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On dirait le sud

Le patrimoine architectural de nombreuses communes méridionales est défiguré par des constructions anarchiques. Les vandales sont minoritaires mais agissent en toute impunité : les Bâtiments de France sont indifférents et les élus se disent impuissants. Témoignage.


Si tout le monde connaît #SaccageParis, le saccage de la France provinciale n’en est pas moins une réalité. J’en veux pour preuve le cas de mon propre village, près de Béziers. Depuis mon arrivée, il y a vingt ans, j’ai vu une charmante bourgade du XIe siècle étouffée progressivement par la construction en cercles concentriques de lotissements hideux ; la campagne environnante enlaidie par une urbanisation non autorisée ; et des bâtiments historiques défigurés par l’installation d’affreuses portes et fenêtres de style contemporain. Tout cela en raison de l’indifférence des Bâtiments de France et de la lâcheté des maires successifs qui refusent de faire quoi que ce soit de peur de contrarier certains électeurs.

Douce France…

Amoureux de la France depuis ma première visite à l’âge de 9 ans, j’ai finalement réalisé un rêve en achetant une maison ici il y a une vingtaine d’années. En 2015, j’ai même réussi à me faire élire au conseil municipal de mon village (un mandat qui a pris fin en 2020 avec le Brexit). Lors de ma première réunion du conseil, j’ai supplié le maire de sévir contre la fortification des nouveaux lotissements qui érigent des murs en parpaings non enduits. « Vous risquez de relancer la guerre de Cent Ans », m’a-t-il alors prévenu. Un avertissement qui, je l’avoue, n’a fait que stimuler ma rébellion : quand il m’a gentiment expliqué que de nombreux villageois étaient tout simplement trop pauvres pour effectuer des travaux de finition, je lui ai rétorqué qu’ils n’étaient pas trop impécunieux pour installer des piscines ou acheter des voitures neuves. Il a ensuite changé de tactique, prétendant qu’il était impossible de faire respecter la loi, parce que le processus juridique était trop long et coûteux. J’ai suggéré d’attaquer en justice une poignée de contrevenants, les plus flagrants, pour en faire des exemples. Le maire a promis d’écrire à quelques dizaines de délinquants pour les avertir qu’ils ne pourraient pas vendre leur maison tant qu’elle ne serait pas en conformité avec la loi. Les lettres, dûment envoyées, ont été dûment ignorées. Personne ne semble avoir été sanctionné et, pendant ce temps, la laideur initiale des murs s’est aggravée à cause des tags, renouvelés périodiquement.

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Lorsque, plus tard, j’ai acquis une magnifique maison de maître à l’intérieur de l’enceinte prétendument protégée du village, j’ai fait une demande en bonne et due forme aux Bâtiments de France afin d’obtenir les autorisations nécessaires pour faire des modifications. J’ai été convoqué à Montpellier pour une réunion avec des fonctionnaires qui m’ont informé de l’existence de règles très strictes. Ayant signalé ma ferme intention de respecter toutes les conditions, je leur ai demandé, à la fin de l’entretien, pourquoi les citoyens qui ignoraient de manière flagrante ces règles apparemment strictes n’étaient jamais inquiétés par les autorités. Embarrassé, le chef des fonctionnaires a avoué son impuissance.

Un combat quotidien contre la laideur

C’est seulement une petite minorité qui saccage le patrimoine local, qu’il s’agisse du prospère constructeur dont l’enclos de parpaing brut se dresse juste en face d’un monument historique, ou du propriétaire d’une magnifique villa à l’entrée de la bourgade dont les murs, faits de blocs de béton de 2,5 m, cachent sa nouvelle Mercedes. Aux alentours, à travers de superbes paysages, prolifèrent constructions sauvages, mobil-homes, véhicules abandonnés… Les plaintes sont transmises à la préfecture, en vain.

Soyons clair ! L’écrasante majorité de mes voisins est aussi horrifiée que moi. Nous avons une association pour la conservation du patrimoine local, dont je suis membre, qui s’investit passionnément dans la protection de notre environnement bâti. Elle a joué un rôle de premier plan dans la restauration de notre église et de nos anciens fours à chaux abandonnés. Nous venons de lancer une campagne pour sauver le moulin à vent en ruine. Mais lorsque quelqu’un a acheté l’ancien bureau de poste et en a arraché les fenêtres et les volets pour les remplacer par des horreurs en aluminium, nous sommes restés impuissants.

La mairie n’est pas totalement passive. Elle a restauré avec un certain goût le centre ancien du village, enfouissant les câbles électriques et téléphoniques. Mais elle n’a pas empêché les propriétaires de maison de défigurer leur toiture en y installant des Velux non autorisés ou en les démolissant partiellement afin de créer des terrasses. Il suffit de monter en haut du clocher de l’église pour voir des dizaines de violations du code, totalement ignorées.

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C’est ainsi que, contrairement à ce qui se passe à Paris, où le saccage est imposé d’en haut par la mairie elle-même, la dégradation des paysages ruraux vient d’en bas, des propriétaires eux-mêmes, qui agissent en toute impunité.

On me dit que le phénomène que je décris ici est propre au sud de la France, et il est vrai que je n’ai pas vu ailleurs de saccage à une échelle comparable. Mais de manière générale, l’avidité des promoteurs et l’indifférence des administrations ont provoqué ce qui semble être un effondrement de l’esthétique. La lâcheté des maires, le refus de l’État de faire respecter la loi et le mépris de certains citoyens pour leurs voisins ont mis ce pays sur la voie de la ruine. Joni Mitchell, la chansonnière canadienne, nous avait prévenus dans une balade (reprise en français, sous le titre « Le Grand Parking », par Joe Dassin) : « On ne sait ce qu’on a que quand il est trop tard » (« You don’t know what you’ve got till it’s lost »).

Ma dernière corrida

Alors qu’une proposition de loi anti-corrida se prépare, il semble important d’envisager ce que l’interdiction de cet art signifierait sentimentalement, culturellement et socialement pour les aficionados qui peuplent une partie du sud de la France. Ce qui suit est une fiction qui, on l’espère, en restera une. Le narrateur est un homme de 70 ans, un homme de Béziers.


16 h 00, bientôt l’heure de partir pour les arènes. Aujourd’hui, pour toute la famille, j’ai pris les meilleures places, qu’importe le prix. Dans notre bonne vieille ville de Béziers, qui a vibré des années durant au son des paso-doble , des olé ! de la foule et des broncas du public, c’est ce soir qu’aura lieu la dernière corrida avant l’interdiction nationale. Je n’ose mettre, comme à mon habitude, l’une de mes chemises Souleiado, fleuries aux chaudes couleurs provençales, tant cette fête ressemblera aujourd’hui à un enterrement. C’est la gorge serrée, qu’en famille, nous prenons la direction des arènes, attendant de nous faire crever le cœur à l’estocade du dernier toro. Aux abords de la plaza du plateau de Valras, la foule est immense et silencieuse. Les visages sont graves, endeuillés. La masse de spectateurs s’engouffre lentement dans le temple. Tout le monde est arrivé très tôt. Avant d’entrer, je regarde ces arènes dans lesquelles, bientôt, je n’aurai plus de raisons de me rendre. C’est la dernière fois, je le sais. Il faut entrer, c’est l’heure. L’heure d’entrer pour la dernière fois. Depuis ma place, en fixant la piste, ébloui par le sable frappé de soleil, je me souviens de tant de grands moments vécus ici… comme cette corrida de Miura du 15 août 1983, où Nimeño II, Victor Mendes et Richard Milian toréèrent un lot de toros énormes qui, toute la course durant, semèrent la terreur du sable jusqu’au dernier rang des gradins et accrochèrent les trois matadors héroïques tour à tour, les envoyant à l’infirmerie des arènes entre les mains du docteur Jubié. Je me rappelle aussi les arènes combles et la chaleur étouffante pour l’alternative de Sébastien Castella – l’enfant de notre beau pays biterrois –, avec Enrique Ponce et le demi-dieu José Tomás… une tarde de toros inoubliable.

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Nous comprenions alors que Sébastien deviendrait un très grand torero et qu’il draperait d’orgueil et de fierté l’afición biterroise, comme Nimeño le fit avant lui pour Nîmes. Et puis évidemment, cette après-midi du 16 août 2006 où Cara Alegre, un toro de Valdefresno, fut gracié par Iván Garcia… ce fut le premier toro à connaître la grâce sur le sable des arènes de Béziers. Cette riche et glorieuse histoire, pleine de joie, pleine des larmes, des cris et applaudissements de tout un peuple, celui du sud de la France, s’arrête aujourd’hui. Car c’est bien le peuple qui se réunissait aux arènes, les riches et les pauvres, les jeunes et les vieux. C’est le peuple qui communiait dans les temples à ciel ouvert que nous ont construits et légués nos ancêtres. En 1859, dit-on, Béziers connut sa première corrida aux arènes montées sur le champ de Mars. Le dimanche 11 janvier 1897, on inaugurait les nouvelles arènes qui nous portent encore aujourd’hui pour cette dernière fête des gens de cœur, tandis que dans le toril, le toro s’apprête à vivre sa dernière célébration sur le sol français. Et demain ? Je ne parviens pas à me figurer ma ville sans toros. Est-il possible que tout se termine ainsi ? Qu’est-ce qui, après cela, nous réunira dans la joie, en famille et entre amis ? L’animalité, la nature, les vertus que sont le courage, la dignité, la maîtrise de soi, que nous avons faites Fête, à travers quoi les transmettrai-je à mes petits-enfants ? Et tous nos éleveurs, que deviendront- ils ? À quelques kilomètres d’ici, que deviendront tous ces toros de Margé qui paissent encore à cette heure dans les espaces infinis et sauvages que les hommes ont préservés pour eux ? Que deviendront tous les gosses des écoles taurines de Béziers, et ceux des autres villes, ainsi que leurs camarades si fiers de leurs copains toreros ? Abattus les rois cornus du campo ! Abattus les rêves des gamins toreros !

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Pour cette dernière corrida, beaucoup de Maestros ont refusé de venir toréer, craignant le malheur que ce signe pourrait leur porter. C’est Sébastien Castella qui, seul, assumera le lourd spectacle de cette cérémonie d’adieu. Le voilà qui entre en piste pour le paseo, en costume noir. Sa mâchoire est serrée. Il regarde ce public qui l’a vu grandir, cette arène qui donna un sens à sa vie. Ces milliers de regards sont bouleversés. Tous ces vieux, qui chaque année attendent l’été pour vivre cette passion du toro. Tous ces jeunes qui ont grandi dans cette fête, dans ce culte, et qui devaient un jour en savoir aussi long sur les toros que tous ces vieux. Tous ces visages qui bientôt seront défigurés comme le sera cette ville, dépouillée de son identité. Mais subitement, l’émotion quitte Castella car le premier toro entre en piste. Il le torée merveilleusement, capte sa fureur, se mure avec lui dans une danse tragique et pleine de grâce, puis l’en délivre par l’épée. C’est au tour du deuxième toro, puis du troisième, du quatrième, du cinquième.

Et voilà que le dernier toro entre sur le sable. Il jaillit du toril plein de fureur. Lui ne sait pas qu’à Béziers, c’est la dernière corrida et qu’il en est le dernier toro. Comme il ne sait probablement pas qu’il est mortel, et qu’il va mourir, sûrement. Seul son instinct le guide. Il charge, charge et charge encore. Arrive le temps de porter le coup fatal et de mettre fin à ce jeu. Arrive le moment – aujourd’hui tant redouté – de la mise à mort de la bête vénérée, et dans sa mort, celle de tout un peuple qui vit à travers lui. Un silence absolu pèse sur l’arène. Les larmes coulent sur le visage des femmes, sur le visage des hommes aussi. Le temps d’essuyer mes yeux humides, l’épée est déjà plantée. Le toro est mort. La foule applaudit comme jamais je ne l’avais vue applaudir, comme si elle tentait d’attirer l’attention des dieux, de les apitoyer sur son sort tragique. –>


Puente Jerez

Puente Jerez © Guillaume Brunet-Lentz

À Béziers, le taureau fait si fortement partie de la culture locale que la ville possède son musée taurin où eaux-fortes de Goya, habits de lumière et peintures se côtoient. Plus qu’un musée, c’est un temple avec ses reliques. On vient y admirer les costumes des héros morts, comme celui de Nimeño II, ainsi que les têtes des taureaux naturalisées après avoir combattu dans l’arène. Pour la féria 2022, le grand sculpteur espagnol Puente Jerez était l’invité d’honneur du musée. Son exposition est consacrée à Manolete, le plus grand torero de tous les temps, mort en 1947 à Linares suite à un coup de corne d’un taureau de Miura nommé Islero dans l’artère fémorale au moment même où il lui portait l’estocade. Puente Jerez sculpte la vie et la mort de ce matador de légende, et son intense histoire d’amour avec l’actrice Lupe Sino. Des sculptures exposées jaillissent l’amour, la douleur, la joie, la grandeur tragique, les passions sublimées par l’art tauromachique. Les taureaux que sculpte Puente Jerez sont des dieux. Il parvient de manière charnelle à en reproduire le charme singulièrement bestial, puissant et sensuel qui devait brûler Pasiphaé de l’intérieur.

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Puente Jerez évoque les mouvements anti-taurins redoublant l’offensive ces derniers temps : « Ce qui est en train de se passer n’est pas seulement “anti-taurin”, c’est un mouvement plus général qui est anti-tradition, anti-culture. Ce mouvement souhaite changer l’ordre, faire de nous des animaux et des êtres acculturés. Ils finiront par s’en prendre à tout. Et ils ont déjà bien commencé. Ils s’attaquent à l’opéra, à la danse, au cinéma, au théâtre. Ces gens détestent l’art en général, car l’art est lié à la tradition. Ils sont très peu, mais ont beaucoup de moyens et font beaucoup de bruit. En interdisant la tauromachie, on perdrait un langage, un travail scénique, une esthétique, des moments intenses de vie, une culture paysanne traditionnelle dédiée à l’élevage des taureaux. On perdrait cet animal que nous vénérons et que nous élevons uniquement pour la corrida, et avec lui les espaces quasi naturels que nous préservons pour lui. C’est un écosystème qui disparaîtrait car avec le taureau, dans ces grands espaces, vivent aussi des arbres, des fleurs, des insectes, des oiseaux. Et puis, chaque personne perdrait ce qu’elle vient chercher aux arènes. Car la corrida résonne différemment en chaque spectateur. La corrida nous permet de projeter sur elle nos doutes, nos peurs, nos questionnements, nos rêves. Ce qui me séduit moi dans la tauromachie, c’est l’honneur. C’est la grandeur. C’est la mort. Et puis, bien évidemment la joie. Cependant, je suis convaincu qu’exterminer une culture si enracinée n’est pas une chose facile, très heureusement. Et c’est pourquoi je ne suis pas si pessimiste.»


Arènes de Béziers, féria 2022 / © Guillaume Brunet-Lentz

–> Les applaudissements se prolongent, une minute, deux minutes, cinq minutes, dix minutes. Et puis, ils s’arrêtent. Pour nous, tout s’arrête dans ses applaudissements. Tout va bientôt finir. Tout est fini. Nous allons sortir de ces arènes, en sortir pour jamais. Toute l’année, nous attendions l’ouverture de la temporada … Qu’allons-nous attendre maintenant ? Privés de notre fête, de notre culte, de notre religion, qu’allons-nous devenir ? Nous les Biterrois, les Nîmois, les Arlésiens, les Bayonnais, les Montois, les Dacquois, les Vicois ou encore les Istréens… serons-nous encore ce que nous sommes ? Qu’allons-nous expliquer à nos jeunes toreros français qui, tant de fois, ont risqué leur peau face aux toros, qui tant de fois se sont fait attraper, blesser, encorner ? Que penserait notre martyr français Nimeño II, dont la vie fut brisée par un toro de Miura dans les arènes d’Arles en 1989, que penserait-il de la proscription de l’art auquel il sacrifia sa vie, votée par les députés du pays qui lui mit le toro dans le cœur ? Qu’en penseraient les jeunes Simon Casas et Alain Montcouquiol qui, rêvant de devenir matadors, s’entraînaient à Nîmes sur le Mont Margarot, avec pour seul toro une bicyclette armée de deux couteaux ? Sans la corrida, sans les toros, sans le culte du courage de l’homme habillé de lumière et de bas roses, qui seront nos enfants ? Des Américains comme les autres ? L’incompréhension que nous avons suscitée auprès d’autres régions ne nous connaissant que de réputation, de caricatures et de préjugés, se conclut par la destruction de notre peuple, celui du taureau. « Votre toast… je peux vous le rendre, Señors, señors ! Car avec les soldats, oui les toreros, peuvent s’entendre ! Pour plaisirs, pour plaisirs ils ont les combats ! […] Toréador, en garde ! Toréador ! Toréador ! Et songe bien, oui, songe en combattant, qu’un œil noir te regarde… » Plus jamais notre peuple sur sa terre n’entonnera de concert cet air de Bizet que nous avons fait nôtre. Un œil noir nous regardait bien… Y avons-nous assez songé ? Après une longue, une très longue faena face au monde moderne, à son hypocrisie et à son intolérance, nous perdons la partie. Tout est fini. C’était la fête du courage, la fête des gens de cœur. La fête est désormais terminée et chacun rentre chez soi, des souvenirs plein le cœur, et déjà la nostalgie nouée à la gorge.


Lexique

Miura : Élevage de taureaux réputés très dangereux, ayant tué une longue liste de matadors dont le célèbre Manolete.

Alternative : Passage, pour un torero, au grade suprême de Matador de toro lui permettant de toréer des bêtes les plus âgées et plus lourdes.

Tarde de toros : Après-midi de taureaux / corrida de l’après-midi.

Campo : Espaces quasi sauvages ou sont élevés les taureaux.

Paseo : Défilé des toreros sur la piste en ouverture de la corrida.

Temporada : Saison des corridas

Faena : Ensemble des passes données au toro par le Matador à l’aide de son morceau de tissus rouge appelé Muleta. Considérée comme la construction d’une oeuvre esthétique, la Faena précède la mise à mort.

La beauté en héritage

Si la beauté revêt pour chacun de nous une part de subjectivité, elle repose aussi – surtout – sur des critères qui nous ont été transmis depuis l’enfance, sur une culture et des traditions. Loin d’amoindrir notre sensibilité, ce jugement arbitraire aiguise notre regard.


Cela pourrait ressembler à ces déjeuners dominicaux où on passe des heures à parler de la beauté des actrices, celles qu’on aime et toutes les autres. Et les échanges sont interminables, qui reposent sur la subjectivité de chacun et le plaisir de n’avoir rien à démontrer de plus que l’affirmation de ses propres goûts.

Il y a une volupté dans cet impérialisme de soi qui, sur la beauté, la laideur, la nature, la diversité des êtres et des choses, se contente de poser dans la vie ses évidences, persuadé qu’il est admis que ces matières infiniment sensibles relèvent au fond de l’indicible et qu’exiger de lui la preuve, par exemple, de la validité de ses choix esthétiques serait trop demander.

« Il faut aller au cœur de l’inconnu qui vous émeut pour tenter de le déchiffrer »

Pourtant il m’a toujours semblé, quand je contemplais, admirais ou me détournais, que dans mon appréciation il entrait une part qui ne dépendait que de moi, de mes critères, de mes humeurs, d’appétences si profondes qu’elles émanaient de l’enfance, mais aussi une autre plus objective que je pourrais tenter de définir à partir d’un certain nombre de paramètres susceptibles d’expliquer pourquoi celle-ci est belle et séduisante, et pas celle-là. Un mélange troublant et délicieux d’arbitraire et de rigueur. Contrairement à ce qu’on croit souvent, s’efforcer d’expliquer le mystère de la grâce, le surgissement d’une apparence parfaite, ne détruit pas la poésie des corps et des visages, mais y ajoute une élucidation qui fait beaucoup de bien. Il faut aller au cœur de l’inconnu qui vous émeut pour tenter de le déchiffrer. Comme pour justifier ses propres inclinations auxquelles il manquerait quelque chose si elles étaient laissées à elles-mêmes.

A lire également, l’interview de Rudy Ricciotti par Yannis Ezziadi: Rudy Ricciotti: “La beauté est devenue suspecte”

Pour la beauté des paysages, des montagnes, de la campagne, de cette configuration infiniment diverse et contrastée qui fait de notre pays une carte du tendre, du ravissement, de la majesté ou de la joliesse en nous offrant, avec générosité, de quoi satisfaire notre sentiment d’évidence – comme c’est beau ! –, on pourrait considérer que la nudité splendide de ce qui se soumet à notre regard est la cause de notre émerveillement. On ne peut que rejoindre Alain Finkielkraut qui par exemple dénonce la prolifération des parcs éoliens « parce qu’ils transforment les campagnes en paysages industriels ».

Il y a, dans le consensus qui existe sur ce qui nous est donné par la nature, les arbres, les forêts, les rivières, la splendide et tranquille disposition de lieux nous touchant précisément parce qu’ils se livrent tels quels à nous, une sorte d’accord rassurant : est beau ce qui n’a pas été dégradé par le génie de l’homme ou la rentabilité du siècle, ce qui reste dans la pureté des origines et d’un développement dans lequel on s’est contenté d’accompagner, sans la dénaturer ni l’enlaidir, une esthétique que nous n’aurions pas su inventer avec une telle perfection. La beauté est ce qui demeure préservé. On pourrait aller jusqu’à soutenir, dans ce domaine, qu’elle s’impose comme la laideur se voit.

La Beauté avec un grand B

Pour l’appréciation de la beauté des êtres, on peut s’attacher à une conception classique qui, au regard d’éléments précis, constitue l’esthétique telle une science qui se voudrait exacte. La configuration du visage, les proportions du corps, la taille et la minceur, l’allure générale d’un ensemble offrant au regard la certitude d’une parfaite harmonie représentent des critères qui immédiatement au moins répondent au souci d’une définition objective de la beauté.

Mais cette approche est-elle la bonne ou la seule ? Je ne le crois pas. Il me semble – j’ai pu vérifier que ce sentiment ne m’était pas personnel – que l’esthétique ne consiste pas seulement à prendre acte d’une apparence et à la juger réussie ou non, mais qu’elle est aussi, peut-être surtout, indissociable d’une forme de désir virtuel.

La beauté que j’ai décrite plus haut, correspondant aux canons de la tradition, ne suffit pas pour que celui qui la regarde soit forcément dans le ravissement. Il y a des beautés qui offrent la froideur des statues, une absence d’animation du visage, une grâce tellement éloignée du commun qu’elle paraît condescendante, « d’ailleurs » comme l’a chanté Pierre Bachelet.

A lire aussi, l’interview d’Alain Finkielkraut par Jonathan Siksou: «Il n’y a plus d’obstacle aux avancées de la laideur» 

Cette perception aboutit paradoxalement au constat que la perfection (à la supposer incarnée, par exemple celle d’une Grace Kelly ou d’une Gene Tierney) est lacunaire, précisément parce qu’elle manque des failles de l’humanité, des défauts qui nous la rendraient plus familière et des singularités, aussi contraires qu’elles soient par rapport aux règles, qui renvoient profondément à ce que nous, nous désirons, à ce que nous, nous avons besoin de faire nôtre. Les corps parfaits ne sont pas ceux qu’on croit, les visages superbes non plus : les uns et les autres doivent nous devenir accessibles parce que notre sensibilité les a choisis. Ce qui nous émeut est la conjonction troublante d’une apparence avec nos tréfonds. Il y a des ruptures par rapport à la beauté établie qui pour nous sont des grâces. Une Monica Vitti nous touche par ce qui la distingue et l’entraîne vers nous par une séduction singulière. L’esthétique aussi a ses dissidences.

Il arrive d’ailleurs que certaines actrices mythiques aient eu conscience de cet écart entre ce qu’elles sont et leur aura indépassable. Marilyn Monroe, par exemple, parlant à Simone Signoret, lui déclare : « Regarde, ils croient tous que j’ai de belles jambes longues, j’ai des genoux cagneux et je suis courte sur pattes. » Et de fait elle l’est, mais peu importe puisque l’univers a décidé le contraire, l’a regardée autrement.

Cette analyse permet aussi de relativiser la notion de laideur. Absurdement, on s’étonne parfois d’un couple où une beauté indiscutable côtoie une apparence sans éclat, alors que celle-ci a pu être perçue sur un mode qui a conduit celle-là à dépasser sa superficialité au bénéfice de pépites invisibles, connues d’elle seule.

Cependant, une fois qu’on a tenté d’approfondir les mille variations de la beauté magnifique des paysages ou de la fulgurance esthétique et troublante de certains visages, sans flagornerie pour Causeur, je considère qu’il convient de féliciter l’équipe de cette publication infiniment libre et décapante pour le choix courageux de ce thème, dans le climat que nous subissons au quotidien. Comment ne pas rejoindre la conviction de cet architecte atypique qu’est Rudy Ricciotti quand il affirme qu’« aujourd’hui la beauté est considérée comme suspecte », ou encore que la laideur politiquement correcte est la conséquence du « laxisme, de la lâcheté et du déficit d’exigence. On imagine que c’est une manière d’être populaire, proche du quotidien, ce qui est lâche, déshonorant et stupide. »

Tout est dit.

Sauvons le droit d’honorer la beauté et d’écrire sur elle.

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Iran : quand les femmes défient le régime des mollahs

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Notre consoeur, la revue Conflits, vient de publier l’article suivant sur la situation actuelle en Iran. Le mouvement de contestation féministe qui s’étend à tout le pays depuis l’assassinat de Mahsa Amini par la police des mœurs le 16 septembre, va bien au-delà d’une simple revendication antivoile. L’Iran fait face à une crise économique, sociale et environnementale sans précédent à laquelle s’ajoute la brutalité d’un régime usé. Dans ce contexte, les manifestants peuvent-ils avoir raison des Mollahs ?

La République des mollahs fait face à un mouvement de contestation dont l’ampleur est inédite. Traversant toutes les couches de la société, celui-ci révèle au grand jour la fracture qui persiste entre une jeunesse en quête de modernité et un régime à la fois violent et usé.

Si les femmes ont toujours joué un rôle important dans la société iranienne, elles marquent aujourd’hui leur opposition à la République islamique en retirant ou brulant leur voile en public. Particulièrement sociabilisées, les Iraniennes sont en effet les mieux placées pour dire à quel point celle-ci a fait du tchador l’un de ses piliers idéologiques.

Pauvreté et problème d’eau

Leur mouvement de révolte, légitime, va pourtant bien au-delà du simple refus de porter cet accessoire qui les enferme. Car la société iranienne est à bout de souffle. Le pays, qui compte 83 millions d’habitants, traverse une crise économique sans précédent depuis 1979. Plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et des millions d’Iraniens peinent à se nourrir. Alors qu’une partie du territoire est constituée de plaines arides en proie à un climat semi-désertique, le Corps des Gardiens de la Révolution islamique, qui a la main mise sur plus de 60% de l’économie, a permis la construction de nombreux barrages en contrepartie d’importants dessous de table. À cela s’ajoutent le mauvais état du réseau de traitement des eaux usées et le réchauffement climatique. Résultat de cette politique mafieuse déconnectée des problématiques environnementales : deux tiers du pays sont en situation de stress hydrique et dans certaines provinces, des populations entières n’ont plus accès à l’eau potable.  

Selon une analyse du World Resources Institute publiée en 2019, les ressources en eau sont de « mauvaise qualité » dans plusieurs villes, voire insuffisante.

Plusieurs localités ont ainsi connu, ces dernières années, des pénuries d’eau ainsi que des coupures d’électricité. En 2021 à Ispahan, des manifestants avaient déjà interpellé le président Ebrahim Raïssi sur la tragédie en cours. Leurs cris d’alarme se sont répétés durant l’été 2022 en raison de la sécheresse. En vain. Car le régime s’est montré inapte à apporter des solutions concrètes. Au contraire, il a ignoré la détresse des Iraniens, allant jusqu’à réprimer férocement ceux qui osaient manifester leur désespoir en public.

On l’aura compris : l’Iran connaît l’une des périodes les plus dramatiques de son histoire contemporaine sur les plans économique, social et environnemental. Et c’est donc dans ce contexte qu’intervient la révolte initiée par les femmes peu après l’assassinat de Mahsa Amini par la police des mœurs le 16 septembre dernier, pour « mauvais port du voile » islamique.

Le Corps des Gardiens de la Révolution, bras armé de la République islamique

En Iran, plus de la moitié de la population a moins de trente ans. Les femmes représentent quant à elles 63% de la population universitaire. La jeunesse pèse donc de façon importante sur l’avenir du pays. Et le fait qu’elle soit en rupture avec le pouvoir fragilise forcément celui-ci.

« On a des difficultés à se nourrir. Il n’y a pas de travail et le gouvernement nous martyrise », explique F. 20 ans, étudiante, qui a participé aux manifestations dès le début. Déterminée, elle ajoute : « De toute façon qu’est-ce qu’on a à perdre ? Et puis nous sommes plus nombreux que lors des mouvements précédents […]. En tuant Mahsa Amini, les policiers ont frappé le cœur de l’Iran. Ils ont tué une jeune femme, mais aussi quelqu’un qui venait de la province. Ce qui lui est arrivé aurait pu m’arriver. Alors on n’a pas envie d’abandonner, même si la police nous tire dessus ».

Mais cette jeunesse héroïque se heurte à un adversaire redoutable : le Corps des Gardiens de la Révolution et sa milice civile des Bassidjis qui ne reculent habituellement devant aucune atrocité pour mater les mouvements de révolte. Ainsi, les pasdarans ont-ils multiplié les avertissements à l’égard des frondeurs alors que la violence est à son comble.

Selon un bilan de l’organisation non gouvernementale Iran Human Rights qui recense les atteintes aux droits de l’Homme en Iran, « au moins 76 personnes ont été tuées lors des manifestations nationales déclenchées par le meurtre de Mahsa Amini par la police la semaine dernière. Au moins six femmes et quatre enfants figurent parmi les personnes tuées. Des manifestations ont eu lieu (hier) à Téhéran, Yazd et Karaj malgré la répression sanglante […]. » L’ONG précise que « la plupart des familles ont été contraintes d’enterrer discrètement leurs proches la nuit et ont subi des pressions pour ne pas organiser de funérailles publiques. De nombreuses familles ont été menacées de poursuites judiciaires si elles rendaient leur décès public ». Elle met enfin en garde « contre la poursuite des meurtres de manifestants et l’utilisation de la torture ». S’ajoute à ce triste bilan l’arrestation de 1 200 manifestants et de plusieurs avocats et journalistes. Selon Richard Sédillot, avocat spécialiste des droits de l’Homme « au moins quatre avocats ont été arrêtés. Il s’agit de Mahsa Gholamalizadeh, Sayeed Jalilian, Milad Panahipoor et Babak Paknia. Mais ils sont sans doute plus nombreux derrière les barreaux ».

D’après un communiqué du Comité de protection des journalistes en date du 27 septembre, au moins 23 d’entre eux ont également « été arrêtés alors que les affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants ont fait des dizaines de morts ».

Samedi dernier, les Gardiens de la révolution ont aussi bombardé des groupes kurdes iraniens basés en Irak en réponse à leur soutien aux manifestants.

En clair, les maitres de l’Iran n’entendent pas céder un pouce de terrain.

Organisation créée en avril 1979 sous l’égide de l’ayatollah Khomeini, le Corps des Gardiens de la Révolution est à l’origine une organisation paramilitaire. Avec le temps, elle s’est peu à peu substituée à l’armée qu’elle a reléguée au second plan. Elle tient également d’une main de fer les secteurs de l’industrie de la Défense, des télécommunications et de la construction. Forte d’environ 130 000 hommes, elle dispose de ses propres forces spéciales, de son aviation et de sa marine. Un ex-diplomate iranien explique sous couvert d’anonymat : « les pasdarans sont au cœur du régime. Ils sont à tous les étages de l’armée, des services de renseignement, de l’administration et du système économique. Ils sont nés et ils ont grandi avec la République islamique d’Iran qui leur a permis de s’enrichir. Tant qu’ils tiendront la police, l’armée et l’économie, ils protègeront le régime. Même si ce sont des idéologues et des mystiques qui se comportent en mafieux, il faut avoir conscience qu’ils sont les vrais maitres du jeu ».

Conscient de la situation inédite que traverse l’Iran et de la toute-puissance des pasdarans, le prince Reza Pahlavi – en exil aux États-Unis – appelait il y a quelques jours les forces de l’ordre iraniennes à cesser les violences contre les manifestants. « Certains imaginent que la solution passe par un revirement des Gardiens de la révolution. Mais c’est peu probable. Ils veulent protéger leurs acquis », analyse l’ancien diplomate. D’autant que les pasdarans répondent directement aux ordres du Guide de la Révolution Ali Khamenei et qu’ils sont également proches du président Ebrahim Raïssi, un ultraconservateur qui fut le responsable – en tant que procureur adjoint – de milliers d’exécutions de détenus politiques en 1988. Inscrit par les États-Unis sur une liste noire pour violation des droits de l’Homme, ce dogmatique de 61 ans n’a que faire des revendications de la jeunesse. Il considère que seule la charia détermine la ligne de conduite du régime et se trouve de facto être l’un des soutiens les plus sûrs des Gardiens de la révolution.

>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue de géopolitique Conflits <<

Emmanuel Razavi est Grand reporter. Diplômé de sciences politiques, il est spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient. Il est auteur de plusieurs documentaires pour Arte, M6, Planète et France 3. Il a collaboré avec le Figaro Magazine, Paris Match et Le Spectacle du Monde. Il est également conférencier. Dernier ouvrage paru : Grands reporters, confessions au cœur des conflits (Éditions Amphora, 2021).

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Pierre Berville, à lire de haut en bas

C’est une icône de l’âge d’or de la pub, l’enfant chéri des années 1980. Pour sa nouvelle vie, il a choisi la littérature, et son premier roman l’impose déjà comme un grand écrivain.


Je fais connaissance avec Pierre Berville en dévorant une belle pièce de viande au Bœuf couronné, restaurant bien connu des carnivores, boulevard de la Villette. Ce lieu sied à merveille à cet homme dont la stature et la chevelure imposantes me font penser à un ogre, pas un dévoreur d’enfants de contes de fées, mais un croqueur de vie, comme il n’en existe plus guère. Berville a d’ailleurs marqué le « monde d’avant » en créant, en 1981, une cultissime campagne de pub : la mannequin Myriam promet d’enlever le haut, puis le bas… et tient ses promesses !

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Pierre Berville est un enfant de la classe moyenne d’après-guerre. Il grandit à Asnières, au mitan du xxe siècle, lorsque tout était encore possible. Sa mère était institutrice et son beau-père, cameraman, collectionneur compulsif d’ouvrages de littérature populaire. Pierre, bien entendu, les a tous dévorés : « Je dormais dans la bibliothèque. » Cet électron libre fréquente un peu la fac de lettres de Nanterre puis accumule tous les petits boulots qui se présentent à lui : employé de banque, embouteilleur, éboueur… avant de débouler, presque par hasard, dans le monde de la publicité. Son talent, sa chance insolente, son dilettantisme – au vrai et beau sens du terme (de l’italien dilettante, « celui qui se délecte ») –, ainsi que sa « cool attitude » l’imposent rapidement dans le milieu et façonnent sa réputation de publicitaire de génie. Berville réussit tout ce qu’il entreprend, et sans en avoir l’air : c’est charmant, voire agaçant ! 

Mais pour lui, la pub, c’est désormais du passé, même s’il ne crache pas dans la soupe comme l’a fait Frédéric Beigbeder. Depuis quelques années, Pierre Berville se consacre à l’écriture. Après avoir publié J’enlève le haut : les dessous de la pub à l’âge d’or (Aquilon, 2019), récit de sa carrière haute en couleur, il passe aux choses sérieuses avec un premier roman, La Ville des ânes (Aquilon, 2021), un roman noir à la française qui plante son décor à Asnières. Un riche promoteur est jeté du haut d’une tour. Son ami d’enfance, un notaire discret, aux antipodes de l’univers impitoyable de l’immobilier, mène l’enquête. Pour l’auteur, cette intrigue est le prétexte pour décrire, avec délectation, un monde interlope fait de petits truands, de femmes fatales et de crapules magnifiques. Le style est virtuose, riche et précis, quant aux portraits des personnages, ils sont d’une justesse troublante. Lors d’une conversation téléphonique, j’ai dit à Berville, dans un cri du cœur : « Mais c’est du naturalisme ton bouquin ! Tu es notre nouveau Zola ! » Au fil de ses pages, comment ne pas penser à La Curée, ce chef-d’œuvre qui explore la spéculation immobilière sous le Second Empire ? Et il m’a avoué, en effet, que Zola était l’une de ses références…

On ne sait si Berville va se lancer dans une série façon Rougon-Macquart, mais il nous prépare une suite à La Ville des ânes.

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« Manières d’être vivant » de Baptiste Morizot: être un loup pour l’homme ?

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L’idée de l’animalité de l’homme, devenue banale aujourd’hui, n’aurait rien de choquant, si elle ne s’accompagnait pas de la négation de tout ce qui sépare l’homme de l’animal…


« Imaginez cette fable: une espèce fait sécession. Elle déclare que les dix millions d’autres espèces de la Terre, ses parentes, sont de la nature. A savoir: non pas des êtres, mais des choses, non pas des acteurs mais le décor, des ressources à portée de main. Une espèce d’un côté, dix millions de l’autre, et pourtant une seule famille, un seul monde ». C’est ainsi que se présente le dernier livre de Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, que publient les éditions Babel / Actes Sud. Livre inclassable et passionnant, écrit par un jeune philosophe qui est aussi pisteur de loups dans le Vercors.

Une curieuse philosophie

L’auteur se défend de tout « antispécisme » et de tout « égalitarisme » entre l’homme et les autres espèces. Pourtant son livre laisse une impression dérangeante. J’ai ressenti à sa lecture le même sentiment qu’en regardant sur Netflix la belle série documentaire consacrée aux Parcs nationaux du monde, présentée par Barak Obama. Dans un cas comme dans l’autre, des objectifs très louables (préserver la diversité des espèces, etc.) sont présentés avec talent – avec une écriture souvent poétique chez Morizot et des images incroyablement belles sur Netflix – mais avec aussi une philosophie discutable et inquiétante.

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Pour la résumer en quelques mots, cette philosophie prétend que l’homme est un animal comme les autres et qu’il n’a aucune raison de se croire différent (et encore moins supérieur) aux autres. Lorsque l’auteur évoque notre « ascendance commune » avec les « autres animaux », il peut sembler énoncer un truisme. Lorsqu’il raconte ses virées nocturnes sur les traces des loups et relate ce « sentiment étrange » d’appartenir « tous à la même grande meute multispécifique », il nous dit en fait que l’homme n’est qu’un loup. Cette idée de l’animalité de l’homme – devenue si banale aujourd’hui qu’on a peine à la contester – n’aurait rien de choquant, si elle ne s’accompagnait pas en effet le plus souvent de la négation de tout ce qui sépare l’homme de l’animal, de tout ce qui lui confère sa dignité éminente. 

« Manières d’être vivant », Baptiste Morizot / Amazon

L’homme a un statut unique

A l’ère du grand magma idéologique et de l’égalitarisme absolu qui caractérise notre temps, il devient difficilement audible de rappeler que l’homme n’est pas qu’un animal. Il possède une âme, un libre-arbitre, un langage qui le séparent radicalement du reste de la création. Le passage consacré au « langage des loups » est révélateur à cet égard. L’auteur décrit avec force détails et avec un grand savoir comment communiquent les loups entre eux et comment ils répondent à ses propres hurlements. Mais il en déduit de manière très forcée que « le hurlement du loup » est « performatif », tout comme le « je t’aime » selon Roland Barthes… comparaison révélatrice.

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Peut-on encore rappeler qu’aucune espèce animale ne connaît de véritable langage et que toute comparaison entre les langages animaux et le langage humain repose sur un présupposé idéologique et sur un anthropomorphisme largement abusif ? A-t-on encore le droit de dire que l’homme est bien plus qu’un animal, car il est capable de sentiments élaborés, de projets et de pensée ? L’idée de nature que conteste Baptiste Morizot n’a pas été véritablement remplacée, car ni le concept de « cosmos » ni celui de « planète » qui sont aujourd’hui utilisés ne rendent compte de la place de l’homme dans la nature et dans l’univers et ne font droit à son statut unique. 

L’anthropologie biblique tellement contestée par les écologistes de tout poil (Morizot ne fait pas exception à cet égard) n’a pas été dépassée depuis deux mille ans, dans sa manière si intelligente de décrire la spécificité de l’homme, créature duelle, proche de l’animal mais en même temps tellement différent de lui. L’alternative à l’idée biblique de l’homme comme joyau de la création reste donc en définitive le plus souvent, aujourd’hui comme hier, celle de l’homme loup pour l’homme…

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Guerre en Ukraine : le combat pour Lyman

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A Moscou, Vladimir Poutine célèbre les résultats des référendums qui, selon lui, justifient l’annexion à la Russie des territoires de l’est de l’Ukraine. Pourtant, au même moment, les forces ukrainiennes semblent sur le point de prendre la ville de Lyman, dont la perte serait un revers stratégique important pour les forces russes et pro-russes dans la région.


Une manœuvre d’encerclement ukrainienne sur le front du Donbass est sur le point de couper la ville de Lyman, occupée par les forces russes et pro-russes de leurs arrières. Si l’opération réussit et les forces russes n’arrivent pas à briser le siège, les Ukrainiens pourraient prendre la ville et accomplir la reconquête de la région de Kharkiv. Ainsi, les forces ukrainiennes seraient en bonne position pour menacer voire percer la ligne tenue par les Russes le long des rivières Oskil et Donets. Kiev pourrait alors envisager la reconquête de la région de Severodonetsk-Lysychansk, prise par Moscou en juin.  

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Les milblogueurs (spécialistes des affaires militaires russes et pro-russes publiant sur Telegram et autres réseaux sociaux) et des correspondants militaires de premier plan cités par l’Institute for the Study of War, think tank américain spécialisé dans les questions de défennse, expriment ouvertement leur inquiétude suite aux avancés des Ukrainiens autour de Lyman. Selon eux, les forces russes dans cette zone pourraient faire face à une défaite imminente. Ils ont constaté que les troupes ukrainiennes ont avancé à l’ouest, au nord et au nord-est de Lyman et qu’elles s’efforcent d’achever l’enveloppement du dispositif militaire russe dans et autour de la bourgade qui comptait avant la guerre un peu plus de 20000 habitants. L’importance de cette localité est facile à deviner du fait que Lyman accueille le siège de l’entreprise « Réseau ferré de Donetsk ».  Les troupes ukrainiennes menacent depuis quelques jours déjà les positions russes et les lignes de communication qui soutiennent le dispositif russe de Lyman. Cependant, les Russes à Lyman ne reculent pas, ce qui laisse croire qu’ils appliquent l’ordre donné par le chef de l’État suite aux défaites des dernières semaines, interdisant à ses troupes tout retrait.     

Un effondrement de la poche de Lyman aurait des conséquences importantes pour le dispositif russe dans l’ensemble du nord de l’oblast de Donetsk et de l’ouest de l’oblast de Luhansk. Ainsi, au moment où à Moscou on fête l’annexion de ces régions à la Russie, sur le terrain l’armée ukrainienne est sur le point de reprendre une partie de ces territoires et, plus important encore, de mettre sérieusement en doute la capacité des forces russes et pro-russes de les tenir.    Trois semaines après la contre-offensive ukrainienne dans l’est de l’Ukraine, Kiev ne cesse d’exploiter sa victoire et pousser son avantage.

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La Russie continue à opposer une résistance ferme et organisée à la fois à l’est et au sud dans la région de Kherson mais la stratégie ukrainienne semble marcher : maintenir la pression sur un adversaire fatigué et empêtré dans des problèmes de logistique, de moral et de commandement. Pour le moment, selon l’information disponible, il est difficile d’envisager une prise d’initiative importante du côté russe avant plusieurs semaines voir quelques mois.  

Laideur du signe

De tous les facteurs d’enlaidissement de l’espace sensible, la profusion signalétique est un des plus agissants. Faut-il y voir encore une manifestation du terrible « remplacisme global », le remplacement de tout par son signe, son nom, son double, sa contre-façon?


Tant qu’il s’agit de la laideur, on me laisse le choix du sujet. Je n’en ai que l’embarras. Ce pourrait être la laideur de la langue, bien sûr, mais je me suis déjà beaucoup exprimé là-dessus ; la laideur du vêtement, qui fait que les sites, les villes et les monuments les plus beaux de la Terre sont tout de même affreux puisqu’il s’y presse des foules venues comme elles étaient, l’idée de s’habiller en fonction des circonstances, des heures et des lieux, ayant tout à fait disparu ; la laideur des manuels scolaires, et de la plupart des livres pour enfants, et d’ailleurs de tout ce qui est pour les enfants, à commencer par les jouets, comme si les éditeurs et les industriels se sentaient un devoir moral de préparer les futurs pensionnaires du Bidon-Monde à l’horreur qui les attend ; la laideur des éoliennes, mais j’en ai déjà parlé ici même ; la laideur de la Grande Pelade, cette manie de l’arrachement des enduits, sans doute un des éléments qui, avec les éoliennes et l’artificialisation, a le plus dévasté le paysage depuis un demi-siècle, tout en rendant inintelligibles l’architecture et la syntaxe des façades. Mais je choisis pour cette fois le signe. Il a pourtant un joli nom, bien des mérites et des vertus. Néanmoins je suis un partisan passionné de la désignalisation générale, car nous sommes les victimes, aussi, d’une submersion sémiotique éhontée.

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Ce n’est bien sûr pas tout à fait surprenant dans le monde du remplacisme global davocratique, qui a le remplacement pour geste inaugural et la substitution pour principe. Le signe est le remplacement par excellence, puisque par définition il n’est pas la chose mais son emblème, son ersatz, son tenant-lieu. La publicité, qui est à la fois la langue nationale, la poésie épique, la pornographie et le catéchisme de la gestion du parc humain par Davos, ne se contente pas de prescrire ce que doit être le monde, elle le remplace comme elle l’entend, et à présent très littéralement, puisqu’à la moindre occasion elle le recouvre, en s’attaquant de préférence bien sûr à ses monuments les plus augustes : ainsi les palais de Gabriel, place de la Concorde, à Paris, qu’aucun Parisien ni provincial ne se souvient plus avoir jamais vus autrement que sous des bâches à la gloire de montres de luxe, d’assurances ou de parfums ; de même que la Madeleine et maintenant l’Opéra, où une personne de forte corpulence et de complexion adèle, remplaçant les fluettes étoiles de jadis, est offerte en exemple, au nom de Nike, et dans une langue qui n’est pas la nôtre, de ce que c’est que de posséder le sol, Own the floor. Je ne sais si les temples de religions plus soupe au lait ou moins dans les choux pourraient être soumis à traitement de ce genre, mais les églises y sont couramment assujetties, et les châteaux, et les palais même de justice, et jusqu’aux sièges des pouvoirs officiels, comme si les vrais pouvoirs n’avaient plus à se cacher de les offusquer.

Ce n’est pas seulement la publicité qui se substitue au monde réel, c’est aussi la pédagogie, avec plus de désintéressement affiché. La pédagogie a déjà l’école à son tableau de chasse, elle est en passe d’y ajouter la démocratie en prêtant son nom à l’endoctrinement perpétuel et en tenant parmi nous la place qui revenait en Union soviétique à l’internement psychiatrique, puisque toute divergence des maîtres avec leur peuple se traite désormais à travers elle, le confirmant dans son statut d’enfant et participant de la sorte à l’infantilisation générale, revers et terreau de l’hyperviolence. Et je ne sais si la pédagogie détruit le monde, mais elle le remplace, ce qui est chaque jour un peu moins loin d’être la même chose. Tout est remplacé par son signe, son explication, son commentaire, le discours didactique sur sa réalité. Même les Monuments historiques – je veux dire ici l’institution – sont apparemment incapables de laisser longtemps les bâtiments dont ils ont la charge sans de gigantesques panneaux qui peuvent rester en place des années durant et qui apprennent tout sur la part de l’État, de la région, du département et de la commune dans le financement de travaux qui souvent paraissent n’avoir aucune existence réelle, mais dont sont mentionnés sans en omettre pas un [1] tous les entrepreneurs et artisans censés y prendre part. Quelquefois les panonceaux sont d’un intérêt plus grand, et leur teneur plus historique, ou artistique : mais toujours ils oblitèrent ce qu’ils expliquent ou décrivent.

A lire également, l’interview de Renaud Camus par Elisabeth Lévy et Martin Pimentel: Renaud Camus: “La liberté d’expression dans la France de 2020 n’est pas menacée: elle n’existe pas”

Il faudrait contraindre les maires, les administrateurs, les responsables d’édifices ou de sites précieux à photographier ou seulement à regarder dans le viseur d’un appareil photographique les lieux dont ils ont la charge, avant de prendre la moindre décision les concernant. Peut-être verraient-ils dans un objectif ce que d’évidence ils ne voient pas dans la réalité ; et combien le bavardage visuel, la profusion des signes, les affiches, les plaques, un simple placard dans une porte (ah, cette manie des feuillets punaisés sur les portes !) suffisent à détruire le silence d’architectures remarquables, qu’elles soient de l’art ou de la nature ; à les empêcher d’être. Laissez un peu les choses tranquilles, pour l’amour du Ciel ! Dé-pédagogisez ! Dé-publicisez ! Dé-signalisez ! Cessez de remplacer le texte par son commentaire, la grâce par son explication, l’objet par son nom, le produit par sa marque, la poésie par son mode d’emploi.

Il faudrait un droit des édifices à la dignité pour les protéger des banderoles, des réclames, des panneaux de signalisation, des lampadaires et des oblitérations de fenêtres. Ici le remplacisme et la technologie peuvent servir à lutter contre eux-mêmes, peut-être. Puisque tout ce qu’il faut savoir de tout est dans les smartphones, désormais, puisque chacun a dans sa poche des dictionnaires et des cartes, puisqu’il n’est plus une voiture sans son GPS, ne pourrait-on rendre un peu le monde à lui-même, enlever les panonceaux, libérer les villes de leurs flèches et les choses de leurs signes ?


[1] Ceci n’est pas une faute, contrairement à ce que j’ai cru. La réponse de Renaud Camus à mon objection : Sans en omettre pas un est un archaïsme précieux et une semi-plaisanterie, j’en conviens. « On pouvait dire autrefois sans pas un. Cette tournure a disparu bien que l’expression sans aucun soit bien vivante » (Dupré).  

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École islamiste à Valence : l’abdication de l’État

Faute de positionnement clair de l’État et de l’Éducation nationale, les maires sont laissés seuls face aux pressions communautaristes. Le cas de l’école musulmane IQRA en est un nouvel exemple.

A Valence les passions se déchainent autour de l’école musulmane IQRA et de la décision du maire de lui vendre un terrain afin que celle-ci puisse quitter l’enceinte de la mosquée Al Fourquane, où elle est hébergée actuellement. Toute l’affaire ressemble fort à une énième histoire de clientélisme électoral où, en échange des voix de la communauté musulmane, la promesse de vente d’un terrain par la mairie sert de monnaie d’échange. Une illustration classique de la puissance des islamistes, ici canal Frères musulmans, et de la faiblesse des édiles locaux. Sauf que beaucoup de choses ne cadrent pas dans le tableau. Et si cette histoire était surtout emblématique de la lâcheté et de l’incohérence de l’État et de ses représentants, qui laisse en première ligne les corps intermédiaires sans leur donner ni les moyens ni une doctrine pour agir ?

Un maire proche de Laurent Wauquiez

A Valence, la situation est différente des banlieues ghettos de la région parisienne où des villes importantes se gagnent avec un différentiel de voix assez réduit et où le « vote musulman » peut faire la différence. Il se trouve en effet que le maire de la ville n’a nul besoin de ce type d’apport de voix pour se faire élire. Aux dernières élections, il est passé au 1er tour, avec un score proche de 60%. L’homme a bonne presse et une forte équation personnelle. Cela se voit lorsque l’on compare son score aux municipales et le score de son parti LR aux élections qui ont suivi. La décrue est nette. Proche de Laurent Wauquiez, lequel est sans ambiguïté au sujet de la lutte contre l’islamisme, sa décision de vendre ce terrain a surpris jusque dans les rangs de LR.

On peut s’interroger sur ce qui amène ainsi des maires qui peuvent se passer de tout clientélisme pour assurer leur réélection à se faire ainsi piéger par les associations cultuelles islamistes. Le cas de Valence est emblématique.

Cette école IQRA, rebaptisée Valeurs et Réussite, dépend de l’association du même nom. Comme souvent dans ce type d’association, l’affiliation à la mouvance Frères musulmans n’est pas revendiquée. Pour voir quels sont les liens de cette association avec les islamistes, il faut creuser ses références, suivre ses leaders, voir les personnalités qu’elle invite et les liens qu’elle tisse. Un travail qui demande une certaine connaissance du milieu islamiste. Connaissances que n’ont pas forcément les élus locaux et employés municipaux. Or, ce sont les services de l’État, ici le renseignement territorial, la préfecture et le ministère de l’Éducation nationale qui sont chargés de les alerter.

Dans le cas de Valence, l’école islamiste existe depuis 2012. Selon une déclaration du maire faite en réponse à l’article de Charlie Hebdo qui a révélé cette affaire, l’école était inspectée chaque année et n’avait fait l’objet d’aucun signalement autre que lié aux conditions d’accueil des enfants. Les rapports étaient positifs quant à l’enseignement. La préfecture quant à elle n’avait jamais alerté sur la proximité du milieu associatif lié à la mosquée de Valence avec les Frères musulmans. Aucune alerte n’avait été donnée et aucun signalement transmis.

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Pourtant il n’était pas bien difficile pour les services de l’État de se rendre compte qu’un petit éco-système islamiste associant mosquée, école et autres associations au sein d’un Collectif pour la Reconnaissance de l’islam était en train de s’organiser. L’âme de ce regroupement est l’imam Abdallah Dlioulah, dont il est très facile de voir les accointances islamistes. Sa participation aux rencontres de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), sa proximité avec le guide spirituel des frères musulmans, l’imam Al Qaradawi, son soutien à un des représentants de la confrérie le plus célèbre, Erdogan, plus récemment à Hassan Iqioussen, ou sa mobilisation en faveur des instituts de formation d’imam (IESH) contrôlés par les islamistes en atteste. Pour autant, l’homme a été invité aux assises de l’instance de dialogue avec l’islam organisées par le ministère de l’Intérieur, en tant que représentant de la Drôme. Difficile donc sur le terrain de se faire une idée claire de l’idéologie des porteurs de projet au vu du silence de l’État et du soutien de l’Éducation nationale.

Dans ce cadre, rien ne permettait au maire de s’opposer à ce que cette école hors contrat poursuive ses activités et achète un terrain pour s’étendre. Les choses sont d’autant plus délicates qu’un discours politique émanant principalement de la gauche alimente l’idée que les musulmans seraient persécutés en France. Or, ce discours de victimisation fonctionne et est repris bien au-delà des rangs des islamistes. Autre problème, là où dans les autres religions les intégristes et les tenants d’une lecture politique de la religion sont marginalisés et déconsidérés, en islam ils tiennent le haut du panier, sont les plus riches et les plus influents, disposent d’états et de finance pour diffuser leur propagande. Ils sont parfaitement insérés dans le tissu communautaire et donnent le la. Les ecosystèmes islamistes mêlent croyants non radicalisés et frères musulmans très bien formés. Ajoutons aussi que les frères musulmans sont de purs politiques. S’il faut surseoir sur le port du voile dans l’école pour arriver à leurs fins, ils le feront, en attendant d’être assez puissants pour imposer leurs règles. D’ailleurs dans l’école de Valence en question, le port du voile n’était pas autorisé.

Une influence aussi subtile qu’efficace

Autrement dit, l’islamisme chimiquement pur n’existe pas et sur le terrain les choses ne sont jamais aussi claires qu’en théorie. L’écosystème associatif musulman de Valence baigne bien dans l’influence islamiste des frères musulmans, mais d’une façon suffisamment subtile pour que sans alerte de l’État, il soit compliqué pour le maire de résister à leurs offensives de séduction et à leurs revendications. D’autant plus compliqué que c’est au nom de la neutralité de l’État et de l’égalité de traitement que les revendications communautaristes sont exprimées. Elles mettent en avant à la fois soupçon « d’islamophobie », donc de racisme, et revendication de prise en compte légitime. Grâce au chantage au racisme systémique et à la réclamation de visibilité, les islamistes se font les porte-voix des musulmans et les interlocuteurs des pouvoirs locaux. Et de fait leur influence dépasse leurs simples rangs. Sans alerte constituée de l’État, les pouvoirs locaux ont peu de moyens de résister. Or, d’alerte de l’État, à Valence, il n’y eut point. Les services se réveillent maintenant car la polémique ayant éclaté, nul ne veut se voir accuser de n’avoir pas fait son travail. Ainsi la préfecture vient d’écrire au maire pour lui demander de revenir sur sa décision au vu des éléments dont il dispose à propos de l’extension de cette école, alors que celle-ci fonctionne avec l’aval des autorités depuis 10 ans…

Lors du Conseil municipal qui devrait avoir lieu ce lundi, le retrait de la délibération litigieuse est à l’ordre du jour, le Maire ayant reçu un avis circonstancié de la préfecture. Il aura fallu une polémique nationale et la crainte pour le ministère de l’Intérieur de se voir accusé de jouer un double jeu et de ne pas faire son travail de renseignement pour que le nécessaire soit fait par l’État. A Valence, ce n’est pas le clientélisme électoral qui explique la faiblesse de réaction face aux manœuvres des islamistes, mais bien la lâcheté et les incohérences de l’État.

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Sandrine et la tentation Stasiste: la vie des autres et celle d’Adrien Quatennens en particulier

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Exploitant un différend d’ordre privé, Sandrine Rousseau détruit la réputation du dauphin de Jean-Luc Mélenchon au risque de déstabiliser toute la coalition dont elle fait partie. Cette façon de s’immiscer dans la vie intime des autres rappelle les pires travers de l’Allemagne de l’Est communiste.


En 2006, le film allemand La Vie des Autres met en scène un officier allemand de la Stasi à Berlin Est, chargé de surveiller un couple afin de compromettre le rival politique de son supérieur hiérarchique. Installé au-dessus de l’appartement de ceux qu’il est chargé d’espionner, il s’imprègne de leur quotidien et devient leur intime, par procuration. Le film décrit l’univers de suspicion et de délation en ex-RDA et le pouvoir de la STASI de s’immiscer dans la vie de chaque citoyen, poussant jusqu’à la dénonciation de leurs proches et certains jusqu’au suicide.

Apparu sur la scène politique française à la faveur des élections présidentielles de 2017, Adrien Quatennens fut l’un des porte-paroles de la campagne de Jean Luc Mélenchon qui l’investit par la suite pour les législatives et dont il sort victorieux. Issu d’une famille de la classe moyenne, il n’a pas suivi le parcours classique des élites politiques de notre pays: pas d’école alsacienne, ni de classe prépa dans les grands lycées, le fils de technicien et de vendeuse n’est pas né avec les codes. Pas de stage chez McKinsey pour le titulaire d’un modeste BTS. Armé de sa seule fibre militante, il se fera seul.

Mini-Mélenchon

Figure montante de LFI, Adrien Quatennens prend progressivement la lumière des plateaux des chaînes en continu et est régulièrement invité dans les matinales des radios. Coupe au carré, le regard perçant, la posture assurée et le verbe déterminé, l’ancien conseiller clientèle chez EDF se révèle progressivement un excellent débatteur, doté d’une colonne vertébrale politique robuste. Son assurance et ses convictions étayées, malgré sa relative jeunesse, détonnent parmi ses pairs de LFI, plus expérimentés mais au style plus emprunté. Ils se contentent souvent d’anôner et de répéter servilement ce-que-Jean-Luc-pense, le talent en moins. Nommé coordinateur du parti en 2019, c’est-à-dire successeur putatif de Mélenchon, il est réélu député du Nord en juin 2022. Il est l’avenir de LFI car adoubé par le chef. La formation d’extrême gauche sait identifier les jeunes talents, les coûver le temps nécessaire afin que les jeunes pousses éclosent au moment utile. Adrien Quatennens est fait de ce bois. 

Souverainiste de gauche, canal Chevènement, j’ai de nombreux et sérieux désaccords avec le parti de Jean Luc Mélenchon, principalement celui d’attiser et d’encourager les communautarismes de tous poils et les revendications victimaires les plus insensées. Néanmoins, l’honnêteté me pousse à admettre que l’on peut se retrouver sur des lignes telles que la défense de notre industrie ou sur l’Europe avec le refus de partager notre siège au Conseil de Sécurité, thèmes où l’Autre gauche semble avoir définitivement capitulé. Je sais donc faire la différence entre un adversaire politique, qu’il convient de combattre avec force et vigueur, et un ennemi. LFI est, pour moi, à ranger dans la première catégorie, l’adversité sans compromis n’étant pas incompatible avec une certaine forme de respect.

Pâle resucée bâclée du Programme Commun, version plus petit dénominateur commun, la NUPES réunit toutes les caractéristiques d’une improbable arche de Noé politique vouée à l’impasse. Issues de deals d’arrière-boutique conclus à la va-vite, entre l’élection présidentielle et les législatives, entre LFI et deux partis aux abois électoralement et financièrement, les investitures n’ont pas eu le temps de faire dans la dentelle électorale. Inévitablement, quelques Françoise et François Pignon, attirés par la gamelle, se sont invités dans ce dîner électoral, à fort relent de tambouille.

Parmi ces ingénus, l’inratable “écolo-féministe” (auto-désignée) Sandrine Rousseau, finaliste malheureuse de la primaire des Verts et sniper en chef du candidat désigné par son propre parti. Véritable cinquième colonne hors de contrôle, elle n’aura de cesse de plomber la campagne de Yannick Jadot qui ramait pour ramener un peu de rationalité et de laïcité dans son camp. Sentant l’opportunité d’affaiblir un peu plus la pièce rapportée écologiste en donnant une promotion à la dissidente, LFI s’empressa donc de valider la candidature de Sandrine Rousseau dans une circonscription parisienne en or, située en plein Boboland. Divisons pour mieux régner, pour LFI, elle sera la garantie que la zizanie règnera dans les rangs écolos, l’agent agitateur permanent qui les dynamitera de l’intérieur. Malheureusement, le calcul diabolique des insoumis se retournera contre ses initiateurs. L’idiote utile et illuminée n’aura pas la reconnaissance du ventre.

Pasionaria sans aucune discipline

Par la grâce d’une déposition qui aurait dû rester consignée dans l’enceinte d’un commissariat, un différend d’ordre privé, un divorce conflictuel, vient percuter la carrière prometteuse du député Quatennens. La main courante, qui relate une gifle, atterrit opportunément dans la boîte à lettres du Canard Enchaîné qui se fait immédiatement l’écho de l’incident. Malgré les protestations de la principale intéressée, la compagne du député, le contenu sera exploité sans vergogne par Sandrine Rousseau. La réputation du talentueux héritier de Mélenchon est carbonisée et son ascension dans l’appareil est stoppée net. Le chef même en est réduit au silence après qu’il a évoqué, un peu maladroitement et sans doute trop rapidement, la dignité de son protégé.

Avec ce nouveau fait d’arme dans sa besace, la nouvelle pasionaria des écolos parvient à alimenter le cirque médiatique pendant toute une semaine, alors que l’Ukraine est sous les bombes, que la Russie se crispe et qu’une crise énergétique sans précédent se profile. Jusqu’à présent, les radios et les télés se gaussaient des excentricités et des élucubrations de l’élue du 13e arrondissement de Paris. Les commentateurs riaient sous cape de ses multiples saillies verbales, au pire outrancières et, au mieux incongrues, sans que l’intéressée surtout ne se doute de rien, sur le format du fameux invité au dîner organisé par Thierry L’hermitte. 

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Étrangère à la discipline de parti chez les Verts, elle n’allait pas moins se gêner à la NUPES et donner libre cours à son naturel de social justice warrior, professionnelle de l’indignation, débusqueuse de toutes les micro-offenses de la vie, recruteuse de toutes les victimes à libérer, même malgré elles. Avec un air de nonne pure et habitée par le combat pour le Bien, elle sacralise de façon quasi christique la parole des femmes: comme la terre à une autre époque, la femme, elle, ne ment pas. 

Aujourd’hui, elle assigne à résidence un bébé-Mélenchon en privant de parole l’un des insoumis parmi les plus redoutables, en l’inscrivant au registre des délinquants politiques. La droite devrait-elle se réjouir des déboires de leur adversaire? Mauvais calcul car demain, le petit Pol Pot de salon pourrait faire bien plus de dégâts, au-delà de son camp, en remettant au goût du jour l’ostracisme et les condamnations à la mort sociale. Au contraire, la droite devrait dénoncer cette nouvelle pratique de “politisation de l’intime” (Mathieu Bock-Côté) qui déshonore les élus de la République et le débat public. Alors que le politique c’est la Cité, c’est-à-dire l’interdiction de pénétrer dans les foyers, dans les familles et, bien sûr, dans les couples. Après Quatennens et ses problèmes conjugaux, qui sera la prochaine Bête Immonde? Qui sera marqué du sceau de l’infamie, condamné à la relégation? Si elle n’a aucun scrupule à tirer dans le dos du meilleur des siens, elle en aura encore moins à en sacrifier d’autres sur l’autel de la respectabilité politique ou de la simple dignité. 

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Avec Sandrine Rousseau, on a désormais la preuve qu’il existe bien une extension du domaine de la lutte, c’est celui de la bêtise et ce n’est pas de bon augure: au-delà de l’excentricité rigolote de ses propos, plutôt révélateurs d’une fragilité mentale que d’une rigueur académique, on est en droit de s’inquiéter. Elle offre le visage immature du militant illuminé, au premier abord inoffensif. Mais, comme Poutine qui voulait aller “buter les terroristes tchétchènes jusque dans les chiottes”, elle n’hésitera pas à aller débusquer les comportements déviants jusque dans les lits. Avec son sourire d’amie qui nous veut du bien, elle est en train d’installer un désagréable climat de défiance, d’autocensure et d’inquisition moralisatrice. 

A vouloir fouiller dans la vie des autres, de préférence celle des hommes et des Blancs, elle représente un danger non seulement pour ses propres camarades, qu’elle n’hésite pas à clouer au pilori médiatique, mais aussi pour le débat politique de notre pays en général. Les Insoumis qui l’ont faite député doivent se mordre les doigts d’avoir promu cette gardienne (un peu trop) révolutionnaire. Ils doivent se dire qu’à trop surveiller la vie des autres, Sandrine Rousseau s’est trompée d’époque, de lieu et de milice. Sous la couverture de la pourfendeuse du patriarcat se dissimule, en réalité, un parfait agent de la Stasi qui s’ignore. 

Olivier Jouis est ancien cadre de Reconquête ! (responsable des Français de l’étranger), officier de réserve (Colonel de l’Armée de l’Air), et entrepreneur dans l’industrie aéronautique.

On dirait le sud

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D.R

Le patrimoine architectural de nombreuses communes méridionales est défiguré par des constructions anarchiques. Les vandales sont minoritaires mais agissent en toute impunité : les Bâtiments de France sont indifférents et les élus se disent impuissants. Témoignage.


Si tout le monde connaît #SaccageParis, le saccage de la France provinciale n’en est pas moins une réalité. J’en veux pour preuve le cas de mon propre village, près de Béziers. Depuis mon arrivée, il y a vingt ans, j’ai vu une charmante bourgade du XIe siècle étouffée progressivement par la construction en cercles concentriques de lotissements hideux ; la campagne environnante enlaidie par une urbanisation non autorisée ; et des bâtiments historiques défigurés par l’installation d’affreuses portes et fenêtres de style contemporain. Tout cela en raison de l’indifférence des Bâtiments de France et de la lâcheté des maires successifs qui refusent de faire quoi que ce soit de peur de contrarier certains électeurs.

Douce France…

Amoureux de la France depuis ma première visite à l’âge de 9 ans, j’ai finalement réalisé un rêve en achetant une maison ici il y a une vingtaine d’années. En 2015, j’ai même réussi à me faire élire au conseil municipal de mon village (un mandat qui a pris fin en 2020 avec le Brexit). Lors de ma première réunion du conseil, j’ai supplié le maire de sévir contre la fortification des nouveaux lotissements qui érigent des murs en parpaings non enduits. « Vous risquez de relancer la guerre de Cent Ans », m’a-t-il alors prévenu. Un avertissement qui, je l’avoue, n’a fait que stimuler ma rébellion : quand il m’a gentiment expliqué que de nombreux villageois étaient tout simplement trop pauvres pour effectuer des travaux de finition, je lui ai rétorqué qu’ils n’étaient pas trop impécunieux pour installer des piscines ou acheter des voitures neuves. Il a ensuite changé de tactique, prétendant qu’il était impossible de faire respecter la loi, parce que le processus juridique était trop long et coûteux. J’ai suggéré d’attaquer en justice une poignée de contrevenants, les plus flagrants, pour en faire des exemples. Le maire a promis d’écrire à quelques dizaines de délinquants pour les avertir qu’ils ne pourraient pas vendre leur maison tant qu’elle ne serait pas en conformité avec la loi. Les lettres, dûment envoyées, ont été dûment ignorées. Personne ne semble avoir été sanctionné et, pendant ce temps, la laideur initiale des murs s’est aggravée à cause des tags, renouvelés périodiquement.

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Lorsque, plus tard, j’ai acquis une magnifique maison de maître à l’intérieur de l’enceinte prétendument protégée du village, j’ai fait une demande en bonne et due forme aux Bâtiments de France afin d’obtenir les autorisations nécessaires pour faire des modifications. J’ai été convoqué à Montpellier pour une réunion avec des fonctionnaires qui m’ont informé de l’existence de règles très strictes. Ayant signalé ma ferme intention de respecter toutes les conditions, je leur ai demandé, à la fin de l’entretien, pourquoi les citoyens qui ignoraient de manière flagrante ces règles apparemment strictes n’étaient jamais inquiétés par les autorités. Embarrassé, le chef des fonctionnaires a avoué son impuissance.

Un combat quotidien contre la laideur

C’est seulement une petite minorité qui saccage le patrimoine local, qu’il s’agisse du prospère constructeur dont l’enclos de parpaing brut se dresse juste en face d’un monument historique, ou du propriétaire d’une magnifique villa à l’entrée de la bourgade dont les murs, faits de blocs de béton de 2,5 m, cachent sa nouvelle Mercedes. Aux alentours, à travers de superbes paysages, prolifèrent constructions sauvages, mobil-homes, véhicules abandonnés… Les plaintes sont transmises à la préfecture, en vain.

Soyons clair ! L’écrasante majorité de mes voisins est aussi horrifiée que moi. Nous avons une association pour la conservation du patrimoine local, dont je suis membre, qui s’investit passionnément dans la protection de notre environnement bâti. Elle a joué un rôle de premier plan dans la restauration de notre église et de nos anciens fours à chaux abandonnés. Nous venons de lancer une campagne pour sauver le moulin à vent en ruine. Mais lorsque quelqu’un a acheté l’ancien bureau de poste et en a arraché les fenêtres et les volets pour les remplacer par des horreurs en aluminium, nous sommes restés impuissants.

La mairie n’est pas totalement passive. Elle a restauré avec un certain goût le centre ancien du village, enfouissant les câbles électriques et téléphoniques. Mais elle n’a pas empêché les propriétaires de maison de défigurer leur toiture en y installant des Velux non autorisés ou en les démolissant partiellement afin de créer des terrasses. Il suffit de monter en haut du clocher de l’église pour voir des dizaines de violations du code, totalement ignorées.

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C’est ainsi que, contrairement à ce qui se passe à Paris, où le saccage est imposé d’en haut par la mairie elle-même, la dégradation des paysages ruraux vient d’en bas, des propriétaires eux-mêmes, qui agissent en toute impunité.

On me dit que le phénomène que je décris ici est propre au sud de la France, et il est vrai que je n’ai pas vu ailleurs de saccage à une échelle comparable. Mais de manière générale, l’avidité des promoteurs et l’indifférence des administrations ont provoqué ce qui semble être un effondrement de l’esthétique. La lâcheté des maires, le refus de l’État de faire respecter la loi et le mépris de certains citoyens pour leurs voisins ont mis ce pays sur la voie de la ruine. Joni Mitchell, la chansonnière canadienne, nous avait prévenus dans une balade (reprise en français, sous le titre « Le Grand Parking », par Joe Dassin) : « On ne sait ce qu’on a que quand il est trop tard » (« You don’t know what you’ve got till it’s lost »).

Ma dernière corrida

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Decorado, taureau de Victoriano del Rio, 520 kg. Arènes de Béziers, féria 2022 / © Guillaume Brunet-Lentz

Alors qu’une proposition de loi anti-corrida se prépare, il semble important d’envisager ce que l’interdiction de cet art signifierait sentimentalement, culturellement et socialement pour les aficionados qui peuplent une partie du sud de la France. Ce qui suit est une fiction qui, on l’espère, en restera une. Le narrateur est un homme de 70 ans, un homme de Béziers.


16 h 00, bientôt l’heure de partir pour les arènes. Aujourd’hui, pour toute la famille, j’ai pris les meilleures places, qu’importe le prix. Dans notre bonne vieille ville de Béziers, qui a vibré des années durant au son des paso-doble , des olé ! de la foule et des broncas du public, c’est ce soir qu’aura lieu la dernière corrida avant l’interdiction nationale. Je n’ose mettre, comme à mon habitude, l’une de mes chemises Souleiado, fleuries aux chaudes couleurs provençales, tant cette fête ressemblera aujourd’hui à un enterrement. C’est la gorge serrée, qu’en famille, nous prenons la direction des arènes, attendant de nous faire crever le cœur à l’estocade du dernier toro. Aux abords de la plaza du plateau de Valras, la foule est immense et silencieuse. Les visages sont graves, endeuillés. La masse de spectateurs s’engouffre lentement dans le temple. Tout le monde est arrivé très tôt. Avant d’entrer, je regarde ces arènes dans lesquelles, bientôt, je n’aurai plus de raisons de me rendre. C’est la dernière fois, je le sais. Il faut entrer, c’est l’heure. L’heure d’entrer pour la dernière fois. Depuis ma place, en fixant la piste, ébloui par le sable frappé de soleil, je me souviens de tant de grands moments vécus ici… comme cette corrida de Miura du 15 août 1983, où Nimeño II, Victor Mendes et Richard Milian toréèrent un lot de toros énormes qui, toute la course durant, semèrent la terreur du sable jusqu’au dernier rang des gradins et accrochèrent les trois matadors héroïques tour à tour, les envoyant à l’infirmerie des arènes entre les mains du docteur Jubié. Je me rappelle aussi les arènes combles et la chaleur étouffante pour l’alternative de Sébastien Castella – l’enfant de notre beau pays biterrois –, avec Enrique Ponce et le demi-dieu José Tomás… une tarde de toros inoubliable.

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Nous comprenions alors que Sébastien deviendrait un très grand torero et qu’il draperait d’orgueil et de fierté l’afición biterroise, comme Nimeño le fit avant lui pour Nîmes. Et puis évidemment, cette après-midi du 16 août 2006 où Cara Alegre, un toro de Valdefresno, fut gracié par Iván Garcia… ce fut le premier toro à connaître la grâce sur le sable des arènes de Béziers. Cette riche et glorieuse histoire, pleine de joie, pleine des larmes, des cris et applaudissements de tout un peuple, celui du sud de la France, s’arrête aujourd’hui. Car c’est bien le peuple qui se réunissait aux arènes, les riches et les pauvres, les jeunes et les vieux. C’est le peuple qui communiait dans les temples à ciel ouvert que nous ont construits et légués nos ancêtres. En 1859, dit-on, Béziers connut sa première corrida aux arènes montées sur le champ de Mars. Le dimanche 11 janvier 1897, on inaugurait les nouvelles arènes qui nous portent encore aujourd’hui pour cette dernière fête des gens de cœur, tandis que dans le toril, le toro s’apprête à vivre sa dernière célébration sur le sol français. Et demain ? Je ne parviens pas à me figurer ma ville sans toros. Est-il possible que tout se termine ainsi ? Qu’est-ce qui, après cela, nous réunira dans la joie, en famille et entre amis ? L’animalité, la nature, les vertus que sont le courage, la dignité, la maîtrise de soi, que nous avons faites Fête, à travers quoi les transmettrai-je à mes petits-enfants ? Et tous nos éleveurs, que deviendront- ils ? À quelques kilomètres d’ici, que deviendront tous ces toros de Margé qui paissent encore à cette heure dans les espaces infinis et sauvages que les hommes ont préservés pour eux ? Que deviendront tous les gosses des écoles taurines de Béziers, et ceux des autres villes, ainsi que leurs camarades si fiers de leurs copains toreros ? Abattus les rois cornus du campo ! Abattus les rêves des gamins toreros !

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Pour cette dernière corrida, beaucoup de Maestros ont refusé de venir toréer, craignant le malheur que ce signe pourrait leur porter. C’est Sébastien Castella qui, seul, assumera le lourd spectacle de cette cérémonie d’adieu. Le voilà qui entre en piste pour le paseo, en costume noir. Sa mâchoire est serrée. Il regarde ce public qui l’a vu grandir, cette arène qui donna un sens à sa vie. Ces milliers de regards sont bouleversés. Tous ces vieux, qui chaque année attendent l’été pour vivre cette passion du toro. Tous ces jeunes qui ont grandi dans cette fête, dans ce culte, et qui devaient un jour en savoir aussi long sur les toros que tous ces vieux. Tous ces visages qui bientôt seront défigurés comme le sera cette ville, dépouillée de son identité. Mais subitement, l’émotion quitte Castella car le premier toro entre en piste. Il le torée merveilleusement, capte sa fureur, se mure avec lui dans une danse tragique et pleine de grâce, puis l’en délivre par l’épée. C’est au tour du deuxième toro, puis du troisième, du quatrième, du cinquième.

Et voilà que le dernier toro entre sur le sable. Il jaillit du toril plein de fureur. Lui ne sait pas qu’à Béziers, c’est la dernière corrida et qu’il en est le dernier toro. Comme il ne sait probablement pas qu’il est mortel, et qu’il va mourir, sûrement. Seul son instinct le guide. Il charge, charge et charge encore. Arrive le temps de porter le coup fatal et de mettre fin à ce jeu. Arrive le moment – aujourd’hui tant redouté – de la mise à mort de la bête vénérée, et dans sa mort, celle de tout un peuple qui vit à travers lui. Un silence absolu pèse sur l’arène. Les larmes coulent sur le visage des femmes, sur le visage des hommes aussi. Le temps d’essuyer mes yeux humides, l’épée est déjà plantée. Le toro est mort. La foule applaudit comme jamais je ne l’avais vue applaudir, comme si elle tentait d’attirer l’attention des dieux, de les apitoyer sur son sort tragique. –>


Puente Jerez

Puente Jerez © Guillaume Brunet-Lentz

À Béziers, le taureau fait si fortement partie de la culture locale que la ville possède son musée taurin où eaux-fortes de Goya, habits de lumière et peintures se côtoient. Plus qu’un musée, c’est un temple avec ses reliques. On vient y admirer les costumes des héros morts, comme celui de Nimeño II, ainsi que les têtes des taureaux naturalisées après avoir combattu dans l’arène. Pour la féria 2022, le grand sculpteur espagnol Puente Jerez était l’invité d’honneur du musée. Son exposition est consacrée à Manolete, le plus grand torero de tous les temps, mort en 1947 à Linares suite à un coup de corne d’un taureau de Miura nommé Islero dans l’artère fémorale au moment même où il lui portait l’estocade. Puente Jerez sculpte la vie et la mort de ce matador de légende, et son intense histoire d’amour avec l’actrice Lupe Sino. Des sculptures exposées jaillissent l’amour, la douleur, la joie, la grandeur tragique, les passions sublimées par l’art tauromachique. Les taureaux que sculpte Puente Jerez sont des dieux. Il parvient de manière charnelle à en reproduire le charme singulièrement bestial, puissant et sensuel qui devait brûler Pasiphaé de l’intérieur.

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Puente Jerez évoque les mouvements anti-taurins redoublant l’offensive ces derniers temps : « Ce qui est en train de se passer n’est pas seulement “anti-taurin”, c’est un mouvement plus général qui est anti-tradition, anti-culture. Ce mouvement souhaite changer l’ordre, faire de nous des animaux et des êtres acculturés. Ils finiront par s’en prendre à tout. Et ils ont déjà bien commencé. Ils s’attaquent à l’opéra, à la danse, au cinéma, au théâtre. Ces gens détestent l’art en général, car l’art est lié à la tradition. Ils sont très peu, mais ont beaucoup de moyens et font beaucoup de bruit. En interdisant la tauromachie, on perdrait un langage, un travail scénique, une esthétique, des moments intenses de vie, une culture paysanne traditionnelle dédiée à l’élevage des taureaux. On perdrait cet animal que nous vénérons et que nous élevons uniquement pour la corrida, et avec lui les espaces quasi naturels que nous préservons pour lui. C’est un écosystème qui disparaîtrait car avec le taureau, dans ces grands espaces, vivent aussi des arbres, des fleurs, des insectes, des oiseaux. Et puis, chaque personne perdrait ce qu’elle vient chercher aux arènes. Car la corrida résonne différemment en chaque spectateur. La corrida nous permet de projeter sur elle nos doutes, nos peurs, nos questionnements, nos rêves. Ce qui me séduit moi dans la tauromachie, c’est l’honneur. C’est la grandeur. C’est la mort. Et puis, bien évidemment la joie. Cependant, je suis convaincu qu’exterminer une culture si enracinée n’est pas une chose facile, très heureusement. Et c’est pourquoi je ne suis pas si pessimiste.»


Arènes de Béziers, féria 2022 / © Guillaume Brunet-Lentz

–> Les applaudissements se prolongent, une minute, deux minutes, cinq minutes, dix minutes. Et puis, ils s’arrêtent. Pour nous, tout s’arrête dans ses applaudissements. Tout va bientôt finir. Tout est fini. Nous allons sortir de ces arènes, en sortir pour jamais. Toute l’année, nous attendions l’ouverture de la temporada … Qu’allons-nous attendre maintenant ? Privés de notre fête, de notre culte, de notre religion, qu’allons-nous devenir ? Nous les Biterrois, les Nîmois, les Arlésiens, les Bayonnais, les Montois, les Dacquois, les Vicois ou encore les Istréens… serons-nous encore ce que nous sommes ? Qu’allons-nous expliquer à nos jeunes toreros français qui, tant de fois, ont risqué leur peau face aux toros, qui tant de fois se sont fait attraper, blesser, encorner ? Que penserait notre martyr français Nimeño II, dont la vie fut brisée par un toro de Miura dans les arènes d’Arles en 1989, que penserait-il de la proscription de l’art auquel il sacrifia sa vie, votée par les députés du pays qui lui mit le toro dans le cœur ? Qu’en penseraient les jeunes Simon Casas et Alain Montcouquiol qui, rêvant de devenir matadors, s’entraînaient à Nîmes sur le Mont Margarot, avec pour seul toro une bicyclette armée de deux couteaux ? Sans la corrida, sans les toros, sans le culte du courage de l’homme habillé de lumière et de bas roses, qui seront nos enfants ? Des Américains comme les autres ? L’incompréhension que nous avons suscitée auprès d’autres régions ne nous connaissant que de réputation, de caricatures et de préjugés, se conclut par la destruction de notre peuple, celui du taureau. « Votre toast… je peux vous le rendre, Señors, señors ! Car avec les soldats, oui les toreros, peuvent s’entendre ! Pour plaisirs, pour plaisirs ils ont les combats ! […] Toréador, en garde ! Toréador ! Toréador ! Et songe bien, oui, songe en combattant, qu’un œil noir te regarde… » Plus jamais notre peuple sur sa terre n’entonnera de concert cet air de Bizet que nous avons fait nôtre. Un œil noir nous regardait bien… Y avons-nous assez songé ? Après une longue, une très longue faena face au monde moderne, à son hypocrisie et à son intolérance, nous perdons la partie. Tout est fini. C’était la fête du courage, la fête des gens de cœur. La fête est désormais terminée et chacun rentre chez soi, des souvenirs plein le cœur, et déjà la nostalgie nouée à la gorge.


Lexique

Miura : Élevage de taureaux réputés très dangereux, ayant tué une longue liste de matadors dont le célèbre Manolete.

Alternative : Passage, pour un torero, au grade suprême de Matador de toro lui permettant de toréer des bêtes les plus âgées et plus lourdes.

Tarde de toros : Après-midi de taureaux / corrida de l’après-midi.

Campo : Espaces quasi sauvages ou sont élevés les taureaux.

Paseo : Défilé des toreros sur la piste en ouverture de la corrida.

Temporada : Saison des corridas

Faena : Ensemble des passes données au toro par le Matador à l’aide de son morceau de tissus rouge appelé Muleta. Considérée comme la construction d’une oeuvre esthétique, la Faena précède la mise à mort.

La beauté en héritage

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Marilyn Monroe et Tom Ewell, dans le film "Sept ans de réflexion", de Billy Wilder (1955) / Twentieth Century Fox / Diltz / Bridgerman

Si la beauté revêt pour chacun de nous une part de subjectivité, elle repose aussi – surtout – sur des critères qui nous ont été transmis depuis l’enfance, sur une culture et des traditions. Loin d’amoindrir notre sensibilité, ce jugement arbitraire aiguise notre regard.


Cela pourrait ressembler à ces déjeuners dominicaux où on passe des heures à parler de la beauté des actrices, celles qu’on aime et toutes les autres. Et les échanges sont interminables, qui reposent sur la subjectivité de chacun et le plaisir de n’avoir rien à démontrer de plus que l’affirmation de ses propres goûts.

Il y a une volupté dans cet impérialisme de soi qui, sur la beauté, la laideur, la nature, la diversité des êtres et des choses, se contente de poser dans la vie ses évidences, persuadé qu’il est admis que ces matières infiniment sensibles relèvent au fond de l’indicible et qu’exiger de lui la preuve, par exemple, de la validité de ses choix esthétiques serait trop demander.

« Il faut aller au cœur de l’inconnu qui vous émeut pour tenter de le déchiffrer »

Pourtant il m’a toujours semblé, quand je contemplais, admirais ou me détournais, que dans mon appréciation il entrait une part qui ne dépendait que de moi, de mes critères, de mes humeurs, d’appétences si profondes qu’elles émanaient de l’enfance, mais aussi une autre plus objective que je pourrais tenter de définir à partir d’un certain nombre de paramètres susceptibles d’expliquer pourquoi celle-ci est belle et séduisante, et pas celle-là. Un mélange troublant et délicieux d’arbitraire et de rigueur. Contrairement à ce qu’on croit souvent, s’efforcer d’expliquer le mystère de la grâce, le surgissement d’une apparence parfaite, ne détruit pas la poésie des corps et des visages, mais y ajoute une élucidation qui fait beaucoup de bien. Il faut aller au cœur de l’inconnu qui vous émeut pour tenter de le déchiffrer. Comme pour justifier ses propres inclinations auxquelles il manquerait quelque chose si elles étaient laissées à elles-mêmes.

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Pour la beauté des paysages, des montagnes, de la campagne, de cette configuration infiniment diverse et contrastée qui fait de notre pays une carte du tendre, du ravissement, de la majesté ou de la joliesse en nous offrant, avec générosité, de quoi satisfaire notre sentiment d’évidence – comme c’est beau ! –, on pourrait considérer que la nudité splendide de ce qui se soumet à notre regard est la cause de notre émerveillement. On ne peut que rejoindre Alain Finkielkraut qui par exemple dénonce la prolifération des parcs éoliens « parce qu’ils transforment les campagnes en paysages industriels ».

Il y a, dans le consensus qui existe sur ce qui nous est donné par la nature, les arbres, les forêts, les rivières, la splendide et tranquille disposition de lieux nous touchant précisément parce qu’ils se livrent tels quels à nous, une sorte d’accord rassurant : est beau ce qui n’a pas été dégradé par le génie de l’homme ou la rentabilité du siècle, ce qui reste dans la pureté des origines et d’un développement dans lequel on s’est contenté d’accompagner, sans la dénaturer ni l’enlaidir, une esthétique que nous n’aurions pas su inventer avec une telle perfection. La beauté est ce qui demeure préservé. On pourrait aller jusqu’à soutenir, dans ce domaine, qu’elle s’impose comme la laideur se voit.

La Beauté avec un grand B

Pour l’appréciation de la beauté des êtres, on peut s’attacher à une conception classique qui, au regard d’éléments précis, constitue l’esthétique telle une science qui se voudrait exacte. La configuration du visage, les proportions du corps, la taille et la minceur, l’allure générale d’un ensemble offrant au regard la certitude d’une parfaite harmonie représentent des critères qui immédiatement au moins répondent au souci d’une définition objective de la beauté.

Mais cette approche est-elle la bonne ou la seule ? Je ne le crois pas. Il me semble – j’ai pu vérifier que ce sentiment ne m’était pas personnel – que l’esthétique ne consiste pas seulement à prendre acte d’une apparence et à la juger réussie ou non, mais qu’elle est aussi, peut-être surtout, indissociable d’une forme de désir virtuel.

La beauté que j’ai décrite plus haut, correspondant aux canons de la tradition, ne suffit pas pour que celui qui la regarde soit forcément dans le ravissement. Il y a des beautés qui offrent la froideur des statues, une absence d’animation du visage, une grâce tellement éloignée du commun qu’elle paraît condescendante, « d’ailleurs » comme l’a chanté Pierre Bachelet.

A lire aussi, l’interview d’Alain Finkielkraut par Jonathan Siksou: «Il n’y a plus d’obstacle aux avancées de la laideur» 

Cette perception aboutit paradoxalement au constat que la perfection (à la supposer incarnée, par exemple celle d’une Grace Kelly ou d’une Gene Tierney) est lacunaire, précisément parce qu’elle manque des failles de l’humanité, des défauts qui nous la rendraient plus familière et des singularités, aussi contraires qu’elles soient par rapport aux règles, qui renvoient profondément à ce que nous, nous désirons, à ce que nous, nous avons besoin de faire nôtre. Les corps parfaits ne sont pas ceux qu’on croit, les visages superbes non plus : les uns et les autres doivent nous devenir accessibles parce que notre sensibilité les a choisis. Ce qui nous émeut est la conjonction troublante d’une apparence avec nos tréfonds. Il y a des ruptures par rapport à la beauté établie qui pour nous sont des grâces. Une Monica Vitti nous touche par ce qui la distingue et l’entraîne vers nous par une séduction singulière. L’esthétique aussi a ses dissidences.

Il arrive d’ailleurs que certaines actrices mythiques aient eu conscience de cet écart entre ce qu’elles sont et leur aura indépassable. Marilyn Monroe, par exemple, parlant à Simone Signoret, lui déclare : « Regarde, ils croient tous que j’ai de belles jambes longues, j’ai des genoux cagneux et je suis courte sur pattes. » Et de fait elle l’est, mais peu importe puisque l’univers a décidé le contraire, l’a regardée autrement.

Cette analyse permet aussi de relativiser la notion de laideur. Absurdement, on s’étonne parfois d’un couple où une beauté indiscutable côtoie une apparence sans éclat, alors que celle-ci a pu être perçue sur un mode qui a conduit celle-là à dépasser sa superficialité au bénéfice de pépites invisibles, connues d’elle seule.

Cependant, une fois qu’on a tenté d’approfondir les mille variations de la beauté magnifique des paysages ou de la fulgurance esthétique et troublante de certains visages, sans flagornerie pour Causeur, je considère qu’il convient de féliciter l’équipe de cette publication infiniment libre et décapante pour le choix courageux de ce thème, dans le climat que nous subissons au quotidien. Comment ne pas rejoindre la conviction de cet architecte atypique qu’est Rudy Ricciotti quand il affirme qu’« aujourd’hui la beauté est considérée comme suspecte », ou encore que la laideur politiquement correcte est la conséquence du « laxisme, de la lâcheté et du déficit d’exigence. On imagine que c’est une manière d’être populaire, proche du quotidien, ce qui est lâche, déshonorant et stupide. »

Tout est dit.

Sauvons le droit d’honorer la beauté et d’écrire sur elle.

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Iran : quand les femmes défient le régime des mollahs

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SOPA IMAGES/SIPA/2209281722

Notre consoeur, la revue Conflits, vient de publier l’article suivant sur la situation actuelle en Iran. Le mouvement de contestation féministe qui s’étend à tout le pays depuis l’assassinat de Mahsa Amini par la police des mœurs le 16 septembre, va bien au-delà d’une simple revendication antivoile. L’Iran fait face à une crise économique, sociale et environnementale sans précédent à laquelle s’ajoute la brutalité d’un régime usé. Dans ce contexte, les manifestants peuvent-ils avoir raison des Mollahs ?

La République des mollahs fait face à un mouvement de contestation dont l’ampleur est inédite. Traversant toutes les couches de la société, celui-ci révèle au grand jour la fracture qui persiste entre une jeunesse en quête de modernité et un régime à la fois violent et usé.

Si les femmes ont toujours joué un rôle important dans la société iranienne, elles marquent aujourd’hui leur opposition à la République islamique en retirant ou brulant leur voile en public. Particulièrement sociabilisées, les Iraniennes sont en effet les mieux placées pour dire à quel point celle-ci a fait du tchador l’un de ses piliers idéologiques.

Pauvreté et problème d’eau

Leur mouvement de révolte, légitime, va pourtant bien au-delà du simple refus de porter cet accessoire qui les enferme. Car la société iranienne est à bout de souffle. Le pays, qui compte 83 millions d’habitants, traverse une crise économique sans précédent depuis 1979. Plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et des millions d’Iraniens peinent à se nourrir. Alors qu’une partie du territoire est constituée de plaines arides en proie à un climat semi-désertique, le Corps des Gardiens de la Révolution islamique, qui a la main mise sur plus de 60% de l’économie, a permis la construction de nombreux barrages en contrepartie d’importants dessous de table. À cela s’ajoutent le mauvais état du réseau de traitement des eaux usées et le réchauffement climatique. Résultat de cette politique mafieuse déconnectée des problématiques environnementales : deux tiers du pays sont en situation de stress hydrique et dans certaines provinces, des populations entières n’ont plus accès à l’eau potable.  

Selon une analyse du World Resources Institute publiée en 2019, les ressources en eau sont de « mauvaise qualité » dans plusieurs villes, voire insuffisante.

Plusieurs localités ont ainsi connu, ces dernières années, des pénuries d’eau ainsi que des coupures d’électricité. En 2021 à Ispahan, des manifestants avaient déjà interpellé le président Ebrahim Raïssi sur la tragédie en cours. Leurs cris d’alarme se sont répétés durant l’été 2022 en raison de la sécheresse. En vain. Car le régime s’est montré inapte à apporter des solutions concrètes. Au contraire, il a ignoré la détresse des Iraniens, allant jusqu’à réprimer férocement ceux qui osaient manifester leur désespoir en public.

On l’aura compris : l’Iran connaît l’une des périodes les plus dramatiques de son histoire contemporaine sur les plans économique, social et environnemental. Et c’est donc dans ce contexte qu’intervient la révolte initiée par les femmes peu après l’assassinat de Mahsa Amini par la police des mœurs le 16 septembre dernier, pour « mauvais port du voile » islamique.

Le Corps des Gardiens de la Révolution, bras armé de la République islamique

En Iran, plus de la moitié de la population a moins de trente ans. Les femmes représentent quant à elles 63% de la population universitaire. La jeunesse pèse donc de façon importante sur l’avenir du pays. Et le fait qu’elle soit en rupture avec le pouvoir fragilise forcément celui-ci.

« On a des difficultés à se nourrir. Il n’y a pas de travail et le gouvernement nous martyrise », explique F. 20 ans, étudiante, qui a participé aux manifestations dès le début. Déterminée, elle ajoute : « De toute façon qu’est-ce qu’on a à perdre ? Et puis nous sommes plus nombreux que lors des mouvements précédents […]. En tuant Mahsa Amini, les policiers ont frappé le cœur de l’Iran. Ils ont tué une jeune femme, mais aussi quelqu’un qui venait de la province. Ce qui lui est arrivé aurait pu m’arriver. Alors on n’a pas envie d’abandonner, même si la police nous tire dessus ».

Mais cette jeunesse héroïque se heurte à un adversaire redoutable : le Corps des Gardiens de la Révolution et sa milice civile des Bassidjis qui ne reculent habituellement devant aucune atrocité pour mater les mouvements de révolte. Ainsi, les pasdarans ont-ils multiplié les avertissements à l’égard des frondeurs alors que la violence est à son comble.

Selon un bilan de l’organisation non gouvernementale Iran Human Rights qui recense les atteintes aux droits de l’Homme en Iran, « au moins 76 personnes ont été tuées lors des manifestations nationales déclenchées par le meurtre de Mahsa Amini par la police la semaine dernière. Au moins six femmes et quatre enfants figurent parmi les personnes tuées. Des manifestations ont eu lieu (hier) à Téhéran, Yazd et Karaj malgré la répression sanglante […]. » L’ONG précise que « la plupart des familles ont été contraintes d’enterrer discrètement leurs proches la nuit et ont subi des pressions pour ne pas organiser de funérailles publiques. De nombreuses familles ont été menacées de poursuites judiciaires si elles rendaient leur décès public ». Elle met enfin en garde « contre la poursuite des meurtres de manifestants et l’utilisation de la torture ». S’ajoute à ce triste bilan l’arrestation de 1 200 manifestants et de plusieurs avocats et journalistes. Selon Richard Sédillot, avocat spécialiste des droits de l’Homme « au moins quatre avocats ont été arrêtés. Il s’agit de Mahsa Gholamalizadeh, Sayeed Jalilian, Milad Panahipoor et Babak Paknia. Mais ils sont sans doute plus nombreux derrière les barreaux ».

D’après un communiqué du Comité de protection des journalistes en date du 27 septembre, au moins 23 d’entre eux ont également « été arrêtés alors que les affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants ont fait des dizaines de morts ».

Samedi dernier, les Gardiens de la révolution ont aussi bombardé des groupes kurdes iraniens basés en Irak en réponse à leur soutien aux manifestants.

En clair, les maitres de l’Iran n’entendent pas céder un pouce de terrain.

Organisation créée en avril 1979 sous l’égide de l’ayatollah Khomeini, le Corps des Gardiens de la Révolution est à l’origine une organisation paramilitaire. Avec le temps, elle s’est peu à peu substituée à l’armée qu’elle a reléguée au second plan. Elle tient également d’une main de fer les secteurs de l’industrie de la Défense, des télécommunications et de la construction. Forte d’environ 130 000 hommes, elle dispose de ses propres forces spéciales, de son aviation et de sa marine. Un ex-diplomate iranien explique sous couvert d’anonymat : « les pasdarans sont au cœur du régime. Ils sont à tous les étages de l’armée, des services de renseignement, de l’administration et du système économique. Ils sont nés et ils ont grandi avec la République islamique d’Iran qui leur a permis de s’enrichir. Tant qu’ils tiendront la police, l’armée et l’économie, ils protègeront le régime. Même si ce sont des idéologues et des mystiques qui se comportent en mafieux, il faut avoir conscience qu’ils sont les vrais maitres du jeu ».

Conscient de la situation inédite que traverse l’Iran et de la toute-puissance des pasdarans, le prince Reza Pahlavi – en exil aux États-Unis – appelait il y a quelques jours les forces de l’ordre iraniennes à cesser les violences contre les manifestants. « Certains imaginent que la solution passe par un revirement des Gardiens de la révolution. Mais c’est peu probable. Ils veulent protéger leurs acquis », analyse l’ancien diplomate. D’autant que les pasdarans répondent directement aux ordres du Guide de la Révolution Ali Khamenei et qu’ils sont également proches du président Ebrahim Raïssi, un ultraconservateur qui fut le responsable – en tant que procureur adjoint – de milliers d’exécutions de détenus politiques en 1988. Inscrit par les États-Unis sur une liste noire pour violation des droits de l’Homme, ce dogmatique de 61 ans n’a que faire des revendications de la jeunesse. Il considère que seule la charia détermine la ligne de conduite du régime et se trouve de facto être l’un des soutiens les plus sûrs des Gardiens de la révolution.

>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue de géopolitique Conflits <<

Emmanuel Razavi est Grand reporter. Diplômé de sciences politiques, il est spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient. Il est auteur de plusieurs documentaires pour Arte, M6, Planète et France 3. Il a collaboré avec le Figaro Magazine, Paris Match et Le Spectacle du Monde. Il est également conférencier. Dernier ouvrage paru : Grands reporters, confessions au cœur des conflits (Éditions Amphora, 2021).

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Pierre Berville, à lire de haut en bas

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Pierre Berville / © Aquilon

C’est une icône de l’âge d’or de la pub, l’enfant chéri des années 1980. Pour sa nouvelle vie, il a choisi la littérature, et son premier roman l’impose déjà comme un grand écrivain.


Je fais connaissance avec Pierre Berville en dévorant une belle pièce de viande au Bœuf couronné, restaurant bien connu des carnivores, boulevard de la Villette. Ce lieu sied à merveille à cet homme dont la stature et la chevelure imposantes me font penser à un ogre, pas un dévoreur d’enfants de contes de fées, mais un croqueur de vie, comme il n’en existe plus guère. Berville a d’ailleurs marqué le « monde d’avant » en créant, en 1981, une cultissime campagne de pub : la mannequin Myriam promet d’enlever le haut, puis le bas… et tient ses promesses !

A lire également, Pascal Louvrier: Moix: profession écrivain

Pierre Berville est un enfant de la classe moyenne d’après-guerre. Il grandit à Asnières, au mitan du xxe siècle, lorsque tout était encore possible. Sa mère était institutrice et son beau-père, cameraman, collectionneur compulsif d’ouvrages de littérature populaire. Pierre, bien entendu, les a tous dévorés : « Je dormais dans la bibliothèque. » Cet électron libre fréquente un peu la fac de lettres de Nanterre puis accumule tous les petits boulots qui se présentent à lui : employé de banque, embouteilleur, éboueur… avant de débouler, presque par hasard, dans le monde de la publicité. Son talent, sa chance insolente, son dilettantisme – au vrai et beau sens du terme (de l’italien dilettante, « celui qui se délecte ») –, ainsi que sa « cool attitude » l’imposent rapidement dans le milieu et façonnent sa réputation de publicitaire de génie. Berville réussit tout ce qu’il entreprend, et sans en avoir l’air : c’est charmant, voire agaçant ! 

Mais pour lui, la pub, c’est désormais du passé, même s’il ne crache pas dans la soupe comme l’a fait Frédéric Beigbeder. Depuis quelques années, Pierre Berville se consacre à l’écriture. Après avoir publié J’enlève le haut : les dessous de la pub à l’âge d’or (Aquilon, 2019), récit de sa carrière haute en couleur, il passe aux choses sérieuses avec un premier roman, La Ville des ânes (Aquilon, 2021), un roman noir à la française qui plante son décor à Asnières. Un riche promoteur est jeté du haut d’une tour. Son ami d’enfance, un notaire discret, aux antipodes de l’univers impitoyable de l’immobilier, mène l’enquête. Pour l’auteur, cette intrigue est le prétexte pour décrire, avec délectation, un monde interlope fait de petits truands, de femmes fatales et de crapules magnifiques. Le style est virtuose, riche et précis, quant aux portraits des personnages, ils sont d’une justesse troublante. Lors d’une conversation téléphonique, j’ai dit à Berville, dans un cri du cœur : « Mais c’est du naturalisme ton bouquin ! Tu es notre nouveau Zola ! » Au fil de ses pages, comment ne pas penser à La Curée, ce chef-d’œuvre qui explore la spéculation immobilière sous le Second Empire ? Et il m’a avoué, en effet, que Zola était l’une de ses références…

On ne sait si Berville va se lancer dans une série façon Rougon-Macquart, mais il nous prépare une suite à La Ville des ânes.

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« Manières d’être vivant » de Baptiste Morizot: être un loup pour l’homme ?

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Baptiste Morizot © Renaud Monfourny

L’idée de l’animalité de l’homme, devenue banale aujourd’hui, n’aurait rien de choquant, si elle ne s’accompagnait pas de la négation de tout ce qui sépare l’homme de l’animal…


« Imaginez cette fable: une espèce fait sécession. Elle déclare que les dix millions d’autres espèces de la Terre, ses parentes, sont de la nature. A savoir: non pas des êtres, mais des choses, non pas des acteurs mais le décor, des ressources à portée de main. Une espèce d’un côté, dix millions de l’autre, et pourtant une seule famille, un seul monde ». C’est ainsi que se présente le dernier livre de Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, que publient les éditions Babel / Actes Sud. Livre inclassable et passionnant, écrit par un jeune philosophe qui est aussi pisteur de loups dans le Vercors.

Une curieuse philosophie

L’auteur se défend de tout « antispécisme » et de tout « égalitarisme » entre l’homme et les autres espèces. Pourtant son livre laisse une impression dérangeante. J’ai ressenti à sa lecture le même sentiment qu’en regardant sur Netflix la belle série documentaire consacrée aux Parcs nationaux du monde, présentée par Barak Obama. Dans un cas comme dans l’autre, des objectifs très louables (préserver la diversité des espèces, etc.) sont présentés avec talent – avec une écriture souvent poétique chez Morizot et des images incroyablement belles sur Netflix – mais avec aussi une philosophie discutable et inquiétante.

A lire également du même auteur: Sur les traces de Yossef-Haïm Brenner

Pour la résumer en quelques mots, cette philosophie prétend que l’homme est un animal comme les autres et qu’il n’a aucune raison de se croire différent (et encore moins supérieur) aux autres. Lorsque l’auteur évoque notre « ascendance commune » avec les « autres animaux », il peut sembler énoncer un truisme. Lorsqu’il raconte ses virées nocturnes sur les traces des loups et relate ce « sentiment étrange » d’appartenir « tous à la même grande meute multispécifique », il nous dit en fait que l’homme n’est qu’un loup. Cette idée de l’animalité de l’homme – devenue si banale aujourd’hui qu’on a peine à la contester – n’aurait rien de choquant, si elle ne s’accompagnait pas en effet le plus souvent de la négation de tout ce qui sépare l’homme de l’animal, de tout ce qui lui confère sa dignité éminente. 

« Manières d’être vivant », Baptiste Morizot / Amazon

L’homme a un statut unique

A l’ère du grand magma idéologique et de l’égalitarisme absolu qui caractérise notre temps, il devient difficilement audible de rappeler que l’homme n’est pas qu’un animal. Il possède une âme, un libre-arbitre, un langage qui le séparent radicalement du reste de la création. Le passage consacré au « langage des loups » est révélateur à cet égard. L’auteur décrit avec force détails et avec un grand savoir comment communiquent les loups entre eux et comment ils répondent à ses propres hurlements. Mais il en déduit de manière très forcée que « le hurlement du loup » est « performatif », tout comme le « je t’aime » selon Roland Barthes… comparaison révélatrice.

A lire aussi, Jérôme Leroy: Jean-René Huguenin, jeune à jamais

Peut-on encore rappeler qu’aucune espèce animale ne connaît de véritable langage et que toute comparaison entre les langages animaux et le langage humain repose sur un présupposé idéologique et sur un anthropomorphisme largement abusif ? A-t-on encore le droit de dire que l’homme est bien plus qu’un animal, car il est capable de sentiments élaborés, de projets et de pensée ? L’idée de nature que conteste Baptiste Morizot n’a pas été véritablement remplacée, car ni le concept de « cosmos » ni celui de « planète » qui sont aujourd’hui utilisés ne rendent compte de la place de l’homme dans la nature et dans l’univers et ne font droit à son statut unique. 

L’anthropologie biblique tellement contestée par les écologistes de tout poil (Morizot ne fait pas exception à cet égard) n’a pas été dépassée depuis deux mille ans, dans sa manière si intelligente de décrire la spécificité de l’homme, créature duelle, proche de l’animal mais en même temps tellement différent de lui. L’alternative à l’idée biblique de l’homme comme joyau de la création reste donc en définitive le plus souvent, aujourd’hui comme hier, celle de l’homme loup pour l’homme…

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Guerre en Ukraine : le combat pour Lyman

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Soldats ukrainiens près de la ville de Lyman le 2 juin 2022. Levine/Washington Post/SIPA 01082254_000012

A Moscou, Vladimir Poutine célèbre les résultats des référendums qui, selon lui, justifient l’annexion à la Russie des territoires de l’est de l’Ukraine. Pourtant, au même moment, les forces ukrainiennes semblent sur le point de prendre la ville de Lyman, dont la perte serait un revers stratégique important pour les forces russes et pro-russes dans la région.


Une manœuvre d’encerclement ukrainienne sur le front du Donbass est sur le point de couper la ville de Lyman, occupée par les forces russes et pro-russes de leurs arrières. Si l’opération réussit et les forces russes n’arrivent pas à briser le siège, les Ukrainiens pourraient prendre la ville et accomplir la reconquête de la région de Kharkiv. Ainsi, les forces ukrainiennes seraient en bonne position pour menacer voire percer la ligne tenue par les Russes le long des rivières Oskil et Donets. Kiev pourrait alors envisager la reconquête de la région de Severodonetsk-Lysychansk, prise par Moscou en juin.  

A lire aussi: Mir ne répond plus !

Les milblogueurs (spécialistes des affaires militaires russes et pro-russes publiant sur Telegram et autres réseaux sociaux) et des correspondants militaires de premier plan cités par l’Institute for the Study of War, think tank américain spécialisé dans les questions de défennse, expriment ouvertement leur inquiétude suite aux avancés des Ukrainiens autour de Lyman. Selon eux, les forces russes dans cette zone pourraient faire face à une défaite imminente. Ils ont constaté que les troupes ukrainiennes ont avancé à l’ouest, au nord et au nord-est de Lyman et qu’elles s’efforcent d’achever l’enveloppement du dispositif militaire russe dans et autour de la bourgade qui comptait avant la guerre un peu plus de 20000 habitants. L’importance de cette localité est facile à deviner du fait que Lyman accueille le siège de l’entreprise « Réseau ferré de Donetsk ».  Les troupes ukrainiennes menacent depuis quelques jours déjà les positions russes et les lignes de communication qui soutiennent le dispositif russe de Lyman. Cependant, les Russes à Lyman ne reculent pas, ce qui laisse croire qu’ils appliquent l’ordre donné par le chef de l’État suite aux défaites des dernières semaines, interdisant à ses troupes tout retrait.     

Un effondrement de la poche de Lyman aurait des conséquences importantes pour le dispositif russe dans l’ensemble du nord de l’oblast de Donetsk et de l’ouest de l’oblast de Luhansk. Ainsi, au moment où à Moscou on fête l’annexion de ces régions à la Russie, sur le terrain l’armée ukrainienne est sur le point de reprendre une partie de ces territoires et, plus important encore, de mettre sérieusement en doute la capacité des forces russes et pro-russes de les tenir.    Trois semaines après la contre-offensive ukrainienne dans l’est de l’Ukraine, Kiev ne cesse d’exploiter sa victoire et pousser son avantage.

A lire aussi : Mobilisation « partielle » : back in the USSR

La Russie continue à opposer une résistance ferme et organisée à la fois à l’est et au sud dans la région de Kherson mais la stratégie ukrainienne semble marcher : maintenir la pression sur un adversaire fatigué et empêtré dans des problèmes de logistique, de moral et de commandement. Pour le moment, selon l’information disponible, il est difficile d’envisager une prise d’initiative importante du côté russe avant plusieurs semaines voir quelques mois.  

Laideur du signe

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L'église de la Madeleine, septembre 2021 / Lutèce du Parisien

De tous les facteurs d’enlaidissement de l’espace sensible, la profusion signalétique est un des plus agissants. Faut-il y voir encore une manifestation du terrible « remplacisme global », le remplacement de tout par son signe, son nom, son double, sa contre-façon?


Tant qu’il s’agit de la laideur, on me laisse le choix du sujet. Je n’en ai que l’embarras. Ce pourrait être la laideur de la langue, bien sûr, mais je me suis déjà beaucoup exprimé là-dessus ; la laideur du vêtement, qui fait que les sites, les villes et les monuments les plus beaux de la Terre sont tout de même affreux puisqu’il s’y presse des foules venues comme elles étaient, l’idée de s’habiller en fonction des circonstances, des heures et des lieux, ayant tout à fait disparu ; la laideur des manuels scolaires, et de la plupart des livres pour enfants, et d’ailleurs de tout ce qui est pour les enfants, à commencer par les jouets, comme si les éditeurs et les industriels se sentaient un devoir moral de préparer les futurs pensionnaires du Bidon-Monde à l’horreur qui les attend ; la laideur des éoliennes, mais j’en ai déjà parlé ici même ; la laideur de la Grande Pelade, cette manie de l’arrachement des enduits, sans doute un des éléments qui, avec les éoliennes et l’artificialisation, a le plus dévasté le paysage depuis un demi-siècle, tout en rendant inintelligibles l’architecture et la syntaxe des façades. Mais je choisis pour cette fois le signe. Il a pourtant un joli nom, bien des mérites et des vertus. Néanmoins je suis un partisan passionné de la désignalisation générale, car nous sommes les victimes, aussi, d’une submersion sémiotique éhontée.

A lire aussi, Blanche de Mérimée: La graisse, le nouveau combat du wokisme

Ce n’est bien sûr pas tout à fait surprenant dans le monde du remplacisme global davocratique, qui a le remplacement pour geste inaugural et la substitution pour principe. Le signe est le remplacement par excellence, puisque par définition il n’est pas la chose mais son emblème, son ersatz, son tenant-lieu. La publicité, qui est à la fois la langue nationale, la poésie épique, la pornographie et le catéchisme de la gestion du parc humain par Davos, ne se contente pas de prescrire ce que doit être le monde, elle le remplace comme elle l’entend, et à présent très littéralement, puisqu’à la moindre occasion elle le recouvre, en s’attaquant de préférence bien sûr à ses monuments les plus augustes : ainsi les palais de Gabriel, place de la Concorde, à Paris, qu’aucun Parisien ni provincial ne se souvient plus avoir jamais vus autrement que sous des bâches à la gloire de montres de luxe, d’assurances ou de parfums ; de même que la Madeleine et maintenant l’Opéra, où une personne de forte corpulence et de complexion adèle, remplaçant les fluettes étoiles de jadis, est offerte en exemple, au nom de Nike, et dans une langue qui n’est pas la nôtre, de ce que c’est que de posséder le sol, Own the floor. Je ne sais si les temples de religions plus soupe au lait ou moins dans les choux pourraient être soumis à traitement de ce genre, mais les églises y sont couramment assujetties, et les châteaux, et les palais même de justice, et jusqu’aux sièges des pouvoirs officiels, comme si les vrais pouvoirs n’avaient plus à se cacher de les offusquer.

Ce n’est pas seulement la publicité qui se substitue au monde réel, c’est aussi la pédagogie, avec plus de désintéressement affiché. La pédagogie a déjà l’école à son tableau de chasse, elle est en passe d’y ajouter la démocratie en prêtant son nom à l’endoctrinement perpétuel et en tenant parmi nous la place qui revenait en Union soviétique à l’internement psychiatrique, puisque toute divergence des maîtres avec leur peuple se traite désormais à travers elle, le confirmant dans son statut d’enfant et participant de la sorte à l’infantilisation générale, revers et terreau de l’hyperviolence. Et je ne sais si la pédagogie détruit le monde, mais elle le remplace, ce qui est chaque jour un peu moins loin d’être la même chose. Tout est remplacé par son signe, son explication, son commentaire, le discours didactique sur sa réalité. Même les Monuments historiques – je veux dire ici l’institution – sont apparemment incapables de laisser longtemps les bâtiments dont ils ont la charge sans de gigantesques panneaux qui peuvent rester en place des années durant et qui apprennent tout sur la part de l’État, de la région, du département et de la commune dans le financement de travaux qui souvent paraissent n’avoir aucune existence réelle, mais dont sont mentionnés sans en omettre pas un [1] tous les entrepreneurs et artisans censés y prendre part. Quelquefois les panonceaux sont d’un intérêt plus grand, et leur teneur plus historique, ou artistique : mais toujours ils oblitèrent ce qu’ils expliquent ou décrivent.

A lire également, l’interview de Renaud Camus par Elisabeth Lévy et Martin Pimentel: Renaud Camus: “La liberté d’expression dans la France de 2020 n’est pas menacée: elle n’existe pas”

Il faudrait contraindre les maires, les administrateurs, les responsables d’édifices ou de sites précieux à photographier ou seulement à regarder dans le viseur d’un appareil photographique les lieux dont ils ont la charge, avant de prendre la moindre décision les concernant. Peut-être verraient-ils dans un objectif ce que d’évidence ils ne voient pas dans la réalité ; et combien le bavardage visuel, la profusion des signes, les affiches, les plaques, un simple placard dans une porte (ah, cette manie des feuillets punaisés sur les portes !) suffisent à détruire le silence d’architectures remarquables, qu’elles soient de l’art ou de la nature ; à les empêcher d’être. Laissez un peu les choses tranquilles, pour l’amour du Ciel ! Dé-pédagogisez ! Dé-publicisez ! Dé-signalisez ! Cessez de remplacer le texte par son commentaire, la grâce par son explication, l’objet par son nom, le produit par sa marque, la poésie par son mode d’emploi.

Il faudrait un droit des édifices à la dignité pour les protéger des banderoles, des réclames, des panneaux de signalisation, des lampadaires et des oblitérations de fenêtres. Ici le remplacisme et la technologie peuvent servir à lutter contre eux-mêmes, peut-être. Puisque tout ce qu’il faut savoir de tout est dans les smartphones, désormais, puisque chacun a dans sa poche des dictionnaires et des cartes, puisqu’il n’est plus une voiture sans son GPS, ne pourrait-on rendre un peu le monde à lui-même, enlever les panonceaux, libérer les villes de leurs flèches et les choses de leurs signes ?


[1] Ceci n’est pas une faute, contrairement à ce que j’ai cru. La réponse de Renaud Camus à mon objection : Sans en omettre pas un est un archaïsme précieux et une semi-plaisanterie, j’en conviens. « On pouvait dire autrefois sans pas un. Cette tournure a disparu bien que l’expression sans aucun soit bien vivante » (Dupré).  

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École islamiste à Valence : l’abdication de l’État

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Emmanuel Macron, President de la Republique, deplacement a Valence, accompagne du maire de Valence Nicolas Daragon Romain GAILLARD-POOL/SIPA 01023160_000039

Faute de positionnement clair de l’État et de l’Éducation nationale, les maires sont laissés seuls face aux pressions communautaristes. Le cas de l’école musulmane IQRA en est un nouvel exemple.

A Valence les passions se déchainent autour de l’école musulmane IQRA et de la décision du maire de lui vendre un terrain afin que celle-ci puisse quitter l’enceinte de la mosquée Al Fourquane, où elle est hébergée actuellement. Toute l’affaire ressemble fort à une énième histoire de clientélisme électoral où, en échange des voix de la communauté musulmane, la promesse de vente d’un terrain par la mairie sert de monnaie d’échange. Une illustration classique de la puissance des islamistes, ici canal Frères musulmans, et de la faiblesse des édiles locaux. Sauf que beaucoup de choses ne cadrent pas dans le tableau. Et si cette histoire était surtout emblématique de la lâcheté et de l’incohérence de l’État et de ses représentants, qui laisse en première ligne les corps intermédiaires sans leur donner ni les moyens ni une doctrine pour agir ?

Un maire proche de Laurent Wauquiez

A Valence, la situation est différente des banlieues ghettos de la région parisienne où des villes importantes se gagnent avec un différentiel de voix assez réduit et où le « vote musulman » peut faire la différence. Il se trouve en effet que le maire de la ville n’a nul besoin de ce type d’apport de voix pour se faire élire. Aux dernières élections, il est passé au 1er tour, avec un score proche de 60%. L’homme a bonne presse et une forte équation personnelle. Cela se voit lorsque l’on compare son score aux municipales et le score de son parti LR aux élections qui ont suivi. La décrue est nette. Proche de Laurent Wauquiez, lequel est sans ambiguïté au sujet de la lutte contre l’islamisme, sa décision de vendre ce terrain a surpris jusque dans les rangs de LR.

On peut s’interroger sur ce qui amène ainsi des maires qui peuvent se passer de tout clientélisme pour assurer leur réélection à se faire ainsi piéger par les associations cultuelles islamistes. Le cas de Valence est emblématique.

Cette école IQRA, rebaptisée Valeurs et Réussite, dépend de l’association du même nom. Comme souvent dans ce type d’association, l’affiliation à la mouvance Frères musulmans n’est pas revendiquée. Pour voir quels sont les liens de cette association avec les islamistes, il faut creuser ses références, suivre ses leaders, voir les personnalités qu’elle invite et les liens qu’elle tisse. Un travail qui demande une certaine connaissance du milieu islamiste. Connaissances que n’ont pas forcément les élus locaux et employés municipaux. Or, ce sont les services de l’État, ici le renseignement territorial, la préfecture et le ministère de l’Éducation nationale qui sont chargés de les alerter.

Dans le cas de Valence, l’école islamiste existe depuis 2012. Selon une déclaration du maire faite en réponse à l’article de Charlie Hebdo qui a révélé cette affaire, l’école était inspectée chaque année et n’avait fait l’objet d’aucun signalement autre que lié aux conditions d’accueil des enfants. Les rapports étaient positifs quant à l’enseignement. La préfecture quant à elle n’avait jamais alerté sur la proximité du milieu associatif lié à la mosquée de Valence avec les Frères musulmans. Aucune alerte n’avait été donnée et aucun signalement transmis.

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Pourtant il n’était pas bien difficile pour les services de l’État de se rendre compte qu’un petit éco-système islamiste associant mosquée, école et autres associations au sein d’un Collectif pour la Reconnaissance de l’islam était en train de s’organiser. L’âme de ce regroupement est l’imam Abdallah Dlioulah, dont il est très facile de voir les accointances islamistes. Sa participation aux rencontres de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), sa proximité avec le guide spirituel des frères musulmans, l’imam Al Qaradawi, son soutien à un des représentants de la confrérie le plus célèbre, Erdogan, plus récemment à Hassan Iqioussen, ou sa mobilisation en faveur des instituts de formation d’imam (IESH) contrôlés par les islamistes en atteste. Pour autant, l’homme a été invité aux assises de l’instance de dialogue avec l’islam organisées par le ministère de l’Intérieur, en tant que représentant de la Drôme. Difficile donc sur le terrain de se faire une idée claire de l’idéologie des porteurs de projet au vu du silence de l’État et du soutien de l’Éducation nationale.

Dans ce cadre, rien ne permettait au maire de s’opposer à ce que cette école hors contrat poursuive ses activités et achète un terrain pour s’étendre. Les choses sont d’autant plus délicates qu’un discours politique émanant principalement de la gauche alimente l’idée que les musulmans seraient persécutés en France. Or, ce discours de victimisation fonctionne et est repris bien au-delà des rangs des islamistes. Autre problème, là où dans les autres religions les intégristes et les tenants d’une lecture politique de la religion sont marginalisés et déconsidérés, en islam ils tiennent le haut du panier, sont les plus riches et les plus influents, disposent d’états et de finance pour diffuser leur propagande. Ils sont parfaitement insérés dans le tissu communautaire et donnent le la. Les ecosystèmes islamistes mêlent croyants non radicalisés et frères musulmans très bien formés. Ajoutons aussi que les frères musulmans sont de purs politiques. S’il faut surseoir sur le port du voile dans l’école pour arriver à leurs fins, ils le feront, en attendant d’être assez puissants pour imposer leurs règles. D’ailleurs dans l’école de Valence en question, le port du voile n’était pas autorisé.

Une influence aussi subtile qu’efficace

Autrement dit, l’islamisme chimiquement pur n’existe pas et sur le terrain les choses ne sont jamais aussi claires qu’en théorie. L’écosystème associatif musulman de Valence baigne bien dans l’influence islamiste des frères musulmans, mais d’une façon suffisamment subtile pour que sans alerte de l’État, il soit compliqué pour le maire de résister à leurs offensives de séduction et à leurs revendications. D’autant plus compliqué que c’est au nom de la neutralité de l’État et de l’égalité de traitement que les revendications communautaristes sont exprimées. Elles mettent en avant à la fois soupçon « d’islamophobie », donc de racisme, et revendication de prise en compte légitime. Grâce au chantage au racisme systémique et à la réclamation de visibilité, les islamistes se font les porte-voix des musulmans et les interlocuteurs des pouvoirs locaux. Et de fait leur influence dépasse leurs simples rangs. Sans alerte constituée de l’État, les pouvoirs locaux ont peu de moyens de résister. Or, d’alerte de l’État, à Valence, il n’y eut point. Les services se réveillent maintenant car la polémique ayant éclaté, nul ne veut se voir accuser de n’avoir pas fait son travail. Ainsi la préfecture vient d’écrire au maire pour lui demander de revenir sur sa décision au vu des éléments dont il dispose à propos de l’extension de cette école, alors que celle-ci fonctionne avec l’aval des autorités depuis 10 ans…

Lors du Conseil municipal qui devrait avoir lieu ce lundi, le retrait de la délibération litigieuse est à l’ordre du jour, le Maire ayant reçu un avis circonstancié de la préfecture. Il aura fallu une polémique nationale et la crainte pour le ministère de l’Intérieur de se voir accusé de jouer un double jeu et de ne pas faire son travail de renseignement pour que le nécessaire soit fait par l’État. A Valence, ce n’est pas le clientélisme électoral qui explique la faiblesse de réaction face aux manœuvres des islamistes, mais bien la lâcheté et les incohérences de l’État.

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Sandrine et la tentation Stasiste: la vie des autres et celle d’Adrien Quatennens en particulier

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Sandrine Rousseau manifestant pour défendre le droit a l Interruption Volontaire de Grossesse (IVG). Paris, France, le 28 septembre 2022 / Credit: Chang Martin/SIPA

Exploitant un différend d’ordre privé, Sandrine Rousseau détruit la réputation du dauphin de Jean-Luc Mélenchon au risque de déstabiliser toute la coalition dont elle fait partie. Cette façon de s’immiscer dans la vie intime des autres rappelle les pires travers de l’Allemagne de l’Est communiste.


En 2006, le film allemand La Vie des Autres met en scène un officier allemand de la Stasi à Berlin Est, chargé de surveiller un couple afin de compromettre le rival politique de son supérieur hiérarchique. Installé au-dessus de l’appartement de ceux qu’il est chargé d’espionner, il s’imprègne de leur quotidien et devient leur intime, par procuration. Le film décrit l’univers de suspicion et de délation en ex-RDA et le pouvoir de la STASI de s’immiscer dans la vie de chaque citoyen, poussant jusqu’à la dénonciation de leurs proches et certains jusqu’au suicide.

Apparu sur la scène politique française à la faveur des élections présidentielles de 2017, Adrien Quatennens fut l’un des porte-paroles de la campagne de Jean Luc Mélenchon qui l’investit par la suite pour les législatives et dont il sort victorieux. Issu d’une famille de la classe moyenne, il n’a pas suivi le parcours classique des élites politiques de notre pays: pas d’école alsacienne, ni de classe prépa dans les grands lycées, le fils de technicien et de vendeuse n’est pas né avec les codes. Pas de stage chez McKinsey pour le titulaire d’un modeste BTS. Armé de sa seule fibre militante, il se fera seul.

Mini-Mélenchon

Figure montante de LFI, Adrien Quatennens prend progressivement la lumière des plateaux des chaînes en continu et est régulièrement invité dans les matinales des radios. Coupe au carré, le regard perçant, la posture assurée et le verbe déterminé, l’ancien conseiller clientèle chez EDF se révèle progressivement un excellent débatteur, doté d’une colonne vertébrale politique robuste. Son assurance et ses convictions étayées, malgré sa relative jeunesse, détonnent parmi ses pairs de LFI, plus expérimentés mais au style plus emprunté. Ils se contentent souvent d’anôner et de répéter servilement ce-que-Jean-Luc-pense, le talent en moins. Nommé coordinateur du parti en 2019, c’est-à-dire successeur putatif de Mélenchon, il est réélu député du Nord en juin 2022. Il est l’avenir de LFI car adoubé par le chef. La formation d’extrême gauche sait identifier les jeunes talents, les coûver le temps nécessaire afin que les jeunes pousses éclosent au moment utile. Adrien Quatennens est fait de ce bois. 

Souverainiste de gauche, canal Chevènement, j’ai de nombreux et sérieux désaccords avec le parti de Jean Luc Mélenchon, principalement celui d’attiser et d’encourager les communautarismes de tous poils et les revendications victimaires les plus insensées. Néanmoins, l’honnêteté me pousse à admettre que l’on peut se retrouver sur des lignes telles que la défense de notre industrie ou sur l’Europe avec le refus de partager notre siège au Conseil de Sécurité, thèmes où l’Autre gauche semble avoir définitivement capitulé. Je sais donc faire la différence entre un adversaire politique, qu’il convient de combattre avec force et vigueur, et un ennemi. LFI est, pour moi, à ranger dans la première catégorie, l’adversité sans compromis n’étant pas incompatible avec une certaine forme de respect.

Pâle resucée bâclée du Programme Commun, version plus petit dénominateur commun, la NUPES réunit toutes les caractéristiques d’une improbable arche de Noé politique vouée à l’impasse. Issues de deals d’arrière-boutique conclus à la va-vite, entre l’élection présidentielle et les législatives, entre LFI et deux partis aux abois électoralement et financièrement, les investitures n’ont pas eu le temps de faire dans la dentelle électorale. Inévitablement, quelques Françoise et François Pignon, attirés par la gamelle, se sont invités dans ce dîner électoral, à fort relent de tambouille.

Parmi ces ingénus, l’inratable “écolo-féministe” (auto-désignée) Sandrine Rousseau, finaliste malheureuse de la primaire des Verts et sniper en chef du candidat désigné par son propre parti. Véritable cinquième colonne hors de contrôle, elle n’aura de cesse de plomber la campagne de Yannick Jadot qui ramait pour ramener un peu de rationalité et de laïcité dans son camp. Sentant l’opportunité d’affaiblir un peu plus la pièce rapportée écologiste en donnant une promotion à la dissidente, LFI s’empressa donc de valider la candidature de Sandrine Rousseau dans une circonscription parisienne en or, située en plein Boboland. Divisons pour mieux régner, pour LFI, elle sera la garantie que la zizanie règnera dans les rangs écolos, l’agent agitateur permanent qui les dynamitera de l’intérieur. Malheureusement, le calcul diabolique des insoumis se retournera contre ses initiateurs. L’idiote utile et illuminée n’aura pas la reconnaissance du ventre.

Pasionaria sans aucune discipline

Par la grâce d’une déposition qui aurait dû rester consignée dans l’enceinte d’un commissariat, un différend d’ordre privé, un divorce conflictuel, vient percuter la carrière prometteuse du député Quatennens. La main courante, qui relate une gifle, atterrit opportunément dans la boîte à lettres du Canard Enchaîné qui se fait immédiatement l’écho de l’incident. Malgré les protestations de la principale intéressée, la compagne du député, le contenu sera exploité sans vergogne par Sandrine Rousseau. La réputation du talentueux héritier de Mélenchon est carbonisée et son ascension dans l’appareil est stoppée net. Le chef même en est réduit au silence après qu’il a évoqué, un peu maladroitement et sans doute trop rapidement, la dignité de son protégé.

Avec ce nouveau fait d’arme dans sa besace, la nouvelle pasionaria des écolos parvient à alimenter le cirque médiatique pendant toute une semaine, alors que l’Ukraine est sous les bombes, que la Russie se crispe et qu’une crise énergétique sans précédent se profile. Jusqu’à présent, les radios et les télés se gaussaient des excentricités et des élucubrations de l’élue du 13e arrondissement de Paris. Les commentateurs riaient sous cape de ses multiples saillies verbales, au pire outrancières et, au mieux incongrues, sans que l’intéressée surtout ne se doute de rien, sur le format du fameux invité au dîner organisé par Thierry L’hermitte. 

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Étrangère à la discipline de parti chez les Verts, elle n’allait pas moins se gêner à la NUPES et donner libre cours à son naturel de social justice warrior, professionnelle de l’indignation, débusqueuse de toutes les micro-offenses de la vie, recruteuse de toutes les victimes à libérer, même malgré elles. Avec un air de nonne pure et habitée par le combat pour le Bien, elle sacralise de façon quasi christique la parole des femmes: comme la terre à une autre époque, la femme, elle, ne ment pas. 

Aujourd’hui, elle assigne à résidence un bébé-Mélenchon en privant de parole l’un des insoumis parmi les plus redoutables, en l’inscrivant au registre des délinquants politiques. La droite devrait-elle se réjouir des déboires de leur adversaire? Mauvais calcul car demain, le petit Pol Pot de salon pourrait faire bien plus de dégâts, au-delà de son camp, en remettant au goût du jour l’ostracisme et les condamnations à la mort sociale. Au contraire, la droite devrait dénoncer cette nouvelle pratique de “politisation de l’intime” (Mathieu Bock-Côté) qui déshonore les élus de la République et le débat public. Alors que le politique c’est la Cité, c’est-à-dire l’interdiction de pénétrer dans les foyers, dans les familles et, bien sûr, dans les couples. Après Quatennens et ses problèmes conjugaux, qui sera la prochaine Bête Immonde? Qui sera marqué du sceau de l’infamie, condamné à la relégation? Si elle n’a aucun scrupule à tirer dans le dos du meilleur des siens, elle en aura encore moins à en sacrifier d’autres sur l’autel de la respectabilité politique ou de la simple dignité. 

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Avec Sandrine Rousseau, on a désormais la preuve qu’il existe bien une extension du domaine de la lutte, c’est celui de la bêtise et ce n’est pas de bon augure: au-delà de l’excentricité rigolote de ses propos, plutôt révélateurs d’une fragilité mentale que d’une rigueur académique, on est en droit de s’inquiéter. Elle offre le visage immature du militant illuminé, au premier abord inoffensif. Mais, comme Poutine qui voulait aller “buter les terroristes tchétchènes jusque dans les chiottes”, elle n’hésitera pas à aller débusquer les comportements déviants jusque dans les lits. Avec son sourire d’amie qui nous veut du bien, elle est en train d’installer un désagréable climat de défiance, d’autocensure et d’inquisition moralisatrice. 

A vouloir fouiller dans la vie des autres, de préférence celle des hommes et des Blancs, elle représente un danger non seulement pour ses propres camarades, qu’elle n’hésite pas à clouer au pilori médiatique, mais aussi pour le débat politique de notre pays en général. Les Insoumis qui l’ont faite député doivent se mordre les doigts d’avoir promu cette gardienne (un peu trop) révolutionnaire. Ils doivent se dire qu’à trop surveiller la vie des autres, Sandrine Rousseau s’est trompée d’époque, de lieu et de milice. Sous la couverture de la pourfendeuse du patriarcat se dissimule, en réalité, un parfait agent de la Stasi qui s’ignore. 

Olivier Jouis est ancien cadre de Reconquête ! (responsable des Français de l’étranger), officier de réserve (Colonel de l’Armée de l’Air), et entrepreneur dans l’industrie aéronautique.