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Quand je serai grande, je serai sur OnlyFans

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De plus en plus de jeunes gens se tournent vers la production amateure de contenus osés, érotiques et parfois même pornographiques sur des plateformes comme OnlyFans qui permettent de vendre des photos ou vidéos et de générer un revenu souvent conséquent. Le premier de deux articles sur ce phénomène.


Une vidéo de TPMP, publiée le 6 novembre, reprenait une joute verbale entre l’influenceuse et invitée Ruby Nikara et le chroniqueur Guillaume Genton. Ruby Nikara venait défendre deux autres jeunes influenceuses, Tootatis et Polska, respectivement âgées de 19 et 20 ans. Celles-ci s’étaient déjà exprimées auparavant au sujet d’un restaurateur qui avait refusé de les laisser entrer dans son établissement en tenue très légère, à l’heure du petit-déjeuner. Elles avaient filmé la scène, tant elles étaient scandalisées. Guillaume Genton mit alors en lumière un thème plus important que le débat initial : « Les filles comme vous, vous êtes tellement prêtes à n’importe quoi pour qu’on croie que vous êtes des gens importants, que vous êtes des stars, que vous êtes fortunés, que le seul moyen que vous utilisez, c’est la nudité ».

Il faisait référence au site OnlyFans, un réseau social où, via un abonnement mensuel, on achète du « contenu » produit par d’autres personnes. Cette plateforme anglaise créée en 2016 avait comme premier objectif la rémunération directe des « créateurs de contenus » (artistes, modèles, professeurs de fitness, etc.) par leurs « fans ». Aujourd’hui, la plateforme héberge dans sa plus grande majorité des consommateurs et des « créateurs de contenus » érotiques et pornographiques.

On y retrouve nombre de célébrités adulées par les jeunes, comme Cardi B, une rappeuse américaine suivie par plus de 143 millions d’abonnés sur Instagram ; Bella Thorne, une ancienne enfant star de Disney des années 2000, comptant 25,3 millions d’abonnés. Et dans un registre plus français, des vedettes de la téléréalité comme Nathalie Andreani (« Secret Story ») ou Astrid Nelsia (« Les Anges ») qui dit gagner 3 572,61€ mensuellement en affirmant «[c’est] tous les mois mon salaire. Croyez-moi, je ne mens pas.»

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Durant la pandémie, OnlyFans est devenu populaire auprès des personnes au chômage ou travaillant à domicile ; mais aussi et surtout auprès des adolescents, déjà sur des réseaux sociaux comme TikTok et Instagram. Certains jeunes reconnaissent en des influenceurs des modèles et rêvent de leurs modes de vie à coup de marques de luxe, de sorties nocturnes, de belles voitures et de l’Eldorado : Dubaï.

Si cela ne restait qu’un rêve. Malheureusement, beaucoup de jeunes sont convaincus par cette solution facile. D’autant que selon une enquête récente de l’IFOP, les jeunes français (18-34 ans) n’aiment plus et ne veulent plus travailler. Ce que soulignait très justement Guillaume Genton, dans la suite de son démêlé avec Ruby Nikara : « Vous êtes une génération qui ne fait aucun effort, qui ne veut pas travailler. Et votre seul moyen d’exister et de gagner de l’argent est de se mettre à poil. On vit malheureusement dans un monde où c’est mieux payé de poser en string dans un lit que d’aller bosser ».

Plus désolant encore, lorsque Cyril Hanouna demanda à Tootatis et Polska ce que pensaient leurs parents de leurs activités affriolantes, elles répondirent sans avoir conscience de la gravité et de la tristesse de la situation : « ils [les parents] disent si ça rapporte de l’argent, c’est bien ». Effroi général sur le plateau.

La musique n’adoucit pas les moeurs

Une députée insoumise n’aime pas la musique militaire, car elle préfère la paix à la guerre. Mais que faire quand on nous déclare la guerre ? A qui faire appel pour nous défendre ?


Marchons, marchons, qu’une musique impure n’arrose notre audition 

La Délégation Militaire Départementale du Tarn et l’Académie d’Albi ont organisé, le 22 novembre 2022, un concert de l’orchestre Musique des Parachutistes accompagné d’une chorale de cent élèves des collèges publics de la région.

Cette opération, qui met en pratique le slogan de l’inclusion et du vivre-ensemble, eût dû, logiquement, recueillir les félicitations de la classe politique, toutes tendances confondues. Que nenni ! Madame Karen Erodi, députée insoumise, y a trouvé une occasion d’exister enfin, conjuguant le verbe en LFIste dans le texte : un « Détruire, dit-elle » qui n’a rien à voir avec Duras, et tout avec le Moravia du « Mépris ». 

« Exister » contre « Résister »

À défaut de réflexion, la députée du Tarn a des réflexes : quand elle entend le mot culture, elle sort son antimilitarisme primaire. Elle a publié un communiqué dans lequel les élans religieux le disputent à l’ignorance la plus crasse : « Maudite soit la guerre ! Hélas, nous savons que la paix est un combat bien plus grand et difficile que la guerre. […] L’Éducation Nationale doit s’attacher à promouvoir l’universalité des droits humains contre la haine d’autrui et son exaltation guerrière au travers des chants militaires non républicains. […] Je dénonce avec la plus grande fermeté l’organisation du concert de l’orchestre d’harmonie Musique des Parachutistes avec les chorales d’élèves collégiens du Tarn… Évitons d’utiliser nos enfants pour chanter les louanges de Napoléon et de la guerre ».

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Elle aurait pu demander le programme

Un slogan est fait pour frapper, pas pour expliquer. Cela tombe bien, car Madame Erodi espère convaincre que la paix fait plus mal que la guerre, sans donner d’explication sur la façon de réagir, lorsque l’ennemi vous la déclare. En 1939, elle aurait applaudi à Munich et se serait jetée dans le difficile combat de la collaboration ?

Ajoutons qu’elle aurait pu aussi maudire la maladie et la mort, cela ne mange pas plus de pain et cela l’aurait rendue agréable, à défaut d’utile.

Enfin, achevons-la en suggérant que si elle avait consulté le programme, ça lui aurait évité le ridicule, et à nous, le spectacle de sa mauvaise foi. En effet, en première partie de ce concert, ont été interprétées des musiques de films, Indiana Jones et Harry Potter, entre autres, qui promeuvent l’exploration (colonialiste ?) et la magie (belliqueuse ?), mais pas le wokisme.

En deuxième partie, l’orchestre et les chœurs ont offert au public des œuvres classiques : Faust (Gounod) et Carmen (Bizet). Quant à l’Ode à la Joie de Beethoven, que les chorales ont chantée avant La Marseillaise, on croit se rappeler que l’Union européenne en a fait son hymne. Moins « non républicain », tu meurs, mais la députée insoumise au réel y voit des louanges qui lui déclenchent des prurits intellectuels.

Intellectuels, intellectuels, est-ce que les députés LFI ont des gueules d’intellectuels ?

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Saint Omer d’Alice Diop

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Saint Omer d’Alice Diop est une fiction qui nous parle de l’affaire Fabienne Kabou, cette jeune femme noire et intelligente qui avait commis un infanticide en abandonnant son bébé, de nuit, sur la plage de Berck-sur-mer en 2013.


Pour tourner son premier film de fiction, Alice Diop, – cinéaste reconnue, elle a tourné plusieurs films: La Mort de Danton (2011), Vers la tendresse (2016), Nous (2021)… –  fascinée par la personne de Fabienne Kabou, décide de mettre en scène le procès et de le faire suivre par son double fictionnel : Rama, une jeune romancière noire de peau, enceinte, interprétée de manière appuyée par Kayije Kagamé. Un personnage qui se pose des questions ambivalentes sur sa maternité et s’interroge sur la place qu’elle occupe dans la société française.

Rama se rend à Saint Omer et assiste au procès de l’accusée. Cette dernière (renommée Laurence Coly), est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. L’écrivain sent ses repères vaciller et éprouve une empathie énigmatique pour cette jeune étudiante de philosophie brillante qui s’exprime dans une langue châtiée et qui n’arrive pas à expliquer son geste criminel sauf par les égarements d’une dépression et par les influences mystérieuses de la sorcellerie et du maraboutage.

Le film débute par un cours de littérature que Rama donne à ses étudiants, confrontant le récit de la femme tondue, inventé par Marguerite Duras dans le film Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais, à des images d’archives de la Libération, et explicitant sa problématique: Comment l’auteure met sa puissance de narration au service d’une sublimation du réel».

En quelques plans, les enjeux de Saint Omer sont posés: la défense de cette femme noire coupable d’infanticide et à travers elle, la défense de toutes les femmes. Alice Diop convoquera plus tard dans sa fiction, le film, Médée de Pier Paolo Pasolini (adaptation de la version du mythe grec par Euripide) pour appuyer sa thèse sur les femmes invisibles chimères. Toutes les scènes consacrées à Rama, écrivain(e) très actuelle, et l’intellectualisation artificielle de cette histoire véridique sont ratées, ridicules et superfétatoires.

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En revanche, dès que nous pénétrons dans le cadre du procès, le film prend de la distance et de la hauteur, une vraie dimension d’une beauté cinématographique indéniable. Les scènes de procès possèdent une justesse incroyable due à la force et à la fragilité de prise de parole de chaque personnage. La sobriété de la mise en scène, la rigueur des cadres, la durée des plans, et le jeu des comédiens (Valérie Dréville, Aurélia Petit, Xavier Maly, Robert Cantarella…), tous excellents, y concourent. Guslagie Malanda, formidable, donne au personnage de Laurence Coly, la mère, présente et absente de son procès, profondeur et complexité par sa parole simple et son attitude digne et perdue. Elle n’a aucune explication rationnelle à donner à son geste meurtrier.

Malheureusement, la cinéaste nous donne ses explications: Les hommes sont dépeints – ceux qui procèdent aux tontes – les proches de l’accusée et surtout l’avocat général – bras armé de la justice punitive – comme participant à un système toxique. Puis, lorsque vient le moment de la plaidoirie de l’avocate de la défense, Alice Diop filme avec empathie l’avocate qui ne reprend nullement les arguments de Maître Fabienne Roy-Nansion, l’avocate de Fabienne Kabou – à part sur la folie de sa cliente – mais développe un discours emphatique sur la condition des femmes, des filles et des mères toutes des invisibles, des chimères monstrueuses mais très humaines. Des plans sur le public, les jurés, la cour…, émus, achèvent cette symphonie dont le but est de gagner le cœur et la raison du public. De nous rendre cette femme sublime, forcément sublime[1]. Sainte mère comme nous le dit sans état d’âme Fernando Ganzo dans Les Cahiers du Cinéma du mois de novembre 2022. Dommage, nous aurions pu voir un immense film de procès qui sonde les mystères de l’âme humaine au lieu d’un film édifiant qui enchante dans le consensus général toute la presse de France et de Navarre.

Saint Omer, d’Alice Diop. France – 2022 – 2h02. Interprétation: Guslagie Malanda, Kayije Kagamé, Valérie Dréville, Aurélia Petit, Xavier Maly, Robert Cantarella… Actuellement en salle.


[1] Sublime, forcément sublime Christine V. » est un texte de Marguerite Duras publié le 17 juillet 1985 dans le journal Libération à propos de l’affaire Grégory.

Au 4e top…

L’horlogerie française est l’un des legs les plus précieux de notre histoire artistique et scientifique. Dans sa galerie La Pendulerie, Christophe Guérin redonne vie à ce patrimoine exceptionnel.


Dans la vie réelle, on rencontre parfois des passeurs enthousiastes qui nous ouvrent les portes d’un monde parallèle et méconnu. Christophe Guérin, spécialiste mondial des pendules anciennes, est l’un d’eux. Avec son costume de tweed, sa petite barbiche blonde et son regard malicieux, il ressemble un peu au Bourvil de La Grande Lessive (!) de Jean-Pierre Mocky. Affligé d’un léger défaut d’élocution, il compense ses petits bégaiements par un sens de l’autodérision digne de Darry Cowl…

On entre dans sa galerie du Faubourg-Saint-Honoré comme dans un conte de Dickens, subjugué par tant de trésors provenant de tous les palais d’Europe. Tous ont été restaurés à l’identique dans l’atelier situé au sous-sol où, au milieu des tic-tac entremêlés, l’artisan-horloger Stéphane Gagnon (qui travaille là depuis trente-trois ans) fabrique à la main les pièces manquantes. C’est pourquoi La Pendulerie vient d’obtenir le prestigieux label « Entreprise du patrimoine vivant » (EPV) qui récompense les entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux exceptionnels.

« Autrefois, nous raconte Christophe Guérin, les gens qui avaient de l’argent investissaient dans l’immobilier, le pétrole, l’or, l’art ou le vin. Aujourd’hui, la tendance, c’est la pendule française du xviiie siècle ! Que vaudra une œuvre de Jeff Koons (qui fait travailler 200 salariés) dans cinquante ans ? À mon avis, pas grand-chose. Une pendule Louis XV d’exception, en revanche, est une pièce unique dont la valeur ne fait qu’augmenter. Certaines dépassent le million d’euros ».

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Bernard Arnault l’a d’ailleurs bien compris, il se rend à La Pendulerie régulièrement pour se constituer sa collection personnelle.

On l’a oublié (comme on oublie tant de choses !), mais l’art horloger français a connu un âge d’or unique au monde, de la fin du xviie siècle (sous Louis XIV) au Premier Empire, soit une période de cent trente ans. « Après, ça a été le déclin, le début de l’ère industrielle, avec des pendules fabriquées à la chaîne qui n’étaient que des copies ». Cet âge d’or, nous rappelle Christophe Guérin, a commencé avec le mathématicien hollandais Huygens qui a inventé le balancier en 1650.

« Avec l’apparition du balancier, l’art horloger de la France naît et se caractérise très vite par sa créativité, sa capacité à évoluer du point de vue esthétique. En effet, chaque roi imprimait un style nouveau, alors que les Anglais, eux, ont toujours fabriqué les mêmes pendules ! Sous Louis XV, c’est l’exubérance, le raffinement total… Mais l’art horloger français se distingue aussi de celui des autres nations par la recherche de la précision, avec des pendules extrêmement fiables (appelées « régulateurs ») qui étaient notamment utilisées par les marins pour faire le point en pleine mer ! »

Qui étaient donc les maîtres de cet art aujourd’hui tombé aux oubliettes de l’histoire ? Isaac Thuret (1630-1706), André-Charles Boulle (1642-1732), Charles Cressent (1685-1768), Julien Leroy (1686-1759), Ferdinand Berthoud (1727-1807), Robert Robin (1742-1799), Jean-Simon Bourdier (1760-1839), Abraham Breguet (1747-1823) et Antide Janvier (1751-1835), « un génie, horloger de Louis XVI, mais qui finit dans une fosse commune après une sombre affaire d’escroquerie ! »

Ces horlogers étaient reconnus par toute la noblesse d’Europe, ils logeaient au Louvre et avaient le droit de porter l’épée. Ces artisans doués se doublaient d’intellectuels formés aux mathématiques, à la physique et à l’astronomie, capables de résoudre des équations très compliquées. « En fait, ils étaient à la pointe de la technologie de leur temps, l’équivalent de la recherche spatiale aujourd’hui ! Par exemple, ils savaient indiquer sur leurs pendules l’heure solaire (à laquelle étaient exécutés les condamnés à mort) et l’heure moyenne (vécue). Les actuelles montres suisses à complications ne sont que des copies de leurs mécanismes ! »

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L’art contemporain a occulté l’art classique, dont l’horlogerie est l’une des branches les plus précieuses. Oui, mais c’est en train de changer… Pour fabriquer une pendule royale, il fallait des milliers d’heures de travail, parfois vingt ans ! De plus en plus d’hommes d’affaires instruits s’intéressent à cet art prodigieux, qui impliquait plusieurs corps de métier : d’abord, il y avait le dessinateur (chargé de présenter un projet au client), puis le sculpteur (qui réalisait un premier modèle en bois) ; venaient ensuite le bronzier (qui fabriquait un moule), puis le ciseleur (qui ciselait le bronze) ; le doreur dorait alors ce bronze au mercure (un poison, les doreurs mouraient à 36 ans) ; et n’oublions pas le marbrier, l’ébéniste et le marqueteur… Quand l’architecture de la pendule était finie, l’horloger pouvait alors insérer son mécanisme qui portait sa signature.

Certains chefs-d’œuvre étaient ornés d’écailles de tortue, un matériau magnifique mais aujourd’hui interdit à la vente aux États-Unis : si une pendule est interceptée à la douane, elle est aussitôt détruite, même si elle a trois siècles et coûte plusieurs centaines de milliers d’euros ! « L’Europe, de son côté, envisage d’interdire le commerce des bois précieux comme le bois de rose et de violette : si cela devait arriver, ce serait la fin de notre métier ! »

Anticipant le pire, Christophe Guérin écume la planète (jusqu’en Australie) pour racheter et rapatrier en France tous les joyaux susceptibles de disparaître à jamais. C’est pourquoi sa galerie, riche de plusieurs centaines de pendules, est devenue un musée à nul autre pareil.

Quand nous lui demandons quelle pièce l’émeut particulièrement, il nous montre sans hésiter la pendule squelette de Jacques-Joseph Lepaute, horloger de « Monsieur » (frère de Louis XVI) dont l’émail, daté de 1782, est d’une pureté absolue : « Moi, quand je vois un aussi bel émail, je bande encore ! Ses propriétaires ont coupé les fleurs de lys pour ne pas être guillotinés, c’est une pendule qui a survécu à la Terreur… »

La Pendulerie

134, rue du Faubourg-Saint-Honoré 75008 Paris

www.lapendulerie.com

Non, il n’existe pas de «fascisme juif»

En publiant dans Le Monde du 16 novembre, et plus précisément dans les pages « Idées », une tribune faisant référence à un « fascisme juif », la sociologue franco-israélienne Eva Illouz a réjoui tous les antisionistes. Accoler les deux mots pour décrire les résultats électoraux du 1er novembre en Israël est cependant périlleux et infondé.


Vladimir Jankélévitch écrivait, voici presque soixante ans, à propos des mensonges relatifs à une prétendue complicité de juifs à l’égard des nazis : « On imagine l’empressement avec lequel un certain public s’est jeté sur cette attrayante perspective ». Aujourd’hui, il s’agirait, une fois les élections effectuées en toute transparence démocratique, de pointer en Israël un « fascisme », reconnaissable à l’émergence d’un « nationalisme religieux ». Jankélévitch aurait ajouté, comme il le fit dans L’imprescriptible : « Voilà une découverte providentielle ! »[1]

Eva Illouz évoque le nazisme et « la grande catastrophe dont les Juifs ont été victimes au XXème siècle ». Elle ajoute que, « transposée en Israël », l’idéologie faisant une nécessité de « l’autodéfense juive [et] du monde entier représent[é] comme une menace antisémite permanente » serait « aberrante ». Ce dernier adjectif est choisi avec soin, ouvrant à l’absurde – qui signifie l’illogisme et la discordance – en suggérant que l’on s’écarte de la normale.[2]

Un vieux dicton yiddish pourrait constituer une première réponse, en rappelant que même les paranoïaques ont… de vrais ennemis ! L’Etat d’Israël, dont le 75ème anniversaire sera commémoré en mai prochain, fut attaqué militairement dès les heures qui suivirent sa création, laquelle constitua effectivement, mais non exclusivement, une manière pour le monde de tirer les leçons de la Shoah.

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Qualifier celle-ci de grande catastrophe, comme le fait Eva Illouz, est exact mais insuffisant. Pour compléter, citons à nouveau Jankélévitch : « Auschwitz n’est pas une « atrocité de guerre », mais une œuvre de haine ».[3] Cette haine ainsi que ses effets, qui durent encore chez les rescapés et leurs descendants, rendent nécessaire le Za’khor, porteur de cette double injonction de la Mémoire : tu te souviendras et tu n’arrêteras pas d’en parler.

L’expression, même entre guillemets, de « fascisme juif », couplée à la notion de « nationalisme religieux », contredit Umberto Eco, auteur du court et remarquable ouvrage Reconnaître le Fascisme.[4] Il avait quelques compétences en la matière et établit les caractéristiques du fascisme « primitif et éternel », parmi lesquelles :

-le refus de toute avancée dans le savoir ;

-le rejet du modernisme ;

-la suspicion jetée sur toute culture non directement liée aux valeurs traditionnelles, et l’appauvrissement délibéré de la langue ;

-le bannissement de toute expression de désaccord ;

-la peur de la différence et le mépris pour les faibles ;

-l’enrôlement de celles et ceux qui se sentent frustrés ;

-le recours au complot pour justifier la xénophobie ;

-la stigmatisation de la richesse ostentatoire suscitée au sein de la population ;

-le refus de la paix ;

-le culte du surhomme, aspirant à mourir pour sa cause.

L’énumération de ces critères montre que ce qui est « juif » est fondamentalement à l’opposé du fascisme. En témoignent la soif de savoir, l’élan vers l’innovation, la culture permanente du débat, la volonté de protéger le faible, l’acceptation des différences d’origines dont les mondes ashkénaze et séfarade sont l’illustration, la valorisation de la réussite vécue comme une forme de bénédiction, le besoin de Chalom, c’est-à-dire de paix, le choix systématique de la vie puisé dans la Bible. L’ensemble de ces éléments concrets et durables établissent qu’il ne peut y avoir un « fascisme juif ».

La maladresse d’Eva Illouz est d’autant plus regrettable que, tentant de décrire un phénomène qui recèle de vraies interrogations collectives, elle nomme mal ce qui nécessite une analyse plus objective et plus précise : la présence de 32 députés religieux au sein du Parlement israélien. Il faut noter d’abord la division – mot pris dans le double sens de la répartition effective et du fractionnement non homogène – de ce nombre en, d’une part, 14 élus issus du sionisme religieux et, d’autre part, 18 du monde ultra-orthodoxe.

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Celui-ci privilégie une dimension sociale davantage que nationale, tout en veillant à préserver ses acquis (service national aménagé, aides publiques au fonctionnement des écoles talmudiques). Très différent est le sionisme religieux, qui recouvre un ensemble hétérogène et réalise pour la première fois un score substantiel : la conquête territoriale y occupe une place primordiale et entraîne clairement la volonté de multiplier les implantations.

Le sionisme religieux place la transcendance au-dessus des règles de l’Etat, recherchant ainsi l’expansion d’Israël, davantage que sa judaïsation. Il constitue un nationalisme, avec ses débordements, mais ne répond actuellement pas à la définition du fascisme, dans la mesure où il n’œuvre pas à la disparition de la démocratie. Une question se fait néanmoins jour : les sionistes religieux sont-ils tous des démocrates ?

La réponse doit tenir compte du fait qu’une distinction est, à ce jour, opérée entre idéologie et pragmatisme : chacun sait, en Israël, que gouverner signifie notamment dialoguer avec les Etats-Unis et certains pays arabes. Le Likoud de Benyamin Netanyahou n’ignore rien de cette réalité. Observons également que la majorité du bloc religieux revient au monde ultra-orthodoxe. Sa réserve à l’égard du nationalisme établit que la question d’un danger démocratique n’est pas à ce jour posée.

Notons que la nouvelle donne politique produite par le succès électoral du monde religieux va logiquement trouver une traduction immédiate : l’installation à des postes à haute responsabilité des représentants de cercles messianiques. Leur objectif est de parvenir au retour des juifs sur le mont du Temple, aujourd’hui l’esplanade des mosquées. Ils bénéficient de deux atouts majeurs : leur réelle popularité et, surtout, leur position incontournable à l’égard de Benyamin Netanyahou, dans le cadre de son projet de réforme profonde du système judiciaire israélien.

Parmi les observateurs, l’interrogation qui court est formulée en ces termes : le fait, précisément, que Benyamin Netanyahou opte pour une alliance avec le monde religieux, plutôt que s’appuyer sur une coalition plus confortable et davantage modérée, signifie-t-il que son objectif personnel est lié à la poursuite d’une instruction en cours le concernant ? Beaucoup considèrent qu’une réponse positive à cette question aurait des prolongements significatifs en termes de rapports de force au sein du prochain gouvernement israélien.

La sensible progression des nationalistes exprime aussi un phénomène aujourd’hui présent en divers endroits du globe, y compris en Europe. Mais il s’agit ici, bien entendu, d’un contexte particulier, qui rend inadapté l’imaginaire emprunté par Eva Illouz à l’histoire européenne de l’entre-deux guerres mondiales. Son amertume et sa critique majorée portent sur le choix des électeurs israéliens de ne pas prolonger l’expérience de la coalition de centre gauche qui a, par son inexpérience, favorisé plutôt qu’empêché le retour au pouvoir de Benjamin Netanyahou.

Ce n’est en aucun cas une raison pour s’égarer dans le labyrinthe et le danger d’une association sémantique douloureusement ressentie par des familles de celles et ceux qui périrent sous les totalitarismes nazi et soviétique. A leur sujet, Jorge Semprun précisait que seul le four crématoire les distinguait.

De plus, l’idée que la prégnance de la religion en Israël conduirait à l’émergence d’un « fascisme juif » est issue d’une confusion. Cette dernière porte sur les causes réelles de la répartition récente des voix aux dernières élections, où la réalité d’un déclassement prenait toute sa part. Ce sera l’affaire du nouveau Premier ministre israélien de bâtir une coalition tenant compte des conséquences des inégalités sociales et du besoin renforcé de sécurité. Israël fut un peuple et une nation avant de devenir un État.

Celui-ci doit répondre à plusieurs priorités, parmi lesquelles : déployer sa performance en matière d’innovation ; tenter d’assoir une paix en multipliant les accords avec des partenaires autrefois hostiles ; lutter contre le terrorisme et sécuriser sa population. Les succès d’Israël n’empêchent pas les lourdes menaces. Et dans l’histoire du peuple juif, les spoliations, les privations de liberté, les massacres, les meurtres, les pogroms furent aussi nombreux qu’atroces, sans parler de la gigantesque extermination. Ils n’autorisent pas que le mot « fascisme » soit accolé à celui de « juif, » en une vaine ignominie.

A ce type de tentation, Vladimir Jankélévitch avait pensé à répondre par anticipation : « Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. […] Il ne serait pas nécessaire de les plaindre ».[5] Le fascisme, rappelons-le, fut l’ennemi des juifs, sous ses formes hitlériennes et mussoliniennes. Il arrive, comme l’affirme le Professeur Henri Mendras dans ses souvenirs, que « le sociologue ne travaille pas sur la réalité sociale, mais bien sur les abstractions qu’il a extraites de cette réalité ».[6] C’est, au fond, l’exercice auquel s’est livré Eva Illouz en se risquant à forger un concept pour décrire l’émergence d’une troisième force politique en Israël.

Laissons la conclusion à Vladimir Jankélévitch : « Bien des printemps se trament dans les sillons et dans les arbres : à nous de savoir les préparer à travers de nouvelles luttes et de nouvelles épreuves ».[7]


[1] Vladimir Jankélévitch, L’imprescriptible, Seuil, 1986, p. 32.

[2] Voir Alain Rey (sous la direction de), Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1998, tome 1.

[3 Jankélévitch, op. cit.

[4] Grasset, 2017.

[5] Jankélévitch, op. cit., p. 20.

[6] Henri Mendras, Comment devenir sociologue. Souvenirs d’un vieux mandarin, Actes Sud, 1999, p. 95.

[7] Jankélévitch, op. cit., p. 104.

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Permis carbone

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Emmanuel Macron a donné son approbation à une proposition sur «un CO2 score» dont la conséquence probable serait de promouvoir des algorithmes aptes à formater nos comportements et à imprégner nos esprits d’une attitude sacrificielle en conformité avec l’idéologie écologique.


Le permis carbone : en route pour l’algorithmocratie

Lors de l’émission d’anticipation BFMTV2050 diffusée le 14 novembre, parmi les solutions proposées pour gagner le défi climatique, l’une d’entre elle s’est fait particulièrement remarquer : le permis carbone… Rappelons qu’il y a quelque temps, parmi les 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron avait validé celle d’un CO2 score « qui permettra à chaque citoyen d’évaluer l’impact sur le climat sur ce qu’il consomme ou mange ». Théorie du complot, scénario dystopique ou proposition gouvernementale ; que recouvre cette idée et quelles seraient les conséquences de son application ?

Lifestyle impact calculator : simulez votre empreinte carbone

A l’occasion du World Economic Forum de Davos, J. Michael Evans a défrayé la chronique sur twitter, et pas seulement dans les sphères complotistes. Le président d’Alibaba Group a évoqué la possibilité d’une application qui permettrait aux consommateurs de mesurer leur propre empreinte carbone en fonction de leurs déplacements et de la manière dont ils voyagent, de ce qu’ils mangent, de ce qu’ils consomment. Loin de relever de la fiction cette idée est déjà bien réelle. Le site de l’entreprise suédoise Doconomy, le « Lifestyle Impact Calculator 2.0 » (littéralement, le Calculateur d’impact de mode de vie), réalisé en partenariat avec la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, vous permet de découvrir votre impact sur la planète à l’issue d’une douzaine de questions. Le pays de résidence est le tout premier critère. Si vous vivez en France, vous avez une empreinte de 0,34 tonne de CO₂  (en Afghanistan elle aurait été de 0,11 et aux USA de 0,45). La deuxième question porte sur l’utilisation d’énergie renouvelable et permet de choisir entre quatre options : « oui », « non », « oui je produis ma propre électricité renouvelable » et « je ne sais pas ». Ensuite, viennent les paramètres chauffage de votre foyer et source d’énergie pour cuisiner ; puis votre mode de transport, le nombre de vols effectués, votre temps passé dans les transports en commun , vos dépenses en meubles et articles de sports, appareils ménagers et vêtements (neufs ou d’occasion!) Enfin, l’ultime question porte sur votre alimentation. Arrêtons-nous sur cette dernière qui donne une parfaite idée de l’orientation de ce questionnaire :  « omnivore » c’est (+1,33), « un jour sans viande » (+1,26), « j’essaye d’éviter la viande rouge » (+1,14), « je ne mange pas de viande rouge » (+0,66), « je mange du poisson » (+0,66), « je suis végétarien » (+0,83), « je suis végan » (+0)[1].

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Les biais du système

La dernière question démontre s’il en est besoin l’orientation idéologique de l’algorithme. Les biais sont multiples : en effet, pour prendre un autre exemple, le choix de la réponse « énergie solaire » induit un moindre impact. Or, on sait parfaitement que le recours à cette source intermittente implique, pour fonctionner, le recours forcé à une production d’énergie pilotable, autrement dit, à des centrales à gaz ou à charbon, qui sont des sources d’énergies carbonées. Idem pour le véhicule électrique qui est comptabilisé comme neutre. Pourquoi l’énergie grise (les émissions de CO₂ produites tout le long de la chaîne de fabrication du véhicule) ne sont-elles pas prises en compte ? Ensuite un principe de base dit qu’« une voiture électrique est aussi propre que la manière de produire l’électricité. » Dans le cas, par exemple, d’un pays où 40 % de l’énergie utilisée par le véhicule électrique serait produite par une centrale à charbon (c’est le cas de la Chine), le véhicule produirait 20 % de CO₂ en moins qu’un modèle thermique. Dans le cas où l’électricité serait davantage décarbonée (en France, par exemple, grâce au nucléaire), le véhicule émettrait 80 % de CO₂ en moins. On perçoit les limites du système : l’algorithme renforce par des biais des présupposés idéologiques issus de l’idéologie écologiste et induit les utilisateurs du calculateur en erreur.

Enfoncer l’attitude sacrificielle dans les crânes

Mais il y a plus grave encore. La vérité défendue par ce genre d’algorithme est que seule une attitude décroissante peut permettre d’atteindre l’objectif visé. Aussi, le moyen pour y parvenir réside forcément dans des attitudes sacrificielles. Or, ces dernières, en plus d’être inefficaces, ont des implications sur le comportement des individus comme le démontre Bjorn Lomborg en citant l’exemple d’une famille qui participait au programme « Ethical man » sur la BBC : après avoir diminué son empreinte carbone de 20 %, elle s’est offert un voyage à l’autre bout du monde avec les économies réalisées ! Chaque attitude sacrificielle est suivie d’un « effet rebond ». L’argent économisé permet l’achat d’un autre bien qui annule l’effort accompli. Outre l’efficacité comportementale douteuse, il faut s’interroger sur l’impact macro-économique qu’aurait la transposition des implications de cet algorithme dans notre quotidien, au travers par exemple, d’une carte de crédit bloquante (un ticket de rationnement virtuel) comme le propose Doconomy (autrement dit le permis carbone). Cela nous forcerait immédiatement à la décroissance. Or, une une société qui fait un tel choix est tout à fait imaginable, mais les conséquences seront terribles pour les citoyens qui subiraient l’appauvrissement général et l’apparition d’une caste – l’Algorithmocratie ? – qui pourrait s’attribuer des droits que d’autres n’ont pas, puisque se situant au-delà des mobiles économiques… C’est ainsi que l’on voit déjà certains justifier le fait qu’ils voyagent en jet privé pour se rendre à des sommets de la Terre… Pour eux la fin justifiera toujours les moyens.

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Planification et néo-scientisme

A titre de comparaison, si on calcule via le Lifestyle impact Calculator l’empreinte d’un Ethiopien qui ne prendrait jamais les transports, ne disposerait d’aucun véhicule, se chaufferait et cuisinerait de manière alternative (charbon de bois et bouse séchée), ne s’achèterait ni vêtement, ni appareil ménager, ni produit de beauté, mais mangerait occasionnellement de la viande (l’inverse de la question proposée)… son impact serait tout à fait respectueux des cibles définies par l’Accord de Paris, puisqu’il ne serait, selon l’algorithme de Doconomy, que de 1,04 tonne de CO₂ (et encore c’est en supposant qu’il ait la chance de manger occasionnellement de la viande, car sans cela il pourrait encore mieux  faire). Au travers de cet exemple fictif on réalise parfaitement le type de société que souhaitent planifier les algorithmocrates qui font la promotion d’un permis carbone.

Nous voici donc ramené au scientisme de Renan qui pensait dur comme fer que la science pouvait organiser la société. Or, cette application fait son chemin dans les esprits et devient tous les jours un peu plus crédible, car comme je le démontre dans Greta a ressuscité Einstein, les politiques ont récupéré la science et pensent que l’on peut s’appuyer sur des modélisations pour créer et justifier de nouvelles lois (la climatocratie soutient l’algorithmocratie)… On assiste à un véritable changement de paradigme et la science des législateurs l’emporte sur celle des ingénieurs. La création d’un ticket de rationnement virtuel qui s’appuie sur un algorithme pensé d’après les modèles climato-catastrophistes en est la parfaite illustration. Et si nous ne prenons garde, le sort de nos libertés sera à tout jamais scellé dans ce gadget de l’algorithmocratie. 

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[1] Pour l’analyse complète voir l’ouvrage Greta a ressuscité Einstein

Albert Camus: tromper n’est pas trahir ?

Suite à une émission sur le couple Maria Casarès (aimée et bafouée)/Albert Camus, Philippe Bilger s’interroge sur l’honnêteté de la réponse de Camus à l’accusation d’infidélité.


Il y a des personnalités admirables et si exemplaires, que ce soit sur les plans intellectuel, philosophique et politique, qu’on n’hésite pas à s’intéresser à tous les secteurs de leur existence, même les plus intimes. Avec une curiosité aiguisée pour la manière dont elles ont appréhendé bonheurs et infortunes, ainsi que l’humain dans sa plénitude.

Le 25 novembre, une remarquable émission a été consacrée au couple Maria Casarès/Albert Camus, à leur passion durable et intense jusqu’à la mort de l’écrivain : «Maria Casarès et Albert Camus, toi, ma vie», sur France 5.

Cette incandescence du coeur et du corps, illustrée par une magnifique et nombreuse correspondance, a semble-t-il été compatible avec l’amour que Camus portait à son épouse Francine et avec la liaison qu’il a entretenue également dans les dernières années avec Catherine Sellers, actrice choisie pour son adaptation théâtrale du «Requiem pour une nonne» de William Faulkner.

Maria Casarès sans doute en faisait-elle parfois reproche à Camus qui répondait avec cette défense : «Je t’ai trompée mais je ne t’ai jamais trahie».

Je ne pouvais m’empêcher de penser, face à cette histoire sublime et douloureuse, à François Mitterrand et Anne Pingeot, tant des similitudes apparentes réunissent les destins de ces deux couples. Pourtant j’éprouvais une irrésistible préférence pour le duo Camus/Casarès réuni initialement par une puissante passion du théâtre, une sincérité et une complicité résistant à tout ; alors que je ressentais une gêne face au cynisme politique de Mitterrand, à ses ambitions et à son pouvoir confrontés au lyrisme d’un séducteur accumulant les conquêtes, acharné longtemps à posséder Anne Pingeot, infiniment plus jeune que lui, puis la trompant et se justifiant à peu près sur le même mode que Camus.

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Pourquoi ce qui me semblait admissible chez ce dernier tournait-il, dans ma perception de l’ancien Président, à la fois si intelligent et cultivé mais si roué et brillant dans la rhétorique amoureuse, à une sorte d’agacement ? Comme s’il y avait plus de «je» et de «jeu» dans cette passion que de vérité du coeur, d’authentique spontanéité ?

Sans doute suis-je injuste mais il n’y avait rien dans les histoires antérieures et les personnalités de Camus et de Maria Casarès qui rendait artificielle cette passion réciproque… Elle apparaissait comme la suite nécessaire de sensibilités naturellement disposées à connaître cet enchantement et parfois ces amertumes d’une union exacerbée mais fragilisée par les parcours professionnels de l’un et de l’autre… Albert Camus avec Maria Casarès, c’était une évidence. Maria Casarès avec Albert Camus, c’était une fatalité dès le premier regard.

Cependant, pour Camus, j’aimerais être convaincu d’emblée et sans réserve par cette belle formule – tromper mais sans trahir – alors que je ne le suis pas et que j’y vois surtout un sophisme qui autorise, par rapport à une règle à laquelle on a paru consentir, toutes les exceptions. Je conçois tout ce qu’on pourrait invoquer au bénéfice de Camus qui se serait livré, dans le domaine sexuel, à une sorte d’inconstance en se défendant pourtant de porter atteinte à l’union essentielle malgré la multiplication des liaisons accessoires ou non. Par exemple, la liaison avec Catherine Sellers aurait été sans conséquence sur son lien fort avec Maria Casarès…

N’y a-t-il pas là, contre la splendide réalité de la fidélité (quand l’autre vous la permet, qu’elle est choisie et non contrainte ni conventionnelle), une apologie facile de l’éparpillement qui laisserait intacte la passion centrale nécessaire, quand les autres appétences seraient contingentes ?

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Plutôt que d’être séduit par cette justification relevant plus d’un esprit brillant que d’une logique véritablement amoureuse, je m’interroge sur le besoin qu’avait un Camus – dont la vulgarité n’était pas le fort ni le narcissisme – de succomber à des tentations et d’aspirer à des conquêtes alors qu’il aurait été si simple pour lui de ne pas trahir en ne trompant pas. Besoin de séduire sans cesse et à tout prix, faiblesse d’un homme trop beau et trop désiré ne se retenant pas, ne «s’empêchant pas», volonté, au fil du temps, de se partager entre l’unique Maria Casarès et les élans du corps le poussant vers d’autres ?

Ces contradictions ne m’auraient pas troublé de la part d’une personnalité ordinaire, qui n’aurait d’ailleurs pas éprouvé la subtilité entre tromper et trahir et se serait livrée à des infidélités classiques, mais elles me questionnent, s’agissant de Camus. Comme si je ne supportais pas, chez lui, une sorte d’abandon, de conformisme, contradictoires avec le feu qu’il aurait dû réserver à Maria Casarès puisqu’il ne cessait de lui écrire qu’il brûlait pour elle comme au premier jour…

Il n’est pas indécent, puisque rien de ce qui concerne Camus ne nous est aujourd’hui étranger, de se pencher sur un être ayant su honorer l’intégrité de l’intelligence et le sens de la justice tout en jouissant de la sensualité de la vie, de la beauté des choses et de la présence des femmes.

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Netflix, l’endoctrinement par le divertissement

Dans son essai L’Empire Netflix publié aux éditions de la Nouvelle Librairie, le journaliste Édouard Chanot nous fait découvrir les coulisses d’une industrie qui a fait de la propagation du wokisme l’une de ses spécialités.


La netflixisation du monde

En 2022, Netflix peut compter sur 221 millions d’abonnés répartis partout sur la planète pour leur imposer « une seule vision du monde » dont le propre est de l’uniformiser au nom… de la diversité. C’est le paradoxe américain par excellence : répandre la démocratie partout grâce à des moyens peu démocratiques. Ou plutôt répandre le marxisme culturel grâce au capitalisme. En bref, coloniser les esprits au nom de la décolonisation.

Jusque dans les bidonvilles de l’Inde où des gens se partageront un abonnement pour regarder des séries sur leur portable, dans son ensemble, Netflix est féministe, multiculturaliste et écologiste à l’américaine.

« Netflix contribue décisivement à délimiter le périmètre des interdits moraux. Sur la plateforme, les militants woke devenus managers, scénaristes, réalisateurs ou producteurs de séries ouvrent la fenêtre de nos esprits à leurs propres jugements, autrefois impensables et demain populaires », analyse Édouard Chanot.

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Révolution culturelle, révolution managériale

« Chez Netflix, la révolution culturelle doit être permanente », mais aussi la révolution managériale qui permet à la première de prendre forme. Forte de son milliard d’heures de visionnement par semaine en 2018, la plateforme prône une concurrence démesurée entre ses employés bien qu’elle soit devenue l’un des symboles de l’esprit pantouflard occidental. Les employés de Netflix n’ont pas vraiment le temps de jouir de leur propre produit.

Pour conserver son poste dans cette boîte, il faut « performer » sans relâche et se soumettre à toutes sortes de pratiques comme les « évaluations 360 », c’est-à-dire des repas à huit collègues durant lesquels les « modérateurs » doivent identifier les « attitudes toxiques ». Tout est calculé, mesuré et monitoré pour maximiser le rendement. Sous le soleil de la Californie, « les enfants des hippies sont devenus de redoutables capitalistes ».

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L’algorithme est roi

Autre constat du journaliste dans son bref ouvrage mais particulièrement dense et éclairant: les algorithmes contribueraient à façonner un art sur mesure en fonction des profils des utilisateurs, ouvrant ainsi la voie à des créations « à la carte » combinant leurs préférences. Serait donc en train de naître une manière de scénariser tenant moins compte des passions et aspirations humaines intemporelles que des attentes psychologiques immédiates d’un public hypnotisé.

Netflix aspire à cibler de manière toujours plus précise ce que vous avez envie de voir à tel moment de la journée, il aspire à vous connaître pour vous vendre une ambiance.

« Netflix ne saurait être réduit à une simple plateforme de streaming. C’est un mastodonte du data, qui a fait basculer l’intelligence artificielle dans la consommation et la production cinématographiques. »

Par ailleurs, l’auteur note que l’entreprise américaine semble avoir entamé son déclin, devant maintenant redoubler d’efforts et d’ingéniosité pour que ses adeptes continuent à lui offrir autant de « temps de cerveau ». Aucune entreprise ne peut arrêter de courir dans le marché contemporain. Comme quoi le confinement n’aura pas été si bénéfique pour Netflix, ou du moins pas plus que pour HBO, Disney + et Amazon Prime; ses principaux concurrents dans cette course au divertissement à la maison.

Edouard Chanot, L’Empire Netflix, Nouvelle Librairie, 2022, 70 p., 7€.

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Marc Fumaroli, la fête de l’esprit

Honnête homme tiré à quatre épingles, Marc Fumaroli n’a eu de cesse de s’ériger contre la «gauche culturelle». Il a défendu la littérature du Grand Siècle, revisité les philosophes de Lumières et pourfendu les supercheries de l’art contemporain avec la même rigueur intellectuelle.


Quelque page qu’on ouvre parmi les milliers que compte l’œuvre considérable de Marc Fumaroli, c’est toujours la même majesté d’écriture, la même hauteur de vue, la même fantastique érudition qui se déploient sans la moindre forfanterie. Dans l’un de ses ouvrages les plus délectables, Lire les arts : dans l’Europe d’Ancien Régime, l’immense historien de la littérature, universitaire et membre de l’Institut disparu en 2020, à l’âge de 88 ans, consacre un chapitre aux Lances, ce chef-d’œuvre de Vélasquez (1635) qu’on peut admirer au Prado. La célèbre toile immortalise la reddition de Breda, victoire espagnole sur les Hollandais, sous le règne de Philippe IV. Fumaroli commente à merveille « ce geste, à la fois naturel et sublime [qui] porte l’un vers l’autre l’aristocratique général vainqueur et le chef des troupes vaincues ». Et de célébrer « le secret de ce geste d’abrazzo [« embrassade »] entre les deux héros d’un long siège d’usure, le secret d’une humanitas réapparue comme une éclaircie, après la feritas, la sauvagerie et les horreurs d’une très longue guerre, et qui a fait renouer deux camps ennemis, sur leur commun champ de bataille, avec la paix et ses joies tranquilles ».

À cet académicien toujours tiré à quatre épingles, la gauche débraillée n’a eu de cesse de faire confusément reproche, et de la rutilance hiératique de sa langue, et de ses positions prétendument réactionnaires. Mais comment ne pas le voir ? Chez un auteur de cette stature, tout se tient : le style, c’est l’homme ! Dans L’État culturel : essai sur une religion moderne, il pointe la sourde filiation entre la propagande du régime de Vichy et la parole oraculaire pétrie d’« éloquence vaticinante » du ministre Malraux, et raille avec une férocité gourmande  « l’oligarchie politico-administrative » de la France mitterrandienne sacrifiant aux « ruées vers l’art » sous la férule de Jack Lang, « l’homme éternellement content ». Dix ans plus tard, dans Paris-New-York et retour : voyage dans les arts et les images, il s’en prend, non sans une précoce lucidité, à l’envahissante supercherie d’un marché « barnumizé » désormais aux mains des spéculateurs (marchands, galeristes, capitaines d’industrie). Sa verve de polémiste fait mouche dans chacune de ses interventions et tribunes qui dénoncent, avec constance, la déréliction de la politique éducative et l’invasion du philistinisme. Marc Fumaroli n’en reste pas moins, avant toutes choses, un esthète. Et un fabuleux homme de plume.

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Spécialiste du Grand Siècle ? Sans aucun doute. Mais le professeur et maître de conférences qui, de 1987 à 2002, occupe au Collège de France la chaire « Rhétorique et société en Europe, XVIe-XVIIe siècles », ne détestait rien tant que de se voir cadenassé dans le carcan des disciplines patentées. Il se méfiait des spécialistes. De fait, la variété de ses intérêts est prodigieuse. D’autant que jamais Marc Fumaroli ne se contente d’effleurer son sujet d’étude, quel qu’il soit. En témoignent, sous le titre La Grandeur et la Grâce, ces textes lumineux où se croisent Marivaux, le maréchal de France Hermann Maurice de Saxe, la marquise du Deffand, William Beckford, la comtesse d’Albany, Frédéric II et Voltaire, Nicolas Fouquet, Charles-Joseph de Ligne et bien d’autres figures, dans une vertigineuse symphonie de savoir lettré. Sans compter La Fontaine, bien sûr, au génie duquel rend hommage un précieux recueil, Le Poète et le Roi. Un temps chroniqueur de théâtre (vers la fin des années 1960), lecteur compulsif à la curiosité sourcilleuse – de Léon Tolstoï à Vassili Grossman, de Fénelon à Chateaubriand, dont un petit volume, Le Poète et l’Empereur, éclaire magistralement l’horizon métaphysique –, Marc Fumaroli échappe aux classifications où voudrait le réduire la bien-pensance idéologique qu’on sait. Héraut de ce qu’il se plaisait à nommer la République des Lettres, dans le sillage d’un Paul Valéry il croyait à la sainteté de l’esprit. Au point de risquer cette formule : « La Culture est le péché contre l’esprit. »

Ce voyageur infatigable, né à Marseille et élevé à Fès, harnaché de diplômes et tôt couvert d’honneurs – de Princeton à Oxford, de Naples à Bologne, de Gênes à Madrid… – vouait à Paris, port d’attache parmi tant de villes assidûment fréquentées, une adoration entée sur une connaissance intime de son histoire millénaire. De Venise, Marc Fumaroli écrit que « le plus beau coquillage urbain du monde est encore intact aujourd’hui, vidé de sa forme intérieure humaine et vivante ». Ne pourrait-on pas en dire autant de notre capitale ? Face au désastre de « la chape de plomb et de camelote posée sur Paris au rebours de sa nature et de sa mémoire » pour ne plus en faire que la « métropole mondiale du loisir de masse », Fumaroli a bel et bien été une vigie. À deux ans des Jeux olympiques qui promettent de dissoudre sans recours l’antique Ville Lumière dans le bouillon de culture de la trivialité touristique, relire ses classiques reste une consolation. Classique, Fumaroli en est un. Et pas des moindres.

À lire

Dans ma bibliothèque : la guerre et la paix, Marc Fumaroli, éd. Les Belles lettres/de Fallois, 468 p., 23.50 €, 2021.

La Grandeur et la Grâce, Marc Fumaroli, éd. « Bouquins », Robert Laffont, 1 088 p., 30€, 2014.

Le Poète et l’Empereur, Marc Fumaroli, éd. Les Belles lettres, 150 p., 17€, 2019.

L’Âge de l’éloquence, Marc Fumaroli, éd. Droz, 882 p., 20€, 2002.

Lire les arts : dans l’Europe de l’Ancien Régime, Marc Fumaroli, éd. Gallimard, 465 p., 64€ 2019.

L’État culturel, Marc Fumaroli, éd. de Fallois, 1991.

Paris-New-York et retour, Marc Fumaroli, éd. Fayard, 638 p., 26,40€, 2009.

Dans ma bibliothèque: La guerre et la paix

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« A l’insu de leur plein gré » : les footballeurs contre la FIFA

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La coupe du monde au Qatar a fourni aux lobbys LGBTQIA+ et à la plupart des médias occidentaux une occasion rêvée pour exprimer leur indignation au sujet de la culture du pays hôte. Mais n’oublions pas que ces mêmes lobbys militent pour une éducation sexuelle et au transgenrisme dès le plus jeune âge. Tribune libre d’Alain Destexhe, sénateur honoraire belge.


« A l’insu de leur plein gré », ces grands enfants gâtés que sont nos footballeurs professionnels propagent l’idéologie LGBTQ. Après le genou à terre par sympathie avec les Black Lives Matter, l’affaire du brassard « One love » manifeste encore une de ces indignations de pacotille qui permet au camp du bien de se reconnaître et de pratiquer, sans frais ni danger, ce que les Américains appellent la « vertu ostentatoire » (virtue signalling).

De la BBC refusant de retransmettre la cérémonie d’ouverture (mais pas celle des JO de Pékin) à Volkswagen (fondée en 1937 dont le nom évoque la politique d’Hitler mais n’a pas été changé après la Seconde guerre mondiale), en passant par Antony Blinken et une chaine allemande de supermarchés suspendant son sponsoring, les réactions indignées ont fusé à travers le monde après l’interdiction intimée aux capitaines d’équipes de porter le brassard militant « One love », censé symboliser la diversité et l’inclusion des LGBTQIA+,… en espérant n’avoir oublié personne !

La Palme d’Or, très disputée, des réactions est sans doute revenue à la ministre des affaires étrangères belge, Hadja Lahbib, qui, vêtue du maillot des Diables rouges, a « dans un geste puissant défié la FIFA en portant le brassard One Love en tribune ». La FIFA en est restée sans voix et le Qatar ne s’en est toujours pas remis ; il est vrai que le plat pays importe peu de gaz du Qatar. 

Menacée par la Waffen FIFA de la sanction suprême d’un carton jaune, nos vaillants résistants multimillionnaires ont rapidement baissé leur short, mais les Allemands – qui se sentent toujours tenu d’en faire un peu plus que les autres dans l’affichage de la vertu – ont quand même tenu à montrer leur courage… en se bâillonnant la bouche de la main. Après la saine réaction de Hugo Lloris, la star belge Eden Hazard, interrogée sur le geste de l’équipe allemande, a trouvé les mots justes : « Oui mais après ils ont perdu le match (contre le Japon). Ils auraient mieux fait de ne pas le faire et de gagner. On est là pour jouer au foot, je ne suis pas ici pour faire passer un message politique, des gens sont mieux placés pour ça. On veut être concentrés sur le football ». Des réactions minoritaires, audacieuses dans les circonstances, des mots qui n’ont d’ailleurs pas été très appréciés par la presse belge, mais il n’est pas encore si facile d’annuler (cancel) les icônes du ballon rond.

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Car c’est précisément pour jouer au foot que ces champions multimillionnaires sont à Doha et leurs opinions politiques dont on suspecte d’ailleurs, par un préjugé assumé mais nullement méprisant, qu’ils n’en ont guère, nous indiffèrent. Si les joueurs étaient en désaccord avec la FIFA et la politique du Qatar, ils pouvaient ne pas se rendre à Doha, à l’instar du maoïste allemand Paul Breitner, qui avait refusé d’aller en Argentine en 1978, un pays alors dirigé par une junte militaire. D’ailleurs, la FIFA a – évidemment – raison d’interdire toute forme de manifestation politique dans les stades. Comment réagiraient les journalistes si un joueur ou une équipe affichait à travers un brassard ses convictions Pro-Life (refus de l’avortement,) ou en faveur de La manif pour tous (contre le mariage gay) ou si Neymar Jr, l’idole du Brésil, arborait la photo du président Bolsonaro qu’il a soutenu lors des récentes élections, sans parler d’un insigne MAGA qui déclencherait une hystérie médiatique reprenant des arguments identiques à ceux de la FIFA aujourd’hui ! Qu’écrirait Libération qui trouve que la FIFA « viole le saint des saints : l’espace du match » ! Comme dans ce cas la Cause, va, comme toujours, dans le sens voulu par le régime diversitaire et ses journalistes gardes rouges, nul n’y a trouvé à redire.

Cette cause n’est évidemment ni consensuelle, ni tolérante, ni inclusive. Il s’agit d’abord du combat d’une minorité d’associations occidentales qui tentent d’imposer leurs certitudes à la terre entière en instrumentalisant un événement sportif majeur. Parmi les sept équipes qui avaient annoncé faire le geste de défiance, aucune africaine, ni latino-américaine. Pour Jules Ferry, en son temps, il s’agissait de « civiliser les races inférieures », le mot race se comprenant à l’époque dans le sens de « peuples ». Pour nos militants LGBTQ, souvent adeptes de la convergence des luttes, il s‘agit, bien sûr sans le reconnaître, d’éduquer ces attardés d’Arabes et d’Africains qui n’acceptent toujours pas l’homosexualité. Avec la même bonne conscience et le même sentiment de supériorité, ils reproduisent en fait les schémas mentaux des colonisateurs du XIXème siècle ! Aujourd’hui, une majorité d’Africains et d’Arabes ne considèrent pas l’homosexualité et la dysphorie de genre comme des phénomènes normaux, ils doivent donc être éduqués aux valeurs universelles – occidentales – comme au bon vieux temps des colonies. A Rome fais comme les Romains ! dit l’adage. Si on demande aux étrangers de respecter nos lois et nos coutumes lorsqu’ils visitent l’Europe, le moins que l’on puisse exiger de ceux qui se rendent au Qatar, c’est de respecter ses lois et de ne pas provoquer le pays hôte. 

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Ensuite, le combat LGBTQ n’est pas un combat pour l’amour, la tolérance et l’inclusion pour des personnes qui ne sont plus discriminées depuis longtemps. Plusieurs pays occidentaux ont eu des premiers ministres homosexuels et des ministres transgenres et le drapeau arc-en-ciel s’affiche régulièrement sur les édifices publics. Loin d’être marginalisées, elles sont au cœur du système et l’objet de toute son attention, mais leurs militants veulent imposer à une majorité encore réticente une politique radicale du genre. A travers le choix des pronoms (iel par exemple au lieu de il ou elle et, comme c’est déjà le cas aux États-Unis, la possibilité de licencier ou condamner par les tribunaux celui qui n’utilise pas les pronoms choisis par l’intéressé), l’éducation sexuelle à l’homosexualité et au transgenrisme dès l’école maternelle, le changement de sexe et de genre y compris à travers l’hormonothérapie et la chirurgie dès l’enfance (donc le rétablissement de la torture), l’abolition du sexe biologique dans les documents d’État-civil, il s’agit en fait d’imposer une véritable révolution anthropologique, défiant dix mille ans d’histoire, au nom d’une conception absolutiste des droits individuels. Avec la complicité active du système médiatique, cette évolution est présentée comme allant de soi et cherche à s’imposer sans passer par l’étape du débat et de la démocratie.

On ne doute pas que la majorité des footballeurs professionnels, qui pour la majorité répondent encore à la définition classique de mâle alpha, ne souhaitent pas cette évolution, dont, selon l’expression des Guignols, « à l’insu de leur plein gré », ils se font pourtant les instruments dociles et consentants.

On n’a peut-être pas vu les brassards « One love », sur le terrain, mais tous les médias mainstream les ont montrés et en ont parlé sur le ton de l’indignation évidente avec la complicité de la plupart des joueurs. Résultat du match LGBTQ 1 – FIFA 0.

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Quand je serai grande, je serai sur OnlyFans

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Guillaume Genton et Ruby Nikara / Capture d'écran d'une vidéo YouTube du 06/11/22 de la chaine Touche pas à mon poste !

De plus en plus de jeunes gens se tournent vers la production amateure de contenus osés, érotiques et parfois même pornographiques sur des plateformes comme OnlyFans qui permettent de vendre des photos ou vidéos et de générer un revenu souvent conséquent. Le premier de deux articles sur ce phénomène.


Une vidéo de TPMP, publiée le 6 novembre, reprenait une joute verbale entre l’influenceuse et invitée Ruby Nikara et le chroniqueur Guillaume Genton. Ruby Nikara venait défendre deux autres jeunes influenceuses, Tootatis et Polska, respectivement âgées de 19 et 20 ans. Celles-ci s’étaient déjà exprimées auparavant au sujet d’un restaurateur qui avait refusé de les laisser entrer dans son établissement en tenue très légère, à l’heure du petit-déjeuner. Elles avaient filmé la scène, tant elles étaient scandalisées. Guillaume Genton mit alors en lumière un thème plus important que le débat initial : « Les filles comme vous, vous êtes tellement prêtes à n’importe quoi pour qu’on croie que vous êtes des gens importants, que vous êtes des stars, que vous êtes fortunés, que le seul moyen que vous utilisez, c’est la nudité ».

Il faisait référence au site OnlyFans, un réseau social où, via un abonnement mensuel, on achète du « contenu » produit par d’autres personnes. Cette plateforme anglaise créée en 2016 avait comme premier objectif la rémunération directe des « créateurs de contenus » (artistes, modèles, professeurs de fitness, etc.) par leurs « fans ». Aujourd’hui, la plateforme héberge dans sa plus grande majorité des consommateurs et des « créateurs de contenus » érotiques et pornographiques.

On y retrouve nombre de célébrités adulées par les jeunes, comme Cardi B, une rappeuse américaine suivie par plus de 143 millions d’abonnés sur Instagram ; Bella Thorne, une ancienne enfant star de Disney des années 2000, comptant 25,3 millions d’abonnés. Et dans un registre plus français, des vedettes de la téléréalité comme Nathalie Andreani (« Secret Story ») ou Astrid Nelsia (« Les Anges ») qui dit gagner 3 572,61€ mensuellement en affirmant «[c’est] tous les mois mon salaire. Croyez-moi, je ne mens pas.»

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Durant la pandémie, OnlyFans est devenu populaire auprès des personnes au chômage ou travaillant à domicile ; mais aussi et surtout auprès des adolescents, déjà sur des réseaux sociaux comme TikTok et Instagram. Certains jeunes reconnaissent en des influenceurs des modèles et rêvent de leurs modes de vie à coup de marques de luxe, de sorties nocturnes, de belles voitures et de l’Eldorado : Dubaï.

Si cela ne restait qu’un rêve. Malheureusement, beaucoup de jeunes sont convaincus par cette solution facile. D’autant que selon une enquête récente de l’IFOP, les jeunes français (18-34 ans) n’aiment plus et ne veulent plus travailler. Ce que soulignait très justement Guillaume Genton, dans la suite de son démêlé avec Ruby Nikara : « Vous êtes une génération qui ne fait aucun effort, qui ne veut pas travailler. Et votre seul moyen d’exister et de gagner de l’argent est de se mettre à poil. On vit malheureusement dans un monde où c’est mieux payé de poser en string dans un lit que d’aller bosser ».

Plus désolant encore, lorsque Cyril Hanouna demanda à Tootatis et Polska ce que pensaient leurs parents de leurs activités affriolantes, elles répondirent sans avoir conscience de la gravité et de la tristesse de la situation : « ils [les parents] disent si ça rapporte de l’argent, c’est bien ». Effroi général sur le plateau.

La musique n’adoucit pas les moeurs

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Karen Erodi / Capture d'écran d'une vidéo YouTube du 22/05/22 de la chaine Armand Gobat Yahoo.

Une députée insoumise n’aime pas la musique militaire, car elle préfère la paix à la guerre. Mais que faire quand on nous déclare la guerre ? A qui faire appel pour nous défendre ?


Marchons, marchons, qu’une musique impure n’arrose notre audition 

La Délégation Militaire Départementale du Tarn et l’Académie d’Albi ont organisé, le 22 novembre 2022, un concert de l’orchestre Musique des Parachutistes accompagné d’une chorale de cent élèves des collèges publics de la région.

Cette opération, qui met en pratique le slogan de l’inclusion et du vivre-ensemble, eût dû, logiquement, recueillir les félicitations de la classe politique, toutes tendances confondues. Que nenni ! Madame Karen Erodi, députée insoumise, y a trouvé une occasion d’exister enfin, conjuguant le verbe en LFIste dans le texte : un « Détruire, dit-elle » qui n’a rien à voir avec Duras, et tout avec le Moravia du « Mépris ». 

« Exister » contre « Résister »

À défaut de réflexion, la députée du Tarn a des réflexes : quand elle entend le mot culture, elle sort son antimilitarisme primaire. Elle a publié un communiqué dans lequel les élans religieux le disputent à l’ignorance la plus crasse : « Maudite soit la guerre ! Hélas, nous savons que la paix est un combat bien plus grand et difficile que la guerre. […] L’Éducation Nationale doit s’attacher à promouvoir l’universalité des droits humains contre la haine d’autrui et son exaltation guerrière au travers des chants militaires non républicains. […] Je dénonce avec la plus grande fermeté l’organisation du concert de l’orchestre d’harmonie Musique des Parachutistes avec les chorales d’élèves collégiens du Tarn… Évitons d’utiliser nos enfants pour chanter les louanges de Napoléon et de la guerre ».

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Elle aurait pu demander le programme

Un slogan est fait pour frapper, pas pour expliquer. Cela tombe bien, car Madame Erodi espère convaincre que la paix fait plus mal que la guerre, sans donner d’explication sur la façon de réagir, lorsque l’ennemi vous la déclare. En 1939, elle aurait applaudi à Munich et se serait jetée dans le difficile combat de la collaboration ?

Ajoutons qu’elle aurait pu aussi maudire la maladie et la mort, cela ne mange pas plus de pain et cela l’aurait rendue agréable, à défaut d’utile.

Enfin, achevons-la en suggérant que si elle avait consulté le programme, ça lui aurait évité le ridicule, et à nous, le spectacle de sa mauvaise foi. En effet, en première partie de ce concert, ont été interprétées des musiques de films, Indiana Jones et Harry Potter, entre autres, qui promeuvent l’exploration (colonialiste ?) et la magie (belliqueuse ?), mais pas le wokisme.

En deuxième partie, l’orchestre et les chœurs ont offert au public des œuvres classiques : Faust (Gounod) et Carmen (Bizet). Quant à l’Ode à la Joie de Beethoven, que les chorales ont chantée avant La Marseillaise, on croit se rappeler que l’Union européenne en a fait son hymne. Moins « non républicain », tu meurs, mais la députée insoumise au réel y voit des louanges qui lui déclenchent des prurits intellectuels.

Intellectuels, intellectuels, est-ce que les députés LFI ont des gueules d’intellectuels ?

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Saint Omer d’Alice Diop

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Alice Diop, le 07/09/22 / PHOTO: Joel C Ryan/AP/SIPA / AP22716505_000002

Saint Omer d’Alice Diop est une fiction qui nous parle de l’affaire Fabienne Kabou, cette jeune femme noire et intelligente qui avait commis un infanticide en abandonnant son bébé, de nuit, sur la plage de Berck-sur-mer en 2013.


Pour tourner son premier film de fiction, Alice Diop, – cinéaste reconnue, elle a tourné plusieurs films: La Mort de Danton (2011), Vers la tendresse (2016), Nous (2021)… –  fascinée par la personne de Fabienne Kabou, décide de mettre en scène le procès et de le faire suivre par son double fictionnel : Rama, une jeune romancière noire de peau, enceinte, interprétée de manière appuyée par Kayije Kagamé. Un personnage qui se pose des questions ambivalentes sur sa maternité et s’interroge sur la place qu’elle occupe dans la société française.

Rama se rend à Saint Omer et assiste au procès de l’accusée. Cette dernière (renommée Laurence Coly), est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. L’écrivain sent ses repères vaciller et éprouve une empathie énigmatique pour cette jeune étudiante de philosophie brillante qui s’exprime dans une langue châtiée et qui n’arrive pas à expliquer son geste criminel sauf par les égarements d’une dépression et par les influences mystérieuses de la sorcellerie et du maraboutage.

Le film débute par un cours de littérature que Rama donne à ses étudiants, confrontant le récit de la femme tondue, inventé par Marguerite Duras dans le film Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais, à des images d’archives de la Libération, et explicitant sa problématique: Comment l’auteure met sa puissance de narration au service d’une sublimation du réel».

En quelques plans, les enjeux de Saint Omer sont posés: la défense de cette femme noire coupable d’infanticide et à travers elle, la défense de toutes les femmes. Alice Diop convoquera plus tard dans sa fiction, le film, Médée de Pier Paolo Pasolini (adaptation de la version du mythe grec par Euripide) pour appuyer sa thèse sur les femmes invisibles chimères. Toutes les scènes consacrées à Rama, écrivain(e) très actuelle, et l’intellectualisation artificielle de cette histoire véridique sont ratées, ridicules et superfétatoires.

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En revanche, dès que nous pénétrons dans le cadre du procès, le film prend de la distance et de la hauteur, une vraie dimension d’une beauté cinématographique indéniable. Les scènes de procès possèdent une justesse incroyable due à la force et à la fragilité de prise de parole de chaque personnage. La sobriété de la mise en scène, la rigueur des cadres, la durée des plans, et le jeu des comédiens (Valérie Dréville, Aurélia Petit, Xavier Maly, Robert Cantarella…), tous excellents, y concourent. Guslagie Malanda, formidable, donne au personnage de Laurence Coly, la mère, présente et absente de son procès, profondeur et complexité par sa parole simple et son attitude digne et perdue. Elle n’a aucune explication rationnelle à donner à son geste meurtrier.

Malheureusement, la cinéaste nous donne ses explications: Les hommes sont dépeints – ceux qui procèdent aux tontes – les proches de l’accusée et surtout l’avocat général – bras armé de la justice punitive – comme participant à un système toxique. Puis, lorsque vient le moment de la plaidoirie de l’avocate de la défense, Alice Diop filme avec empathie l’avocate qui ne reprend nullement les arguments de Maître Fabienne Roy-Nansion, l’avocate de Fabienne Kabou – à part sur la folie de sa cliente – mais développe un discours emphatique sur la condition des femmes, des filles et des mères toutes des invisibles, des chimères monstrueuses mais très humaines. Des plans sur le public, les jurés, la cour…, émus, achèvent cette symphonie dont le but est de gagner le cœur et la raison du public. De nous rendre cette femme sublime, forcément sublime[1]. Sainte mère comme nous le dit sans état d’âme Fernando Ganzo dans Les Cahiers du Cinéma du mois de novembre 2022. Dommage, nous aurions pu voir un immense film de procès qui sonde les mystères de l’âme humaine au lieu d’un film édifiant qui enchante dans le consensus général toute la presse de France et de Navarre.

Saint Omer, d’Alice Diop. France – 2022 – 2h02. Interprétation: Guslagie Malanda, Kayije Kagamé, Valérie Dréville, Aurélia Petit, Xavier Maly, Robert Cantarella… Actuellement en salle.


[1] Sublime, forcément sublime Christine V. » est un texte de Marguerite Duras publié le 17 juillet 1985 dans le journal Libération à propos de l’affaire Grégory.

Au 4e top…

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Exceptionnelle pendule squelette "à équation de temps" de Jacques-Joseph Lepaute (1782), d'une valeur de 650 000€... / La Pendulerie

L’horlogerie française est l’un des legs les plus précieux de notre histoire artistique et scientifique. Dans sa galerie La Pendulerie, Christophe Guérin redonne vie à ce patrimoine exceptionnel.


Dans la vie réelle, on rencontre parfois des passeurs enthousiastes qui nous ouvrent les portes d’un monde parallèle et méconnu. Christophe Guérin, spécialiste mondial des pendules anciennes, est l’un d’eux. Avec son costume de tweed, sa petite barbiche blonde et son regard malicieux, il ressemble un peu au Bourvil de La Grande Lessive (!) de Jean-Pierre Mocky. Affligé d’un léger défaut d’élocution, il compense ses petits bégaiements par un sens de l’autodérision digne de Darry Cowl…

On entre dans sa galerie du Faubourg-Saint-Honoré comme dans un conte de Dickens, subjugué par tant de trésors provenant de tous les palais d’Europe. Tous ont été restaurés à l’identique dans l’atelier situé au sous-sol où, au milieu des tic-tac entremêlés, l’artisan-horloger Stéphane Gagnon (qui travaille là depuis trente-trois ans) fabrique à la main les pièces manquantes. C’est pourquoi La Pendulerie vient d’obtenir le prestigieux label « Entreprise du patrimoine vivant » (EPV) qui récompense les entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux exceptionnels.

« Autrefois, nous raconte Christophe Guérin, les gens qui avaient de l’argent investissaient dans l’immobilier, le pétrole, l’or, l’art ou le vin. Aujourd’hui, la tendance, c’est la pendule française du xviiie siècle ! Que vaudra une œuvre de Jeff Koons (qui fait travailler 200 salariés) dans cinquante ans ? À mon avis, pas grand-chose. Une pendule Louis XV d’exception, en revanche, est une pièce unique dont la valeur ne fait qu’augmenter. Certaines dépassent le million d’euros ».

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Bernard Arnault l’a d’ailleurs bien compris, il se rend à La Pendulerie régulièrement pour se constituer sa collection personnelle.

On l’a oublié (comme on oublie tant de choses !), mais l’art horloger français a connu un âge d’or unique au monde, de la fin du xviie siècle (sous Louis XIV) au Premier Empire, soit une période de cent trente ans. « Après, ça a été le déclin, le début de l’ère industrielle, avec des pendules fabriquées à la chaîne qui n’étaient que des copies ». Cet âge d’or, nous rappelle Christophe Guérin, a commencé avec le mathématicien hollandais Huygens qui a inventé le balancier en 1650.

« Avec l’apparition du balancier, l’art horloger de la France naît et se caractérise très vite par sa créativité, sa capacité à évoluer du point de vue esthétique. En effet, chaque roi imprimait un style nouveau, alors que les Anglais, eux, ont toujours fabriqué les mêmes pendules ! Sous Louis XV, c’est l’exubérance, le raffinement total… Mais l’art horloger français se distingue aussi de celui des autres nations par la recherche de la précision, avec des pendules extrêmement fiables (appelées « régulateurs ») qui étaient notamment utilisées par les marins pour faire le point en pleine mer ! »

Qui étaient donc les maîtres de cet art aujourd’hui tombé aux oubliettes de l’histoire ? Isaac Thuret (1630-1706), André-Charles Boulle (1642-1732), Charles Cressent (1685-1768), Julien Leroy (1686-1759), Ferdinand Berthoud (1727-1807), Robert Robin (1742-1799), Jean-Simon Bourdier (1760-1839), Abraham Breguet (1747-1823) et Antide Janvier (1751-1835), « un génie, horloger de Louis XVI, mais qui finit dans une fosse commune après une sombre affaire d’escroquerie ! »

Ces horlogers étaient reconnus par toute la noblesse d’Europe, ils logeaient au Louvre et avaient le droit de porter l’épée. Ces artisans doués se doublaient d’intellectuels formés aux mathématiques, à la physique et à l’astronomie, capables de résoudre des équations très compliquées. « En fait, ils étaient à la pointe de la technologie de leur temps, l’équivalent de la recherche spatiale aujourd’hui ! Par exemple, ils savaient indiquer sur leurs pendules l’heure solaire (à laquelle étaient exécutés les condamnés à mort) et l’heure moyenne (vécue). Les actuelles montres suisses à complications ne sont que des copies de leurs mécanismes ! »

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L’art contemporain a occulté l’art classique, dont l’horlogerie est l’une des branches les plus précieuses. Oui, mais c’est en train de changer… Pour fabriquer une pendule royale, il fallait des milliers d’heures de travail, parfois vingt ans ! De plus en plus d’hommes d’affaires instruits s’intéressent à cet art prodigieux, qui impliquait plusieurs corps de métier : d’abord, il y avait le dessinateur (chargé de présenter un projet au client), puis le sculpteur (qui réalisait un premier modèle en bois) ; venaient ensuite le bronzier (qui fabriquait un moule), puis le ciseleur (qui ciselait le bronze) ; le doreur dorait alors ce bronze au mercure (un poison, les doreurs mouraient à 36 ans) ; et n’oublions pas le marbrier, l’ébéniste et le marqueteur… Quand l’architecture de la pendule était finie, l’horloger pouvait alors insérer son mécanisme qui portait sa signature.

Certains chefs-d’œuvre étaient ornés d’écailles de tortue, un matériau magnifique mais aujourd’hui interdit à la vente aux États-Unis : si une pendule est interceptée à la douane, elle est aussitôt détruite, même si elle a trois siècles et coûte plusieurs centaines de milliers d’euros ! « L’Europe, de son côté, envisage d’interdire le commerce des bois précieux comme le bois de rose et de violette : si cela devait arriver, ce serait la fin de notre métier ! »

Anticipant le pire, Christophe Guérin écume la planète (jusqu’en Australie) pour racheter et rapatrier en France tous les joyaux susceptibles de disparaître à jamais. C’est pourquoi sa galerie, riche de plusieurs centaines de pendules, est devenue un musée à nul autre pareil.

Quand nous lui demandons quelle pièce l’émeut particulièrement, il nous montre sans hésiter la pendule squelette de Jacques-Joseph Lepaute, horloger de « Monsieur » (frère de Louis XVI) dont l’émail, daté de 1782, est d’une pureté absolue : « Moi, quand je vois un aussi bel émail, je bande encore ! Ses propriétaires ont coupé les fleurs de lys pour ne pas être guillotinés, c’est une pendule qui a survécu à la Terreur… »

La Pendulerie

134, rue du Faubourg-Saint-Honoré 75008 Paris

www.lapendulerie.com

Non, il n’existe pas de «fascisme juif»

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Eva Illouz / Capture d'écran YouTube d'une vidéo de la chaine France Culture du 09/02/2020

En publiant dans Le Monde du 16 novembre, et plus précisément dans les pages « Idées », une tribune faisant référence à un « fascisme juif », la sociologue franco-israélienne Eva Illouz a réjoui tous les antisionistes. Accoler les deux mots pour décrire les résultats électoraux du 1er novembre en Israël est cependant périlleux et infondé.


Vladimir Jankélévitch écrivait, voici presque soixante ans, à propos des mensonges relatifs à une prétendue complicité de juifs à l’égard des nazis : « On imagine l’empressement avec lequel un certain public s’est jeté sur cette attrayante perspective ». Aujourd’hui, il s’agirait, une fois les élections effectuées en toute transparence démocratique, de pointer en Israël un « fascisme », reconnaissable à l’émergence d’un « nationalisme religieux ». Jankélévitch aurait ajouté, comme il le fit dans L’imprescriptible : « Voilà une découverte providentielle ! »[1]

Eva Illouz évoque le nazisme et « la grande catastrophe dont les Juifs ont été victimes au XXème siècle ». Elle ajoute que, « transposée en Israël », l’idéologie faisant une nécessité de « l’autodéfense juive [et] du monde entier représent[é] comme une menace antisémite permanente » serait « aberrante ». Ce dernier adjectif est choisi avec soin, ouvrant à l’absurde – qui signifie l’illogisme et la discordance – en suggérant que l’on s’écarte de la normale.[2]

Un vieux dicton yiddish pourrait constituer une première réponse, en rappelant que même les paranoïaques ont… de vrais ennemis ! L’Etat d’Israël, dont le 75ème anniversaire sera commémoré en mai prochain, fut attaqué militairement dès les heures qui suivirent sa création, laquelle constitua effectivement, mais non exclusivement, une manière pour le monde de tirer les leçons de la Shoah.

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Qualifier celle-ci de grande catastrophe, comme le fait Eva Illouz, est exact mais insuffisant. Pour compléter, citons à nouveau Jankélévitch : « Auschwitz n’est pas une « atrocité de guerre », mais une œuvre de haine ».[3] Cette haine ainsi que ses effets, qui durent encore chez les rescapés et leurs descendants, rendent nécessaire le Za’khor, porteur de cette double injonction de la Mémoire : tu te souviendras et tu n’arrêteras pas d’en parler.

L’expression, même entre guillemets, de « fascisme juif », couplée à la notion de « nationalisme religieux », contredit Umberto Eco, auteur du court et remarquable ouvrage Reconnaître le Fascisme.[4] Il avait quelques compétences en la matière et établit les caractéristiques du fascisme « primitif et éternel », parmi lesquelles :

-le refus de toute avancée dans le savoir ;

-le rejet du modernisme ;

-la suspicion jetée sur toute culture non directement liée aux valeurs traditionnelles, et l’appauvrissement délibéré de la langue ;

-le bannissement de toute expression de désaccord ;

-la peur de la différence et le mépris pour les faibles ;

-l’enrôlement de celles et ceux qui se sentent frustrés ;

-le recours au complot pour justifier la xénophobie ;

-la stigmatisation de la richesse ostentatoire suscitée au sein de la population ;

-le refus de la paix ;

-le culte du surhomme, aspirant à mourir pour sa cause.

L’énumération de ces critères montre que ce qui est « juif » est fondamentalement à l’opposé du fascisme. En témoignent la soif de savoir, l’élan vers l’innovation, la culture permanente du débat, la volonté de protéger le faible, l’acceptation des différences d’origines dont les mondes ashkénaze et séfarade sont l’illustration, la valorisation de la réussite vécue comme une forme de bénédiction, le besoin de Chalom, c’est-à-dire de paix, le choix systématique de la vie puisé dans la Bible. L’ensemble de ces éléments concrets et durables établissent qu’il ne peut y avoir un « fascisme juif ».

La maladresse d’Eva Illouz est d’autant plus regrettable que, tentant de décrire un phénomène qui recèle de vraies interrogations collectives, elle nomme mal ce qui nécessite une analyse plus objective et plus précise : la présence de 32 députés religieux au sein du Parlement israélien. Il faut noter d’abord la division – mot pris dans le double sens de la répartition effective et du fractionnement non homogène – de ce nombre en, d’une part, 14 élus issus du sionisme religieux et, d’autre part, 18 du monde ultra-orthodoxe.

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Celui-ci privilégie une dimension sociale davantage que nationale, tout en veillant à préserver ses acquis (service national aménagé, aides publiques au fonctionnement des écoles talmudiques). Très différent est le sionisme religieux, qui recouvre un ensemble hétérogène et réalise pour la première fois un score substantiel : la conquête territoriale y occupe une place primordiale et entraîne clairement la volonté de multiplier les implantations.

Le sionisme religieux place la transcendance au-dessus des règles de l’Etat, recherchant ainsi l’expansion d’Israël, davantage que sa judaïsation. Il constitue un nationalisme, avec ses débordements, mais ne répond actuellement pas à la définition du fascisme, dans la mesure où il n’œuvre pas à la disparition de la démocratie. Une question se fait néanmoins jour : les sionistes religieux sont-ils tous des démocrates ?

La réponse doit tenir compte du fait qu’une distinction est, à ce jour, opérée entre idéologie et pragmatisme : chacun sait, en Israël, que gouverner signifie notamment dialoguer avec les Etats-Unis et certains pays arabes. Le Likoud de Benyamin Netanyahou n’ignore rien de cette réalité. Observons également que la majorité du bloc religieux revient au monde ultra-orthodoxe. Sa réserve à l’égard du nationalisme établit que la question d’un danger démocratique n’est pas à ce jour posée.

Notons que la nouvelle donne politique produite par le succès électoral du monde religieux va logiquement trouver une traduction immédiate : l’installation à des postes à haute responsabilité des représentants de cercles messianiques. Leur objectif est de parvenir au retour des juifs sur le mont du Temple, aujourd’hui l’esplanade des mosquées. Ils bénéficient de deux atouts majeurs : leur réelle popularité et, surtout, leur position incontournable à l’égard de Benyamin Netanyahou, dans le cadre de son projet de réforme profonde du système judiciaire israélien.

Parmi les observateurs, l’interrogation qui court est formulée en ces termes : le fait, précisément, que Benyamin Netanyahou opte pour une alliance avec le monde religieux, plutôt que s’appuyer sur une coalition plus confortable et davantage modérée, signifie-t-il que son objectif personnel est lié à la poursuite d’une instruction en cours le concernant ? Beaucoup considèrent qu’une réponse positive à cette question aurait des prolongements significatifs en termes de rapports de force au sein du prochain gouvernement israélien.

La sensible progression des nationalistes exprime aussi un phénomène aujourd’hui présent en divers endroits du globe, y compris en Europe. Mais il s’agit ici, bien entendu, d’un contexte particulier, qui rend inadapté l’imaginaire emprunté par Eva Illouz à l’histoire européenne de l’entre-deux guerres mondiales. Son amertume et sa critique majorée portent sur le choix des électeurs israéliens de ne pas prolonger l’expérience de la coalition de centre gauche qui a, par son inexpérience, favorisé plutôt qu’empêché le retour au pouvoir de Benjamin Netanyahou.

Ce n’est en aucun cas une raison pour s’égarer dans le labyrinthe et le danger d’une association sémantique douloureusement ressentie par des familles de celles et ceux qui périrent sous les totalitarismes nazi et soviétique. A leur sujet, Jorge Semprun précisait que seul le four crématoire les distinguait.

De plus, l’idée que la prégnance de la religion en Israël conduirait à l’émergence d’un « fascisme juif » est issue d’une confusion. Cette dernière porte sur les causes réelles de la répartition récente des voix aux dernières élections, où la réalité d’un déclassement prenait toute sa part. Ce sera l’affaire du nouveau Premier ministre israélien de bâtir une coalition tenant compte des conséquences des inégalités sociales et du besoin renforcé de sécurité. Israël fut un peuple et une nation avant de devenir un État.

Celui-ci doit répondre à plusieurs priorités, parmi lesquelles : déployer sa performance en matière d’innovation ; tenter d’assoir une paix en multipliant les accords avec des partenaires autrefois hostiles ; lutter contre le terrorisme et sécuriser sa population. Les succès d’Israël n’empêchent pas les lourdes menaces. Et dans l’histoire du peuple juif, les spoliations, les privations de liberté, les massacres, les meurtres, les pogroms furent aussi nombreux qu’atroces, sans parler de la gigantesque extermination. Ils n’autorisent pas que le mot « fascisme » soit accolé à celui de « juif, » en une vaine ignominie.

A ce type de tentation, Vladimir Jankélévitch avait pensé à répondre par anticipation : « Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. […] Il ne serait pas nécessaire de les plaindre ».[5] Le fascisme, rappelons-le, fut l’ennemi des juifs, sous ses formes hitlériennes et mussoliniennes. Il arrive, comme l’affirme le Professeur Henri Mendras dans ses souvenirs, que « le sociologue ne travaille pas sur la réalité sociale, mais bien sur les abstractions qu’il a extraites de cette réalité ».[6] C’est, au fond, l’exercice auquel s’est livré Eva Illouz en se risquant à forger un concept pour décrire l’émergence d’une troisième force politique en Israël.

Laissons la conclusion à Vladimir Jankélévitch : « Bien des printemps se trament dans les sillons et dans les arbres : à nous de savoir les préparer à travers de nouvelles luttes et de nouvelles épreuves ».[7]


[1] Vladimir Jankélévitch, L’imprescriptible, Seuil, 1986, p. 32.

[2] Voir Alain Rey (sous la direction de), Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1998, tome 1.

[3 Jankélévitch, op. cit.

[4] Grasset, 2017.

[5] Jankélévitch, op. cit., p. 20.

[6] Henri Mendras, Comment devenir sociologue. Souvenirs d’un vieux mandarin, Actes Sud, 1999, p. 95.

[7] Jankélévitch, op. cit., p. 104.

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Permis carbone

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Greta Thunberg, le 01/11/22 / PHOTO: Ken McKay/ITV/Shutterstock/SIPA / Shutterstock41016307_000040

Emmanuel Macron a donné son approbation à une proposition sur «un CO2 score» dont la conséquence probable serait de promouvoir des algorithmes aptes à formater nos comportements et à imprégner nos esprits d’une attitude sacrificielle en conformité avec l’idéologie écologique.


Le permis carbone : en route pour l’algorithmocratie

Lors de l’émission d’anticipation BFMTV2050 diffusée le 14 novembre, parmi les solutions proposées pour gagner le défi climatique, l’une d’entre elle s’est fait particulièrement remarquer : le permis carbone… Rappelons qu’il y a quelque temps, parmi les 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron avait validé celle d’un CO2 score « qui permettra à chaque citoyen d’évaluer l’impact sur le climat sur ce qu’il consomme ou mange ». Théorie du complot, scénario dystopique ou proposition gouvernementale ; que recouvre cette idée et quelles seraient les conséquences de son application ?

Lifestyle impact calculator : simulez votre empreinte carbone

A l’occasion du World Economic Forum de Davos, J. Michael Evans a défrayé la chronique sur twitter, et pas seulement dans les sphères complotistes. Le président d’Alibaba Group a évoqué la possibilité d’une application qui permettrait aux consommateurs de mesurer leur propre empreinte carbone en fonction de leurs déplacements et de la manière dont ils voyagent, de ce qu’ils mangent, de ce qu’ils consomment. Loin de relever de la fiction cette idée est déjà bien réelle. Le site de l’entreprise suédoise Doconomy, le « Lifestyle Impact Calculator 2.0 » (littéralement, le Calculateur d’impact de mode de vie), réalisé en partenariat avec la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, vous permet de découvrir votre impact sur la planète à l’issue d’une douzaine de questions. Le pays de résidence est le tout premier critère. Si vous vivez en France, vous avez une empreinte de 0,34 tonne de CO₂  (en Afghanistan elle aurait été de 0,11 et aux USA de 0,45). La deuxième question porte sur l’utilisation d’énergie renouvelable et permet de choisir entre quatre options : « oui », « non », « oui je produis ma propre électricité renouvelable » et « je ne sais pas ». Ensuite, viennent les paramètres chauffage de votre foyer et source d’énergie pour cuisiner ; puis votre mode de transport, le nombre de vols effectués, votre temps passé dans les transports en commun , vos dépenses en meubles et articles de sports, appareils ménagers et vêtements (neufs ou d’occasion!) Enfin, l’ultime question porte sur votre alimentation. Arrêtons-nous sur cette dernière qui donne une parfaite idée de l’orientation de ce questionnaire :  « omnivore » c’est (+1,33), « un jour sans viande » (+1,26), « j’essaye d’éviter la viande rouge » (+1,14), « je ne mange pas de viande rouge » (+0,66), « je mange du poisson » (+0,66), « je suis végétarien » (+0,83), « je suis végan » (+0)[1].

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Les biais du système

La dernière question démontre s’il en est besoin l’orientation idéologique de l’algorithme. Les biais sont multiples : en effet, pour prendre un autre exemple, le choix de la réponse « énergie solaire » induit un moindre impact. Or, on sait parfaitement que le recours à cette source intermittente implique, pour fonctionner, le recours forcé à une production d’énergie pilotable, autrement dit, à des centrales à gaz ou à charbon, qui sont des sources d’énergies carbonées. Idem pour le véhicule électrique qui est comptabilisé comme neutre. Pourquoi l’énergie grise (les émissions de CO₂ produites tout le long de la chaîne de fabrication du véhicule) ne sont-elles pas prises en compte ? Ensuite un principe de base dit qu’« une voiture électrique est aussi propre que la manière de produire l’électricité. » Dans le cas, par exemple, d’un pays où 40 % de l’énergie utilisée par le véhicule électrique serait produite par une centrale à charbon (c’est le cas de la Chine), le véhicule produirait 20 % de CO₂ en moins qu’un modèle thermique. Dans le cas où l’électricité serait davantage décarbonée (en France, par exemple, grâce au nucléaire), le véhicule émettrait 80 % de CO₂ en moins. On perçoit les limites du système : l’algorithme renforce par des biais des présupposés idéologiques issus de l’idéologie écologiste et induit les utilisateurs du calculateur en erreur.

Enfoncer l’attitude sacrificielle dans les crânes

Mais il y a plus grave encore. La vérité défendue par ce genre d’algorithme est que seule une attitude décroissante peut permettre d’atteindre l’objectif visé. Aussi, le moyen pour y parvenir réside forcément dans des attitudes sacrificielles. Or, ces dernières, en plus d’être inefficaces, ont des implications sur le comportement des individus comme le démontre Bjorn Lomborg en citant l’exemple d’une famille qui participait au programme « Ethical man » sur la BBC : après avoir diminué son empreinte carbone de 20 %, elle s’est offert un voyage à l’autre bout du monde avec les économies réalisées ! Chaque attitude sacrificielle est suivie d’un « effet rebond ». L’argent économisé permet l’achat d’un autre bien qui annule l’effort accompli. Outre l’efficacité comportementale douteuse, il faut s’interroger sur l’impact macro-économique qu’aurait la transposition des implications de cet algorithme dans notre quotidien, au travers par exemple, d’une carte de crédit bloquante (un ticket de rationnement virtuel) comme le propose Doconomy (autrement dit le permis carbone). Cela nous forcerait immédiatement à la décroissance. Or, une une société qui fait un tel choix est tout à fait imaginable, mais les conséquences seront terribles pour les citoyens qui subiraient l’appauvrissement général et l’apparition d’une caste – l’Algorithmocratie ? – qui pourrait s’attribuer des droits que d’autres n’ont pas, puisque se situant au-delà des mobiles économiques… C’est ainsi que l’on voit déjà certains justifier le fait qu’ils voyagent en jet privé pour se rendre à des sommets de la Terre… Pour eux la fin justifiera toujours les moyens.

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Planification et néo-scientisme

A titre de comparaison, si on calcule via le Lifestyle impact Calculator l’empreinte d’un Ethiopien qui ne prendrait jamais les transports, ne disposerait d’aucun véhicule, se chaufferait et cuisinerait de manière alternative (charbon de bois et bouse séchée), ne s’achèterait ni vêtement, ni appareil ménager, ni produit de beauté, mais mangerait occasionnellement de la viande (l’inverse de la question proposée)… son impact serait tout à fait respectueux des cibles définies par l’Accord de Paris, puisqu’il ne serait, selon l’algorithme de Doconomy, que de 1,04 tonne de CO₂ (et encore c’est en supposant qu’il ait la chance de manger occasionnellement de la viande, car sans cela il pourrait encore mieux  faire). Au travers de cet exemple fictif on réalise parfaitement le type de société que souhaitent planifier les algorithmocrates qui font la promotion d’un permis carbone.

Nous voici donc ramené au scientisme de Renan qui pensait dur comme fer que la science pouvait organiser la société. Or, cette application fait son chemin dans les esprits et devient tous les jours un peu plus crédible, car comme je le démontre dans Greta a ressuscité Einstein, les politiques ont récupéré la science et pensent que l’on peut s’appuyer sur des modélisations pour créer et justifier de nouvelles lois (la climatocratie soutient l’algorithmocratie)… On assiste à un véritable changement de paradigme et la science des législateurs l’emporte sur celle des ingénieurs. La création d’un ticket de rationnement virtuel qui s’appuie sur un algorithme pensé d’après les modèles climato-catastrophistes en est la parfaite illustration. Et si nous ne prenons garde, le sort de nos libertés sera à tout jamais scellé dans ce gadget de l’algorithmocratie. 

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[1] Pour l’analyse complète voir l’ouvrage Greta a ressuscité Einstein

Albert Camus: tromper n’est pas trahir ?

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Albert Camus; le 01/01/1944 / PHOTO: LIDO/SIPA / 00246125_000001

Suite à une émission sur le couple Maria Casarès (aimée et bafouée)/Albert Camus, Philippe Bilger s’interroge sur l’honnêteté de la réponse de Camus à l’accusation d’infidélité.


Il y a des personnalités admirables et si exemplaires, que ce soit sur les plans intellectuel, philosophique et politique, qu’on n’hésite pas à s’intéresser à tous les secteurs de leur existence, même les plus intimes. Avec une curiosité aiguisée pour la manière dont elles ont appréhendé bonheurs et infortunes, ainsi que l’humain dans sa plénitude.

Le 25 novembre, une remarquable émission a été consacrée au couple Maria Casarès/Albert Camus, à leur passion durable et intense jusqu’à la mort de l’écrivain : «Maria Casarès et Albert Camus, toi, ma vie», sur France 5.

Cette incandescence du coeur et du corps, illustrée par une magnifique et nombreuse correspondance, a semble-t-il été compatible avec l’amour que Camus portait à son épouse Francine et avec la liaison qu’il a entretenue également dans les dernières années avec Catherine Sellers, actrice choisie pour son adaptation théâtrale du «Requiem pour une nonne» de William Faulkner.

Maria Casarès sans doute en faisait-elle parfois reproche à Camus qui répondait avec cette défense : «Je t’ai trompée mais je ne t’ai jamais trahie».

Je ne pouvais m’empêcher de penser, face à cette histoire sublime et douloureuse, à François Mitterrand et Anne Pingeot, tant des similitudes apparentes réunissent les destins de ces deux couples. Pourtant j’éprouvais une irrésistible préférence pour le duo Camus/Casarès réuni initialement par une puissante passion du théâtre, une sincérité et une complicité résistant à tout ; alors que je ressentais une gêne face au cynisme politique de Mitterrand, à ses ambitions et à son pouvoir confrontés au lyrisme d’un séducteur accumulant les conquêtes, acharné longtemps à posséder Anne Pingeot, infiniment plus jeune que lui, puis la trompant et se justifiant à peu près sur le même mode que Camus.

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Pourquoi ce qui me semblait admissible chez ce dernier tournait-il, dans ma perception de l’ancien Président, à la fois si intelligent et cultivé mais si roué et brillant dans la rhétorique amoureuse, à une sorte d’agacement ? Comme s’il y avait plus de «je» et de «jeu» dans cette passion que de vérité du coeur, d’authentique spontanéité ?

Sans doute suis-je injuste mais il n’y avait rien dans les histoires antérieures et les personnalités de Camus et de Maria Casarès qui rendait artificielle cette passion réciproque… Elle apparaissait comme la suite nécessaire de sensibilités naturellement disposées à connaître cet enchantement et parfois ces amertumes d’une union exacerbée mais fragilisée par les parcours professionnels de l’un et de l’autre… Albert Camus avec Maria Casarès, c’était une évidence. Maria Casarès avec Albert Camus, c’était une fatalité dès le premier regard.

Cependant, pour Camus, j’aimerais être convaincu d’emblée et sans réserve par cette belle formule – tromper mais sans trahir – alors que je ne le suis pas et que j’y vois surtout un sophisme qui autorise, par rapport à une règle à laquelle on a paru consentir, toutes les exceptions. Je conçois tout ce qu’on pourrait invoquer au bénéfice de Camus qui se serait livré, dans le domaine sexuel, à une sorte d’inconstance en se défendant pourtant de porter atteinte à l’union essentielle malgré la multiplication des liaisons accessoires ou non. Par exemple, la liaison avec Catherine Sellers aurait été sans conséquence sur son lien fort avec Maria Casarès…

N’y a-t-il pas là, contre la splendide réalité de la fidélité (quand l’autre vous la permet, qu’elle est choisie et non contrainte ni conventionnelle), une apologie facile de l’éparpillement qui laisserait intacte la passion centrale nécessaire, quand les autres appétences seraient contingentes ?

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Plutôt que d’être séduit par cette justification relevant plus d’un esprit brillant que d’une logique véritablement amoureuse, je m’interroge sur le besoin qu’avait un Camus – dont la vulgarité n’était pas le fort ni le narcissisme – de succomber à des tentations et d’aspirer à des conquêtes alors qu’il aurait été si simple pour lui de ne pas trahir en ne trompant pas. Besoin de séduire sans cesse et à tout prix, faiblesse d’un homme trop beau et trop désiré ne se retenant pas, ne «s’empêchant pas», volonté, au fil du temps, de se partager entre l’unique Maria Casarès et les élans du corps le poussant vers d’autres ?

Ces contradictions ne m’auraient pas troublé de la part d’une personnalité ordinaire, qui n’aurait d’ailleurs pas éprouvé la subtilité entre tromper et trahir et se serait livrée à des infidélités classiques, mais elles me questionnent, s’agissant de Camus. Comme si je ne supportais pas, chez lui, une sorte d’abandon, de conformisme, contradictoires avec le feu qu’il aurait dû réserver à Maria Casarès puisqu’il ne cessait de lui écrire qu’il brûlait pour elle comme au premier jour…

Il n’est pas indécent, puisque rien de ce qui concerne Camus ne nous est aujourd’hui étranger, de se pencher sur un être ayant su honorer l’intégrité de l’intelligence et le sens de la justice tout en jouissant de la sensualité de la vie, de la beauté des choses et de la présence des femmes.

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Netflix, l’endoctrinement par le divertissement

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Pexels

Dans son essai L’Empire Netflix publié aux éditions de la Nouvelle Librairie, le journaliste Édouard Chanot nous fait découvrir les coulisses d’une industrie qui a fait de la propagation du wokisme l’une de ses spécialités.


La netflixisation du monde

En 2022, Netflix peut compter sur 221 millions d’abonnés répartis partout sur la planète pour leur imposer « une seule vision du monde » dont le propre est de l’uniformiser au nom… de la diversité. C’est le paradoxe américain par excellence : répandre la démocratie partout grâce à des moyens peu démocratiques. Ou plutôt répandre le marxisme culturel grâce au capitalisme. En bref, coloniser les esprits au nom de la décolonisation.

Jusque dans les bidonvilles de l’Inde où des gens se partageront un abonnement pour regarder des séries sur leur portable, dans son ensemble, Netflix est féministe, multiculturaliste et écologiste à l’américaine.

« Netflix contribue décisivement à délimiter le périmètre des interdits moraux. Sur la plateforme, les militants woke devenus managers, scénaristes, réalisateurs ou producteurs de séries ouvrent la fenêtre de nos esprits à leurs propres jugements, autrefois impensables et demain populaires », analyse Édouard Chanot.

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Révolution culturelle, révolution managériale

« Chez Netflix, la révolution culturelle doit être permanente », mais aussi la révolution managériale qui permet à la première de prendre forme. Forte de son milliard d’heures de visionnement par semaine en 2018, la plateforme prône une concurrence démesurée entre ses employés bien qu’elle soit devenue l’un des symboles de l’esprit pantouflard occidental. Les employés de Netflix n’ont pas vraiment le temps de jouir de leur propre produit.

Pour conserver son poste dans cette boîte, il faut « performer » sans relâche et se soumettre à toutes sortes de pratiques comme les « évaluations 360 », c’est-à-dire des repas à huit collègues durant lesquels les « modérateurs » doivent identifier les « attitudes toxiques ». Tout est calculé, mesuré et monitoré pour maximiser le rendement. Sous le soleil de la Californie, « les enfants des hippies sont devenus de redoutables capitalistes ».

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L’algorithme est roi

Autre constat du journaliste dans son bref ouvrage mais particulièrement dense et éclairant: les algorithmes contribueraient à façonner un art sur mesure en fonction des profils des utilisateurs, ouvrant ainsi la voie à des créations « à la carte » combinant leurs préférences. Serait donc en train de naître une manière de scénariser tenant moins compte des passions et aspirations humaines intemporelles que des attentes psychologiques immédiates d’un public hypnotisé.

Netflix aspire à cibler de manière toujours plus précise ce que vous avez envie de voir à tel moment de la journée, il aspire à vous connaître pour vous vendre une ambiance.

« Netflix ne saurait être réduit à une simple plateforme de streaming. C’est un mastodonte du data, qui a fait basculer l’intelligence artificielle dans la consommation et la production cinématographiques. »

Par ailleurs, l’auteur note que l’entreprise américaine semble avoir entamé son déclin, devant maintenant redoubler d’efforts et d’ingéniosité pour que ses adeptes continuent à lui offrir autant de « temps de cerveau ». Aucune entreprise ne peut arrêter de courir dans le marché contemporain. Comme quoi le confinement n’aura pas été si bénéfique pour Netflix, ou du moins pas plus que pour HBO, Disney + et Amazon Prime; ses principaux concurrents dans cette course au divertissement à la maison.

Edouard Chanot, L’Empire Netflix, Nouvelle Librairie, 2022, 70 p., 7€.

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Marc Fumaroli, la fête de l’esprit

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Marc Fumaroli / Hannah Assouline

Honnête homme tiré à quatre épingles, Marc Fumaroli n’a eu de cesse de s’ériger contre la «gauche culturelle». Il a défendu la littérature du Grand Siècle, revisité les philosophes de Lumières et pourfendu les supercheries de l’art contemporain avec la même rigueur intellectuelle.


Quelque page qu’on ouvre parmi les milliers que compte l’œuvre considérable de Marc Fumaroli, c’est toujours la même majesté d’écriture, la même hauteur de vue, la même fantastique érudition qui se déploient sans la moindre forfanterie. Dans l’un de ses ouvrages les plus délectables, Lire les arts : dans l’Europe d’Ancien Régime, l’immense historien de la littérature, universitaire et membre de l’Institut disparu en 2020, à l’âge de 88 ans, consacre un chapitre aux Lances, ce chef-d’œuvre de Vélasquez (1635) qu’on peut admirer au Prado. La célèbre toile immortalise la reddition de Breda, victoire espagnole sur les Hollandais, sous le règne de Philippe IV. Fumaroli commente à merveille « ce geste, à la fois naturel et sublime [qui] porte l’un vers l’autre l’aristocratique général vainqueur et le chef des troupes vaincues ». Et de célébrer « le secret de ce geste d’abrazzo [« embrassade »] entre les deux héros d’un long siège d’usure, le secret d’une humanitas réapparue comme une éclaircie, après la feritas, la sauvagerie et les horreurs d’une très longue guerre, et qui a fait renouer deux camps ennemis, sur leur commun champ de bataille, avec la paix et ses joies tranquilles ».

À cet académicien toujours tiré à quatre épingles, la gauche débraillée n’a eu de cesse de faire confusément reproche, et de la rutilance hiératique de sa langue, et de ses positions prétendument réactionnaires. Mais comment ne pas le voir ? Chez un auteur de cette stature, tout se tient : le style, c’est l’homme ! Dans L’État culturel : essai sur une religion moderne, il pointe la sourde filiation entre la propagande du régime de Vichy et la parole oraculaire pétrie d’« éloquence vaticinante » du ministre Malraux, et raille avec une férocité gourmande  « l’oligarchie politico-administrative » de la France mitterrandienne sacrifiant aux « ruées vers l’art » sous la férule de Jack Lang, « l’homme éternellement content ». Dix ans plus tard, dans Paris-New-York et retour : voyage dans les arts et les images, il s’en prend, non sans une précoce lucidité, à l’envahissante supercherie d’un marché « barnumizé » désormais aux mains des spéculateurs (marchands, galeristes, capitaines d’industrie). Sa verve de polémiste fait mouche dans chacune de ses interventions et tribunes qui dénoncent, avec constance, la déréliction de la politique éducative et l’invasion du philistinisme. Marc Fumaroli n’en reste pas moins, avant toutes choses, un esthète. Et un fabuleux homme de plume.

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Spécialiste du Grand Siècle ? Sans aucun doute. Mais le professeur et maître de conférences qui, de 1987 à 2002, occupe au Collège de France la chaire « Rhétorique et société en Europe, XVIe-XVIIe siècles », ne détestait rien tant que de se voir cadenassé dans le carcan des disciplines patentées. Il se méfiait des spécialistes. De fait, la variété de ses intérêts est prodigieuse. D’autant que jamais Marc Fumaroli ne se contente d’effleurer son sujet d’étude, quel qu’il soit. En témoignent, sous le titre La Grandeur et la Grâce, ces textes lumineux où se croisent Marivaux, le maréchal de France Hermann Maurice de Saxe, la marquise du Deffand, William Beckford, la comtesse d’Albany, Frédéric II et Voltaire, Nicolas Fouquet, Charles-Joseph de Ligne et bien d’autres figures, dans une vertigineuse symphonie de savoir lettré. Sans compter La Fontaine, bien sûr, au génie duquel rend hommage un précieux recueil, Le Poète et le Roi. Un temps chroniqueur de théâtre (vers la fin des années 1960), lecteur compulsif à la curiosité sourcilleuse – de Léon Tolstoï à Vassili Grossman, de Fénelon à Chateaubriand, dont un petit volume, Le Poète et l’Empereur, éclaire magistralement l’horizon métaphysique –, Marc Fumaroli échappe aux classifications où voudrait le réduire la bien-pensance idéologique qu’on sait. Héraut de ce qu’il se plaisait à nommer la République des Lettres, dans le sillage d’un Paul Valéry il croyait à la sainteté de l’esprit. Au point de risquer cette formule : « La Culture est le péché contre l’esprit. »

Ce voyageur infatigable, né à Marseille et élevé à Fès, harnaché de diplômes et tôt couvert d’honneurs – de Princeton à Oxford, de Naples à Bologne, de Gênes à Madrid… – vouait à Paris, port d’attache parmi tant de villes assidûment fréquentées, une adoration entée sur une connaissance intime de son histoire millénaire. De Venise, Marc Fumaroli écrit que « le plus beau coquillage urbain du monde est encore intact aujourd’hui, vidé de sa forme intérieure humaine et vivante ». Ne pourrait-on pas en dire autant de notre capitale ? Face au désastre de « la chape de plomb et de camelote posée sur Paris au rebours de sa nature et de sa mémoire » pour ne plus en faire que la « métropole mondiale du loisir de masse », Fumaroli a bel et bien été une vigie. À deux ans des Jeux olympiques qui promettent de dissoudre sans recours l’antique Ville Lumière dans le bouillon de culture de la trivialité touristique, relire ses classiques reste une consolation. Classique, Fumaroli en est un. Et pas des moindres.

À lire

Dans ma bibliothèque : la guerre et la paix, Marc Fumaroli, éd. Les Belles lettres/de Fallois, 468 p., 23.50 €, 2021.

La Grandeur et la Grâce, Marc Fumaroli, éd. « Bouquins », Robert Laffont, 1 088 p., 30€, 2014.

Le Poète et l’Empereur, Marc Fumaroli, éd. Les Belles lettres, 150 p., 17€, 2019.

L’Âge de l’éloquence, Marc Fumaroli, éd. Droz, 882 p., 20€, 2002.

Lire les arts : dans l’Europe de l’Ancien Régime, Marc Fumaroli, éd. Gallimard, 465 p., 64€ 2019.

L’État culturel, Marc Fumaroli, éd. de Fallois, 1991.

Paris-New-York et retour, Marc Fumaroli, éd. Fayard, 638 p., 26,40€, 2009.

Dans ma bibliothèque: La guerre et la paix

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La Grandeur et la Grâce: Quand l'Europe parlait français - Le Poète et le Roi

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« A l’insu de leur plein gré » : les footballeurs contre la FIFA

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Un supporteur belge arbore un t-shirt "one love" lors du match Belgique-Canada au Qatar le 23 novembre 2022 John Patrick Fletcher/Action Plu/SIPA Shutterstock41022727_000012

La coupe du monde au Qatar a fourni aux lobbys LGBTQIA+ et à la plupart des médias occidentaux une occasion rêvée pour exprimer leur indignation au sujet de la culture du pays hôte. Mais n’oublions pas que ces mêmes lobbys militent pour une éducation sexuelle et au transgenrisme dès le plus jeune âge. Tribune libre d’Alain Destexhe, sénateur honoraire belge.


« A l’insu de leur plein gré », ces grands enfants gâtés que sont nos footballeurs professionnels propagent l’idéologie LGBTQ. Après le genou à terre par sympathie avec les Black Lives Matter, l’affaire du brassard « One love » manifeste encore une de ces indignations de pacotille qui permet au camp du bien de se reconnaître et de pratiquer, sans frais ni danger, ce que les Américains appellent la « vertu ostentatoire » (virtue signalling).

De la BBC refusant de retransmettre la cérémonie d’ouverture (mais pas celle des JO de Pékin) à Volkswagen (fondée en 1937 dont le nom évoque la politique d’Hitler mais n’a pas été changé après la Seconde guerre mondiale), en passant par Antony Blinken et une chaine allemande de supermarchés suspendant son sponsoring, les réactions indignées ont fusé à travers le monde après l’interdiction intimée aux capitaines d’équipes de porter le brassard militant « One love », censé symboliser la diversité et l’inclusion des LGBTQIA+,… en espérant n’avoir oublié personne !

La Palme d’Or, très disputée, des réactions est sans doute revenue à la ministre des affaires étrangères belge, Hadja Lahbib, qui, vêtue du maillot des Diables rouges, a « dans un geste puissant défié la FIFA en portant le brassard One Love en tribune ». La FIFA en est restée sans voix et le Qatar ne s’en est toujours pas remis ; il est vrai que le plat pays importe peu de gaz du Qatar. 

Menacée par la Waffen FIFA de la sanction suprême d’un carton jaune, nos vaillants résistants multimillionnaires ont rapidement baissé leur short, mais les Allemands – qui se sentent toujours tenu d’en faire un peu plus que les autres dans l’affichage de la vertu – ont quand même tenu à montrer leur courage… en se bâillonnant la bouche de la main. Après la saine réaction de Hugo Lloris, la star belge Eden Hazard, interrogée sur le geste de l’équipe allemande, a trouvé les mots justes : « Oui mais après ils ont perdu le match (contre le Japon). Ils auraient mieux fait de ne pas le faire et de gagner. On est là pour jouer au foot, je ne suis pas ici pour faire passer un message politique, des gens sont mieux placés pour ça. On veut être concentrés sur le football ». Des réactions minoritaires, audacieuses dans les circonstances, des mots qui n’ont d’ailleurs pas été très appréciés par la presse belge, mais il n’est pas encore si facile d’annuler (cancel) les icônes du ballon rond.

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Car c’est précisément pour jouer au foot que ces champions multimillionnaires sont à Doha et leurs opinions politiques dont on suspecte d’ailleurs, par un préjugé assumé mais nullement méprisant, qu’ils n’en ont guère, nous indiffèrent. Si les joueurs étaient en désaccord avec la FIFA et la politique du Qatar, ils pouvaient ne pas se rendre à Doha, à l’instar du maoïste allemand Paul Breitner, qui avait refusé d’aller en Argentine en 1978, un pays alors dirigé par une junte militaire. D’ailleurs, la FIFA a – évidemment – raison d’interdire toute forme de manifestation politique dans les stades. Comment réagiraient les journalistes si un joueur ou une équipe affichait à travers un brassard ses convictions Pro-Life (refus de l’avortement,) ou en faveur de La manif pour tous (contre le mariage gay) ou si Neymar Jr, l’idole du Brésil, arborait la photo du président Bolsonaro qu’il a soutenu lors des récentes élections, sans parler d’un insigne MAGA qui déclencherait une hystérie médiatique reprenant des arguments identiques à ceux de la FIFA aujourd’hui ! Qu’écrirait Libération qui trouve que la FIFA « viole le saint des saints : l’espace du match » ! Comme dans ce cas la Cause, va, comme toujours, dans le sens voulu par le régime diversitaire et ses journalistes gardes rouges, nul n’y a trouvé à redire.

Cette cause n’est évidemment ni consensuelle, ni tolérante, ni inclusive. Il s’agit d’abord du combat d’une minorité d’associations occidentales qui tentent d’imposer leurs certitudes à la terre entière en instrumentalisant un événement sportif majeur. Parmi les sept équipes qui avaient annoncé faire le geste de défiance, aucune africaine, ni latino-américaine. Pour Jules Ferry, en son temps, il s’agissait de « civiliser les races inférieures », le mot race se comprenant à l’époque dans le sens de « peuples ». Pour nos militants LGBTQ, souvent adeptes de la convergence des luttes, il s‘agit, bien sûr sans le reconnaître, d’éduquer ces attardés d’Arabes et d’Africains qui n’acceptent toujours pas l’homosexualité. Avec la même bonne conscience et le même sentiment de supériorité, ils reproduisent en fait les schémas mentaux des colonisateurs du XIXème siècle ! Aujourd’hui, une majorité d’Africains et d’Arabes ne considèrent pas l’homosexualité et la dysphorie de genre comme des phénomènes normaux, ils doivent donc être éduqués aux valeurs universelles – occidentales – comme au bon vieux temps des colonies. A Rome fais comme les Romains ! dit l’adage. Si on demande aux étrangers de respecter nos lois et nos coutumes lorsqu’ils visitent l’Europe, le moins que l’on puisse exiger de ceux qui se rendent au Qatar, c’est de respecter ses lois et de ne pas provoquer le pays hôte. 

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Ensuite, le combat LGBTQ n’est pas un combat pour l’amour, la tolérance et l’inclusion pour des personnes qui ne sont plus discriminées depuis longtemps. Plusieurs pays occidentaux ont eu des premiers ministres homosexuels et des ministres transgenres et le drapeau arc-en-ciel s’affiche régulièrement sur les édifices publics. Loin d’être marginalisées, elles sont au cœur du système et l’objet de toute son attention, mais leurs militants veulent imposer à une majorité encore réticente une politique radicale du genre. A travers le choix des pronoms (iel par exemple au lieu de il ou elle et, comme c’est déjà le cas aux États-Unis, la possibilité de licencier ou condamner par les tribunaux celui qui n’utilise pas les pronoms choisis par l’intéressé), l’éducation sexuelle à l’homosexualité et au transgenrisme dès l’école maternelle, le changement de sexe et de genre y compris à travers l’hormonothérapie et la chirurgie dès l’enfance (donc le rétablissement de la torture), l’abolition du sexe biologique dans les documents d’État-civil, il s’agit en fait d’imposer une véritable révolution anthropologique, défiant dix mille ans d’histoire, au nom d’une conception absolutiste des droits individuels. Avec la complicité active du système médiatique, cette évolution est présentée comme allant de soi et cherche à s’imposer sans passer par l’étape du débat et de la démocratie.

On ne doute pas que la majorité des footballeurs professionnels, qui pour la majorité répondent encore à la définition classique de mâle alpha, ne souhaitent pas cette évolution, dont, selon l’expression des Guignols, « à l’insu de leur plein gré », ils se font pourtant les instruments dociles et consentants.

On n’a peut-être pas vu les brassards « One love », sur le terrain, mais tous les médias mainstream les ont montrés et en ont parlé sur le ton de l’indignation évidente avec la complicité de la plupart des joueurs. Résultat du match LGBTQ 1 – FIFA 0.

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