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Israël face à un monde qui refuse de voir

Les images du 9 février ont été un rappel brutal de la condition des otages israéliens. La chronique géopolitique de Richard Prasquier


En voyant l’aspect décharné des trois otages israéliens libérés le 9 février, des images ont surgi de notre mémoire, dont ne pensions pas qu’elles puissent se reproduire. Si Ohad ben Ami a retrouvé les siens, Or Levy et Eli Sharabi ont appris les assassinats dans leur famille.

Certains ont parlé de Shoah. Non, car la Shoah c’est l’organisation de la mise à mort de six millions d’êtres humains, et les mots doivent garder leur sens pour garder leur poids, mais c’étaient bien les visages des survivants à l’ouverture des camps que nous avions devant nous. 

L’ONU se réveille

Mais ce qui est malheureusement sûr, c’est que l’état des otages libérés ne modifiera en rien le narratif qui fait d’Israël l’incarnation du mal et des Gazaouis l’incarnation du bien.

Le silence du secrétaire général de l’ONU sur l’état des otages, lui qui depuis quinze mois alerte la terre entière sur la famine à Gaza, n’a étonné personne. António Guterres est un compagnon de route de l’islamisme. Un témoignage fait le 27 janvier par une des adjointes le confirme. La Kenyane Alice Nderitu, très respectée dans son pays pour sa rigueur morale, était conseillère spéciale pour la prévention du génocide, un terme qu’elle refusait d’utiliser pour qualifier la situation des Gazaouis. Al Jazeera et les autres médias de sa mouvance l’ont harcelée quotidiennement en raison de cette incompréhensible carence et en novembre son contrat n’a pas été renouvelé par le secrétaire général de l’ONU. Il vaut mieux rester dans la ligne du Qatar pour faire carrière dans une organisation internationale.

Pourtant, et c’est une première, le bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU a démenti les accusations du Hamas qui déclare arrêter les échanges sous prétexte qu’Israël ne respecte pas l’accord de cessez-le-feu.

Au regard du spectacle du 9 février, les menaces du Hamas font redouter le pire sur l’état de santé des otages encore aux mains du Hamas. Pour les prisonniers palestiniens, il n’y a en revanche pas d’inquiétude à avoir. 700 d’entre eux ont déjà été libérés dont beaucoup sont des assassins de civils israéliens. Tous ont reçu les visites de la Croix Rouge. Ils sont bien nourris, font figure de héros, martyrs et modèles pour les enfants palestiniens et un pécule intéressant, dont les impôts européens ont payé une partie, a été attribué à ceux qui sortaient de prison.

Les grands médias passent plus de temps à critiquer Trump que le Hamas

Nous devons cependant continuer de souhaiter qu’Israël libère encore des centaines de prisonniers de ce genre, si cela permet de récupérer des otages survivants. Les pourparlers sont aujourd’hui bloqués et beaucoup de commentateurs, soucieux d’exonérer le Hamas, préfèrent disserter sur les espoirs de paix mis à bas par la politique tortueuse de Netanyahu et les propositions ahurissantes de Donald Trump.

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Einstein a dit que la définition de la folie était de refaire la même chose, en espérant que le résultat serait différent. J’ai pensé à cette phrase en lisant les réactions aux propositions de Trump. Il y a des façons bien différentes de les interpréter, depuis une évacuation forcée de deux millions de personnes abandonnées en mer sur des radeaux de fortune jusqu’à un départ volontaire dans des conditions financières avantageuses d’une partie de la population de l’enclave. Personne ne sait ce qu’il adviendra de ces propositions qui peuvent se prêter à de multiples scénarios. C’est évidemment la première image qui a été agitée par les ennemis d’Israël et ils charrient avec elle les idées insupportables de déportation, de génocide, au mieux de purification ethnique. Mais émigration et déportation ne sont pas des notions identiques…

Il est politiquement correct d’affirmer que la seule solution, c’est un État palestinien à côté d’un État israélien, et c’est la solution à laquelle je me suis personnellement toujours identifié. Mais quel État palestinien? C’est là que la phrase d’Einstein prend tout son sens. À de multiples reprises la proposition a été faite; à chaque fois les Palestiniens l’ont refusée, ou s’ils ont feint de l’accepter, ils ont fait comprendre à leur population qu’il ne s’agissait que d’une première étape. 

Laide réalité

Aujourd’hui avec l’emprise religieuse omniprésente dont le Hamas n’est pas le seul modèle car elle parcourt aussi tous les discours de la moribonde Autorité palestinienne, le terme de paix est un contre-sens, plus agréable à nos oreilles que celui de trêve transitoire: la seule paix qui compte serait celle qui rendrait toutes les terres du Dar al Islam à ses propriétaires musulmans.

Laisser croire qu’une entité étatique divisée en deux territoires séparés géographiquement serait viable, espérer qu’à Gaza une génération biberonnée à la gloire du martyre et à la mort du Juif (et pas de l’Israélien), se convertirait spontanément en militants d’une démocratie laïque et que l’enclave se transformerait en un nouveau Singapour sous direction palestinienne relève d’une folie intellectuelle au-delà  de la pensée magique. Une nouvelle catastrophe est garantie, mais pour les belles âmes, les belles idées importent plus que la laide réalité… 

Alors, changer complètement de logiciel, comme le fait Trump avec sa brutalité et probablement son ignorance coutumières, ne mérite pas d’être balayé d’un tournemain. Les solutions qui ont échoué jusque-là n’ont aucune raison de réussir dans l’avenir. Cet échec surviendrait quel que soit le Premier ministre israélien, car il relève avant tout du caractère religieux qui a coloré le conflit, même avec des enveloppes marxistes ou nationalistes, depuis que l’idéologie des Frères Musulmans s’en est emparée, il y a de cela près de cent ans. 

Tant que cette réalité ne sera pas confrontée, le discours sur la paix ne servira que de rustine à nos rêves et nos angoisses.

Dans l’intérêt même des musulmans, il faut souhaiter une victoire définitive d’Israël 

La question du conflit au Proche-Orient est une blessure identitaire qui occulte bien d’autres sujets politiques importants pour le monde arabe, rappelle notre contributeur.


Le projet de Trump visant à transférer les Gazaouis vers l’Égypte et la Jordanie a suscité des réactions contrastées, allant de l’indignation totale pour certains à une adhésion sans réserve pour d’autres.

Dans le même temps, la mise en scène des otages par le Hamas a ravivé de sinistres souvenirs. Pourtant…

« I have a dream », disait Martin Luther King. J’ai un rêve. Celui d’une victoire définitive d’Israël. J’émets l’hypothèse qu’une telle victoire pourrait, malgré les apparences, avoir un effet bénéfique pour le monde musulman. Une telle issue, bien que lourde de conséquences, pourrait-elle, paradoxalement, favoriser une transformation profonde, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans l’ensemble du monde musulman ? 

Imaginaires collectifs arabes

La question de la Palestine occupe une place centrale dans l’imaginaire collectif de la plupart des musulmans. Elle incarne à la fois la nostalgie d’une grandeur passée et la frustration d’un échec perçu comme une injustice historique. Cette terre, investie d’une forte charge symbolique, représente pour beaucoup la promesse non réalisée d’une hégémonie islamique méritée, contrecarrée par une domination juive jugée illégitime. Ce sentiment trouve ses racines dans une lecture historique et théologique du monde, où l’islam, en tant que religion suprême, est censé occuper une position dominante.

L’existence même d’Israël est vécue comme une offense, une anomalie qui défie l’ordre naturel des choses tel qu’il est envisagé dans certains courants de pensée islamique. L’idée que des Juifs, historiquement perçus comme des dhimmis soumis, puissent dominer une terre historiquement musulmane est source d’humiliation et de ressentiment. Ce sentiment de dépossession se trouve exacerbé par le souvenir du colonialisme occidental, qui a imposé sa suprématie sur des terres musulmanes, et par la perception d’une continuité entre cette domination passée et la situation actuelle.

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Dans cette perspective, le conflit israélo-palestinien dépasse largement la simple question territoriale. Il symbolise un affrontement entre un monde musulman qui aspire à retrouver sa grandeur et un Occident perçu comme un obstacle à cette ambition. L’infériorité économique, scientifique et technologique du monde arabe, comparée à la réussite insolente d’Israël et des puissances occidentales, alimente un sentiment d’humiliation collective. Cette blessure identitaire se transforme souvent en jalousie, en hostilité et en un discours de victimisation.

La souffrance liée à ce décalage entre une grandeur espérée et une réalité frustrante nourrit une rhétorique où la violence, sous couvert de djihad, devient un moyen légitimé de rétablir un ordre jugé naturel. Certains discours prônent une opposition radicale à Israël et aux puissances occidentales, considérées comme responsables de cette situation d’injustice. Ce rejet de l’autre, qu’il soit Israélien, occidental ou toute figure d’autorité perçue comme oppressante, s’inscrit dans une logique de projection où l’ennemi extérieur devient le bouc émissaire des propres échecs internes.

Ici aussi…

L’immigration musulmane dans les pays occidentaux s’inscrit également dans cette dynamique. Beaucoup de musulmans, contraints de quitter leur pays d’origine en raison de difficultés économiques ou politiques, se retrouvent dans des sociétés où ils perçoivent une hostilité qui est parfois le reflet de leur propre défiance. Cette situation peut conduire à une spirale de victimisation où l’exclusion ressentie se renforce par des comportements qui alimentent cette mise à l’écart. Le sentiment d’être discriminé devient alors une réalité en partie auto-réalisatrice, où la confrontation permanente génère des réactions de rejet qui confirment l’idée d’une oppression systématique.

Sortir de cette impasse suppose une révolution intérieure. Il s’agit de s’affranchir d’une vision du monde fondée sur la dichotomie entre oppresseurs et opprimés, entre élus et rejetés, entre dominants et dominés. L’amour de soi, la capacité à accepter l’imperfection et à rechercher l’amélioration sans se laisser enfermer dans une culpabilité paralysante, constituent une voie de libération. Plutôt que de se réfugier dans une vision idéalisée du passé ou dans une haine envers un ennemi désigné, il s’agit d’accepter la réalité, d’œuvrer à son amélioration et d’apprendre à vivre en harmonie avec soi-même et avec les autres.

Le piège du rêve éveillé, où le monde est perçu à travers des prismes de grandeur fantasmée et de complots imaginaires, empêche une véritable prise de conscience. Il enferme l’individu dans une posture où il oscille entre la figure du héros rédempteur et celle de la victime persécutée. Cette vision binaire, qui oppose un idéal idéalisé à une réalité perçue comme monstrueuse, entrave toute évolution constructive. La clé réside donc dans une réconciliation avec soi-même, un dépassement des illusions collectives et une réappropriation d’un destin fondé sur la responsabilité individuelle et la volonté de progrès. Cette prise de conscience est d’autant plus nécessaire que l’échec souhaitable des ambitions islamiques face à la pérennité d’Israël constituerait une défaite définitive des espoirs musulmans d’une fin de ce qu’ils considèrent comme une colonisation par les sionistes. Cette réalité pourrait, paradoxalement, être porteuse d’une double transformation : d’un côté, elle pourrait favoriser une paix durable dans la région en rendant caduc le rêve d’une reconquête par la force ; de l’autre, elle pourrait signifier pour une partie significative des musulmans un renoncement à la perspective d’une revanche sur l’Occident, ouvrant ainsi la voie à une redéfinition de leur identité et de leur rapport au monde contemporain.

Lyrique : Les Puritains. Lisette Oropesa au sommet, dans une mise en scène d’exception

Près de deux siècles après sa création, Les Puritains de Bellini continuent d’éblouir tant par sa musique que par son histoire. Laurent Pelly ressuscite ce chef-d’œuvre italien pour en faire un opéra d’exception.


Une après-midi de septembre 1835, à Puteaux, Bellini meurt à 34 ans ! Un an plus tôt, il s’était établi à Paris. En janvier de cette même année 1835, le Théâtre-Italien venait de créer l’ultime melodramma serio du compositeur natif de Catane : Les Puritains. L’Opéra-Bastille a été bien avisé de reprendre, dans une distribution entièrement renouvelée, ce chef-d’œuvre indépassable du bel canto, dans une production millésimée 2013, reconduite fin 2019, à tous égards frappée au sceau du talent.

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D’abord, la musique. On ne présente plus ce drame lyrique, dont l’action se situe dans l’Angleterre du XVIIème siècle : Elvira, la nièce de sir Giorgio, éprise d’Arturo et qui, sur fond de guerre civile opposant les partisans de Cromwell (les puritains, justement) aux fidèles à la dynastie des Stuarts, se croyant trahie sombre dans la démence, avant de recouvrer la raison in extremis quand son chéri lui est miraculeusement rendu… Les trois actes enchaînent des airs aussi fameux que ceux de Norma ou de La Somnambula, telle cette aria qui, dans l’acte deux, s’ouvre par « Qui la voce soave. Mi chiamava…e poi spari » (« ici sa voix douce m’appelait… et puis a disparu »)… Il est toujours tentant d’allonger le tempo et d’en rajouter dans le legato sur ce registre tellement mélancolique, ce à quoi résiste la baguette à la fois nerveuse et feutrée (en particulier dans les solos) de Corrado Rovaris, actuel directeur musical de l’Opéra de Philadelphie, chef qu’on découvre à Paris, à la tête d’un Orchestre et Chœurs de l’Opéra, comme toujours, en grande forme.

LES PURITAINS, Compositeur : Vincenzo Bellini, Orchestre de l’Opéra national de Paris

On peut en dire tout autant des chanteurs, à commencer par la soprano Lisette Oropesa, sublime d’un bout à l’autre dans le rôle-titre, d’une agilité confondante dans les vocalises stratosphériques que réclame la partition. Elle a pour partenaire le ténor Lawrence Brownlee, qui campe un Arturo d’un ouaté, d’une délicatesse, d’une élégance dans le phrasé, d’une richesse de timbre proprement stupéfiants. À leurs côtés, la basse italienne Roberto Tagliavini incarne admirablement, de sa blonde et mâle prestance, l’oncle secourable d’Elvira, Sir Giorgio, tandis que l’émission quelque peu métallique du baryton-basse canado-arménien Vartan Gabrielian convient au fond très bien au personnage de Lord Valton, le gouverneur de la forteresse de Plymouth. L’Ukrainien Andrii Kymach (qu’on a entendu l’an passé ici même dans le rôle de Ford, dans Falstaff), fait dans sa tenue bleu-roi un Riccardo de haute tenue, tout comme la mezzo néerlandaise Maria Warenberg assume l’emploi de la prisonnière Henriette de France, sauvée de l’exécution par Arturo, avec une magnifique présence vocale et scénique.

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La remarquable intelligence de la mise en scène signée Laurent Pelly (sur les décors de Chantal Thomas, sa partenaire de toujours) complète ce dispositif, pour faire de ce spectacle l’apothéose de cette saison lyrique hivernale. Car tout se tient : l’historicisme épuré, discrètement allusif de ce plateau tournant qui dessine au trait noir la géométrie de ces architectures où s’affrontent les protagonistes, illustrant de façon lisible, sans nul élément superfétatoire, leur enfermement, leur vulnérabilité ; les costumes : Elvira, de blanc vêtue, voilée puis dévoilée, prisonnière insatiable de sa conscience malade ; les femmes emprises dans leurs collerettes blanches et leurs robes rigides de derviches tourneurs, dans un camaïeu subtil de gris et noir ; les princes altiers, bottés, l’épée à la ceinture, flanqués d’une soldatesque casquée de morions… Les déplacements superbement agencés de tout ce petit monde animent le plateau dans un ballet complexe où les chœurs se mêlent aux figurants. La configuration, enfin, réserve toujours aux chanteurs, face au public, le premier plan du plateau, de sorte l’immensité de la salle de la Bastille ne nuit jamais à l’émission vocale, dans sa balance subtile avec le volume orchestral : l’esprit même du bel canto s’en trouve magnifié. Tout est donc très finement pensé, intelligemment articulé dans cette scénographie d’exception. Une fois n’est pas coutume, aucune huée ne pollue l’ovation délirante qui, au tombé de rideau, accueille la prestation. Lancés à pleins poumons, mille bravos volent vers Lisette Oropesa. Étincelante.


Les Puritains. Opéra en trois actes de Vincenzo Bellini. Avec Lisette Oropesa, Lawrence Brownlee, Vartan Gabriellan, Roberto Tagliavini, Andri Kymach, Manase Latu et Maria Warenberg. Direction : Corrado Rovaris. Mise en scène : Laurent Pelly. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 3h20
Opéra Bastille, les 12, 15, 18, 21, 24, 27 février, 5 mars, à 19h30

La classe politique, ce pesant fardeau pour les Français

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Méfiance. Année après année, de déprimantes études viennent le confirmer: selon les Français, si l’incompétence était un sport, leurs dirigeants seraient champions du monde… Une majorité de citoyens semble penser que la classe politique est un vieux chewing-gum accroché sous une chaussure


La classe politique est devenue un fardeau. Mais elle n’entend pas céder la place. Pourtant, les citoyens ne supportent plus la frivolité de leurs dirigeants. Pire : ils ont honte de ceux qui les gouvernent. C’est ce que confirme le baromètre annuel de la confiance politique du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences-Po), publié par Le Monde de ce mercredi. La défiance atteint des sommets : 76% des sondés déclarent ne pas faire confiance au gouvernement ; 74% se défient pareillement de l’Assemblée nationale, et 72% de l’institution présidentielle. « Les Français ont mis leurs responsables politiques au banc des accusés », commentent en substance les auteurs de l’étude.

Situation explosive

Le terreau est aussi explosif que lors de l’insurrection des Gilets jaunes en 2018. Aucune leçon politique n’a été tirée de ce premier avertissement. Au contraire : la population se sent de plus en plus abandonnée, notamment face à « l’explosion de la violence dans notre pays », ce qu’a observé l’avocat Thibault de Montbrial, ce mercredi sur CNews-Europe 1. De fait, les loups sont entrés dans les villes. Ils s’en prennent notamment aux écolières ou aux étudiantes qui longent des bois. Mais ces fauves, qui jadis faisaient trembler les enfants dans les comptines, ont pris visages humains. C’est sous les crocs de ces tueurs en vadrouille que Philippine est morte. Louise, 11 ans, a péri à son tour dans le bois des Templiers, à Épinay-sur-Orge, sous les coups d’Owen L., qui a avoué hier. Ces atrocités s’ajoutent à d’autres, dans une loi accélérée des séries.

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Les responsables politiques sont comptables de ces désastres, fruits d’un demi-siècle d’idées fausses, d’aveuglements, de démobilisations, d’irresponsabilités. Aujourd’hui, quelques mots interdits sortent des bouches pâteuses. François Bayrou parle de « submersion », Jean-Luc Mélenchon de « grand remplacement », Gérald Darmanin de « droit du sol » à réformer, etc. Mais aucun acte ne suivra, tant que cette caste, bavarde mais inutile, s’accrochera à ses pouvoirs.

Désordre

Emmanuel Macron n’a visiblement rien compris de la colère française face à une démocratie confisquée, quand il propose pour la présidence du Conseil constitutionnel son obligé Richard Ferrand. Ferrand, qui a plaidé naguère pour la possibilité d’un troisième mandat de Macron à l’Elysée, est l’archétype de l’apparatchik au service d’intérêts militants. Sa candidature à la succession de Laurent Fabius illustre le dévoiement d’une institution judiciaire sous surveillance du pouvoir politique. Dans l’enquête Cevipof, les sondés ont pris la mesure de toutes ces faiblesses. Ils réclament « un homme fort ». Ils sont ainsi 73% à vouloir « un vrai chef pour remettre de l’ordre ».

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En attendant, les deux tiers des Français estiment urgent de « se mettre à l’écart de la vie politique et de se consacrer à sa vie personnelle ». Le peuple, dégouté des fausses élites, a rejoint son Aventin. Il ne veut plus de cette mascarade, dont Macron est depuis 2017 l’acteur le plus appliqué. C’est une révolution qu’il faut à la France immobilisée.

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Elisabeth Lévy : « La mort de Louise ne pose pas une question politique »

«Je n’ai pas vu venir ce qui nous arrive »

Guillaume Erner, sociologue et présentateur des « Matins de France Culture », publie Judéobsessions. Un essai émouvant et passionnant qui entremêle son histoire familiale à celle de l’antisémitisme contemporain. Formé dans le combat contre l’antisémitisme et le négationnisme d’extrême droite, il reconnaît avoir tardé à voir celui qui venait du monde musulman. Pour lui, l’histoire est écrite : pour la deuxième fois, les juifs vont disparaître d’Europe


Causeur. Avant d’être un essai, Judéobsessions est un livre du souvenir, un tombeau pour vos disparus et pour votre tribu. Athées et communistes, ces juifs venus de Pologne et Russie qui parlaient yiddish avaient largué la synagogue pour la révolution. Ils n’avaient pas de diplômes, mais lisaient tout ce qui leur tombait sous la main. Vous aviez besoin de faire revivre ce monde ?

Guillaume Erner. J’avais l’impression que si je ne le décrivais pas, personne ne le décrirait, c’est ma manière de redonner souffle et vie aux miens. Je suis né dans un monde disparu et enterré, dans tous les sens du terme, celui de ces juifs très à gauche, de langue maternelle yiddish, chez qui le judaïsme était en compétition avec le communisme. Mes parents parlaient français sans accent, mais ce n’était pas la langue de leur enfance. Mon grand-père paternel avait 15 mots de français qui n’étaient pas évidents à comprendre. J’ai découvert avec stupeur que l’on pouvait être autre chose que juif, que communiste. Comprendre que Notre-Dame n’était pas une synagogue (où je n’allais d’ailleurs jamais), donc qu’elle n’était pas vraiment « à moi », a été une grande blessure narcissique.

L’un de vos grands-pères était facétieux, l’autre assez sombre.

Mon grand-père paternel Szaja, dit Charles, a eu une vie étonnante. Il a quitté la Pologne, participé à la révolution russe, est parti en France où il a fait venir une cousine pour l’épouser. C’était un homme simple, physiquement très massif, habitué aux climats rudes, une force de la nature. Il est mort à 108 ans et jusqu’à l’âge de 106 ans, il était pleinement là. Mon autre grand-père Yossele, autrement dit Joseph, en dépit de son accent, était beaucoup plus francisé, il s’habillait très bien, il était extrêmement sociable, ce qui lui a sans doute sauvé la vie : au début de la guerre, les tenanciers du café en bas de chez lui, à Clichy, avec lesquels il était très ami, lui ont dit : « Allez en Corrèze, ils ne vous trouveront jamais là-bas. » C’était la première fois qu’il entendait parler de la Corrèze. Effectivement, ils ont survécu. Il a été envoyé dans deux camps français et s’est échappé deux fois. L’un des remords terribles de cet homme est de ne pas avoir réussi à convaincre son beau-frère de le suivre lors de sa seconde évasion.

Aujourd’hui, « jews turn right », comme le déplorait Daniel Lindenberg en 2001, et plus personne ne sait que, sans les juifs, la révolution bolchevique n’aurait peut-être pas eu lieu (d’où la dénonciation des judéo-bolcheviques par Maurras).

C’était quand même des gens très étranges. Ils étaient communistes avant d’être juifs, mais en même temps, ils étaient communistes parce que juifs. Ce qui les habitait en premier lieu, ce n’était pas la question sociale, c’était la question juive et le communisme était le viatique pour l’émancipation des juifs, la solution de l’équation antisémite. Leur espérance, c’était l’universalisme des identités bien plus que l’égalisation des conditions, même si la pauvreté était terrible. J’ai toujours été étonné qu’ils restent communistes. Jusqu’à la fin de sa vie, mon grand-père a reproché à Gorbatchev d’avoir bradé l’Union soviétique. Cependant, c’était des communistes pragmatiques. Ils n’étaient pas fous au point de retourner en URSS.

Ni de répudier la propriété privée puisqu’ils étaient commerçants.

La propriété privée était relativement modeste chez mon grand-père, puisque lorsqu’il est mort, il avait 8 000 euros sur son compte en banque. Il possédait aussi une machine à coudre, la 31K15, dont j’ai un peu appris à me servir. C’était de petits commerçants et mon père est devenu un gros commerçant, mais il n’a pas abjuré le communisme. C’était aussi un antisioniste qui aimait Israël et qui était très inquiet pendant la guerre de Kippour, même si ensuite il m’a expliqué que pas du tout. Il faut rappeler que la vie de mes parents s’est déroulée rue de Turenne, un quartier occupé par des commerçants juifs ashkénazes vendant des vêtements, principalement féminins. Parmi eux, il y avait trois ou quatre personnes suffisamment hostiles à Israël pour ne pas donner d’argent pour Tsahal, ce qui a pendant un temps ostracisé mon père. C’est qu’entre-temps, les séfarades étaient arrivés, ils étaient religieux et très favorables à Israël, où ils avaient des appartements.

Vous avez été grand-remplacés par les séfarades…

Mes parents étaient très universalistes, très wokes, on n’avait pas le droit d’aller voir La Cage aux folles parce que c’était une représentation intolérable des homosexuels, mais ils avaient une forme de racisme envers les séfarades, si bien qu’ils ont tout fait pour décourager l’une de mes fiancées. Ma mère avait fourré la farce de Pessah de pain, aliment totalement prohibé pendant cette fête. Je crois même qu’épouser une musulmane eût été un quartier de noblesse, mais ça n’est pas arrivé. Plus sérieusement, avec les séfarades, j’ai découvert une façon radicalement différente d’être juif.

En effet, chez vous, on était loin de La vérité si je mens ! Vous avez été élevé, écrivez-vous, par des gens en deuil.

Je n’ai pas été élevé par des vivants, mais par des survivants. Tous avaient une famille nombreuse qui était morte. Mon grand-père, par exemple, était le seul survivant de neuf frères et sœurs. Seuls des Hutus ou des Cambodgiens peuvent comprendre cette phrase, cette cohorte de gens morts dont on est responsable parce qu’on n’a pas fait ci ou ça. Pourquoi ne l’ai-je pas assommé quand il est allé se faire recenser comme juif ? Que des histoires atroces ! Ma tante raconte qu’une nurse avait proposé à ma grand-mère de garder les enfants, ma grand-mère n’a pas voulu, mais une autre famille a accepté, a donné de l’argent à cette nurse et elle a donné les enfants à la Gestapo. Ces histoires qu’on m’a racontées des milliers de fois créent une tristesse incommensurable, et aussi une confiance très relative dans le genre humain.

On dirait qu’un peu de vous réside dans cette forêt où deux petites filles, votre mère et votre tante, ont échappé à la mort.

Les expériences de menaces de mort, de faim, de froid se transmettent. J’ai extrêmement peur pour mes enfants de la faim et du froid, et j’ai moi-même été gavé comme une oie. On me faisait ingurgiter des quantités ahurissantes de nourriture, on sortait du restaurant pour aller au McDo.

Vous avez fait beaucoup d’efforts pour devenir vraiment français. Vous avez acheté une ferme, vous avez lu tous les grands auteurs français, notamment sur la vie villageoise.

J’ai eu l’impression que je devais faire un effort pour devenir Français. Et comme je suis tout théorique, j’ai plongé dans la théorie. J’ai énormément lu, des histoires de terroir, de campagne, mais je suis incapable de reconnaître un noyer d’un figuier. Je suis aussi très fort sur la famine et le manque de récoltes frumentaires en 1709, mais totalement ignorant de la façon dont on fait pousser le blé.

C’est aussi votre volonté d’être un super-français qui vous a transformé en marathonien alors qu’enfant, votre seul sport était de vous faire dispenser de sport. Mais tout cela ne vous a pas guéri de votre judéo-obsession.

Difficile d’y échapper. À droite de ma maison de la Drôme, il y a une forêt qui appartenait à Crémieux, celui du décret grâce auquel vous êtes française. À gauche, dans un petit village inconnu, il y a une synagogue du XIVe siècle.

Il y a de quoi être parano. Ou obsédé…

Oui. Ils sont partout, singulièrement dans mon esprit, ce sont des choses mentales, comme dirait Marx. Reste que l’histoire juive est une histoire française. J’ai récemment entendu un professeur expliquer que si l’antisémitisme perdurait, les juifs retourneraient chez eux. Sauf que chez eux, c’est la France, il y avait des juifs avant que la France existe. On peut être professeur en Sorbonne et l’oublier. Un jour, j’ai parlé de Maïmonide devant Aymeric Caron : il ne connaissait pas.

Donc, la « judéobsession », vous baignez dedans depuis l’enfance. N’empêche, depuis le 7-Octobre, vous ne vous contentez pas d’être juif, vous éprouvez le besoin de le dire.

Oui. Je suis juif. Le vieux sur lequel les roquettes tombent, c’est mon oncle. Je sais qu’il y a des Palestiniens qui meurent sous les bombes israéliennes, mais comme disait Camus, il y a justice et il y a ma mère.

Le 7-Octobre, la justice et votre mère étaient du même côté… Il n’est pas simple de définir un antisémite mais un juif, personne ne sait vraiment ce que c’est. Vous observez une démultiplication du signifiant, mais il y a aussi une multiplicité de référents, puisque le mot « juif » désigne à la fois une réalité généalogique (les juifs sont les descendants de…) et une réalité théologique (les juifs sont les gens du livre). Peut-être y en a-t-il une troisième : en vous lisant on se demande si les juifs ne sont pas d’abord le peuple de la Shoah.

Je pourrais vous répondre avec Robert Misrahi : « La question juive, c’est de dire que c’est une question compliquée et dans le même temps de dire qu’il n’y a pas de question. » Mais je vais essayer : les juifs ont été un peuple, probablement une religion, une diaspora, un souvenir historique, une identité héritée de la Shoah, et puis Israël a tout compliqué. Il se pourrait fort bien qu’à terme, la situation soit extrêmement simple, qu’il n’y ait plus que deux types de juif : les Israéliens (une nation) et des Américains. Depuis le 7-Octobre, le signifiant juif a été remplacé par le signifiant sioniste. C’est grâce à vous que j’ai appris ce qu’était un sioniste. Un jour ma coiffeuse m’a dit : « Méfie-toi d’Élisabeth Lévy, c’est une sioniste. » Elle m’a expliqué qu’un sioniste était un juif méchant, elle n’était pas antisémite par ailleurs. Dans tous les mails que je reçois, on ne me traite jamais de « sale juif », mais de sioniste. Or, je ne me suis jamais vécu comme un sioniste.

Donc, vous n’êtes pas méchant. Cela dit, sioniste signifie qu’on est pour l’existence d’un État national juif.

Je suis attaché à ce qu’il y ait un État rwandais.

Vous m’énervez. Il y a une idéologie qui s’appelle le sionisme qui postule que les juifs doivent avoir un État. Et puisque selon vous, il n’y aura bientôt plus de juifs en France, c’est encore plus légitime.

La présence d’une communauté juive de quelques centaines de milliers de personnes est un phénomène résiduel. Il y a deux manières de faire disparaître les juifs – en réalité, trois mais exterminons l’extermination. On peut soit les faire partir, soit les assimiler, c’est-à-dire les faire cesser d’être juif. Votre père, juif très pieux, a fait sa vie en France, mais sa post-vie en Israël.

Précisément parce qu’il était religieux. Mais sur l’assimilation, ce n’est jamais tout ou rien, même sous Napoléon. On peut être très juif et très assimilé façon Zemmour.

Je crois que Zemmour est un cas très particulier. Les juifs qui trouvent des excuses à Pétain, je n’en ai pas rencontré beaucoup. Alors revenons au cas majoritaire. Si les juifs disparaissent d’Europe, ce ne sera pas par assimilation. Demandez à n’importe quel responsable communautaire en France où sont ses enfants, il n’y a pas de question : en Israël ou en Amérique. Pas par volonté de devenir américain ou israélien. En réalité, je ne connais pas un seul juif qui n’ait jamais songé à quitter la France.

Ce qui nous amène à notre désaccord. Pour les âmes sensibles, je précise que nous poursuivons là une longue et très amicale controverse. Ces gens songent-ils à quitter la France à cause de l’extrême droite ? Connaissez-vous un seul juif qui ait fait son alyah à cause du point de détail ?

Je n’ai pas le nom d’un juif qui ait quitté la France à cause du FN, mais j’ai le nom d’un juif qui avait très peur du FN, et c’est moi.

Ce n’est pas une justification.

Mais enfin, j’ai le droit d’avoir peur, pour moi et pour les autres. La haine du musulman ne rassure pas le juif en moi.

Vous confondez la haine du musulman et la critique de l’islam. L’islamophobie est parfaitement légale. J’ai le droit de ne pas aimer l’islam comme religion.

Vous avez tous les droits tant que vous respectez la loi, et je pense que vous la respectez.

Je respecte les personnes. Pas la religion.

D’accord, mais accordez-moi le droit de ne pas être islamophobe. En tant que sociologue, je serais toujours plus compréhensif pour les phénomènes religieux que vous. Mais peut-être le suis-je trop.

Vous avez le droit de vous tromper d’adversaire. Mais il est tout de même étrange d’avoir résisté si longtemps à admettre l’existence d’un antisémitisme qui tue, écarte les enfants juifs de l’école publique et crache ouvertement sa haine, tout en étant obsédé par un antisémitisme qui proférait des propos dégoûtants, mais n’a jamais mis en péril l’existence juive en France. De plus, s’agissant de Marine Le Pen, son dossier est parfaitement vide. Son seul crime est d’avoir eu un père.

Chez moi, on dit qu’on peut avoir un cancer du poumon et un bureau de tabac. Il y a deux périls distincts. L’antisémitisme traditionnel d’extrême droite était parfaitement incarné par Jean-Marie Le Pen, et se passe de commentaire. Cette extrême droite aurait pris le pouvoir en 1939 si ce chien de Pétain ne l’avait pas pris.

Jean-Marie Le Pen avait 11 ans en 1939.

Je crois qu’il n’a jamais renié publiquement le maréchal Pétain.

Certes, et c’est fâcheux. N’empêche que ce qui a fédéré les lepénistes, c’est la guerre d’Algérie.

Il a été condamné pour antisémitisme.

En attendant, vous ne me répondez pas. Cet antisémitisme a-t-il fait peur aux juifs ? La différence entre nous, c’est que je peux vivre avec un antisémitisme qui fait des blagues de fin de banquet ou qui se cache dans les reins et les cœurs, d’autant plus que Le Pen a été ostracisé. Contrairement à son successeur qui trouve des excuses aux tueurs de juifs et explique que l’antisémitisme est résiduel.

Mélenchon a raison ! Le risque avec Le Pen, c’était un État officiellement antisémite. C’est l’hypothèse sur laquelle ont vécu tous les juifs de gauche qui défilaient contre le FN. C’est le canal historique et je ne le renie pas. Ensuite, que signifie le propos de Mélenchon ? Soit que Mélenchon est antisémite, et on ne va pas en faire toute une histoire…

Ah ? On en fait une histoire pour Le Pen et pas pour Mélenchon…

Vous avez entendu parler du second degré ? Je poursuis. Soit cela signifie que l’antisémitisme aujourd’hui n’est plus un phénomène de top-down, qui part du haut vers le bas. Mélenchon pense que l’État français est islamophobe, alors qu’il n’est pas judéophobe, le gouvernement assiste aux dîners du CRIF. Pour lui, les lois françaises qui restreignent le port du voile sont islamophobes, car elles empêchent les musulmans d’être musulmans. Elles n’empêchent pas les juifs d’être juifs.

En tout cas, « résiduel » ne signifie pas « issu de la société ». Ou alors la consommation de drogue est résiduelle. Passons. Si je résume, vous avez peur d’une menace passée qui n’a jamais été proche de se réaliser, mais pas de la menace actuelle et réelle ?

Vous exagérez ! Le Pen a fait 16 %, ce n’est pas rien pour un type qui est ouvertement antisémite.

A-t-il été proche du pouvoir ?

16% !

Un commerce juif de Paris interdit l’entrée aux négociants allemands, en réponse au boycott des commerces juifs en Allemagne, 30 mars 1933 © Bridgeman Images

Au deuxième tour, ce qui est historiquement bas. Songiez-vous à quitter la France en 2002 ?

Non, mais je maintiens : 16 % d’électeurs prêts à voter pour un homme condamné pour antisémitisme, c’est beaucoup.

Et il y a aujourd’hui 25 % d’électeurs prêts à voter pour une alliance dominée par un parti qui flatte l’antisémitisme des quartiers qui prospère depuis vingt ans.

Je tiens ma ligne, on peut avoir deux ennemis. Pour moi, Jean-Marie Le Pen, c’est le canal historique.

Justement, il est historique. C’est derrière nous.

Si vous le dites. Ensuite, nous sommes d’accord sur tout sauf sur un point : ça n’est pas l’islam en tant que tel qui sécrète de l’antisémitisme. Je vous l’accorde, j’ai effectivement tardé à reconnaître l’existence de cet antisémitisme. Quand Les Territoires perdus de la République sort, je fais de l’épistémologie, je dis que ce n’est pas le bon échantillon, etc. Je refuse de voir, pour des raisons évidentes. Donc je ne vois pas venir ce qui nous arrive.

Notre drame, ce n’est pas qu’il existe un antisémitisme communautaire, c’est que l’antisémitisme est à la mode. Quand j’étais petit, il y avait la main jaune et c’était à la mode d’être antiraciste, on était très couillons, mais on était antiracistes. Et maintenant on est très couillons, mais on est antisémites. On n’est pas antimusulmans, ce n’est pas à la mode. C’est à la mode d’écouter des rappeurs antisémites, dont on explique qu’ils ne le sont pas. Les punks portaient des croix gammées – je n’aimais pas tellement –, mais cela n’allait pas plus loin que de la provocation. Aujourd’hui, la provocation est reliée à des organisations extérieures, Al-Qaïda existe, Daech existe, etc.

C’est votre nouvelle ligne de défense : l’antisémitisme est un phénomène importé ? Vous êtes sérieux ?

Mais non au contraire, ce n’est pas une manière de minimiser le phénomène. Sid Vicious, le leader des Sex Pistols, était un crétin politique. Mais son but de crétin n’était pas d’établir un empire punk au Cham, ou de tuer les kouffars qui écoutaient du disco.

En attendant, vos grands défilés contre un fascisme imaginaire (en tout cas très virtuel) nous ont fait perdre beaucoup de temps et désarmés dans la lutte contre l’islamisation. J’en veux terriblement au progressisme de mon pays.

Ça ne s’est pas passé comme ça. La date importante, peut-être plus que le 7-Octobre, c’est mars 2012, le massacre de l’école Ozar Hatorah. Je ne découvre pas l’antisémitisme terroriste, on le connaissait depuis Copernic, je découvre que les gens s’en foutent, en tout cas que ce n’est pas un événement. Il faut que mon amie Sophia Aram me tire de chez moi pour que j’aille manifester contre l’assassin d’Ozar Hatorah, et on est 200. La vraie différence entre vous et moi, c’est que vous pensez avoir des solutions alors que je n’en ai pas.

Je vous accorde que personne ne sait extirper les mauvaises idées de la tête des gens. Ceci étant, il faudrait d’abord s’accorder sur le diagnostic. Toutes les études historiques et sociologiques prouvent que la haine des juifs gangrène le monde arabo-musulman, d’Alger à La Courneuve. Mais on a insulté et « fascisé » Finkielkraut, Bensoussan et tous ceux qui voyaient.

Je ne les ai jamais insultés, j’ai probablement tenté de me rassurer en les considérant comme obsédés, ou aveuglés par leurs craintes.

Quoi qu’il en soit, le sociologue que vous êtes m’accordera que l’islam n’est pas un objet métaphysique immuable. Il n’y a pas de vrai islam ou de vraie gauche, il y a des expressions historiques de l’islam ou de la gauche. L’islam est ce qu’il est dans le réel. Vous-même observez qu’on enseigne les versets antijuifs du Coran dans les écoles religieuses.

Justement, on trouve les mêmes dans les Évangiles, mais il y a eu Vatican II. On peut très bien imaginer un Vatican II musulman. Votre erreur, c’est de ne pas voir que les musulmans antisémites – et non les autres – se sont très bien intégrés. En fait, ils sont antisémites comme Occidentaux et non comme musulmans.

Pourquoi sont-ils antisémites partout ?

Le monde arabe est dans un état désespérant et la seule religion séculière qui lui reste, c’est l’antisionisme. C’est son espérance et son utopie. La seule chose qui peut donner de la joie aux houthis du Yémen, c’est d’envoyer deux obus sur Tel-Aviv. Je les comprends, on a tous besoin de joie. La matrice de cet antisémitisme-là est fournie par des choses occidentales, « Les Protocoles des Sages de Sion », seul texte que cite la charte du Hamas. Et qui est par ailleurs d’une pauvreté intellectuelle confondante.

L’antisémitisme existait dans le monde arabe bien avant Israël. Et si toutes les sociétés musulmanes ont un problème avec l’altérité et les minorités, ce n’est pas la faute de l’Occident !

Cela ne m’a même pas traversé l’esprit. Les individus sont de grandes personnes, je ne suis pas décolonialiste. S’ils se saisissent de Marx ou des « Protocoles des Sages de Sion », ce n’est pas parce que l’Occident leur a imposé quoi que ce soit. Reste qu’il y a trente ans, quand on parlait avec des gens de l’OLP, on avait des bases communes parce qu’il y avait le socialisme en commun. Aujourd’hui quand on discute avec des gens du Hamas, la chose en commun, c’est « Les Protocoles des Sages de Sion ». Enfin, je vous rappelle que le sort des minorités n’a pas toujours été merveilleux en Occident.

Mais l’Occident aussi est un objet historique qui se transforme. En somme, on n’a qu’à attendre deux siècles pour que l’islam soit tolérant envers les minorités, y compris chez nous ?

Non, je ne prétends pas faire entrer le musulman dans l’Histoire. Reste que la cohabitation s’est passée tant bien que mal jusqu’à la modernité. Le grand départ des juifs du monde musulman, c’est la modernité tardive et c’est une culture millénaire qu’on efface, un million de personnes qu’on vire.

Comme en terre catholique, il peut y avoir des juifs et de l’antisémitisme, le plus souvent ça va ensemble.

Oui, mais il peut y avoir de l’antisémitisme et de la cohabitation heureuse. On peut vivre avec une certaine forme d’antijudaïsme. Je m’en fous qu’il y ait des stéréotypes antijuifs, cela ne me dérange pas. Ce qui me dérange, c’est quand on brûle le Talmud, ou qu’on vous expulse.

Les stéréotypes antijuifs ne vous dérangent pas ? Sauf chez Le Pen alors…

En fait, un bas niveau d’antisémitisme ne me dérange pas, il me paraît même inévitable. Mais lorsque celui-ci fricote avec le négationnisme, je ne suis plus d’accord.

Bon, vous admettez l’existence d’un antisémitisme musulman. Vous pensez qu’il ne vient pas de l’islam, nous ne tomberons pas d’accord sur ce point. Mais est-il utile d’écrire toutes les quatre phrases que ces antisémites sont racisés, contrôlés au faciès, bref qu’ils sont aussi des victimes ?

Oui, c’est essentiel. On a tort de parler de « concurrence victimaire ». Les deux racismes ne sont pas les mêmes. La singularité historique du racisme antijuif est qu’il fournit une explication du monde. Le racisme anti-arabe rend la vie impossible à ceux qui en sont les victimes, mais ne débouche pas, sauf exception, sur une métaphysique. C’est cela qui me frappe avec l’antisionisme actuel, c’est son quasi-messianisme. Éliminons Israël, et la terre sera débarrassée du mal.

En supposant même que ce racisme soit aussi répandu que ce que vous pensez, ce dont je doute, le discours victimaire et le ressassement de nos crimes passés n’a pas vraiment aidé nos concitoyens arabes, en fournissant aux délinquants une justification pour incendier des voitures ou des médiathèques.

Je ne suis pas en faveur des gens qui brûlent des médiathèques, mais je n’ai absolument aucune idée sur la manière de régler cette question.

Le 7-Octobre vous a-t-il ouvert les yeux sur LFI ?

Non. En tout cas, je n’ai pas découvert l’antisémitisme de gauche, peut-être même l’ai-je surestimé parce que pour moi, il y a un lien très étroit entre l’anticapitalisme et l’antisémitisme.

Vous refusez de choisir. À côté du diable rouge dont vous reconnaissez tout à fait l’existence, on dirait que vous avez besoin d’un diable brun. Sans doute votre histoire familiale y est-elle pour quelque chose.

S’il faut que je fouille en moi-même, j’ai effectivement du mal à imaginer que des gens de gauche soient vraiment antisémites. Mais je suis obligé de considérer que certains, s’ils ne le sont peut-être pas, jouent dangereusement avec les codes, pour avoir 12 % des voix. Ils auront une terrible responsabilité. Parmi eux, il doit y avoir une poignée à sauver, ils sont dans une telle détresse que leur seule espérance est la dénonciation du sionisme. Ça doit exister.

Les pauvres. On vient de célébrer avec force grands mots les quatre-vingts ans de la découverte d’Auschwitz. Vous montrez comment la mémoire de la Shoah est passée du refoulement à l’hypertrophie. Mais après cinquante ans au moins de « plus jamais ça », le bilan n’est pas brillant. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

J’ai toujours du mal à dire ce que nous avons mal fait. Ce qui est remarquable, c’est que la Shoah aujourd’hui est un événement matriciel pour l’Occident. Tout le monde reconnaît le caractère sublime, au sens kantien, de la Shoah, c’est-à-dire indépassable dans le mal. Tout le monde y compris l’Iran. Le négationnisme a échoué, car au fond personne n’est capable d’acheter l’idée que ces juifs ne sont pas morts. Nous sommes passés dans le dubitationnisme comme dirait Taguieff – le « quand même, c’est bizarre », etc. Avant le point de détail, Jean-Marie Le Pen disait que le négationnisme était une mauvaise connerie. Je suis tout à fait d’accord avec lui, c’est une mauvaise connerie. L’incommensurabilité de l’événement est un acquis.

Vous trouvez, alors qu’on nous raconte que Auschwitz/Gaza même combat ?

Cela ne veut pas dire que la Shoah n’a pas été une Shoah, ça veut dire qu’il y a d’autres Shoah. Cela veut dire que c’est l’étalon du mal. Quand on vous dit que ce qui se passe à Gaza est une Shoah, c’est faux parce que ce sont des crimes de guerre, mais en même temps, cela signifie que la Shoah, ce n’était pas bien.

On a aussi accusé les juifs d’instrumentaliser la Shoah. Cette accusation cache souvent de l’antisémitisme. Est-elle toujours fausse pour autant ? N’y a-t-il jamais eu chez des responsables et intellectuels juifs, la tentation de faire des juifs les chouchous du malheur pour l’éternité ?

Vous admettrez qu’ils ont eu leur dose. Cependant je ne suis pas un lapin de trois heures, vous avez évidemment raison. Nétanyahou le fait tous les jours. La grande erreur, c’est d’avoir transformé la Shoah en religion. Mais j’ai du mal à me dire qu’on en a trop fait. La phrase « vous en faites trop avec la Shoah » a été trop souvent prononcée par des antisémites pour que je la reprenne à mon compte.

Vos enfants ne vivent pas avec vos morts. L’obsession s’arrêtera-t-elle avec vous ? Serez-vous celui qui fermera la porte et éteindra la lumière ?

C’est très étrange, parce que ma femme n’est pas complètement juive et mes enfants sont plutôt juifs, l’un des trois va au Talmud Torah. Je ne sais pas ce qu’il adviendra.

Pensez-vous qu’ils vivront en France ? Pensez-vous vraiment qu’un jour prochain il n’y aura plus de juifs en Europe ?

La démographie, c’est imparable, la décrue a déjà commencé, et je ne vois pas ce qui pourrait l’inverser. Nous n’en sommes pas au dernier juif, mais aux derniers des juifs.

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Requiem pour la Corse

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Avec Le Mohican, Frédéric Farrucci signe un film très réussi, mais au sous-texte politique peut-être un peu trop ambigu à notre goût…


L’Île de Beauté est-elle vraiment la France ? Deuxième long métrage de l’enfant du pays Frédéric Farrucci après La nuit venue (2020), Le Mohican autorise le doute. Le film est porté d’un bout à l’autre par Alexis Manenti, 42 ans, acteur et scénariste également de souche corse, qu’on retrouve actuellement dans Le Dossier Maldoror, de Fabrice du Wlez, sorti le 15 janvier, et aussi dans Ad Vitam, le thriller produit et interprété par notre Canet national qui fait un carton sur Netflix.

En cavale

Sous les auspices de Farrucci, le corpulent garçon s’est placé, ici, dans la chair dolente de Joseph, un des derniers survivants de la tradition rurale dans ce paradis désormais arraisonné par la logique spéculative, corrélée à la manne du tourisme. Le jeune berger s’accroche à son terrain ; il y élève ses chèvres, à deux pas du littoral, cerné par les parcelles promises au bétonnage. On cherche à l’intimider ; il ne cède pas. Mais tue accidentellement l’investisseur véreux venu en personne le menacer d’un revolver. Et voilà Joseph en cavale, doublement pris en chasse, et par la maréchaussée, et par la mafia locale, de la Corse du Sud jusqu’au Cap corse. Les réseaux sociaux s’emparent du fait divers. Vannina (Mara Taquin), venue en vacances chez son oncle, devient via Twitter le fer de lance de la mobilisation en faveur du fuyard, bientôt surnommé « le Mohican » dans les médias et sur les réseaux, et dont le visage, tagué sur les murs des villages, prend une dimension iconique. Chez quelques vieux insulaires (ce qui fournit des séquences hautes en couleur, dialoguées en dialecte corsu pur jus), Joseph trouvera un refuge précaire – mais le piège, inexorablement, se referme. Le chœur qui monte sur les derniers plans du film sonne comme un requiem.

A voir aussi: Jeu de massacre

Sous-texte ambigu

C’est avec une belle économie de moyens que Frédéric Farrruci développe ce faux thriller investi d’une résonnance politique évidente, à l’heure où le projet de statuer sur « l’autonomie » de ce territoire est toujours dans les cartons, à Paris. Reste que la Constitution ne reconnaît, jusqu’à nouvel ordre, qu’une seule communauté, celle de la nation française.  S’il existe un « peuple corse », alors le « peuple breton », le « peuple alsacien », le « peuple auvergnat », le « peuple basque » sont en droit d’exiger le même type de reconnaissance. Faut-il encourager le FLNC (Front de libération nationale) dans ses revendications, étayées d’attentats sur des résidences secondaires ? Le « sous-texte » du film de Farrucci est ambigu : la nostalgie d’un littoral vierge de constructions de villas et d’hôtels, de plages préservées de l’invasion touristique, d’une Corse rurale immaculée, etc. est légitime. Reste que la Corse n’appartient pas exclusivement aux Corses, pas plus que l’île de Ré au seuls Rhétais. Que les Corses commencent par s’imposer à eux-mêmes des règles d’urbanisme et de protection environnementales strictes, et à les respecter absolument, qu’ils éradiquent l’hydre mafieuse qui corrompt chez eux la moindre décision. Après, on verra.   


Le Mohican. Film de Frédéric Farrucci. Avec Alexis Manenti. France, couleur, 2024.
Durée : 1h27.
En salles le 12 février 2025

Comment nos élèves ont effacé le sens de l’histoire

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Le linguiste Alain Bentolila a été confronté au refus de croire en l’histoire qui est enseignée au collège. En l’occurrence celle de la Shoah. Il témoigne.


Un après-midi de la fin du mois de janvier, à Créteil. Je suis dans une classe de sixième, invité par un professeur d’histoire de mes amis. En ce jour commémoratif de la Shoah, ce jeune enseignant a décidé de rappeler très factuellement ce que fut « la catastrophe ». Il choisit de focaliser son récit sur le camp d’extermination d’Auschwitz.

« Ce dont je veux vous parler aujourd’hui, ce n’est pas une histoire, c’est l’Histoire avec un grand H. Tout cela s’est réellement passé et nous en avons les preuves en photos, en témoignages et en enquêtes menées sur place. Le 27 avril 1940, Himmler, bras droit d’Hitler, donne l’ordre d’aménager un camp de concentration dans les anciennes casernes de l’artillerie polonaise à Oswiecim, rebaptisé Auschwitz. Construit par des Juifs de la ville requis par les nazis, le camp d’Auschwitz reçoit un premier transport de prisonniers polonais, le 14 juin 1940. En mars 1941, Auschwitz s’étend sur 40 km² et compte 11 000 prisonniers, majoritairement polonais. Le 1er mars 1941, Himmler en demande l’élargissement à 30 000 prisonniers et décide la construction d’un second camp pour 100 000 prisonniers de guerre sur le site du village voisin de Brzezinka (Birkenau), distant d’environ trois kilomètres. Mais dans la seconde moitié de l’année 1941, Himmler informe les autorités du camp du projet d’extermination en masse des Juifs d’Europe. Birkenau est alors désigné pour être le camp de rassemblement et d’extermination des Juifs d’Europe de l’Ouest.

Le site est loin des capitales d’Europe occidentale et l’extermination pourra s’y dérouler discrètement. De plus, il est desservi par un important réseau ferroviaire qui facilitera l’acheminement des convois de déportés. Le complexe d’Auschwitz devient le plus vaste et le plus peuplé des camps de l’univers concentrationnaire nazi, l’immense majorité des déportés sont juifs.

À partir de juillet 1942, la sélection est pratiquée sur chaque transport. Les hommes d’un côté, les femmes avec les enfants de l’autre, répartis en deux colonnes, se dirigent vers les médecins SS qui, d’un geste de la main les envoient à la mort ou au travail. Environ 800 personnes entrent en même temps. Une fois la porte verrouillée, les SS introduisent le Zyklon B par des orifices prévus à cet effet. » 

A lire aussi, du même auteur: Quand la langue de Dieu tua l’école algérienne

Un élève se lève alors et, sans agressivité particulière s’adresse à son professeur en le tutoyant : « Tu n’y étais pas et moi non plus, alors tu crois ce que tu veux et moi aussi ! »

J’ai encore, gravé dans ma mémoire, le souvenir glaçant de cette phrase prononcée avec un sentiment d’évidence. Ainsi donc, dans cet univers dominé par la brutalité de l’image, l’Histoire qui rassemble nos mémoires n’éclairait plus la réflexion de cet élève pour qui la superficialité de l’évidence l’emportait de fort loin sur la profondeur de l’analyse des documents. Il n’avait que faire des informations transmises, de plume en plume, de génération en génération. Seul importait l’instantané visible et montrable qui refuse tout ancrage temporel, toute mise en contexte, toute comparaison fertile.

La continuité historique, construite patiemment à distance, de trace en trace, d’exhumation en exhumation, est aujourd’hui devenue suspecte pour beaucoup de nos élèves. Suspecte de mensonge et suspecte de manipulation, elle cède à tout coup devant la « preuve iconique » la plus dépravée. L’image prétend ainsi supplanter le récit raisonné de notre histoire et imposer sa brutalité ponctuelle à la pensée articulée en effaçant l’examen exigeant des documents. L’affirmation « Je crois ce que je vois » porte en elle le danger d’une pensée « à courte vue », une pensée « impressionnée », privée des liens chronologiques et logiques que seuls le récit historique et l’interprétation des faits peuvent offrir.

Beaucoup de nos élèves ont fait du passé « table rase » et du futur une croyance et nous en sommes collectivement responsables.

Alors, à quoi bon vous battre pour léguer à ceux qui arrivent une planète « vivable » si leurs esprits, privés de mémoire collective, de langage maîtrisé et du désir de comprendre, sont condamnés à errer dans le silence glacial d’un désert culturel et spirituel ? Soumis au premier mot d’ordre, éblouis par le premier chatoiement, trompés par le moindre mirage. 

Ceux qui murmurent à l’oreille de Trump

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On savait que Donald Trump voulait que son retour à la Maison Blanche déclenche une véritable révolution gouvernementale. Qui sont les personnalités dont il s’entoure pour arriver à ses fins ? Gerald Olivier, grand spécialiste des États-Unis, passe en revue les différentes nominations du président. Deuxième partie : le « bureau exécutif » de Trump, constitué de ses plus proches conseillers.


>>Relire la première partie, Les Hommes – et Femmes – du président<<

Au contraire de ce que l’on avait observé lors de son premier mandat, Donald Trump s’est, cette fois, entouré de personnalités proches de lui : des gens qui partagent sa vision d’une « Amérique en tête » («America First ») et dont il peut attendre qu’ils lui soient dévoués et fidèles. La loyauté et une vision partagée du travail à accomplir ont été ses critères de choix fondamentaux. Cela est particulièrement vrai pour les membres de son bureau exécutif. Il s’agit de ses plus proches conseillers, en politique étrangère, en matière économique, et pour diriger les multiples agences fédérales chargées d’appliquer les diverses règlementations.

Sécurité et renseignement

Comme Conseiller à la sécurité nationale, Trump a désigné Mike Waltz, un ancien Béret vert de 51 ans, devenu élu de Floride qui s’est fait un nom au Congrès par son intransigeance vis-à-vis de la Chine. Ce choix illustre à la fois les priorités de Donald Trump et son réalisme. Pour lui, la Chine constitue la principale menace à l’hégémonie américaine et donc à la sécurité nationale des États-Unis. La bataille pour le leadership global au XXIe siècle se joue entre Washington et Pékin et, selon Trump, les administrations américaines récentes n’ont pas correctement évalué cette menace ni suffisamment contré l’attitude de plus en plus hégémonique de la Chine. Pour rappel, Joe Biden avait identifié les « terroristes de l’intérieur » (c’est-à-dire les supporters de Donald Trump) comme première menace contre les États-Unis tandis que Barack Obama pensait que cette place revenait au… réchauffement climatique (sérieusement).

Comme directeur de la CIA, Trump a choisi John Ratcliffe, qui avait été son DNI (Director of National intelligence) de 2020 à 2021 (poste qui sera occupé par Tulsi Gabbard dans sa nouvelle administration). Ratcliffe est un ancien représentant du Texas au Congrès et un allié historique de Donald Trump. Il fut l’un des premiers à dénoncer les accusations de collusion avec la Russie comme une affabulation montée par les démocrates avec la complicité des services de renseignement, pour nuire à la campagne de Donald Trump puis faire dérailler sa présidence. Ratcliffe dénonça aussi comme de la désinformation la fameuse lettre des experts du renseignement d’octobre 2020, niant l’existence de l’ordinateur d’Hunter Biden, le notoire «laptop from Hell». 

Il faut s’attendre à un grand nettoyage au sein de l’agence de Langley, et à une réorientation du renseignement. Depuis que Ratcliffe a été confirmé, la CIA a officiellement indiqué que la thèse d’un virus fabriqué et échappé du laboratoire de Wuhan en Chine était la plus vraisemblable quant à l’origine du Covid-19. A l’inverse de la thèse officielle reprise par tous les médias bien-pensants d’un virus accidentellement transmis à l’homme par une chauve-souris et un pangolin… Selon la CIA, la thèse de la fuite d’un laboratoire chinois n’est donc ni du complotisme, ni de la désinformation, mais bien la réalité. Si complot il y a eu, il est venu de la Chine et de tous les fonctionnaires et journalistes, y compris au sein de l’administration Biden, ayant défendu et propagé cette thèse officielle pour dissimuler la vérité.

A la direction du renseignement (DNI) Donald Trump a nommé Tulsi Gabbard, une transfuge du parti démocrate de 43 ans qui fut représentante de Hawaï et candidat démocrate à la Maison Blanche en 2020. Gabbard est une ancienne combattante avec le grade de lieutenant colonel. Elle a débuté sa carrière au sein de la Garde nationale d’Hawaï et a été déployée à deux reprises en Irak. Ce qui ne l’a pas empêchée de toujours opposer cet engagement des États-Unis, tout comme ceux en Afghanistan et en Syrie. Gabbard est une « non-interventionniste » ralliée au slogan  « America First ». 

Elle a dénoncé le « complexe militaro-industriel », le lobby des « faucons » à Washington, et le parti pris anti-conservateur des services de renseignements. L’été 2024,  en pleine campagne présidentielle, elle s’est retrouvée placée sur une liste secrète de personnalités présentant « un risque terroriste » par l’administration de la sécurité aérienne (Transport Security Administration, TSA) ! Il s’agissait d’un programme secret appelé « Quiet Skies » (Ciels tranquilles) ciblant des individus suspects… La TSA a juré qu’il s’agissait d’une erreur regrettable et a blâmé l’algorithme de son application. Mme Gabbard a dénoncé un harcèlement délibéré, notant que son nom était apparu sur la liste juste après qu’elle ait critiqué le choix de Kamala Harris, comme candidate démocrate à la place du défaillant Joe Biden… Pour Tulsi Gabbard, il ne fait aucun doute qu’il s’agissait en fait d’une tentative d’intimidation de l’administration au pouvoir…

Des agences nationales et supranationales dans le collimateur

Donald Trump a confié le poste d’ambassadeur à l’ONU à Elise Stefanik, représentante de New York passée par l’université d’Harvard, et vouée à la cause d’America First. Stefanik appartient à cette nouvelle garde républicaine, jeune, enthousiaste et brillante, qui a trouvé en Trump un leader fier et sans concession. Agée de 40 ans aujourd’hui, elle fut en 2014 la plus jeune femme de l’histoire à être élue au Congrès. A l’ONU sa mission sera de rappeler aux tenants d’un « gouvernement mondial » qu’il faut avoir les moyens de ses prétentions si on veut s’asseoir à la table des grands… En clair, les États-Unis entendent être respectés au sein de cette enceinte dont ils financent un tiers du budget. Cela signifie qu’à défaut d’être écoutés, les États-Unis cesseront de financer les dizaines d’agences qui, sous couvert d’aide humanitaire, entretiennent l’anti-américanisme dans le monde. 

D’ailleurs parmi les premiers décrets signés par Donald Trump depuis le 20 janvier, l’un concernait la sortie des États-Unis de l’OMS, l’Organisation Mondiale de la Santé, que Trump avait déjà quittée en 2018, mais à laquelle l’administration Biden avait réadhéré… La participation des États-Unis à l’UNESCO et à l’UNRWA (aide aux réfugiés palestiniens) a également été suspendue sine die

L’immigration clandestine fut un sujet majeur de la campagne présidentielle, et Donald Trump a promis non seulement de stopper le flot des entrées de clandestins, mais aussi de renvoyer chez eux ceux qui sont entrés illégalement au cours des quatre années écoulées, grâce à la mise en place du plus grand programme d’expulsions de l’histoire américaine.

A lire aussi dans le magazine, John Gizzi: La ruée vers l’âge d’or

Pour effectuer cette double tâche, Trump a nommé un nouveau « tsar de la frontière » (Border Tsar), en la personne de Tom Homan, un homme de 63 ans à la carrure de catcheur. Homan a aussi un franc parler et un aplomb qui ont plu au président. Il fut le directeur de ICE (Immigration & Customs Enforcement) de 2017 à 2018, l’agence en charge de la sécurité des frontières. Chargé de mener à bien les expulsions d’immigrants clandestins promises par Donald Trump, il s’est mis au travail dès le 21 janvier avec près d’un millier de ressortissants étrangers rapatriés dans leur pays d’origine, principalement des pays d’Amérique latine, chaque jour depuis. Trump a fixé un objectif de mille cinq cents personnes par jour. Ce chiffre est en fait modeste. Sous la présidence de Barack Obama, 2,5 millions de clandestins avaient été expulsés entre 2009 et 2015 soit près de mille par jour. L’objectif de Donald Trump est supérieur de 50% à celui d’Obama mais, à supposer qu’il soit atteint, cela ne représentera que 2,2 millions d’expulsions au bout de quatre ans… Alors que ce sont près de dix millions de clandestins qui sont entrés sous l’administration Biden.

Pour reprendre le FBI, dont le directeur Christopher Wray a démissionné, Donald Trump a sélectionné Kash Patel, un avocat d’origine indienne. Né à New York en 1980, de parents ayant immigré aux États-Unis depuis le Gujarat indien, via l’Ouganda, Kashyap Pramod Vinod Patel est devenu avocat puis procureur. Engagé comme conseiller juridique par le président de la Commission du Renseignement de la Chambre il a, le premier,  pointé du doigt les abus et erreurs commis par les agents du FBI pour obtenir des mandats de surveillance téléphonique contre Donald Trump et les membres de son entourage pendant la campagne présidentielle de 2016. Cela lui a valu la haine durable des démocrates et des dirigeants du FBI, ainsi que d’être catalogué comme un dangereux adepte de théories complotistes par les médias. A ceci près que les événements et les enquêtes ont démontré que tout ce que Patel avait dénoncé était vrai ! Le complot existait bien et le FBI en était le cœur… Autant dire que sa nomination a provoqué une onde de choc dans l’agence et au sein de l’ensemble de la bureaucratie washingtonienne. Ce que Trump appelle l’État profond. 

Si la nomination de Kash Patel est confirmée par le Sénat, ce que les Républicains sont en mesure d’obtenir puisqu’ils détiennent la majorité au sein de ce cénacle, son arrivée au FBI signifiera le début d’un nettoyage profond de l’agence pour en éliminer tous les idéologues et tous les agents qui ont outrepassé leur fonction et leur pouvoir au cours des dix dernières années, pour nuire au 45e président en particulier, à ses supporters et aux conservateurs en général. Cette bataille juridique sera épique. Les fonctionnaires du FBI sont en général passés par des études de droit et savent utiliser les tribunaux. De son issue dépend la confiance des Américains dans la justice et dans leur gouvernement.

Les affaires sont les affaires – et pas l’environnement

A l’EPA (agence pour la protection de l’environnement) Trump a désigné Lee Zeldin, ancien représentant républicain de New York et candidat malheureux au poste de gouverneur en 2022. Agé de 45 ans Zeldin est avocat, il est passé par l’armée et a été déployé en Irak avant de s’engager en politique. Derrière « l’environnement », pointent les sujets controversés du climat et de l’énergie. Après des années de règlementations restrictives au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, Trump a indiqué son souhait de libérer le marché de l’énergie et de purger les idéologues du climat qui noyautent l’administration américaine depuis des décennies. Donald Trump a déjà sorti les États-Unis du vieil accord de Paris. Et ce pour la deuxième fois. La tâche de Zeldin sera d’annuler toutes les autres règlementations propres aux États-Unis. Cela présage de nombreuses batailles juridiques avec le puissant lobby de l’environnement et ses centaines d’associations locales.

Aux petites et moyennes entreprises (Small Business Administration), Trump a désigné Kelly Loeffler. C’est une femme d’affaires de 54 ans, qui a occupé brièvement le siège de sénateur de Géorgie. Sa loyauté à Trump est incontestable. Elle l’a notamment soutenu en 2020 lorsqu’il a dénoncé des fraudes et un résultat truqué dans cet État du sud des États-Unis. Son nouveau job est essentiel. « Small business » aux Etats-Unis désigne une entreprise de moins de cinq cents salariés. Il y en a plus de cinq millions à travers le pays. C’est le poumon économique des États-Unis. Six Américains sur dix travaillent pour un « small business ». Durant le premier mandat de Donald Trump, plus de quinze millions d’emplois avaient été créés par des PME. Cette fois Trump compte sur ses baisses de charges sur les salaires et sur ses dérèglementations pour favoriser l’innovation, les créations d’entreprises et donc les créations d’emplois. 

Comme directeur du Budget (Director of the Office of Management and Budget, ou OMB), Trump a nommé Russ Vought qui avait déjà occupé le poste durant son premier mandat. Vought est un avocat de 48 ans spécialisé dans les questions de gestion avec plus de vingt ans d’expérience auprès des élus républicains du Congrès. C’est un fervent chrétien proche de la Heritage Foundation, un club de pensée conservateur de Washington. Vought a participé à l’élaboration du fameux « Project 2025 » que les Démocrates ont tenté d’ériger en épouvantail durant la campagne présidentielle. Sans succès. Au OMB, Vought aura pour mission de réduire le déficit abyssal laissé par l’administration Biden : pour les seuls trois derniers mois de 2024 (octobre à décembre), le déficit budgétaire à dépassé 700 milliards de dollars, soit deux mille huit cents milliards en rythme annuel, équivalent à un déficit de 45% ! Du jamais vu même pendant la Seconde Guerre mondiale…

Corps diplomatique ?

Parmi les ambassadeurs, plusieurs noms ressortent :

Ambassadeur en France : Charles Kushner, l’homme par qui le scandale est arrivé… Charles Kushner est un milliardaire new-yorkais qui a fait fortune dans l’immobilier, comme Trump et presqu’en même temps que lui. C’est aussi le père du gendre de Donald Trump, Jared Kushner qui a épousé Ivanka Trump, la fille de Trump avec sa première épouse Ivana, en 2009. Mais Charles Kushner est surtout connu aux États-Unis pour avoir été condamné à deux ans de prison pour fraude fiscale et tentative d’extorsion avec intimidation… Trump lui a accordé sa grâce présidentielle en décembre 2020, à la veille de quitter la Maison Blanche. Depuis, Charles Kushner a contribué près d’un milliard de dollars à un « PAC » proche de Trump, ce qui lui vaut cette récompense aujourd’hui. Pour précision, les postes d’ambassadeur sont régulièrement attribués aux plus gros contributeurs financiers du président élu. Il n’y a pas de filière diplomatique aux États-Unis…

Ambassadeur auprès de l’OTAN : Matthew Whitaker. Whitaker fut brièvement garde des sceaux durant le premier mandat de Trump. Il est plus connu comme spécialiste des questions juridiques que des relations internationales. Mais c’est surtout un dévoué et loyal supporter de Donald Trump. Son rôle sera de « renforcer les liens entre les États-Unis et l’OTAN », selon les termes de Trump lui-même, en se faisant le relais des exigences de son patron, notamment en ce qui concerne les obligations contractuelles des alliés de consacrer au moins 2% (et peut-être même 5%) de leur budget à la défense.

Ambassadeur en Israël : Mike Huckabee. Ancien gouverneur de l’Arkansas, et candidat à la nomination républicaine, M. Huckabee est un chrétien évangélique, et à ses heures joueur de guitare basse, avec une sensibilité particulière pour le peuple juif et sa destinée. Il sera là pour garantir qu’il n’y aura pas l’épaisseur d’une feuille de papier entre Washington et Jérusalem.

Emissaire au Proche Orient, Steve Witkoff. Wittkof est déjà connu car c’est lui qui a négocié le récent accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, permettant la libération de quelques otages israéliens contre des centaines de prisonniers palestiniens. Cet accord fut un succès pour Donald Trump, qui, à l’aube de sa réélection, avait promis « l’enfer » si les otages n’étaient pas libérés avant sa prise de fonction, et qui a ainsi pu prêter serment déjà auréolé d’un succès sur la scène internationale. Mais cet accord fut approuvé du bout des lèvres par Israël qui le jugeait trop favorable au Hamas et surtout contraire à ses deux autres objectifs : anéantir totalement le Hamas et démilitariser Gaza. Pour obtenir le consentement du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, Witkoff dut bousculer les choses et apporter des assurances. Il n’hésita pas à déranger Netanyahu un samedi, jour de sabbat, durant lequel les juifs pratiquant ne travaillent pas. Et il promit à Netanyahu d’être le premier dignitaire étranger reçu par Trump à la Maison Blanche. Cette visite vient d’avoir lieu et a permis de conforter le statut d’Israël comme premier allié des États-Unis. Toutefois la tâche reste longue car Donald Trump ne veut pas d’un simple cessez-le-feu avec le Hamas, il ambitionne une paix générale au Proche Orient. Cela passe par au moins une reconnaissance d’Israël par l’Arabie Saoudite et la relocalisation de la population de Gaza, ailleurs au Proche-Orient. Ce succès et cette ambition confortent la propension de Donald Trump à désigner des personnalités hors normes pour certaines tâches. Witkoff n’a aucune expérience diplomatique. C’est un milliardaire de l’immobilier de 67 ans qui a fait fortune à New York. Comme Trump. Il est israélite et à l’évidence sait négocier. Sa mission ne fait que commencer.

Emissaire auprès de la Russie et de l’Ukraine, Keith Kellogg Jr. Autre défi, mettre fin au conflit en Ukraine. Trump avait assuré imposer la paix en « un jour ». Il est revenu sur cette promesse avant même son investiture devant la complexité de la tâche. Pour mener cette négociation à bien, Donald Trump a choisi le général en retraite Keith Kellog, qui fut le conseiller sécurité du vice-président Pence entre 2017 et 2021. Kellogg est un lieutenant-général en retraite qui a participé à tous les conflits américains des dernières décennies. Né en 1944, il a été déployé au Vietnam, a participé à l’opération « Just Cause » au Panama en 1989, à « Desert Storm » en 1991 et à l’invasion de l’Irak en 2003. Après son départ à la retraite, M. Kellogg s’est converti dans le conseil auprès d’hommes politiques. Il estime un accord de paix en Ukraine possible en cent jours. Si la Russie s’engage dans cette voie. Volodymir Zelensky lui, n’a pas le choix. La poursuite de l’assistance américaine a été contingenté par Trump à sa poursuite d’un armistice ainsi qu’à la tenue d’élections en Ukraine en 2025. Par contre, Trump a aussi promis à l’Ukraine une aide militaire décuplée si Poutine refusait de venir à la table des négociations…

Cet article a tout d’abord été mis en ligne sur le blog de Gérald Olivier


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Canada: (re)naissance du patriotisme?

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Fédéralisme bancal, libre-échange entravé, indépendance inachevée… Le Canada profitera-t-il des menaces de Donald Trump pour réaliser un sursaut national et se démarquer de son voisin américain?


Le Canada est le plus meilleur pays au monde.
Jean Chrétien, ex-premier ministre canadien, bilingue dans les deux langues.

« When I use a word », Humpty Dumpty said in rather a scornful tone, « it means just what I choose it to mean—neither more nor less.” “The question is,” said Alice, “whether you can make words mean so many different things.” “The question is,” said Humpty Dumpty, “which is to be master—that’s all.”1
Lewis Carrol, Alice in Wonderland.


Le Premier ministre canadien bientôt sortant, Justin « Blackface » Trudeau a défini avec éloquence et exhaustivité l’identité nationale : « Nous ne sommes pas américains ». Sic. Cela dit, les frontières artificielles qui séparent le désert culturel canadien de son voisin américain ne comportent pas que des désavantages : on y compte moins de fusillades dans les écoles, moins de télévangélistes pentecôtistes, moins de ghettos, pas de Vietnam, etc… On comprend ses craintes face l’expansionnisme, ou impérialisme américain, qui ont fait l’objet de fuites.

Mais selon la classe politique canadienne, la menace de droits de douane brandie par le président américain (pour l’instant suspendue pour un mois), renforce la cohésion nationale. Il ressort de certains sondages que même les Québécois seraient maintenant plus attachés à l’unité canadienne, séduits, comme Ulysse, par le chant (pourtant peu audible sur les rives du Saint-Laurent) de la petite sirène Mark Carney; le Québécois moyen docile et frileux est toujours plus terrorisable quand son petit portefeuille semble en jeu à court terme et il est insensible à cette réalité historique incontournable: depuis sa naissance en 1867, sur le plan économique, « le Canada », c’est l’Ontario. Sa loyauté est toujours monnayable. En monnaie de singe libérale et en bilinguisme à sens unique. Par contre, le pétrole n’est pas canadien, mais bel et bien albertain (qu’on se le dise!), comme le rappelle fermement la Première ministre Danielle Smith.

Bref, les autorités canadiennes, tant fédérale que provinciales, ont alors vertueusement proclamé leur attachement au libre-échange, plus de nature à assurer la prospérité économique de tous que le protectionnisme, lequel ne protège que les agents économiques inefficaces. Voilà qui est bel et bien. Cependant, les provinces devraient balayer devant leurs portes, trop souvent verrouillées à double tour. On peut même féliciter Trump de les avoir réveillées à cet égard.

Petit rappel historique

Les textes constitutionnels de 1867 sont, sans équivoque, centralisateurs : la compétence fédérale est la règle, et la compétence provinciale l’exception. Cet équilibre était respecté par la Cour suprême du Canada à ses débuts… jusqu’au jour où, en 1881, le conseil privé de Londres (qui était alors la plus haute juridiction d’appel), renversa les rôles par l’arrêt Citizens’ Insurance of Canada c. Parsons, une jurisprudence scandaleusement politique fondée sur de grotesques acrobaties verbales, qui amorça la décadence de la compétence pourtant exclusivement fédérale en matière de « réglementation du trafic et du commerce » (cf. paragraphe 91(2) de la Loi de 1867). Par la suite, la Cour suprême, telle une inexorable tumeur cancéreuse, a achevé le travail en en faisant une lettre (relativement) morte.

A lire aussi, du même auteur: Prospective canadienne

Voilà pourquoi les provinces (et surtout le Québec) ont pu mettre en place depuis des décennies des barrières à la circulation des biens et services, ouvertement, ou, de manière (à peine) déguisée, par la sournoise technique de la réglementation.

Un exemple

Le rond-de-cuir fédéral résidant à Gatineau (Québec) qui, à la sortie du bureau à 17h00, achète sa bouteille de vin à Ottawa (Ontario) qu’il ramène pour le souper, en v.o., (le dîner, en v.f.) est, quand même, censé payer la taxe québécoise ! La Cour suprême du Canada enseigne, de manière générale, que les restrictions dans le transport interprovincial d’alcool sont légales, même si, en pratique, il est souvent difficile de les faire respecter. La liberté du Français frontalier d’acheter son tabac ou son essence à Esch-sur-Alzette (Luxembourg), met en relief l’absurdité de l’état du droit canadien. Par contre, n’ont rien de théoriques les entraves aux activités de très nombreuses entreprises, notamment dans le bâtiment.

(Les menaces trumpesques ont un côté positif : elles donnent lieu actuellement à des discussions entre les provinces et le gouvernement fédéral afin de faire une réalité du libre-échange interprovincial… enfin?).

Pour conclure au sujet des absurdités de l’État canadien, il faut en noter une, et non des moindres, qui concerne la (pseudo)indépendance constitutionnelle obtenue en 1982. Contrairement à la légende qui court même dans les milieux juridiques canadiens, le Canada n’a toujours pas sa propre « constitution » suprême, au sens notamment américain ou français du terme.

Ce terme ronflant de « constitution » y englobe, en fait, une multitude de lois éparses et de conventions non écrites, parfois issues du droit anglais médiéval ; aucun ministre de la Justice canadien n’a eu le simple bon sens de penser à une mise en ordre (compilation ou codification).

Pis, la Constitution Act 1982, en v.o. (Loi constitutionnelle de 1982 en v.f.) n’est même pas une loi, mais une simple annexe (!) à une loi du Royaume-Uni, la Canada Act 1982, en v.o. (Loi de 1982 sur le Canada, en v.f.), laquelle n’accorde, en substance, qu’une sorte de pouvoir réglementaire au Canada, qui demeure révocable. Au lieu d’aller s’aplatir abjectement devant l’épouse du prince Phillip à Londres, il suffisait au gouvernement canadien de faire, d’Ottawa, une déclaration unilatérale d’indépendance (UDI), comme d’ailleurs l’avait envisagé auparavant Pierre Elliott Trudeau, à laquelle ne se serait évidemment pas opposé le gouvernement du Royaume-Uni. Cependant, il n’eut pas la colonne vertébrale aussi solide que celle du Premier ministre rhodésien Ian Smith en 1965.

Les cérémonies de signature du 17 avril 1982 en grande pompe, auxquelles participa la monarque canadienne, ne furent qu’une mascarade.

Le roman national canadien : quelle épopée !


  1. « Quand j’utilise un mot » , dit Humpty Dumpty d’un ton plutôt méprisant, “il signifie exactement ce que j’ai choisi de signifier, ni plus ni moins”. « La question est de savoir, dit Alice, si l’on peut donner aux mots autant de sens différents ». « La question est », dit Humpty Dumpty, « de savoir qui est le maître, c’est tout. » ↩︎

Überraschung! L’arc-en-ciel vire à droite

C’est le sondage surprise de la campagne électorale allemande. Selon Romeo, site de rencontres homosexuelles, le vote des gays se porterait majoritairement vers la controversée AfD.


Un récent sondage sur l’application de rencontres gay Romeo a révélé un résultat inattendu : le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) est arrivé en tête des intentions de vote parmi ses utilisateurs. Un constat paradoxal, compte tenu des positions controversées de l’AfD sur les droits LGBTQ+.

Un sondage révélateur d’une tendance

Selon l’enquête, menée du 24 janvier au 2 février 2025, 28 % des plus de 60 000 personnes interrogées ont exprimé leur intention de voter pour l’AfD lors des élections législatives du 23 février. Bien que Romeo souligne que ce sondage ne constitue pas une projection électorale fiable, le large échantillon interrogé met en lumière une tendance marquante. Derrière l’AfD, les Verts recueillent 19,9 % des voix, suivis de la CDU (17,6 %), du SPD (12,5 %), du Parti de gauche (6,5 %), de l’Alliance Sahra Wagenknecht (4,5 %) et du Parti libéral (3,6 %).

L’analyse des résultats par tranche d’âge révèle une forte préférence pour l’AfD chez les jeunes électeurs LGBT. Dans la catégorie des 18-24 ans, le parti obtient 34,7 % des intentions de vote. Parmi les 25-39 ans, l’AfD est également la plus populaire, avec 32,3 %, et chez les 40-59 ans, avec 27,2 %. Une popularité qui diminue cependant chez les plus de 60 ans, où la CDU (21,7 %) et les sociaux-démocrates du SPD (20,8 %) dominent les suffrages.

L’AfD et les droits LGBT : un paradoxe ?

L’AfD, régulièrement critiquée pour ses positions hostiles aux droits des minorités, affiche pourtant un électorat significatif au sein de la population homosexuelle. Le parti, dont l’une des co-dirigeantes, Alice Weidel, est ouvertement lesbienne, s’est souvent opposé aux avancées en matière de droits individuels des personnes homosexuelles, tout en dénonçant la montée des violences homophobes qu’il associe à l’immigration de masse. Cette position ambivalente interroge sur l’adhésion croissante de certains électeurs gays à un parti perçu comme conservateur et identitaire. Elle pourrait cependant s’expliquer par une recrudescence des actes homophobes en Allemagne. En 2023, plusieurs associations ont émis des avertissements sur cette montée des violences perpétrées contre les homosexuel(le)s, pointant exclusivement du doigt la responsabilité de l’extrême-droite accusée d’utiliser une « rhétorique digne du III Reich » contre les LGBTQI+, plus particulièrement les personnes transgenres particulièrement visées.

Les droits LGBT en Allemagne : un combat de longue haleine

En Allemagne, l’homosexualité, longtemps réprimée par l’article 175 du Code pénal, notamment sous le régime nazi qui n’a pas hésité à la persécuter, n’a été totalement dépénalisée qu’en 1994. Le mariage pour tous a été légalisé en 2017, et les thérapies de conversions interdites trois ans plus tard. Une avancée majeure pour les droits des couples homosexuels. Cependant, des défis persistent, notamment en matière de reconnaissance des droits des personnes transgenres et de lutte contre les discriminations.

Une montée de l’extrême droite dans toutes les sphères ?

Le succès de l’AfD dans ce sondage illustre toutefois une tendance plus large, qui se dessine en Allemagne et ailleurs à l’international : la progression du nationalisme dans divers segments de la société, y compris dans des communautés historiquement marginalisées. Alors que l’Allemagne se prépare à des prochaines élections qui devraient ramener le pays dans les bras de la droite conservatrice (CDU/CSU), ces résultats soulignent la nécessité d’une réflexion approfondie sur les attentes et les préoccupations d’un électorat qui semble se détourner des partis progressistes au profit d’un discours plus radical.

Un phénomène qui semble similaire en Europe de l’Ouest. Selon Romeo, 29% des gays autrichiens voteraient en faveur de l’extrême-droite comme 12% des LGBTQ+ britannique. La France n’échappe pas au phénomène. On note ainsi une forte progression du vote RN/Reconquête parmi l’électorat gay français (de 19% en 2012, il est passé à 27% en 2022 selon un sondage réalisé pour le magazine Têtu), avec de plus en plus de voix, comme l’influenceur Yohan Pawer, qui se veulent représentatives de cette « droite homosexuelle » qui refuse d’être assimilée au militantisme. Des chiffres que réfutent fermement les associations de défense homosexuel(le)s dans l’Hexagone…

Israël face à un monde qui refuse de voir

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Les otages Ohad Ben Ami, Eli Sharabi et Or Levy aux mains des terroristes palestiniens, Deir al-Balah, le 8 février 2025 © Abdel Kareem Hana/AP/SIPA

Les images du 9 février ont été un rappel brutal de la condition des otages israéliens. La chronique géopolitique de Richard Prasquier


En voyant l’aspect décharné des trois otages israéliens libérés le 9 février, des images ont surgi de notre mémoire, dont ne pensions pas qu’elles puissent se reproduire. Si Ohad ben Ami a retrouvé les siens, Or Levy et Eli Sharabi ont appris les assassinats dans leur famille.

Certains ont parlé de Shoah. Non, car la Shoah c’est l’organisation de la mise à mort de six millions d’êtres humains, et les mots doivent garder leur sens pour garder leur poids, mais c’étaient bien les visages des survivants à l’ouverture des camps que nous avions devant nous. 

L’ONU se réveille

Mais ce qui est malheureusement sûr, c’est que l’état des otages libérés ne modifiera en rien le narratif qui fait d’Israël l’incarnation du mal et des Gazaouis l’incarnation du bien.

Le silence du secrétaire général de l’ONU sur l’état des otages, lui qui depuis quinze mois alerte la terre entière sur la famine à Gaza, n’a étonné personne. António Guterres est un compagnon de route de l’islamisme. Un témoignage fait le 27 janvier par une des adjointes le confirme. La Kenyane Alice Nderitu, très respectée dans son pays pour sa rigueur morale, était conseillère spéciale pour la prévention du génocide, un terme qu’elle refusait d’utiliser pour qualifier la situation des Gazaouis. Al Jazeera et les autres médias de sa mouvance l’ont harcelée quotidiennement en raison de cette incompréhensible carence et en novembre son contrat n’a pas été renouvelé par le secrétaire général de l’ONU. Il vaut mieux rester dans la ligne du Qatar pour faire carrière dans une organisation internationale.

Pourtant, et c’est une première, le bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU a démenti les accusations du Hamas qui déclare arrêter les échanges sous prétexte qu’Israël ne respecte pas l’accord de cessez-le-feu.

Au regard du spectacle du 9 février, les menaces du Hamas font redouter le pire sur l’état de santé des otages encore aux mains du Hamas. Pour les prisonniers palestiniens, il n’y a en revanche pas d’inquiétude à avoir. 700 d’entre eux ont déjà été libérés dont beaucoup sont des assassins de civils israéliens. Tous ont reçu les visites de la Croix Rouge. Ils sont bien nourris, font figure de héros, martyrs et modèles pour les enfants palestiniens et un pécule intéressant, dont les impôts européens ont payé une partie, a été attribué à ceux qui sortaient de prison.

Les grands médias passent plus de temps à critiquer Trump que le Hamas

Nous devons cependant continuer de souhaiter qu’Israël libère encore des centaines de prisonniers de ce genre, si cela permet de récupérer des otages survivants. Les pourparlers sont aujourd’hui bloqués et beaucoup de commentateurs, soucieux d’exonérer le Hamas, préfèrent disserter sur les espoirs de paix mis à bas par la politique tortueuse de Netanyahu et les propositions ahurissantes de Donald Trump.

A lire aussi, John Gizzi: La ruée vers l’âge d’or

Einstein a dit que la définition de la folie était de refaire la même chose, en espérant que le résultat serait différent. J’ai pensé à cette phrase en lisant les réactions aux propositions de Trump. Il y a des façons bien différentes de les interpréter, depuis une évacuation forcée de deux millions de personnes abandonnées en mer sur des radeaux de fortune jusqu’à un départ volontaire dans des conditions financières avantageuses d’une partie de la population de l’enclave. Personne ne sait ce qu’il adviendra de ces propositions qui peuvent se prêter à de multiples scénarios. C’est évidemment la première image qui a été agitée par les ennemis d’Israël et ils charrient avec elle les idées insupportables de déportation, de génocide, au mieux de purification ethnique. Mais émigration et déportation ne sont pas des notions identiques…

Il est politiquement correct d’affirmer que la seule solution, c’est un État palestinien à côté d’un État israélien, et c’est la solution à laquelle je me suis personnellement toujours identifié. Mais quel État palestinien? C’est là que la phrase d’Einstein prend tout son sens. À de multiples reprises la proposition a été faite; à chaque fois les Palestiniens l’ont refusée, ou s’ils ont feint de l’accepter, ils ont fait comprendre à leur population qu’il ne s’agissait que d’une première étape. 

Laide réalité

Aujourd’hui avec l’emprise religieuse omniprésente dont le Hamas n’est pas le seul modèle car elle parcourt aussi tous les discours de la moribonde Autorité palestinienne, le terme de paix est un contre-sens, plus agréable à nos oreilles que celui de trêve transitoire: la seule paix qui compte serait celle qui rendrait toutes les terres du Dar al Islam à ses propriétaires musulmans.

Laisser croire qu’une entité étatique divisée en deux territoires séparés géographiquement serait viable, espérer qu’à Gaza une génération biberonnée à la gloire du martyre et à la mort du Juif (et pas de l’Israélien), se convertirait spontanément en militants d’une démocratie laïque et que l’enclave se transformerait en un nouveau Singapour sous direction palestinienne relève d’une folie intellectuelle au-delà  de la pensée magique. Une nouvelle catastrophe est garantie, mais pour les belles âmes, les belles idées importent plus que la laide réalité… 

Alors, changer complètement de logiciel, comme le fait Trump avec sa brutalité et probablement son ignorance coutumières, ne mérite pas d’être balayé d’un tournemain. Les solutions qui ont échoué jusque-là n’ont aucune raison de réussir dans l’avenir. Cet échec surviendrait quel que soit le Premier ministre israélien, car il relève avant tout du caractère religieux qui a coloré le conflit, même avec des enveloppes marxistes ou nationalistes, depuis que l’idéologie des Frères Musulmans s’en est emparée, il y a de cela près de cent ans. 

Tant que cette réalité ne sera pas confrontée, le discours sur la paix ne servira que de rustine à nos rêves et nos angoisses.

Dans l’intérêt même des musulmans, il faut souhaiter une victoire définitive d’Israël 

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Couple palestinien tenant des pancartes anti-Trump, Ramallah, 29 janvier 2025 © Nasser Nasser/AP/SIPA

La question du conflit au Proche-Orient est une blessure identitaire qui occulte bien d’autres sujets politiques importants pour le monde arabe, rappelle notre contributeur.


Le projet de Trump visant à transférer les Gazaouis vers l’Égypte et la Jordanie a suscité des réactions contrastées, allant de l’indignation totale pour certains à une adhésion sans réserve pour d’autres.

Dans le même temps, la mise en scène des otages par le Hamas a ravivé de sinistres souvenirs. Pourtant…

« I have a dream », disait Martin Luther King. J’ai un rêve. Celui d’une victoire définitive d’Israël. J’émets l’hypothèse qu’une telle victoire pourrait, malgré les apparences, avoir un effet bénéfique pour le monde musulman. Une telle issue, bien que lourde de conséquences, pourrait-elle, paradoxalement, favoriser une transformation profonde, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans l’ensemble du monde musulman ? 

Imaginaires collectifs arabes

La question de la Palestine occupe une place centrale dans l’imaginaire collectif de la plupart des musulmans. Elle incarne à la fois la nostalgie d’une grandeur passée et la frustration d’un échec perçu comme une injustice historique. Cette terre, investie d’une forte charge symbolique, représente pour beaucoup la promesse non réalisée d’une hégémonie islamique méritée, contrecarrée par une domination juive jugée illégitime. Ce sentiment trouve ses racines dans une lecture historique et théologique du monde, où l’islam, en tant que religion suprême, est censé occuper une position dominante.

L’existence même d’Israël est vécue comme une offense, une anomalie qui défie l’ordre naturel des choses tel qu’il est envisagé dans certains courants de pensée islamique. L’idée que des Juifs, historiquement perçus comme des dhimmis soumis, puissent dominer une terre historiquement musulmane est source d’humiliation et de ressentiment. Ce sentiment de dépossession se trouve exacerbé par le souvenir du colonialisme occidental, qui a imposé sa suprématie sur des terres musulmanes, et par la perception d’une continuité entre cette domination passée et la situation actuelle.

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Dans cette perspective, le conflit israélo-palestinien dépasse largement la simple question territoriale. Il symbolise un affrontement entre un monde musulman qui aspire à retrouver sa grandeur et un Occident perçu comme un obstacle à cette ambition. L’infériorité économique, scientifique et technologique du monde arabe, comparée à la réussite insolente d’Israël et des puissances occidentales, alimente un sentiment d’humiliation collective. Cette blessure identitaire se transforme souvent en jalousie, en hostilité et en un discours de victimisation.

La souffrance liée à ce décalage entre une grandeur espérée et une réalité frustrante nourrit une rhétorique où la violence, sous couvert de djihad, devient un moyen légitimé de rétablir un ordre jugé naturel. Certains discours prônent une opposition radicale à Israël et aux puissances occidentales, considérées comme responsables de cette situation d’injustice. Ce rejet de l’autre, qu’il soit Israélien, occidental ou toute figure d’autorité perçue comme oppressante, s’inscrit dans une logique de projection où l’ennemi extérieur devient le bouc émissaire des propres échecs internes.

Ici aussi…

L’immigration musulmane dans les pays occidentaux s’inscrit également dans cette dynamique. Beaucoup de musulmans, contraints de quitter leur pays d’origine en raison de difficultés économiques ou politiques, se retrouvent dans des sociétés où ils perçoivent une hostilité qui est parfois le reflet de leur propre défiance. Cette situation peut conduire à une spirale de victimisation où l’exclusion ressentie se renforce par des comportements qui alimentent cette mise à l’écart. Le sentiment d’être discriminé devient alors une réalité en partie auto-réalisatrice, où la confrontation permanente génère des réactions de rejet qui confirment l’idée d’une oppression systématique.

Sortir de cette impasse suppose une révolution intérieure. Il s’agit de s’affranchir d’une vision du monde fondée sur la dichotomie entre oppresseurs et opprimés, entre élus et rejetés, entre dominants et dominés. L’amour de soi, la capacité à accepter l’imperfection et à rechercher l’amélioration sans se laisser enfermer dans une culpabilité paralysante, constituent une voie de libération. Plutôt que de se réfugier dans une vision idéalisée du passé ou dans une haine envers un ennemi désigné, il s’agit d’accepter la réalité, d’œuvrer à son amélioration et d’apprendre à vivre en harmonie avec soi-même et avec les autres.

Le piège du rêve éveillé, où le monde est perçu à travers des prismes de grandeur fantasmée et de complots imaginaires, empêche une véritable prise de conscience. Il enferme l’individu dans une posture où il oscille entre la figure du héros rédempteur et celle de la victime persécutée. Cette vision binaire, qui oppose un idéal idéalisé à une réalité perçue comme monstrueuse, entrave toute évolution constructive. La clé réside donc dans une réconciliation avec soi-même, un dépassement des illusions collectives et une réappropriation d’un destin fondé sur la responsabilité individuelle et la volonté de progrès. Cette prise de conscience est d’autant plus nécessaire que l’échec souhaitable des ambitions islamiques face à la pérennité d’Israël constituerait une défaite définitive des espoirs musulmans d’une fin de ce qu’ils considèrent comme une colonisation par les sionistes. Cette réalité pourrait, paradoxalement, être porteuse d’une double transformation : d’un côté, elle pourrait favoriser une paix durable dans la région en rendant caduc le rêve d’une reconquête par la force ; de l’autre, elle pourrait signifier pour une partie significative des musulmans un renoncement à la perspective d’une revanche sur l’Occident, ouvrant ainsi la voie à une redéfinition de leur identité et de leur rapport au monde contemporain.

Lyrique : Les Puritains. Lisette Oropesa au sommet, dans une mise en scène d’exception

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Les Puritains © Sébastien Mathé

Près de deux siècles après sa création, Les Puritains de Bellini continuent d’éblouir tant par sa musique que par son histoire. Laurent Pelly ressuscite ce chef-d’œuvre italien pour en faire un opéra d’exception.


Une après-midi de septembre 1835, à Puteaux, Bellini meurt à 34 ans ! Un an plus tôt, il s’était établi à Paris. En janvier de cette même année 1835, le Théâtre-Italien venait de créer l’ultime melodramma serio du compositeur natif de Catane : Les Puritains. L’Opéra-Bastille a été bien avisé de reprendre, dans une distribution entièrement renouvelée, ce chef-d’œuvre indépassable du bel canto, dans une production millésimée 2013, reconduite fin 2019, à tous égards frappée au sceau du talent.

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D’abord, la musique. On ne présente plus ce drame lyrique, dont l’action se situe dans l’Angleterre du XVIIème siècle : Elvira, la nièce de sir Giorgio, éprise d’Arturo et qui, sur fond de guerre civile opposant les partisans de Cromwell (les puritains, justement) aux fidèles à la dynastie des Stuarts, se croyant trahie sombre dans la démence, avant de recouvrer la raison in extremis quand son chéri lui est miraculeusement rendu… Les trois actes enchaînent des airs aussi fameux que ceux de Norma ou de La Somnambula, telle cette aria qui, dans l’acte deux, s’ouvre par « Qui la voce soave. Mi chiamava…e poi spari » (« ici sa voix douce m’appelait… et puis a disparu »)… Il est toujours tentant d’allonger le tempo et d’en rajouter dans le legato sur ce registre tellement mélancolique, ce à quoi résiste la baguette à la fois nerveuse et feutrée (en particulier dans les solos) de Corrado Rovaris, actuel directeur musical de l’Opéra de Philadelphie, chef qu’on découvre à Paris, à la tête d’un Orchestre et Chœurs de l’Opéra, comme toujours, en grande forme.

LES PURITAINS, Compositeur : Vincenzo Bellini, Orchestre de l’Opéra national de Paris

On peut en dire tout autant des chanteurs, à commencer par la soprano Lisette Oropesa, sublime d’un bout à l’autre dans le rôle-titre, d’une agilité confondante dans les vocalises stratosphériques que réclame la partition. Elle a pour partenaire le ténor Lawrence Brownlee, qui campe un Arturo d’un ouaté, d’une délicatesse, d’une élégance dans le phrasé, d’une richesse de timbre proprement stupéfiants. À leurs côtés, la basse italienne Roberto Tagliavini incarne admirablement, de sa blonde et mâle prestance, l’oncle secourable d’Elvira, Sir Giorgio, tandis que l’émission quelque peu métallique du baryton-basse canado-arménien Vartan Gabrielian convient au fond très bien au personnage de Lord Valton, le gouverneur de la forteresse de Plymouth. L’Ukrainien Andrii Kymach (qu’on a entendu l’an passé ici même dans le rôle de Ford, dans Falstaff), fait dans sa tenue bleu-roi un Riccardo de haute tenue, tout comme la mezzo néerlandaise Maria Warenberg assume l’emploi de la prisonnière Henriette de France, sauvée de l’exécution par Arturo, avec une magnifique présence vocale et scénique.

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La remarquable intelligence de la mise en scène signée Laurent Pelly (sur les décors de Chantal Thomas, sa partenaire de toujours) complète ce dispositif, pour faire de ce spectacle l’apothéose de cette saison lyrique hivernale. Car tout se tient : l’historicisme épuré, discrètement allusif de ce plateau tournant qui dessine au trait noir la géométrie de ces architectures où s’affrontent les protagonistes, illustrant de façon lisible, sans nul élément superfétatoire, leur enfermement, leur vulnérabilité ; les costumes : Elvira, de blanc vêtue, voilée puis dévoilée, prisonnière insatiable de sa conscience malade ; les femmes emprises dans leurs collerettes blanches et leurs robes rigides de derviches tourneurs, dans un camaïeu subtil de gris et noir ; les princes altiers, bottés, l’épée à la ceinture, flanqués d’une soldatesque casquée de morions… Les déplacements superbement agencés de tout ce petit monde animent le plateau dans un ballet complexe où les chœurs se mêlent aux figurants. La configuration, enfin, réserve toujours aux chanteurs, face au public, le premier plan du plateau, de sorte l’immensité de la salle de la Bastille ne nuit jamais à l’émission vocale, dans sa balance subtile avec le volume orchestral : l’esprit même du bel canto s’en trouve magnifié. Tout est donc très finement pensé, intelligemment articulé dans cette scénographie d’exception. Une fois n’est pas coutume, aucune huée ne pollue l’ovation délirante qui, au tombé de rideau, accueille la prestation. Lancés à pleins poumons, mille bravos volent vers Lisette Oropesa. Étincelante.


Les Puritains. Opéra en trois actes de Vincenzo Bellini. Avec Lisette Oropesa, Lawrence Brownlee, Vartan Gabriellan, Roberto Tagliavini, Andri Kymach, Manase Latu et Maria Warenberg. Direction : Corrado Rovaris. Mise en scène : Laurent Pelly. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 3h20
Opéra Bastille, les 12, 15, 18, 21, 24, 27 février, 5 mars, à 19h30

La classe politique, ce pesant fardeau pour les Français

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Les députées d'extrème gauche Soudais et Obono manifestent contre la loi immigration à Paris, 14 janvier 2024 © Thomas HUBERT/SIPA

Méfiance. Année après année, de déprimantes études viennent le confirmer: selon les Français, si l’incompétence était un sport, leurs dirigeants seraient champions du monde… Une majorité de citoyens semble penser que la classe politique est un vieux chewing-gum accroché sous une chaussure


La classe politique est devenue un fardeau. Mais elle n’entend pas céder la place. Pourtant, les citoyens ne supportent plus la frivolité de leurs dirigeants. Pire : ils ont honte de ceux qui les gouvernent. C’est ce que confirme le baromètre annuel de la confiance politique du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences-Po), publié par Le Monde de ce mercredi. La défiance atteint des sommets : 76% des sondés déclarent ne pas faire confiance au gouvernement ; 74% se défient pareillement de l’Assemblée nationale, et 72% de l’institution présidentielle. « Les Français ont mis leurs responsables politiques au banc des accusés », commentent en substance les auteurs de l’étude.

Situation explosive

Le terreau est aussi explosif que lors de l’insurrection des Gilets jaunes en 2018. Aucune leçon politique n’a été tirée de ce premier avertissement. Au contraire : la population se sent de plus en plus abandonnée, notamment face à « l’explosion de la violence dans notre pays », ce qu’a observé l’avocat Thibault de Montbrial, ce mercredi sur CNews-Europe 1. De fait, les loups sont entrés dans les villes. Ils s’en prennent notamment aux écolières ou aux étudiantes qui longent des bois. Mais ces fauves, qui jadis faisaient trembler les enfants dans les comptines, ont pris visages humains. C’est sous les crocs de ces tueurs en vadrouille que Philippine est morte. Louise, 11 ans, a péri à son tour dans le bois des Templiers, à Épinay-sur-Orge, sous les coups d’Owen L., qui a avoué hier. Ces atrocités s’ajoutent à d’autres, dans une loi accélérée des séries.

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Les responsables politiques sont comptables de ces désastres, fruits d’un demi-siècle d’idées fausses, d’aveuglements, de démobilisations, d’irresponsabilités. Aujourd’hui, quelques mots interdits sortent des bouches pâteuses. François Bayrou parle de « submersion », Jean-Luc Mélenchon de « grand remplacement », Gérald Darmanin de « droit du sol » à réformer, etc. Mais aucun acte ne suivra, tant que cette caste, bavarde mais inutile, s’accrochera à ses pouvoirs.

Désordre

Emmanuel Macron n’a visiblement rien compris de la colère française face à une démocratie confisquée, quand il propose pour la présidence du Conseil constitutionnel son obligé Richard Ferrand. Ferrand, qui a plaidé naguère pour la possibilité d’un troisième mandat de Macron à l’Elysée, est l’archétype de l’apparatchik au service d’intérêts militants. Sa candidature à la succession de Laurent Fabius illustre le dévoiement d’une institution judiciaire sous surveillance du pouvoir politique. Dans l’enquête Cevipof, les sondés ont pris la mesure de toutes ces faiblesses. Ils réclament « un homme fort ». Ils sont ainsi 73% à vouloir « un vrai chef pour remettre de l’ordre ».

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En attendant, les deux tiers des Français estiment urgent de « se mettre à l’écart de la vie politique et de se consacrer à sa vie personnelle ». Le peuple, dégouté des fausses élites, a rejoint son Aventin. Il ne veut plus de cette mascarade, dont Macron est depuis 2017 l’acteur le plus appliqué. C’est une révolution qu’il faut à la France immobilisée.

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Elisabeth Lévy : « La mort de Louise ne pose pas une question politique »

«Je n’ai pas vu venir ce qui nous arrive »

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Guillaume Erner © Hannah Assouline

Guillaume Erner, sociologue et présentateur des « Matins de France Culture », publie Judéobsessions. Un essai émouvant et passionnant qui entremêle son histoire familiale à celle de l’antisémitisme contemporain. Formé dans le combat contre l’antisémitisme et le négationnisme d’extrême droite, il reconnaît avoir tardé à voir celui qui venait du monde musulman. Pour lui, l’histoire est écrite : pour la deuxième fois, les juifs vont disparaître d’Europe


Causeur. Avant d’être un essai, Judéobsessions est un livre du souvenir, un tombeau pour vos disparus et pour votre tribu. Athées et communistes, ces juifs venus de Pologne et Russie qui parlaient yiddish avaient largué la synagogue pour la révolution. Ils n’avaient pas de diplômes, mais lisaient tout ce qui leur tombait sous la main. Vous aviez besoin de faire revivre ce monde ?

Guillaume Erner. J’avais l’impression que si je ne le décrivais pas, personne ne le décrirait, c’est ma manière de redonner souffle et vie aux miens. Je suis né dans un monde disparu et enterré, dans tous les sens du terme, celui de ces juifs très à gauche, de langue maternelle yiddish, chez qui le judaïsme était en compétition avec le communisme. Mes parents parlaient français sans accent, mais ce n’était pas la langue de leur enfance. Mon grand-père paternel avait 15 mots de français qui n’étaient pas évidents à comprendre. J’ai découvert avec stupeur que l’on pouvait être autre chose que juif, que communiste. Comprendre que Notre-Dame n’était pas une synagogue (où je n’allais d’ailleurs jamais), donc qu’elle n’était pas vraiment « à moi », a été une grande blessure narcissique.

L’un de vos grands-pères était facétieux, l’autre assez sombre.

Mon grand-père paternel Szaja, dit Charles, a eu une vie étonnante. Il a quitté la Pologne, participé à la révolution russe, est parti en France où il a fait venir une cousine pour l’épouser. C’était un homme simple, physiquement très massif, habitué aux climats rudes, une force de la nature. Il est mort à 108 ans et jusqu’à l’âge de 106 ans, il était pleinement là. Mon autre grand-père Yossele, autrement dit Joseph, en dépit de son accent, était beaucoup plus francisé, il s’habillait très bien, il était extrêmement sociable, ce qui lui a sans doute sauvé la vie : au début de la guerre, les tenanciers du café en bas de chez lui, à Clichy, avec lesquels il était très ami, lui ont dit : « Allez en Corrèze, ils ne vous trouveront jamais là-bas. » C’était la première fois qu’il entendait parler de la Corrèze. Effectivement, ils ont survécu. Il a été envoyé dans deux camps français et s’est échappé deux fois. L’un des remords terribles de cet homme est de ne pas avoir réussi à convaincre son beau-frère de le suivre lors de sa seconde évasion.

Aujourd’hui, « jews turn right », comme le déplorait Daniel Lindenberg en 2001, et plus personne ne sait que, sans les juifs, la révolution bolchevique n’aurait peut-être pas eu lieu (d’où la dénonciation des judéo-bolcheviques par Maurras).

C’était quand même des gens très étranges. Ils étaient communistes avant d’être juifs, mais en même temps, ils étaient communistes parce que juifs. Ce qui les habitait en premier lieu, ce n’était pas la question sociale, c’était la question juive et le communisme était le viatique pour l’émancipation des juifs, la solution de l’équation antisémite. Leur espérance, c’était l’universalisme des identités bien plus que l’égalisation des conditions, même si la pauvreté était terrible. J’ai toujours été étonné qu’ils restent communistes. Jusqu’à la fin de sa vie, mon grand-père a reproché à Gorbatchev d’avoir bradé l’Union soviétique. Cependant, c’était des communistes pragmatiques. Ils n’étaient pas fous au point de retourner en URSS.

Ni de répudier la propriété privée puisqu’ils étaient commerçants.

La propriété privée était relativement modeste chez mon grand-père, puisque lorsqu’il est mort, il avait 8 000 euros sur son compte en banque. Il possédait aussi une machine à coudre, la 31K15, dont j’ai un peu appris à me servir. C’était de petits commerçants et mon père est devenu un gros commerçant, mais il n’a pas abjuré le communisme. C’était aussi un antisioniste qui aimait Israël et qui était très inquiet pendant la guerre de Kippour, même si ensuite il m’a expliqué que pas du tout. Il faut rappeler que la vie de mes parents s’est déroulée rue de Turenne, un quartier occupé par des commerçants juifs ashkénazes vendant des vêtements, principalement féminins. Parmi eux, il y avait trois ou quatre personnes suffisamment hostiles à Israël pour ne pas donner d’argent pour Tsahal, ce qui a pendant un temps ostracisé mon père. C’est qu’entre-temps, les séfarades étaient arrivés, ils étaient religieux et très favorables à Israël, où ils avaient des appartements.

Vous avez été grand-remplacés par les séfarades…

Mes parents étaient très universalistes, très wokes, on n’avait pas le droit d’aller voir La Cage aux folles parce que c’était une représentation intolérable des homosexuels, mais ils avaient une forme de racisme envers les séfarades, si bien qu’ils ont tout fait pour décourager l’une de mes fiancées. Ma mère avait fourré la farce de Pessah de pain, aliment totalement prohibé pendant cette fête. Je crois même qu’épouser une musulmane eût été un quartier de noblesse, mais ça n’est pas arrivé. Plus sérieusement, avec les séfarades, j’ai découvert une façon radicalement différente d’être juif.

En effet, chez vous, on était loin de La vérité si je mens ! Vous avez été élevé, écrivez-vous, par des gens en deuil.

Je n’ai pas été élevé par des vivants, mais par des survivants. Tous avaient une famille nombreuse qui était morte. Mon grand-père, par exemple, était le seul survivant de neuf frères et sœurs. Seuls des Hutus ou des Cambodgiens peuvent comprendre cette phrase, cette cohorte de gens morts dont on est responsable parce qu’on n’a pas fait ci ou ça. Pourquoi ne l’ai-je pas assommé quand il est allé se faire recenser comme juif ? Que des histoires atroces ! Ma tante raconte qu’une nurse avait proposé à ma grand-mère de garder les enfants, ma grand-mère n’a pas voulu, mais une autre famille a accepté, a donné de l’argent à cette nurse et elle a donné les enfants à la Gestapo. Ces histoires qu’on m’a racontées des milliers de fois créent une tristesse incommensurable, et aussi une confiance très relative dans le genre humain.

On dirait qu’un peu de vous réside dans cette forêt où deux petites filles, votre mère et votre tante, ont échappé à la mort.

Les expériences de menaces de mort, de faim, de froid se transmettent. J’ai extrêmement peur pour mes enfants de la faim et du froid, et j’ai moi-même été gavé comme une oie. On me faisait ingurgiter des quantités ahurissantes de nourriture, on sortait du restaurant pour aller au McDo.

Vous avez fait beaucoup d’efforts pour devenir vraiment français. Vous avez acheté une ferme, vous avez lu tous les grands auteurs français, notamment sur la vie villageoise.

J’ai eu l’impression que je devais faire un effort pour devenir Français. Et comme je suis tout théorique, j’ai plongé dans la théorie. J’ai énormément lu, des histoires de terroir, de campagne, mais je suis incapable de reconnaître un noyer d’un figuier. Je suis aussi très fort sur la famine et le manque de récoltes frumentaires en 1709, mais totalement ignorant de la façon dont on fait pousser le blé.

C’est aussi votre volonté d’être un super-français qui vous a transformé en marathonien alors qu’enfant, votre seul sport était de vous faire dispenser de sport. Mais tout cela ne vous a pas guéri de votre judéo-obsession.

Difficile d’y échapper. À droite de ma maison de la Drôme, il y a une forêt qui appartenait à Crémieux, celui du décret grâce auquel vous êtes française. À gauche, dans un petit village inconnu, il y a une synagogue du XIVe siècle.

Il y a de quoi être parano. Ou obsédé…

Oui. Ils sont partout, singulièrement dans mon esprit, ce sont des choses mentales, comme dirait Marx. Reste que l’histoire juive est une histoire française. J’ai récemment entendu un professeur expliquer que si l’antisémitisme perdurait, les juifs retourneraient chez eux. Sauf que chez eux, c’est la France, il y avait des juifs avant que la France existe. On peut être professeur en Sorbonne et l’oublier. Un jour, j’ai parlé de Maïmonide devant Aymeric Caron : il ne connaissait pas.

Donc, la « judéobsession », vous baignez dedans depuis l’enfance. N’empêche, depuis le 7-Octobre, vous ne vous contentez pas d’être juif, vous éprouvez le besoin de le dire.

Oui. Je suis juif. Le vieux sur lequel les roquettes tombent, c’est mon oncle. Je sais qu’il y a des Palestiniens qui meurent sous les bombes israéliennes, mais comme disait Camus, il y a justice et il y a ma mère.

Le 7-Octobre, la justice et votre mère étaient du même côté… Il n’est pas simple de définir un antisémite mais un juif, personne ne sait vraiment ce que c’est. Vous observez une démultiplication du signifiant, mais il y a aussi une multiplicité de référents, puisque le mot « juif » désigne à la fois une réalité généalogique (les juifs sont les descendants de…) et une réalité théologique (les juifs sont les gens du livre). Peut-être y en a-t-il une troisième : en vous lisant on se demande si les juifs ne sont pas d’abord le peuple de la Shoah.

Je pourrais vous répondre avec Robert Misrahi : « La question juive, c’est de dire que c’est une question compliquée et dans le même temps de dire qu’il n’y a pas de question. » Mais je vais essayer : les juifs ont été un peuple, probablement une religion, une diaspora, un souvenir historique, une identité héritée de la Shoah, et puis Israël a tout compliqué. Il se pourrait fort bien qu’à terme, la situation soit extrêmement simple, qu’il n’y ait plus que deux types de juif : les Israéliens (une nation) et des Américains. Depuis le 7-Octobre, le signifiant juif a été remplacé par le signifiant sioniste. C’est grâce à vous que j’ai appris ce qu’était un sioniste. Un jour ma coiffeuse m’a dit : « Méfie-toi d’Élisabeth Lévy, c’est une sioniste. » Elle m’a expliqué qu’un sioniste était un juif méchant, elle n’était pas antisémite par ailleurs. Dans tous les mails que je reçois, on ne me traite jamais de « sale juif », mais de sioniste. Or, je ne me suis jamais vécu comme un sioniste.

Donc, vous n’êtes pas méchant. Cela dit, sioniste signifie qu’on est pour l’existence d’un État national juif.

Je suis attaché à ce qu’il y ait un État rwandais.

Vous m’énervez. Il y a une idéologie qui s’appelle le sionisme qui postule que les juifs doivent avoir un État. Et puisque selon vous, il n’y aura bientôt plus de juifs en France, c’est encore plus légitime.

La présence d’une communauté juive de quelques centaines de milliers de personnes est un phénomène résiduel. Il y a deux manières de faire disparaître les juifs – en réalité, trois mais exterminons l’extermination. On peut soit les faire partir, soit les assimiler, c’est-à-dire les faire cesser d’être juif. Votre père, juif très pieux, a fait sa vie en France, mais sa post-vie en Israël.

Précisément parce qu’il était religieux. Mais sur l’assimilation, ce n’est jamais tout ou rien, même sous Napoléon. On peut être très juif et très assimilé façon Zemmour.

Je crois que Zemmour est un cas très particulier. Les juifs qui trouvent des excuses à Pétain, je n’en ai pas rencontré beaucoup. Alors revenons au cas majoritaire. Si les juifs disparaissent d’Europe, ce ne sera pas par assimilation. Demandez à n’importe quel responsable communautaire en France où sont ses enfants, il n’y a pas de question : en Israël ou en Amérique. Pas par volonté de devenir américain ou israélien. En réalité, je ne connais pas un seul juif qui n’ait jamais songé à quitter la France.

Ce qui nous amène à notre désaccord. Pour les âmes sensibles, je précise que nous poursuivons là une longue et très amicale controverse. Ces gens songent-ils à quitter la France à cause de l’extrême droite ? Connaissez-vous un seul juif qui ait fait son alyah à cause du point de détail ?

Je n’ai pas le nom d’un juif qui ait quitté la France à cause du FN, mais j’ai le nom d’un juif qui avait très peur du FN, et c’est moi.

Ce n’est pas une justification.

Mais enfin, j’ai le droit d’avoir peur, pour moi et pour les autres. La haine du musulman ne rassure pas le juif en moi.

Vous confondez la haine du musulman et la critique de l’islam. L’islamophobie est parfaitement légale. J’ai le droit de ne pas aimer l’islam comme religion.

Vous avez tous les droits tant que vous respectez la loi, et je pense que vous la respectez.

Je respecte les personnes. Pas la religion.

D’accord, mais accordez-moi le droit de ne pas être islamophobe. En tant que sociologue, je serais toujours plus compréhensif pour les phénomènes religieux que vous. Mais peut-être le suis-je trop.

Vous avez le droit de vous tromper d’adversaire. Mais il est tout de même étrange d’avoir résisté si longtemps à admettre l’existence d’un antisémitisme qui tue, écarte les enfants juifs de l’école publique et crache ouvertement sa haine, tout en étant obsédé par un antisémitisme qui proférait des propos dégoûtants, mais n’a jamais mis en péril l’existence juive en France. De plus, s’agissant de Marine Le Pen, son dossier est parfaitement vide. Son seul crime est d’avoir eu un père.

Chez moi, on dit qu’on peut avoir un cancer du poumon et un bureau de tabac. Il y a deux périls distincts. L’antisémitisme traditionnel d’extrême droite était parfaitement incarné par Jean-Marie Le Pen, et se passe de commentaire. Cette extrême droite aurait pris le pouvoir en 1939 si ce chien de Pétain ne l’avait pas pris.

Jean-Marie Le Pen avait 11 ans en 1939.

Je crois qu’il n’a jamais renié publiquement le maréchal Pétain.

Certes, et c’est fâcheux. N’empêche que ce qui a fédéré les lepénistes, c’est la guerre d’Algérie.

Il a été condamné pour antisémitisme.

En attendant, vous ne me répondez pas. Cet antisémitisme a-t-il fait peur aux juifs ? La différence entre nous, c’est que je peux vivre avec un antisémitisme qui fait des blagues de fin de banquet ou qui se cache dans les reins et les cœurs, d’autant plus que Le Pen a été ostracisé. Contrairement à son successeur qui trouve des excuses aux tueurs de juifs et explique que l’antisémitisme est résiduel.

Mélenchon a raison ! Le risque avec Le Pen, c’était un État officiellement antisémite. C’est l’hypothèse sur laquelle ont vécu tous les juifs de gauche qui défilaient contre le FN. C’est le canal historique et je ne le renie pas. Ensuite, que signifie le propos de Mélenchon ? Soit que Mélenchon est antisémite, et on ne va pas en faire toute une histoire…

Ah ? On en fait une histoire pour Le Pen et pas pour Mélenchon…

Vous avez entendu parler du second degré ? Je poursuis. Soit cela signifie que l’antisémitisme aujourd’hui n’est plus un phénomène de top-down, qui part du haut vers le bas. Mélenchon pense que l’État français est islamophobe, alors qu’il n’est pas judéophobe, le gouvernement assiste aux dîners du CRIF. Pour lui, les lois françaises qui restreignent le port du voile sont islamophobes, car elles empêchent les musulmans d’être musulmans. Elles n’empêchent pas les juifs d’être juifs.

En tout cas, « résiduel » ne signifie pas « issu de la société ». Ou alors la consommation de drogue est résiduelle. Passons. Si je résume, vous avez peur d’une menace passée qui n’a jamais été proche de se réaliser, mais pas de la menace actuelle et réelle ?

Vous exagérez ! Le Pen a fait 16 %, ce n’est pas rien pour un type qui est ouvertement antisémite.

A-t-il été proche du pouvoir ?

16% !

Un commerce juif de Paris interdit l’entrée aux négociants allemands, en réponse au boycott des commerces juifs en Allemagne, 30 mars 1933 © Bridgeman Images

Au deuxième tour, ce qui est historiquement bas. Songiez-vous à quitter la France en 2002 ?

Non, mais je maintiens : 16 % d’électeurs prêts à voter pour un homme condamné pour antisémitisme, c’est beaucoup.

Et il y a aujourd’hui 25 % d’électeurs prêts à voter pour une alliance dominée par un parti qui flatte l’antisémitisme des quartiers qui prospère depuis vingt ans.

Je tiens ma ligne, on peut avoir deux ennemis. Pour moi, Jean-Marie Le Pen, c’est le canal historique.

Justement, il est historique. C’est derrière nous.

Si vous le dites. Ensuite, nous sommes d’accord sur tout sauf sur un point : ça n’est pas l’islam en tant que tel qui sécrète de l’antisémitisme. Je vous l’accorde, j’ai effectivement tardé à reconnaître l’existence de cet antisémitisme. Quand Les Territoires perdus de la République sort, je fais de l’épistémologie, je dis que ce n’est pas le bon échantillon, etc. Je refuse de voir, pour des raisons évidentes. Donc je ne vois pas venir ce qui nous arrive.

Notre drame, ce n’est pas qu’il existe un antisémitisme communautaire, c’est que l’antisémitisme est à la mode. Quand j’étais petit, il y avait la main jaune et c’était à la mode d’être antiraciste, on était très couillons, mais on était antiracistes. Et maintenant on est très couillons, mais on est antisémites. On n’est pas antimusulmans, ce n’est pas à la mode. C’est à la mode d’écouter des rappeurs antisémites, dont on explique qu’ils ne le sont pas. Les punks portaient des croix gammées – je n’aimais pas tellement –, mais cela n’allait pas plus loin que de la provocation. Aujourd’hui, la provocation est reliée à des organisations extérieures, Al-Qaïda existe, Daech existe, etc.

C’est votre nouvelle ligne de défense : l’antisémitisme est un phénomène importé ? Vous êtes sérieux ?

Mais non au contraire, ce n’est pas une manière de minimiser le phénomène. Sid Vicious, le leader des Sex Pistols, était un crétin politique. Mais son but de crétin n’était pas d’établir un empire punk au Cham, ou de tuer les kouffars qui écoutaient du disco.

En attendant, vos grands défilés contre un fascisme imaginaire (en tout cas très virtuel) nous ont fait perdre beaucoup de temps et désarmés dans la lutte contre l’islamisation. J’en veux terriblement au progressisme de mon pays.

Ça ne s’est pas passé comme ça. La date importante, peut-être plus que le 7-Octobre, c’est mars 2012, le massacre de l’école Ozar Hatorah. Je ne découvre pas l’antisémitisme terroriste, on le connaissait depuis Copernic, je découvre que les gens s’en foutent, en tout cas que ce n’est pas un événement. Il faut que mon amie Sophia Aram me tire de chez moi pour que j’aille manifester contre l’assassin d’Ozar Hatorah, et on est 200. La vraie différence entre vous et moi, c’est que vous pensez avoir des solutions alors que je n’en ai pas.

Je vous accorde que personne ne sait extirper les mauvaises idées de la tête des gens. Ceci étant, il faudrait d’abord s’accorder sur le diagnostic. Toutes les études historiques et sociologiques prouvent que la haine des juifs gangrène le monde arabo-musulman, d’Alger à La Courneuve. Mais on a insulté et « fascisé » Finkielkraut, Bensoussan et tous ceux qui voyaient.

Je ne les ai jamais insultés, j’ai probablement tenté de me rassurer en les considérant comme obsédés, ou aveuglés par leurs craintes.

Quoi qu’il en soit, le sociologue que vous êtes m’accordera que l’islam n’est pas un objet métaphysique immuable. Il n’y a pas de vrai islam ou de vraie gauche, il y a des expressions historiques de l’islam ou de la gauche. L’islam est ce qu’il est dans le réel. Vous-même observez qu’on enseigne les versets antijuifs du Coran dans les écoles religieuses.

Justement, on trouve les mêmes dans les Évangiles, mais il y a eu Vatican II. On peut très bien imaginer un Vatican II musulman. Votre erreur, c’est de ne pas voir que les musulmans antisémites – et non les autres – se sont très bien intégrés. En fait, ils sont antisémites comme Occidentaux et non comme musulmans.

Pourquoi sont-ils antisémites partout ?

Le monde arabe est dans un état désespérant et la seule religion séculière qui lui reste, c’est l’antisionisme. C’est son espérance et son utopie. La seule chose qui peut donner de la joie aux houthis du Yémen, c’est d’envoyer deux obus sur Tel-Aviv. Je les comprends, on a tous besoin de joie. La matrice de cet antisémitisme-là est fournie par des choses occidentales, « Les Protocoles des Sages de Sion », seul texte que cite la charte du Hamas. Et qui est par ailleurs d’une pauvreté intellectuelle confondante.

L’antisémitisme existait dans le monde arabe bien avant Israël. Et si toutes les sociétés musulmanes ont un problème avec l’altérité et les minorités, ce n’est pas la faute de l’Occident !

Cela ne m’a même pas traversé l’esprit. Les individus sont de grandes personnes, je ne suis pas décolonialiste. S’ils se saisissent de Marx ou des « Protocoles des Sages de Sion », ce n’est pas parce que l’Occident leur a imposé quoi que ce soit. Reste qu’il y a trente ans, quand on parlait avec des gens de l’OLP, on avait des bases communes parce qu’il y avait le socialisme en commun. Aujourd’hui quand on discute avec des gens du Hamas, la chose en commun, c’est « Les Protocoles des Sages de Sion ». Enfin, je vous rappelle que le sort des minorités n’a pas toujours été merveilleux en Occident.

Mais l’Occident aussi est un objet historique qui se transforme. En somme, on n’a qu’à attendre deux siècles pour que l’islam soit tolérant envers les minorités, y compris chez nous ?

Non, je ne prétends pas faire entrer le musulman dans l’Histoire. Reste que la cohabitation s’est passée tant bien que mal jusqu’à la modernité. Le grand départ des juifs du monde musulman, c’est la modernité tardive et c’est une culture millénaire qu’on efface, un million de personnes qu’on vire.

Comme en terre catholique, il peut y avoir des juifs et de l’antisémitisme, le plus souvent ça va ensemble.

Oui, mais il peut y avoir de l’antisémitisme et de la cohabitation heureuse. On peut vivre avec une certaine forme d’antijudaïsme. Je m’en fous qu’il y ait des stéréotypes antijuifs, cela ne me dérange pas. Ce qui me dérange, c’est quand on brûle le Talmud, ou qu’on vous expulse.

Les stéréotypes antijuifs ne vous dérangent pas ? Sauf chez Le Pen alors…

En fait, un bas niveau d’antisémitisme ne me dérange pas, il me paraît même inévitable. Mais lorsque celui-ci fricote avec le négationnisme, je ne suis plus d’accord.

Bon, vous admettez l’existence d’un antisémitisme musulman. Vous pensez qu’il ne vient pas de l’islam, nous ne tomberons pas d’accord sur ce point. Mais est-il utile d’écrire toutes les quatre phrases que ces antisémites sont racisés, contrôlés au faciès, bref qu’ils sont aussi des victimes ?

Oui, c’est essentiel. On a tort de parler de « concurrence victimaire ». Les deux racismes ne sont pas les mêmes. La singularité historique du racisme antijuif est qu’il fournit une explication du monde. Le racisme anti-arabe rend la vie impossible à ceux qui en sont les victimes, mais ne débouche pas, sauf exception, sur une métaphysique. C’est cela qui me frappe avec l’antisionisme actuel, c’est son quasi-messianisme. Éliminons Israël, et la terre sera débarrassée du mal.

En supposant même que ce racisme soit aussi répandu que ce que vous pensez, ce dont je doute, le discours victimaire et le ressassement de nos crimes passés n’a pas vraiment aidé nos concitoyens arabes, en fournissant aux délinquants une justification pour incendier des voitures ou des médiathèques.

Je ne suis pas en faveur des gens qui brûlent des médiathèques, mais je n’ai absolument aucune idée sur la manière de régler cette question.

Le 7-Octobre vous a-t-il ouvert les yeux sur LFI ?

Non. En tout cas, je n’ai pas découvert l’antisémitisme de gauche, peut-être même l’ai-je surestimé parce que pour moi, il y a un lien très étroit entre l’anticapitalisme et l’antisémitisme.

Vous refusez de choisir. À côté du diable rouge dont vous reconnaissez tout à fait l’existence, on dirait que vous avez besoin d’un diable brun. Sans doute votre histoire familiale y est-elle pour quelque chose.

S’il faut que je fouille en moi-même, j’ai effectivement du mal à imaginer que des gens de gauche soient vraiment antisémites. Mais je suis obligé de considérer que certains, s’ils ne le sont peut-être pas, jouent dangereusement avec les codes, pour avoir 12 % des voix. Ils auront une terrible responsabilité. Parmi eux, il doit y avoir une poignée à sauver, ils sont dans une telle détresse que leur seule espérance est la dénonciation du sionisme. Ça doit exister.

Les pauvres. On vient de célébrer avec force grands mots les quatre-vingts ans de la découverte d’Auschwitz. Vous montrez comment la mémoire de la Shoah est passée du refoulement à l’hypertrophie. Mais après cinquante ans au moins de « plus jamais ça », le bilan n’est pas brillant. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

J’ai toujours du mal à dire ce que nous avons mal fait. Ce qui est remarquable, c’est que la Shoah aujourd’hui est un événement matriciel pour l’Occident. Tout le monde reconnaît le caractère sublime, au sens kantien, de la Shoah, c’est-à-dire indépassable dans le mal. Tout le monde y compris l’Iran. Le négationnisme a échoué, car au fond personne n’est capable d’acheter l’idée que ces juifs ne sont pas morts. Nous sommes passés dans le dubitationnisme comme dirait Taguieff – le « quand même, c’est bizarre », etc. Avant le point de détail, Jean-Marie Le Pen disait que le négationnisme était une mauvaise connerie. Je suis tout à fait d’accord avec lui, c’est une mauvaise connerie. L’incommensurabilité de l’événement est un acquis.

Vous trouvez, alors qu’on nous raconte que Auschwitz/Gaza même combat ?

Cela ne veut pas dire que la Shoah n’a pas été une Shoah, ça veut dire qu’il y a d’autres Shoah. Cela veut dire que c’est l’étalon du mal. Quand on vous dit que ce qui se passe à Gaza est une Shoah, c’est faux parce que ce sont des crimes de guerre, mais en même temps, cela signifie que la Shoah, ce n’était pas bien.

On a aussi accusé les juifs d’instrumentaliser la Shoah. Cette accusation cache souvent de l’antisémitisme. Est-elle toujours fausse pour autant ? N’y a-t-il jamais eu chez des responsables et intellectuels juifs, la tentation de faire des juifs les chouchous du malheur pour l’éternité ?

Vous admettrez qu’ils ont eu leur dose. Cependant je ne suis pas un lapin de trois heures, vous avez évidemment raison. Nétanyahou le fait tous les jours. La grande erreur, c’est d’avoir transformé la Shoah en religion. Mais j’ai du mal à me dire qu’on en a trop fait. La phrase « vous en faites trop avec la Shoah » a été trop souvent prononcée par des antisémites pour que je la reprenne à mon compte.

Vos enfants ne vivent pas avec vos morts. L’obsession s’arrêtera-t-elle avec vous ? Serez-vous celui qui fermera la porte et éteindra la lumière ?

C’est très étrange, parce que ma femme n’est pas complètement juive et mes enfants sont plutôt juifs, l’un des trois va au Talmud Torah. Je ne sais pas ce qu’il adviendra.

Pensez-vous qu’ils vivront en France ? Pensez-vous vraiment qu’un jour prochain il n’y aura plus de juifs en Europe ?

La démographie, c’est imparable, la décrue a déjà commencé, et je ne vois pas ce qui pourrait l’inverser. Nous n’en sommes pas au dernier juif, mais aux derniers des juifs.

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Requiem pour la Corse

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Alexis Manenti, "Le Mohican" de Frédéric FARRUCCI (2025) © Ad Vitam distrib.

Avec Le Mohican, Frédéric Farrucci signe un film très réussi, mais au sous-texte politique peut-être un peu trop ambigu à notre goût…


L’Île de Beauté est-elle vraiment la France ? Deuxième long métrage de l’enfant du pays Frédéric Farrucci après La nuit venue (2020), Le Mohican autorise le doute. Le film est porté d’un bout à l’autre par Alexis Manenti, 42 ans, acteur et scénariste également de souche corse, qu’on retrouve actuellement dans Le Dossier Maldoror, de Fabrice du Wlez, sorti le 15 janvier, et aussi dans Ad Vitam, le thriller produit et interprété par notre Canet national qui fait un carton sur Netflix.

En cavale

Sous les auspices de Farrucci, le corpulent garçon s’est placé, ici, dans la chair dolente de Joseph, un des derniers survivants de la tradition rurale dans ce paradis désormais arraisonné par la logique spéculative, corrélée à la manne du tourisme. Le jeune berger s’accroche à son terrain ; il y élève ses chèvres, à deux pas du littoral, cerné par les parcelles promises au bétonnage. On cherche à l’intimider ; il ne cède pas. Mais tue accidentellement l’investisseur véreux venu en personne le menacer d’un revolver. Et voilà Joseph en cavale, doublement pris en chasse, et par la maréchaussée, et par la mafia locale, de la Corse du Sud jusqu’au Cap corse. Les réseaux sociaux s’emparent du fait divers. Vannina (Mara Taquin), venue en vacances chez son oncle, devient via Twitter le fer de lance de la mobilisation en faveur du fuyard, bientôt surnommé « le Mohican » dans les médias et sur les réseaux, et dont le visage, tagué sur les murs des villages, prend une dimension iconique. Chez quelques vieux insulaires (ce qui fournit des séquences hautes en couleur, dialoguées en dialecte corsu pur jus), Joseph trouvera un refuge précaire – mais le piège, inexorablement, se referme. Le chœur qui monte sur les derniers plans du film sonne comme un requiem.

A voir aussi: Jeu de massacre

Sous-texte ambigu

C’est avec une belle économie de moyens que Frédéric Farrruci développe ce faux thriller investi d’une résonnance politique évidente, à l’heure où le projet de statuer sur « l’autonomie » de ce territoire est toujours dans les cartons, à Paris. Reste que la Constitution ne reconnaît, jusqu’à nouvel ordre, qu’une seule communauté, celle de la nation française.  S’il existe un « peuple corse », alors le « peuple breton », le « peuple alsacien », le « peuple auvergnat », le « peuple basque » sont en droit d’exiger le même type de reconnaissance. Faut-il encourager le FLNC (Front de libération nationale) dans ses revendications, étayées d’attentats sur des résidences secondaires ? Le « sous-texte » du film de Farrucci est ambigu : la nostalgie d’un littoral vierge de constructions de villas et d’hôtels, de plages préservées de l’invasion touristique, d’une Corse rurale immaculée, etc. est légitime. Reste que la Corse n’appartient pas exclusivement aux Corses, pas plus que l’île de Ré au seuls Rhétais. Que les Corses commencent par s’imposer à eux-mêmes des règles d’urbanisme et de protection environnementales strictes, et à les respecter absolument, qu’ils éradiquent l’hydre mafieuse qui corrompt chez eux la moindre décision. Après, on verra.   


Le Mohican. Film de Frédéric Farrucci. Avec Alexis Manenti. France, couleur, 2024.
Durée : 1h27.
En salles le 12 février 2025

Comment nos élèves ont effacé le sens de l’histoire

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Commémoration des 80 ans de la libération du camp de concentration d'Auschwitz : une délégation (comprenant le chancelier fédéral Olaf Scholz (SPD) et le président fédéral Frank-Walter Steinmeier) entre dans l'ancien camp, Pologne, le 27 janvier 2025 © dts News Agency Germany Denzel J/SIPA

Le linguiste Alain Bentolila a été confronté au refus de croire en l’histoire qui est enseignée au collège. En l’occurrence celle de la Shoah. Il témoigne.


Un après-midi de la fin du mois de janvier, à Créteil. Je suis dans une classe de sixième, invité par un professeur d’histoire de mes amis. En ce jour commémoratif de la Shoah, ce jeune enseignant a décidé de rappeler très factuellement ce que fut « la catastrophe ». Il choisit de focaliser son récit sur le camp d’extermination d’Auschwitz.

« Ce dont je veux vous parler aujourd’hui, ce n’est pas une histoire, c’est l’Histoire avec un grand H. Tout cela s’est réellement passé et nous en avons les preuves en photos, en témoignages et en enquêtes menées sur place. Le 27 avril 1940, Himmler, bras droit d’Hitler, donne l’ordre d’aménager un camp de concentration dans les anciennes casernes de l’artillerie polonaise à Oswiecim, rebaptisé Auschwitz. Construit par des Juifs de la ville requis par les nazis, le camp d’Auschwitz reçoit un premier transport de prisonniers polonais, le 14 juin 1940. En mars 1941, Auschwitz s’étend sur 40 km² et compte 11 000 prisonniers, majoritairement polonais. Le 1er mars 1941, Himmler en demande l’élargissement à 30 000 prisonniers et décide la construction d’un second camp pour 100 000 prisonniers de guerre sur le site du village voisin de Brzezinka (Birkenau), distant d’environ trois kilomètres. Mais dans la seconde moitié de l’année 1941, Himmler informe les autorités du camp du projet d’extermination en masse des Juifs d’Europe. Birkenau est alors désigné pour être le camp de rassemblement et d’extermination des Juifs d’Europe de l’Ouest.

Le site est loin des capitales d’Europe occidentale et l’extermination pourra s’y dérouler discrètement. De plus, il est desservi par un important réseau ferroviaire qui facilitera l’acheminement des convois de déportés. Le complexe d’Auschwitz devient le plus vaste et le plus peuplé des camps de l’univers concentrationnaire nazi, l’immense majorité des déportés sont juifs.

À partir de juillet 1942, la sélection est pratiquée sur chaque transport. Les hommes d’un côté, les femmes avec les enfants de l’autre, répartis en deux colonnes, se dirigent vers les médecins SS qui, d’un geste de la main les envoient à la mort ou au travail. Environ 800 personnes entrent en même temps. Une fois la porte verrouillée, les SS introduisent le Zyklon B par des orifices prévus à cet effet. » 

A lire aussi, du même auteur: Quand la langue de Dieu tua l’école algérienne

Un élève se lève alors et, sans agressivité particulière s’adresse à son professeur en le tutoyant : « Tu n’y étais pas et moi non plus, alors tu crois ce que tu veux et moi aussi ! »

J’ai encore, gravé dans ma mémoire, le souvenir glaçant de cette phrase prononcée avec un sentiment d’évidence. Ainsi donc, dans cet univers dominé par la brutalité de l’image, l’Histoire qui rassemble nos mémoires n’éclairait plus la réflexion de cet élève pour qui la superficialité de l’évidence l’emportait de fort loin sur la profondeur de l’analyse des documents. Il n’avait que faire des informations transmises, de plume en plume, de génération en génération. Seul importait l’instantané visible et montrable qui refuse tout ancrage temporel, toute mise en contexte, toute comparaison fertile.

La continuité historique, construite patiemment à distance, de trace en trace, d’exhumation en exhumation, est aujourd’hui devenue suspecte pour beaucoup de nos élèves. Suspecte de mensonge et suspecte de manipulation, elle cède à tout coup devant la « preuve iconique » la plus dépravée. L’image prétend ainsi supplanter le récit raisonné de notre histoire et imposer sa brutalité ponctuelle à la pensée articulée en effaçant l’examen exigeant des documents. L’affirmation « Je crois ce que je vois » porte en elle le danger d’une pensée « à courte vue », une pensée « impressionnée », privée des liens chronologiques et logiques que seuls le récit historique et l’interprétation des faits peuvent offrir.

Beaucoup de nos élèves ont fait du passé « table rase » et du futur une croyance et nous en sommes collectivement responsables.

Alors, à quoi bon vous battre pour léguer à ceux qui arrivent une planète « vivable » si leurs esprits, privés de mémoire collective, de langage maîtrisé et du désir de comprendre, sont condamnés à errer dans le silence glacial d’un désert culturel et spirituel ? Soumis au premier mot d’ordre, éblouis par le premier chatoiement, trompés par le moindre mirage. 

Ceux qui murmurent à l’oreille de Trump

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Tulsi Gabbard, nommée par le président Donald Trump au poste de Directrice du renseignement national, témoigne lors de son audience de confirmation devant la Commission sénatoriale du renseignement dans le bâtiment Dirksen, Washington DC, le jeudi 30 janvier 2025. © Tom Williams/CQ-Roll Call/Sipa USA/SIPA

On savait que Donald Trump voulait que son retour à la Maison Blanche déclenche une véritable révolution gouvernementale. Qui sont les personnalités dont il s’entoure pour arriver à ses fins ? Gerald Olivier, grand spécialiste des États-Unis, passe en revue les différentes nominations du président. Deuxième partie : le « bureau exécutif » de Trump, constitué de ses plus proches conseillers.


>>Relire la première partie, Les Hommes – et Femmes – du président<<

Au contraire de ce que l’on avait observé lors de son premier mandat, Donald Trump s’est, cette fois, entouré de personnalités proches de lui : des gens qui partagent sa vision d’une « Amérique en tête » («America First ») et dont il peut attendre qu’ils lui soient dévoués et fidèles. La loyauté et une vision partagée du travail à accomplir ont été ses critères de choix fondamentaux. Cela est particulièrement vrai pour les membres de son bureau exécutif. Il s’agit de ses plus proches conseillers, en politique étrangère, en matière économique, et pour diriger les multiples agences fédérales chargées d’appliquer les diverses règlementations.

Sécurité et renseignement

Comme Conseiller à la sécurité nationale, Trump a désigné Mike Waltz, un ancien Béret vert de 51 ans, devenu élu de Floride qui s’est fait un nom au Congrès par son intransigeance vis-à-vis de la Chine. Ce choix illustre à la fois les priorités de Donald Trump et son réalisme. Pour lui, la Chine constitue la principale menace à l’hégémonie américaine et donc à la sécurité nationale des États-Unis. La bataille pour le leadership global au XXIe siècle se joue entre Washington et Pékin et, selon Trump, les administrations américaines récentes n’ont pas correctement évalué cette menace ni suffisamment contré l’attitude de plus en plus hégémonique de la Chine. Pour rappel, Joe Biden avait identifié les « terroristes de l’intérieur » (c’est-à-dire les supporters de Donald Trump) comme première menace contre les États-Unis tandis que Barack Obama pensait que cette place revenait au… réchauffement climatique (sérieusement).

Comme directeur de la CIA, Trump a choisi John Ratcliffe, qui avait été son DNI (Director of National intelligence) de 2020 à 2021 (poste qui sera occupé par Tulsi Gabbard dans sa nouvelle administration). Ratcliffe est un ancien représentant du Texas au Congrès et un allié historique de Donald Trump. Il fut l’un des premiers à dénoncer les accusations de collusion avec la Russie comme une affabulation montée par les démocrates avec la complicité des services de renseignement, pour nuire à la campagne de Donald Trump puis faire dérailler sa présidence. Ratcliffe dénonça aussi comme de la désinformation la fameuse lettre des experts du renseignement d’octobre 2020, niant l’existence de l’ordinateur d’Hunter Biden, le notoire «laptop from Hell». 

Il faut s’attendre à un grand nettoyage au sein de l’agence de Langley, et à une réorientation du renseignement. Depuis que Ratcliffe a été confirmé, la CIA a officiellement indiqué que la thèse d’un virus fabriqué et échappé du laboratoire de Wuhan en Chine était la plus vraisemblable quant à l’origine du Covid-19. A l’inverse de la thèse officielle reprise par tous les médias bien-pensants d’un virus accidentellement transmis à l’homme par une chauve-souris et un pangolin… Selon la CIA, la thèse de la fuite d’un laboratoire chinois n’est donc ni du complotisme, ni de la désinformation, mais bien la réalité. Si complot il y a eu, il est venu de la Chine et de tous les fonctionnaires et journalistes, y compris au sein de l’administration Biden, ayant défendu et propagé cette thèse officielle pour dissimuler la vérité.

A la direction du renseignement (DNI) Donald Trump a nommé Tulsi Gabbard, une transfuge du parti démocrate de 43 ans qui fut représentante de Hawaï et candidat démocrate à la Maison Blanche en 2020. Gabbard est une ancienne combattante avec le grade de lieutenant colonel. Elle a débuté sa carrière au sein de la Garde nationale d’Hawaï et a été déployée à deux reprises en Irak. Ce qui ne l’a pas empêchée de toujours opposer cet engagement des États-Unis, tout comme ceux en Afghanistan et en Syrie. Gabbard est une « non-interventionniste » ralliée au slogan  « America First ». 

Elle a dénoncé le « complexe militaro-industriel », le lobby des « faucons » à Washington, et le parti pris anti-conservateur des services de renseignements. L’été 2024,  en pleine campagne présidentielle, elle s’est retrouvée placée sur une liste secrète de personnalités présentant « un risque terroriste » par l’administration de la sécurité aérienne (Transport Security Administration, TSA) ! Il s’agissait d’un programme secret appelé « Quiet Skies » (Ciels tranquilles) ciblant des individus suspects… La TSA a juré qu’il s’agissait d’une erreur regrettable et a blâmé l’algorithme de son application. Mme Gabbard a dénoncé un harcèlement délibéré, notant que son nom était apparu sur la liste juste après qu’elle ait critiqué le choix de Kamala Harris, comme candidate démocrate à la place du défaillant Joe Biden… Pour Tulsi Gabbard, il ne fait aucun doute qu’il s’agissait en fait d’une tentative d’intimidation de l’administration au pouvoir…

Des agences nationales et supranationales dans le collimateur

Donald Trump a confié le poste d’ambassadeur à l’ONU à Elise Stefanik, représentante de New York passée par l’université d’Harvard, et vouée à la cause d’America First. Stefanik appartient à cette nouvelle garde républicaine, jeune, enthousiaste et brillante, qui a trouvé en Trump un leader fier et sans concession. Agée de 40 ans aujourd’hui, elle fut en 2014 la plus jeune femme de l’histoire à être élue au Congrès. A l’ONU sa mission sera de rappeler aux tenants d’un « gouvernement mondial » qu’il faut avoir les moyens de ses prétentions si on veut s’asseoir à la table des grands… En clair, les États-Unis entendent être respectés au sein de cette enceinte dont ils financent un tiers du budget. Cela signifie qu’à défaut d’être écoutés, les États-Unis cesseront de financer les dizaines d’agences qui, sous couvert d’aide humanitaire, entretiennent l’anti-américanisme dans le monde. 

D’ailleurs parmi les premiers décrets signés par Donald Trump depuis le 20 janvier, l’un concernait la sortie des États-Unis de l’OMS, l’Organisation Mondiale de la Santé, que Trump avait déjà quittée en 2018, mais à laquelle l’administration Biden avait réadhéré… La participation des États-Unis à l’UNESCO et à l’UNRWA (aide aux réfugiés palestiniens) a également été suspendue sine die

L’immigration clandestine fut un sujet majeur de la campagne présidentielle, et Donald Trump a promis non seulement de stopper le flot des entrées de clandestins, mais aussi de renvoyer chez eux ceux qui sont entrés illégalement au cours des quatre années écoulées, grâce à la mise en place du plus grand programme d’expulsions de l’histoire américaine.

A lire aussi dans le magazine, John Gizzi: La ruée vers l’âge d’or

Pour effectuer cette double tâche, Trump a nommé un nouveau « tsar de la frontière » (Border Tsar), en la personne de Tom Homan, un homme de 63 ans à la carrure de catcheur. Homan a aussi un franc parler et un aplomb qui ont plu au président. Il fut le directeur de ICE (Immigration & Customs Enforcement) de 2017 à 2018, l’agence en charge de la sécurité des frontières. Chargé de mener à bien les expulsions d’immigrants clandestins promises par Donald Trump, il s’est mis au travail dès le 21 janvier avec près d’un millier de ressortissants étrangers rapatriés dans leur pays d’origine, principalement des pays d’Amérique latine, chaque jour depuis. Trump a fixé un objectif de mille cinq cents personnes par jour. Ce chiffre est en fait modeste. Sous la présidence de Barack Obama, 2,5 millions de clandestins avaient été expulsés entre 2009 et 2015 soit près de mille par jour. L’objectif de Donald Trump est supérieur de 50% à celui d’Obama mais, à supposer qu’il soit atteint, cela ne représentera que 2,2 millions d’expulsions au bout de quatre ans… Alors que ce sont près de dix millions de clandestins qui sont entrés sous l’administration Biden.

Pour reprendre le FBI, dont le directeur Christopher Wray a démissionné, Donald Trump a sélectionné Kash Patel, un avocat d’origine indienne. Né à New York en 1980, de parents ayant immigré aux États-Unis depuis le Gujarat indien, via l’Ouganda, Kashyap Pramod Vinod Patel est devenu avocat puis procureur. Engagé comme conseiller juridique par le président de la Commission du Renseignement de la Chambre il a, le premier,  pointé du doigt les abus et erreurs commis par les agents du FBI pour obtenir des mandats de surveillance téléphonique contre Donald Trump et les membres de son entourage pendant la campagne présidentielle de 2016. Cela lui a valu la haine durable des démocrates et des dirigeants du FBI, ainsi que d’être catalogué comme un dangereux adepte de théories complotistes par les médias. A ceci près que les événements et les enquêtes ont démontré que tout ce que Patel avait dénoncé était vrai ! Le complot existait bien et le FBI en était le cœur… Autant dire que sa nomination a provoqué une onde de choc dans l’agence et au sein de l’ensemble de la bureaucratie washingtonienne. Ce que Trump appelle l’État profond. 

Si la nomination de Kash Patel est confirmée par le Sénat, ce que les Républicains sont en mesure d’obtenir puisqu’ils détiennent la majorité au sein de ce cénacle, son arrivée au FBI signifiera le début d’un nettoyage profond de l’agence pour en éliminer tous les idéologues et tous les agents qui ont outrepassé leur fonction et leur pouvoir au cours des dix dernières années, pour nuire au 45e président en particulier, à ses supporters et aux conservateurs en général. Cette bataille juridique sera épique. Les fonctionnaires du FBI sont en général passés par des études de droit et savent utiliser les tribunaux. De son issue dépend la confiance des Américains dans la justice et dans leur gouvernement.

Les affaires sont les affaires – et pas l’environnement

A l’EPA (agence pour la protection de l’environnement) Trump a désigné Lee Zeldin, ancien représentant républicain de New York et candidat malheureux au poste de gouverneur en 2022. Agé de 45 ans Zeldin est avocat, il est passé par l’armée et a été déployé en Irak avant de s’engager en politique. Derrière « l’environnement », pointent les sujets controversés du climat et de l’énergie. Après des années de règlementations restrictives au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, Trump a indiqué son souhait de libérer le marché de l’énergie et de purger les idéologues du climat qui noyautent l’administration américaine depuis des décennies. Donald Trump a déjà sorti les États-Unis du vieil accord de Paris. Et ce pour la deuxième fois. La tâche de Zeldin sera d’annuler toutes les autres règlementations propres aux États-Unis. Cela présage de nombreuses batailles juridiques avec le puissant lobby de l’environnement et ses centaines d’associations locales.

Aux petites et moyennes entreprises (Small Business Administration), Trump a désigné Kelly Loeffler. C’est une femme d’affaires de 54 ans, qui a occupé brièvement le siège de sénateur de Géorgie. Sa loyauté à Trump est incontestable. Elle l’a notamment soutenu en 2020 lorsqu’il a dénoncé des fraudes et un résultat truqué dans cet État du sud des États-Unis. Son nouveau job est essentiel. « Small business » aux Etats-Unis désigne une entreprise de moins de cinq cents salariés. Il y en a plus de cinq millions à travers le pays. C’est le poumon économique des États-Unis. Six Américains sur dix travaillent pour un « small business ». Durant le premier mandat de Donald Trump, plus de quinze millions d’emplois avaient été créés par des PME. Cette fois Trump compte sur ses baisses de charges sur les salaires et sur ses dérèglementations pour favoriser l’innovation, les créations d’entreprises et donc les créations d’emplois. 

Comme directeur du Budget (Director of the Office of Management and Budget, ou OMB), Trump a nommé Russ Vought qui avait déjà occupé le poste durant son premier mandat. Vought est un avocat de 48 ans spécialisé dans les questions de gestion avec plus de vingt ans d’expérience auprès des élus républicains du Congrès. C’est un fervent chrétien proche de la Heritage Foundation, un club de pensée conservateur de Washington. Vought a participé à l’élaboration du fameux « Project 2025 » que les Démocrates ont tenté d’ériger en épouvantail durant la campagne présidentielle. Sans succès. Au OMB, Vought aura pour mission de réduire le déficit abyssal laissé par l’administration Biden : pour les seuls trois derniers mois de 2024 (octobre à décembre), le déficit budgétaire à dépassé 700 milliards de dollars, soit deux mille huit cents milliards en rythme annuel, équivalent à un déficit de 45% ! Du jamais vu même pendant la Seconde Guerre mondiale…

Corps diplomatique ?

Parmi les ambassadeurs, plusieurs noms ressortent :

Ambassadeur en France : Charles Kushner, l’homme par qui le scandale est arrivé… Charles Kushner est un milliardaire new-yorkais qui a fait fortune dans l’immobilier, comme Trump et presqu’en même temps que lui. C’est aussi le père du gendre de Donald Trump, Jared Kushner qui a épousé Ivanka Trump, la fille de Trump avec sa première épouse Ivana, en 2009. Mais Charles Kushner est surtout connu aux États-Unis pour avoir été condamné à deux ans de prison pour fraude fiscale et tentative d’extorsion avec intimidation… Trump lui a accordé sa grâce présidentielle en décembre 2020, à la veille de quitter la Maison Blanche. Depuis, Charles Kushner a contribué près d’un milliard de dollars à un « PAC » proche de Trump, ce qui lui vaut cette récompense aujourd’hui. Pour précision, les postes d’ambassadeur sont régulièrement attribués aux plus gros contributeurs financiers du président élu. Il n’y a pas de filière diplomatique aux États-Unis…

Ambassadeur auprès de l’OTAN : Matthew Whitaker. Whitaker fut brièvement garde des sceaux durant le premier mandat de Trump. Il est plus connu comme spécialiste des questions juridiques que des relations internationales. Mais c’est surtout un dévoué et loyal supporter de Donald Trump. Son rôle sera de « renforcer les liens entre les États-Unis et l’OTAN », selon les termes de Trump lui-même, en se faisant le relais des exigences de son patron, notamment en ce qui concerne les obligations contractuelles des alliés de consacrer au moins 2% (et peut-être même 5%) de leur budget à la défense.

Ambassadeur en Israël : Mike Huckabee. Ancien gouverneur de l’Arkansas, et candidat à la nomination républicaine, M. Huckabee est un chrétien évangélique, et à ses heures joueur de guitare basse, avec une sensibilité particulière pour le peuple juif et sa destinée. Il sera là pour garantir qu’il n’y aura pas l’épaisseur d’une feuille de papier entre Washington et Jérusalem.

Emissaire au Proche Orient, Steve Witkoff. Wittkof est déjà connu car c’est lui qui a négocié le récent accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, permettant la libération de quelques otages israéliens contre des centaines de prisonniers palestiniens. Cet accord fut un succès pour Donald Trump, qui, à l’aube de sa réélection, avait promis « l’enfer » si les otages n’étaient pas libérés avant sa prise de fonction, et qui a ainsi pu prêter serment déjà auréolé d’un succès sur la scène internationale. Mais cet accord fut approuvé du bout des lèvres par Israël qui le jugeait trop favorable au Hamas et surtout contraire à ses deux autres objectifs : anéantir totalement le Hamas et démilitariser Gaza. Pour obtenir le consentement du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, Witkoff dut bousculer les choses et apporter des assurances. Il n’hésita pas à déranger Netanyahu un samedi, jour de sabbat, durant lequel les juifs pratiquant ne travaillent pas. Et il promit à Netanyahu d’être le premier dignitaire étranger reçu par Trump à la Maison Blanche. Cette visite vient d’avoir lieu et a permis de conforter le statut d’Israël comme premier allié des États-Unis. Toutefois la tâche reste longue car Donald Trump ne veut pas d’un simple cessez-le-feu avec le Hamas, il ambitionne une paix générale au Proche Orient. Cela passe par au moins une reconnaissance d’Israël par l’Arabie Saoudite et la relocalisation de la population de Gaza, ailleurs au Proche-Orient. Ce succès et cette ambition confortent la propension de Donald Trump à désigner des personnalités hors normes pour certaines tâches. Witkoff n’a aucune expérience diplomatique. C’est un milliardaire de l’immobilier de 67 ans qui a fait fortune à New York. Comme Trump. Il est israélite et à l’évidence sait négocier. Sa mission ne fait que commencer.

Emissaire auprès de la Russie et de l’Ukraine, Keith Kellogg Jr. Autre défi, mettre fin au conflit en Ukraine. Trump avait assuré imposer la paix en « un jour ». Il est revenu sur cette promesse avant même son investiture devant la complexité de la tâche. Pour mener cette négociation à bien, Donald Trump a choisi le général en retraite Keith Kellog, qui fut le conseiller sécurité du vice-président Pence entre 2017 et 2021. Kellogg est un lieutenant-général en retraite qui a participé à tous les conflits américains des dernières décennies. Né en 1944, il a été déployé au Vietnam, a participé à l’opération « Just Cause » au Panama en 1989, à « Desert Storm » en 1991 et à l’invasion de l’Irak en 2003. Après son départ à la retraite, M. Kellogg s’est converti dans le conseil auprès d’hommes politiques. Il estime un accord de paix en Ukraine possible en cent jours. Si la Russie s’engage dans cette voie. Volodymir Zelensky lui, n’a pas le choix. La poursuite de l’assistance américaine a été contingenté par Trump à sa poursuite d’un armistice ainsi qu’à la tenue d’élections en Ukraine en 2025. Par contre, Trump a aussi promis à l’Ukraine une aide militaire décuplée si Poutine refusait de venir à la table des négociations…

Cet article a tout d’abord été mis en ligne sur le blog de Gérald Olivier


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Canada: (re)naissance du patriotisme?

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Frontière entre le Canada et les États-Unis, à Windsor. Donald Trump a menacé d'augmenter les droits de douane de 25% pour son voisin... © Dominick Sokotoff/Sipa USA/SIPA

Fédéralisme bancal, libre-échange entravé, indépendance inachevée… Le Canada profitera-t-il des menaces de Donald Trump pour réaliser un sursaut national et se démarquer de son voisin américain?


Le Canada est le plus meilleur pays au monde.
Jean Chrétien, ex-premier ministre canadien, bilingue dans les deux langues.

« When I use a word », Humpty Dumpty said in rather a scornful tone, « it means just what I choose it to mean—neither more nor less.” “The question is,” said Alice, “whether you can make words mean so many different things.” “The question is,” said Humpty Dumpty, “which is to be master—that’s all.”1
Lewis Carrol, Alice in Wonderland.


Le Premier ministre canadien bientôt sortant, Justin « Blackface » Trudeau a défini avec éloquence et exhaustivité l’identité nationale : « Nous ne sommes pas américains ». Sic. Cela dit, les frontières artificielles qui séparent le désert culturel canadien de son voisin américain ne comportent pas que des désavantages : on y compte moins de fusillades dans les écoles, moins de télévangélistes pentecôtistes, moins de ghettos, pas de Vietnam, etc… On comprend ses craintes face l’expansionnisme, ou impérialisme américain, qui ont fait l’objet de fuites.

Mais selon la classe politique canadienne, la menace de droits de douane brandie par le président américain (pour l’instant suspendue pour un mois), renforce la cohésion nationale. Il ressort de certains sondages que même les Québécois seraient maintenant plus attachés à l’unité canadienne, séduits, comme Ulysse, par le chant (pourtant peu audible sur les rives du Saint-Laurent) de la petite sirène Mark Carney; le Québécois moyen docile et frileux est toujours plus terrorisable quand son petit portefeuille semble en jeu à court terme et il est insensible à cette réalité historique incontournable: depuis sa naissance en 1867, sur le plan économique, « le Canada », c’est l’Ontario. Sa loyauté est toujours monnayable. En monnaie de singe libérale et en bilinguisme à sens unique. Par contre, le pétrole n’est pas canadien, mais bel et bien albertain (qu’on se le dise!), comme le rappelle fermement la Première ministre Danielle Smith.

Bref, les autorités canadiennes, tant fédérale que provinciales, ont alors vertueusement proclamé leur attachement au libre-échange, plus de nature à assurer la prospérité économique de tous que le protectionnisme, lequel ne protège que les agents économiques inefficaces. Voilà qui est bel et bien. Cependant, les provinces devraient balayer devant leurs portes, trop souvent verrouillées à double tour. On peut même féliciter Trump de les avoir réveillées à cet égard.

Petit rappel historique

Les textes constitutionnels de 1867 sont, sans équivoque, centralisateurs : la compétence fédérale est la règle, et la compétence provinciale l’exception. Cet équilibre était respecté par la Cour suprême du Canada à ses débuts… jusqu’au jour où, en 1881, le conseil privé de Londres (qui était alors la plus haute juridiction d’appel), renversa les rôles par l’arrêt Citizens’ Insurance of Canada c. Parsons, une jurisprudence scandaleusement politique fondée sur de grotesques acrobaties verbales, qui amorça la décadence de la compétence pourtant exclusivement fédérale en matière de « réglementation du trafic et du commerce » (cf. paragraphe 91(2) de la Loi de 1867). Par la suite, la Cour suprême, telle une inexorable tumeur cancéreuse, a achevé le travail en en faisant une lettre (relativement) morte.

A lire aussi, du même auteur: Prospective canadienne

Voilà pourquoi les provinces (et surtout le Québec) ont pu mettre en place depuis des décennies des barrières à la circulation des biens et services, ouvertement, ou, de manière (à peine) déguisée, par la sournoise technique de la réglementation.

Un exemple

Le rond-de-cuir fédéral résidant à Gatineau (Québec) qui, à la sortie du bureau à 17h00, achète sa bouteille de vin à Ottawa (Ontario) qu’il ramène pour le souper, en v.o., (le dîner, en v.f.) est, quand même, censé payer la taxe québécoise ! La Cour suprême du Canada enseigne, de manière générale, que les restrictions dans le transport interprovincial d’alcool sont légales, même si, en pratique, il est souvent difficile de les faire respecter. La liberté du Français frontalier d’acheter son tabac ou son essence à Esch-sur-Alzette (Luxembourg), met en relief l’absurdité de l’état du droit canadien. Par contre, n’ont rien de théoriques les entraves aux activités de très nombreuses entreprises, notamment dans le bâtiment.

(Les menaces trumpesques ont un côté positif : elles donnent lieu actuellement à des discussions entre les provinces et le gouvernement fédéral afin de faire une réalité du libre-échange interprovincial… enfin?).

Pour conclure au sujet des absurdités de l’État canadien, il faut en noter une, et non des moindres, qui concerne la (pseudo)indépendance constitutionnelle obtenue en 1982. Contrairement à la légende qui court même dans les milieux juridiques canadiens, le Canada n’a toujours pas sa propre « constitution » suprême, au sens notamment américain ou français du terme.

Ce terme ronflant de « constitution » y englobe, en fait, une multitude de lois éparses et de conventions non écrites, parfois issues du droit anglais médiéval ; aucun ministre de la Justice canadien n’a eu le simple bon sens de penser à une mise en ordre (compilation ou codification).

Pis, la Constitution Act 1982, en v.o. (Loi constitutionnelle de 1982 en v.f.) n’est même pas une loi, mais une simple annexe (!) à une loi du Royaume-Uni, la Canada Act 1982, en v.o. (Loi de 1982 sur le Canada, en v.f.), laquelle n’accorde, en substance, qu’une sorte de pouvoir réglementaire au Canada, qui demeure révocable. Au lieu d’aller s’aplatir abjectement devant l’épouse du prince Phillip à Londres, il suffisait au gouvernement canadien de faire, d’Ottawa, une déclaration unilatérale d’indépendance (UDI), comme d’ailleurs l’avait envisagé auparavant Pierre Elliott Trudeau, à laquelle ne se serait évidemment pas opposé le gouvernement du Royaume-Uni. Cependant, il n’eut pas la colonne vertébrale aussi solide que celle du Premier ministre rhodésien Ian Smith en 1965.

Les cérémonies de signature du 17 avril 1982 en grande pompe, auxquelles participa la monarque canadienne, ne furent qu’une mascarade.

Le roman national canadien : quelle épopée !


  1. « Quand j’utilise un mot » , dit Humpty Dumpty d’un ton plutôt méprisant, “il signifie exactement ce que j’ai choisi de signifier, ni plus ni moins”. « La question est de savoir, dit Alice, si l’on peut donner aux mots autant de sens différents ». « La question est », dit Humpty Dumpty, « de savoir qui est le maître, c’est tout. » ↩︎

Überraschung! L’arc-en-ciel vire à droite

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Christopher Street Day Parade à Berlin le 27 juillet 2024 © snapshot/Future Image/B Elmentha/SIPA

C’est le sondage surprise de la campagne électorale allemande. Selon Romeo, site de rencontres homosexuelles, le vote des gays se porterait majoritairement vers la controversée AfD.


Un récent sondage sur l’application de rencontres gay Romeo a révélé un résultat inattendu : le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) est arrivé en tête des intentions de vote parmi ses utilisateurs. Un constat paradoxal, compte tenu des positions controversées de l’AfD sur les droits LGBTQ+.

Un sondage révélateur d’une tendance

Selon l’enquête, menée du 24 janvier au 2 février 2025, 28 % des plus de 60 000 personnes interrogées ont exprimé leur intention de voter pour l’AfD lors des élections législatives du 23 février. Bien que Romeo souligne que ce sondage ne constitue pas une projection électorale fiable, le large échantillon interrogé met en lumière une tendance marquante. Derrière l’AfD, les Verts recueillent 19,9 % des voix, suivis de la CDU (17,6 %), du SPD (12,5 %), du Parti de gauche (6,5 %), de l’Alliance Sahra Wagenknecht (4,5 %) et du Parti libéral (3,6 %).

L’analyse des résultats par tranche d’âge révèle une forte préférence pour l’AfD chez les jeunes électeurs LGBT. Dans la catégorie des 18-24 ans, le parti obtient 34,7 % des intentions de vote. Parmi les 25-39 ans, l’AfD est également la plus populaire, avec 32,3 %, et chez les 40-59 ans, avec 27,2 %. Une popularité qui diminue cependant chez les plus de 60 ans, où la CDU (21,7 %) et les sociaux-démocrates du SPD (20,8 %) dominent les suffrages.

L’AfD et les droits LGBT : un paradoxe ?

L’AfD, régulièrement critiquée pour ses positions hostiles aux droits des minorités, affiche pourtant un électorat significatif au sein de la population homosexuelle. Le parti, dont l’une des co-dirigeantes, Alice Weidel, est ouvertement lesbienne, s’est souvent opposé aux avancées en matière de droits individuels des personnes homosexuelles, tout en dénonçant la montée des violences homophobes qu’il associe à l’immigration de masse. Cette position ambivalente interroge sur l’adhésion croissante de certains électeurs gays à un parti perçu comme conservateur et identitaire. Elle pourrait cependant s’expliquer par une recrudescence des actes homophobes en Allemagne. En 2023, plusieurs associations ont émis des avertissements sur cette montée des violences perpétrées contre les homosexuel(le)s, pointant exclusivement du doigt la responsabilité de l’extrême-droite accusée d’utiliser une « rhétorique digne du III Reich » contre les LGBTQI+, plus particulièrement les personnes transgenres particulièrement visées.

Les droits LGBT en Allemagne : un combat de longue haleine

En Allemagne, l’homosexualité, longtemps réprimée par l’article 175 du Code pénal, notamment sous le régime nazi qui n’a pas hésité à la persécuter, n’a été totalement dépénalisée qu’en 1994. Le mariage pour tous a été légalisé en 2017, et les thérapies de conversions interdites trois ans plus tard. Une avancée majeure pour les droits des couples homosexuels. Cependant, des défis persistent, notamment en matière de reconnaissance des droits des personnes transgenres et de lutte contre les discriminations.

Une montée de l’extrême droite dans toutes les sphères ?

Le succès de l’AfD dans ce sondage illustre toutefois une tendance plus large, qui se dessine en Allemagne et ailleurs à l’international : la progression du nationalisme dans divers segments de la société, y compris dans des communautés historiquement marginalisées. Alors que l’Allemagne se prépare à des prochaines élections qui devraient ramener le pays dans les bras de la droite conservatrice (CDU/CSU), ces résultats soulignent la nécessité d’une réflexion approfondie sur les attentes et les préoccupations d’un électorat qui semble se détourner des partis progressistes au profit d’un discours plus radical.

Un phénomène qui semble similaire en Europe de l’Ouest. Selon Romeo, 29% des gays autrichiens voteraient en faveur de l’extrême-droite comme 12% des LGBTQ+ britannique. La France n’échappe pas au phénomène. On note ainsi une forte progression du vote RN/Reconquête parmi l’électorat gay français (de 19% en 2012, il est passé à 27% en 2022 selon un sondage réalisé pour le magazine Têtu), avec de plus en plus de voix, comme l’influenceur Yohan Pawer, qui se veulent représentatives de cette « droite homosexuelle » qui refuse d’être assimilée au militantisme. Des chiffres que réfutent fermement les associations de défense homosexuel(le)s dans l’Hexagone…