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Guerre russo-ukrainienne: le char seul ne gagne pas la guerre

Les Ukrainiens s’équipent de chars Leopard de fabrication allemande, technologiquement supérieurs aux tanks russes qu’ils vont rencontrer sur le champ de bataille. Mais dans l’orchestre militaire le char ne joue pas tout seul.


Depuis quelques semaines, la couverture médiatique de la guerre en Ukraine met le char au centre de l’attention. Engin prioritaire dans la liste de courses et la communication ukrainiennes, place d’ailleurs que le char a ravie à la fin de l’année précédente aux systèmes sols airs Patriot et autres, il fait que le débat public s’est focalisé sur l’objet « MBT » (main battle tank ; char de combat) comme s’il s’agissait d’une voiture ou d’une moto.

Performances, modèles, prix, les éléments mis en avant n’ont pas permis d’aborder la seule question qui compte : quelle influence pourraient avoir les chars occidentaux (américains, allemands et français) sur les champs de batailles ukrainiens et plus encore sur l’évolution de la guerre ?

Il est intéressant d’apporter à ce débat quelques contributions du côté russe, notamment celle de Ruslan Pukhov. Pukhov a eu droit à son quart d’heure de gloire en octobre dernier quand, lors d’une interview en direct sur la chaine RBK TV, il a dit que « les munitions de rôdeurs russes [les drones, ndlr] utilisées par la Russie sont d’origine iranienne », ajoutant que « nous savons tous qu’elles sont iraniennes, mais les autorités ne le reconnaissent pas ». Directeur du Centre d’analyse des stratégies et des technologies (CAST) basé à Moscou, membre du Conseil public du ministère russe de la Défense, ancien DG de l’Union des armuriers russes qui représente les fabricants russes d’armes légères, Pukhov n’est pas un dissident et jouit à la fois d’une légitimité et d’une certaine liberté de parole, privilège de ceux dont la fidélité au pouvoir n’est pas en question, à condition, bien sûr, de ne pas exagérer. Ce qu’il écrit est donc important pour ceux qui souhaitent comprendre le point de vue russe.

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Dans une interview accordée au quotidien Moskovski Komsomolets, Pukhov affirme que la livraison de chars Abrams à l’Ukraine pourrait aggraver sérieusement la situation des forces russes. Selon lui, même les variantes d’exportation (Abrams est un nom de famille) du char américain sont nettement meilleures que les chars russes en service ou en production de série (c’est-à-dire en dehors du T-90M, qui n’est pas en production en série). Les chars russes déployés en Ukraine, continue Pukhov, utilisent des munitions de l’ère soviétique, suffisantes, à courte distance, contre les chars T-64, T-72 et T-80 [au service de l’armée ukrainienne], mais le problème est que les chars des pays de l’OTAN pourraient les atteindre à distance et les mettre en grande difficulté. Il ajoute que la Russie manque d’un ATGM (anti-tank guided missile) de 3ème génération comme le Javelin américain au service de l’armée ukrainienne. Les forces russes n’ont pas assez des Kornet, l’ATGM russe le plus moderne, et doivent se débrouiller avec des systèmes anciens comme le Konkur et le Fagot, de qualité très inférieure. En conclusion, il note qu’il est peu probable que 30-50 chars changent radicalement la situation, mais qu’en revanche 200-300 pourraient constituer un facteur opérationnel important. La solution, à ses yeux, est la fabrication rapide de systèmes antichars en Russie et leur déploiement.

A cette analyse il faut rajouter une dimension. Comme nous avons pu le constater pendant la campagne de France en 1940 ainsi que pendant l’offensive russe au nord de l’Ukraine, ce n’est pas le char en tant que tel qui fait la différence mais la manière dont il est utilisé. C’est le combat combiné ou interarmes qui permet aux qualités techniques du char de s’exprimer pleinement. Sans logistique, le char ne va pas loin et surtout ne revient pas. Sans défense antiaérienne et le soutien de l’aviation, le char et ses échelons logistiques sont vulnérables. Sans artillerie et sans fantassins, le char est une proie facile pour les missiles antichar et l’artillerie ennemis. En mars 2022 c’est l’artillerie ukrainienne qui a causé le plus des pertes aux blindés russes. Enfin, sans système de guerre électronique, d’interception de communication, de C3 (commande, contrôle, communication) et sans drones, les unités blindées sont aveugles et mal dirigées. 

Mais la technologie n’est pas tout. Une armée, dont les forces sont rompues au combat interarmes (doctrine, équipement, formation, entrainement), équipées de systèmes d’armement qui ne sont pas « dernier cri », se révèle plus performante qu’une armée disposant des systèmes les plus modernes mais mal coordonnés et incapables de produire une synergie. Dans ce domaine, les Ukrainiens se sont montrés bons élèves de l’OTAN et leurs planificateurs et chefs militaires savent manier le combat interarmes à un certain niveau. Enfin, leur organisation est plus souple, leur commandement uni et la qualité de leurs hommes en moyenne bien meilleure. Côté russe, faire face à un matériel supérieur n’est pas en soi un problème insurmontable. Les militaires russes connaissent leurs chars depuis longtemps, et les chaines logistiques, de l’usine jusqu’aux champs de batailles, existent. Un savant mélange d’éléments tactiques et de puissantes concentrations de force pourrait ainsi neutraliser les avantages technologiques. Mais comme toujours, pour faire un bon orchestre il faut beaucoup plus que des instruments de musique de qualité et des bons musiciens…                                           

Zone de confort écolo

Les « zones à faibles émissions » seront imposées dans toutes les agglomérations d’ici 2025. Objectif: bannir les vieilles bagnoles des centres-villes. Tous les Français ne pouvant s’offrir une voiture « propre » seront donc interdits de circulation. Pas sûr que la France qui roule au diesel et fume des clopes se laisse faire sans broncher.


Si le sigle ZFE ne vous dit rien, un peu de patience, vous allez en souper. Ces « zones à faibles émissions » (ZFE ou « ZFE-mobilité »), c’est-à-dire des zones interdites aux vieilles bagnoles, se mettent petit à petit en place. Lorsqu’elles seront pleinement en fonction, des millions de Français, trop pauvres pour se payer une électrique, seront purement et simplement interdits de centre-ville.

Née en Suède en 1996, la ZFE est adoptée dès 2003 par le Royaume-Uni. En France, la loi d’orientation des mobilités (LOM) du 26 décembre 2019, et la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 imposent la mise en place de ces zones avant le 1er janvier 2025 dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants.

Danger sanitaire

Selon le gouvernement, il s’agit de nous protéger des effets néfastes sur notre santé des particules fines (PF), une catégorie de particules en suspension dans l’air ambiant. Leurs dimensions et leur persistance durable à l’état d’aérosols leur permettent de s’infiltrer en profondeur dans les voies respiratoires. Selon leur degré de concentration et de toxicité, elles peuvent provoquer des pathologies plus ou moins graves.

Les données supposées légitimer les ZFE sont très alarmantes. En mars 2014, l’Organisation mondiale de la santé estime que la pollution aux PF aurait causé 7 millions de morts prématurées en 2012 dans le monde et, en 2016, l’Agence nationale de santé publique affirme qu’elle est responsable d’au moins 48 000 morts prématurées annuelles en France. Une partie significative de cette mortalité est attribuée aux particules émises notamment par les véhicules à moteur diesel. Ainsi peut-on lire dans Le Monde du 27 février 2019 : « Avec 48 000 morts par an, l’exposition aux particules fines peut réduire l’espérance de vie de deux ans dans les villes les plus polluées, selon une étude de 2016. » En 2022, Santé publique France réévalue l’impact de la pollution atmosphérique sur la mortalité annuelle en France métropolitaine pour la période 2016-2019. Il en ressort que chaque année, près de 40 000 décès seraient attribuables à une exposition aux PF des personnes âgées de 30 ans et plus, qui subiraient une perte d’espérance de vie moyenne de près de huit mois.

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Ces données interrogent, car la mortalité a baissé de plus de 20 % avant la mise en place des ZFE (à part l’expérience parisienne). Concernant Paris, l’ORS (Observatoire régional de santé) Île-de-France a publié le 10 février 2022 des données montrant qu’entre 2010 et 2019, le nombre annuel de décès attribuables à l’exposition prolongée aux particules fines est passé de 10 350 à 6 220 (une baisse de 40 %). Dans ces conditions, on peut d’autant moins attribuer ces résultats à l’introduction de la ZFE en 2015, qu’elle n’est que très moyennement respectée à ce jour.

Les recherches scientifiques en santé publique reflètent cette interrogation. Ce que constate le Journal of Medical Toxicology[1] : « Les données démontrent une relation dose-dépendante entre les PF et les maladies humaines, et l’éloignement d’un environnement riche en PF diminue la prévalence de ces maladies. Bien que des études supplémentaires soient nécessaires pour élucider les effets de la composition, de la chimie et de l’effet des PF sur les populations sensibles, la majeure partie des données montre que l’exposition aux PF entraîne une augmentation faible mais significative de la morbidité et de la mortalité humaines. »

Évidemment, tout le monde peut s’offrir une nouvelle voiture !

Aujourd’hui des ZFE existent déjà dans une dizaine de métropoles (parmi lesquelles Lyon, Strasbourg, Toulouse, Nice, Marseille, Montpellier, Rouen), mais l’automobiliste impénitent qui n’a pas eu le bon goût de se payer une nouvelle voiture bénéficie encore d’une tolérance. Les verbalisations pour non-respect des restrictions de circulation dans les ZFE tomberont dès la fin de l’année 2024.

Concrètement, comment fonctionnent-elles ? À la base du système se trouve le certificat qualité de l’air (« Crit’Air »), délivré à partir de la carte grise du véhicule, qui atteste de son niveau d’émission de polluants. Tous les véhicules routiers motorisés sont concernés. Ainsi, chacun devra afficher un autocollant coloré (la vignette ou pastille Crit’Air), qu’on pourra commander en ligne.

Instaurée en France en juin 2016, la vignette Crit’Air visait à différencier les véhicules en fonction de leur âge et des normes de pollution auxquelles ils répondent. Les véhicules les moins polluants obtiennent la vignette Crit’Air 0 (réservée aux modèles électriques ou à pile à combustible) alors que les plus polluants reçoivent la vignette Crit’Air 5 ou sont non classés (diesel d’avant 2001 et essence d’avant 1997).

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Le gouvernement prévoit une entrée en vigueur progressive des interdictions à partir de 2023, à quoi s’ajoute un zonage précis dans les quartiers les plus pollués. Cependant, pour de nombreux maires, ces ZFE représentent un casse-tête : comment surveiller le flux ? À terme, les ZFE seront surveillées par des caméras qui assureront la verbalisation des contrevenants, selon le principe contrôle-sanction automatisé. Mais qui paiera l’installation et l’entretien ? La malheureuse affaire des portiques écotaxe est toujours dans les esprits…

Surtout, leur mise en place risque de cristalliser l’opposition de ceux qui n’ont pas les moyens ou l’envie d’acheter un véhicule récent. Même à Bordeaux, où la municipalité écologiste s’active depuis son élection à pénaliser les plaisirs simples comme le sapin de Noël, il n’y a toujours pas de ZFE. Si le périmètre concerné a été défini (il sera limité à l’intérieur de la rocade), des discussions sont encore en cours pour déterminer le calendrier de mise en place et des restrictions/interdictions de circulation afférentes.

Cela ne surprendra pas les Parisiens et les banlieusards qui subissent depuis des années l’idéologie d’Anne Hidalgo et de son équipe, la capitale est à la pointe de ce progrès contestable. Paris a interdit les Crit’Air 4 (diesel d’avant 2006) dès le 1er juillet 2019. Les Crit’Air 3 (moteurs essence d’avant 2011 et diesel d’avant 2006) devaient y être proscrits mais, à en croire le gouvernement, ils viennent de bénéficier d’un sursis jusqu’en 2024, « après les Jeux olympiques ». Dans le calendrier initial, les véhicules à vignette Crit’Air 2 devaient, eux, être interdits dès 2024, mais ils pourraient également bénéficier d’un sursis.

Quartiers privés

À Marseille, depuis le 1er septembre 2022, il n’est plus possible de rouler dans la ZFE avec un véhicule non classé ou Crit’Air 5. Il en sera de même pour les Crit’Air 4 dès le 1er septembre 2023, puis pour les Crit’Air 3 un an plus tard. Lyon suit un calendrier similaire, mais refuse pour l’instant de donner une date d’interdiction précise pour les Crit’Air 3 et Crit’Air 2 (qui seront progressivement interdits entre 2023 et 2026, annonce la mairie). À Rouen comme à Paris, il est déjà interdit de rouler dans la ZFE avec un véhicule Crit’Air 4. À Grenoble, les Crit’Air 5 ne seront proscrits qu’en 2023 et les Crit’Air 4 en 2024. À Toulouse, les premières restrictions arriveront en 2023. Et partout dans le pays, les métropoles prévoient d’interdire toutes les autos n’arborant pas une Crit’Air 0 avant 2030. Ce qui signifie qu’à cette date, il ne sera théoriquement plus possible de rouler dans les ZFE durant la semaine entre 8 et 20 heures avec une voiture équipée d’un moteur thermique.

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En ce début 2023, les véhicules les plus polluants (Crit’Air 3, 4, 5 et non classés) représentent encore presque 40 % du parc français de voitures particulières. D’où le dilemme et les palinodies des pouvoirs publics. D’un côté, le 17 octobre dernier, le Conseil d’État a condamné l’État à payer 20 millions d’euros pour n’avoir pas suffisamment agi contre la pollution de l’air ; et de l’autre, on ne peut exclure des grandes villes ceux qui n’ont pas les moyens d’acquérir une voiture neuve. En tout cas, on ne devrait pas pouvoir, mais on peut envisager que les technos qui nous gouvernent décident sur un coin de table d’interdire les villes aux cochons de pollueurs. Qu’ils aillent se plaindre sur les ronds-points ! Pour le moment, dans la plupart des villes ayant créé leurs ZFE, les verbalisations sont rares. Tout le monde semble attendre l’arrivée, fin 2024, de dispositifs de verbalisation automatique, impliquant la pose de portiques et/ou de caméras. Le tarif pour les contrevenants sera de 68 euros – curieusement, on n’a pas ressuscité l’amende à 135 euros infligée durant le confinement aux sorteurs intempestifs.

L’amélioration de la qualité de l’air – notamment la baisse de la présence de particules émises par les moteurs diesel –, incontestable, est surtout le résultat du renouvellement graduel du parc automobile et du développement de l’offre de transport public – développement aujourd’hui enrayé par la pénurie de conducteurs. Les mesures ZFE, très contraignantes pour les automobilistes, mais aussi pour les municipalités qui devraient les gérer (et les financer), ne présentent donc pas une efficacité particulière. Tout ça pour ça ! Dès lors que le principal problème est le diesel dont les ventes et la part dans le parc automobile ne cessent de baisser et que le moteur thermique est condamné à l’horizon de 2035 (en supposant que cela reste d’actualité), il serait plus simple et moins coûteux d’aider les gens à changer de voiture plutôt que de se barricader à grands frais contre l’invasion fantasmagorique de pollueurs dont la colère, le moment venu, pourrait faire passer les Gilets jaunes pour d’aimables promeneurs du samedi.


[1] Jonathan O. Anderson, Josef G. Thundiyil & Andrew Stolbach, « Clearing the Air: A Review of the Effects of Particulate Matter Air Pollution on Human Health », Journal of Medical Toxicology, 2012

De Louis XVI à Louis Boyard, regardez la France qui tombe

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Le député Léaument (LFI) se réjouit de la décapitation de Louis XVI, le député Boyard (LFI) apparait dans un clip musical où l’on rêve de péter le champ’ à la mort des Le Pen, et Marine Tondelier (Conseillère régionale EELV) passerait bien les milliardaires français à la guillotine… Enfin, le grand ordonnateur de la Nupes, Mélenchon, « maudit » le président Macron. Comme tout ce petit monde est de gauche, nos médias ne trouvent rien à redire.


Pour devenir député sous la bannière de LFI, il est nécessaire d’avoir certaines qualités. La principale est de savoir faire abstraction de la plus grande partie de l’histoire de France pour ne garder et glorifier que celle qui commence avec la Révolution française. C’est d’une très grande bêtise mais cela permet à Antoine Léaument, député de l’Essonne, ou Louis Boyard, député du Val-de-Marne, de se nicher confortablement, avec un minimum de connaissances historiques et sans se faire de nœuds au cerveau, dans le mouvement opaque de Jean-Luc Mélenchon.

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De Louis XVI…

Antoine Léaument a vivement réagi dernièrement aux propos de certains députés rappelant, en la déplorant, la décapitation de Louis XVI le 21 janvier 1793. Il a d’abord twitté : « Louis Capet. Un traître à la patrie, un ennemi du peuple français. “Vive la Révolution et vive la République !” : voilà le mot d’ordre des vrais patriotes ! La France, c’est ça ! » L’avocat Gilles-William Goldnadel ayant eu l’audace de dire qu’il avait, en ce 21 janvier 2023, une pensée pour Louis XVI, « décapité par la bestialité de ces bêtes sans têtes », le même député LFI a twitté derechef : « Mépris de l’Histoire révolutionnaire et républicaine du peuple français. Glorification du traître à la patrie Louis Capet… Ras le bol de cet (sic) extrême droite qui méprise la France du drapeau (bleu-blanc-rouge) républicain et révolutionnaire. » Ces maigres slogans rabâchés depuis deux siècles sont d’une pauvreté absolue mais permettent aux incultes de continuer de le demeurer en ignorant aussi bien l’histoire de France d’avant 1789 que celle, riche et complexe, de la Révolution elle-même. Le petit-bourgeois insoumis a des rêves de Terreur plein la tête : « Comme Jaurès, “Sous ce soleil de juin 93, je suis avec Robespierre” », twitte-il encore. Léaument se prend pour Barère – s’il n’a pas le talent oratoire du rapporteur du Comité de salut public, il semble partager avec ce dernier un goût prononcé pour les peines de mort, les exécutions sommaires, l’élimination des adversaires politiques. La guillotine étant passé de mode, il choisit la manière indirecte, sournoise, moderne et lâche, moins salissante et moins risquée : l’autoproclamé « député You-Tuber » (ça fait quand même moins peur que « député hébertiste ») sévit sur YouTube, Twitch, Instagram, Facebook et TikTok, ces réseaux dits sociaux transformés parfois en ersatz de tribunaux révolutionnaires permettant à des Commissaires de la république de pacotille de se faire mousser un peu. Il est vrai qu’on imagine mal Antoine Léaument en haut d’une barricade, risquant sa vie en offrant sa poitrine aux fusils de la police réactionnaire au cri de « Vive la VIème République ».

… à Louis Boyard.

Le cas de Louis Boyard a été déjà traité dans ces colonnes mais il vaut la peine d’y revenir rapidement. Comme on sait, l’ex-dealer est un ami du rappeur Yanni Benchallal. Dans un clip de ce dernier, le député LFI apparaît, assis à la table d’un kebab, serrant très amicalement la main de cet artiste beuglant ses envies de « péter le champ’ » à la mort de Marine Le Pen et de Marion Maréchal, de planter « le drapeau algérien en mairie », d’utiliser le « taux de natalité, arme démographique » de ses coreligionnaires pour faire peur à « ces bâtards », etc. N’en déplaise aux régicides, c’est ce Louis-là qui déshonore la France, et qui mériterait, non pas la peine capitale (quand on est contre la peine de mort, on applique ce principe à tout le monde, sans aucune exception), mais au moins une peine d’inéligibilité pour manquement grave à sa fonction parlementaire ou déloyauté envers son pays.

Louis Boyard (assis) et le rappeur Yanni. Capture d’écran d’un clip musical (YouTube)

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira, tous les milliardaires à la lanterne…

De son côté, EELV a élu sa nouvelle coupeuse de tête. Marine Tondelier a trouvé les coupables de tous les maux qui accablent les Français : les milliardaires. Par conséquent, lors du dernier meeting réunissant les principaux représentants de la Nupes, elle a fait part de son programme : elle veut « une France sans milliardaires ». Au fond, le programme d’EELV, assez proche de celui de LFI, s’il ne peut plus être celui du « sang » est celui du « sans » : une France sans nucléaire, sans contrôle migratoire, sans prisons, sans arsenal judiciaire, sans militaires, sans barrières à ses frontières, sans milliardaires, sans policiers, sans voitures, sans ingénieurs, sans enfants, sans travail et sans… Michel Sardou.

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Les insoumis de LFI et les écologistes d’EELV sont les dignes héritiers de ces petits-bourgeois et intellectuels de gauche de la fin des années 60, adorateurs des pires régimes. Benoît Rayski les range dans la catégorie homo sartrius et distingue deux branches : homo gauchistus et homo ecologistus [1]. C’est, dit-il, deux espèces originales dont les représentants sont réputés incapables de clamer « Vive la France » mais qu’on aurait entendu répéter « quelque chose qui ressemble à “abalafinans” ». Comme leurs illustres prédécesseurs sartriens, ces citoyens-là bénéficient d’un énorme avantage : les médias, majoritairement de gauche ou d’extrême gauche, ne dénoncent jamais leurs exactions, leurs appels à la violence, leurs dénonciations injurieuses ou leurs discours anti-français. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, sur qui ils veulent, de la manière qu’ils veulent. Jean-Luc Mélenchon peut crier, halluciné, l’œil mauvais et la voix vénéneuse, à l’encontre du président de la République (qu’on apprécie ce dernier ou pas, ce n’est pas le sujet ici) : « Soyez maudit ! », ou un député s’afficher avec un « artiste » appelant d’une manière à peine camouflée au meurtre de personnalités politiques, les médias dominants ne bronchent pas. Nous n’osons imaginer leur réaction si un représentant politique du RN ou de « Reconquête ! » s’était exprimé comme le leader de LFI ou, pire encore, était apparu dans le clip d’un rappeur se disant prêt à sabrer le champagne à la mort de Jean-Luc Mélenchon ou de Sandrine Rousseau – nous aurions eu droit alors aux cris d’orfraie sur France Inter et aux lamentations dans les pages du Monde et de Libération sur le retour du fascisme, des heures sombres, des chemises brunes, et tout le tintouin.

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Attirons enfin l’attention de nos députés enragés sur quelques personnalités mortes elles aussi un 21 janvier et auxquelles, au lieu de s’acharner sur ceux qui commémorent la mort de Louis XVI, ils pourront, si le cœur leur en dit, rendre hommage à l’avenir : Marcel Azzola (en 2019), Blaise Cendrars (en 1961), George Orwell (en 1950) et, the last but not least… Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine (en 1924).

[1] Benoît Rayski, Les bâtards de Sartre, Éditions Guillaume de Roux , 2018.

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Elisabeth Lévy: « Louis Boyard cautionne l’appel au meurtre de ses collègues »

Sexisme: le mythe du continuum

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Le néoféminisme s’institutionnalise. L’une de ses thèses les plus farfelues et les plus populaires est ainsi reprise, sans aucune distance, par la plupart des journalistes et une nouvelle campagne officielle nationale de « sensibilisation ». Pourtant, il existe parmi les meurtriers se rendant coupables d’un « féminicide » une part non négligeable d’hommes qui n’avaient jamais levé la main au préalable sur leur victime. Ce sont les malheureux « crimes passionnels », qu’on n’a plus le droit d’appeler ainsi. Ingrid Riocreux, spécialiste du langage médiatique, analyse ce qui est problématique dans le nouveau spot du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.


Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a produit un spot censé prouver les ravages du sexisme :

Il s’agit là de la version courte d’une bande sonore plus longue, disponible sur le site du HCE, que vous pouvez écouter en cliquant sur ce lien.

Réaliste et angoissante, cette fiction sonore signée Carole Fives (le texte ici) n’invente rien ; elle est même très bien écrite. Mais illustre-t-elle vraiment le sexisme ? Un conjoint suspicieux et étouffant potentiellement violent, une entreprise qui craint le manque de disponibilité d’une jeune maman, un dragueur lourd dans la rue : ce sont des types humains, au même titre que la peste capricieuse, la femme manipulatrice, la patronne tyrannique, etc.

Le grand tort de cette fiction est donc de mettre en système des types masculins pour en faire des symboles de l’oppression collectivement subie par les femmes. On pourrait faire la même fiction avec des femmes dans le rôle des méchantes. Y compris dans le domaine conjugal: là aussi, tout le monde sait « comment ça se finit » ; s’il ne fait pas partie du lot de ceux qui meurent des violences de leur femme (un toutes les deux semaines), monsieur se suicide… et on dira qu’il avait « des problèmes au travail ». 75% des suicidés sont des hommes : combien se tuent à cause de leur conjointe ? Auparavant, le monsieur aura subi mille insultes et humiliations, sexuelles, physiques, psychologiques, jusqu’aux rumeurs malveillantes répandues par sa conjointe pour l’isoler dans la honte… et reçu quelques objets dans la figure (une femme ne frappe pas, elle lance des objets). Mais c’est bien connu, quand un homme frappe sa femme, on dit qu’il frappe sa femme. Quand une femme lance des chaussures à la tête de son conjoint, on appelle cela une dispute.

Nicolas et Lucie

La fiction du HCE se conclut ainsi : « le sexisme, on ne sait pas toujours quand ça commence, mais on sait comment ça se termine : tous les trois jours en France, une femme est tuée parce qu’elle est une femme ». Si c’est vrai, la fiction du HCE ne le démontre pas. Le personnage de « Nico » va peut-être tuer « Lucie », mais certainement pas parce qu’elle est une femme. D’ailleurs, si « Nico » était homosexuel, il ne se comporterait pas différemment : il fliquerait son conjoint de la même manière. C’est le grand angle mort des violences conjugales : à côté de la proportion des femmes tuées par leur conjoint, combien le sont par leur conjointe ? A côté des hommes qui tuent leur femme, combien d’hommes tuent leur mari ?

À ne pas manquer, Jean-Paul Brighelli: Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus et le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes tombe de la Lune

En réalité, la rhétorique implicite du spot est très perverse : elle suggère un continuum logique entre la vision patriarcale du couple et la violence. « Nico » dit à « Lucie » qu’il n’est pas d’accord pour qu’elle reprenne le travail : la thèse de l’emprise affleure déjà, quand une autre interprétation peut être proposée ; les séances de préparation au mariage ne sont-elles pas justement l’occasion pour les futurs époux de confronter leur vision du couple et leurs représentations respectives sur des questions aussi fondamentales que le travail des femmes ? Si la maman de « Nico » ne travaillait pas, ne peut-on pas comprendre que « Nico » ait du mal à tolérer que Lucie ne se consacre pas exclusivement au foyer et mène une vie qu’il assimile, pour sa part, à celle de son propre père ? Peut-être le couple de « Nico » et « Lucie » est-il miné depuis le début par cette confrontation de deux modèles de familles divergents. Peut-être auraient-ils dû plus mûrement réfléchir leur union pour ne pas se trouver dans une situation conflictuelle.

La liste des sept péchés capitaux complétée

Le continuum logique s’applique de même au chef d’entreprise qui préfère favoriser une candidature (homme ou femme, on ne saura pas) moins risquée pour son entreprise que l’embauche d’une jeune mère fatiguée et peu disponible. Là encore, qu’y a-t-il de choquant, pire, qu’y a-t- il de potentiellement violent dans ce choix, exprimé d’ailleurs fort poliment par un chef d’entreprise qui prend le temps de rappeler la candidate et de la rassurer sur ses compétences?

Enfin, doit-on vraiment penser que tous les gamins mal élevés nourris au porno sont des meurtriers potentiels ?

Non seulement je ne vois pas où commence le sexisme dans ce spot, mais je ne vois pas pourquoi il se terminerait plus mal en tant que tel. Sexisme, féminicide: on croirait que la liste traditionnelle des péchés capitaux était incomplète; ou plutôt, on a l’impression qu’il faut lui en substituer un nouvelle, où la relation aux femmes devient critère déterminant. Pour ma part, je ne crois pas que quiconque tuerait une femme parce qu’elle est femme, sauf peut-être dans les pays où on noie les nouveau-nés de sexe féminin ; mais je sais que le meurtre est au bout de la colère, de la luxure, de l’orgueil et de l’envie. Et que l’on tue un homme ou que l’on tue une femme, ce qui me révulse, c’est que l’on tue un être humain.

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L’élégance de l’ancien pauvre

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France 3 diffuse ce vendredi soir à 21h 10 « Salvatore Adamo, ma vie, la vraie… », une rétrospective de sa carrière écrite par Patrick Jeudy et racontée par Daniel Auteuil.


Et si vous passiez, ce soir, deux heures en compagnie de Salvatore ?

Deux heures où les images en noir et blanc défilent dans un halo de nostalgie, où la chanson d’amour, désuète et essentielle à la compréhension de nos troubles intérieurs, produit un effet sur les cœurs les plus endurcis. Deux heures où la voix de Salvatore, charbonneuse et ensoleillée, ce fil tendu entre la Sicile et les terrils du Hainaut depuis tant de décennies, nous fait voyager dans nos souvenirs. Salvatore ne fige pas le passé, il ne le fossilise pas, il est l’un des rares chanteurs populaires à arpenter cette terre vaste que l’on nomme la mémoire. Il nous libère du poids des années sans oublier ce que nous fûmes. Il arrive sur scène, coiffé et cravaté, dans son costume sur mesure, impeccable, trop sage certainement à l’heure des yéyés. Il a été si bien élevé, alors, on ne se méfie pas de lui. Il ne grogne pas. Il ne bégaye pas à la manière de « Salut les copains ». Il ne massacre pas des guitares électriques sur scène en vantant les vertus des substances illicites. Il ne cherche pas à se faire passer pour un autre, plus révolté, plus libéré, plus moderne, plus équivoque. Il n’a pas besoin de paradis artificiels pour nous emporter ailleurs. Cependant, ne vous laissez pas abuser par sa transparence de façade, cet immigré aux belles manières ne porte pas la pauvreté comme un lourd fardeau ou un étendard démago, Salvatore ne se victimise pas, ne se flagelle pas, il chante indifféremment pour les gamins de la mine et la princesse Paola, pour les lycéennes japonaises et les groupies chiliennes, pour les garde-barrières ch’timi et les romantiques de Passy, sa musique, car il est auteur et compositeur, n’appartient à aucune classe sociale définie. Elle touche partout dans le monde, par l’intelligence de son innocence, la simplicité des choses vécues, là, cet amour qui s’enfuit, ce rendez-vous manqué, toutes les légères meurtrissures du quotidien, Salvatore les capture, en fait son lit et nous les restitue dans leur vérité virginale. C’est la définition même de l’art, un jet direct et prodigieux, une secousse qui ne se ment pas à elle-même.

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« D’inspiration sicilienne, elle est en mineur », il parle ainsi de son inspiration, « anodine et badine » ajoute-t-il, pour en atténuer l’écho. Sa modestie, parfois surjouée, ne nous trompe pas sur son intention première, cristalliser les cahotements des temps indécis. Quand « Tombe la neige » éclata à la radio en 1963/1964 et fit de lui, en un éclair, une vedette riche et assaillie par des centaines de jeunes filles, il y avait déjà dans ce tube planétaire les ferments de la mélancolie.

Ce slow désespéré et tendre est un cri dans la nuit ; à tous les âges de la vie, nous succombons à ce fado lancinant et poignant. La voix de Salvatore, ce torrent de rocailles, agit comme un détonateur, il révèle nos failles, les explose à la dynamite, nous met à nu et nous apaise. Nous ne pouvons retenir nos larmes. Ses paroles d’une sobriété jésuitique sont un appel à la résilience, à monter dans cet impassible manège. Salvatore, petit frère de Brel, redonne aux mots, leur force tellurique, l’onde du fracas est en lui. Il faudrait être sec et bien insensible pour ne pas chavirer au son de « Requiem pour six millions d’âmes » et à sa « Jérusalem coquelicot sur un rocher ». Lors de son Olympia 1965, le fils de puisatier devenu mineur, reçut la reconnaissance du métier. Le tout-Paris l’applaudit durant de longues minutes. Bruno Coquatrix veillait sur lui derrière le rideau rouge, Richard Anthony et Gilbert Bécaud l’embrassèrent à la fin de son tour de chant, Françoise Dorléac le couvait d’un doux regard, et Mauriac préparait déjà sa chronique enthousiaste du lendemain.

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Durant deux heures, Salvatore se livre sur sa carrière, un mot qu’il n’aime pas, sur ses parents, son frère et ses sœurs, ses enfants, sur le Liban, sur les incompréhensions d’Inch’Allah, sur une vie de rock-star dans la peau du gendre idéal, sur sa vie privée, sur la solidarité entre émigrés dans le Nord, sur son compatriote Arno disparu en avril 2022, sur les filles du bord de mer, sur l’essence même de sa musique. Alors, vous permettez Monsieur Adamo que l’on vous place très haut dans la chanson française.

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Le courage des planqués

En manifestant depuis des semaines, les Iraniens nous donnent une leçon de courage. Ici, de nombreuses vedettes soutiennent leur combat, un «engagement» sans risque. Quand auront-elles le cran de se révolter contre ceux qui menacent nos valeurs sur notre propre sol?


Labellisé respectable?

Faire correctement son métier, voire exceller dans ses activités, ne suffit plus. Quoi qu’on fasse, il convient désormais de se dire aussi « engagé » si l’on veut obtenir le label de respectabilité qui tient lieu de sésame social. Alors s’engager pour une juste cause ? Sans aucun doute, mais à condition de s’être auparavant désolidarisé de la troupe des « engagés » de tous bords qui occupent l’espace médiatique, et dont la bonne conscience militante alimente une rhétorique accusatrice. Car on ne s’engage réellement que si l’on se met soi-même « en gage », autant dire si l’on court un vrai risque. Or, que constate-t-on ? Que les engagements les plus risqués ne sont pas les plus spectaculaires, mais ceux qui consistent à ne pas céder au quotidien un seul pouce de terrain aux terroristes en tous genres, aux islamistes, aux adeptes de la cancel culture, etc. ; des engagements privés ou publics qui ont su garder intacte la flamme de la révolte qui brûlait dans le cœur d’Antigone, de Louise Michel, et des femmes iraniennes aujourd’hui prêtes à tout pour retrouver liberté et dignité.

Que risquent par contre les écolos qui vont dans les musées maculer des tableaux, sinon une amende et quelques heures de garde à vue ? Que risquent les engagés professionnels qui hantent depuis des décennies les zones de combat et surtout leurs périphéries ? Sartre l’avait  bien dit, que l’intellectuel se dédouanait ainsi d’être resté un petit (ou grand) bourgeois ! Miné par sa mauvaise conscience autant que par son impuissance, l’intellectuel a depuis lors il est vrai cédé le pas aux organisations humanitaires qui, elles aussi, se dédouanent d’enfreindre les lois en invoquant une solidarité qu’elles sont seules à penser universelle, et qu’on ne saurait remettre en cause sans être taxé d’inhumanité. Que risquent enfin les minorités qui se font entendre pour faire payer à leurs oppresseurs supposés la « différence » qu’elles pourraient assumer en toute indépendance et avec une fierté cette fois-ci légitime ?

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Mais en matière d’engagement sans conséquences, la palme revient aux people usant de leur notoriété pour voler au secours de ceux des opprimés qu’ils jugent respectables. Ainsi en fut-il du spectacle récemment offert par les vedettes du show-biz se coupant devant les caméras une mèche de cheveux – la plus petite et la moins visible possible ! – en signe de solidarité avec les femmes iraniennes. Se seraient-elles tondues qu’on aurait peut-être commencé à les prendre au sérieux, au risque, il est vrai, de leur prêter une soudaine aspiration à la vie monastique peu compatible avec leur statut de star, ou de ranimer le très mauvais souvenir de femmes livrées à la vindicte populaire. Mais enfin la question se pose : comment, sans se couvrir de ridicule ou se payer de mots, se montrer réellement solidaire d’une cause qu’on pense juste mais dont les tenants et aboutissants nous échappent ? Car enfin, le régime des mollahs, c’est le peuple iranien qui l’a voulu, même si la jeunesse d’aujourd’hui n’en veut plus et si les femmes sont prêtes à risquer leur vie pour sortir dans la rue tête nue ! Comment une culture plusieurs fois millénaire d’une aussi exceptionnelle richesse que celle de l’Iran en est-elle arrivée à ce suicide collectif ?

Un bouclier théâtral loin du vrai courage

Il ne suffit donc pas de faire savoir à ces femmes que nous sommes solidaires de leur combat pour effacer les ambiguïtés de l’Histoire, car la liberté de vivre à l’occidentale pour laquelle elles se battent leur fut octroyée sous le règne du Shah, jugé par ailleurs haïssable. La complexité de la situation iranienne montre que, si nos fameuses « valeurs » permettent à court terme de briser les chaînes, elles ne constituent pas forcément à plus long terme un idéal désirable au regard d’une culture comme celle de l’Iran ou de l’Afghanistan[1]. Une leçon de solidarité nous est en retour donnée par cette femme afghane que nous voyons, dans un documentaire diffusé par Arte[2], sortir seule la nuit dans Kaboul pour distribuer des tracts, non sans avoir cité, pour se donner du courage le nom de Sophie Scholl[3]: ce qu’elle a fait, je peux aussi le faire ! Quel collégien français endoctriné par le wokisme sait aujourd’hui qui était Sophie Scholl, et ce que fut La Rose blanche en matière d’engagement total contre le nazisme ? Cette femme afghane le savait, sans avoir à évoquer nos « valeurs », mais parce que le courage, qui donne la force de se révolter, crée aussi les vraies solidarités.

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On ne peut donc exclure qu’à force de « s’engager » pour un oui et pour un non, on se dispense d’avoir un jour à se révolter pour de bon. Le différend idéologique qui opposa Jean-Paul Sartre et Albert Camus dans les années 1950 n’a en ce sens jamais cessé d’être d’actualité ; l’un prônant l’engagement des intellectuels en dépit de leur situation ambiguë et de son peu d’efficacité, et l’autre cherchant à ranimer la flamme de la révolte dans les esprits les plus blasés (L’Homme révolté, 1951). S’il est vrai, comme le pense Camus, que le révolté est celui qui ose un jour dire « non », et effectue la volte-face qui met sa vie en danger, alors il est clair que nous sommes tout sauf des révoltés et que « l’engagement » tend à devenir le paravent, le bouclier théâtral derrière lequel nous abriter. On nous dira sans doute qu’il est mieux de s’engager que de ne rien faire, et qu’on fait ce qu’on peut avec les moyens dont on dispose. Alors faisons-le d’abord localement, là où l’engagement a des chances de porter ses fruits, et manifestons notre solidarité avec toutes les femmes muselées par l’islamisme radical en ne le laissant pas gangrener la France où les plus menacées d’entre elles pourront alors, si elles le souhaitent, trouver refuge. Qu’aurons-nous à leur offrir si nous sommes nous-mêmes réduits au silence ?

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[1] Cf. Daryush Shayegan, Schizophrénie culturelle : les sociétés islamiques face à la modernité (1989).

[2]  Patrick de Saint-Exupéry et Pedro Brito da Fonseca, Afghanistan : un an après la prise de pouvoir par les talibans, documentaire de visible en replay sur Arte.

[3] Étudiante à l’université de Munich, Sophie Scholl (1921-1943) a été guillotinée avec son frère Hans pour avoir fondé le groupe dissident La Rose blanche et distribué des tracts invitant à la résistance contre le nazisme.

De quoi le rejet de la réforme des retraites est le nom

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Le rejet de la réforme cristallise en lui le manque de confiance des citoyens envers les élites, la déshumanisation du travail, l’évolution des mentalités des jeunes générations quant au rapport au travail, et surtout l’absence de projection vers l’avenir. L’analyse de Céline Pina.


Et si le rejet de la réforme des retraites révélait le malaise très profond de notre société ? La mobilisation exceptionnelle qui a eu lieu dans les villes moyennes est une donnée qui semble l’attester et rappelle le surgissement des gilets jaunes. Certes, l’analyse la plus répandue du phénomène met l’accent sur une évolution des mentalités et du rapport au travail des jeunes générations. Ceux-ci seraient trop hédonistes pour ne voir dans le travail autre chose qu’une contrainte.

Les Français ont du mal à confier la réforme du système de sécurité sociale à des élites qu’ils voient comme n’ayant aucun rapport avec l’intérêt général

Mais d’autres alertent sur la dimension existentielle de la crise qui se profile. Et si derrière le rejet de cette réforme que le président Macron voudrait emblématique de son quinquennat, on trouvait encore en filigrane cette gestion purement technocratique qui fait de l’adaptation à la globalisation l’alpha et l’oméga de l’action politique alors qu’elle ne porte aucun projet d’avenir, fait exploser les inégalités et ramène la guerre à nos portes ? Exiger des sacrifices sans offrir de perspectives et le faire avec arrogance du haut d’une position privilégiée, voilà comment agissent les promoteurs de cette réforme. Les classes moyennes, elles, se voient être l’objet d’une disparition programmée ; le creusement des inégalités passant par leur destruction. Les crispations que suscite la réforme n’ont donc rien de déraisonnable.

Le travail n’est plus l’accession à l’indépendance

C’est en cela que l’opposition à cette réforme possède une dimension existentielle et c’est cela qu’expriment clairement Christophe Guilluy et Jean-Pierre Le Goff dans des entretiens au Figaro [1], mais aussi Alain Supiot, spécialiste des questions du travail. La première question qui est posée dans ce cadre est celle du sens du travail. Pour nombre de générations, la première vertu du travail était l’accession à l’indépendance, à une forme de maîtrise de sa vie et de ses choix. Une problématique encore plus accentuée pour les femmes.

On était adulte quand on accédait à cette indépendance. Le salaire était important, pas parce qu’il permettait d’accéder à une logique de consommation ostentatoire, mais parce qu’il vous permettait d’exercer réellement votre libre arbitre. Cette dimension paraît avoir totalement disparu des débats. Pourtant elle explique la difficulté de nombre de travailleurs à investir leur emploi : quand le salaire ne permet pas de mettre sa famille à l’abri et que les erreurs stratégiques de vos dirigeants vous empêchent de vous projeter dans le futur ou font que ces projections sont sombres et teintées d’inquiétudes, il est difficile de souscrire à la énième réforme qui vous ampute de quelques avantages.

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Le contenu de cette réforme est donc moins en cause que le contexte général dans laquelle elle intervient et la médiocre légitimité de ceux qui la portent. Elle éclaire aussi sur les conséquences d’un monde du travail où la déshumanisation est vue comme une bonne pratique de gestion. Quand les hommes sont considérés comme des pions et que les process remplacent les compétences, le travail n’aide plus à construire un homme en lui faisant prendre conscience de ses capacités, de ses compétences et de son utilité sociale. Il ne participe plus à donner la mesure d’une vie d’homme, mais permet la transformation de l’humain, en simple outil, en objet. Et si c’était aussi cela que fuyait la jeune génération et que ne comprennent pas nos élites biberonnées à la statistique et aux bilans comptables ?

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Jean-Pierre Le Goff. Photo : Hannah Assouline.

Le refus des élites de se remettre en cause

Le constat d’échec d’élites déconnectées de la réalité de leur pays, incapables de tracer un chemin pour une nation, qui prennent le pouvoir en s’appuyant sur des clientèles ciblées et le gardent malgré leur absence de capacité à fédérer et à proposer parce qu’elles diabolisent tout adversaire et toute contestation, a abîmé l’idéal démocratique. Que ce soit pour Christophe Guilluy et Jean-Pierre Le Goff, les Français ont du mal à confier la réforme du système de sécurité sociale à des élites qu’ils voient comme n’ayant aucun rapport avec l’intérêt général et totalement détachées de la notion de bien commun. Une majorité de Français ne voit plus ses représentants comme ceux du peuple, au service des intérêts de la France, mais comme les bénéficiaires d’un système néolibéral qui détruit leur modèle social et culturel pour ne servir que leurs intérêts personnels et de classe. Cette défiance creuse même quand les partisans de la réforme pensent sincèrement qu’il s’agit d’un moindre mal et sont persuadés d’agir en ce sens.

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Les crises qui s’accumulent (désindustrialisation, crise énergétique, crise sécuritaire, crise alimentaire, crise environnementale, crise économique, crise sanitaire) s’expliquent en grande partie par les choix idéologiques d’élites qui aujourd’hui refusent de se remettre en cause et qui face à leurs échecs expliquent au contraire qu’il faut encore augmenter la dose du poison. Or leur soumission à la logique néolibérale n’a pas seulement détruit notre capacité à produire de la richesse et à la redistribuer, mais a également abîmé notre modèle culturel et détruit la conscience collective qui faisait de nous un peuple, discutailleur et chamailleur certes, mais qui avait encore le sentiment d’être un peuple. Et ce sont les mêmes qui ont causé ce désastre qui aujourd’hui imposent leurs remèdes de Diafoirus. Mais si cette analyse est juste, alors ceux qui envisagent d’apporter leur soutien à cette réforme ne feront pas passer un message de responsabilité au-delà des clivages politiques. Ils enverront au contraire un message clair à cette majorité de Français qui ne vote plus et ne se sent plus en lien avec ses représentants : entre la volonté d’incarner le peuple et de proposer des réformes qui, pour dures qu’elles soient sur le moment, s’inscrivent dans un projet commun, ils ont choisi la connivence des privilégiés. À la nation, ils auront préféré la gestion de leur part de marché clientéliste : c’est précisément ce qui est en train de rompre le lien démocratique.

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[1] Christophe Guilluy, « Les classes moyennes ne croient plus et n’écoutent plus ceux qui les dépossèdent », entretien avec Vincent Trémolet de Villers, 22 janvier 2023 et Jean-Pierre Le Goff, « La société de consommation et de loisir a bouleversé le rapport au travail », entretien avec Vincent Trémolet de Villers, 18 janvier 2023.

Marc Menant: «Vive la voiture !»

Avec une voiture, on a d’abord un rapport physique. Et au volant d’un bolide de course, on conduit avec ses tripes. On met à l’épreuve ses propres limites, autant que celles du moteur, pour faire l’expérience de la démesure. Souvenirs.


Objet culte, la voiture fait son apparition dans les années 1870. À Amédée Bollée, fondeur de cloches au Mans, reviennent l’honneur et la joie de la première apparition publique aux commandes d’une voiture de 12 places, « L’Obéissante », propulsée par la vapeur. En 1875, avec un nouveau prototype, « La Mancelle », il parcourt Le Mans-Paris-Le Mans, soit 500 km, en dix-huit heures, exploit authentifié par 75 procès-verbaux. Hors-la-loi, Bollée, la réglementation n’autorisait que la circulation de véhicules tirés par des chevaux ! En 1878, il produit et vend quarante « Mancelle ». La concurrence surgit immédiatement : Panhard, Levassor, Peugeot, de Dion-Bouton. En Allemagne, Daimler et Benz créent le moteur à essence. En France, Gustave Trouvé invente le moteur électrique et le 29 avril 1890, à Achères près de Paris, le Belge Camille Jénatzy, au volant d’une voiture électrique, « La Jamais contente », atteint 105,882 km/h.

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L’auto égaye la vie

Bien que réservée à une élite, la voiture, en quelques décennies, brise le carcan originel, horizon circonscrit à une centaine de kilomètres aux alentours du village. La voiture, c’est l’évasion, les voyages, la liberté et une nouvelle fraternité avec les autostoppeurs en resquille d’aventures, pouce levé en bordure de route comme sur la mythique nationale 7.

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Qu’elle soit rutilante limousine, rugissante sportive, grinçantes ferrailles, la bagnole vaut le coin de paradis pour les élans d’amour ou les clandestines cabrioles. L’auto égaye la vie, soulage nos servitudes et, puis, il y a le plaisir incommensurable que tout adolescent attend, impatient : conduire ! Prendre le volant à pleines paumes, corps en épousailles du châssis, sentir le précaire équilibre de la tenue de route, tripes au diapason des vibrations, oreilles à l’affût du vrombissement du moteur pour le soulager d’un prompt passage de vitesse et, au fur et à mesure, raccourcir les distances de freinage. Toutes mes années de gosse, calé sur le siège derrière mon père, j’ai mimé les gestes décrits dans une revue de sport auto par John Surtees, champion du monde et vainqueur des 24 heures du Mans. M’en germa la folie de devenir pilote. Déterminé au point de jurer de ne jamais boire la moindre goutte d’alcool, de ne jamais fumer une cigarette et de m’astreindre à une gym quotidienne. Ascétisme précoce et jubilatoire qui forgea ma volonté et gouverne encore ma vie.

Les 24 Heures du Mans 1976. D.R

La voiture, compagne d’aventures

Par deux fois, en 1979 et 1986, j’ai couru les 24 heures du Mans. Instants magiques, paroxysmiques, qui me placent dans le camp des irréductibles défenseurs de la voiture et des courses auto, convaincu que c’est par les défis de l’extrême que l’homme taquine la transcendance. Bien plus qu’un moyen de déplacement, la voiture propulse l’homme dans une autre dimension, monde de sensations uniques, vertigineuses, bastringue de la démesure, tutoiement du sublime… L’apothéose pour l’audacieux, c’est le dépassement des 350 km/h au milieu des arbres dans la ligne droite des Hunaudières sur le circuit du Mans, temple de la déraison, 13,5 km de folie ouverts aux champions. J’ai obtenu le sésame par dérogation, grâce à mes performances sur une monoplace à l’école de pilotage de Magny-Cours et une quatrième place aux 24 heures du Castelet pour mon baptême en compétition. Mais à mon arrivée au circuit, les chocottes, les vraies, carambolent mon euphorie. Horreur, cauchemar, jamais je ne serai capable de piloter le bolide que je découvrais à moitié désossé, entrailles auscultées par une nuée de mécaniciens. Pas un ne lève la tête quand le patron de l’écurie me présente. Mon crâne baratte le noir jusqu’aux essais qualificatifs. Une fois passée la combinaison, magie de l’habit, l’angoisse se dissipe, je me sens élu des dieux, impatient de me glisser dans la 47 d’où s’extrait Jean-Philippe Grand, l’un de mes deux coéquipiers. « Elle va vraiment bien, aboie-t-il une fois son casque retiré, elle est un peu vive en courbe mais on la tient à petites touches », le tout accompagné d’une tape fraternelle sur l’épaule. Me voilà seul face à mon rêve : obtenir ma qualification. J’infiltre des boules antibruit dans les oreilles, enfile la cagoule pare-feu, puis mon casque et me glisse au volant à ras du sol. Un mécano abat la portière et m’emprisonne dans le cockpit. L’espace est si étroit qu’une main ne pourrait passer entre le toit et mon casque. J’appuie sur le démarreur, les 550 chevaux mugissent, tintamarre d’enfer, j’enclenche la première, la 47 jaillit en léger travers, je la rattrape au contre-braquage, deuxième, troisième, je fuse dans la grande courbe Dunlop, plonge dans la descente vers les S d’Indianapolis, déboule vers la gauche, freine trop tôt, deux voitures me sautent et contrarient ma plongée à la corde, légère glissade, rattrapage par petits coups de volant, la 47 obéit, j’accélère, jaillis dans la fameuse ligne droite… cinquième, sixième… 280… 300… 310… holà !… que se passe-t-il ?… je louvoie droite, gauche, je soulage, au tour suivant, l’emballement reprend, je l’ignore, il faut que je reste à fond pour me qualifier… droite-gauche, la gigue s’amplifie, une voix me crie de lever le pied, je l’occulte, pas question de mollir, sinon, adieu la qualif, pied à fond… plus de 300… la piste rétrécit, suis comme propulsé dans un entonnoir, c’est l’effet tunnel… le chaloupage s’accroît… Reste à fond… 320… la dérive se stabilise à un mètre d’amplitude… 340… 350… je catapulte dans la grande courbe… j’exulte, sens exacerbés, en fusion avec la 47… j’enchaîne les virages en extralucide, deux tours suffisent à ma qualification. Retour au stand sous les ovations, les mécaniciens radieux m’agrippent, m’extirpent de mon baquet, me voilà brinqueballé aux accolades et embrassades. Félicité ! Elle se renouvelle le dimanche quand Jacques Goudchaux, mon deuxième coéquipier, franchit la ligne à la 13e place au classement général.

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Comment après de tels frissons, ne pas dégorger à pleins poumons : « Vive la voiture ! » C’est en offrant aux jeunes l’opportunité de telles démesures qu’on leur inocule le goût du surpassement et leur évite l’avachissement. Gnognotte, le CO2 dégagé par les autos, de l’infinitésimal en comparaison de toutes les consommations inutiles. Et, puis, cette obsession du CO2 est-elle si légitime au regard de ce que l’on sait de l’histoire du climat ? Défions-nous des experts et de leurs suppôts écolos, prosélytes par ailleurs, du multiculturalisme, de l’indigénisme, du néoféminisme et de toutes les délétères fragmentations. Oui au doute, non, à la dictature des certitudes !

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«Populiste, moi? J’assume!»

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Il ne faut pas avoir honte du populisme judiciaire !


Rien que le mépris dont les médias distingués et les élites à l’abri accablent le populisme judiciaire me donnerait envie de le défendre, mais il y a plus à dire en sa faveur…

Quand je lis ce titre du Monde – « Face au populisme judiciaire, le monde de la justice inquiet » – et l’article qui suit, avec une sélection très précautionneuse d’un ministre, de magistrats (Denis Salas) et d’avocats (Patrice Spinosi) accordés sur le danger que représenterait le populisme pénal, je suis naturellement conduit à m’interroger sur cette manière de présenter les pièces d’un procès dont la cause est entendue avant même le moindre débat.

Et sans que la plupart soient à même d’expliciter cette notion entrée dans le langage courant et dont ils abusent.

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Les exemples donnés de « populisme judiciaire » montrent bien cette facilité qu’on s’octroie et qui consiste à juger scandaleuse toute aspiration à une justice plus répressive.

On se sert d’un extrémisme et d’une outrance rares – ainsi ceux de Cyril Hanouna qui mérite cependant d’être écoutés et questionnés – pour fustiger des revendications dont l’excès signerait leur prétendue indécence.

Le laxisme de la justice questionné

Pour l’essentiel, que de poncifs ornés d’humanisme !

Pourtant toutes les personnes interrogées par le Monde ont-elles raison quand elles affirment que « la justice n’est pas laxiste » ? Si, globalement, elle ne l’est pas, on peut cependant faire état de multiples exemples qui permettent de comprendre l’émoi, voire l’indignation civiques à la suite de certains jugements ou arrêts. Je ne suis pas persuadé que les théoriciens d’une justice qu’ils s’acharnent à voir conforme à leur idéal de fermeté très relative soient les mieux placés pour fustiger tous ces citoyens « populistes ».

Considérer que dans le procès pénal la cause de la victime et son écoute ne doivent pas être exclusives est une évidence. Mais de là à leur dénier un rôle fondamental dans l’élaboration de la sanction à venir, cela relève d’une absurdité qui n’est destinée, à nouveau, qu’à déplacer le point d’équilibre de l’audience criminelle vers l’accusé.

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Invoquer par ailleurs la surpopulation carcérale pour battre en brèche l’idée du laxisme de la justice n’est pas un argument décisif. Cette trop forte densité ne démontre rien d’autre que la nécessité de construire vite de nouvelles places d’enfermement. Cette erreur d’analyse est la conséquence directe du discrédit qu’on attache par principe à l’incarcération, en mesurant mal qu’elle est rendue obligatoire pour les délits graves et les crimes. Ils ne sont pas commis à cause d’elle mais malgré elle.

La prison de La Talaudiere (Saint Etienne) dans le département de la Loire, photographiée en 2019 © KONRAD K./SIPA Numéro de reportage: 00933744_000026

Sur un autre plan, se moquer des 61 % des personnes interrogées (étude annuelle Kantar Public-Epoka pour Le Monde et Franceinfo) parce qu’elles estiment que « la justice n’est pas assez sévère avec les petits délinquants » n’est pas non plus une attitude convenable. Alors qu’on peut soutenir que dans le cadre d’une politique pénale cohérente, une répression correctement ciblée sur les « petits délinquants » serait au contraire une pratique souhaitable.

La majorité ordinaire abandonnée

Je pourrais faire référence à d’autres débats qui tourneraient systématiquement en dérision le « populisme judiciaire » qui au fond n’est que l’attente impatiente d’une autre justice et le sentiment angoissé que l’actuelle n’est pas à la hauteur de ce qui sourdement ou de manière explicite surgit des tréfonds du pays.

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Il me semble qu’une explication ayant du sens éclaire au moins partiellement le mépris politique et médiatique à l’encontre de ce « populisme pénal », très souvent assimilé à ce que ses adversaires appellent la démagogie du RN. On a l’impression, à entendre de multiples réactions parlementaires ou autres, qu’on rend sans le vouloir un hommage équivoque au RN en le constituant comme porte-parole du « populisme ». Une perception plus fine pourrait au contraire désigner comme groupe dominant de ce populisme, cette « majorité ordinaire » qu’évoque Christophe Guilluy et peu ou prou abandonnée par le pouvoir.

« Les attaques contre les fondements du droit, les gens de justice – avocats et magistrats – y sont habitués. Mais leur généralisation les inquiète » : cette généralisation, à la supposer exacte, ne vient pas de nulle part. D’abord, pour le commun, de la démonstration trop souvent décourageante de l’impuissance de l’État de droit classique. Quand l’insécurité augmente et prend des formes de plus en plus violentes et précoces, la faiblesse de nos dispositifs de protection traditionnels, mal adaptés à aujourd’hui, saute aux yeux pour peu qu’on veuille les garder ouverts. Ensuite, si le populisme judiciaire est une plaie de la République, que magistrats et avocats fassent leur examen de conscience : ne sont-ils pas, à des titres divers, directement responsables de ce qu’ils s’imaginent combattre ? L’aristocratisme pénal est le pire remède au populisme : il le valide au lieu de le réduire.

Des Grands Boulevards à l’Orient, les Kurdes, un peuple sans terre

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Les Kurdes sont revenus sous les feux de l’actualité à la suite de l’attentat de la rue d’Enghien. Mais la question kurde existe depuis bien longtemps et ne trouve pas encore de solution. Une guerre sans fin qui déstabilise le nord du Moyen-Orient. Tigrane Yegavian a répondu aux questions de la revue Conflits. Propos recueillis par Louis-Marie de Badts.


Tigrane Yegavian est chercheur au CF2R (Centre Français de Recherche sur le Renseignement).

Conflits. À la sortie de la Première Guerre mondiale, le traité de Sèvres reconnaissait aux Kurdes le droit de se constituer en nation indépendante. La période entre-deux-guerres fut baignée de sang. C’est de là que part tout le problème kurde, mais qu’en est-il aujourd’hui, après près d’un siècle de conflits et de tension ?  

Tigrane Yégavian. Il faut bien comprendre que les Kurdes forment la plus grande nation sans État au monde. Ils seraient aujourd’hui entre 30 et 40 millions répartis entre la Turquie (20 millions de Kurdes), l’Iran, l’Irak et la Syrie (respectivement 12, 8,5 et 3,6 millions). Ces quatre pays entretiennent des relations orageuses, mais s’accordent néanmoins sur la nécessité d’empêcher l’émergence d’un État kurde indépendant.

Depuis août 1920, les Kurdes entretiennent un profond sentiment d’injustice. Les Occidentaux leur avaient promis à cette période qu’ils auraient un État, sur un territoire qui aujourd’hui se trouve au sud-est de l’actuelle Turquie et empiète au nord de l’Irak.

Les Kurdes n’ont pas vraiment leur place en Turquie et ne s’y assimilent pas. Aux yeux d’Ankara, la question kurde est un problème de sécurité nationale, car dans le cas où les Kurdes obtiendraient leur autonomie, le processus d’indépendance serait irrémédiablement enclenché. La Turquie devrait craindre son propre démembrement pour éviter un nouveau « traité de Sèvres » (1920) qui avait scellé la disparition de l’Empire ottoman et fracturé la Turquie anatolienne.  Il est cependant intéressant de noter que depuis 2012, les Kurdes possèdent une certaine autonomie en Syrie, mais Damas n’a pas l’intention de la rendre durable.

De son côté la guérilla du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) est engagée dans l’action armée depuis 1984, avec au départ un programme visant à l’indépendance du Kurdistan et l’instauration d’un régime marxiste-léniniste, d’inspiration stalinienne. L’organisation a fait sa mue après l’arrestation de son leader Abdullah Ocalan en 1999. Elle défend à présent un système d’autonomie inspirée de la théorie du penseur marxiste libertaire américain Murray Bookchin, décédé en 2006. Depuis, le PKK s’est donné comme objectif de fonder la première société qui établirait un confédéralisme démocratique inspiré des réflexions du théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire, en encourageant une forme de féminisme, inédite au Moyen-Orient. C’est notamment le cas dans le nord-est de la Syrie. Mais derrière son discours démocratique, le PKK (et sa franchise syrienne du PYD) mène un maillage des territoires qu’il contrôle et ne tolère que les forces politiques qui lui sont soumises.

Il faut vraiment comprendre qu’il existe de vraies divisions au sein du peuple kurde. Il ne faut pas les confondre entre eux : religion, politique, ethnies. Et ces divisions ne font que s’accentuer avec le temps.

La diaspora kurde fait aujourd’hui beaucoup parler d’elle, mais dans quelle mesure croit-elle encore à son projet d’indépendance ? N’est-il pas devenu utopique ?

Le problème actuel kurde c’est qu’il n’y a pas de leadership trans-national. Abdullah Öcalan, fondateur et chef du parti des travailleurs du Kurdistan, est en prison en Turquie. Son œuvre est limitée parce qu’il ne peut pas fédérer tous les Kurdes, car un clivage existe entre islamistes et nationalistes, mais il n’est malheureusement pas suffisamment étudié. Par exemple, certains Kurdes sont membres de Daech tandis que d’autres dont on ne parle pas assez, soutiennent Erdogan, en Turquie et même en Allemagne. Il est aussi important de savoir que le chef des services secrets turcs est d’origine kurde, Hakan Fidan, un proche d’Erdogan. Fidan est un Kurde originaire de Van qui parle cette langue lorsqu’il négociait avec des cadres du PKK. Il est essentiel de comprendre que l’on a affaire à une nébuleuse politique. Les Kurdes n’ont pas vraiment de …

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Guerre russo-ukrainienne: le char seul ne gagne pas la guerre

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Un soldat ukrainien dans le Donbass, 15 janvier 2023 © SOPA Images/SIPA

Les Ukrainiens s’équipent de chars Leopard de fabrication allemande, technologiquement supérieurs aux tanks russes qu’ils vont rencontrer sur le champ de bataille. Mais dans l’orchestre militaire le char ne joue pas tout seul.


Depuis quelques semaines, la couverture médiatique de la guerre en Ukraine met le char au centre de l’attention. Engin prioritaire dans la liste de courses et la communication ukrainiennes, place d’ailleurs que le char a ravie à la fin de l’année précédente aux systèmes sols airs Patriot et autres, il fait que le débat public s’est focalisé sur l’objet « MBT » (main battle tank ; char de combat) comme s’il s’agissait d’une voiture ou d’une moto.

Performances, modèles, prix, les éléments mis en avant n’ont pas permis d’aborder la seule question qui compte : quelle influence pourraient avoir les chars occidentaux (américains, allemands et français) sur les champs de batailles ukrainiens et plus encore sur l’évolution de la guerre ?

Il est intéressant d’apporter à ce débat quelques contributions du côté russe, notamment celle de Ruslan Pukhov. Pukhov a eu droit à son quart d’heure de gloire en octobre dernier quand, lors d’une interview en direct sur la chaine RBK TV, il a dit que « les munitions de rôdeurs russes [les drones, ndlr] utilisées par la Russie sont d’origine iranienne », ajoutant que « nous savons tous qu’elles sont iraniennes, mais les autorités ne le reconnaissent pas ». Directeur du Centre d’analyse des stratégies et des technologies (CAST) basé à Moscou, membre du Conseil public du ministère russe de la Défense, ancien DG de l’Union des armuriers russes qui représente les fabricants russes d’armes légères, Pukhov n’est pas un dissident et jouit à la fois d’une légitimité et d’une certaine liberté de parole, privilège de ceux dont la fidélité au pouvoir n’est pas en question, à condition, bien sûr, de ne pas exagérer. Ce qu’il écrit est donc important pour ceux qui souhaitent comprendre le point de vue russe.

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Dans une interview accordée au quotidien Moskovski Komsomolets, Pukhov affirme que la livraison de chars Abrams à l’Ukraine pourrait aggraver sérieusement la situation des forces russes. Selon lui, même les variantes d’exportation (Abrams est un nom de famille) du char américain sont nettement meilleures que les chars russes en service ou en production de série (c’est-à-dire en dehors du T-90M, qui n’est pas en production en série). Les chars russes déployés en Ukraine, continue Pukhov, utilisent des munitions de l’ère soviétique, suffisantes, à courte distance, contre les chars T-64, T-72 et T-80 [au service de l’armée ukrainienne], mais le problème est que les chars des pays de l’OTAN pourraient les atteindre à distance et les mettre en grande difficulté. Il ajoute que la Russie manque d’un ATGM (anti-tank guided missile) de 3ème génération comme le Javelin américain au service de l’armée ukrainienne. Les forces russes n’ont pas assez des Kornet, l’ATGM russe le plus moderne, et doivent se débrouiller avec des systèmes anciens comme le Konkur et le Fagot, de qualité très inférieure. En conclusion, il note qu’il est peu probable que 30-50 chars changent radicalement la situation, mais qu’en revanche 200-300 pourraient constituer un facteur opérationnel important. La solution, à ses yeux, est la fabrication rapide de systèmes antichars en Russie et leur déploiement.

A cette analyse il faut rajouter une dimension. Comme nous avons pu le constater pendant la campagne de France en 1940 ainsi que pendant l’offensive russe au nord de l’Ukraine, ce n’est pas le char en tant que tel qui fait la différence mais la manière dont il est utilisé. C’est le combat combiné ou interarmes qui permet aux qualités techniques du char de s’exprimer pleinement. Sans logistique, le char ne va pas loin et surtout ne revient pas. Sans défense antiaérienne et le soutien de l’aviation, le char et ses échelons logistiques sont vulnérables. Sans artillerie et sans fantassins, le char est une proie facile pour les missiles antichar et l’artillerie ennemis. En mars 2022 c’est l’artillerie ukrainienne qui a causé le plus des pertes aux blindés russes. Enfin, sans système de guerre électronique, d’interception de communication, de C3 (commande, contrôle, communication) et sans drones, les unités blindées sont aveugles et mal dirigées. 

Mais la technologie n’est pas tout. Une armée, dont les forces sont rompues au combat interarmes (doctrine, équipement, formation, entrainement), équipées de systèmes d’armement qui ne sont pas « dernier cri », se révèle plus performante qu’une armée disposant des systèmes les plus modernes mais mal coordonnés et incapables de produire une synergie. Dans ce domaine, les Ukrainiens se sont montrés bons élèves de l’OTAN et leurs planificateurs et chefs militaires savent manier le combat interarmes à un certain niveau. Enfin, leur organisation est plus souple, leur commandement uni et la qualité de leurs hommes en moyenne bien meilleure. Côté russe, faire face à un matériel supérieur n’est pas en soi un problème insurmontable. Les militaires russes connaissent leurs chars depuis longtemps, et les chaines logistiques, de l’usine jusqu’aux champs de batailles, existent. Un savant mélange d’éléments tactiques et de puissantes concentrations de force pourrait ainsi neutraliser les avantages technologiques. Mais comme toujours, pour faire un bon orchestre il faut beaucoup plus que des instruments de musique de qualité et des bons musiciens…                                           

Zone de confort écolo

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D.R

Les « zones à faibles émissions » seront imposées dans toutes les agglomérations d’ici 2025. Objectif: bannir les vieilles bagnoles des centres-villes. Tous les Français ne pouvant s’offrir une voiture « propre » seront donc interdits de circulation. Pas sûr que la France qui roule au diesel et fume des clopes se laisse faire sans broncher.


Si le sigle ZFE ne vous dit rien, un peu de patience, vous allez en souper. Ces « zones à faibles émissions » (ZFE ou « ZFE-mobilité »), c’est-à-dire des zones interdites aux vieilles bagnoles, se mettent petit à petit en place. Lorsqu’elles seront pleinement en fonction, des millions de Français, trop pauvres pour se payer une électrique, seront purement et simplement interdits de centre-ville.

Née en Suède en 1996, la ZFE est adoptée dès 2003 par le Royaume-Uni. En France, la loi d’orientation des mobilités (LOM) du 26 décembre 2019, et la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 imposent la mise en place de ces zones avant le 1er janvier 2025 dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants.

Danger sanitaire

Selon le gouvernement, il s’agit de nous protéger des effets néfastes sur notre santé des particules fines (PF), une catégorie de particules en suspension dans l’air ambiant. Leurs dimensions et leur persistance durable à l’état d’aérosols leur permettent de s’infiltrer en profondeur dans les voies respiratoires. Selon leur degré de concentration et de toxicité, elles peuvent provoquer des pathologies plus ou moins graves.

Les données supposées légitimer les ZFE sont très alarmantes. En mars 2014, l’Organisation mondiale de la santé estime que la pollution aux PF aurait causé 7 millions de morts prématurées en 2012 dans le monde et, en 2016, l’Agence nationale de santé publique affirme qu’elle est responsable d’au moins 48 000 morts prématurées annuelles en France. Une partie significative de cette mortalité est attribuée aux particules émises notamment par les véhicules à moteur diesel. Ainsi peut-on lire dans Le Monde du 27 février 2019 : « Avec 48 000 morts par an, l’exposition aux particules fines peut réduire l’espérance de vie de deux ans dans les villes les plus polluées, selon une étude de 2016. » En 2022, Santé publique France réévalue l’impact de la pollution atmosphérique sur la mortalité annuelle en France métropolitaine pour la période 2016-2019. Il en ressort que chaque année, près de 40 000 décès seraient attribuables à une exposition aux PF des personnes âgées de 30 ans et plus, qui subiraient une perte d’espérance de vie moyenne de près de huit mois.

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Ces données interrogent, car la mortalité a baissé de plus de 20 % avant la mise en place des ZFE (à part l’expérience parisienne). Concernant Paris, l’ORS (Observatoire régional de santé) Île-de-France a publié le 10 février 2022 des données montrant qu’entre 2010 et 2019, le nombre annuel de décès attribuables à l’exposition prolongée aux particules fines est passé de 10 350 à 6 220 (une baisse de 40 %). Dans ces conditions, on peut d’autant moins attribuer ces résultats à l’introduction de la ZFE en 2015, qu’elle n’est que très moyennement respectée à ce jour.

Les recherches scientifiques en santé publique reflètent cette interrogation. Ce que constate le Journal of Medical Toxicology[1] : « Les données démontrent une relation dose-dépendante entre les PF et les maladies humaines, et l’éloignement d’un environnement riche en PF diminue la prévalence de ces maladies. Bien que des études supplémentaires soient nécessaires pour élucider les effets de la composition, de la chimie et de l’effet des PF sur les populations sensibles, la majeure partie des données montre que l’exposition aux PF entraîne une augmentation faible mais significative de la morbidité et de la mortalité humaines. »

Évidemment, tout le monde peut s’offrir une nouvelle voiture !

Aujourd’hui des ZFE existent déjà dans une dizaine de métropoles (parmi lesquelles Lyon, Strasbourg, Toulouse, Nice, Marseille, Montpellier, Rouen), mais l’automobiliste impénitent qui n’a pas eu le bon goût de se payer une nouvelle voiture bénéficie encore d’une tolérance. Les verbalisations pour non-respect des restrictions de circulation dans les ZFE tomberont dès la fin de l’année 2024.

Concrètement, comment fonctionnent-elles ? À la base du système se trouve le certificat qualité de l’air (« Crit’Air »), délivré à partir de la carte grise du véhicule, qui atteste de son niveau d’émission de polluants. Tous les véhicules routiers motorisés sont concernés. Ainsi, chacun devra afficher un autocollant coloré (la vignette ou pastille Crit’Air), qu’on pourra commander en ligne.

Instaurée en France en juin 2016, la vignette Crit’Air visait à différencier les véhicules en fonction de leur âge et des normes de pollution auxquelles ils répondent. Les véhicules les moins polluants obtiennent la vignette Crit’Air 0 (réservée aux modèles électriques ou à pile à combustible) alors que les plus polluants reçoivent la vignette Crit’Air 5 ou sont non classés (diesel d’avant 2001 et essence d’avant 1997).

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Le gouvernement prévoit une entrée en vigueur progressive des interdictions à partir de 2023, à quoi s’ajoute un zonage précis dans les quartiers les plus pollués. Cependant, pour de nombreux maires, ces ZFE représentent un casse-tête : comment surveiller le flux ? À terme, les ZFE seront surveillées par des caméras qui assureront la verbalisation des contrevenants, selon le principe contrôle-sanction automatisé. Mais qui paiera l’installation et l’entretien ? La malheureuse affaire des portiques écotaxe est toujours dans les esprits…

Surtout, leur mise en place risque de cristalliser l’opposition de ceux qui n’ont pas les moyens ou l’envie d’acheter un véhicule récent. Même à Bordeaux, où la municipalité écologiste s’active depuis son élection à pénaliser les plaisirs simples comme le sapin de Noël, il n’y a toujours pas de ZFE. Si le périmètre concerné a été défini (il sera limité à l’intérieur de la rocade), des discussions sont encore en cours pour déterminer le calendrier de mise en place et des restrictions/interdictions de circulation afférentes.

Cela ne surprendra pas les Parisiens et les banlieusards qui subissent depuis des années l’idéologie d’Anne Hidalgo et de son équipe, la capitale est à la pointe de ce progrès contestable. Paris a interdit les Crit’Air 4 (diesel d’avant 2006) dès le 1er juillet 2019. Les Crit’Air 3 (moteurs essence d’avant 2011 et diesel d’avant 2006) devaient y être proscrits mais, à en croire le gouvernement, ils viennent de bénéficier d’un sursis jusqu’en 2024, « après les Jeux olympiques ». Dans le calendrier initial, les véhicules à vignette Crit’Air 2 devaient, eux, être interdits dès 2024, mais ils pourraient également bénéficier d’un sursis.

Quartiers privés

À Marseille, depuis le 1er septembre 2022, il n’est plus possible de rouler dans la ZFE avec un véhicule non classé ou Crit’Air 5. Il en sera de même pour les Crit’Air 4 dès le 1er septembre 2023, puis pour les Crit’Air 3 un an plus tard. Lyon suit un calendrier similaire, mais refuse pour l’instant de donner une date d’interdiction précise pour les Crit’Air 3 et Crit’Air 2 (qui seront progressivement interdits entre 2023 et 2026, annonce la mairie). À Rouen comme à Paris, il est déjà interdit de rouler dans la ZFE avec un véhicule Crit’Air 4. À Grenoble, les Crit’Air 5 ne seront proscrits qu’en 2023 et les Crit’Air 4 en 2024. À Toulouse, les premières restrictions arriveront en 2023. Et partout dans le pays, les métropoles prévoient d’interdire toutes les autos n’arborant pas une Crit’Air 0 avant 2030. Ce qui signifie qu’à cette date, il ne sera théoriquement plus possible de rouler dans les ZFE durant la semaine entre 8 et 20 heures avec une voiture équipée d’un moteur thermique.

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En ce début 2023, les véhicules les plus polluants (Crit’Air 3, 4, 5 et non classés) représentent encore presque 40 % du parc français de voitures particulières. D’où le dilemme et les palinodies des pouvoirs publics. D’un côté, le 17 octobre dernier, le Conseil d’État a condamné l’État à payer 20 millions d’euros pour n’avoir pas suffisamment agi contre la pollution de l’air ; et de l’autre, on ne peut exclure des grandes villes ceux qui n’ont pas les moyens d’acquérir une voiture neuve. En tout cas, on ne devrait pas pouvoir, mais on peut envisager que les technos qui nous gouvernent décident sur un coin de table d’interdire les villes aux cochons de pollueurs. Qu’ils aillent se plaindre sur les ronds-points ! Pour le moment, dans la plupart des villes ayant créé leurs ZFE, les verbalisations sont rares. Tout le monde semble attendre l’arrivée, fin 2024, de dispositifs de verbalisation automatique, impliquant la pose de portiques et/ou de caméras. Le tarif pour les contrevenants sera de 68 euros – curieusement, on n’a pas ressuscité l’amende à 135 euros infligée durant le confinement aux sorteurs intempestifs.

L’amélioration de la qualité de l’air – notamment la baisse de la présence de particules émises par les moteurs diesel –, incontestable, est surtout le résultat du renouvellement graduel du parc automobile et du développement de l’offre de transport public – développement aujourd’hui enrayé par la pénurie de conducteurs. Les mesures ZFE, très contraignantes pour les automobilistes, mais aussi pour les municipalités qui devraient les gérer (et les financer), ne présentent donc pas une efficacité particulière. Tout ça pour ça ! Dès lors que le principal problème est le diesel dont les ventes et la part dans le parc automobile ne cessent de baisser et que le moteur thermique est condamné à l’horizon de 2035 (en supposant que cela reste d’actualité), il serait plus simple et moins coûteux d’aider les gens à changer de voiture plutôt que de se barricader à grands frais contre l’invasion fantasmagorique de pollueurs dont la colère, le moment venu, pourrait faire passer les Gilets jaunes pour d’aimables promeneurs du samedi.


[1] Jonathan O. Anderson, Josef G. Thundiyil & Andrew Stolbach, « Clearing the Air: A Review of the Effects of Particulate Matter Air Pollution on Human Health », Journal of Medical Toxicology, 2012

De Louis XVI à Louis Boyard, regardez la France qui tombe

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De gauche à droite, Louis Boyard (LFI), Marine Tondelier (EELV) et Antoine Léaument (LFI). Images : captures d'écran YouTube Europe 1 / France inter / RFI.

Le député Léaument (LFI) se réjouit de la décapitation de Louis XVI, le député Boyard (LFI) apparait dans un clip musical où l’on rêve de péter le champ’ à la mort des Le Pen, et Marine Tondelier (Conseillère régionale EELV) passerait bien les milliardaires français à la guillotine… Enfin, le grand ordonnateur de la Nupes, Mélenchon, « maudit » le président Macron. Comme tout ce petit monde est de gauche, nos médias ne trouvent rien à redire.


Pour devenir député sous la bannière de LFI, il est nécessaire d’avoir certaines qualités. La principale est de savoir faire abstraction de la plus grande partie de l’histoire de France pour ne garder et glorifier que celle qui commence avec la Révolution française. C’est d’une très grande bêtise mais cela permet à Antoine Léaument, député de l’Essonne, ou Louis Boyard, député du Val-de-Marne, de se nicher confortablement, avec un minimum de connaissances historiques et sans se faire de nœuds au cerveau, dans le mouvement opaque de Jean-Luc Mélenchon.

A lire aussi, du même auteur: Dans les colonnes infernales de “Libé”, on incendie un film sur la guerre de Vendée

De Louis XVI…

Antoine Léaument a vivement réagi dernièrement aux propos de certains députés rappelant, en la déplorant, la décapitation de Louis XVI le 21 janvier 1793. Il a d’abord twitté : « Louis Capet. Un traître à la patrie, un ennemi du peuple français. “Vive la Révolution et vive la République !” : voilà le mot d’ordre des vrais patriotes ! La France, c’est ça ! » L’avocat Gilles-William Goldnadel ayant eu l’audace de dire qu’il avait, en ce 21 janvier 2023, une pensée pour Louis XVI, « décapité par la bestialité de ces bêtes sans têtes », le même député LFI a twitté derechef : « Mépris de l’Histoire révolutionnaire et républicaine du peuple français. Glorification du traître à la patrie Louis Capet… Ras le bol de cet (sic) extrême droite qui méprise la France du drapeau (bleu-blanc-rouge) républicain et révolutionnaire. » Ces maigres slogans rabâchés depuis deux siècles sont d’une pauvreté absolue mais permettent aux incultes de continuer de le demeurer en ignorant aussi bien l’histoire de France d’avant 1789 que celle, riche et complexe, de la Révolution elle-même. Le petit-bourgeois insoumis a des rêves de Terreur plein la tête : « Comme Jaurès, “Sous ce soleil de juin 93, je suis avec Robespierre” », twitte-il encore. Léaument se prend pour Barère – s’il n’a pas le talent oratoire du rapporteur du Comité de salut public, il semble partager avec ce dernier un goût prononcé pour les peines de mort, les exécutions sommaires, l’élimination des adversaires politiques. La guillotine étant passé de mode, il choisit la manière indirecte, sournoise, moderne et lâche, moins salissante et moins risquée : l’autoproclamé « député You-Tuber » (ça fait quand même moins peur que « député hébertiste ») sévit sur YouTube, Twitch, Instagram, Facebook et TikTok, ces réseaux dits sociaux transformés parfois en ersatz de tribunaux révolutionnaires permettant à des Commissaires de la république de pacotille de se faire mousser un peu. Il est vrai qu’on imagine mal Antoine Léaument en haut d’une barricade, risquant sa vie en offrant sa poitrine aux fusils de la police réactionnaire au cri de « Vive la VIème République ».

… à Louis Boyard.

Le cas de Louis Boyard a été déjà traité dans ces colonnes mais il vaut la peine d’y revenir rapidement. Comme on sait, l’ex-dealer est un ami du rappeur Yanni Benchallal. Dans un clip de ce dernier, le député LFI apparaît, assis à la table d’un kebab, serrant très amicalement la main de cet artiste beuglant ses envies de « péter le champ’ » à la mort de Marine Le Pen et de Marion Maréchal, de planter « le drapeau algérien en mairie », d’utiliser le « taux de natalité, arme démographique » de ses coreligionnaires pour faire peur à « ces bâtards », etc. N’en déplaise aux régicides, c’est ce Louis-là qui déshonore la France, et qui mériterait, non pas la peine capitale (quand on est contre la peine de mort, on applique ce principe à tout le monde, sans aucune exception), mais au moins une peine d’inéligibilité pour manquement grave à sa fonction parlementaire ou déloyauté envers son pays.

Louis Boyard (assis) et le rappeur Yanni. Capture d’écran d’un clip musical (YouTube)

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira, tous les milliardaires à la lanterne…

De son côté, EELV a élu sa nouvelle coupeuse de tête. Marine Tondelier a trouvé les coupables de tous les maux qui accablent les Français : les milliardaires. Par conséquent, lors du dernier meeting réunissant les principaux représentants de la Nupes, elle a fait part de son programme : elle veut « une France sans milliardaires ». Au fond, le programme d’EELV, assez proche de celui de LFI, s’il ne peut plus être celui du « sang » est celui du « sans » : une France sans nucléaire, sans contrôle migratoire, sans prisons, sans arsenal judiciaire, sans militaires, sans barrières à ses frontières, sans milliardaires, sans policiers, sans voitures, sans ingénieurs, sans enfants, sans travail et sans… Michel Sardou.

A lire aussi, Alexis Brunet: Louis Boyard, l’ignorant qui voulait être une star

Les insoumis de LFI et les écologistes d’EELV sont les dignes héritiers de ces petits-bourgeois et intellectuels de gauche de la fin des années 60, adorateurs des pires régimes. Benoît Rayski les range dans la catégorie homo sartrius et distingue deux branches : homo gauchistus et homo ecologistus [1]. C’est, dit-il, deux espèces originales dont les représentants sont réputés incapables de clamer « Vive la France » mais qu’on aurait entendu répéter « quelque chose qui ressemble à “abalafinans” ». Comme leurs illustres prédécesseurs sartriens, ces citoyens-là bénéficient d’un énorme avantage : les médias, majoritairement de gauche ou d’extrême gauche, ne dénoncent jamais leurs exactions, leurs appels à la violence, leurs dénonciations injurieuses ou leurs discours anti-français. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, sur qui ils veulent, de la manière qu’ils veulent. Jean-Luc Mélenchon peut crier, halluciné, l’œil mauvais et la voix vénéneuse, à l’encontre du président de la République (qu’on apprécie ce dernier ou pas, ce n’est pas le sujet ici) : « Soyez maudit ! », ou un député s’afficher avec un « artiste » appelant d’une manière à peine camouflée au meurtre de personnalités politiques, les médias dominants ne bronchent pas. Nous n’osons imaginer leur réaction si un représentant politique du RN ou de « Reconquête ! » s’était exprimé comme le leader de LFI ou, pire encore, était apparu dans le clip d’un rappeur se disant prêt à sabrer le champagne à la mort de Jean-Luc Mélenchon ou de Sandrine Rousseau – nous aurions eu droit alors aux cris d’orfraie sur France Inter et aux lamentations dans les pages du Monde et de Libération sur le retour du fascisme, des heures sombres, des chemises brunes, et tout le tintouin.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: En ce 21 janvier…

Attirons enfin l’attention de nos députés enragés sur quelques personnalités mortes elles aussi un 21 janvier et auxquelles, au lieu de s’acharner sur ceux qui commémorent la mort de Louis XVI, ils pourront, si le cœur leur en dit, rendre hommage à l’avenir : Marcel Azzola (en 2019), Blaise Cendrars (en 1961), George Orwell (en 1950) et, the last but not least… Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine (en 1924).

[1] Benoît Rayski, Les bâtards de Sartre, Éditions Guillaume de Roux , 2018.

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Elisabeth Lévy: « Louis Boyard cautionne l’appel au meurtre de ses collègues »

Sexisme: le mythe du continuum

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Paris, novembre 2019 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Le néoféminisme s’institutionnalise. L’une de ses thèses les plus farfelues et les plus populaires est ainsi reprise, sans aucune distance, par la plupart des journalistes et une nouvelle campagne officielle nationale de « sensibilisation ». Pourtant, il existe parmi les meurtriers se rendant coupables d’un « féminicide » une part non négligeable d’hommes qui n’avaient jamais levé la main au préalable sur leur victime. Ce sont les malheureux « crimes passionnels », qu’on n’a plus le droit d’appeler ainsi. Ingrid Riocreux, spécialiste du langage médiatique, analyse ce qui est problématique dans le nouveau spot du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.


Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a produit un spot censé prouver les ravages du sexisme :

Il s’agit là de la version courte d’une bande sonore plus longue, disponible sur le site du HCE, que vous pouvez écouter en cliquant sur ce lien.

Réaliste et angoissante, cette fiction sonore signée Carole Fives (le texte ici) n’invente rien ; elle est même très bien écrite. Mais illustre-t-elle vraiment le sexisme ? Un conjoint suspicieux et étouffant potentiellement violent, une entreprise qui craint le manque de disponibilité d’une jeune maman, un dragueur lourd dans la rue : ce sont des types humains, au même titre que la peste capricieuse, la femme manipulatrice, la patronne tyrannique, etc.

Le grand tort de cette fiction est donc de mettre en système des types masculins pour en faire des symboles de l’oppression collectivement subie par les femmes. On pourrait faire la même fiction avec des femmes dans le rôle des méchantes. Y compris dans le domaine conjugal: là aussi, tout le monde sait « comment ça se finit » ; s’il ne fait pas partie du lot de ceux qui meurent des violences de leur femme (un toutes les deux semaines), monsieur se suicide… et on dira qu’il avait « des problèmes au travail ». 75% des suicidés sont des hommes : combien se tuent à cause de leur conjointe ? Auparavant, le monsieur aura subi mille insultes et humiliations, sexuelles, physiques, psychologiques, jusqu’aux rumeurs malveillantes répandues par sa conjointe pour l’isoler dans la honte… et reçu quelques objets dans la figure (une femme ne frappe pas, elle lance des objets). Mais c’est bien connu, quand un homme frappe sa femme, on dit qu’il frappe sa femme. Quand une femme lance des chaussures à la tête de son conjoint, on appelle cela une dispute.

Nicolas et Lucie

La fiction du HCE se conclut ainsi : « le sexisme, on ne sait pas toujours quand ça commence, mais on sait comment ça se termine : tous les trois jours en France, une femme est tuée parce qu’elle est une femme ». Si c’est vrai, la fiction du HCE ne le démontre pas. Le personnage de « Nico » va peut-être tuer « Lucie », mais certainement pas parce qu’elle est une femme. D’ailleurs, si « Nico » était homosexuel, il ne se comporterait pas différemment : il fliquerait son conjoint de la même manière. C’est le grand angle mort des violences conjugales : à côté de la proportion des femmes tuées par leur conjoint, combien le sont par leur conjointe ? A côté des hommes qui tuent leur femme, combien d’hommes tuent leur mari ?

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En réalité, la rhétorique implicite du spot est très perverse : elle suggère un continuum logique entre la vision patriarcale du couple et la violence. « Nico » dit à « Lucie » qu’il n’est pas d’accord pour qu’elle reprenne le travail : la thèse de l’emprise affleure déjà, quand une autre interprétation peut être proposée ; les séances de préparation au mariage ne sont-elles pas justement l’occasion pour les futurs époux de confronter leur vision du couple et leurs représentations respectives sur des questions aussi fondamentales que le travail des femmes ? Si la maman de « Nico » ne travaillait pas, ne peut-on pas comprendre que « Nico » ait du mal à tolérer que Lucie ne se consacre pas exclusivement au foyer et mène une vie qu’il assimile, pour sa part, à celle de son propre père ? Peut-être le couple de « Nico » et « Lucie » est-il miné depuis le début par cette confrontation de deux modèles de familles divergents. Peut-être auraient-ils dû plus mûrement réfléchir leur union pour ne pas se trouver dans une situation conflictuelle.

La liste des sept péchés capitaux complétée

Le continuum logique s’applique de même au chef d’entreprise qui préfère favoriser une candidature (homme ou femme, on ne saura pas) moins risquée pour son entreprise que l’embauche d’une jeune mère fatiguée et peu disponible. Là encore, qu’y a-t-il de choquant, pire, qu’y a-t- il de potentiellement violent dans ce choix, exprimé d’ailleurs fort poliment par un chef d’entreprise qui prend le temps de rappeler la candidate et de la rassurer sur ses compétences?

Enfin, doit-on vraiment penser que tous les gamins mal élevés nourris au porno sont des meurtriers potentiels ?

Non seulement je ne vois pas où commence le sexisme dans ce spot, mais je ne vois pas pourquoi il se terminerait plus mal en tant que tel. Sexisme, féminicide: on croirait que la liste traditionnelle des péchés capitaux était incomplète; ou plutôt, on a l’impression qu’il faut lui en substituer un nouvelle, où la relation aux femmes devient critère déterminant. Pour ma part, je ne crois pas que quiconque tuerait une femme parce qu’elle est femme, sauf peut-être dans les pays où on noie les nouveau-nés de sexe féminin ; mais je sais que le meurtre est au bout de la colère, de la luxure, de l’orgueil et de l’envie. Et que l’on tue un homme ou que l’on tue une femme, ce qui me révulse, c’est que l’on tue un être humain.

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L’élégance de l’ancien pauvre

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Adamo à l'Olympia, Paris, 2001 © BENAROCH/SIPA

France 3 diffuse ce vendredi soir à 21h 10 « Salvatore Adamo, ma vie, la vraie… », une rétrospective de sa carrière écrite par Patrick Jeudy et racontée par Daniel Auteuil.


Et si vous passiez, ce soir, deux heures en compagnie de Salvatore ?

Deux heures où les images en noir et blanc défilent dans un halo de nostalgie, où la chanson d’amour, désuète et essentielle à la compréhension de nos troubles intérieurs, produit un effet sur les cœurs les plus endurcis. Deux heures où la voix de Salvatore, charbonneuse et ensoleillée, ce fil tendu entre la Sicile et les terrils du Hainaut depuis tant de décennies, nous fait voyager dans nos souvenirs. Salvatore ne fige pas le passé, il ne le fossilise pas, il est l’un des rares chanteurs populaires à arpenter cette terre vaste que l’on nomme la mémoire. Il nous libère du poids des années sans oublier ce que nous fûmes. Il arrive sur scène, coiffé et cravaté, dans son costume sur mesure, impeccable, trop sage certainement à l’heure des yéyés. Il a été si bien élevé, alors, on ne se méfie pas de lui. Il ne grogne pas. Il ne bégaye pas à la manière de « Salut les copains ». Il ne massacre pas des guitares électriques sur scène en vantant les vertus des substances illicites. Il ne cherche pas à se faire passer pour un autre, plus révolté, plus libéré, plus moderne, plus équivoque. Il n’a pas besoin de paradis artificiels pour nous emporter ailleurs. Cependant, ne vous laissez pas abuser par sa transparence de façade, cet immigré aux belles manières ne porte pas la pauvreté comme un lourd fardeau ou un étendard démago, Salvatore ne se victimise pas, ne se flagelle pas, il chante indifféremment pour les gamins de la mine et la princesse Paola, pour les lycéennes japonaises et les groupies chiliennes, pour les garde-barrières ch’timi et les romantiques de Passy, sa musique, car il est auteur et compositeur, n’appartient à aucune classe sociale définie. Elle touche partout dans le monde, par l’intelligence de son innocence, la simplicité des choses vécues, là, cet amour qui s’enfuit, ce rendez-vous manqué, toutes les légères meurtrissures du quotidien, Salvatore les capture, en fait son lit et nous les restitue dans leur vérité virginale. C’est la définition même de l’art, un jet direct et prodigieux, une secousse qui ne se ment pas à elle-même.

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« D’inspiration sicilienne, elle est en mineur », il parle ainsi de son inspiration, « anodine et badine » ajoute-t-il, pour en atténuer l’écho. Sa modestie, parfois surjouée, ne nous trompe pas sur son intention première, cristalliser les cahotements des temps indécis. Quand « Tombe la neige » éclata à la radio en 1963/1964 et fit de lui, en un éclair, une vedette riche et assaillie par des centaines de jeunes filles, il y avait déjà dans ce tube planétaire les ferments de la mélancolie.

Ce slow désespéré et tendre est un cri dans la nuit ; à tous les âges de la vie, nous succombons à ce fado lancinant et poignant. La voix de Salvatore, ce torrent de rocailles, agit comme un détonateur, il révèle nos failles, les explose à la dynamite, nous met à nu et nous apaise. Nous ne pouvons retenir nos larmes. Ses paroles d’une sobriété jésuitique sont un appel à la résilience, à monter dans cet impassible manège. Salvatore, petit frère de Brel, redonne aux mots, leur force tellurique, l’onde du fracas est en lui. Il faudrait être sec et bien insensible pour ne pas chavirer au son de « Requiem pour six millions d’âmes » et à sa « Jérusalem coquelicot sur un rocher ». Lors de son Olympia 1965, le fils de puisatier devenu mineur, reçut la reconnaissance du métier. Le tout-Paris l’applaudit durant de longues minutes. Bruno Coquatrix veillait sur lui derrière le rideau rouge, Richard Anthony et Gilbert Bécaud l’embrassèrent à la fin de son tour de chant, Françoise Dorléac le couvait d’un doux regard, et Mauriac préparait déjà sa chronique enthousiaste du lendemain.

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Durant deux heures, Salvatore se livre sur sa carrière, un mot qu’il n’aime pas, sur ses parents, son frère et ses sœurs, ses enfants, sur le Liban, sur les incompréhensions d’Inch’Allah, sur une vie de rock-star dans la peau du gendre idéal, sur sa vie privée, sur la solidarité entre émigrés dans le Nord, sur son compatriote Arno disparu en avril 2022, sur les filles du bord de mer, sur l’essence même de sa musique. Alors, vous permettez Monsieur Adamo que l’on vous place très haut dans la chanson française.

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Le courage des planqués

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Manifestation à Téhéran, septembre 2022. D.R

En manifestant depuis des semaines, les Iraniens nous donnent une leçon de courage. Ici, de nombreuses vedettes soutiennent leur combat, un «engagement» sans risque. Quand auront-elles le cran de se révolter contre ceux qui menacent nos valeurs sur notre propre sol?


Labellisé respectable?

Faire correctement son métier, voire exceller dans ses activités, ne suffit plus. Quoi qu’on fasse, il convient désormais de se dire aussi « engagé » si l’on veut obtenir le label de respectabilité qui tient lieu de sésame social. Alors s’engager pour une juste cause ? Sans aucun doute, mais à condition de s’être auparavant désolidarisé de la troupe des « engagés » de tous bords qui occupent l’espace médiatique, et dont la bonne conscience militante alimente une rhétorique accusatrice. Car on ne s’engage réellement que si l’on se met soi-même « en gage », autant dire si l’on court un vrai risque. Or, que constate-t-on ? Que les engagements les plus risqués ne sont pas les plus spectaculaires, mais ceux qui consistent à ne pas céder au quotidien un seul pouce de terrain aux terroristes en tous genres, aux islamistes, aux adeptes de la cancel culture, etc. ; des engagements privés ou publics qui ont su garder intacte la flamme de la révolte qui brûlait dans le cœur d’Antigone, de Louise Michel, et des femmes iraniennes aujourd’hui prêtes à tout pour retrouver liberté et dignité.

Que risquent par contre les écolos qui vont dans les musées maculer des tableaux, sinon une amende et quelques heures de garde à vue ? Que risquent les engagés professionnels qui hantent depuis des décennies les zones de combat et surtout leurs périphéries ? Sartre l’avait  bien dit, que l’intellectuel se dédouanait ainsi d’être resté un petit (ou grand) bourgeois ! Miné par sa mauvaise conscience autant que par son impuissance, l’intellectuel a depuis lors il est vrai cédé le pas aux organisations humanitaires qui, elles aussi, se dédouanent d’enfreindre les lois en invoquant une solidarité qu’elles sont seules à penser universelle, et qu’on ne saurait remettre en cause sans être taxé d’inhumanité. Que risquent enfin les minorités qui se font entendre pour faire payer à leurs oppresseurs supposés la « différence » qu’elles pourraient assumer en toute indépendance et avec une fierté cette fois-ci légitime ?

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Mais en matière d’engagement sans conséquences, la palme revient aux people usant de leur notoriété pour voler au secours de ceux des opprimés qu’ils jugent respectables. Ainsi en fut-il du spectacle récemment offert par les vedettes du show-biz se coupant devant les caméras une mèche de cheveux – la plus petite et la moins visible possible ! – en signe de solidarité avec les femmes iraniennes. Se seraient-elles tondues qu’on aurait peut-être commencé à les prendre au sérieux, au risque, il est vrai, de leur prêter une soudaine aspiration à la vie monastique peu compatible avec leur statut de star, ou de ranimer le très mauvais souvenir de femmes livrées à la vindicte populaire. Mais enfin la question se pose : comment, sans se couvrir de ridicule ou se payer de mots, se montrer réellement solidaire d’une cause qu’on pense juste mais dont les tenants et aboutissants nous échappent ? Car enfin, le régime des mollahs, c’est le peuple iranien qui l’a voulu, même si la jeunesse d’aujourd’hui n’en veut plus et si les femmes sont prêtes à risquer leur vie pour sortir dans la rue tête nue ! Comment une culture plusieurs fois millénaire d’une aussi exceptionnelle richesse que celle de l’Iran en est-elle arrivée à ce suicide collectif ?

Un bouclier théâtral loin du vrai courage

Il ne suffit donc pas de faire savoir à ces femmes que nous sommes solidaires de leur combat pour effacer les ambiguïtés de l’Histoire, car la liberté de vivre à l’occidentale pour laquelle elles se battent leur fut octroyée sous le règne du Shah, jugé par ailleurs haïssable. La complexité de la situation iranienne montre que, si nos fameuses « valeurs » permettent à court terme de briser les chaînes, elles ne constituent pas forcément à plus long terme un idéal désirable au regard d’une culture comme celle de l’Iran ou de l’Afghanistan[1]. Une leçon de solidarité nous est en retour donnée par cette femme afghane que nous voyons, dans un documentaire diffusé par Arte[2], sortir seule la nuit dans Kaboul pour distribuer des tracts, non sans avoir cité, pour se donner du courage le nom de Sophie Scholl[3]: ce qu’elle a fait, je peux aussi le faire ! Quel collégien français endoctriné par le wokisme sait aujourd’hui qui était Sophie Scholl, et ce que fut La Rose blanche en matière d’engagement total contre le nazisme ? Cette femme afghane le savait, sans avoir à évoquer nos « valeurs », mais parce que le courage, qui donne la force de se révolter, crée aussi les vraies solidarités.

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On ne peut donc exclure qu’à force de « s’engager » pour un oui et pour un non, on se dispense d’avoir un jour à se révolter pour de bon. Le différend idéologique qui opposa Jean-Paul Sartre et Albert Camus dans les années 1950 n’a en ce sens jamais cessé d’être d’actualité ; l’un prônant l’engagement des intellectuels en dépit de leur situation ambiguë et de son peu d’efficacité, et l’autre cherchant à ranimer la flamme de la révolte dans les esprits les plus blasés (L’Homme révolté, 1951). S’il est vrai, comme le pense Camus, que le révolté est celui qui ose un jour dire « non », et effectue la volte-face qui met sa vie en danger, alors il est clair que nous sommes tout sauf des révoltés et que « l’engagement » tend à devenir le paravent, le bouclier théâtral derrière lequel nous abriter. On nous dira sans doute qu’il est mieux de s’engager que de ne rien faire, et qu’on fait ce qu’on peut avec les moyens dont on dispose. Alors faisons-le d’abord localement, là où l’engagement a des chances de porter ses fruits, et manifestons notre solidarité avec toutes les femmes muselées par l’islamisme radical en ne le laissant pas gangrener la France où les plus menacées d’entre elles pourront alors, si elles le souhaitent, trouver refuge. Qu’aurons-nous à leur offrir si nous sommes nous-mêmes réduits au silence ?

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[1] Cf. Daryush Shayegan, Schizophrénie culturelle : les sociétés islamiques face à la modernité (1989).

[2]  Patrick de Saint-Exupéry et Pedro Brito da Fonseca, Afghanistan : un an après la prise de pouvoir par les talibans, documentaire de visible en replay sur Arte.

[3] Étudiante à l’université de Munich, Sophie Scholl (1921-1943) a été guillotinée avec son frère Hans pour avoir fondé le groupe dissident La Rose blanche et distribué des tracts invitant à la résistance contre le nazisme.

De quoi le rejet de la réforme des retraites est le nom

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Céline Pina, 2015. SIPA.

Le rejet de la réforme cristallise en lui le manque de confiance des citoyens envers les élites, la déshumanisation du travail, l’évolution des mentalités des jeunes générations quant au rapport au travail, et surtout l’absence de projection vers l’avenir. L’analyse de Céline Pina.


Et si le rejet de la réforme des retraites révélait le malaise très profond de notre société ? La mobilisation exceptionnelle qui a eu lieu dans les villes moyennes est une donnée qui semble l’attester et rappelle le surgissement des gilets jaunes. Certes, l’analyse la plus répandue du phénomène met l’accent sur une évolution des mentalités et du rapport au travail des jeunes générations. Ceux-ci seraient trop hédonistes pour ne voir dans le travail autre chose qu’une contrainte.

Les Français ont du mal à confier la réforme du système de sécurité sociale à des élites qu’ils voient comme n’ayant aucun rapport avec l’intérêt général

Mais d’autres alertent sur la dimension existentielle de la crise qui se profile. Et si derrière le rejet de cette réforme que le président Macron voudrait emblématique de son quinquennat, on trouvait encore en filigrane cette gestion purement technocratique qui fait de l’adaptation à la globalisation l’alpha et l’oméga de l’action politique alors qu’elle ne porte aucun projet d’avenir, fait exploser les inégalités et ramène la guerre à nos portes ? Exiger des sacrifices sans offrir de perspectives et le faire avec arrogance du haut d’une position privilégiée, voilà comment agissent les promoteurs de cette réforme. Les classes moyennes, elles, se voient être l’objet d’une disparition programmée ; le creusement des inégalités passant par leur destruction. Les crispations que suscite la réforme n’ont donc rien de déraisonnable.

Le travail n’est plus l’accession à l’indépendance

C’est en cela que l’opposition à cette réforme possède une dimension existentielle et c’est cela qu’expriment clairement Christophe Guilluy et Jean-Pierre Le Goff dans des entretiens au Figaro [1], mais aussi Alain Supiot, spécialiste des questions du travail. La première question qui est posée dans ce cadre est celle du sens du travail. Pour nombre de générations, la première vertu du travail était l’accession à l’indépendance, à une forme de maîtrise de sa vie et de ses choix. Une problématique encore plus accentuée pour les femmes.

On était adulte quand on accédait à cette indépendance. Le salaire était important, pas parce qu’il permettait d’accéder à une logique de consommation ostentatoire, mais parce qu’il vous permettait d’exercer réellement votre libre arbitre. Cette dimension paraît avoir totalement disparu des débats. Pourtant elle explique la difficulté de nombre de travailleurs à investir leur emploi : quand le salaire ne permet pas de mettre sa famille à l’abri et que les erreurs stratégiques de vos dirigeants vous empêchent de vous projeter dans le futur ou font que ces projections sont sombres et teintées d’inquiétudes, il est difficile de souscrire à la énième réforme qui vous ampute de quelques avantages.

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Le contenu de cette réforme est donc moins en cause que le contexte général dans laquelle elle intervient et la médiocre légitimité de ceux qui la portent. Elle éclaire aussi sur les conséquences d’un monde du travail où la déshumanisation est vue comme une bonne pratique de gestion. Quand les hommes sont considérés comme des pions et que les process remplacent les compétences, le travail n’aide plus à construire un homme en lui faisant prendre conscience de ses capacités, de ses compétences et de son utilité sociale. Il ne participe plus à donner la mesure d’une vie d’homme, mais permet la transformation de l’humain, en simple outil, en objet. Et si c’était aussi cela que fuyait la jeune génération et que ne comprennent pas nos élites biberonnées à la statistique et aux bilans comptables ?

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Jean-Pierre Le Goff. Photo : Hannah Assouline.

Le refus des élites de se remettre en cause

Le constat d’échec d’élites déconnectées de la réalité de leur pays, incapables de tracer un chemin pour une nation, qui prennent le pouvoir en s’appuyant sur des clientèles ciblées et le gardent malgré leur absence de capacité à fédérer et à proposer parce qu’elles diabolisent tout adversaire et toute contestation, a abîmé l’idéal démocratique. Que ce soit pour Christophe Guilluy et Jean-Pierre Le Goff, les Français ont du mal à confier la réforme du système de sécurité sociale à des élites qu’ils voient comme n’ayant aucun rapport avec l’intérêt général et totalement détachées de la notion de bien commun. Une majorité de Français ne voit plus ses représentants comme ceux du peuple, au service des intérêts de la France, mais comme les bénéficiaires d’un système néolibéral qui détruit leur modèle social et culturel pour ne servir que leurs intérêts personnels et de classe. Cette défiance creuse même quand les partisans de la réforme pensent sincèrement qu’il s’agit d’un moindre mal et sont persuadés d’agir en ce sens.

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Les crises qui s’accumulent (désindustrialisation, crise énergétique, crise sécuritaire, crise alimentaire, crise environnementale, crise économique, crise sanitaire) s’expliquent en grande partie par les choix idéologiques d’élites qui aujourd’hui refusent de se remettre en cause et qui face à leurs échecs expliquent au contraire qu’il faut encore augmenter la dose du poison. Or leur soumission à la logique néolibérale n’a pas seulement détruit notre capacité à produire de la richesse et à la redistribuer, mais a également abîmé notre modèle culturel et détruit la conscience collective qui faisait de nous un peuple, discutailleur et chamailleur certes, mais qui avait encore le sentiment d’être un peuple. Et ce sont les mêmes qui ont causé ce désastre qui aujourd’hui imposent leurs remèdes de Diafoirus. Mais si cette analyse est juste, alors ceux qui envisagent d’apporter leur soutien à cette réforme ne feront pas passer un message de responsabilité au-delà des clivages politiques. Ils enverront au contraire un message clair à cette majorité de Français qui ne vote plus et ne se sent plus en lien avec ses représentants : entre la volonté d’incarner le peuple et de proposer des réformes qui, pour dures qu’elles soient sur le moment, s’inscrivent dans un projet commun, ils ont choisi la connivence des privilégiés. À la nation, ils auront préféré la gestion de leur part de marché clientéliste : c’est précisément ce qui est en train de rompre le lien démocratique.

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[1] Christophe Guilluy, « Les classes moyennes ne croient plus et n’écoutent plus ceux qui les dépossèdent », entretien avec Vincent Trémolet de Villers, 22 janvier 2023 et Jean-Pierre Le Goff, « La société de consommation et de loisir a bouleversé le rapport au travail », entretien avec Vincent Trémolet de Villers, 18 janvier 2023.

Marc Menant: «Vive la voiture !»

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Marc Menant, Festival du livre de Paris, le 23/04/2022 © LAURENT BENHAMOUSIPA

Avec une voiture, on a d’abord un rapport physique. Et au volant d’un bolide de course, on conduit avec ses tripes. On met à l’épreuve ses propres limites, autant que celles du moteur, pour faire l’expérience de la démesure. Souvenirs.


Objet culte, la voiture fait son apparition dans les années 1870. À Amédée Bollée, fondeur de cloches au Mans, reviennent l’honneur et la joie de la première apparition publique aux commandes d’une voiture de 12 places, « L’Obéissante », propulsée par la vapeur. En 1875, avec un nouveau prototype, « La Mancelle », il parcourt Le Mans-Paris-Le Mans, soit 500 km, en dix-huit heures, exploit authentifié par 75 procès-verbaux. Hors-la-loi, Bollée, la réglementation n’autorisait que la circulation de véhicules tirés par des chevaux ! En 1878, il produit et vend quarante « Mancelle ». La concurrence surgit immédiatement : Panhard, Levassor, Peugeot, de Dion-Bouton. En Allemagne, Daimler et Benz créent le moteur à essence. En France, Gustave Trouvé invente le moteur électrique et le 29 avril 1890, à Achères près de Paris, le Belge Camille Jénatzy, au volant d’une voiture électrique, « La Jamais contente », atteint 105,882 km/h.

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L’auto égaye la vie

Bien que réservée à une élite, la voiture, en quelques décennies, brise le carcan originel, horizon circonscrit à une centaine de kilomètres aux alentours du village. La voiture, c’est l’évasion, les voyages, la liberté et une nouvelle fraternité avec les autostoppeurs en resquille d’aventures, pouce levé en bordure de route comme sur la mythique nationale 7.

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Qu’elle soit rutilante limousine, rugissante sportive, grinçantes ferrailles, la bagnole vaut le coin de paradis pour les élans d’amour ou les clandestines cabrioles. L’auto égaye la vie, soulage nos servitudes et, puis, il y a le plaisir incommensurable que tout adolescent attend, impatient : conduire ! Prendre le volant à pleines paumes, corps en épousailles du châssis, sentir le précaire équilibre de la tenue de route, tripes au diapason des vibrations, oreilles à l’affût du vrombissement du moteur pour le soulager d’un prompt passage de vitesse et, au fur et à mesure, raccourcir les distances de freinage. Toutes mes années de gosse, calé sur le siège derrière mon père, j’ai mimé les gestes décrits dans une revue de sport auto par John Surtees, champion du monde et vainqueur des 24 heures du Mans. M’en germa la folie de devenir pilote. Déterminé au point de jurer de ne jamais boire la moindre goutte d’alcool, de ne jamais fumer une cigarette et de m’astreindre à une gym quotidienne. Ascétisme précoce et jubilatoire qui forgea ma volonté et gouverne encore ma vie.

Les 24 Heures du Mans 1976. D.R

La voiture, compagne d’aventures

Par deux fois, en 1979 et 1986, j’ai couru les 24 heures du Mans. Instants magiques, paroxysmiques, qui me placent dans le camp des irréductibles défenseurs de la voiture et des courses auto, convaincu que c’est par les défis de l’extrême que l’homme taquine la transcendance. Bien plus qu’un moyen de déplacement, la voiture propulse l’homme dans une autre dimension, monde de sensations uniques, vertigineuses, bastringue de la démesure, tutoiement du sublime… L’apothéose pour l’audacieux, c’est le dépassement des 350 km/h au milieu des arbres dans la ligne droite des Hunaudières sur le circuit du Mans, temple de la déraison, 13,5 km de folie ouverts aux champions. J’ai obtenu le sésame par dérogation, grâce à mes performances sur une monoplace à l’école de pilotage de Magny-Cours et une quatrième place aux 24 heures du Castelet pour mon baptême en compétition. Mais à mon arrivée au circuit, les chocottes, les vraies, carambolent mon euphorie. Horreur, cauchemar, jamais je ne serai capable de piloter le bolide que je découvrais à moitié désossé, entrailles auscultées par une nuée de mécaniciens. Pas un ne lève la tête quand le patron de l’écurie me présente. Mon crâne baratte le noir jusqu’aux essais qualificatifs. Une fois passée la combinaison, magie de l’habit, l’angoisse se dissipe, je me sens élu des dieux, impatient de me glisser dans la 47 d’où s’extrait Jean-Philippe Grand, l’un de mes deux coéquipiers. « Elle va vraiment bien, aboie-t-il une fois son casque retiré, elle est un peu vive en courbe mais on la tient à petites touches », le tout accompagné d’une tape fraternelle sur l’épaule. Me voilà seul face à mon rêve : obtenir ma qualification. J’infiltre des boules antibruit dans les oreilles, enfile la cagoule pare-feu, puis mon casque et me glisse au volant à ras du sol. Un mécano abat la portière et m’emprisonne dans le cockpit. L’espace est si étroit qu’une main ne pourrait passer entre le toit et mon casque. J’appuie sur le démarreur, les 550 chevaux mugissent, tintamarre d’enfer, j’enclenche la première, la 47 jaillit en léger travers, je la rattrape au contre-braquage, deuxième, troisième, je fuse dans la grande courbe Dunlop, plonge dans la descente vers les S d’Indianapolis, déboule vers la gauche, freine trop tôt, deux voitures me sautent et contrarient ma plongée à la corde, légère glissade, rattrapage par petits coups de volant, la 47 obéit, j’accélère, jaillis dans la fameuse ligne droite… cinquième, sixième… 280… 300… 310… holà !… que se passe-t-il ?… je louvoie droite, gauche, je soulage, au tour suivant, l’emballement reprend, je l’ignore, il faut que je reste à fond pour me qualifier… droite-gauche, la gigue s’amplifie, une voix me crie de lever le pied, je l’occulte, pas question de mollir, sinon, adieu la qualif, pied à fond… plus de 300… la piste rétrécit, suis comme propulsé dans un entonnoir, c’est l’effet tunnel… le chaloupage s’accroît… Reste à fond… 320… la dérive se stabilise à un mètre d’amplitude… 340… 350… je catapulte dans la grande courbe… j’exulte, sens exacerbés, en fusion avec la 47… j’enchaîne les virages en extralucide, deux tours suffisent à ma qualification. Retour au stand sous les ovations, les mécaniciens radieux m’agrippent, m’extirpent de mon baquet, me voilà brinqueballé aux accolades et embrassades. Félicité ! Elle se renouvelle le dimanche quand Jacques Goudchaux, mon deuxième coéquipier, franchit la ligne à la 13e place au classement général.

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Comment après de tels frissons, ne pas dégorger à pleins poumons : « Vive la voiture ! » C’est en offrant aux jeunes l’opportunité de telles démesures qu’on leur inocule le goût du surpassement et leur évite l’avachissement. Gnognotte, le CO2 dégagé par les autos, de l’infinitésimal en comparaison de toutes les consommations inutiles. Et, puis, cette obsession du CO2 est-elle si légitime au regard de ce que l’on sait de l’histoire du climat ? Défions-nous des experts et de leurs suppôts écolos, prosélytes par ailleurs, du multiculturalisme, de l’indigénisme, du néoféminisme et de toutes les délétères fragmentations. Oui au doute, non, à la dictature des certitudes !

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«Populiste, moi? J’assume!»

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Philippe Bilger © BALTEL/SIPA

Il ne faut pas avoir honte du populisme judiciaire !


Rien que le mépris dont les médias distingués et les élites à l’abri accablent le populisme judiciaire me donnerait envie de le défendre, mais il y a plus à dire en sa faveur…

Quand je lis ce titre du Monde – « Face au populisme judiciaire, le monde de la justice inquiet » – et l’article qui suit, avec une sélection très précautionneuse d’un ministre, de magistrats (Denis Salas) et d’avocats (Patrice Spinosi) accordés sur le danger que représenterait le populisme pénal, je suis naturellement conduit à m’interroger sur cette manière de présenter les pièces d’un procès dont la cause est entendue avant même le moindre débat.

Et sans que la plupart soient à même d’expliciter cette notion entrée dans le langage courant et dont ils abusent.

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Les exemples donnés de « populisme judiciaire » montrent bien cette facilité qu’on s’octroie et qui consiste à juger scandaleuse toute aspiration à une justice plus répressive.

On se sert d’un extrémisme et d’une outrance rares – ainsi ceux de Cyril Hanouna qui mérite cependant d’être écoutés et questionnés – pour fustiger des revendications dont l’excès signerait leur prétendue indécence.

Le laxisme de la justice questionné

Pour l’essentiel, que de poncifs ornés d’humanisme !

Pourtant toutes les personnes interrogées par le Monde ont-elles raison quand elles affirment que « la justice n’est pas laxiste » ? Si, globalement, elle ne l’est pas, on peut cependant faire état de multiples exemples qui permettent de comprendre l’émoi, voire l’indignation civiques à la suite de certains jugements ou arrêts. Je ne suis pas persuadé que les théoriciens d’une justice qu’ils s’acharnent à voir conforme à leur idéal de fermeté très relative soient les mieux placés pour fustiger tous ces citoyens « populistes ».

Considérer que dans le procès pénal la cause de la victime et son écoute ne doivent pas être exclusives est une évidence. Mais de là à leur dénier un rôle fondamental dans l’élaboration de la sanction à venir, cela relève d’une absurdité qui n’est destinée, à nouveau, qu’à déplacer le point d’équilibre de l’audience criminelle vers l’accusé.

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Invoquer par ailleurs la surpopulation carcérale pour battre en brèche l’idée du laxisme de la justice n’est pas un argument décisif. Cette trop forte densité ne démontre rien d’autre que la nécessité de construire vite de nouvelles places d’enfermement. Cette erreur d’analyse est la conséquence directe du discrédit qu’on attache par principe à l’incarcération, en mesurant mal qu’elle est rendue obligatoire pour les délits graves et les crimes. Ils ne sont pas commis à cause d’elle mais malgré elle.

La prison de La Talaudiere (Saint Etienne) dans le département de la Loire, photographiée en 2019 © KONRAD K./SIPA Numéro de reportage: 00933744_000026

Sur un autre plan, se moquer des 61 % des personnes interrogées (étude annuelle Kantar Public-Epoka pour Le Monde et Franceinfo) parce qu’elles estiment que « la justice n’est pas assez sévère avec les petits délinquants » n’est pas non plus une attitude convenable. Alors qu’on peut soutenir que dans le cadre d’une politique pénale cohérente, une répression correctement ciblée sur les « petits délinquants » serait au contraire une pratique souhaitable.

La majorité ordinaire abandonnée

Je pourrais faire référence à d’autres débats qui tourneraient systématiquement en dérision le « populisme judiciaire » qui au fond n’est que l’attente impatiente d’une autre justice et le sentiment angoissé que l’actuelle n’est pas à la hauteur de ce qui sourdement ou de manière explicite surgit des tréfonds du pays.

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Il me semble qu’une explication ayant du sens éclaire au moins partiellement le mépris politique et médiatique à l’encontre de ce « populisme pénal », très souvent assimilé à ce que ses adversaires appellent la démagogie du RN. On a l’impression, à entendre de multiples réactions parlementaires ou autres, qu’on rend sans le vouloir un hommage équivoque au RN en le constituant comme porte-parole du « populisme ». Une perception plus fine pourrait au contraire désigner comme groupe dominant de ce populisme, cette « majorité ordinaire » qu’évoque Christophe Guilluy et peu ou prou abandonnée par le pouvoir.

« Les attaques contre les fondements du droit, les gens de justice – avocats et magistrats – y sont habitués. Mais leur généralisation les inquiète » : cette généralisation, à la supposer exacte, ne vient pas de nulle part. D’abord, pour le commun, de la démonstration trop souvent décourageante de l’impuissance de l’État de droit classique. Quand l’insécurité augmente et prend des formes de plus en plus violentes et précoces, la faiblesse de nos dispositifs de protection traditionnels, mal adaptés à aujourd’hui, saute aux yeux pour peu qu’on veuille les garder ouverts. Ensuite, si le populisme judiciaire est une plaie de la République, que magistrats et avocats fassent leur examen de conscience : ne sont-ils pas, à des titres divers, directement responsables de ce qu’ils s’imaginent combattre ? L’aristocratisme pénal est le pire remède au populisme : il le valide au lieu de le réduire.

Des Grands Boulevards à l’Orient, les Kurdes, un peuple sans terre

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Rassemblement à Toulouse l’appel d’associations kurdes pour rendre hommage aux militantes kurdes assassinées en 2013 ainsi qu aux trois kurdes tues à Paris le 23 decembre 2022. Photo : SIPA / CONFLITS

Les Kurdes sont revenus sous les feux de l’actualité à la suite de l’attentat de la rue d’Enghien. Mais la question kurde existe depuis bien longtemps et ne trouve pas encore de solution. Une guerre sans fin qui déstabilise le nord du Moyen-Orient. Tigrane Yegavian a répondu aux questions de la revue Conflits. Propos recueillis par Louis-Marie de Badts.


Tigrane Yegavian est chercheur au CF2R (Centre Français de Recherche sur le Renseignement).

Conflits. À la sortie de la Première Guerre mondiale, le traité de Sèvres reconnaissait aux Kurdes le droit de se constituer en nation indépendante. La période entre-deux-guerres fut baignée de sang. C’est de là que part tout le problème kurde, mais qu’en est-il aujourd’hui, après près d’un siècle de conflits et de tension ?  

Tigrane Yégavian. Il faut bien comprendre que les Kurdes forment la plus grande nation sans État au monde. Ils seraient aujourd’hui entre 30 et 40 millions répartis entre la Turquie (20 millions de Kurdes), l’Iran, l’Irak et la Syrie (respectivement 12, 8,5 et 3,6 millions). Ces quatre pays entretiennent des relations orageuses, mais s’accordent néanmoins sur la nécessité d’empêcher l’émergence d’un État kurde indépendant.

Depuis août 1920, les Kurdes entretiennent un profond sentiment d’injustice. Les Occidentaux leur avaient promis à cette période qu’ils auraient un État, sur un territoire qui aujourd’hui se trouve au sud-est de l’actuelle Turquie et empiète au nord de l’Irak.

Les Kurdes n’ont pas vraiment leur place en Turquie et ne s’y assimilent pas. Aux yeux d’Ankara, la question kurde est un problème de sécurité nationale, car dans le cas où les Kurdes obtiendraient leur autonomie, le processus d’indépendance serait irrémédiablement enclenché. La Turquie devrait craindre son propre démembrement pour éviter un nouveau « traité de Sèvres » (1920) qui avait scellé la disparition de l’Empire ottoman et fracturé la Turquie anatolienne.  Il est cependant intéressant de noter que depuis 2012, les Kurdes possèdent une certaine autonomie en Syrie, mais Damas n’a pas l’intention de la rendre durable.

De son côté la guérilla du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) est engagée dans l’action armée depuis 1984, avec au départ un programme visant à l’indépendance du Kurdistan et l’instauration d’un régime marxiste-léniniste, d’inspiration stalinienne. L’organisation a fait sa mue après l’arrestation de son leader Abdullah Ocalan en 1999. Elle défend à présent un système d’autonomie inspirée de la théorie du penseur marxiste libertaire américain Murray Bookchin, décédé en 2006. Depuis, le PKK s’est donné comme objectif de fonder la première société qui établirait un confédéralisme démocratique inspiré des réflexions du théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire, en encourageant une forme de féminisme, inédite au Moyen-Orient. C’est notamment le cas dans le nord-est de la Syrie. Mais derrière son discours démocratique, le PKK (et sa franchise syrienne du PYD) mène un maillage des territoires qu’il contrôle et ne tolère que les forces politiques qui lui sont soumises.

Il faut vraiment comprendre qu’il existe de vraies divisions au sein du peuple kurde. Il ne faut pas les confondre entre eux : religion, politique, ethnies. Et ces divisions ne font que s’accentuer avec le temps.

La diaspora kurde fait aujourd’hui beaucoup parler d’elle, mais dans quelle mesure croit-elle encore à son projet d’indépendance ? N’est-il pas devenu utopique ?

Le problème actuel kurde c’est qu’il n’y a pas de leadership trans-national. Abdullah Öcalan, fondateur et chef du parti des travailleurs du Kurdistan, est en prison en Turquie. Son œuvre est limitée parce qu’il ne peut pas fédérer tous les Kurdes, car un clivage existe entre islamistes et nationalistes, mais il n’est malheureusement pas suffisamment étudié. Par exemple, certains Kurdes sont membres de Daech tandis que d’autres dont on ne parle pas assez, soutiennent Erdogan, en Turquie et même en Allemagne. Il est aussi important de savoir que le chef des services secrets turcs est d’origine kurde, Hakan Fidan, un proche d’Erdogan. Fidan est un Kurde originaire de Van qui parle cette langue lorsqu’il négociait avec des cadres du PKK. Il est essentiel de comprendre que l’on a affaire à une nébuleuse politique. Les Kurdes n’ont pas vraiment de …

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