L’Arabe qui sourit est le récit d’un retour d’exil. Omar Youssef Souleimane retrouve son Proche-Orient natal sur fond d’enquête clandestine, et dépeint une terre cruelle et poétique.
Au fil de ses poèmes et de ses récits, du Petit terroriste (2018) à Être français (2023), Omar Youssef Souleimane construit une œuvre extrêmement sensible autour de sa vie d’exilé, sur son bonheur d’avoir trouvé en France la liberté, sur sa crainte, aussi, de voir s’imposer sournoisement ici le joug islamiste qu’il pensait ne plus jamais subir en fuyant sa Syrie natale. Il a adopté la langue et la culture françaises avec grâce, mais le bagage d’un réfugié du Proche-Orient demeure lourd : « Les catastrophes, la détresse, les conflits sont toujours les mêmes. Je pense qu’on ne peut pas vivre sans, c’est dans notre ADN. »
Dans L’Arabe qui sourit, Souleimane retrouve cette terre de désastres et de parfums, d’humiliations et de poésie qui, malgré la distance, continue de l’habiter. Le narrateur, qui lui ressemble beaucoup, est parfumeur à La Rochelle. Sa vie s’écoule paisiblement entre les lumières de l’océan, les conversations de bistrot et les senteurs de musc, de jasmin, de rose et de oud, lorsqu’il apprend la mort de Naji, son copain de jeunesse, syrien comme lui, mais réfugié au Liban. Sans hésiter, il prend le premier avion pour Beyrouth, quitté dix ans plus tôt, afin d’y retrouver Delia, leur amie commune. Si Beyrouth n’a été pour lui qu’une étape entre Damas et Paris, Naji a choisi d’y rester pour participer à la résistance au régime d’Assad ; quant à Delia, d’origine italienne, elle vivote entre missions humanitaires et reportages photo.
La mort de Naji est suspecte. Et ce qui devait être un douloureux mais nécessaire « retour au pays » pour enterrer un ami – « nous et les Libanais, on partage le même mode de vie, la même cuisine, les mêmes crises économiques et le même malheur » – se mue en une enquête à rebondissements dans une ville dévastée, rongée par la corruption, la violence et la pauvreté, mais dans laquelle l’auteur sait cueillir la moindre beauté, une fleur, une odeur, les vagues sur les rochers. La plume de Souleimane est d’une rare sensualité lorsqu’il s’agit de décrire un paysage, le grain d’une peau, un sourire, un regard. C’est parce qu’il sait percevoir cette poésie qu’il peut endurer la tristesse du monde qui l’entoure et nourrir une nostalgie profonde. Mais ses belles images, ses beaux souvenirs sont mis à rude épreuve lorsque les deux amis décident d’accomplir la dernière volonté de Naji : être enterré en Syrie. Le récit du passage clandestin de la frontière est haletant, nous n’en dirons donc pas plus.
Si ce retour en Orient relève d’un besoin charnel, le retour du narrateur en France s’impose comme un besoin vital. « Je ne peux m’installer sur cette terre qui me ramène à l’adversité que j’ai fuie. Pendant ce petit séjour, j’ai appris que c’était toujours le même chaos, la même séparation communautaire entre les gens, les mêmes dictatures et la même arriération. Tout cela m’a aidé à comprendre encore mieux les raisons pour lesquelles j’en suis parti : m’éviter plus de perte et de souffrance. Ce Proche-Orient est un cimetière de rêves. »
Omar Youssef Souleimane, L’Arabe qui sourit, Flammarion, 2025. 240 pages
Nous vivons la fin de la fin de la domination occidentale du monde. Derrière la Chine, le philosophe voit se former une « fédération mondiale des autocraties ». Les Américains l’ont compris, pas les Européens qui croient béatement que la planète entière continue de les envier.
Causeur. Le 5 mars, Emmanuel Macron a déclaré que la patrie avait besoin de nous et de notre engagement. Répondez-vous présent ?
Marcel Gauchet. Non ! Pas par antimilitarisme de principe, ni par refus de considérer les intérêts supérieurs de la patrie, mais parce que j’en ai une autre analyse que le chef de l’État – qui ne s’était jamais distingué jusqu’ici par un attachement viscéral aux intérêts supérieurs de la France. Emmanuel Macron pense surtout aux intérêts d’Emmanuel Macron et c’est tellement visible qu’il n’y a plus grand monde pour croire à sa politique. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas de drapeaux fleurir sur les boutiques et de gens se précipiter dans les commissariats de police pour demander à rejoindre au plus vite l’armée française. C’est que le bon peuple sent bien qu’on est dans le spectacle. Emmanuel Macron a saisi l’occasion de surenchérir sur un méga-événement médiatique, l’échange surréaliste qui a eu lieu dans le bureau Ovale le 28 février entre Volodymyr Zelenski, Donald Trump et J. D. Vance. Cette scène était pour le moins sidérante et à ce titre inquiétante. Elle n’en appartient pas moins au registre du spectaculaire, de l’émotion et donc du dérisoire.
Cependant, nous vivons des bouleversements historiques qui ne sont pas totalement le fait d’Emmanuel Macron. Le revirement des États-Unis vis-à-vis de l’Ukraine n’oblige-t-il pas la France à reconsidérer sa position dans ce dossier ?
Ce n’est pas moi qui vais nier l’existence d’un changement de monde ! À coup sûr, la nature du régime russe et ses ambitions représentent pour notre pays un risque réel. Mais justement, il faut l’évaluer avec exactitude. Et on n’aurait pas dû attendre Trump pour le faire. Seulement, pas plus que ses prédécesseurs Macron ne cherche à mesurer précisément ce risque. Après la complaisance, il agite un épouvantail et joue la peur. Communication d’abord ! Les Européens ont hélas perdu les moyens intellectuels de penser la réalité. Nous sommes devenus le continent de l’irréalisme politique. L’Europe est l’idiot du village global.
Diriez-vous que Trump est plus réaliste que les Européens ?
En tout cas, il confirme que les États-Unis ont bel et bien renoncé à ce qui a été leur politique dite « multilatérale » depuis 1945, pour la bonne raison qu’ils estiment être les perdants de cette politique. Depuis leur couronnement comme champions du monde libre, les États-Unis considéraient qu’ils avaient pour mission de façonner le monde à leur image. Cette conviction a pu prendre des contours parfois messianiques mais le plus souvent, elle procédait d’un raisonnement bien plus trivial : les Américains pensaient que, si le reste du monde avait la bonne idée de leur ressembler, ils y gagneraient. C’était le fond de leur politique, qui a pris des formes successives pendant des décennies, avant d’être progressivement remise en cause depuis une quinzaine d’années. Le changement de cap date d’avant Trump. Et il continuera sans doute après lui, peut-être dans des formes plus civiles, mais non moins implacables.
Le paradoxe, c’est que ce retrait de l’empire américain se fait dans des formes impériales.
Écartons ce mot d’« empire », aujourd’hui galvaudé. En toute rigueur, un empire se définit par l’orientation vers l’expansion territoriale. La notion ne s’applique pas aux États-Unis, même si les déclarations fantaisistes de Trump sur le Canada ou le Groenland peuvent suggérer le contraire. Quand on parle d’impérialisme américain, c’est en fait d’une politique de puissance particulièrement étendue et vigoureuse que l’on parle. Cette politique a remporté une grande victoire avec l’effondrement de l’URSS, un authentique empire, celui-là, il y a trente-cinq ans. Les Américains ont alors pensé que c’était fait, que l’histoire allait réaliser le plan et que leur modèle allait s’imposer partout. Or c’est tout autre chose qui s’est produit. Que des gens échappent à leur emprise, ils peuvent le supporter, mais qu’ils proposent un modèle concurrent, c’est intolérable. Et le pire, c’est que ce modèle a du succès. Derrière la Chine, on voit se regrouper ce que j’appellerais la « fédération mondiale des autocraties ». L’explication profonde de l’élection de Trump, c’est la perception que le monde échappe aux États-Unis. Et sur ce point, il y a un large accord des élites politiques et stratégiques américaines qui cherchent une autre direction pour défendre leurs intérêts.
Si le monde échappe aux États-Unis, il échappe encore plus à l’Europe !
Oui, la différence étant que l’Europe ne le sait pas ou ne veut pas le savoir. Nous restons des eurobéats inconscients du nouvel état du monde. Lequel se résume en une donnée : nous sommes un milliard d’Occidentaux à côté de sept milliards de non-Occidentaux. Or, ceux-là sont effectivement en train de s’occidentaliser, mais pas de la façon que nous voudrions. Ils ne cherchent pas à rejoindre les démocraties libérales, mais à acquérir à toute allure nos moyens de puissance pour les retourner contre nous. Nous vivons la fin de la fin d’une ère où le monde était dominé par l’Occident et la suite ne s’annonce pas forcément souriante.
Assistons-nous aussi à la fin de l’illusion du droit comme régulateur des relations internationales ? Revenons-nous au monde des rapports de forces assumés ?
C’est plus compliqué que cela, parce que les relations internationales se jouent sur plusieurs plans, économique, politique, culturel, chacun obéissant à son propre rythme de transformation. Sur le plan économique, l’hégémonie de l’Occident est encore largement en place. Et si la mondialisation à l’américaine, avec l’OMC et le libre-échange, a probablement vécu, de nouvelles règles vont s’imposer. Mais les échanges ne vont pas diminuer. Ce qui va reculer, en revanche, c’est la prétention occidentale d’imposer son modèle politique au reste du monde. C’est ça l’enjeu. De plus, nous avons affaire à des gens qui ont bien compris que notre foi dans le droit relevait souvent de la pure hypocrisie. Je n’ai pas besoin de détailler les exemples.
Cela dit, en Occident, la mondialisation n’a pas été vraiment heureuse…
En effet, on ne comprend rien à ce qui se passe si on ne revient pas aux dégâts de la mondialisation dans le monde occidental. Certains gagnent beaucoup mais collectivement, on a assisté à une espèce de désagrégation des sociétés occidentales qui ébranle maintenant leur sommet. Les oligarchies dirigeantes ne perdent pas seulement leur capacité à tirer profit du reste du monde, mais aussi celle de régner sur des sociétés à peu près contrôlables. Au lieu de s’accrocher à un ordre qui s’efface, nous devrions plutôt nous poser une question : Comment pouvons-nous continuer à agir politiquement dans un univers qui n’est plus à notre école ?
Donc, il existe encore un « nous »?
Oui, même si ce « nous » n’est pas très clair dans la tête des Occidentaux, et en particulier des Français, qui continuent de penser que le reste du monde nous envie et veut être comme« nous ». Cette idée trompeuse est entretenue par l’immigration : puisque tant de gens veulent venir, c’est qu’ils ont un rêve d’Europe ou d’Amérique. Sauf que la plupart d’entre eux ne désirent que notre capitalisme et notre État social. Pas nos libertés publiques ni notre système de mœurs. L’Europe est l’endroit idéal pour développer une autre culture. L’avenir de l’Europe, cela peut être l’islam plus la Sécurité sociale.
Dans ces conditions, que reste-t-il de l’Occident ?
Aujourd’hui, le projet de l’Occident se réduit à sa créativité scientifico-technique. C’est que nous sommes incapables de définir notre identité en assumant notre héritage, donc d’affirmer que chez nous, c’est plutôt mieux qu’ailleurs et que nous voulons continuer comme ça.
Qu’est-ce qui, chez nous, est mieux qu’ailleurs?
L’invention de la démocratie et de tout ce que cela signifie comme univers social, intellectuel, culturel, au-delà de la vie politique. Et c’est précisément parce que ce modèle n’est pas voué à l’universalisation automatique qu’on doit le défendre. Les Européens, en tout cas leurs voix officielles, refusent d’assumer cette originalité historique, acceptant eux-mêmes de se désigner comme des criminels qui ont dévasté la planète. Raisonnons un instant par uchronie : que serait le monde d’aujourd’hui s’il n’y avait pas eu la colonisation européenne ? Beau sujet pour un romancier imaginatif !
Revenons au cadre global. Vous dites que l’Occident ne fait plus école aujourd’hui et qu’il a pour rival une « fédération des autocraties », dont la tête de pont est la Chine. Quel est le risque que demain ce soit la Chine qui « fasse école » ?
Ce n’est pas une petite question, c’est même la question pour moi. Le risque est très grand. Mais pas parce que les peuples non occidentaux seraient amoureux de l’autocratie à la chinoise. Tout le monde aspire à la liberté individuelle, personne ne veut être jeté arbitrairement en prison. Seulement, dans beaucoup de pays d’Asie ou d’Afrique, où les conditions sociales, intellectuelles, culturelles de la démocratie ne sont pas réunies, l’idée d’un régime autoritaire jouit d’une popularité spontanée incontestable. D’abord pour des raisons d’efficacité. Il faut reconnaître que la solution autocratique n’a pas que de mauvais aspects si l’on est attaché au maintien de l’ordre, à la cohésion sociale et au développement. Instaurez la démocratie en Égypte et vous aurez un bazar inimaginable, la preuve par le printemps arabe. Dans ces conditions, les régimes autoritaires apparaissent comme un moindre mal. Les Russes ont inventé une expression parlante pour décrire l’ensemble de ces peuples aux aspirations moins libérales que les nôtres. Ils appellent cela la « majorité mondiale ».
Il faut dire que ces peuples peuvent observer les excès du libéralisme des mœurs en Occident…
C’est un point fondamental aussi. Il faut distinguer à cet égard trois camps : l’Europe, les États-Unis, le reste du monde. Malgré quelques curés polonais qui continuent d’emmerder le monde et un clergé orthodoxe grec qui ne paye pas d’impôts, l’Europe est le continent de la sortie de la religion : l’empreinte normative de celle-ci s’est à peu près évanouie partout, laissant la place à un système de liberté individuelle démultipliée. Les États-Unis sont très divisés sur ce plan, mais vont quand même dans la même direction. Dans le reste du monde, où les piliers de la vie sociale restent la famille et la religion, on a une perception très négative de ce qui apparaît comme une décomposition intellectuelle, morale et sociale du monde occidental.
Cependant, en Occident aussi, beaucoup de gens – dont nombre d’électeurs de Trump – expriment un refus viscéral du wokisme et de ses lubies. Ce réveil d’un peuple oublié peut-il aboutir à une tyrannie de la majorité ?
Je ne le crois pas. Les États-Unis nous ont habitués à des revirements brutaux dans leur histoire, c’est vrai. Mais on ne va tout de même pas vers un nouveau maccarthysme. Si Trump va très vite, d’ailleurs, c’est qu’il sait que dans deux ans les élections de mi-mandat risquent de le condamner à la paralysie. Il n’a pas un consensus suffisant derrière lui pour installer une orthodoxie persécutrice anti-woke qui serait le pendant du conformisme woke actuel. Espérons juste qu’il ait porté un coup mortel à toute espèce d’orthodoxie tyrannique.
Revenons à la crise ukrainienne. Les positions des uns et des autres dépendent de l’évaluation que l’on fait de la menace russe. Quelle est la vôtre ?
Sur ce point, l’analyse est nécessairement complexe et risquée. Pour moi, cette menace, bien réelle, concerne l’environnement immédiat de la Russie. Poutine n’a que faire de l’ouest de l’Europe, mais il le considère comme une menace, non pas militaire mais culturelle, un bouillon de culture contagieux, susceptible de donner de mauvaises idées à une partie de ses sujets. Cela lui fait retrouver le réflexe stalinien du glacis à mettre entre la Russie et nous. Cette crainte est à son comble vis-à-vis de cet ancien morceau – et quel morceau – de l’Union soviétique que constitue l’Ukraine, en péril d’« ouestisation », si j’ose dire. L’autocratie chinoise comme l’autocratie russe sont agressives non pas parce qu’elles ont des réflexes impériaux ou des tentations expansionnistes, mais parce qu’elles ont peur. Parce que l’Occident est foncièrement corrupteur. La Chine communiste a longtemps résisté au modèle économico-technique occidental. Et puis elle l’a adopté, avec une facilité et une vitesse que ses dirigeants ont pu apprécier. Ils n’ont pas envie que le processus continue sur sa lancée. Tous ces régimes sont sur la défensive vis-à-vis de nous. Et dans la mesure où ils nous voient comme une menace, ils nous menacent, car la meilleure défense, c’est l’attaque, nul ne l’ignore.
Disons que c’est la faute de la géographie et de la tentation que nous représentons malgré nous. Les Taïwanais sont des Chinois occidentalisés, la pire chose qui puisse exister pour Pékin. Les Chinois veulent étouffer Taïwan comme ils ont étouffé Hong Kong. De même, les Ukrainiens ont le malheur d’être russes aux yeux des Russes et d’avoir des velléités d’européanisation, voire d’américanisation. Une Ukraine qui marche serait un modèle attractif pour les Russes et cela Poutine ne peut pas le tolérer.
En attendant, les Ukrainiens ne veulent pas devenir russes et les Taïwanais ne veulent pas devenir chinois. Si nous devons renoncer à imposer la démocratie, ne faut-il pas la protéger là où elle est menacée ?
Je le pense. C’est la raison pour laquelle il est essentiel d’apprécier la nature exacte de ce que veut Poutine. C’est au prix de cet effort que nous pourrons protéger les Ukrainiens. Sinon on entre dans une dynamique de conflictualité confuse dont l’Ukraine sortira détruite.
Certains pensent que nous sommes en 1938 et qu’il faut empêcher Hitler d’envahir la Pologne. D’autres assurent qu’on est en 1914 et qu’il suffit d’une étincelle pour que tout s’embrase. Qui vous convainc le plus ?
Ni les uns ni les autres. On vit autre chose. Les situations sont totalement différentes. Contrairement à Hitler, qui était un vrai impérialiste, Poutine n’est pas expansionniste. N’en déplaise aux âneries qui font autorité sur les plateaux télé, il ne cherche pas à reconstituer l’empire soviétique. Il sait parfaitement que les circonstances n’y sont pas et qu’il n’en a pas les moyens, même s’il le souhaitait, ce que je ne crois pas. Il cherche à se protéger et à préserver ce qu’il considère être le modèle russe.
Concrètement comment gérer son hostilité ?
Dans le cas ukrainien, la concession que nous ne pouvons probablement pas éviter, c’est la récupération par la Russie des régions russophones de l’Est ukrainien. Mais il faut affirmer en même temps que, pour la suite, nous sommes solidaires de l’Ukraine, que ce pays fait partie de notre sphère et qu’il est hors de question que Moscou y touche.
Donc il faut tisser encore plus de liens avec Kiev ?
Tout à fait, mais intelligemment, et en contrôlant les opérations, car il est vrai qu’il y a des gens très dangereux en Ukraine, qui ont fait beaucoup de dégâts. De ce point de vue-là, Trump n’a pas tort : s’il y a en Ukraine des usines américaines, des ouvriers américains, des mines américaines, alors Poutine y réfléchira à deux fois avant de venir les chatouiller. Aux Européens d’en faire autant.
S’il a gain de cause, et qu’il constitue son glacis dans le Donbass et en Crimée, et si le chinois Xi aussi finit par avoir gain de cause à Taïwan, ces deux-là nous laisseront tranquilles, vous en êtes sûr ?
Non, parce qu’ils auront éliminé ce qu’ils tiennent pour une menace immédiate, mais pas la menace de fond. Simplement, les choses ne se passeront plus sur le terrain militaire, mais sur le terrain diplomatico-économique : ils tenteront de donner une ossature politique à la « majorité mondiale » et d’affaiblir l’Occident par tous les moyens pacifiques.
Finalement, on en revient à la vieille question politique : qui est notre ennemi ? Contre qui la France et l’Europe doivent-elles se défendre aujourd’hui ?
Contre elles-mêmes. Contre notre effondrement intellectuel et moral. Contre notre incapacité à voir la situation à laquelle nous avons affaire et à réagir autrement que par des gesticulations et des programmes oniriques. L’Europe est devenue le continent de l’irréalisme politique. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Européens, aujourd’hui, sont méprisés par tout le monde, non seulement par leurs ennemis russes et chinois, mais aussi par leurs alliés américains.
Il est vrai que la France fait face à d’autres menaces existentielles, en particulier l’islam radical. Mais ce combat-là, on ne le mène pas non plus.
Encore moins. On envoie de l’aide matérielle à l’Ukraine, mais contre l’islam radical, on ne fait rien.
Cependant, est-il absurde de profiter de cette situation pour appeler les Français à un effort national ?
C’est un appel irréel à des gens qui, de toute façon, n’ont pas l’intention de fournir un quelconque effort, les uns par indifférence, les autres par absence de confiance dans la parole officielle. Et que dire des conditions pratiques de ce que pourrait être cet « effort ». Rétablir le service militaire ? L’idée est totalement décalée par rapport à l’état de la société française. L’armée peine aujourd’hui à recruter. Je souhaite bien du plaisir au sergent instructeur qui apprendrait à marcher au pas à nos jeunes gens. Sans parler des moyens matériels et donc du temps qu’il faudrait pour les mettre en place. Réarmer ? Très bien mais, là aussi, les usines ne se construisent pas en un jour. Où est la réflexion planificatrice indispensable pour coordonner une entreprise de cette ampleur ? L’effort risque bien de se réduire à un tour de vis fiscal supplémentaire dont le but initial se perdra dans les sables.
Une révolution des mentalités est-elle donc impossible ?
Encore une fois, la première condition d’une mobilisation civique, c’est la confiance majoritaire dans les personnes qui nous dirigent. Or il faut bien constater que la plupart des Français ne pensent pas être conduits par des élus responsables et soucieux de leurs intérêts. Donc nous sommes mal partis.
Face à des puissances agressives qui savent ce qu’elles veulent et ajustent leur puissance militaire en conséquence, ne devons-nous pas, nous aussi, avoir de gros biscotos pour être respectés ?
Sans doute, mais qui impressionnons-nous quand nous retirons piteusement nos troupes d’Afrique ? Commençons par le commencement : si nous voulons être respectés par Poutine, virons au moins ses mercenaires de l’Afrique ! Le groupe Wagner est-il vraiment au-dessus de nos forces ? Mais de manière générale, si nous voulons être respectés, changeons d’attitude. Posons que nous sommes porteurs d’un acquis respectable. Cessons de cultiver une culpabilité permanente à l’égard de notre passé. Qu’il y ait des pages abominables dans notre histoire, oui, bien sûr, ça ne fait aucun doute. Il n’y a pas de pays qui n’en ait pas connu. Mais entre l’arrogance obtuse et la honte mal placée, il y a la conscience lucide d’avoir à faire vivre l’héritage d’une très grande histoire dont, de surcroît, tous ou presque bénéficient aujourd’hui sur la planète, ne serait-ce que sous forme d’espérance de vie. Tant que nous n’aurons pas renoué avec une forme intelligente de fierté, nous ne pèserons pas sur la scène internationale.
Avant de nous quitter, un mot sur la crise avec l’Algérie et Boualem Sansal. Le sort de cet écrivain peut-il créer un choc salutaire ?
Le choc a existé, mais dans un public limité, malheureusement. Qui connaît Boualem Sansal dans le grand public ? Qui lit des livres ? Macron et le Quai d’Orsay l’ont bien noté et c’est ce qui explique leur mollesse tranquille. Pour une majorité de Français, l’affaire, vue de loin, n’est qu’une confirmation de plus du sentiment que nous sommes un pays en déclin. Si nous sommes incapables de tordre le bras des tyranneaux d’Alger, c’est que vraiment nous ne comptons plus pour grand-chose.
Avant de retourner à une nouvelle partie de golf, le président américain a donc dévoilé cette semaine les redoutables nouveaux tarifs douaniers américains. La Bourse dégringole, l’OMC et le FMI s’inquiètent. En France, nos exportateurs se demandent où réorienter certains de nos bons petits produits nationaux. Récit amusé.
La vie ne consiste pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre comment danser sous la pluie. Sénèque.
Après moi, le déluge. Attribué à Louis XV.
Finalement, la vérité éclate au grand jour : les États-Unis d’Amérique étaient depuis longtemps une nation persécutée et odieusement exploitée économiquement par le monde entier. C’est terminé. Heureusement. le fondateur de la Trump University prend des mesures énergiques : bien mal acquis ne profite jamais. Est longue la liste des Etats et territoires voyous qui inondent l’Amérique de leur produits industriels, et qui sont frappés de droits de douane scientifiquement calculés, modulés en fonction de l’hostilité du pays concerné.
Fromages puants et îles oubliées
Parmi les pires délinquants, il y a le bien connu impérialiste Lesotho, qui terrorise les ménagères des banlieues avec son agressive marine marchande; la sanction est 50%.
En Indochine, le Cambodge fait face au taux de 49%, l’infâme Laos, 48%; quant au Vietnam, qui n’a aucune gratitude envers le pays qui l’a jadis généreusement arrosé d’agent orange, le chiffre déterminé par Sa Majesté tout aussi orange est 46%. Gare aux buveurs de thé : 44% pour le Sri Lanka. N’oublions surtout pas les îles malouines (alias Falklands) 41%. Signalons au passage Haïti, 10%.
Plus spécifiquement, quid de la France? On note que l’Union européenne (évidemment conçue par Robert Schuman dès l’origine dans le seul but de léser les Etats-Unis, suite au plan Marshall) se voit imposer un taux de 20%. Le Grand-Marnier coûtera nettement plus cher, ainsi que les fromages puants (« stinking cheeses » en v.o.). Le gastronome yankee économe devra se rabattre sur la bière Schlitz et le Velveeta.
Mais des ennemis encore plus coriaces, même s’ils font partie intégrante de la République une et indivisible française (et donc de l’UE), se voient imposer un supplément. Quelques exemples. Pour les crustacés de Saint-Pierre-et-Miquelon, 50% (+20%), mais ce n’est que justice pour cette plaque tournante qui contribua au trafic d’alcool pendant la prohibition. Le châtiment, comme la vengeance, est un plat de crevettes qui se mange froid. La Guyane française n’échappe pas au courroux du président : 10% (+20%), idem pour Mayotte, la Polynésie française, etc…
Toutes les dépendances françaises sont visées. Toutes? Non.
Passent entre les gouttes deux territoires français stratégiques commercialement : les îles Kerguelen et l’île de Clipperton.
Il y a d’autres ratés. N’ont pas échappé au regard inquisitif et acéré des méticuleux services de recherche de la présidence des concurrents comme les Îles Heard-et-MacDonald; les manchots ne sont peut-être pas ceux qu’on pense. Mais alors, comment expliquer que Tristan da Cunha soit aussi passé à travers les mailles du filet?
Plus irritant encore, le continent antarctique dans son ensemble, incluant le secteur français, échappe aux droits de douane.
Foin d’un malséant pessimisme. L’actualité boursière n’a rien pour inquiéter el presidente, qui s’est immédiatement rendu à son « war room » (en v.o., « salle de crise » en v.f.), le Trump International Golf Club, d’où il œuvre sereinement pour ses administrés, qui peuvent le suivre sur l’écran divisé qu’il a créé pour l’occasion. Il ne joue jamais « hors limite » et il est le maître incontesté du dix-neuvième trou.
Somme toute, toute cela est de bon augure pour le consommateur américain, surtout retraité, qui s’épanouit, pleinement rassuré, sur son green à lui.
La capitale est confrontée à une crise du crack de plus en plus préoccupante. Le conseiller de Paris, Aurélien Véron (groupe Changer Paris), critique la gestion laxiste de la municipalité et appelle à des mesures plus fermes pour y faire face. La Ville, trop occupée par ses consultations « citoyennes » et la piétonisation des rues, néglige la sécurité publique et semble déconnectée des préoccupations réelles des habitants, déplore le candidat LR de la 7e circonscriptionmalheureux aux législatives.
Causeur.Qu’avez-vous pensé de la votation sur la végétalisation et la piétonnisation de rues à Paris qui s’est tenue le 23 mars ?
Aurélien Véron. C’était une fausse consultation qui a coûté 450 000 euros aux Parisiens ! Avec un taux de participation de seulement 4 %, il est évident que le sujet n’intéressait pas les habitants. De plus, les informations manquent de clarté : combien coûteront réellement ces « rues-jardins », estimées à 500 000 euros chacune ? Quelles rues seront concernées ? Qui assurera leur entretien, alors même que la végétalisation actuelle de la ville est déjà mal gérée ?
Ce projet s’apparente à un coup de communication pré-électoral financé avec l’argent des Parisiens. La ville est pourtant déjà lourdement endettée, et cet investissement de 250 millions d’euros est irresponsable. Une véritable consultation aurait dû se dérouler sur plusieurs mois, avec une information transparente et un quorum minimum pour valider les résultats, me semble-t-il.
Il est urgent de repenser la gestion de la ville, en mettant en priorité la sécurité, la lutte contre les violences et une gestion budgétaire plus saine. Aujourd’hui, les Parisiens sont confrontés à une municipalité qui semble déconnectée de leurs réalités quotidiennes, qu’il s’agisse de leur sécurité ou de la manière dont leur argent est utilisé.
Vous dénoncez régulièrement sur les réseaux sociaux la situation de la consommation du crack à Paris. Mais quelles solutions préconisez-vous?
Commençons par un constat : la cohabitation entre toxicomanes et riverains est impossible. Toute structure attirant des consommateurs de crack dans un quartier résidentiel entraîne une dégradation des conditions de vie et une explosion des nuisances. Malheureusement, la mairie refuse de reconnaître cette réalité, mettant ainsi en danger les familles.
Il faut savoir que le crack est une drogue extrêmement destructrice, non seulement pour ceux qui en consomment, mais aussi pour leur entourage. Les toxicomanes adoptent des comportements imprévisibles et parfois violents, souvent aggravés par la polyconsommation d’alcool et d’autres substances. Ils peuvent avoir des attitudes inacceptables en public, comme se déshabiller ou se masturber dans la rue, ce qui rend la situation intenable pour les habitants.
La gestion de la toxicomanie à Paris se caractérise par une approche trop laxiste. Les dispositifs comme les CAARUD (Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des Risques pour Usagers de Drogues), bien qu’ils aient été conçus pour venir en aide aux toxicomanes, les maintiennent dans leur addiction au lieu de favoriser leur sevrage. La mairie de Paris adopte une posture complaisante, alors qu’une politique plus ferme serait bien plus efficace pour protéger ces personnes en grande détresse. Il est nécessaire d’encadrer strictement ces espaces et de proposer un accompagnement orienté vers la sortie de la toxicomanie.
Quel regard portez-vous sur les structures actuelles de prise en charge ?
Il existe trois types de dispositifs. Les salles de consommation à moindre risque (SCMR) permettent aux toxicomanes de consommer dans un cadre encadré. Il n’en existe qu’une à Paris (dans le quartier de la gare du Nord, 10e), mais elle attire dealers et consommateurs, générant violences et insécurité. Les CAARUD distribuent du matériel propre et créent un lien social, mais sans orientation vers le sevrage. Les CSAPA (Centre de Soins, d’Accompagnement, de Prévention en Addictologie) proposent un accompagnement plus axé sur le soin. Le problème principal est que ces dispositifs ne favorisent pas le sevrage. Les associations qui les gèrent refusent l’idée d’un sevrage forcé, alors qu’ils pourraient constituer le premier électrochoc vers un traitement volontaire.
Que proposez-vous comme alternative ?
Je préconise une prise en charge plus structurée, reposant sur trois étapes. La première consiste en un sevrage forcé, par hospitalisation d’office ou à la demande d’un tiers, d’une durée de deux à trois semaines. Vient ensuite une post-cure en institution spécialisée, pendant deux à trois mois, pour aider le patient à gérer ses envies et ses émotions. Enfin, l’intégration dans une communauté thérapeutique permet aux anciens toxicomanes d’accompagner les nouveaux sur le chemin de l’abstinence.
Ce parcours exige des moyens, notamment pour augmenter les places en post-cure et en communauté thérapeutique. Plutôt que d’investir dans des CAARUD inefficaces, il conviendrait de privilégier cette approche.
Et que fait-on des consommateurs en situation irrégulière ?
Le traitement de l’addiction au crack est un processus long et coûteux. Pour les toxicomanes sans papiers, la France n’a ni les moyens ni la capacité d’assumer une prise en charge aussi lourde. Il faudrait envisager leur retour dans leur pays d’origine, tout en mettant en place une aide pour leur prise en charge locale.
L’abstinence est un combat de toute une vie, qui nécessite un suivi constant et une structure solide. Il est donc primordial de concentrer les efforts sur ceux qui peuvent bénéficier pleinement d’un accompagnement sur le long terme.
Plus largement, vous dénoncez également un manque de soutien aux victimes d’agressions et de violences urbaines dans notre capitale.
En effet, car tout est lié ! La mairie de Paris se distingue par son absence de compassion et de réaction face aux victimes d’agressions. Qu’il s’agisse de drames comme l’explosion de la rue de Trévise ou des agressions tragiques comme celles d’Elias (Le 24 janvier 2025, Elias B., un adolescent de 14 ans, a été mortellement poignardé dans le 14ᵉ arrondissement de Paris alors qu’il sortait de son entraînement de football NDLR) et de Philippine (Le 21 septembre 2024, le corps de Philippine Le Noir de Carlan, 19 ans, a été découvert dans le bois de Boulogne NDLR), le silence est assourdissant. La réaction à l’affaire Elias n’est intervenue que sous la pression populaire. Pourtant, les actes de violence se multiplient, notamment chez les jeunes, où l’on observe une brutalité croissante et une banalisation des agressions, parfois commises avec couteaux comme l’actualité récente nous l’a montré.
Quelles solutions préconisez-vous pour lutter contre cette insécurité croissante ?
Il faut d’abord une politique de prévention et de répression plus efficace, reposant sur plusieurs mesures concrètes. L’installation de caméras de vidéo-protection dans les zones à risque permettrait des interventions plus rapides. Une présence renforcée de la police municipale, avec des patrouilles adaptées aux données statistiques d’agressions, est également nécessaire. L’utilisation d’outils d’intelligence artificielle pourrait ainsi contribuer à anticiper et à prévenir les violences.
Par ailleurs, une réforme de la justice des mineurs s’impose, afin que les jeunes violents soient sanctionnés de manière éducative mais ferme, par des travaux d’intérêt général, des dispositifs de redressement, voire un placement en structures semi-ouvertes. Enfin, un soutien accru aux familles en difficulté est indispensable, car de nombreux parents, en particulier des mères seules, sont dépassées par la situation.
J’en reviens au référendum sur les rues piétonnes. La démocratie participative promue par Anne Hidalgo n’a-t-elle rien de bon ?
La démocratie participative est un sujet important avec une réelle attente des Parisiens. Elle pourrait effectivement fonctionner normalement si on lui consacrait le temps nécessaire afin de permettre au débat d’avoir vraiment lieu dans la transparence, et si l’on s’appuyait davantage sur des outils numériques. Cela permettrait d’impliquer un plus grand nombre de citoyens, y compris ceux qui ne peuvent pas se déplacer ou qui se trouvent loin de Paris au moment du vote.
Mais finalement, je reste convaincu que l’expertise des élus doit aussi être valorisée. Il faut trouver un équilibre entre la participation citoyenne et la responsabilité des représentants. Les Suisses, avec leur culture de la votation, pourraient nous inspirer. Toutefois, des efforts restent à faire pour que ce modèle fonctionne pleinement en France.
Vous parlez d’expérimentations, par exemple concernant les voies de bus. Comment cela pourrait-il être intégré dans le processus de consultation ?
Je suis favorable à l’expérimentation associée aux consultations. Par exemple, pourquoi ne pas expérimenter en soirée de convertir après l’heure de pointe la voie de bus d’une grande avenue en places de stationnement, quand la circulation diminue et permet aux bus de rouler à vitesse normale ? Cette optimisation de l’usage de la chaussée pourrait aussi bénéficier en soirée aux commerçants, aux restaurants, aux théâtres… et le couloir de bus retrouverait sa vocation initiale au petit matin. Une consultation rattachée permettrait aux riverains de s’exprimer au terme d’une période d’essai.
Je pense qu’il est généralement essentiel de réévaluer la manière dont ces consultations citoyennes sont menées. Aujourd’hui, il manque une véritable transparence, et les citoyens ont souvent le sentiment que leur avis n’est pas réellement pris en compte. La végétalisation, par exemple, devrait faire l’objet d’expérimentations avant toute décision définitive. C’est comme pour les projets de piétonnisation : avant de bouleverser un quartier entier, il faudrait d’abord mesurer les effets à petite échelle et consulter les habitants après quelques mois.
L’avenir de Paris repose avant tout sur la gestion de la mobilité. Si l’on continue à réduire les voies de circulation pour les voitures, on risque de rendre la ville encore plus invivable pour les familles, les personnes âgées et nos commerçants. Il faut penser une ville accessible, dans laquelle chacun peut se déplacer librement tout en respectant les objectifs environnementaux. Mais il ne faut pas oublier non plus que Paris est une ville de prospérité. Nous devons donc maintenir un équilibre entre les enjeux écologiques et la fluidité de la circulation, afin de préserver cette prospérité.
Qui soutiendrez-vous aux élections municipales, ?
Pour moi, la candidate idéale pour 2026 est Rachida Dati. C’est une véritable élue de terrain, toujours présente, et elle a démontré sa capacité à gérer des projets municipaux avec efficacité. Elle connaît bien les enjeux liés à la qualité de vie et s’implique avec conviction.
À gauche, la situation est plus complexe. Ils sont en crise et profondément divisés.1 La montée de la France Insoumise dans le paysage parisien est, selon moi, le résultat d’une politique de compromis poussée à l’excès. Je crains que cette dynamique ne mène à une radicalisation croissante.
Par ailleurs, si la loi PLM2 est adoptée, cela changera profondément la manière dont le maire de Paris est élu. Actuellement, l’élection se fait de manière indirecte, avec un système où certaines voix pèsent plus que d’autres selon les arrondissements. Si cette réforme entre en vigueur, chaque Parisien aura le même poids dans le choix du maire. Et cela rendra l’élection plus démocratique et plus transparente ! Si ce changement se concrétise, il pourrait marquer un tournant majeur. Affaire à suivre…
[ndlr : Pour succéder à Anne Hidalgo, deux candidats en lices s’affrontent actuellement : Emmanuel Grégoire (soutenu par Bertrand Delanoë) et Rémi Féraud (soutenu par Anne Hidalgo)] ↩︎
Cette loi votée en 1982 organise le fonctionnement municipal spécifique des trois plus grandes villes de France, Paris, Lyon et Marseille, d’où son nom. Depuis plusieurs années, une réforme de la loi est à l’étude. Cette réforme viserait à unifier le scrutin, de manière à ce que chaque Parisien dispose du même poids électoral, quel que soit son arrondissement. Elle prévoit également l’instauration d’une élection directe du maire de Paris par l’ensemble des citoyens, en remplacement du système actuel d’élection indirecte par les conseillers de Paris ↩︎
La « réussite pour tous », c’est l’assurance pour les enfants de la caste, affirme notre chroniqueur, de garder les meilleures places au chaud pour leurs enfants. Gens de pouvoir ou enseignants qui espèrent pour leur progéniture des miettes de ce pouvoir, tous se liguent pour que la réussite factice de tous garantisse la vraie réussite de leurs mioches, aussi médiocres soient-ils.
Récemment interviewé sur les heurs et malheurs de l’Ecole par la Grande Loge de France, qui passe pour être plus centre-droit que le Grand Orient, j’ai eu l’imprudence d’utiliser l’expression « élitisme républicain ».
« Halte-là ! » a immédiatement protesté l’un de mes interlocuteurs. « C’est là un concept d’extrême-droite ! »
Temps troublés
Nous vivons décidément une époque de grande confusion mentale, un authentique « moment orwellien », par référence aux slogans de Big Brother dans 1984, « l’ignorance, c’est la force », « la liberté, c’est l’esclavage ». Les mots ne sont plus utilisés dans leur sens commun, mais à l’inverse de leur signification ordinaire.
C’est ainsi que l’extrême-gauche n’hésite plus, sous prétexte d’antisionisme, à user d’une terminologie raciste, censée rassembler autour d’elle les suffrages des minorités musulmanes les plus ouvertement antisémites. Que les héritiers supposés de Marx versent dans la propagande anti-juive, avec parfois une iconographie inspirée des affiches hitlériennes des années 1930, est l’un des faits incontestables, mais qui ne laissent pas d’être troublants, de ces temps troublés.
L’autre source de confusion mentale est l’indistinction entre le quantitatif et le qualitatif. L’élitisme républicain a pour objet de dégager une future élite, apte à remplacer celle qui gouverne, qui est elle-même arrivée aux postes de direction par l’argent, le piston ou la localisation immobilière — et très rarement par mérite intrinsèque. Il n’y a pas plus de beaux cerveaux chez les riches que chez les pauvres — j’ai expliqué cela en détail dans L’Ecole à deux vitesses.
Le problème est que la caste au pouvoir use de sa position dominante pour bloquer la montée d’élites nouvelles issues des classes opprimées. Et elle peut compter, pour ce faire, sur la collaboration pleine et entière de ces cohortes d’enseignants prêts à toutes les bassesses pour avoir le droit de quémander, pour leurs enfants, une école moins clivante que celle que leur assignait leur résidence en milieu non favorisé — étant entendu que les « beaux quartiers », comme disait Aragon, leur sont interdits par la loi de l’immobilier de luxe.
On comprend bien, dès lors, qu’« élitisme républicain » soit un slogan inaudible pour la caste au pouvoir, et pour tous ceux, appartenant à ces classes intermédiaires qui sont ses larbins fidèles et rêve de promotion sociale alors que dans les faits on les prolétarise.
Les pédagogies qui ont inspiré le slogan jospinien de « l’élève au centre », alors que traditionnellement c’était le Savoir qui était le pivot du système scolaire, ont trahi l’idéal républicain. Le plus amusant, le plus révoltant, est qu’elles l’ont fait au nom des plus humbles, amenés au bord de l’eau mais interdits de boire. Sous prétexte d’amener chacun à la « réussite éducative » (la gauche a même inventé un ministère dévoué à cette cause hypocrite, dont la première titulaire, en 2012, fut George Pau-Langevin, mais la droite n’est pas en reste, qui en 2024 a nommé Alexandre Portier au même emploi), équivalent pédagogique du « demain on rase gratis », on a descendu le niveau d’année en année, pour satisfaire des parents qui n’y comprenaient rien. Et quand on ne put plus cacher le désastre, on a supprimé les notes, comme on balaie la poussière sous les tapis.
Poudre aux yeux
Pendant ce temps, dans les « bons » lycées et collèges des « beaux » arrondissements, les enfants de la Caste prospèrent sans s’en faire. Dans la gabegie pédagogique générale, qui ne voit que leurs splendides résultats ne sont que poudre aux yeux ? Qui ne constate que ces petits génies, arrivés en classes préparatoires aux grandes écoles, récoltent les notes qu’ils méritent, tout en occupant les places qui auraient pu revenir à des « pauvres » plus méritants qu’eux ? Les timides tentatives, à Paris, de la réforme Affelnet pour équilibrer un peu les origines sociales des élèves des « bons » lycées, en y inscrivant les bons élèves des « mauvais » lycées, ont déclenché des levées de boucliers invraisemblables. C’était, à en croire les rédacteurs de centaines d’articles, une nouvelle journée du 4 août qui commençait là, avec l’abolition des privilèges de leurs enfants !
Et les détracteurs n’étaient pas, et de loin, des gens de droite…
La proposition de Christophe Kerrero de créer des prépas au professorat dans les lycées a été fustigée par les syndicats de gauche, qui y voyaient une perte de position dominante dans la formation « pédagogique » de cohortes de profs menacés d’être moins nuls que les précédents — un scandale… Le projet de Bayrou de faire passer les concours à Bac + 3 est une fausse coupe, tant qu’on laisse la formation entre les mains d’enseignants du Supérieur dont ce n’est pas le métier — ils sont « chercheurs », rappelez-vous…
Ce n’est pas de pédagogie qu’ont prioritairement besoin les futurs maîtres, c’est de savoirs effectifs et non biaisés idéologiquement. Il faut par exemple arracher l’enseignement de l’Histoire à la mainmise des décoloniaux de toutes farines, qui voient de la culpabilité blanche partout. Arracher l’enseignement de la Littérature aux extravagants de la théorie du genre, prêts à faire étudier des textes illisibles mais rédigés par des femmes plutôt que des chefs d’œuvre malheureusement entachés de gènes mâles. Bloquer les surinterprétations « sociologiques » qui sont autant de diktats bien-pensants — et ce n’est pas avec de la bien-pensance que l’on fait de la bonne sociologie, c’est avec des yeux bien ouverts. Les Sciences humaines sont aujourd’hui le champ clos des extravagances les plus odieuses et du militantisme le plus étroit. Ne jamais oublier que ce sont des gens de gauche qui ont produit récemment une caricature d’Hanouna inspirée du Juif Süss, chef d’œuvre d’antisémitisme de l’Allemagne hitlérienne.
Il faut en revenir à l’impératif de l’élitisme républicain : amener chacun au plus haut de ses capacités, sans considération de sa situation sociale, de ses origines ou de ses croyances : s’il est vraiment capable du mieux, il les abandonnera en route.
Christophe Kerrero, L’Ecole n’a pas dit son dernier mot, Robert Laffont, 360 p.
Les vifs et récents débats sur la condamnation de Marine Le Pen ont évidemment reposé la question de la politisation de certains magistrats. Lâcheté partout, courage nulle part, semble regretter notre chroniqueur.
Est revenue récemment, dans le débat public, la question de l’interdiction du Syndicat de la magistrature grâce à Bruno Retailleau jeudi soir sur France 2, David Lisnard sur CNews et, si j’ose dire, à cause de Marine Tondelier qui n’a rien trouvé de mieux que d’approuver l’injonction faite par le Syndicat de la Magistrature aux magistrats de s’opposer politiquement au Rassemblement national sur LCI.
Manque de courage
Il me semble que sur ce sujet nous avons un parfait exemple de la dérive des pouvoirs. De droite, en raison de l’impuissance à faire respecter les règles d’un syndicalisme exclusivement professionnel. À gauche, par la complaisance à l’égard d’une politisation qui fait perdre toute légitimité à une part importante, moins par le nombre que par l’influence, de la magistrature dans l’opinion publique.
Comment ne pas s’interroger à titre principal sur cette lâcheté qui gangrène, ce courage qui manque ?
Peut-être convient-il de s’attacher en amont à tout ce qui empêche les pensées conservatrices d’avoir la fierté de s’assumer dans la réalité. Avec ce handicap trop souvent constaté d’un hiatus entre leur expression publique et la pratique de chacun : combien de fois en effet ai-je, malheureusement et socialement, constaté que les vertus fondamentales d’une éthique et d’une vision conservatrices – politesse, rigueur, écoute, qualité de la forme, attention à autrui, tolérance et équité – n’étaient destinées qu’à la façade et trop rarement pratiquées dans l’intime, comme si une personnalité pouvait se cliver ainsi entre le public et le privé. Alors que sans plénitude, tout perd sens.
Il est clair que dans les débats intellectuels, politiques, médiatiques, on perçoit trop souvent une incapacité à ne compter que sur la sincérité et la liberté pour penser, répondre ou contredire. Comme si on était tenu par d’autres considérations tenant aussi bien à sa propre faiblesse qu’à la volonté absurde de ne jamais donner l’impression de céder un pouce de terrain à l’autre. Cet extrémisme qui fait fi de toute authenticité aboutit paradoxalement à la libération d’une parole violente, grossière, méprisante. Face à soi, on a un être qu’il faut détruire plutôt que contester ses idées.
Magistrats planqués
Je n’ai pas quitté mon thème central concernant le Syndicat de la Magistrature.
Non seulement ce dernier n’a pas abandonné sa ligne idéologique de gauche, voire d’extrême gauche mais il l’a amplifiée.
À l’abri de la moindre réaction opératoire des pouvoirs publics et exploitant, à son bénéfice, l’idée absurde que tout serait politique contre les exigences d’un métier imposant pourtant une absolue neutralité pour être crédible et respecté dans ses pratiques.
Durant des années, chacune de mes conférences, à la fin, lors des questions, a abordé le problème du syndicalisme judiciaire. Je répondais, sans doute avec trop de mesure, qu’il était inutile d’évoquer des interdictions qui ne seraient jamais possibles.
Malgré le caractère scandaleux de la violation permanente de l’article 10 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, rien ne bouge, on accepte tout.
Pourtant « toute délibération politique est interdite au corps. Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. Est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions », énonce ce texte.
Pourquoi, alors, l’indignation devant l’esprit partisan qui s’étale syndicalement sans la moindre vergogne est-elle incapable du moindre courage politique mais au contraire semble-t-elle résignée à ne s’exprimer qu’en mots, donc sans effet ? Les gardes des Sceaux, certains se piquant même de n’avoir peur de rien, sont apparus tous tétanisés. Abstention et passivité d’autant plus étonnantes qu’une réaction contre une intolérable politisation judiciaire, avec des modalités à déterminer, serait largement approuvée par l’opinion publique. On a l’impression que les les ministres – hier, Eric Dupond-Moretti confronté pourtant à l’insupportable implication du Syndicat de la Magistrature dans la fête de l’Huma – regardent passer ces outrances comme s’ils étaient secrètement satisfaits de voir le corps judiciaire sombrer encore davantage à cause d’une frange irresponsable de celui-ci.
Je ne crois pas que Gérald Darmanin qui se concentre sur l’essentiel et paraît considérer avec une ironie résignée les délires idéologiques du Syndicat de la Magistrature, qui souvent le prennent pour cible, ait la moindre intention de s’occuper de cette politisation libérée de toute crainte. Pourtant la certitude qu’elle représente le motif essentiel de la défiance du citoyen à l’égard de l’institution et des juges devrait mobiliser.
Jusqu’où le Syndicat de la Magistrature ira-t-il avec l’arrogance tranquille d’une force qui sait que la lâcheté est partout et le courage nulle part ?
Marine Le Pen aurait pu ne pas être condamnée pour détournement de fonds publics… c’est écrit dans la Constitution ! Mais les juges en ont fait une autre lecture. Les explications de l’avocat Pierre-Henri Bovis.
Il n’est pas ici question de savoir si Marine Le Pen doit être condamnée pénalement des faits reprochés, mais si cette condamnation doit la priver de représenter une partie du peuple à la prochaine élection présidentielle, contre l’extrême réserve du Conseil constitutionnel. N’avons-nous pas porté sur les bancs de l’Assemblée nationale des individus fichés S pour leurs actes de violence, d’anciens dealers revendiqués, ou toléré des candidats visés pour apologie du terrorisme ? Cette réalité est peut-être moralement regrettable mais conforme à l’esprit de la Constitution. Dès lors, il est évident qu’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire aux plus hautes fonctions a un caractère disproportionné et censure la liberté de l’électeur.
Il est toujours utile de se remémorer la Constitution du 4 octobre 1958 et son esprit, laquelle prévoit que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par leur représentant ou par la voie du référendum ». Le sens de cette disposition voulue par le général de Gaulle et Michel Debré consiste à affirmer que seul le peuple français décide librement et souverainement du destin de la nation.
D’ailleurs, si un temps la justice fut rendue par délégation du roi qui disposait du pouvoir divin, celle-ci est rendue désormais dans notre République « au nom du peuple français ». Il est donc cocasse que le tribunal correctionnel ait pu considérer que c’est au nom du peuple français qu’il doit être retiré au dit peuple le pouvoir de se prononcer dans les urnes…
Cette hérésie judiciaire a été malheureusement rendue possible par l’excès de zèle des parlementaires, majoritairement de gauche, qui, soucieux d’être dans l’ère du temps de l’ultra-transparence et de la sacro-sainte probité, ont prévu une peine d’inéligibilité dès 1992 et y ont assorti un caractère « obligatoire » par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, laissant au juge la possibilité d’y déroger par une décision motivée. Un espoir bien ambitieux et éloigné de la réalité judiciaire. Il sera relevé toutefois que les élus LR, UDI et les deux élus FN de l’époque ont voté ou se sont abstenus lors du vote de la loi dite « Sapin 2 ». Les élus socialistes, à l’unisson, ont permis l’adoption de ce texte pour se purifier et faire œuvre de repentance après l’affaire dite « Cahuzac ».
La latitude laissée aux juges pour apprécier de l’application de cette peine complémentaire fait courir le risque inéluctable de sélectionner les candidats à se présenter aux élections et d’écarter les indésirables sur des motifs nécessairement subjectifs et éminemment critiquables. C’est d’ailleurs pour prévenir « un éventuel trouble à l’ordre public constitué par la candidature de Marine Le Pen aux prochaines élections présidentielles » que cette inéligibilité avec exécution provisoire a été prononcée et motivée… Les magistrats deviennent les garants de l’ordre moral et ont ce pouvoir quasi divin de dire qui peut, ou non, se présenter au suffrage universel.
Surtout, le caractère excessif de la peine accessoire tend à faire oublier la raison de la condamnation de Marine Le Pen, de son parti et de plusieurs de ses collègues élus.
Car si le jugement est largement critiquable sur les peines accessoires prononcées, il l’est tout autant sur la peine principale. L’intérêt ici n’est pas de faire de la moraline nietzschéenne, ni de dire si les actes commis, ou non, par le RN et ses membres, sont bien ou mal. La question est de savoir dans quelle mesure des parlementaires, nationaux ou européens, peuvent faire l’objet d’une condamnation pour détournement de fonds publics, nonobstant les interprétations très contestables de la Cour de cassation en cette matière.
Cette infraction est en effet définie à l’article 432-15 du Code pénal :
« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction. »
Pour condamner un parlementaire de ce chef, il reviendrait donc à le considérer, soit dépositaire de l’autorité publique, soit chargé d’une mission de service public.
Or, selon l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, votent la loi et contrôlent l’action du gouvernement. Ils ne sont rattachés à aucune administration, ne sont dépositaires d’aucune autorité publique, ne sont dotés d’aucune prérogative de puissance publique et il n’existe aucun contrôle des objectifs atteints ou non de leur mission, par une quelconque autorité, si ce n’est le peuple souverain au moment des élections.
La Cour de cassation a d’ailleurs considéré[1], s’agissant des partis politiques que :
« (…) les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage et jouent un rôle essentiel au bon fonctionnement de la démocratie, le principe de la liberté de formation et d’exercice qui leur est constitutionnellement garanti s’oppose à ce que les objectifs qu’ils poursuivent soient définis par l’administration et à ce que le respect de ces objectifs soit soumis à son contrôle, de sorte qu’ils ne sauraient être regardés comme investis d’une mission de Service public »
Cette définition correspond également à celle des parlementaires dont l’élection est bien le résultat de l’expression du suffrage universel, quand bien même ces parlementaires ne seraient pas issus nécessairement d’un parti politique. Leur candidature « concourt à l’expression du suffrage et joue un rôle essentiel au bon fonctionnement de la démocratie ».
Pourtant, dans un objectif non dissimulé de moraliser la vie publique, les hauts magistrats ont détorqué les définitions pourtant constantes du Conseil d’État de la notion de service public pour considérer qu’un parlementaire « accompli des actes ayant pour but de satisfaire l’intérêt général, ce qui revient à considérer qu’il remplit une mission de service public »… Or, il y a lieu de souligner là aussi la contradiction flagrante avec la doctrine administrative, laquelle considère que « la mission d’intérêt général n’est pas inéluctablement une mission de service public alors que la mission de Service public est nécessairement une mission d’intérêt général »…
Judiciariser la vie publique en laissant l’institution judiciaire pénétrer l’hémicycle et contrôler l’action politique est dangereux pour notre démocratie et donne la possibilité au juge d’interpréter les textes de loi au détriment de l’esprit du législateur -ce que le professeur de droit Edouard Lambert dénommait « le gouvernement des juges ». Un parlementaire serait donc soumis au contrôle du juge de l’utilisation de son indemnité, des sommes allouées à ses assistants et donc plus globalement à l’effectivité et la réalité de sa mission législative.
Or, n’est-ce donc pas le rôle des institutions, à travers leurs règlements, de contrôler l’affectation des fonds et leur utilisation ? Que penser d’un magistrat ayant la compétence de solliciter la communication des agendas des élus, de leurs notes écrites et rédigées, des projets de loi en cours de rédaction, des éventuels rendez-vous avec d’autres partis politiques ? Quelle serait la limite et l’échelle de notation pour juger d’un travail effectif ou non d’un parlementaire ? Les dérives judiciaires sont trop importantes et font courir un risque inéluctable de pointer du doigt des décisions davantage politiques que juridiques, dans un temps où certains magistrats s’adonnent à des activités militantes.
S’il n’est pas audible de faire état de ces réflexions, celles-ci sont pourtant saines et nécessaires pour redéfinir le cadre législatif et le statut sui generis du parlementaire, dès lors que nous psalmodions inlassablement que nos élus ne sont ni en dessous, ni au-dessus des lois…
[1] Civ. 1ère chambre, 25 janvier 2017, n° 15-25.561
Dans son nouveau livre, l’Académicien s’engage pour une justice plus humaine
Depuis quelques livres, que nous avons eu plaisir à lire, comme Mes révoltes (2022), Jean-Marie Rouart, sans renoncer bien sûr au roman, a opté de manière intermittente pour la veine autobiographique, distillant ainsi au fil de la plume les souvenirs d’une carrière d’écrivain qui fut riche et intense. Chemin faisant, le lecteur de Rouart se rend compte que le journalisme a été (il l’est moins aujourd’hui) une activité, et même une passion, très importante pour lui. Avant de diriger, comme on s’en souvient, le Figaro littéraire, Rouart s’occupait de ce qui touchait à la justice. Il repérait déjà les affaires intéressantes, et n’hésitait pas à rédiger des articles quasiment « militants ». Ainsi, longtemps avant de prendre la défense du jardinier marocain Omar Raddad, il intervenait en juin 1969 pour soutenir Gabrielle Russier, cette enseignante amoureuse d’un de ses élèves. Déjà, Jean-Marie Rouart était révolté contre l’injustice, au point même de heurter la morale rigoriste de ses supérieurs hiérarchiques, et de devoir démissionner du Figaro.
La réflexion de toute une vie
Aujourd’hui, il consacre un livre tout entier, Drôle de justice,à cette question. Il y a rassemblé les réflexions de toute de sa vie : « loin d’avoir, écrit-il, connu la justice sous une forme platonique, je l’avais approchée de près comme journaliste, et même de plus près encore comme inculpé et condamné dans une fameuse affaire judiciaire, celle d’Omar Raddad ». Rouart possède une légitimité indiscutable à entrer dans le vif du sujet. Il raconte brut de décoffrage ce qu’il a observé. Il revient également, ce qui ne manque pas d’intérêt, sur ses rencontres, traçant des portraits piquants et insolites, comme celui de l’avocat Jacques Vergès, dont il écrit : « Anticonformiste, anarchiste, il comprenait que le désordre était une aspiration légitime à bouleverser un ordre toujours, pour lui, fondé sur l’injustice. » Au passage, Rouart nous décrit le Jean d’Ormesson qu’il a connu au Figaro à une époque lointaine, et qui était déjà tel qu’en lui-même, c’est-à-dire sceptique et épicurien : « il m’enviait une liberté vis-à-vis de la société que l’homme du monde en lui, modelé dans une tradition aristocratique de discrétion, ne s’accordait pas ». En une demi-phrase, tout est dit.
Point fort de cet essai : Jean-Marie Rouart n’oublie jamais la littérature, où il a puisé la meilleure partie de son savoir. Par conséquent, cet intérêt pour la justice et la manière dont elle est rendue par les hommes lui vient avant tout des livres. Il s’attache, dans Drôle de justice, à creuser cette idée : « Les liaisons secrètes qui existent entre la littérature et la justice n’ont cessé de me troubler. » Rouart choisit de nombreux exemples, en particulier celui de Tolstoï, auteur d’un roman essentiel, Résurrection, qu’on lit certes moins que Guerre et Paix. Rouart reprend à son compte la conviction de Tolstoï, qui fut aussi celle de bien des écrivains, à savoir une permanence de « la part de responsabilité de la société dans le crime ». On parle de justice là où, souvent, c’est l’injustice qui se manifeste par des voies tortueuses. Rouart indique donc le rôle de révélateur de la littérature, dans cette prise de conscience : « Ce que montre la littérature, constate Rouart, c’est qu’avant de parvenir devant un tribunal, la société a déjà jugé ceux qu’elle veut perdre. » Comment ne pas lui donner raison, dans le droit fil d’un chef-d’œuvre comme Résurrection ? Certes, Jean-Marie Rouart, en optant pour cette défense et illustration de la littérature, paraîtra peut-être bien isolé, en des temps où les lecteurs ne se bousculent plus pour lire Résurrection.
Une œuvre dramatique inédite
Dans une deuxième partie de son livre, Jean-Marie Rouart nous présente une pièce de théâtre inédite qu’il a écrite pour conforter sa critique de ce qu’il appelle cette « drôle de justice ». C’est une tragi-comédie en trois actes, écrite avec rigueur et sans effets de style, qui a pour personnage principal un vieux magistrat. L’ambition littéraire de Jean-Marie Rouart, dans cet « apologue », est de montrer, comme il le dit, « la vérité toute nue ». N’est-ce pas ce que l’on poursuit lorsqu’on cherche à rendre la justice ?
On appréciera, dans ce livre de Jean-Marie Rouart sur la justice comme il la voit, la diversité des approches, au service d’un propos jamais dogmatique, mais très convaincant, car très humain. Le bon sens est privilégié, de même que la juste mesure des solutions à apporter. Rouart rappelle que la justice est affaire, non seulement de droit positif, mais aussi de culture. Et donc éventuellement, dans le monde judéo-chrétien, de compassion. Tout ceci se retrouve dans les grands livres que nous avons reçus en héritage, annonce Jean-Marie Rouart. C’est en ce sens que son message mérite d’être entendu à la fois du législateur, du juge et du citoyen, dans le but d’édifier peut-être un jour, grâce à une grande réforme, une justice moins arbitraire.
Jean-Marie Rouart, Drôle de justice, essai suivi d’une pièce en trois actes. Éd. Albin Michel, 173 pages.
Avec Céline Pina, Eliott Mamane, Martin Pimentel et Jeremy Stubbs.
Vivons-nous sous le gouvernement des juges? Céline Pina et Eliott Mamane reviennent sur le cas de Marine Le Pen. Le jugement prononcé contre elle prétend affirmer un des principes de base de la démocratie et de l’Etat de droit, à savoir l’indépendance de la justice. Pourtant, le jugement sape ce principe par la dimension politique que les juges lui ont donné. Donald Trump vient de tout mettre sens dessus dessous dans l’économie mondiale en annonçant des tarifs sans précédent qui seront imposés aux autres pays. Malgré le fait que l’on avait une bonne idée de ce que le président américain allait faire, l’Union européenne n’avait visiblement pas préparé de plan B et ne semble envisager d’autre recours que des représailles commerciales.
A l’Assemblée nationale, les députés viennent de débattre de la notion de consentement dans les relations sexuelles. Martin Pimentel analyse les préjugés néoféministes derrière l’adoption de ce concept, ainsi que les conséquences juridiques et sociales qu’elle risque d’entraîner. Dans une tribune publiée par nos confrères de Valeurs actuelles, l’avocat Randall Schwerdorffer nous met en garde contre les dérives possibles que cette notion peut inspirer. Mauvaise nouvelle, la rapporteuse spéciale des Nations Unies aux droits de l’homme dans les territoires palestiniens, Francesca Albanese va voir son mandat renouvelé aujourd’hui pour encore trois ans. Jeremy Stubbs nous rappelle que l’ONG genevoise, UN Watch, travaille depuis des années pour attirer l’attention politique sur les agissements de cette juriste italienne qui n’est qu’une militante propalestinienne, pro-Hamas même, dépourvue de la moindre trace d’impartialité ou d’objectivité. Il n’est pas trop tard pour signer la pétition de UN Watch contre le renouvellement de ce mandat. Lisez aussi l’analyse récente de Richard Prasquier dans Causeur.
Le producteur Jean-Louis Porchet, qui avait soutenu le film « The Palace » de Polanski, s’est donné la mort.
Le producteur Jean-Louis Porchet s’est donné la mort le 31 mars. Il avait eu soixante-seize ans deux jours plus tôt. Basée à Lausanne, son entreprise CAB productions fondée en 1984, a accompagné plus de 90 films, d’Alain Tanner à Kieslowski en passant par Claude Chabrol, Olivier Assayas et bien d’autres encore.
Jean-Louis Porchet avait également, contre vents mauvais et marées toxiques, coproduit le film de Roman Polanski The Palace. Cela restera comme l’ultime honneur de son parcours d’homme de cœur et d’amoureux du cinéma. La tempête empoisonnée déchaînant ses miasmes meurtriers contre l’immense réalisateur devenu paria a fini par le briser.
On touche le fond
La presse suisse a rendu un bel hommage au producteur, autodidacte atypique et imaginatif, doué pour la vie, pour l’art, et suprêmement pour l’amitié. L’on crut bon cependant d’écrire que Jean-Louis Porchet se serait « fourvoyé dans un projet déraisonnable : The Palace tourné à Gstaad par Roman Polanski » (Le Temps), ou ailleurs, que « The Palace lui a été fatal » (La Tribune de Genève) – formule d’une hypocrisie toute victorienne, qui passait pudiquement sous silence l’enchaînement de circonstances ayant entraîné la mise en faillite de sa maison de production, et ainsi la ruine de Jean-Louis Porchet, consécutive en effet à son engagement enthousiaste et déterminé sur ce film auquel il tenait tout particulièrement.
« Déraisonnable », la liberté que s’octroya le producteur de soutenir un projet de Roman Polanski ? Obéir à la meute lyncheuse passe aujourd’hui pour « raisonnable », il est vrai. Et les mêmes qui rampaient jadis devant Polanski et auraient vendu père et mère pour tourner sous sa direction, lui tournent piteusement le dos aujourd’hui, tel Jean Dujardin, à qui le réalisateur de J’accuse avait offert un rôle – peut-être trop grand pour lui, mais la force du film sauvait le comédien. À une question indécente de la sinistre et tellement grotesque commission d’Inquisition de l’Assemblée nationale sur les VHESS dans le cinéma, présidée par la doucereuse coupeuse de têtes en chef Sandrine Rousseau (commission instaurée comme par un décret souverain de Judith Godrèche, et par conséquent votée à 100%, mieux qu’en Corée du Nord), l’acteur répondit qu’il « ne savait pas s’il ferait le choix aujourd’hui de tourner avec le cinéaste accusé d’agressions sexuelles » (sans « l’exclure » toutefois). Veulerie pathétique, en laquelle pour le coup s’est fourvoyé un homme. Est-il vraiment « raisonnable » – pour soi-même, seul le matin face au miroir – de se salir si honteusement la face ?
Apprenant cela, Jean-Louis Porchet commentait : « Effectivement on touche le fond, et l’intérêt est qu’on peut remonter. Remonter pour aller où ? Je ne sais pas. » C’est sans issue, disait-il ainsi à demi-mot, avec une ironie légère et mélancolique, qui masquait, comprend-on, un désespoir sans fond face à un monde « devenu fou », comme il disait aussi. Un monde où l’on se prosterne devant des Judith Godrèche et où l’on crache sur Roman Polanski.
Peu après avoir pu voir The Palace en projection privée, j’ai eu le bonheur et la chance de rencontrer cet homme généreux, enthousiaste, d’une fidélité et d’un honneur sans faille dans la constance de ses choix. « Toute ma vie j’ai voulu construire des ponts, et voilà que je me retrouve maintenant face à des murs », m’avait-il écrit il y a un peu plus d’un an, quelques heures avant le terrible accident qui le dimanche 24 mars 2024, il allait voir un ami, a écrasé sa voiture contre un haut mur bordant la route le long du lac Léman. Prisonnier de son véhicule en feu, côtes et jambes brisées, il finit par être secouru. Après une longue année de bataille pour recouvrer la santé, ponctuée de multiples opérations pour sauver sa jambe aux os réduits en bouillie, endurant de terribles douleurs dues aux graves brûlures subies – jamais une plainte, toujours l’élégance d’une gaieté sincère face aux amis –, voilà qu’enfin il était de retour chez lui, brûlures cicatrisées, mobilité presque entièrement retrouvée à force de courage, d’énergie, de goût de vivre, amis fidèles et cigare quotidien (« thérapeutique » disions-nous en plaisantant) aidant.
Césars de fiel
Remontons le fil de la tragédie de Jean-Louis, mort d’avoir vu se dresser, broyant sauvagement les ponts que le producteur n’avait jamais cessé de construire, les murs de la bêtise, de la haine, de la lâcheté et de la soumission à un mouvement qui avait décrété que Roman Polanski devait être effacé.
La cabale contre le réalisateur s’était décisivement déchaînée en 2019, à la suite des fracassantes allégations de viol de Valentine Monnier[1] au moment de la sortie de J’accuse, puis du non moins fracassant sketch d’Adèle Haenel vociférant à l’annonce du Prix du meilleur réalisateur attribué à Polanski, lors de la dégoûtante cérémonie des César 2020 et de son florilège de saillies antisémites[2].
Dès lors, toute possibilité en France de produire un film dont Polanski pourrait avoir le projet – non mais quelle outrecuidance, mes sœurs ! – avait été barrée. Évaporés (ou plus exactement noyés dans leur couardise) les producteurs français – dont le réalisateur avait contribué largement à faire la fortune. #MeToo dicterait désormais sa loi, médias à l’unisson en bras armé du mouvement de « libération de la parole », avec l’onction de la classe politique – de l’oubliable Marlène Schiappa à Franck Riester « ministre de la censure », ainsi que l’avait rebaptisé Pascal Bruckner, en passant par Valérie Pécresse déclarant vaillamment que bien entendu, si elle avait su, la région Île de France aurait refusé tout financement à J’accuse.
Passons. Ou plutôt ne passons pas.
The Palace a cependant pu être produit, co-production italienne, polonaise et, grâce à Jean-Louis Porchet, suisse – sans aucun financement public – avec Cab production.
Le film, présenté à la Mostra de Venise de 2023, fut, on s’en souvient, passé au lance-flammes par la critique, dans un unanimisme qui trahissait grossièrement le parti pris de régler son compte cette fois à l’artiste Polanski – l’homme ayant déjà été décrété indésirable par les furies #MeToo. Il fallait achever le sale travail : la mise à mort symbolique définitive du cinéaste.
Leur mauvaise (ou pire : leur bonne) conscience soulagée par la misérable curée médiatique, les distributeurs français se couchèrent eux aussi,à l’exception notable d’un franc-tireur, autodidacte passionné lui aussi, Sébastien Tiveyrat. Bien entendu les exploitants de salle firent à leur tour preuve de la pleutrerie de bon ton dans le brave new world de la censure « féministe ».
En Suisse romande, le film devait cependant sortir mi-mars 2024.
Las.
Le 5 mars 2024, avait eu lieu l’audience du procès en diffamation intenté par l’actrice Charlotte Lewis à Roman Polanski. Me Delphine Meillet, avocate de Polanski, avait brillamment, et de la façon la plus implacable, démonté les mensonges grossiers et répétés de la plaignante. Les médias se rendirent parfaitement compte que l’affaire se présentait mal pour Charlotte Lewis[3], et que cette fois-ci le sacro-saint « Victimes, on vous croit », étendard intouchable de #MeToo, avait du plomb dans l’aile. Damned !
Le 13 mars 2024 donc, soit une semaine après cette audience embarrassante pour la Cause, Le Monde, accomplissant, primus inter pares, sa triste besogne d’exécuteur des basses œuvres de #MeToo, publia un article faisant état d’accusations de « viol sur mineur » contre Roman Polanski. Lesdites accusations émanaient d’une Américaine anonyme, les faits allégués ayant prétendument eu lieu cinquante ans auparavant. Ou comment tenter de rattraper une proie qui allait leur échapper. Bien entendu une flopée de médias zélés se jeta sur l’aubaine, emboîtant allègrement le pas à l’auto-réputé « journal de référence ».
Dès le lendemain de cet article, les salles de Suisse romande annulèrent sans autre forme de procès la sortie de The Palace, prévue le mercredi suivant, et la plateforme de la RTS (Radio Télévision Suisse) révoqua séance tenante un important contrat de cession des droits du film.
Le 24 mars 2024, le loyal Jean-Louis Porchet, désespéré par la monstrueuse lâcheté générale, bien au-delà de l’angoisse de la ruine qui s’annonçait inévitable pour Cab productions, perdait le contrôle de sa voiture et fonçait dans un mur.
Le 31 mars 2025, il mettait fin à ses jours.
Le mystère d’un acte tel que le suicide demeure toujours entier.
Il convient cependant de ne pas masquer la suite de séquences qui a précédé cette rupture tragique avec un monde si laid dans sa cruauté enrobée de poisseuse guimauve victimaire.
Jean-Louis était heureux et fier d’avoir fait The Palace, ce film proche de son cœur, qui par bien des côtés correspondait à son tempérament. Il avait ô combien raison de se féliciter d’avoir contribué à la naissance de cette œuvre. Un film cher également au regretté Michel Ciment, irremplaçable aristocrate de la critique cinématographique.
Un mensch nous a quittés. Il ne reste plus qu’à continuer, nous le lui devons, à contrarier, comme il a su le faire, le vil et vilain cours des choses, désespérant et tellement absurde. À reconstruire des ponts.
[1] Valentine Monnier prétendant pompeusement s’identifier elle-même à Zola, mais… accusant l’accusé calomnié, et point comme l’avait fait Zola les accusateurs faussaires. Involontaire et ridicule aveu de sa propre position de faussaire. Je me permets sur ce point, et sur la fabrication médiatique d’un business de la calomnie autour de Roman Polanski, de renvoyer à mon livre Qui a peur de Roman Polanski ? (Le Cherche-Midi, 2024). Il faut également lire ou relire le livre d’Emmanuelle Seigner, Une vie incendiée (L’Observtoire, 2022).
L’Arabe qui sourit est le récit d’un retour d’exil. Omar Youssef Souleimane retrouve son Proche-Orient natal sur fond d’enquête clandestine, et dépeint une terre cruelle et poétique.
Au fil de ses poèmes et de ses récits, du Petit terroriste (2018) à Être français (2023), Omar Youssef Souleimane construit une œuvre extrêmement sensible autour de sa vie d’exilé, sur son bonheur d’avoir trouvé en France la liberté, sur sa crainte, aussi, de voir s’imposer sournoisement ici le joug islamiste qu’il pensait ne plus jamais subir en fuyant sa Syrie natale. Il a adopté la langue et la culture françaises avec grâce, mais le bagage d’un réfugié du Proche-Orient demeure lourd : « Les catastrophes, la détresse, les conflits sont toujours les mêmes. Je pense qu’on ne peut pas vivre sans, c’est dans notre ADN. »
Dans L’Arabe qui sourit, Souleimane retrouve cette terre de désastres et de parfums, d’humiliations et de poésie qui, malgré la distance, continue de l’habiter. Le narrateur, qui lui ressemble beaucoup, est parfumeur à La Rochelle. Sa vie s’écoule paisiblement entre les lumières de l’océan, les conversations de bistrot et les senteurs de musc, de jasmin, de rose et de oud, lorsqu’il apprend la mort de Naji, son copain de jeunesse, syrien comme lui, mais réfugié au Liban. Sans hésiter, il prend le premier avion pour Beyrouth, quitté dix ans plus tôt, afin d’y retrouver Delia, leur amie commune. Si Beyrouth n’a été pour lui qu’une étape entre Damas et Paris, Naji a choisi d’y rester pour participer à la résistance au régime d’Assad ; quant à Delia, d’origine italienne, elle vivote entre missions humanitaires et reportages photo.
La mort de Naji est suspecte. Et ce qui devait être un douloureux mais nécessaire « retour au pays » pour enterrer un ami – « nous et les Libanais, on partage le même mode de vie, la même cuisine, les mêmes crises économiques et le même malheur » – se mue en une enquête à rebondissements dans une ville dévastée, rongée par la corruption, la violence et la pauvreté, mais dans laquelle l’auteur sait cueillir la moindre beauté, une fleur, une odeur, les vagues sur les rochers. La plume de Souleimane est d’une rare sensualité lorsqu’il s’agit de décrire un paysage, le grain d’une peau, un sourire, un regard. C’est parce qu’il sait percevoir cette poésie qu’il peut endurer la tristesse du monde qui l’entoure et nourrir une nostalgie profonde. Mais ses belles images, ses beaux souvenirs sont mis à rude épreuve lorsque les deux amis décident d’accomplir la dernière volonté de Naji : être enterré en Syrie. Le récit du passage clandestin de la frontière est haletant, nous n’en dirons donc pas plus.
Si ce retour en Orient relève d’un besoin charnel, le retour du narrateur en France s’impose comme un besoin vital. « Je ne peux m’installer sur cette terre qui me ramène à l’adversité que j’ai fuie. Pendant ce petit séjour, j’ai appris que c’était toujours le même chaos, la même séparation communautaire entre les gens, les mêmes dictatures et la même arriération. Tout cela m’a aidé à comprendre encore mieux les raisons pour lesquelles j’en suis parti : m’éviter plus de perte et de souffrance. Ce Proche-Orient est un cimetière de rêves. »
Omar Youssef Souleimane, L’Arabe qui sourit, Flammarion, 2025. 240 pages
Nous vivons la fin de la fin de la domination occidentale du monde. Derrière la Chine, le philosophe voit se former une « fédération mondiale des autocraties ». Les Américains l’ont compris, pas les Européens qui croient béatement que la planète entière continue de les envier.
Causeur. Le 5 mars, Emmanuel Macron a déclaré que la patrie avait besoin de nous et de notre engagement. Répondez-vous présent ?
Marcel Gauchet. Non ! Pas par antimilitarisme de principe, ni par refus de considérer les intérêts supérieurs de la patrie, mais parce que j’en ai une autre analyse que le chef de l’État – qui ne s’était jamais distingué jusqu’ici par un attachement viscéral aux intérêts supérieurs de la France. Emmanuel Macron pense surtout aux intérêts d’Emmanuel Macron et c’est tellement visible qu’il n’y a plus grand monde pour croire à sa politique. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas de drapeaux fleurir sur les boutiques et de gens se précipiter dans les commissariats de police pour demander à rejoindre au plus vite l’armée française. C’est que le bon peuple sent bien qu’on est dans le spectacle. Emmanuel Macron a saisi l’occasion de surenchérir sur un méga-événement médiatique, l’échange surréaliste qui a eu lieu dans le bureau Ovale le 28 février entre Volodymyr Zelenski, Donald Trump et J. D. Vance. Cette scène était pour le moins sidérante et à ce titre inquiétante. Elle n’en appartient pas moins au registre du spectaculaire, de l’émotion et donc du dérisoire.
Cependant, nous vivons des bouleversements historiques qui ne sont pas totalement le fait d’Emmanuel Macron. Le revirement des États-Unis vis-à-vis de l’Ukraine n’oblige-t-il pas la France à reconsidérer sa position dans ce dossier ?
Ce n’est pas moi qui vais nier l’existence d’un changement de monde ! À coup sûr, la nature du régime russe et ses ambitions représentent pour notre pays un risque réel. Mais justement, il faut l’évaluer avec exactitude. Et on n’aurait pas dû attendre Trump pour le faire. Seulement, pas plus que ses prédécesseurs Macron ne cherche à mesurer précisément ce risque. Après la complaisance, il agite un épouvantail et joue la peur. Communication d’abord ! Les Européens ont hélas perdu les moyens intellectuels de penser la réalité. Nous sommes devenus le continent de l’irréalisme politique. L’Europe est l’idiot du village global.
Diriez-vous que Trump est plus réaliste que les Européens ?
En tout cas, il confirme que les États-Unis ont bel et bien renoncé à ce qui a été leur politique dite « multilatérale » depuis 1945, pour la bonne raison qu’ils estiment être les perdants de cette politique. Depuis leur couronnement comme champions du monde libre, les États-Unis considéraient qu’ils avaient pour mission de façonner le monde à leur image. Cette conviction a pu prendre des contours parfois messianiques mais le plus souvent, elle procédait d’un raisonnement bien plus trivial : les Américains pensaient que, si le reste du monde avait la bonne idée de leur ressembler, ils y gagneraient. C’était le fond de leur politique, qui a pris des formes successives pendant des décennies, avant d’être progressivement remise en cause depuis une quinzaine d’années. Le changement de cap date d’avant Trump. Et il continuera sans doute après lui, peut-être dans des formes plus civiles, mais non moins implacables.
Le paradoxe, c’est que ce retrait de l’empire américain se fait dans des formes impériales.
Écartons ce mot d’« empire », aujourd’hui galvaudé. En toute rigueur, un empire se définit par l’orientation vers l’expansion territoriale. La notion ne s’applique pas aux États-Unis, même si les déclarations fantaisistes de Trump sur le Canada ou le Groenland peuvent suggérer le contraire. Quand on parle d’impérialisme américain, c’est en fait d’une politique de puissance particulièrement étendue et vigoureuse que l’on parle. Cette politique a remporté une grande victoire avec l’effondrement de l’URSS, un authentique empire, celui-là, il y a trente-cinq ans. Les Américains ont alors pensé que c’était fait, que l’histoire allait réaliser le plan et que leur modèle allait s’imposer partout. Or c’est tout autre chose qui s’est produit. Que des gens échappent à leur emprise, ils peuvent le supporter, mais qu’ils proposent un modèle concurrent, c’est intolérable. Et le pire, c’est que ce modèle a du succès. Derrière la Chine, on voit se regrouper ce que j’appellerais la « fédération mondiale des autocraties ». L’explication profonde de l’élection de Trump, c’est la perception que le monde échappe aux États-Unis. Et sur ce point, il y a un large accord des élites politiques et stratégiques américaines qui cherchent une autre direction pour défendre leurs intérêts.
Si le monde échappe aux États-Unis, il échappe encore plus à l’Europe !
Oui, la différence étant que l’Europe ne le sait pas ou ne veut pas le savoir. Nous restons des eurobéats inconscients du nouvel état du monde. Lequel se résume en une donnée : nous sommes un milliard d’Occidentaux à côté de sept milliards de non-Occidentaux. Or, ceux-là sont effectivement en train de s’occidentaliser, mais pas de la façon que nous voudrions. Ils ne cherchent pas à rejoindre les démocraties libérales, mais à acquérir à toute allure nos moyens de puissance pour les retourner contre nous. Nous vivons la fin de la fin d’une ère où le monde était dominé par l’Occident et la suite ne s’annonce pas forcément souriante.
Assistons-nous aussi à la fin de l’illusion du droit comme régulateur des relations internationales ? Revenons-nous au monde des rapports de forces assumés ?
C’est plus compliqué que cela, parce que les relations internationales se jouent sur plusieurs plans, économique, politique, culturel, chacun obéissant à son propre rythme de transformation. Sur le plan économique, l’hégémonie de l’Occident est encore largement en place. Et si la mondialisation à l’américaine, avec l’OMC et le libre-échange, a probablement vécu, de nouvelles règles vont s’imposer. Mais les échanges ne vont pas diminuer. Ce qui va reculer, en revanche, c’est la prétention occidentale d’imposer son modèle politique au reste du monde. C’est ça l’enjeu. De plus, nous avons affaire à des gens qui ont bien compris que notre foi dans le droit relevait souvent de la pure hypocrisie. Je n’ai pas besoin de détailler les exemples.
Cela dit, en Occident, la mondialisation n’a pas été vraiment heureuse…
En effet, on ne comprend rien à ce qui se passe si on ne revient pas aux dégâts de la mondialisation dans le monde occidental. Certains gagnent beaucoup mais collectivement, on a assisté à une espèce de désagrégation des sociétés occidentales qui ébranle maintenant leur sommet. Les oligarchies dirigeantes ne perdent pas seulement leur capacité à tirer profit du reste du monde, mais aussi celle de régner sur des sociétés à peu près contrôlables. Au lieu de s’accrocher à un ordre qui s’efface, nous devrions plutôt nous poser une question : Comment pouvons-nous continuer à agir politiquement dans un univers qui n’est plus à notre école ?
Donc, il existe encore un « nous »?
Oui, même si ce « nous » n’est pas très clair dans la tête des Occidentaux, et en particulier des Français, qui continuent de penser que le reste du monde nous envie et veut être comme« nous ». Cette idée trompeuse est entretenue par l’immigration : puisque tant de gens veulent venir, c’est qu’ils ont un rêve d’Europe ou d’Amérique. Sauf que la plupart d’entre eux ne désirent que notre capitalisme et notre État social. Pas nos libertés publiques ni notre système de mœurs. L’Europe est l’endroit idéal pour développer une autre culture. L’avenir de l’Europe, cela peut être l’islam plus la Sécurité sociale.
Dans ces conditions, que reste-t-il de l’Occident ?
Aujourd’hui, le projet de l’Occident se réduit à sa créativité scientifico-technique. C’est que nous sommes incapables de définir notre identité en assumant notre héritage, donc d’affirmer que chez nous, c’est plutôt mieux qu’ailleurs et que nous voulons continuer comme ça.
Qu’est-ce qui, chez nous, est mieux qu’ailleurs?
L’invention de la démocratie et de tout ce que cela signifie comme univers social, intellectuel, culturel, au-delà de la vie politique. Et c’est précisément parce que ce modèle n’est pas voué à l’universalisation automatique qu’on doit le défendre. Les Européens, en tout cas leurs voix officielles, refusent d’assumer cette originalité historique, acceptant eux-mêmes de se désigner comme des criminels qui ont dévasté la planète. Raisonnons un instant par uchronie : que serait le monde d’aujourd’hui s’il n’y avait pas eu la colonisation européenne ? Beau sujet pour un romancier imaginatif !
Revenons au cadre global. Vous dites que l’Occident ne fait plus école aujourd’hui et qu’il a pour rival une « fédération des autocraties », dont la tête de pont est la Chine. Quel est le risque que demain ce soit la Chine qui « fasse école » ?
Ce n’est pas une petite question, c’est même la question pour moi. Le risque est très grand. Mais pas parce que les peuples non occidentaux seraient amoureux de l’autocratie à la chinoise. Tout le monde aspire à la liberté individuelle, personne ne veut être jeté arbitrairement en prison. Seulement, dans beaucoup de pays d’Asie ou d’Afrique, où les conditions sociales, intellectuelles, culturelles de la démocratie ne sont pas réunies, l’idée d’un régime autoritaire jouit d’une popularité spontanée incontestable. D’abord pour des raisons d’efficacité. Il faut reconnaître que la solution autocratique n’a pas que de mauvais aspects si l’on est attaché au maintien de l’ordre, à la cohésion sociale et au développement. Instaurez la démocratie en Égypte et vous aurez un bazar inimaginable, la preuve par le printemps arabe. Dans ces conditions, les régimes autoritaires apparaissent comme un moindre mal. Les Russes ont inventé une expression parlante pour décrire l’ensemble de ces peuples aux aspirations moins libérales que les nôtres. Ils appellent cela la « majorité mondiale ».
Il faut dire que ces peuples peuvent observer les excès du libéralisme des mœurs en Occident…
C’est un point fondamental aussi. Il faut distinguer à cet égard trois camps : l’Europe, les États-Unis, le reste du monde. Malgré quelques curés polonais qui continuent d’emmerder le monde et un clergé orthodoxe grec qui ne paye pas d’impôts, l’Europe est le continent de la sortie de la religion : l’empreinte normative de celle-ci s’est à peu près évanouie partout, laissant la place à un système de liberté individuelle démultipliée. Les États-Unis sont très divisés sur ce plan, mais vont quand même dans la même direction. Dans le reste du monde, où les piliers de la vie sociale restent la famille et la religion, on a une perception très négative de ce qui apparaît comme une décomposition intellectuelle, morale et sociale du monde occidental.
Cependant, en Occident aussi, beaucoup de gens – dont nombre d’électeurs de Trump – expriment un refus viscéral du wokisme et de ses lubies. Ce réveil d’un peuple oublié peut-il aboutir à une tyrannie de la majorité ?
Je ne le crois pas. Les États-Unis nous ont habitués à des revirements brutaux dans leur histoire, c’est vrai. Mais on ne va tout de même pas vers un nouveau maccarthysme. Si Trump va très vite, d’ailleurs, c’est qu’il sait que dans deux ans les élections de mi-mandat risquent de le condamner à la paralysie. Il n’a pas un consensus suffisant derrière lui pour installer une orthodoxie persécutrice anti-woke qui serait le pendant du conformisme woke actuel. Espérons juste qu’il ait porté un coup mortel à toute espèce d’orthodoxie tyrannique.
Revenons à la crise ukrainienne. Les positions des uns et des autres dépendent de l’évaluation que l’on fait de la menace russe. Quelle est la vôtre ?
Sur ce point, l’analyse est nécessairement complexe et risquée. Pour moi, cette menace, bien réelle, concerne l’environnement immédiat de la Russie. Poutine n’a que faire de l’ouest de l’Europe, mais il le considère comme une menace, non pas militaire mais culturelle, un bouillon de culture contagieux, susceptible de donner de mauvaises idées à une partie de ses sujets. Cela lui fait retrouver le réflexe stalinien du glacis à mettre entre la Russie et nous. Cette crainte est à son comble vis-à-vis de cet ancien morceau – et quel morceau – de l’Union soviétique que constitue l’Ukraine, en péril d’« ouestisation », si j’ose dire. L’autocratie chinoise comme l’autocratie russe sont agressives non pas parce qu’elles ont des réflexes impériaux ou des tentations expansionnistes, mais parce qu’elles ont peur. Parce que l’Occident est foncièrement corrupteur. La Chine communiste a longtemps résisté au modèle économico-technique occidental. Et puis elle l’a adopté, avec une facilité et une vitesse que ses dirigeants ont pu apprécier. Ils n’ont pas envie que le processus continue sur sa lancée. Tous ces régimes sont sur la défensive vis-à-vis de nous. Et dans la mesure où ils nous voient comme une menace, ils nous menacent, car la meilleure défense, c’est l’attaque, nul ne l’ignore.
Disons que c’est la faute de la géographie et de la tentation que nous représentons malgré nous. Les Taïwanais sont des Chinois occidentalisés, la pire chose qui puisse exister pour Pékin. Les Chinois veulent étouffer Taïwan comme ils ont étouffé Hong Kong. De même, les Ukrainiens ont le malheur d’être russes aux yeux des Russes et d’avoir des velléités d’européanisation, voire d’américanisation. Une Ukraine qui marche serait un modèle attractif pour les Russes et cela Poutine ne peut pas le tolérer.
En attendant, les Ukrainiens ne veulent pas devenir russes et les Taïwanais ne veulent pas devenir chinois. Si nous devons renoncer à imposer la démocratie, ne faut-il pas la protéger là où elle est menacée ?
Je le pense. C’est la raison pour laquelle il est essentiel d’apprécier la nature exacte de ce que veut Poutine. C’est au prix de cet effort que nous pourrons protéger les Ukrainiens. Sinon on entre dans une dynamique de conflictualité confuse dont l’Ukraine sortira détruite.
Certains pensent que nous sommes en 1938 et qu’il faut empêcher Hitler d’envahir la Pologne. D’autres assurent qu’on est en 1914 et qu’il suffit d’une étincelle pour que tout s’embrase. Qui vous convainc le plus ?
Ni les uns ni les autres. On vit autre chose. Les situations sont totalement différentes. Contrairement à Hitler, qui était un vrai impérialiste, Poutine n’est pas expansionniste. N’en déplaise aux âneries qui font autorité sur les plateaux télé, il ne cherche pas à reconstituer l’empire soviétique. Il sait parfaitement que les circonstances n’y sont pas et qu’il n’en a pas les moyens, même s’il le souhaitait, ce que je ne crois pas. Il cherche à se protéger et à préserver ce qu’il considère être le modèle russe.
Concrètement comment gérer son hostilité ?
Dans le cas ukrainien, la concession que nous ne pouvons probablement pas éviter, c’est la récupération par la Russie des régions russophones de l’Est ukrainien. Mais il faut affirmer en même temps que, pour la suite, nous sommes solidaires de l’Ukraine, que ce pays fait partie de notre sphère et qu’il est hors de question que Moscou y touche.
Donc il faut tisser encore plus de liens avec Kiev ?
Tout à fait, mais intelligemment, et en contrôlant les opérations, car il est vrai qu’il y a des gens très dangereux en Ukraine, qui ont fait beaucoup de dégâts. De ce point de vue-là, Trump n’a pas tort : s’il y a en Ukraine des usines américaines, des ouvriers américains, des mines américaines, alors Poutine y réfléchira à deux fois avant de venir les chatouiller. Aux Européens d’en faire autant.
S’il a gain de cause, et qu’il constitue son glacis dans le Donbass et en Crimée, et si le chinois Xi aussi finit par avoir gain de cause à Taïwan, ces deux-là nous laisseront tranquilles, vous en êtes sûr ?
Non, parce qu’ils auront éliminé ce qu’ils tiennent pour une menace immédiate, mais pas la menace de fond. Simplement, les choses ne se passeront plus sur le terrain militaire, mais sur le terrain diplomatico-économique : ils tenteront de donner une ossature politique à la « majorité mondiale » et d’affaiblir l’Occident par tous les moyens pacifiques.
Finalement, on en revient à la vieille question politique : qui est notre ennemi ? Contre qui la France et l’Europe doivent-elles se défendre aujourd’hui ?
Contre elles-mêmes. Contre notre effondrement intellectuel et moral. Contre notre incapacité à voir la situation à laquelle nous avons affaire et à réagir autrement que par des gesticulations et des programmes oniriques. L’Europe est devenue le continent de l’irréalisme politique. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Européens, aujourd’hui, sont méprisés par tout le monde, non seulement par leurs ennemis russes et chinois, mais aussi par leurs alliés américains.
Il est vrai que la France fait face à d’autres menaces existentielles, en particulier l’islam radical. Mais ce combat-là, on ne le mène pas non plus.
Encore moins. On envoie de l’aide matérielle à l’Ukraine, mais contre l’islam radical, on ne fait rien.
Cependant, est-il absurde de profiter de cette situation pour appeler les Français à un effort national ?
C’est un appel irréel à des gens qui, de toute façon, n’ont pas l’intention de fournir un quelconque effort, les uns par indifférence, les autres par absence de confiance dans la parole officielle. Et que dire des conditions pratiques de ce que pourrait être cet « effort ». Rétablir le service militaire ? L’idée est totalement décalée par rapport à l’état de la société française. L’armée peine aujourd’hui à recruter. Je souhaite bien du plaisir au sergent instructeur qui apprendrait à marcher au pas à nos jeunes gens. Sans parler des moyens matériels et donc du temps qu’il faudrait pour les mettre en place. Réarmer ? Très bien mais, là aussi, les usines ne se construisent pas en un jour. Où est la réflexion planificatrice indispensable pour coordonner une entreprise de cette ampleur ? L’effort risque bien de se réduire à un tour de vis fiscal supplémentaire dont le but initial se perdra dans les sables.
Une révolution des mentalités est-elle donc impossible ?
Encore une fois, la première condition d’une mobilisation civique, c’est la confiance majoritaire dans les personnes qui nous dirigent. Or il faut bien constater que la plupart des Français ne pensent pas être conduits par des élus responsables et soucieux de leurs intérêts. Donc nous sommes mal partis.
Face à des puissances agressives qui savent ce qu’elles veulent et ajustent leur puissance militaire en conséquence, ne devons-nous pas, nous aussi, avoir de gros biscotos pour être respectés ?
Sans doute, mais qui impressionnons-nous quand nous retirons piteusement nos troupes d’Afrique ? Commençons par le commencement : si nous voulons être respectés par Poutine, virons au moins ses mercenaires de l’Afrique ! Le groupe Wagner est-il vraiment au-dessus de nos forces ? Mais de manière générale, si nous voulons être respectés, changeons d’attitude. Posons que nous sommes porteurs d’un acquis respectable. Cessons de cultiver une culpabilité permanente à l’égard de notre passé. Qu’il y ait des pages abominables dans notre histoire, oui, bien sûr, ça ne fait aucun doute. Il n’y a pas de pays qui n’en ait pas connu. Mais entre l’arrogance obtuse et la honte mal placée, il y a la conscience lucide d’avoir à faire vivre l’héritage d’une très grande histoire dont, de surcroît, tous ou presque bénéficient aujourd’hui sur la planète, ne serait-ce que sous forme d’espérance de vie. Tant que nous n’aurons pas renoué avec une forme intelligente de fierté, nous ne pèserons pas sur la scène internationale.
Avant de nous quitter, un mot sur la crise avec l’Algérie et Boualem Sansal. Le sort de cet écrivain peut-il créer un choc salutaire ?
Le choc a existé, mais dans un public limité, malheureusement. Qui connaît Boualem Sansal dans le grand public ? Qui lit des livres ? Macron et le Quai d’Orsay l’ont bien noté et c’est ce qui explique leur mollesse tranquille. Pour une majorité de Français, l’affaire, vue de loin, n’est qu’une confirmation de plus du sentiment que nous sommes un pays en déclin. Si nous sommes incapables de tordre le bras des tyranneaux d’Alger, c’est que vraiment nous ne comptons plus pour grand-chose.
Avant de retourner à une nouvelle partie de golf, le président américain a donc dévoilé cette semaine les redoutables nouveaux tarifs douaniers américains. La Bourse dégringole, l’OMC et le FMI s’inquiètent. En France, nos exportateurs se demandent où réorienter certains de nos bons petits produits nationaux. Récit amusé.
La vie ne consiste pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre comment danser sous la pluie. Sénèque.
Après moi, le déluge. Attribué à Louis XV.
Finalement, la vérité éclate au grand jour : les États-Unis d’Amérique étaient depuis longtemps une nation persécutée et odieusement exploitée économiquement par le monde entier. C’est terminé. Heureusement. le fondateur de la Trump University prend des mesures énergiques : bien mal acquis ne profite jamais. Est longue la liste des Etats et territoires voyous qui inondent l’Amérique de leur produits industriels, et qui sont frappés de droits de douane scientifiquement calculés, modulés en fonction de l’hostilité du pays concerné.
Fromages puants et îles oubliées
Parmi les pires délinquants, il y a le bien connu impérialiste Lesotho, qui terrorise les ménagères des banlieues avec son agressive marine marchande; la sanction est 50%.
En Indochine, le Cambodge fait face au taux de 49%, l’infâme Laos, 48%; quant au Vietnam, qui n’a aucune gratitude envers le pays qui l’a jadis généreusement arrosé d’agent orange, le chiffre déterminé par Sa Majesté tout aussi orange est 46%. Gare aux buveurs de thé : 44% pour le Sri Lanka. N’oublions surtout pas les îles malouines (alias Falklands) 41%. Signalons au passage Haïti, 10%.
Plus spécifiquement, quid de la France? On note que l’Union européenne (évidemment conçue par Robert Schuman dès l’origine dans le seul but de léser les Etats-Unis, suite au plan Marshall) se voit imposer un taux de 20%. Le Grand-Marnier coûtera nettement plus cher, ainsi que les fromages puants (« stinking cheeses » en v.o.). Le gastronome yankee économe devra se rabattre sur la bière Schlitz et le Velveeta.
Mais des ennemis encore plus coriaces, même s’ils font partie intégrante de la République une et indivisible française (et donc de l’UE), se voient imposer un supplément. Quelques exemples. Pour les crustacés de Saint-Pierre-et-Miquelon, 50% (+20%), mais ce n’est que justice pour cette plaque tournante qui contribua au trafic d’alcool pendant la prohibition. Le châtiment, comme la vengeance, est un plat de crevettes qui se mange froid. La Guyane française n’échappe pas au courroux du président : 10% (+20%), idem pour Mayotte, la Polynésie française, etc…
Toutes les dépendances françaises sont visées. Toutes? Non.
Passent entre les gouttes deux territoires français stratégiques commercialement : les îles Kerguelen et l’île de Clipperton.
Il y a d’autres ratés. N’ont pas échappé au regard inquisitif et acéré des méticuleux services de recherche de la présidence des concurrents comme les Îles Heard-et-MacDonald; les manchots ne sont peut-être pas ceux qu’on pense. Mais alors, comment expliquer que Tristan da Cunha soit aussi passé à travers les mailles du filet?
Plus irritant encore, le continent antarctique dans son ensemble, incluant le secteur français, échappe aux droits de douane.
Foin d’un malséant pessimisme. L’actualité boursière n’a rien pour inquiéter el presidente, qui s’est immédiatement rendu à son « war room » (en v.o., « salle de crise » en v.f.), le Trump International Golf Club, d’où il œuvre sereinement pour ses administrés, qui peuvent le suivre sur l’écran divisé qu’il a créé pour l’occasion. Il ne joue jamais « hors limite » et il est le maître incontesté du dix-neuvième trou.
Somme toute, toute cela est de bon augure pour le consommateur américain, surtout retraité, qui s’épanouit, pleinement rassuré, sur son green à lui.
La capitale est confrontée à une crise du crack de plus en plus préoccupante. Le conseiller de Paris, Aurélien Véron (groupe Changer Paris), critique la gestion laxiste de la municipalité et appelle à des mesures plus fermes pour y faire face. La Ville, trop occupée par ses consultations « citoyennes » et la piétonisation des rues, néglige la sécurité publique et semble déconnectée des préoccupations réelles des habitants, déplore le candidat LR de la 7e circonscriptionmalheureux aux législatives.
Causeur.Qu’avez-vous pensé de la votation sur la végétalisation et la piétonnisation de rues à Paris qui s’est tenue le 23 mars ?
Aurélien Véron. C’était une fausse consultation qui a coûté 450 000 euros aux Parisiens ! Avec un taux de participation de seulement 4 %, il est évident que le sujet n’intéressait pas les habitants. De plus, les informations manquent de clarté : combien coûteront réellement ces « rues-jardins », estimées à 500 000 euros chacune ? Quelles rues seront concernées ? Qui assurera leur entretien, alors même que la végétalisation actuelle de la ville est déjà mal gérée ?
Ce projet s’apparente à un coup de communication pré-électoral financé avec l’argent des Parisiens. La ville est pourtant déjà lourdement endettée, et cet investissement de 250 millions d’euros est irresponsable. Une véritable consultation aurait dû se dérouler sur plusieurs mois, avec une information transparente et un quorum minimum pour valider les résultats, me semble-t-il.
Il est urgent de repenser la gestion de la ville, en mettant en priorité la sécurité, la lutte contre les violences et une gestion budgétaire plus saine. Aujourd’hui, les Parisiens sont confrontés à une municipalité qui semble déconnectée de leurs réalités quotidiennes, qu’il s’agisse de leur sécurité ou de la manière dont leur argent est utilisé.
Vous dénoncez régulièrement sur les réseaux sociaux la situation de la consommation du crack à Paris. Mais quelles solutions préconisez-vous?
Commençons par un constat : la cohabitation entre toxicomanes et riverains est impossible. Toute structure attirant des consommateurs de crack dans un quartier résidentiel entraîne une dégradation des conditions de vie et une explosion des nuisances. Malheureusement, la mairie refuse de reconnaître cette réalité, mettant ainsi en danger les familles.
Il faut savoir que le crack est une drogue extrêmement destructrice, non seulement pour ceux qui en consomment, mais aussi pour leur entourage. Les toxicomanes adoptent des comportements imprévisibles et parfois violents, souvent aggravés par la polyconsommation d’alcool et d’autres substances. Ils peuvent avoir des attitudes inacceptables en public, comme se déshabiller ou se masturber dans la rue, ce qui rend la situation intenable pour les habitants.
La gestion de la toxicomanie à Paris se caractérise par une approche trop laxiste. Les dispositifs comme les CAARUD (Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des Risques pour Usagers de Drogues), bien qu’ils aient été conçus pour venir en aide aux toxicomanes, les maintiennent dans leur addiction au lieu de favoriser leur sevrage. La mairie de Paris adopte une posture complaisante, alors qu’une politique plus ferme serait bien plus efficace pour protéger ces personnes en grande détresse. Il est nécessaire d’encadrer strictement ces espaces et de proposer un accompagnement orienté vers la sortie de la toxicomanie.
Quel regard portez-vous sur les structures actuelles de prise en charge ?
Il existe trois types de dispositifs. Les salles de consommation à moindre risque (SCMR) permettent aux toxicomanes de consommer dans un cadre encadré. Il n’en existe qu’une à Paris (dans le quartier de la gare du Nord, 10e), mais elle attire dealers et consommateurs, générant violences et insécurité. Les CAARUD distribuent du matériel propre et créent un lien social, mais sans orientation vers le sevrage. Les CSAPA (Centre de Soins, d’Accompagnement, de Prévention en Addictologie) proposent un accompagnement plus axé sur le soin. Le problème principal est que ces dispositifs ne favorisent pas le sevrage. Les associations qui les gèrent refusent l’idée d’un sevrage forcé, alors qu’ils pourraient constituer le premier électrochoc vers un traitement volontaire.
Que proposez-vous comme alternative ?
Je préconise une prise en charge plus structurée, reposant sur trois étapes. La première consiste en un sevrage forcé, par hospitalisation d’office ou à la demande d’un tiers, d’une durée de deux à trois semaines. Vient ensuite une post-cure en institution spécialisée, pendant deux à trois mois, pour aider le patient à gérer ses envies et ses émotions. Enfin, l’intégration dans une communauté thérapeutique permet aux anciens toxicomanes d’accompagner les nouveaux sur le chemin de l’abstinence.
Ce parcours exige des moyens, notamment pour augmenter les places en post-cure et en communauté thérapeutique. Plutôt que d’investir dans des CAARUD inefficaces, il conviendrait de privilégier cette approche.
Et que fait-on des consommateurs en situation irrégulière ?
Le traitement de l’addiction au crack est un processus long et coûteux. Pour les toxicomanes sans papiers, la France n’a ni les moyens ni la capacité d’assumer une prise en charge aussi lourde. Il faudrait envisager leur retour dans leur pays d’origine, tout en mettant en place une aide pour leur prise en charge locale.
L’abstinence est un combat de toute une vie, qui nécessite un suivi constant et une structure solide. Il est donc primordial de concentrer les efforts sur ceux qui peuvent bénéficier pleinement d’un accompagnement sur le long terme.
Plus largement, vous dénoncez également un manque de soutien aux victimes d’agressions et de violences urbaines dans notre capitale.
En effet, car tout est lié ! La mairie de Paris se distingue par son absence de compassion et de réaction face aux victimes d’agressions. Qu’il s’agisse de drames comme l’explosion de la rue de Trévise ou des agressions tragiques comme celles d’Elias (Le 24 janvier 2025, Elias B., un adolescent de 14 ans, a été mortellement poignardé dans le 14ᵉ arrondissement de Paris alors qu’il sortait de son entraînement de football NDLR) et de Philippine (Le 21 septembre 2024, le corps de Philippine Le Noir de Carlan, 19 ans, a été découvert dans le bois de Boulogne NDLR), le silence est assourdissant. La réaction à l’affaire Elias n’est intervenue que sous la pression populaire. Pourtant, les actes de violence se multiplient, notamment chez les jeunes, où l’on observe une brutalité croissante et une banalisation des agressions, parfois commises avec couteaux comme l’actualité récente nous l’a montré.
Quelles solutions préconisez-vous pour lutter contre cette insécurité croissante ?
Il faut d’abord une politique de prévention et de répression plus efficace, reposant sur plusieurs mesures concrètes. L’installation de caméras de vidéo-protection dans les zones à risque permettrait des interventions plus rapides. Une présence renforcée de la police municipale, avec des patrouilles adaptées aux données statistiques d’agressions, est également nécessaire. L’utilisation d’outils d’intelligence artificielle pourrait ainsi contribuer à anticiper et à prévenir les violences.
Par ailleurs, une réforme de la justice des mineurs s’impose, afin que les jeunes violents soient sanctionnés de manière éducative mais ferme, par des travaux d’intérêt général, des dispositifs de redressement, voire un placement en structures semi-ouvertes. Enfin, un soutien accru aux familles en difficulté est indispensable, car de nombreux parents, en particulier des mères seules, sont dépassées par la situation.
J’en reviens au référendum sur les rues piétonnes. La démocratie participative promue par Anne Hidalgo n’a-t-elle rien de bon ?
La démocratie participative est un sujet important avec une réelle attente des Parisiens. Elle pourrait effectivement fonctionner normalement si on lui consacrait le temps nécessaire afin de permettre au débat d’avoir vraiment lieu dans la transparence, et si l’on s’appuyait davantage sur des outils numériques. Cela permettrait d’impliquer un plus grand nombre de citoyens, y compris ceux qui ne peuvent pas se déplacer ou qui se trouvent loin de Paris au moment du vote.
Mais finalement, je reste convaincu que l’expertise des élus doit aussi être valorisée. Il faut trouver un équilibre entre la participation citoyenne et la responsabilité des représentants. Les Suisses, avec leur culture de la votation, pourraient nous inspirer. Toutefois, des efforts restent à faire pour que ce modèle fonctionne pleinement en France.
Vous parlez d’expérimentations, par exemple concernant les voies de bus. Comment cela pourrait-il être intégré dans le processus de consultation ?
Je suis favorable à l’expérimentation associée aux consultations. Par exemple, pourquoi ne pas expérimenter en soirée de convertir après l’heure de pointe la voie de bus d’une grande avenue en places de stationnement, quand la circulation diminue et permet aux bus de rouler à vitesse normale ? Cette optimisation de l’usage de la chaussée pourrait aussi bénéficier en soirée aux commerçants, aux restaurants, aux théâtres… et le couloir de bus retrouverait sa vocation initiale au petit matin. Une consultation rattachée permettrait aux riverains de s’exprimer au terme d’une période d’essai.
Je pense qu’il est généralement essentiel de réévaluer la manière dont ces consultations citoyennes sont menées. Aujourd’hui, il manque une véritable transparence, et les citoyens ont souvent le sentiment que leur avis n’est pas réellement pris en compte. La végétalisation, par exemple, devrait faire l’objet d’expérimentations avant toute décision définitive. C’est comme pour les projets de piétonnisation : avant de bouleverser un quartier entier, il faudrait d’abord mesurer les effets à petite échelle et consulter les habitants après quelques mois.
L’avenir de Paris repose avant tout sur la gestion de la mobilité. Si l’on continue à réduire les voies de circulation pour les voitures, on risque de rendre la ville encore plus invivable pour les familles, les personnes âgées et nos commerçants. Il faut penser une ville accessible, dans laquelle chacun peut se déplacer librement tout en respectant les objectifs environnementaux. Mais il ne faut pas oublier non plus que Paris est une ville de prospérité. Nous devons donc maintenir un équilibre entre les enjeux écologiques et la fluidité de la circulation, afin de préserver cette prospérité.
Qui soutiendrez-vous aux élections municipales, ?
Pour moi, la candidate idéale pour 2026 est Rachida Dati. C’est une véritable élue de terrain, toujours présente, et elle a démontré sa capacité à gérer des projets municipaux avec efficacité. Elle connaît bien les enjeux liés à la qualité de vie et s’implique avec conviction.
À gauche, la situation est plus complexe. Ils sont en crise et profondément divisés.1 La montée de la France Insoumise dans le paysage parisien est, selon moi, le résultat d’une politique de compromis poussée à l’excès. Je crains que cette dynamique ne mène à une radicalisation croissante.
Par ailleurs, si la loi PLM2 est adoptée, cela changera profondément la manière dont le maire de Paris est élu. Actuellement, l’élection se fait de manière indirecte, avec un système où certaines voix pèsent plus que d’autres selon les arrondissements. Si cette réforme entre en vigueur, chaque Parisien aura le même poids dans le choix du maire. Et cela rendra l’élection plus démocratique et plus transparente ! Si ce changement se concrétise, il pourrait marquer un tournant majeur. Affaire à suivre…
[ndlr : Pour succéder à Anne Hidalgo, deux candidats en lices s’affrontent actuellement : Emmanuel Grégoire (soutenu par Bertrand Delanoë) et Rémi Féraud (soutenu par Anne Hidalgo)] ↩︎
Cette loi votée en 1982 organise le fonctionnement municipal spécifique des trois plus grandes villes de France, Paris, Lyon et Marseille, d’où son nom. Depuis plusieurs années, une réforme de la loi est à l’étude. Cette réforme viserait à unifier le scrutin, de manière à ce que chaque Parisien dispose du même poids électoral, quel que soit son arrondissement. Elle prévoit également l’instauration d’une élection directe du maire de Paris par l’ensemble des citoyens, en remplacement du système actuel d’élection indirecte par les conseillers de Paris ↩︎
La « réussite pour tous », c’est l’assurance pour les enfants de la caste, affirme notre chroniqueur, de garder les meilleures places au chaud pour leurs enfants. Gens de pouvoir ou enseignants qui espèrent pour leur progéniture des miettes de ce pouvoir, tous se liguent pour que la réussite factice de tous garantisse la vraie réussite de leurs mioches, aussi médiocres soient-ils.
Récemment interviewé sur les heurs et malheurs de l’Ecole par la Grande Loge de France, qui passe pour être plus centre-droit que le Grand Orient, j’ai eu l’imprudence d’utiliser l’expression « élitisme républicain ».
« Halte-là ! » a immédiatement protesté l’un de mes interlocuteurs. « C’est là un concept d’extrême-droite ! »
Temps troublés
Nous vivons décidément une époque de grande confusion mentale, un authentique « moment orwellien », par référence aux slogans de Big Brother dans 1984, « l’ignorance, c’est la force », « la liberté, c’est l’esclavage ». Les mots ne sont plus utilisés dans leur sens commun, mais à l’inverse de leur signification ordinaire.
C’est ainsi que l’extrême-gauche n’hésite plus, sous prétexte d’antisionisme, à user d’une terminologie raciste, censée rassembler autour d’elle les suffrages des minorités musulmanes les plus ouvertement antisémites. Que les héritiers supposés de Marx versent dans la propagande anti-juive, avec parfois une iconographie inspirée des affiches hitlériennes des années 1930, est l’un des faits incontestables, mais qui ne laissent pas d’être troublants, de ces temps troublés.
L’autre source de confusion mentale est l’indistinction entre le quantitatif et le qualitatif. L’élitisme républicain a pour objet de dégager une future élite, apte à remplacer celle qui gouverne, qui est elle-même arrivée aux postes de direction par l’argent, le piston ou la localisation immobilière — et très rarement par mérite intrinsèque. Il n’y a pas plus de beaux cerveaux chez les riches que chez les pauvres — j’ai expliqué cela en détail dans L’Ecole à deux vitesses.
Le problème est que la caste au pouvoir use de sa position dominante pour bloquer la montée d’élites nouvelles issues des classes opprimées. Et elle peut compter, pour ce faire, sur la collaboration pleine et entière de ces cohortes d’enseignants prêts à toutes les bassesses pour avoir le droit de quémander, pour leurs enfants, une école moins clivante que celle que leur assignait leur résidence en milieu non favorisé — étant entendu que les « beaux quartiers », comme disait Aragon, leur sont interdits par la loi de l’immobilier de luxe.
On comprend bien, dès lors, qu’« élitisme républicain » soit un slogan inaudible pour la caste au pouvoir, et pour tous ceux, appartenant à ces classes intermédiaires qui sont ses larbins fidèles et rêve de promotion sociale alors que dans les faits on les prolétarise.
Les pédagogies qui ont inspiré le slogan jospinien de « l’élève au centre », alors que traditionnellement c’était le Savoir qui était le pivot du système scolaire, ont trahi l’idéal républicain. Le plus amusant, le plus révoltant, est qu’elles l’ont fait au nom des plus humbles, amenés au bord de l’eau mais interdits de boire. Sous prétexte d’amener chacun à la « réussite éducative » (la gauche a même inventé un ministère dévoué à cette cause hypocrite, dont la première titulaire, en 2012, fut George Pau-Langevin, mais la droite n’est pas en reste, qui en 2024 a nommé Alexandre Portier au même emploi), équivalent pédagogique du « demain on rase gratis », on a descendu le niveau d’année en année, pour satisfaire des parents qui n’y comprenaient rien. Et quand on ne put plus cacher le désastre, on a supprimé les notes, comme on balaie la poussière sous les tapis.
Poudre aux yeux
Pendant ce temps, dans les « bons » lycées et collèges des « beaux » arrondissements, les enfants de la Caste prospèrent sans s’en faire. Dans la gabegie pédagogique générale, qui ne voit que leurs splendides résultats ne sont que poudre aux yeux ? Qui ne constate que ces petits génies, arrivés en classes préparatoires aux grandes écoles, récoltent les notes qu’ils méritent, tout en occupant les places qui auraient pu revenir à des « pauvres » plus méritants qu’eux ? Les timides tentatives, à Paris, de la réforme Affelnet pour équilibrer un peu les origines sociales des élèves des « bons » lycées, en y inscrivant les bons élèves des « mauvais » lycées, ont déclenché des levées de boucliers invraisemblables. C’était, à en croire les rédacteurs de centaines d’articles, une nouvelle journée du 4 août qui commençait là, avec l’abolition des privilèges de leurs enfants !
Et les détracteurs n’étaient pas, et de loin, des gens de droite…
La proposition de Christophe Kerrero de créer des prépas au professorat dans les lycées a été fustigée par les syndicats de gauche, qui y voyaient une perte de position dominante dans la formation « pédagogique » de cohortes de profs menacés d’être moins nuls que les précédents — un scandale… Le projet de Bayrou de faire passer les concours à Bac + 3 est une fausse coupe, tant qu’on laisse la formation entre les mains d’enseignants du Supérieur dont ce n’est pas le métier — ils sont « chercheurs », rappelez-vous…
Ce n’est pas de pédagogie qu’ont prioritairement besoin les futurs maîtres, c’est de savoirs effectifs et non biaisés idéologiquement. Il faut par exemple arracher l’enseignement de l’Histoire à la mainmise des décoloniaux de toutes farines, qui voient de la culpabilité blanche partout. Arracher l’enseignement de la Littérature aux extravagants de la théorie du genre, prêts à faire étudier des textes illisibles mais rédigés par des femmes plutôt que des chefs d’œuvre malheureusement entachés de gènes mâles. Bloquer les surinterprétations « sociologiques » qui sont autant de diktats bien-pensants — et ce n’est pas avec de la bien-pensance que l’on fait de la bonne sociologie, c’est avec des yeux bien ouverts. Les Sciences humaines sont aujourd’hui le champ clos des extravagances les plus odieuses et du militantisme le plus étroit. Ne jamais oublier que ce sont des gens de gauche qui ont produit récemment une caricature d’Hanouna inspirée du Juif Süss, chef d’œuvre d’antisémitisme de l’Allemagne hitlérienne.
Il faut en revenir à l’impératif de l’élitisme républicain : amener chacun au plus haut de ses capacités, sans considération de sa situation sociale, de ses origines ou de ses croyances : s’il est vraiment capable du mieux, il les abandonnera en route.
Christophe Kerrero, L’Ecole n’a pas dit son dernier mot, Robert Laffont, 360 p.
Le Syndicat de la magistrature, présent à la fête de l'Humanité, le 16 et 17 septembre 2023. Capture d'écran Youtube/Journal l'Humanité.
Les vifs et récents débats sur la condamnation de Marine Le Pen ont évidemment reposé la question de la politisation de certains magistrats. Lâcheté partout, courage nulle part, semble regretter notre chroniqueur.
Est revenue récemment, dans le débat public, la question de l’interdiction du Syndicat de la magistrature grâce à Bruno Retailleau jeudi soir sur France 2, David Lisnard sur CNews et, si j’ose dire, à cause de Marine Tondelier qui n’a rien trouvé de mieux que d’approuver l’injonction faite par le Syndicat de la Magistrature aux magistrats de s’opposer politiquement au Rassemblement national sur LCI.
Manque de courage
Il me semble que sur ce sujet nous avons un parfait exemple de la dérive des pouvoirs. De droite, en raison de l’impuissance à faire respecter les règles d’un syndicalisme exclusivement professionnel. À gauche, par la complaisance à l’égard d’une politisation qui fait perdre toute légitimité à une part importante, moins par le nombre que par l’influence, de la magistrature dans l’opinion publique.
Comment ne pas s’interroger à titre principal sur cette lâcheté qui gangrène, ce courage qui manque ?
Peut-être convient-il de s’attacher en amont à tout ce qui empêche les pensées conservatrices d’avoir la fierté de s’assumer dans la réalité. Avec ce handicap trop souvent constaté d’un hiatus entre leur expression publique et la pratique de chacun : combien de fois en effet ai-je, malheureusement et socialement, constaté que les vertus fondamentales d’une éthique et d’une vision conservatrices – politesse, rigueur, écoute, qualité de la forme, attention à autrui, tolérance et équité – n’étaient destinées qu’à la façade et trop rarement pratiquées dans l’intime, comme si une personnalité pouvait se cliver ainsi entre le public et le privé. Alors que sans plénitude, tout perd sens.
Il est clair que dans les débats intellectuels, politiques, médiatiques, on perçoit trop souvent une incapacité à ne compter que sur la sincérité et la liberté pour penser, répondre ou contredire. Comme si on était tenu par d’autres considérations tenant aussi bien à sa propre faiblesse qu’à la volonté absurde de ne jamais donner l’impression de céder un pouce de terrain à l’autre. Cet extrémisme qui fait fi de toute authenticité aboutit paradoxalement à la libération d’une parole violente, grossière, méprisante. Face à soi, on a un être qu’il faut détruire plutôt que contester ses idées.
Magistrats planqués
Je n’ai pas quitté mon thème central concernant le Syndicat de la Magistrature.
Non seulement ce dernier n’a pas abandonné sa ligne idéologique de gauche, voire d’extrême gauche mais il l’a amplifiée.
À l’abri de la moindre réaction opératoire des pouvoirs publics et exploitant, à son bénéfice, l’idée absurde que tout serait politique contre les exigences d’un métier imposant pourtant une absolue neutralité pour être crédible et respecté dans ses pratiques.
Durant des années, chacune de mes conférences, à la fin, lors des questions, a abordé le problème du syndicalisme judiciaire. Je répondais, sans doute avec trop de mesure, qu’il était inutile d’évoquer des interdictions qui ne seraient jamais possibles.
Malgré le caractère scandaleux de la violation permanente de l’article 10 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, rien ne bouge, on accepte tout.
Pourtant « toute délibération politique est interdite au corps. Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. Est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions », énonce ce texte.
Pourquoi, alors, l’indignation devant l’esprit partisan qui s’étale syndicalement sans la moindre vergogne est-elle incapable du moindre courage politique mais au contraire semble-t-elle résignée à ne s’exprimer qu’en mots, donc sans effet ? Les gardes des Sceaux, certains se piquant même de n’avoir peur de rien, sont apparus tous tétanisés. Abstention et passivité d’autant plus étonnantes qu’une réaction contre une intolérable politisation judiciaire, avec des modalités à déterminer, serait largement approuvée par l’opinion publique. On a l’impression que les les ministres – hier, Eric Dupond-Moretti confronté pourtant à l’insupportable implication du Syndicat de la Magistrature dans la fête de l’Huma – regardent passer ces outrances comme s’ils étaient secrètement satisfaits de voir le corps judiciaire sombrer encore davantage à cause d’une frange irresponsable de celui-ci.
Je ne crois pas que Gérald Darmanin qui se concentre sur l’essentiel et paraît considérer avec une ironie résignée les délires idéologiques du Syndicat de la Magistrature, qui souvent le prennent pour cible, ait la moindre intention de s’occuper de cette politisation libérée de toute crainte. Pourtant la certitude qu’elle représente le motif essentiel de la défiance du citoyen à l’égard de l’institution et des juges devrait mobiliser.
Jusqu’où le Syndicat de la Magistrature ira-t-il avec l’arrogance tranquille d’une force qui sait que la lâcheté est partout et le courage nulle part ?
Marine Le Pen aurait pu ne pas être condamnée pour détournement de fonds publics… c’est écrit dans la Constitution ! Mais les juges en ont fait une autre lecture. Les explications de l’avocat Pierre-Henri Bovis.
Il n’est pas ici question de savoir si Marine Le Pen doit être condamnée pénalement des faits reprochés, mais si cette condamnation doit la priver de représenter une partie du peuple à la prochaine élection présidentielle, contre l’extrême réserve du Conseil constitutionnel. N’avons-nous pas porté sur les bancs de l’Assemblée nationale des individus fichés S pour leurs actes de violence, d’anciens dealers revendiqués, ou toléré des candidats visés pour apologie du terrorisme ? Cette réalité est peut-être moralement regrettable mais conforme à l’esprit de la Constitution. Dès lors, il est évident qu’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire aux plus hautes fonctions a un caractère disproportionné et censure la liberté de l’électeur.
Il est toujours utile de se remémorer la Constitution du 4 octobre 1958 et son esprit, laquelle prévoit que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par leur représentant ou par la voie du référendum ». Le sens de cette disposition voulue par le général de Gaulle et Michel Debré consiste à affirmer que seul le peuple français décide librement et souverainement du destin de la nation.
D’ailleurs, si un temps la justice fut rendue par délégation du roi qui disposait du pouvoir divin, celle-ci est rendue désormais dans notre République « au nom du peuple français ». Il est donc cocasse que le tribunal correctionnel ait pu considérer que c’est au nom du peuple français qu’il doit être retiré au dit peuple le pouvoir de se prononcer dans les urnes…
Cette hérésie judiciaire a été malheureusement rendue possible par l’excès de zèle des parlementaires, majoritairement de gauche, qui, soucieux d’être dans l’ère du temps de l’ultra-transparence et de la sacro-sainte probité, ont prévu une peine d’inéligibilité dès 1992 et y ont assorti un caractère « obligatoire » par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, laissant au juge la possibilité d’y déroger par une décision motivée. Un espoir bien ambitieux et éloigné de la réalité judiciaire. Il sera relevé toutefois que les élus LR, UDI et les deux élus FN de l’époque ont voté ou se sont abstenus lors du vote de la loi dite « Sapin 2 ». Les élus socialistes, à l’unisson, ont permis l’adoption de ce texte pour se purifier et faire œuvre de repentance après l’affaire dite « Cahuzac ».
La latitude laissée aux juges pour apprécier de l’application de cette peine complémentaire fait courir le risque inéluctable de sélectionner les candidats à se présenter aux élections et d’écarter les indésirables sur des motifs nécessairement subjectifs et éminemment critiquables. C’est d’ailleurs pour prévenir « un éventuel trouble à l’ordre public constitué par la candidature de Marine Le Pen aux prochaines élections présidentielles » que cette inéligibilité avec exécution provisoire a été prononcée et motivée… Les magistrats deviennent les garants de l’ordre moral et ont ce pouvoir quasi divin de dire qui peut, ou non, se présenter au suffrage universel.
Surtout, le caractère excessif de la peine accessoire tend à faire oublier la raison de la condamnation de Marine Le Pen, de son parti et de plusieurs de ses collègues élus.
Car si le jugement est largement critiquable sur les peines accessoires prononcées, il l’est tout autant sur la peine principale. L’intérêt ici n’est pas de faire de la moraline nietzschéenne, ni de dire si les actes commis, ou non, par le RN et ses membres, sont bien ou mal. La question est de savoir dans quelle mesure des parlementaires, nationaux ou européens, peuvent faire l’objet d’une condamnation pour détournement de fonds publics, nonobstant les interprétations très contestables de la Cour de cassation en cette matière.
Cette infraction est en effet définie à l’article 432-15 du Code pénal :
« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction. »
Pour condamner un parlementaire de ce chef, il reviendrait donc à le considérer, soit dépositaire de l’autorité publique, soit chargé d’une mission de service public.
Or, selon l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, votent la loi et contrôlent l’action du gouvernement. Ils ne sont rattachés à aucune administration, ne sont dépositaires d’aucune autorité publique, ne sont dotés d’aucune prérogative de puissance publique et il n’existe aucun contrôle des objectifs atteints ou non de leur mission, par une quelconque autorité, si ce n’est le peuple souverain au moment des élections.
La Cour de cassation a d’ailleurs considéré[1], s’agissant des partis politiques que :
« (…) les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage et jouent un rôle essentiel au bon fonctionnement de la démocratie, le principe de la liberté de formation et d’exercice qui leur est constitutionnellement garanti s’oppose à ce que les objectifs qu’ils poursuivent soient définis par l’administration et à ce que le respect de ces objectifs soit soumis à son contrôle, de sorte qu’ils ne sauraient être regardés comme investis d’une mission de Service public »
Cette définition correspond également à celle des parlementaires dont l’élection est bien le résultat de l’expression du suffrage universel, quand bien même ces parlementaires ne seraient pas issus nécessairement d’un parti politique. Leur candidature « concourt à l’expression du suffrage et joue un rôle essentiel au bon fonctionnement de la démocratie ».
Pourtant, dans un objectif non dissimulé de moraliser la vie publique, les hauts magistrats ont détorqué les définitions pourtant constantes du Conseil d’État de la notion de service public pour considérer qu’un parlementaire « accompli des actes ayant pour but de satisfaire l’intérêt général, ce qui revient à considérer qu’il remplit une mission de service public »… Or, il y a lieu de souligner là aussi la contradiction flagrante avec la doctrine administrative, laquelle considère que « la mission d’intérêt général n’est pas inéluctablement une mission de service public alors que la mission de Service public est nécessairement une mission d’intérêt général »…
Judiciariser la vie publique en laissant l’institution judiciaire pénétrer l’hémicycle et contrôler l’action politique est dangereux pour notre démocratie et donne la possibilité au juge d’interpréter les textes de loi au détriment de l’esprit du législateur -ce que le professeur de droit Edouard Lambert dénommait « le gouvernement des juges ». Un parlementaire serait donc soumis au contrôle du juge de l’utilisation de son indemnité, des sommes allouées à ses assistants et donc plus globalement à l’effectivité et la réalité de sa mission législative.
Or, n’est-ce donc pas le rôle des institutions, à travers leurs règlements, de contrôler l’affectation des fonds et leur utilisation ? Que penser d’un magistrat ayant la compétence de solliciter la communication des agendas des élus, de leurs notes écrites et rédigées, des projets de loi en cours de rédaction, des éventuels rendez-vous avec d’autres partis politiques ? Quelle serait la limite et l’échelle de notation pour juger d’un travail effectif ou non d’un parlementaire ? Les dérives judiciaires sont trop importantes et font courir un risque inéluctable de pointer du doigt des décisions davantage politiques que juridiques, dans un temps où certains magistrats s’adonnent à des activités militantes.
S’il n’est pas audible de faire état de ces réflexions, celles-ci sont pourtant saines et nécessaires pour redéfinir le cadre législatif et le statut sui generis du parlementaire, dès lors que nous psalmodions inlassablement que nos élus ne sont ni en dessous, ni au-dessus des lois…
[1] Civ. 1ère chambre, 25 janvier 2017, n° 15-25.561
Dans son nouveau livre, l’Académicien s’engage pour une justice plus humaine
Depuis quelques livres, que nous avons eu plaisir à lire, comme Mes révoltes (2022), Jean-Marie Rouart, sans renoncer bien sûr au roman, a opté de manière intermittente pour la veine autobiographique, distillant ainsi au fil de la plume les souvenirs d’une carrière d’écrivain qui fut riche et intense. Chemin faisant, le lecteur de Rouart se rend compte que le journalisme a été (il l’est moins aujourd’hui) une activité, et même une passion, très importante pour lui. Avant de diriger, comme on s’en souvient, le Figaro littéraire, Rouart s’occupait de ce qui touchait à la justice. Il repérait déjà les affaires intéressantes, et n’hésitait pas à rédiger des articles quasiment « militants ». Ainsi, longtemps avant de prendre la défense du jardinier marocain Omar Raddad, il intervenait en juin 1969 pour soutenir Gabrielle Russier, cette enseignante amoureuse d’un de ses élèves. Déjà, Jean-Marie Rouart était révolté contre l’injustice, au point même de heurter la morale rigoriste de ses supérieurs hiérarchiques, et de devoir démissionner du Figaro.
La réflexion de toute une vie
Aujourd’hui, il consacre un livre tout entier, Drôle de justice,à cette question. Il y a rassemblé les réflexions de toute de sa vie : « loin d’avoir, écrit-il, connu la justice sous une forme platonique, je l’avais approchée de près comme journaliste, et même de plus près encore comme inculpé et condamné dans une fameuse affaire judiciaire, celle d’Omar Raddad ». Rouart possède une légitimité indiscutable à entrer dans le vif du sujet. Il raconte brut de décoffrage ce qu’il a observé. Il revient également, ce qui ne manque pas d’intérêt, sur ses rencontres, traçant des portraits piquants et insolites, comme celui de l’avocat Jacques Vergès, dont il écrit : « Anticonformiste, anarchiste, il comprenait que le désordre était une aspiration légitime à bouleverser un ordre toujours, pour lui, fondé sur l’injustice. » Au passage, Rouart nous décrit le Jean d’Ormesson qu’il a connu au Figaro à une époque lointaine, et qui était déjà tel qu’en lui-même, c’est-à-dire sceptique et épicurien : « il m’enviait une liberté vis-à-vis de la société que l’homme du monde en lui, modelé dans une tradition aristocratique de discrétion, ne s’accordait pas ». En une demi-phrase, tout est dit.
Point fort de cet essai : Jean-Marie Rouart n’oublie jamais la littérature, où il a puisé la meilleure partie de son savoir. Par conséquent, cet intérêt pour la justice et la manière dont elle est rendue par les hommes lui vient avant tout des livres. Il s’attache, dans Drôle de justice, à creuser cette idée : « Les liaisons secrètes qui existent entre la littérature et la justice n’ont cessé de me troubler. » Rouart choisit de nombreux exemples, en particulier celui de Tolstoï, auteur d’un roman essentiel, Résurrection, qu’on lit certes moins que Guerre et Paix. Rouart reprend à son compte la conviction de Tolstoï, qui fut aussi celle de bien des écrivains, à savoir une permanence de « la part de responsabilité de la société dans le crime ». On parle de justice là où, souvent, c’est l’injustice qui se manifeste par des voies tortueuses. Rouart indique donc le rôle de révélateur de la littérature, dans cette prise de conscience : « Ce que montre la littérature, constate Rouart, c’est qu’avant de parvenir devant un tribunal, la société a déjà jugé ceux qu’elle veut perdre. » Comment ne pas lui donner raison, dans le droit fil d’un chef-d’œuvre comme Résurrection ? Certes, Jean-Marie Rouart, en optant pour cette défense et illustration de la littérature, paraîtra peut-être bien isolé, en des temps où les lecteurs ne se bousculent plus pour lire Résurrection.
Une œuvre dramatique inédite
Dans une deuxième partie de son livre, Jean-Marie Rouart nous présente une pièce de théâtre inédite qu’il a écrite pour conforter sa critique de ce qu’il appelle cette « drôle de justice ». C’est une tragi-comédie en trois actes, écrite avec rigueur et sans effets de style, qui a pour personnage principal un vieux magistrat. L’ambition littéraire de Jean-Marie Rouart, dans cet « apologue », est de montrer, comme il le dit, « la vérité toute nue ». N’est-ce pas ce que l’on poursuit lorsqu’on cherche à rendre la justice ?
On appréciera, dans ce livre de Jean-Marie Rouart sur la justice comme il la voit, la diversité des approches, au service d’un propos jamais dogmatique, mais très convaincant, car très humain. Le bon sens est privilégié, de même que la juste mesure des solutions à apporter. Rouart rappelle que la justice est affaire, non seulement de droit positif, mais aussi de culture. Et donc éventuellement, dans le monde judéo-chrétien, de compassion. Tout ceci se retrouve dans les grands livres que nous avons reçus en héritage, annonce Jean-Marie Rouart. C’est en ce sens que son message mérite d’être entendu à la fois du législateur, du juge et du citoyen, dans le but d’édifier peut-être un jour, grâce à une grande réforme, une justice moins arbitraire.
Jean-Marie Rouart, Drôle de justice, essai suivi d’une pièce en trois actes. Éd. Albin Michel, 173 pages.
Avec Céline Pina, Eliott Mamane, Martin Pimentel et Jeremy Stubbs.
Vivons-nous sous le gouvernement des juges? Céline Pina et Eliott Mamane reviennent sur le cas de Marine Le Pen. Le jugement prononcé contre elle prétend affirmer un des principes de base de la démocratie et de l’Etat de droit, à savoir l’indépendance de la justice. Pourtant, le jugement sape ce principe par la dimension politique que les juges lui ont donné. Donald Trump vient de tout mettre sens dessus dessous dans l’économie mondiale en annonçant des tarifs sans précédent qui seront imposés aux autres pays. Malgré le fait que l’on avait une bonne idée de ce que le président américain allait faire, l’Union européenne n’avait visiblement pas préparé de plan B et ne semble envisager d’autre recours que des représailles commerciales.
A l’Assemblée nationale, les députés viennent de débattre de la notion de consentement dans les relations sexuelles. Martin Pimentel analyse les préjugés néoféministes derrière l’adoption de ce concept, ainsi que les conséquences juridiques et sociales qu’elle risque d’entraîner. Dans une tribune publiée par nos confrères de Valeurs actuelles, l’avocat Randall Schwerdorffer nous met en garde contre les dérives possibles que cette notion peut inspirer. Mauvaise nouvelle, la rapporteuse spéciale des Nations Unies aux droits de l’homme dans les territoires palestiniens, Francesca Albanese va voir son mandat renouvelé aujourd’hui pour encore trois ans. Jeremy Stubbs nous rappelle que l’ONG genevoise, UN Watch, travaille depuis des années pour attirer l’attention politique sur les agissements de cette juriste italienne qui n’est qu’une militante propalestinienne, pro-Hamas même, dépourvue de la moindre trace d’impartialité ou d’objectivité. Il n’est pas trop tard pour signer la pétition de UN Watch contre le renouvellement de ce mandat. Lisez aussi l’analyse récente de Richard Prasquier dans Causeur.
Le producteur Jean-Louis Porchet, qui avait soutenu le film « The Palace » de Polanski, s’est donné la mort.
Le producteur Jean-Louis Porchet s’est donné la mort le 31 mars. Il avait eu soixante-seize ans deux jours plus tôt. Basée à Lausanne, son entreprise CAB productions fondée en 1984, a accompagné plus de 90 films, d’Alain Tanner à Kieslowski en passant par Claude Chabrol, Olivier Assayas et bien d’autres encore.
Jean-Louis Porchet avait également, contre vents mauvais et marées toxiques, coproduit le film de Roman Polanski The Palace. Cela restera comme l’ultime honneur de son parcours d’homme de cœur et d’amoureux du cinéma. La tempête empoisonnée déchaînant ses miasmes meurtriers contre l’immense réalisateur devenu paria a fini par le briser.
On touche le fond
La presse suisse a rendu un bel hommage au producteur, autodidacte atypique et imaginatif, doué pour la vie, pour l’art, et suprêmement pour l’amitié. L’on crut bon cependant d’écrire que Jean-Louis Porchet se serait « fourvoyé dans un projet déraisonnable : The Palace tourné à Gstaad par Roman Polanski » (Le Temps), ou ailleurs, que « The Palace lui a été fatal » (La Tribune de Genève) – formule d’une hypocrisie toute victorienne, qui passait pudiquement sous silence l’enchaînement de circonstances ayant entraîné la mise en faillite de sa maison de production, et ainsi la ruine de Jean-Louis Porchet, consécutive en effet à son engagement enthousiaste et déterminé sur ce film auquel il tenait tout particulièrement.
« Déraisonnable », la liberté que s’octroya le producteur de soutenir un projet de Roman Polanski ? Obéir à la meute lyncheuse passe aujourd’hui pour « raisonnable », il est vrai. Et les mêmes qui rampaient jadis devant Polanski et auraient vendu père et mère pour tourner sous sa direction, lui tournent piteusement le dos aujourd’hui, tel Jean Dujardin, à qui le réalisateur de J’accuse avait offert un rôle – peut-être trop grand pour lui, mais la force du film sauvait le comédien. À une question indécente de la sinistre et tellement grotesque commission d’Inquisition de l’Assemblée nationale sur les VHESS dans le cinéma, présidée par la doucereuse coupeuse de têtes en chef Sandrine Rousseau (commission instaurée comme par un décret souverain de Judith Godrèche, et par conséquent votée à 100%, mieux qu’en Corée du Nord), l’acteur répondit qu’il « ne savait pas s’il ferait le choix aujourd’hui de tourner avec le cinéaste accusé d’agressions sexuelles » (sans « l’exclure » toutefois). Veulerie pathétique, en laquelle pour le coup s’est fourvoyé un homme. Est-il vraiment « raisonnable » – pour soi-même, seul le matin face au miroir – de se salir si honteusement la face ?
Apprenant cela, Jean-Louis Porchet commentait : « Effectivement on touche le fond, et l’intérêt est qu’on peut remonter. Remonter pour aller où ? Je ne sais pas. » C’est sans issue, disait-il ainsi à demi-mot, avec une ironie légère et mélancolique, qui masquait, comprend-on, un désespoir sans fond face à un monde « devenu fou », comme il disait aussi. Un monde où l’on se prosterne devant des Judith Godrèche et où l’on crache sur Roman Polanski.
Peu après avoir pu voir The Palace en projection privée, j’ai eu le bonheur et la chance de rencontrer cet homme généreux, enthousiaste, d’une fidélité et d’un honneur sans faille dans la constance de ses choix. « Toute ma vie j’ai voulu construire des ponts, et voilà que je me retrouve maintenant face à des murs », m’avait-il écrit il y a un peu plus d’un an, quelques heures avant le terrible accident qui le dimanche 24 mars 2024, il allait voir un ami, a écrasé sa voiture contre un haut mur bordant la route le long du lac Léman. Prisonnier de son véhicule en feu, côtes et jambes brisées, il finit par être secouru. Après une longue année de bataille pour recouvrer la santé, ponctuée de multiples opérations pour sauver sa jambe aux os réduits en bouillie, endurant de terribles douleurs dues aux graves brûlures subies – jamais une plainte, toujours l’élégance d’une gaieté sincère face aux amis –, voilà qu’enfin il était de retour chez lui, brûlures cicatrisées, mobilité presque entièrement retrouvée à force de courage, d’énergie, de goût de vivre, amis fidèles et cigare quotidien (« thérapeutique » disions-nous en plaisantant) aidant.
Césars de fiel
Remontons le fil de la tragédie de Jean-Louis, mort d’avoir vu se dresser, broyant sauvagement les ponts que le producteur n’avait jamais cessé de construire, les murs de la bêtise, de la haine, de la lâcheté et de la soumission à un mouvement qui avait décrété que Roman Polanski devait être effacé.
La cabale contre le réalisateur s’était décisivement déchaînée en 2019, à la suite des fracassantes allégations de viol de Valentine Monnier[1] au moment de la sortie de J’accuse, puis du non moins fracassant sketch d’Adèle Haenel vociférant à l’annonce du Prix du meilleur réalisateur attribué à Polanski, lors de la dégoûtante cérémonie des César 2020 et de son florilège de saillies antisémites[2].
Dès lors, toute possibilité en France de produire un film dont Polanski pourrait avoir le projet – non mais quelle outrecuidance, mes sœurs ! – avait été barrée. Évaporés (ou plus exactement noyés dans leur couardise) les producteurs français – dont le réalisateur avait contribué largement à faire la fortune. #MeToo dicterait désormais sa loi, médias à l’unisson en bras armé du mouvement de « libération de la parole », avec l’onction de la classe politique – de l’oubliable Marlène Schiappa à Franck Riester « ministre de la censure », ainsi que l’avait rebaptisé Pascal Bruckner, en passant par Valérie Pécresse déclarant vaillamment que bien entendu, si elle avait su, la région Île de France aurait refusé tout financement à J’accuse.
Passons. Ou plutôt ne passons pas.
The Palace a cependant pu être produit, co-production italienne, polonaise et, grâce à Jean-Louis Porchet, suisse – sans aucun financement public – avec Cab production.
Le film, présenté à la Mostra de Venise de 2023, fut, on s’en souvient, passé au lance-flammes par la critique, dans un unanimisme qui trahissait grossièrement le parti pris de régler son compte cette fois à l’artiste Polanski – l’homme ayant déjà été décrété indésirable par les furies #MeToo. Il fallait achever le sale travail : la mise à mort symbolique définitive du cinéaste.
Leur mauvaise (ou pire : leur bonne) conscience soulagée par la misérable curée médiatique, les distributeurs français se couchèrent eux aussi,à l’exception notable d’un franc-tireur, autodidacte passionné lui aussi, Sébastien Tiveyrat. Bien entendu les exploitants de salle firent à leur tour preuve de la pleutrerie de bon ton dans le brave new world de la censure « féministe ».
En Suisse romande, le film devait cependant sortir mi-mars 2024.
Las.
Le 5 mars 2024, avait eu lieu l’audience du procès en diffamation intenté par l’actrice Charlotte Lewis à Roman Polanski. Me Delphine Meillet, avocate de Polanski, avait brillamment, et de la façon la plus implacable, démonté les mensonges grossiers et répétés de la plaignante. Les médias se rendirent parfaitement compte que l’affaire se présentait mal pour Charlotte Lewis[3], et que cette fois-ci le sacro-saint « Victimes, on vous croit », étendard intouchable de #MeToo, avait du plomb dans l’aile. Damned !
Le 13 mars 2024 donc, soit une semaine après cette audience embarrassante pour la Cause, Le Monde, accomplissant, primus inter pares, sa triste besogne d’exécuteur des basses œuvres de #MeToo, publia un article faisant état d’accusations de « viol sur mineur » contre Roman Polanski. Lesdites accusations émanaient d’une Américaine anonyme, les faits allégués ayant prétendument eu lieu cinquante ans auparavant. Ou comment tenter de rattraper une proie qui allait leur échapper. Bien entendu une flopée de médias zélés se jeta sur l’aubaine, emboîtant allègrement le pas à l’auto-réputé « journal de référence ».
Dès le lendemain de cet article, les salles de Suisse romande annulèrent sans autre forme de procès la sortie de The Palace, prévue le mercredi suivant, et la plateforme de la RTS (Radio Télévision Suisse) révoqua séance tenante un important contrat de cession des droits du film.
Le 24 mars 2024, le loyal Jean-Louis Porchet, désespéré par la monstrueuse lâcheté générale, bien au-delà de l’angoisse de la ruine qui s’annonçait inévitable pour Cab productions, perdait le contrôle de sa voiture et fonçait dans un mur.
Le 31 mars 2025, il mettait fin à ses jours.
Le mystère d’un acte tel que le suicide demeure toujours entier.
Il convient cependant de ne pas masquer la suite de séquences qui a précédé cette rupture tragique avec un monde si laid dans sa cruauté enrobée de poisseuse guimauve victimaire.
Jean-Louis était heureux et fier d’avoir fait The Palace, ce film proche de son cœur, qui par bien des côtés correspondait à son tempérament. Il avait ô combien raison de se féliciter d’avoir contribué à la naissance de cette œuvre. Un film cher également au regretté Michel Ciment, irremplaçable aristocrate de la critique cinématographique.
Un mensch nous a quittés. Il ne reste plus qu’à continuer, nous le lui devons, à contrarier, comme il a su le faire, le vil et vilain cours des choses, désespérant et tellement absurde. À reconstruire des ponts.
[1] Valentine Monnier prétendant pompeusement s’identifier elle-même à Zola, mais… accusant l’accusé calomnié, et point comme l’avait fait Zola les accusateurs faussaires. Involontaire et ridicule aveu de sa propre position de faussaire. Je me permets sur ce point, et sur la fabrication médiatique d’un business de la calomnie autour de Roman Polanski, de renvoyer à mon livre Qui a peur de Roman Polanski ? (Le Cherche-Midi, 2024). Il faut également lire ou relire le livre d’Emmanuelle Seigner, Une vie incendiée (L’Observtoire, 2022).