujourd’hui mais il a atteint le 6 juillet un comble d’indécence et de vulgarité. Sans le moindre esprit ni talent. Le savoir-vivre et l’élégance d’écouter sont jetés aux chiens.
Je ne suis pas persuadé qu’un homme aurait eu droit au même traitement et que, si Jean-Luc Mélenchon avait été député et de fait responsable de son groupe, les choses auraient tourné de la même manière, avec une telle indélicatesse républicaine. Je n’ose imaginer les réactions médiatiques si le RN s’était comporté avec cette même attitude : il aurait été voué aux gémonies. Mais, pour LFI, on prend acte et on ne condamne pas. Les applaudissements systématiques de Renaissance pouvaient agacer mais ne justifiaient en rien ce vacarme constant et si peu digne.
Faure ambigu sur la police, et un cercueil devant l’Assemblée
Quand la Première ministre rend hommage si légitimement à la police et que tous les députés, sauf ceux de la Nupes, se lèvent pour exprimer leur assentiment et applaudir, il y a là une traduction indiscutable de la très médiocre tonalité républicaine de ces sectaires qui n’ont même pas de courage : Olivier Faure est resté assis alors qu’il avait dénoncé le « la police tue » de Jean-Luc Mélenchon.
Pourtant, par souci d’équité et respect de la nuance, je considère qu’il n’est pas nécessaire d’intenter de faux procès à LFI quand tant de justifiés doivent l’être. Quand la présidente du groupe, Mathilde Panot, à l’égard de laquelle je n’ai pas la moindre dilection politique, parle de « rescapé » pour Elisabeth Borne, au regard du contexte on comprend évidemment qu’elle n’offense pas un passé tragique mais qu’elle fait référence seulement à une situation politique. Le vocabulaire le plus neutre, le plus ordinaire, n’est pas encore interdit dans notre monde à cause de l’Histoire, du moins je l’espère !
Malheureusement pour LFI on n’a pas à s’arrêter là ! À l’extérieur quelques députés, dans une pitoyable séquence, ont cru être drôles en « enterrant » le Front républicain et en singeant un mariage entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Il y a certains de leurs électeurs qui ont dû se retourner dans leur isoloir !
Plusieurs députés insoumis, dont Louis Boyard, organisent devant l’Assemblée Nationale un faux mariage d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen avec un cercueil. Capture d’écran Twitter.
Inélégance généralisée
Il serait malhonnête, au prétexte de ces outrances trop fréquentes (euphémisme!), de passer sous silence une exacerbation soft, des mots sans pensée ayant clairement dégradé un climat qui n’avait pas besoin de ces adjuvants délétères pour sombrer. Le président de la République n’est pas innocent quand il ostracise deux partis qui ne seraient pas de gouvernement à l’Assemblée nationale mais qui ne représenteraient à eux deux que la bagatelle de 15 millions de Français !
L’argumentation vaut aussi pour Pap Ndiaye, voulant tous les compromis sauf avec le RN, et pour Gérald Darmanin tellement désireux de faire oublier ses migrations partisanes qu’il en fait trop ! Quelle aberration à la fois méprisante et inappropriée que cette distinction entre adversaires et ennemis (LFI et RN). Alors que par principe les députés sont tous égaux en dignité à l’AN. Je sais bien qu’à leur manière moins souple, ces ministres ne font qu’emboîter le pas au président mais cela ne les exonère pas de leur choquante inconditionnalité.
Je regrette d’ailleurs à ce sujet que la Première ministre n’ait pas eu le courage, ou la sagesse, d’insérer dans son propos une double référence qui a manqué pour les entretiens qu’elle a eus : à Marine Le Pen et à Mathilde Panot. Comme un manque d’élégance de la part d’une personnalité qui a supporté pourtant avec beaucoup de classe, avec une présidente de l’AN en formation, le lamentable et impoli brouhaha de l’extrême gauche… On n’a jamais connu un tel début de quinquennat. Avec le paradoxe que pour l’instant la chienlit n’est pas dans le pays – je n’approuve pas pour autant le recours à la grève la plus sadique possible – mais dans le monde politique largement entendu. Quand la France attend qu’on relève les défis qui la concernent et les maux multiples dont elle souffre.
L’Éducation nationale n’est plus capable de certifier les compétences réelles des élèves. Les établissements de l’enseignement supérieur sont donc contraints de ruser avec Parcoursup, ce qui entraine des effets biaisés et souvent préjudiciables à certains étudiants.
Cette année encore, la plateforme Parcoursup, qui répartit les élèves bacheliers dans l’enseignement supérieur, a produit des résultats à la hauteur de ce qu’on pouvait en attendre. Causeur a publié hier la lettre du jeune Enguerrand Valmy, un excellent élève du lycée militaire de Saint-Cyr, premier de sa classe pendant trois ans, qui a vu tous ses vœux pour rentrer en classe préparatoire scientifique refusés. L’explication ? Selon toute probabilité, le problème est qu’il demandait à rentrer à l’internat (et on le comprend, vu l’intensité du travail nécessaire) ; mais n’étant pas boursier, son dossier n’était pas prioritaire. Donc au revoir la prépa.
Algorithmes opaques
Le cas particulier de ce garçon est très symptomatique des dysfonctionnements structurels de la plateforme Parcoursup, critiquée à raison depuis ses débuts en 2018. Entre critères de sélection absurdes, algorithmes opaques et absence totale de prise en compte des autres éléments que les notes, comme c’était pourtant l’objectif annoncé (via diverses « lettres de motivation » et « engagements citoyens » à mettre en avant), les ratés sont nombreux, et nourrissent un mécontentement général. On conviendra que ce n’est pas partout pour les mêmes raisons, cela dit. Peut-être le lecteur se souvient-il des grands blocages universitaires de 2018, qui critiquaient l’instauration d’une forme (timide) de sélection à l’université via Parcoursup dans le cas des filières surchargées, en remplacement de la méthode… du tirage au sort. Pour autant, si Parcoursup a éliminé cette anomalie délirante, d’autres n’ont pas manqué de surgir, car le principe même de la répartition des centaines de milliers de bacheliers dans l’enseignement supérieur via un tel mastodonte informatique pose des problèmes innombrables.
« Parcoursup est un rouleau compresseur très inégalitaire », dénonce Sophie Audugé, déléguée générale de SOS Education, interrogée par Causeur. « Il y a plusieurs couches d’algorithmes, au niveau général d’abord, puis au niveau des établissements, qui choisissent leurs critères de sélection. Le problème, c’est que les lycéens ne connaissent pas ces critères, qui sont parfois extrêmement réducteurs ». Par exemple : une classe préparatoire littéraire, submergée par les milliers de demandes pour les 40 places qu’elle offre, estime ne pas pouvoir regarder tous les dossiers en détail. Pour réduire les chiffres, elle va alors demander au système de Parcoursup de procéder à un tri automatique des candidatures, et de n’examiner que les dossiers des élèves qui ont été premiers de leur classe en français au lycée. Et le dossier de tel élève brillant, qui aura été deuxième dans un lycée prestigieux, ne sera jamais examiné par des « vrais gens ». Autre critère absurde qui aurait été adopté ici et là : un tri par année de naissance, c’est-à-dire que les lycéens ayant sauté une classe se trouveraient avantagés, et ceux ayant redoublé défavorisés. Sans parler bien sûr des mesures prises pour « réduire les inégalités sociales » qui avantagent mathématiquement les boursiers ou les élèves issus de quartiers classés en « zone d’éducation prioritaire ».
Bonnes notes pour tout le monde !
Ces dysfonctionnements, déjà lourds, se sont encore aggravés au moment de la réforme du bac. Puisque le passage partiel au contrôle continu a entraîné une suite de conséquences logiques qui auraient dû être prévues par le gouvernement, mais qui ne l’ont manifestement pas été. La principale, c’est une inflation des notes s’ajoutant encore à celle des dernières décennies, rapprochant toujours plus les moyennes générales de 20. D’abord parce que les professeurs de lycée veulent être « gentils » avec leurs élèves, mais aussi parce qu’il est dans l’intérêt des établissements de surnoter : le classement des lycées s’effectue en effet selon le nombre de mentions très bien obtenues au bac… et comme le bac dépend du contrôle continu, il s’agit de gonfler les notes pour monter dans le classement. Une logique circulaire délirante qui conduit les lycées « historiques » de bon niveau, connus auparavant pour leur notation plus exigeante, à s’aligner pour que leurs lycéens n’aient pas deux points de moins au bac que les autres.
Pour contourner cette logique dont les recruteurs ont bien conscience, ici et là on adopte le critère de la différence entre les notes du contrôle continu et celles de l’examen terminal : en cas de surperformance, qui aurait tendance à indiquer qu’on est issu d’un lycée exigeant, on a un bonus, et un malus en cas de sous-performance. Des mécanismes d’une complexité qui ne traduit qu’une seule chose : « L’Éducation nationale n’est plus capable de certifier les compétences des élèves, donc les recruteurs essaient de trouver d’autres moyens externes pour juger », explique Sophie Audugé.
Finalement, au contraire de l’idée qui était avancée avant la réforme du bac au contrôle continu – une évaluation plus proche des élèves, personnalisée, permettant d’éviter les accidents au jour de l’épreuve unique… le résultat est l’organisation d’une pression considérable sur les élèves de première et de terminale à chaque contrôle, que Parcoursup accentue puisqu’en tant que plateforme centralisée à l’échelle nationale, elle met en concurrence tous les lycéens de France entre eux. Ceux-ci n’ont qu’à cliquer pour proposer leur candidature « au cas où » à une formation à 600 km de chez eux dans laquelle ils n’iront jamais, mais qui doit tout de même traiter leur dossier parmi des milliers d’autres, et ils ne peuvent faire autrement pour cela qu’adopter des principes rigides d’examen informatisés.
Une année de plus d’approximations donc. Et ça n’est pas près de s’arranger.
En voilà des manières! Alors que le ministre de l’Intérieur désigne le RN et LFI comme des « ennemis », Elisabeth Borne tente d’humilier leurs représentants de groupe, lors de son discours de politique générale, à l’Assemblée nationale. On a déjà fait plus « rassembleur ».
Elisabeth Borne vient de s’exprimer devant l’Assemblée nationale. On appelle ça « un discours de politique générale ». La concernant, l’expression « un discours de politique exclusive » serait plus juste.
La politesse au Palais Bourbon veut qu’on cite tous les noms des présidents de groupe. Elisabeth Borne s’est pliée à cet exercice. Avec deux omissions de taille : elle n’a pas mentionné les noms de Mathilde Panot (LFI) et Marine Le Pen (RN).
En cela, elle s’est inspirée de Darmanin qui a distingué entre « les adversaires » (LR et PS) et « les ennemis » (LFI et RN). Et avec « les ennemis », on ne prend pas de gants. On les détruit ou, si l’on est d’humeur plus pacifique, on les fait manger à l’office avec le personnel de maison.
« Le Mépris » est un très beau film avec Jean Gabin et Brigitte Bardot. « Le Mépris » avec Elisabeth Borne est un pitoyable navet. Comment peut-elle effacer La France insoumise et le Rassemblement national de l’Assemblée nationale ? Comment Elisabeth Borne peut-elle s’assoir avec une telle désinvolture sur les millions de voix que ces partis ont obtenues ? Nous n’avons de sympathie particulière ni pour Jean-Luc Mélenchon ni pour Marine Le Pen. Mais la simple arithmétique démocratique indique qu’ils représentent plus de 40% des Français.
Le pin’s de Pap Ndiaye
Ils votent donc mal alors… Pour se débarrasser de ce boulet, une solution s’impose : rétablir le vote censitaire ! Seuls seront admis dans l’isoloir ceux qui seront à jour de leurs cotisations au parti de Macron. Et pour faire illusion, on leur adjoindra quelques supplétifs Républicains. C’est ça, la démocratie selon Elisabeth Borne !
Quelques mots pour finir sur Pap Ndiaye qui a dit « qu’être attaqué par l’extrême droite équivaut à un badge d’honneur ». Elisabeth Borne a choisi d’ignorer l’extrême droite. Elle n’aura pas son badge d’honneur, na!
Notre chroniqueur continue sa tournée des lectures d’été. Autant dire que la rédaction de Causeur, qui a pour la vertu une admiration sans bornes, se désolidarise complètement de ces affriolantes considérations sur les grandes courtisanes — en l’occurrence Doris Delevingne, vicomtesse Castlerosse.
La langue de la prostitution est incroyablement riche et colorée, des « pierreuses » qui tapinaient entre les blocs amassés au bas des « fortifs », dans les années 1880, jusqu’aux michetonneuses qui, à l’exemple de l’héroïne de Francis Leroi (1972), bouclent les fins de mois en vendant deux jambons pour une andouille.
Ce n’est pas de ces prolétaires du tapin que je veux vous parler ici, mais des grandes prêtresses de l’amour tarifé — au moins celles de l’époque moderne, étant entendu que les prostituées sacrées de l’Egypte antique obéissaient à des contraintes culturelles fort éloignées de nous. Si vous avez des trous dans votre culture antique, lisez donc l’Aphrodite de Pierre Louÿs (1896).
La lecture (instructive et passionnante, c’est délicieusement écrit par une femme experte en biographies de femmes libérées) du livre de Stéphanie des Horts, Doris, le secret de Churchill, qui vient de sortir, m’a donné l’idée de revenir sur ces grandes hétaïres, cocottes et autres demi-mondaines inventées par le XIXe siècle bourgeois, et qui ont disparu avec lui — un peu après-guerre. Doris Delevingne est l’une des dernières de ces gourgandines flamboyantes qui contribuèrent si puissamment à ruiner les fils de famille dévoyés — et leurs pères.
C’est toute l’histoire de la Dame aux camélias de Dumas fils. Publiée en 1848 en roman, adaptée au théâtre en 1852, elle s’inspire des amours de l’auteur avec une courtisane trop tôt disparue, Marie Duplessis (1824-1847). Verdi en a tiré en 1853 l’admirable Traviata : je m’esbaudis fort, à chaque représentation, du souffle fabuleux de la soprano qui interprète Violetta et qui, mourant de tuberculose, trouve la force de chanter jusqu’à son dernier souffle. Maria Callas (entre autres sublimes interprètes) faisait ça avec une grande conviction. À noter que c’est aussi à Dumas fils que l’on doit l’appellation « demi-mondaine », qui a une grande destinée en littérature, jusqu’à Odette de Crécy (in Un amour de Swann).
C’est aussi le sujet de Nana, le roman de Zola qui connut les plus forts tirages — près de 120 000 exemplaires dès la première édition, un chiffre colossal dans une France de 39 millions d’habitants. La fille des rues, l’enfant de Gervaise, l’héroïne de l’Assommoir, ruine plusieurs millionnaires, extorquant à l’un d’entre eux l’équivalent de 3 millions d’euros en un an. Ce n’est plus le prix d’une passe, mais d’une position sociale. Imaginez-vous le bourgeois parisien de 1879, venu au Café de Paris prendre un café sur le coup de onze heures, plongé dans la dernière page du Voltaire, la feuille de chou où le roman sortit d’abord en feuilleton, et dissimulant sous la nappe l’émoi que lui causait ce texte sulfureux ?
Méry Laurent au Chapeau Noir, Edouard Manet (1882). D.R.
Les modèles déclarés de Nana forment l’essentiel de la liste de ces grandes salopes de luxe. Blanche d’Antigny, par exemple, qui posa pour la Marie-Madeleine de Paul Baudry — pénitente ou pénis tente, allez savoir : revenue de Russie, elle se promenait en calèche dans Paris conduite par un moujik habillé de soie pourpre. Ou Méry Laurent, qui joua nue, comme Nana au début du roman, le personnage de Vénus Anadyomène, et tint salon pour tout ce que le XIXe siècle compta d’écrivains majeurs. Edouard Manet en a fait plusieurs portraits magnifiques — mon préféré étant celui au chapeau noir. Ou Valtesse de la Bigne, dont le lit de parade (Zola la supplia en vain de le lui montrer — mais il n’avait pas les moyens, lui rétorqua la belle) est aujourd’hui aux Arts décoratifs. Le fait est que c’est le genre de décor érotique où il vaut mieux se montrer à la hauteur. Une érection incertaine sur un tel champ de manœuvres vous déconsidère à tout jamais.
Ma préférée reste Cora Pearl, maîtresse de Napoléon III et du duc de Morny — voir la splendide photographie d’Eugène Disdéri, réalisée vers 1860. Elle prenait des bains de champagne pour se donner du pétillant, teignit son caniche en bleu pour l’assortir à sa robe, et se fit servir nue sur un immense plat d’argent au Café anglais. Elle ruina le jeune Alexandre Duval, qui essaya de se suicider après avoir tenté de la révolvériser — deux échecs, on juge le piètre indice de performance du garçon…
Mais d’autres préfèreront Liane de Pougy, la Païva, Caroline Otero ou Liane de Pougy. Ce siècle fut incroyablement riche en beautés délurées et quelquefois fatales : voir Marguerite Steinheil, qui tua d’amour Félix Faure.
Doris Delevingne donc — les plus belles jambes d’Angleterre, que tous les hommes rêvaient de prendre à leur cou. Elle fréquente (un joli euphémisme) tout ce que la bonne société londonienne de l’après-guerre compte de lords richissimes, qu’elle contribue à ruiner. Jusqu’à Winston Churchill qui, peintre du dimanche comme on sait, fit plusieurs portraits d’elle. Elle se marie avec le Duc de Kenmare, prend le titre de vicomtesse Castlerosse, divorce, tente les Etats-Unis — qui avaient déjà leur lot de créatures flamboyantes. C’est à Palm Springs que John Lavery la peint, installée sur le tremplin d’une piscine. Fragile équilibre, derniers éclats : le peintre meurt trois ans plus tard, la belle revient en Angleterre et se suicide (probablement) en 1942 à 42 ans en absorbant tout ce qu’il fallait de pilules porteuses d’oubli. La deuxième Guerre mondiale sonna le glas des Années folles, et Churchill passa du statut de débauché ordinaire à celui de grand homme d’Etat.
Fourrures, bijoux, caprices, Stéphanie des Horts ne nous cache rien de l’art savant de ruiner son prochain. C’est un livre qui se déguste comme on suce un esquimau. À petits coups de langue, jusqu’à ce qu’il ne reste dans votre bouche qu’un tout petit bâton — auquel cas on s’en offre un autre, comme les sucettes à l’anis d’Annie.
Nous voici loin des escorts contemporaines, que tout un chacun peut s’offrir pour quelques billets de cent, comme le raconte mon amie Maïna Lechebonnier dans son livre l’Utile et l’agréable, Mémoires d’escort. La prostitution de haut vol fait désormais du rase-mottes. Pédagogie, politique ou prostitution, partout nous avons descendu la barre. Comment disait l’autre, déjà ? Ah oui, décadence française…
Stéphanie des Horts, Doris, le secret de Churchill, Albin Michel, 288p.
« Them’s the breaks » (« contre mauvaise fortune, bon cœur ») : c’est avec ces mots que, après des mois de controverses et d’enquêtes sur son comportement, Boris Johnson vient de donner sa démission. Pourquoi ? Et, au-delà de toutes les polémiques récentes, quel homme était-il?
Le Premier ministre qui refusait de s’en aller vient enfin d’abdiquer volontairement, sous la pression des nombreuses démissions (jusqu’à 59) de ministres et de chefs de cabinet du gouvernement, et grâce à l’insistance d’un certain nombre de ses alliés les plus proches.
Après le « Partygate », après les accusations de corruption, après le lancement d’une enquête pour savoir s’il avait sciemment menti au Parlement ou non, après avoir survécu – sans gloire – à une motion de défiance lancée par ses propres députés le 6 juin, BoJo quitte enfin le pouvoir pour une affaire de mœurs. Le plus ironique, c’est qu’il ne s’agit pas de ses mœurs à lui. Le coup de grâce de sa carrière de Premier ministre a été la révélation qu’il avait nommé à un poste important dans le Parti conservateur, en février, un député, Chris Pincher, qui faisait l’objet d’une plainte pour inconduite sexuelle (en l’occurrence, des attouchements homosexuels). Johnson a prétendu qu’il n’était pas au courant de la plainte, avant que des témoignages – surtout celui d’un haut fonctionnaire – n’apportent la preuve du contraire. Cette révélation a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : toute une série de ministres, même d’État, se sont sentis obligés de démissionner pour protester contre la conduite de leur propre chef. Se cramponnant au pouvoir dans un déni de réalité extraordinaire, Johnson a finalement été obligé de reconnaître qu’il ne pouvait plus gouverner – surtout parce qu’il ne lui restait pas assez de députés ministrables pour former un gouvernement.
Des figues et des raisins
À l’heure actuelle, Boris Johnson a démissionné en tant que chef du Parti conservateur mais entend rester Premier ministre jusqu’à la rentrée afin de permettre au parti d’élire un nouveau leader. Selon le système démocratique britannique, le Premier ministre est normalement le chef du parti (ou de la coalition) qui a le plus de sièges à la Chambre des communes. Avec un locataire désormais intérimaire au 10, Downing Street, le pays entre dans une phase « mi-figue mi-raisin », pour ainsi dire, où il y a un gouvernement mais qui se retrouve privé de l’autorité dont il devrait jouir en temps normal. C’est d’autant plus grave que le pays fait face à une crise aiguë, les difficultés liées à l’inflation et au coût de la vie étant encore plus graves que dans d’autres pays européens. Ces difficultés sont-elles la conséquence directe du Brexit ? Ce dernier joue un rôle dans cette crise, mais ce n’est pour le moment qu’un élément parmi d’autres.
Élu triomphalement à la tête du pays le 13 décembre 2019, avec pour mission principale de mener à bien la sortie de l’UE, Boris Johnson doit faire face à un premier scandale en mai 2020 quand son conseiller spécial, Dominic Cummings, est accusé d’avoir violé les règles du confinement. Mais, c’est un an plus tard, avec le « Curtaingate » (qui concerne le financement de la décoration de son appartement privé du 10 Downing Street), que débute une ribambelle de scandales comprenant le « Partygate » et un certain nombre d’autres affaires de corruption. La charge principale contre BoJo n’est pas de profiter personnellement de sa position de pouvoir, mais de ne pas dire la vérité – ou toute la vérité – au Parlement et au public. L’énergie qu’il a dû consacrer à la gestion de tous ces scandales a indéniablement miné sa capacité à se focaliser sur les véritables problèmes du Royaume Uni. Sa démission représente un soulagement pour le pays, en permettant de sortir de l’impasse, sauf que la solution qu’apportera un nouveau leadership n’arrivera pas assez vite. Le navire britannique continuera à voguer plus ou moins à la dérive pendant un certain temps, faute d’un vrai gouvernail.
Ange ou démon?
Le nom de Boris Johnson restera associé au Brexit. C’est lui qui a été le visage de la campagne victorieuse lors du référendum de 2016 ; c’est lui qui prit les rênes du pouvoir, le 25 juillet 2019, après que Theresa May avait échoué sur toute la ligne à mener à bien sa vision du Brexit ; c’est lui qui, en tant que Premier ministre, a trouvé un accord de principe avec l’UE le 17 octobre de cette année et qui a présidé aux négociations conduisant au départ définitif du Royaume Uni, après la période de transition, le 31 décembre 2020. Ce lien indéfectible entre BoJo et le Brexit a fait de lui un héros populaire pour les uns et un démon populiste pour les autres. Mérite-t-il l’un ou l’autre de ces qualificatifs – ou les deux ? Boris Johnson a assumé pleinement son rôle de Brexiteur-en-chef en déployant tous les trésors de charisme dont il possède une abondance. À cet égard, c’est un authentique héros populaire. En même temps, il ne s’est jamais vraiment montré un génie en termes de stratégie politique. Toute sa carrière antérieure de député conservateur et de maire de Londres avait été marquée par un comportement assez chaotique qu’il compensait par son charme de tribun caractérisé par une combinaison particulière d’affabilité et d’humour. Son vrai talent en termes de stratégie a été de reconnaître et d’écouter ceux qui étaient de bon conseil. C’est ainsi qu’il a pris comme conseiller spécial le Dark Vador de la politique moderne au Royaume Uni, Dominic Cummings, le directeur de la campagne référendaire de 2016 qu’il a immédiatement réembauché en devenant Premier ministre. Or, en novembre 2020, dans une lutte d’influence entre le clan Cummings et celui de sa compagne, Carrie, Johnson a choisi celui de sa future épouse. Jusqu’alors, Johnson avait tout réussi, de son élection à la préparation du programme de vaccination contre le Covid qui devait démarrer le mois suivant. On peut dater du départ de Cummings, devenu lui-même impopulaire auprès du public, des fonctionnaires et des députés conservateurs, le début d’un manque général de direction dans la politique gouvernementale de Johnson, ainsi que le début de la multiplication des scandales. Par la suite, le seul domaine où BoJo gardera un cap sans faille avec l’appui du public et de toute la classe politique, c’est dans sa poursuite de la guerre en Ukraine. En ce qui concerne les grands projets – notamment la construction de nouvelles infrastructures et de nouveaux logements – qui devaient lui permettre de tenir sa promesse d’améliorer la qualité de vie des laissés-pour-compte de la mondialisation, tout est plus ou moins parti à vau-l’eau.
Est-ce pour autant un démon populiste ? Ses critiques parlent de lui comme d’un menteur pathologique. Il y a une distinction à introduire ici. Le slogan questionnable (inventé par Cummings, d’ailleurs) [1] sur la somme d’argent versée par Londres à Bruxelles qu’il a lancé pendant la campagne du référendum, ainsi que son engagement, assez floue, auprès des unionistes nord-irlandais à ne pas créer de frontière entre la Grande Bretagne et l’Irlande du Nord n’ont pas choqué les nombreux électeurs qui ont voté pour lui. En revanche, c’est son incapacité à dire et à reconnaître la vérité devant le Parlement sur des sujets qui ne concernaient pas directement sa politique générale qui a entraîné sa chute. Ses adversaires sur la question de l’UE – et ils sont particulièrement nombreux en Europe – le traitent de « populiste ». En fait, ils sont leurrés par la coïncidence du vote pour le Brexit et l’élection de Donald Trump la même année, coïncidence qui a conduit à la conclusion hâtive qu’il s’agissait d’un seul et même phénomène. Selon une définition courante, un populiste s’oppose aux institutions démocratiques traditionnelles, critiquées comme étant l’apanage de groupes d’intérêt plutôt que des assemblées véritablement libres qui représentent le peuple. On cite la tentative de Johnson, à la rentrée de 2019, de proroger le Parlement comme preuve de son mépris des institutions. Pourtant, il faisait tout, non pour gouverner sans les députés, mais pour provoquer des élections, car une loi de 2011 (abrogée depuis) avait privé l’exécutif de ce pouvoir traditionnel. D’ailleurs, de telles élections étaient justifiées par l’incapacité des Communes à prendre une décision claire concernant le Brexit – et elles ont eu lieu quelques mois plus tard. Johnson est bien plutôt électoraliste que populiste. Selon une autre définition courante de ce terme, un populiste est l’ennemi de l’immigration sous toutes ses formes. Les adversaires de Johnson citent le fait que le Brexit a mis fin aux flux de travailleurs détachés venant de l’UE. Ce qu’ils ne voient pas, c’est que, de 2010 à 2020, le gouvernement conservateur avait fixé l’objectif de réduire drastiquement les nombres d’immigrés venant de partout – et sans grand succès. Le gouvernement de Boris Johnson a aboli cet objectif. Les critiques citeront ensuite son projet pour envoyer des immigrés clandestins au Rwanda. Là encore, ils n’ont pas compris que la politique du gouvernement de Johnson était non d’arrêter l’immigration, mais d’encourager des immigrés qualifiés susceptibles de créer de la croissance pour tous. Le spectacle des clandestins qui, avec la complicité de bandes criminelles de trafiquants, traversaient la Manche chaque jour, remontait les Britanniques contre l’immigration en général. Il fallait décourager cette immigration illégale pour sauver l’immigration légale. Boris Johnson s’est toujours montré trop internationaliste pour être populiste. Qu’était-il alors ? En prétextant ses ancêtres turcs, on pourrait presque dire que c’était un sultan : aussi bienveillant que brouillon ; aimant certes le pouvoir mais sans affectation ni arrogance ; capable autant d’attirer l’affection de la foule que de s’illusionner sur sa popularité ; et enfin, face aux pires menaces pour la démocratie, capable de faire preuve de constance et de courage.
[1] “We send the EU £350 million a week, let’s fund our NHS instead. Vote Leave”
Enguerrand Vauby a l’impression d’avoir gâché trois ans de sa vie! Après s’être éloigné de sa famille, et avoir travaillé dur au lycée militaire de Saint-Cyr-L’École pendant trois ans, où il a obtenu les meilleures notes, il voit ses chances compromises et ses candidatures en classes préparatoires refusées, car il aurait coché une mauvaise case sur Parcoursup… Nous reproduisons ici son courrier adressé au président de la République.
Monsieur le président de la République,
Entré à 15 ans comme interne au Lycée Militaire de Saint-Cyr-L’École, j’ai dû faire de nombreux sacrifices, notamment m’éloigner de ma famille et de mes amis, car je croyais au mérite du travail pour réaliser mes ambitions. Je suis major de ma classe depuis trois années consécutives : en seconde, première et terminale. Chaque année, j’ai également été distingué du Coldo d’or (récompense du premier de classe) dont vous connaissez j’en suis certain l’exigence et la valeur. Je viens d’être reçu bachelier mention très bien le 5 juillet avec 19/20 en mathématiques et 19/20 en physique. Soucieux depuis mon plus jeune âge de réussir ma scolarité, j’ai toujours travaillé.
Mon but était de devenir un grand ingénieur, diplômé d’une des meilleures écoles françaises, pour servir mon pays. Fort des connaissances et des compétences que j’aurais ainsi développées, j’avais l’ambition de participer au renouveau de l’industrie française par l’innovation et d’agir pour notre compétitivité nationale. Le sésame pour intégrer Polytechnique, Centrale ou les Mines est d’entrer dans une des neuf classes préparatoires auxquelles j’ai candidaté.
Ce sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait et d’être un simple numéro sans intérêt, la variable d’ajustement d’un algorithme, je ne m’y résous pas
Et je m’en suis donné les moyens, j’ai travaillé et travaillé encore. Et j’ai aimé ça. Je suis passionné par les sciences mathématiques et la physique. Le 2 juin, j’ai appris qu’aucune des classes préparatoires qui pouvaient me permettre d’atteindre mes ambitions n’a retenu mon dossier. Je n’ose pas imaginer que mes efforts durant ces trois années ont été vains.
Monsieur le président, si je puis me permettre de faire mienne une de vos formules, je suis « premier de cordée » et pourtant aucune des classes préparatoires permettant d’accéder aux grandes écoles d’ingénieurs françaises, dont polytechnique que je vise, ne veut de moi. D’où ma question : est-ce normal, selon vous, qu’un jeune premier de cordée soit rejeté des classes préparatoires qui conduisent aux grandes écoles d’ingénieurs en France ?
À moins que je me sois trompé sur moi-même et que mon dossier académique ne revête pas les caractéristiques des premiers de cordée. Je vous laisse en juger :
– Lycée militaire de Saint-Cyr-L’École ; – Premier de classe en seconde, première, terminale ; – 17,43 de moyenne sur l’année de terminale ; – 19/20 en mathématiques et en physique au baccalauréat ; – Baccalauréat mention Très Bien.
D’autres élèves, qui n’ont pas ces moyennes, qui n’ont pas cette position de rang dans la classe, qui n’ont pas ces résultats au baccalauréat en mathématiques et en physique, sont pris en classes préparatoires. Monsieur le président de la République, est-ce moi ou est-ce le système qui a un problème ? La France croule-t-elle littéralement sous les dossiers d’excellents élèves pour écarter un dossier dont le professeur principal et le chef d’établissement ont écrit sur la fiche de candidature aux classes préparatoires :
« Un dossier remarquable dont l’excellence des résultats et des compétences dans toutes les matières lui permettront de réussir pleinement. Intelligent, pertinent et très compétent, il saura également exceller et parfaitement réussir dans toutes les tâches qui lui seront demandées. Toutes nos félicitations et toute notre confiance pour la suite de vos études. »
« Un élève dont l’excellence de ses compétences et ses résultats lui permettront de réussir pleinement, et de répondre avec excellence aux attentes et aux exigences d’une classe préparatoire. »
Monsieur le président de la République, je ne comprends pas. Pourriez-vous m’expliquer ?
Quand j’interroge les établissements, on m’apporte des réponses variées :
– « c’est parce que vous avez demandé l’internat » – ou a contrario, « l’internat n’a rien à voir là-dedans » – « c’est la machine (Parcoursup) qui fait tout » – « les boursiers sont prioritaires » – …
Qu’en est-il vraiment ? Où se situe l’égalité des chances dans mon cas ? Qu’en est-il de la méritocratie républicaine ? J’ai besoin de réponses claires. Pour moi et pour tous les autres élèves qui entrent au lycée avec des rêves dans la tête comme j’en avais et qui sont déterminés à travailler pour les atteindre.
Il faut les prévenir. Car la douche est froide. Et cette violence symbolique, ce sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait et d’être un simple numéro sans intérêt, la variable d’ajustement d’un algorithme, je ne m’y résous pas. Tout simplement parce que c’est injuste.
Vous l’aurez compris, avec tout le respect que je vous dois, et dont vous pouvez être assuré, j’ai besoin de réponses.
Il en va de l’avenir d’un jeune garçon méritant et déterminé dont vous venez de briser les ailes. J’espère sincèrement, Monsieur le président de la République, que vous comprendrez ma démarche. Je vous prie d’agréer, Monsieur le président de la République, l’expression de ma haute considération.
Le judoka Alain Schmitt, accusé par sa compagne Margaux Pinot de violences, a été innocenté par la justice. Capture d'écran BFMTV.
Les affaires médiatiques de “violences sexuelles” se multiplient. Beaucoup se réjouissent d’une “libération de la parole”, d’autres s’inquiètent d’une dérive. On craint d’être accusé de participer à la « culture du viol » si on ne croit pas toutes les femmes.
Après Gérald Darmanin et Éric Zemmour, Damien Abad et Chrysoula Zacharopoulou, c’est au tour d’Éric Coquerel d’avoir sa réputation jetée en pâture. Tous sont accusés de violences sexuelles.
Nous sommes toujours devant le même scénario: une femme affirme être victime de violences sexuelles et l’accusé nie. Inévitables, des questions épineuses nous taraudent. Que devons-nous faire? Qui devons-nous croire?
Présentement, deux réponses s’offrent à nous. La première consiste à n’accepter ni la version de l’accusatrice ni la version de l’accusé. La présomption d’innocence qui protège l’accusé n’est pas un acte de foi et ne discrédite pas l’accusatrice. Elle est provisoire, car elle s’efface devant le verdict. Soit l’accusé est reconnu coupable et la présomption est anéantie. Soit l’accusé est déclaré non coupable et la présomption devient affirmation.
Ne pas agir avant de savoir
La seconde réponse consiste à refuser de suspendre son jugement: il faut croire l’accusatrice. Bien que l’on honore, ou prétende honorer, la présomption d’innocence, l’on se met également à traiter l’accusé en lépreux. On interpelle l’employeur de l’accusé, on déclare que la personne ne peut plus occuper ses fonctions vu les accusations portées contre elle. Ainsi, bien que l’on ne demande pas à l’institution judiciaire de sanctionner l’accusé, on exige que d’autres acteurs, d’autres institutions sévissent à sa place.
Rappelons un instant que la présomption d’innocence sert un objectif précis. Fondamentalement, si l’appareil judiciaire punit alors nous devons nous demander qui doit être puni. La seule réponse qui vaille est qu’il faut punir les coupables et seulement eux. Il faut donc les identifier. Le procès est un instrument épistémique; il doit nous permettre de découvrir la vérité. La présomption d’innocence, c’est surtout éviter d’agir avant de savoir.
Soyons clairs, la présomption d’innocence n’interdit pas les pensées, mais elle doit empêcher les sanctions et les punitions.
D’aucuns diront qu’il faut établir des distinctions. On ne doit pas sanctionner ou sévir sur la base de calomnies ou de rumeurs. Les membres de la France insoumise qui défendent Éric Coquerel affirmaient qu’en l’absence d’une plainte on ne sévit pas. Ils poursuivaient en expliquant que bien que Damien Abad doive bénéficier de la présomption d’innocence, il ne peut demeurer ministre, car lui fait l’objet d’une enquête judiciaire.
La tartufferie des Insoumis
L’idée qu’il faille faire un tri entre les accusations n’est pas mauvaise, mais il faudrait se demander si ce genre de distinction n’est pas d’abord et avant tout motivé par l’intérêt. D’ailleurs, le test acide n’a pas tardé: l’accusatrice a depuis déposé plainte. Quand monsieur Coquerel démissionnera-t-il de la présidence de la commission des Finances ?
Mais au-delà de cette hiérarchisation – rumeurs, accusations publiques, dépositions de plaintes – nous devons nous poser une question plus essentielle. En l’absence d’une condamnation, sans preuve définitive ou l’aveu de la personne accusée, devrions-nous imposer des sanctions sociales? Pourquoi les citoyens devraient-ils devancer l’appareil judiciaire et se faire les bourreaux du tribunal populaire?
On pourrait répondre par l’affirmative en insistant sur l’importance de l’exemplarité. Nos institutions doivent être irréprochables, car elles doivent inspirer la confiance. Ainsi, un ministre qui fait l’objet d’une enquête judiciaire ne peut demeurer en poste puisqu’il discrédite l’autorité publique.
Sans nier l’importance de l’exemplarité ou de la confiance, nous pouvons tout de même nous demander pourquoi une accusation ou une plainte devrait nécessairement discréditer une personne ou une institution. Voulons-nous vraiment accepter comme norme qu’une plainte remplace le verdict, qu’elle suffise à faire tomber un ministre ou haut fonctionnaire? Croyions-nous aussi que le président doive démissionner si une plainte, ne serait-ce qu’une seule, était déposée contre lui?
La vie publique pourrait devenir insupportable
Évidemment, si nous nous mettions à appliquer une telle norme la vie publique deviendrait rapidement insupportable. Après tout, combien de plaintes ne donnent lieu à aucune condamnation? Combien d’enquêtes judiciaires ne valident pas la version de l’accusatrice? Deux fois, le judoka Alain Schmitt a été relaxé. Quelles sanctions sociales devions-nous lui imposer? Si chaque plainte rend inéligible l’accusé, alors toute plainte déposée aurait pour conséquence une démission.
Malgré sa valeur, l’exemplarité ne justifie ni le chaos ni l’iniquité. Impérativement, nous devons nous demander pourquoi une accusation ou une plainte devrait tout de suite motiver autant de soupçons? Comme une plainte met en œuvre un processus qui peut aboutir à un procès et ensuite un verdict, pourquoi ne nous contenterions-nous pas d’un scepticisme salutaire? Pourquoi ne pas dire que nous ne savons pas, que l’affirmation est disputée et que nous n’agirons pas sur la base de soupçons? Nous connaissons la réponse. On craint d’être accusé de participer à la « culture du viol » et cette peur pousse au jugement hâtif. En effet, selon ceux qui affirment que nous habitons une société où la violence sexuelle est endémique, faire preuve d’humilité intellectuelle ou de neutralité revient à prendre parti pour l’oppresseur. Lorsqu’une actrice dit «On doit aussi croire toutes les femmes qui parlent », il faut comprendre que la foi est prescrite et le doute proscrit. Affirmer qu’il existe une culture du viol revient à vouer un culte au soupçon à sens unique : s’il faut croire toutes les femmes, comment pouvons-nous aussi croire les accusés qui les contredisent? S’il faut croire toutes les femmes, plutôt que de croire les affirmations étayées par les meilleurs arguments et les preuves les plus solides, alors nous ne raisonnons plus. Derrière un culte du soupçon se cache un culte de la crédulité : croire toutes les femmes revient à les croire incapables d’erreurs ou de bassesses. Comment dit-on errare humanum est en néo-féministe?
Plusieurs députés insoumis, dont Louis Boyard, organisent devant l’Assemblée Nationale un faux mariage d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen avec un cercueil. Capture d'écran Twitter.
La Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes), sous le feu des projecteurs, est omniprésente médiatiquement et bruyante dans et aux abords de l’Assemblée nationale. Mais, en réalité, elle brille surtout par sa faiblesse et son impuissance.
La capacité de bluff de la gauche est… bluffante. Ce mardi encore, Jean-Luc Mélenchon expliquait avec son aplomb habituel : « Avec 1,5% des voix en plus (aux législatives) la Nupes avait la majorité absolue. Mélenchon Premier ministre, c’était possible. » 1,5%, c’est environ 300 000 voix. C’est déjà bien plus que les 16 000 voix que le fanfaron de LFI jugeait manquantes au lendemain du scrutin. Mais il est encore (très) loin du compte !
Toutes nuances confondues (la Nupes plus le PRG et les dissidents), la gauche obtient au premier tour, le 12 juin 2022, un total de 6 676 550 suffrages, soit 29,36% des exprimés. Moins d’un électeur sur trois a mis un bulletin de gauche dans l’urne. Moins d’un sur sept, si l’on tient compte de l’électorat inscrit ! Dans toute l’histoire de la gauche, ce n’est arrivé qu’à trois reprises : en 1993 (26,7% des exprimés), à l’agonie de second mandat de François Mitterrand, en 2017 lors de l’irruption du jeune président Macron, et donc, en cette année 2022. Encore faut-il remarquer que le total des voix de gauche en 1993 (7 440 729) était supérieur de près de 800 000 à celui de cette année !
Dans les années soixante-dix et quatre-vingts, avec beaucoup moins d’inscrits qu’aujourd’hui, la gauche PS-PC-PSU-MRG recueillait systématiquement plus de 10 millions de voix (13 millions en 1978 et même 13,7 millions en 1981 !). Elle en est à la… moitié. En pourcentage, son influence a même été divisée par près de trois : en 1981 elle représentait 37,64% des inscrits. Cette année, le chiffre est descendu à 13,74%.
Retour vers 2002
Certes, il n’est pas nécessaire d’obtenir 50% des voix pour avoir la majorité absolue des sièges, mais avec 26%, le score de la Nupes, c’est strictement impossible. La perte de la majorité absolue par la coalition « Ensemble » d’Emmanuel Macron, qui réalise exactement le même score, le prouve.
Ajoutez à cette faiblesse en suffrages une géographie mitée du vote Nupes, qui aggrave le mauvais score global, et vous aurez une « gauche unie » en retard de cent sièges sur « Ensemble », plus homogènement réparti sur le territoire. Les troupes de Jean-Luc Mélenchon et de ses affidés Faure, Roussel et Bayou ont été littéralement chassées des zones rurales et de la vieille France désindustrialisée, car elles n’ont parlé qu’aux électeurs des métropoles et des banlieues. Si bien qu’avec un total de 163 fauteuils sur 577 au Palais Bourbon, la gauche de 2022 fait pâle figure face à celle de 2007, pourtant année de défaite électorale. Aux législatives qui avaient suivi l’élection de Nicolas Sarkozy, elle avait obtenu 227 élus. La gauche d’aujourd’hui se trouve à égalité avec celle de 2002, année de l’élimination de Jospin et de la qualification de Le Pen père au 2e tour de la présidentielle…
La gauche rêve d’une campagne électorale permanente
Il faut rendre justice à Jean-Luc Mélenchon : avec si peu de munitions, il arrive à faire beaucoup de bruit, et pas seulement en transformant l’hémicycle du Palais Bourbon en amphithéâtre de fac occupée par les gauchistes. Il a accaparé la campagne des législatives avec son slogan : « élisez-moi Premier ministre », et il a parasité en partie la déclaration de politique générale d’Elisabeth Borne avec une motion de censure vouée à l’échec. Deux coups médiatiques qui plaisent aux journalistes qui n’ont d’yeux que pour lui, mais ce sont des coups d’épée dans l’eau. Peu importe : l’essentiel est de monopoliser l’attention. Et de rester en vedette sur la scène, en attendant une possible dissolution de l’Assemblée pour retourner aux urnes.
Jean-Luc Mélenchon ne le cache pas. Après son échec au premier tour de la présidentielle, puis celui de la Nupes aux législatives, il vise un 5e tour. Puis un 6e… et pourquoi pas plus ! Il a de la persévérance, mais c’est justement ce qui peut le condamner à rester indéfiniment dans une opposition stérile. S’il persiste dans sa politique flattant les bobos des centres-villes et le communautarisme des banlieues, il n’a aucune chance de se rapprocher des électeurs de la France profonde qui le boudent et qui lui seraient indispensables pour arriver, enfin, aux responsabilités du pays…