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Le prof fait de la résistance

Lors de sa prise de fonctions, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale a invité les hussards de la République à se retrousser les manches. Mais, on dénonce actuellement dans les rangs le « pacte enseignant », cette loi « scélérate » qui vise à lutter contre l’absentéisme des profs.


Allons « hussardes de la République » [1]! Convoquant, à l’occasion de la passation de pouvoir rue de Grenelle, le 23 septembre, un lignage radieusement matriarcal – mamie, belle-maman, tata, frangine, toutes « AESH, institutrice, professeure, directrice d’école, principale de collège » -, Anne Genetet entendait, dans un exorde martial, rallier les profs à la cause. Mais laquelle?

Ce n’est pas le discours qui le dirait, encombré d’éléments de langage contradictoires : promouvoir l’« école inclusive » mais remonter « le niveau de nos élèves » ; remonter « le niveau de nos élèves » mais lutter « contre le harcèlement » ; travailler sur l’« attractivité du métier d’enseignant » mais promouvoir l’« école inclusive ». Le tout saupoudré de maternage : promesse d’« écoute », de « bien-être », d’« enthousiasme », de « bonheur ». Peut-être l’évocation finale, solennelle, de Samuel Paty et de Dominique Bernard, « deux enseignants passionnés […] morts d’avoir enseigné », était-elle plus éloquente, quoique légèrement inexacte. Ou bien la nécessité, rappelée dans la péroraison, d’inscrire la rénovation de l’école dans « le temps long »[2].

Alors du temps, ça tombe bien, on en a dans mon lycée de province. Et on le gère, dans un esprit méthodique et combatif.

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D’abord, une minute (de silence), par an, pour Samuel Paty et Dominique Bernard, soit 30 secondes pour chacun. Quelques nanosecondes si, sur un malentendu, on inclut dans cette commémoration les victimes du 7 octobre[3]. Ensuite, des heures d’information syndicale : neuf heures annuelles prises sur le temps de travail, primo parce qu’on y a droit, deuxio parce que se syndiquer c’est se défendre, s’informer, lutter. Enfin des jours et des jours, des nuits pour les plus militants, passés à organiser la résistance. Il faut dire qu’en cette rentrée 2024, l’institution veut nous imposer le Pacte (de la honte) afin de pourvoir aux remplacements de courte durée. Il consiste à contractualiser, sur la base du volontariat, des missions supplémentaires d’enseignement : en plus de son traitement de fonctionnaire, le professeur est rémunéré à hauteur des heures effectuées, et perçoit une somme… plutôt coquette. Loi scélérate ! « Un coup d’essai dans l’entreprise de destruction du statut par son découpage en petits morceaux contractualisés » disent les tracts amphigouriques glissés dans les casiers des professeurs potentiellement collabo par leurs vigilants collègues. Il « faut traiter ce problème collectivement » et « nous sommes largement déterminés à cesser de réaliser ces heures ponctuelles de remplacement ». Que les élèves aillent donc se faire remonter le niveau ailleurs ! L’heure est à la Résistance!

Et Dominique Bernard ? Samuel Paty ? La contre-enquête menée par Mickaëlle Paty et diffusée par C8 le 16 octobre fait la lumière sur la mort de son frère et révèle les dangers qui menacent l’école.

Mais le film dure 1h30 et la réaction qui s’impose s’inscrit dans le temps long. Ça ne rentre pas dans le timing. Nous ne pouvons pas être sur tous les fronts.


[1] « En entrant dans ce ministère, je pense à mon arrière-grand-mère, à ma grand-mère, à ma belle-mère, à ma tante, à ma soeur qui furent toutes AESH, institutrice, professeure, directrice d’école, principale de collège ; je pense à cette lignée de hussardes de la République », Anne Genetet, allocution prononcée lors de la passation de pouvoir.

[2] Anne Genetet, allocution prononcée lors de la passation de pouvoir.

[3] Primo-bourde ministérielle.

Madame Pelicot et la société

Hier, à la moitié du procès des viols de Mazan, Gisèle Pelicot a été entendue. La victime a affirmé n’avoir « ni colère ni haine » mais être « déterminée à changer cette société ».


Le témoignage de Gisèle Pelicot a beaucoup ému le tribunal – et le public.  À raison.
Un procès, c’est une histoire humaine qui se rejoue en direct. Souvent, c’est une histoire ordinaire ; là, il s’agit d’un drame exceptionnel et hors-norme. L’émotion est maximale, sans doute parce qu’il est question de la sexualité humaine, qui avec l’argent est un des plus puissants ressorts du crime. Au point que Libé fait précéder ses articles concernant l’affaire des viols de Mazan d’un trigger-warning[1] ! Un  « traumavertissement », en bon français. « Ces articles relatent la description de violences sexuelles et peuvent choquer ».

Effroi et compassion

Tout être humain doué d’empathie ressent de l’effroi et de la compassion pour Gisèle Pelicot qui dit être « une femme totalement détruite ». Mais aussi de l’admiration pour « l’invaincue » (titre du papier de Pascale Robert-Diard, dans Le Monde). Mme Pelicot est détruite mais debout.
Pour la première fois, elle s’adressait hier à son ex-mari, en l’appelant par son prénom. Elle a évoqué leur vie commune, leurs trois enfants et sept petits-enfants. Mais, la phrase la plus relevée est la suivante : « Je n’exprime ni ma colère ni ma haine, mais ma volonté et ma détermination pour qu’on change cette société. » Deux heures après, parmi d’autres journaux, Le Courrier international titrait : « le témoignage de Gisele Pelicot va-t-il changer la société ? »

Culture du viol

En quoi cette question me choque-t-elle ? La question ne me choque pas vraiment, mais elle m’interpelle. Surtout, la réponse est non. Et cela pour deux raisons :
L’objet d’un procès est de juger des criminels ou des délinquants particuliers. On ne juge pas le viol. On ne juge jamais le crime, l’assassinat ou la délinquance. Les tribunaux jugent des cas spécifiques et les juges apprécient des responsabilités individuelles. Certes, cela peut être un peu différent pour les crimes de masse. Le procès de Nuremberg ou le procès d’Eichmann à Jérusalem ont, sinon été des procès du nazisme, permis de comprendre ses ressorts. Mais jamais d’empêcher les résurgences néo-nazies, en réalité. Croyez-vous vraiment que les procès de Charlie ou du Bataclan ont changé la société ? Ils ont peut-être un peu amélioré notre compréhension de l’islamisme, mais ils n’ont pas dissuadé les candidats-djihadistes ni stimulé notre combativité.
Par ailleurs, ce qu’on voit au tribunal d’Avignon, ce n’est pas la société, mais des gens qui ne respectent pas ses règles élémentaires. On en revient à ce que je répète depuis le début de ce procès : on ne juge pas la « culture du viol ». Nous ne sommes pas entourés d’hommes qui font violer leur femme. Et il n’y a pas de culture du viol en France, à mon avis: le viol était déjà condamné socialement et judiciairement bien avant MeToo. Certes, peut-être pas assez, peut-être pas toujours dans les meilleures conditions – on peut toujours faire mieux. Mais si les femmes ont honte d’aller déposer plainte, ce n’est pas forcément à cause du fonctionnement de la justice et de la police, mais tout simplement parce qu’il est très difficile d’accuser quelqu’un qui est le plus souvent un proche et que cela charrie des choses très intimes.
Peut-être Mme Pelicot peut donner du courage aux victimes, mais arrêtons de dire que ce procès changera la société. Au mieux, il donnera des bribes de réponse à la question vertigineuse de Gisèle Pelicot: comment l’homme qu’elle aimait a-t-il pu lui faire ça ? Désolée, ce n’est pas la faute de la société.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Trigger_warning_(psychologie)

Sologne: la chasse aux «gros» est ouverte

Les gros, les riches, naturellement. Ou plutôt les ultra-riches, pour reprendre les termes du bandeau du dernier livre enquête de Jean-Baptiste Forray. 


Les Nouveaux Seigneurs, tel est son titre. Quant au bandeau racoleur comme il se doit – c’est là sa fonction – il dit l’essentiel du contenu : « Comment les ultra-riches ont colonisé la Sologne et dénaturé la chasse »[1]. Rien que cela.

C’est donc en ma qualité de colonisé – puisque Solognot je suis – que je m’autorise ces quelques lignes. Je suis né à Gien (45), la sublime porte d’entrée en Sologne, j’ai grandi et vécu à Veilleins, mégalopole de cent cinquante neuf âmes située entre Romorantin et Chambord. J’y ai même été élu maire-adjoint, conséquence sans doute regrettable d’un moment d’égarement des habitants sus-évoqués. Et puis, j’ai aussi été journaliste de ce pays. Après une parenthèse, je suis revenu vivre à l’année, et pour toujours, dans ce coin-là, qui est de loin celui de France où je me sens le plus chez moi. J’ajoute que, bien que n’étant plus chasseur moi-même depuis fort longtemps, je descends d’une longue lignée de passionnés. Tout cela juste pour dire que je ne me considère pas totalement illégitime à commenter le sujet.

Colonisation

Pour commencer, je ne sens pas peser sur moi, sur mes proches, sur les nombreux Solognots que je fréquente, le poids d’une virulente, d’une étouffante oppression coloniale. Il est vrai que, selon l’auteur qui, un rien condescendant, le suggérait dans une récente interview, nous autres, ici, n’aurions pas encore atteint un niveau de conscience politique qui nous rendrait perceptible la lutte des classes et ses effets. Trop attardés, trop cons, pour tout dire. Sauf que, si je peux me permettre, pour en appeler dans le cas d’espèce à ce concept analytique de lutte des classes, il faut quand même avoir très mal lu le père Marx.

En fait, là où l’inspiration marxisante est à l’œuvre dans cette approche est que le gibier traqué est bien évidemment le riche. L’horrible, le monstrueux riche. Le riche coupable d’un crime inexpiable et entaché d’une tare immonde : avoir l’argent. Il a de l’argent et il s’en sert, le monstre ! C’est ignoble. (À quand, je vous le demande, l’émergence d’une nouvelle « race » de riche, le riche pauvre ! On en rêve. Certains y travaillent actuellement, me rapporte-t-on) Il s’en sert disais-je. Il acquiert des hectares, beaucoup d’hectares. Une rumeur persistante prétend qu’il les paie leur prix et que ce n’est pas en dépêchant des escadrons de mercenaires dans la campagne ni en mettant à flots des canonnières sur la Sauldre ou le Beuvron qu’il s’en rend propriétaire. Colonisation fort tempérée, donc. Mais peut-être n’est-ce là qu’une intox. Le livre-enquête ne dit rien là-dessus. On a tous nos lacunes, il est vrai.

L’engrillagement, un truc de parvenus

Bref, une fois propriétaire de ce vaste domaine, l’ultra-blindé s’empresse de l’engrillager, nous informe l’auteur. Il dit vrai. Or cet engrillagement constitue – en cela il a également raison – une hérésie, une connerie abyssale. Cette pratique est radicalement contraire à la loi naturelle, fondée sur la libre circulation de tout ce qui est gibier. Sans quoi, d’ailleurs, tant conceptuellement que juridiquement l’animal cesse de l’être, gibier, précisément. En effet, pour être qualifiable de gibier, nous enseigne le droit romain, il faut qu’il soit res nullius. Il ne peut avoir aucun propriétaire, aucun maître identifiable. Ainsi, enfermé dans son enclos, l’animal, quel qu’il soit, perd donc cette spécificité fondamentale. Il devient peu ou prou, que cela plaise ou non, une espèce de bête de basse-cour.

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En réalité, cette folie d’engrillagement est bien davantage la marque d’un réflexe bourgeois qu’aristocratique. Bourgeois parvenu, ajouterais-je. Réflexe d’appropriation. Là où le bourgeois dit « je possède, c’est à moi », le noble, l’authentique, dit « j’appartiens à… » Son patronyme même illustre cette inversion du rapport : il s’appelle Monsieur, Madame « de » tel lieu, ou de tel autre lieu, parce qu’il en est. Parce que, au plus profond de lui, il lui appartient. Le caprice d’engrillagement si exagérément possessif lui est, de ce fait, à peu près étranger. 

Si la cible véritable du livre était cette perversion du milieu, on pourrait applaudir. Et sans doute serais-je le premier. Or, je suis bien certain que si on prenait le temps d’exposer à ces propriétaires – et à tous ceux qui moins riches et sur moins d’hectares sévissent pareillement – que lorsqu’ils rameutent à la chasse leurs relations politiques, people, business, médias, ils se rendent coupables de tromperie sur la marchandise, de grossière arnaque en leur faisant croire que ce sur quoi ils vont tirer mérite bien le label gibier, ils se feraient une obligation – ne serait-ce que par orgueil – de corriger le tir, si je puis ainsi m’exprimer.

Mais on a bien compris que, comme toujours dans ce genre de réquisitoire, le cœur de cible est ailleurs que dans la pratique dénoncée. Ce cœur de cible, répétons-le, c’est le riche. Le riche coupable d’être riche.

Un peu d’histoire et de bon sens

L’auteur explique que le dévoiement remonte à Napoléon III qui a mis à la mode la Sologne, la chasse, au sein des bons et beaux milieux de la capitale. De nouveau, il a raison.

C’est alors qu’est apparu ce que, au début du vingtième siècle, avec une saine ironie, un d’Espinay Saint-Luc – lignée noble et ancienne de Sologne – se prit à baptiser, par opposition au chasseur véritable, « le tireur sportif ». Bonne pâte, nous concèderons à l’auteur du livre que les personnes qu’il vise peuvent apparaître comme le prolongement de ce tireur sportif… À ceci près que, à l’instar de leurs prédécesseurs, les propriétaires d’aujourd’hui eux aussi reboisent, eux aussi curent les fossés, eux aussi entretiennent les étangs, les levées, les berges, les bondes, le réseau astucieux et ancestral de canaux les reliant les uns aux autres, permettant ainsi la perpétuation de l’exploitation patrimoniale de cette forme spécifique de pisciculture… Cela ne devrait pas compter pour rien. Les Solognots le savent bien qui, pour ces choses-là, n’en déplaise à l’auteur, cultivent, de préférence à la lutte des classes, cette forme d’intelligence, assez rude il est vrai, qu’on appelle le bon sens.

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Enfin, il faut aller à l’essentiel. La présentation du livre se clôt par cette formule : « Les Nouveaux Seigneurs lève le voile sur le séparatisme des ultra riches sur fond de souffrance animale. » Les mots révèlent très clairement le projet. Ultra riches, colonisé, séparatisme, souffrance animale. Nous avons là le fin du fin en matière de convergence des crimes : l’argent, la colonisation, l’apartheid, la maltraitance animale. Convergence des crimes à inscrire dans la perspective d’une autre convergence, celle des luttes. Et c’est bien là que se niche le travers idéologique de l’entreprise !

Alors, bonne âme, moi le colonisé solognot pas si mécontent de son sort, je vais ici apporter ma (modeste) contribution à la convergence évoquée. Pour autant que je puisse le savoir, ces gens-là sont blancs. Oui, vous m’avez bien lu, ils sont de race blanche. Mâles, au moins pour une bonne part d’entre eux. Il se peut même que chez eux l’hétérosexualité domine (Là, je m’avance)… Bref, que de tares, que de crimes accumulés ! Vite, vite des hectares engrillagés de barbelés pour qu’on les y lâche et les y flingue ! Taïaut ! Taïaut ! Et voilà bien que, soudain, je me prends à regretter qu’un autre empereur que Napoléon III, attaché lui aussi à la Sologne, Bokassa 1er, l’impayable Jean-Bedel Bokassa, qui fut en son temps un de nos fastueux châtelains, ne soit plus de ce monde. Histoire de raciser un peu ce bal des nantis.

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[1] Èditions les Arènes, octobre 2024.

Nicolas Bedos, le beau bouc émissaire

L’acteur a été condamné hier à six mois sous bracelet électronique pour agressions sexuelles. Une sanction étonnamment lourde qui interroge, contre laquelle le comédien a fait appel.


Un beau gosse hâbleur, un fils de, un bobo, une tête à claques… tous ses détracteurs se réjouiront de la condamnation en première instance du réalisateur, acteur et humoriste Nicolas Bedos, condamné à un an de prison, dont six mois avec sursis, pour des agressions sexuelles.

Mais qu’est-ce qu’une agression sexuelle ? Une tentative de viol ? Détrousser violemment les vêtements de sa victime ? Forcer une personne à accomplir des gestes sexuels sous la contrainte ? Alors, dans ce cas, ce n’est pas cher payé.

En l’occurrence, Nicolas Bedos est accusé par une de ses plaignantes de s’être dirigé vers elle tête baissée, avant de tendre la main au niveau de ses parties génitales, lors d’une soirée en boîte de nuit ; et la seconde femme, serveuse, accusait l’artiste de l’avoir attrapée par la taille et de l’avoir embrassée dans le cou.  Certes, ce n’est pas une façon très élégante de se tenir et une femme choquée par ce comportement est en droit de gifler l’importun. Mais, un baiser volé dans le cou justifie-t-il une plainte ?

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N’oublions pas que les faits se sont produits dans une boîte de nuit branchée de la capitale où hommes et femmes passent leur temps à danser de façon lascive, plus ou moins rapprochée, avec consentement réitéré selon les ondulations corporelles d’une chorégraphie improvisée. Que les hommes qui n’ont jamais essayé d’embrasser une fille à vingt ans, jettent la première pierre à Nicolas Bedos ! Ce qui est gênant dans cette lourde condamnation, c’est la criminalisation d’attitudes qui n’ont causé aucune blessure physique ni dégât matériel. J’entends les saintes-nitouches et les pharisiens hurler qu’il y a sûrement des séquelles psychologiques. Et se prendre une veste, ça ne laisse pas de séquelles psychologiques ? Toute la vie n’est que séquelles psychologiques ! Mes congénères masculins devraient se rassurer : même Nicolas Bedos peut se prendre un râteau ! Ce qui est gênant dans cette condamnation, c’est le manque de proportionnalité pénale entre le geste déplacé et la véritable agression violente. Ce manque de nuance relativise les délits. Il y a une hiérarchie dans la gravité des faits comme il y a une hiérarchie pénale. Nicolas Bedos paye-t-il sa notoriété ? Est-il la victime expiatoire des chiennes de garde et du mouvement « Balance ton porc » ? La sanction est lourde, étonnamment lourde. Ce genre de chose relève de la bienséance et ne devrait pas encombrer les tribunaux.

Aucune sanction ne doit être prise pour l’exemple, car finalement, l’exemple n’est souvent que le cache-sexe du bouc émissaire, et en matière de justice, faire un exemple est une injustice. Cette justice-là ne sort pas grandie.


Doliprane: un symbole cher payé

Mi-octobre, les Français ont appris que l’entreprise Opella, filiale de Sanofi en charge notamment du célèbre médicament Doliprane, allait être vendue à un fonds d’investissement américain. Ce genre d’actualité n’est d’habitude relayée que par la presse économique spécialisée, et il est très rare que le grand public s’y intéresse ou s’en émeuve outre mesure…


Pourtant, cela n’a pas été le cas ! Et, pour une fois, ce n’est pas tellement du fait des syndicats, bien que cette décision risque d’affecter deux sites de production en France et 1700 emplois.

D’un côté, il y a le Doliprane, ce médicament largement utilisé et apprécié dans les foyers français et, de l’autre, un fonds d’investissement étranger, ce que le grand public considère, probablement à juste titre, comme le paroxysme de la capitalisation au détriment de l’humain.

Un médicament érigé en symbole lors de la crise sanitaire

Nul besoin d’être féru d’économie pour comprendre ce qui se joue réellement ici : la désindustrialisation de la France et la perte d’une souveraineté nationale. Déjà, en 2014, dans un autre secteur qu’est celui de l’énergie, les Français s’étaient émus de la cession d’Alstom à l’américain General Electric. Un des points communs entre ces deux affaires reste sans nul doute le rôle de l’État qui subit en plus les conséquences, dans le cas du Doliprane, d’un très mauvais timing. En effet, depuis la crise du Covid, certains médicaments sont en rupture ou en flux tendus et le gouvernement avait, à l’époque, érigé le fameux Doliprane en symbole d’une nécessaire réindustrialisation française en vue de préserver une souveraineté nationale, notamment sur le plan sanitaire. Inutile de dire que le symbole se retourne aujourd’hui contre nos gouvernants et met en lumière l’écart manifeste entre les promesses politiques et leurs réalisations concrètes. D’autant que l’heure est au bilan pour les Français ! Les révélations du nouveau gouvernement quant au déficit actuel de l’État ont ouvert la voie à la vindicte populaire. Les politiques sont sommés de s’expliquer, de se justifier et de rendre des comptes. Il faut bien trouver des coupables !

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La décision de Sanofi de se séparer de sa filiale de santé grand public pour se consacrer à la recherche et au développement de médicaments innovants n’a pourtant rien de choquant. C’est un choix stratégique comme un autre émanant d’une entreprise privée. En revanche, depuis un an que le projet est sur la table, comment expliquer qu’aucun fonds d’investissement français ou européen n’ait pu se montrer acquéreur ? C’est dans ce genre de situation que l’on constate avec désarroi le manque de compétitivité et de poids des entreprises françaises actuellement dans une économie mondialisée.

Aveu de faiblesse

Cependant, c’est sur l’issue de cette affaire que se concentrent mes critiques. Le 21 octobre, la banque publique d’investissement Bpifrance annonce investir entre 100 et 150 millions d’euros pour entrer au capital d’Opella et prétend ainsi influencer Sanofi et le fonds d’investissement américain CD&R dans le but de préserver les sites de production en France et les emplois associés, mais également de garantir l’approvisionnement de la France en médicaments concernés.

Qu’on se le dise : cette somme, aussi impressionnante soit-elle pour le commun des mortels, ne représente que 1 à 2% du capital d’Opella et ce fonds d’investissement américain, désormais majoritaire à plus de 50%, se passera aisément de l’avis de l’État français le jour où il souhaitera délocaliser les sites de production du Doliprane. Ses pieuses promesses seront probablement tenues quelques mois, voire quelques années mais n’offrent aucune garantie à long terme sur le maintien de la production en France ou la sauvegarde des emplois.

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Cette décision sonne comme l’aveu de faiblesse d’un État impuissant, davantage par manque d’autorité et de vision à long terme que par manque de moyens. En effet, ce n’est pas au moment de la cession qu’il aurait fallu agir en tentant mollement de s’imposer dans les négociations mais, quelques années plus tôt, lorsque Sanofi bénéficiait très largement du crédit d’impôt recherche (notamment pour ce vaccin contre le Covid qui n’a jamais réellement abouti ou trop tardivement). C’est à ce moment-là qu’il aurait fallu exiger des contreparties avec des engagements sur le maintien de l’industrie pharmaceutique française autant que faire se peut. On ne peut pas prétendre diriger en subissant une actualité, somme toute assez prévisible au vu des antécédents de désindustrialisation de la France de ces vingt dernières années.

À l’inverse il aurait été courageux de prendre une vraie décision : celle de ne pas du tout ingérer dans cette transaction d’ordre privé ou celle de préempter la cession, c’est à dire de faire capoter la vente et ce, « quoi qu’il en coûte », au risque de froisser les investisseurs étrangers qu’Emmanuel Macro s’efforce de séduire depuis de nombreuses années. Bref, tout aurait été préférable à cette décision molle, en demi-teinte, qui n’apporte aucune garantie à long terme pour l’économie française et qui, à court terme, vient de coûter à la France entre 100 et 150 millions d’euros ! Pour un coup de communication, un effet d’annonce visant à rassurer l’opinion publique, c’est cher payé, surtout quand l’heure est aux économies…

L’Occident nombriliste, humilié par Poutine et l’ONU

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Le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres est arrivé en Russie, où l’autocrate Vladimir Poutine met en scène son non-isolement lors du sommet des BRICS qu’il organise. Analyse.


Le grand effondrement, qui affecte la France, n’épargne pas l’Occident. C’est un chamboulement mondial qui s’observe, en réaction au même mépris porté par des « élites » auto-satisfaites aux peuples trop ordinaires. Ce mercredi matin, l’arrivée en Russie du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, au sommet des Brics présidé par Vladimir Poutine, est une provocation lancée aux démocraties du monde libre et à leur prétention à l’exemplarité. Le paria russe, sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre en Ukraine, peut en effet se targuer, outre de l’aval de l’ONU, d’avoir pu réunir, à Kazan, la fine fleur des puissances du Sud Global, qui représentent près de 46% de la population mondiale et 36% du PIB mondial. La Chine, l’Inde, le Brésil, l’Iran, l’Afrique du sud, la Turquie, l’autorité palestinienne seront sur la photo de famille, parmi les 24 pays constituant ce club des humiliés. Une manière pour Poutine de rappeler l’échec de la politique occidentale qui s’était jurée de briser les reins de l’autocrate, de l’isoler du reste du monde et de lui faire perdre la guerre contre l’Ukraine. Aucun de ces buts n’a été atteint. Au lieu de cela, la pérenne arrogance occidentale est en train d’exaspérer ses propres citoyens. C’est en tout cas ce qui ressort, ce mercredi, d’un sondage Ipsos du Parisien qui montrerait que, pour 51% des Français, « seul un pouvoir fort peut garantir l’ordre et la sécurité ».  23% des sondés – et 31% chez les moins de 35 ans – vont jusqu’à dire que la démocratie n’est pas « le meilleur régime existant ». 76% estiment que le personnel politique est « déconnecté des réalités des citoyens ».

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La contestation de l’ancien ordre mondial par des pays le plus souvent despotiques n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour l’avenir des démocraties libérales. Mais il serait trop simple d’accuser les Brics de mauvaises manières obscurantistes. La constante indifférence avec laquelle l’Occident orgueilleux a répondu à la Russie, après son évasion de sa prison communiste, a poussé ce pays à quitter par dépit une civilisation qui lui était familière, ne serait-ce qu’à travers sa culture chrétienne et sa littérature. Le secrétaire perpétuel de l’Académie française, Amin Maalouf, dans Le labyrinthe des égarés (Grasset, 2023), écrit : « S’agissant des dirigeants occidentaux, ils ont manqué de générosité et manqué de vision à long terme. Ils auraient dû prévoir qu’une Russie blessée et diminuée serait, pour l’Europe, une bombe à retardement. Il fallait, à tout prix, l’aider à se démocratiser, à se développer, à se reconvertir ; l’aider à retrouver, au sortir de la guerre froide, un tout autre rôle dans le monde, une autre manière de s’épanouir, afin qu’elle puisse donner naissance à une autre génération de dirigeants, qui ne soient ni corrompus, ni prédateurs, ni assoiffés de vengeance. Hélas, rien de cela n’a été fait… ». Ce gâchis, seul l’Occident infatué s’en est rendu coupable en se regardant le nombril. Certes, il reste encore un modèle pour ceux qui aiment la liberté. Mais l’Occident doit savoir que le Sud Global, décidé à régler ses comptes, ne lui fera aucun cadeau.

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Sondages: Kamala ramollo

Et si Trump était finalement en train de remporter l’élection présidentielle américaine ? À 15 jours du vote, les sondeurs ne parviennent plus à départager les candidats. Harris apparait comme une candidate vague (dans son programme) et… sans vague (dans les intentions de vote).


Alors que la campagne touche à sa fin, Kamala Harris et Donald Trump sont au coude-à-coude dans les derniers sondages. Harris peine à redresser la barre dans les États-clés, tandis que Trump, porté par la fidélité de sa base et quelques succès inattendus, avance avec une étonnante sérénité. La perspective d’une surprise d’octobre ajoute à l’incertitude, mais ce scrutin se jouera probablement sur la capacité des candidats à saisir les dernières opportunités. Une chose est sûre: rien n’est encore joué.

La fin de la Kamalamania 

Kamala Harris a débuté sa campagne avec des attentes élevées, notamment après un débat jugé solide face à Donald Trump, où elle a su captiver l’audience et a surpris les observateurs. En septembre, un sondage CNN affirmait que 63% des téléspectateurs jugeaient qu’Harris avait remporté le débat face à Trump. Cependant, l’enthousiasme a rapidement faibli. Ses derniers discours et interventions médiatiques, loin de galvaniser, ont suscité des critiques. Ce fut le cas lors de son interview dans l’émission  60 minutes, où elle s’est montrée incapable de parler de sa politique d’immigration, ou lors de l’émission The View, où elle a ouvertement déclaré qu’elle aurait tout fait comme Biden. Le manque de clarté sur sa vision politique sur les questions de fond la décrédibilise face à un électorat qui attend des mesures fortes sur l’économie et l’immigration. Ajoutons à cela son absence de stratégie sur la politique internationale, notamment avec le conflit au Moyen-Orient. Bien que sa position mesurée sur Israël soit saluée par les modérés, elle déçoit une frange progressiste du Parti démocrate, qui demande l’arrêt du soutien inconditionnel à Netanyahou. Cet équilibre fragile entre différents courants du parti nuit à sa capacité à fédérer et séduire les indécis, à un moment où chaque voix compte.

Les sondages sont implacables : Harris perd du terrain dans les États-clés tels que le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin, ces mêmes États qui ont assuré la victoire de Joe Biden en 2020. Dans certaines enquêtes, Harris se retrouve désormais devancée par Donald Trump, une situation qui alarme les stratèges démocrates. En trois semaines, l’avance moyenne de Harris dans ces états du Blue Wall est passée de plus de deux points à moins d’un point. Le problème est double pour Harris. D’une part, elle ne parvient pas à séduire les indécis et  d’autre part son programme reste trop flou pour réellement capter l’attention d’un électorat qui ressent de la rage contre l’establishment ou de la méfiance à l’égard d’un système jugé fermé. Les démocrates, conscients de l’urgence, cherchent une stratégie de redressement, mais le temps est compté.

Trump avance sans fléchir

Pendant que Harris s’essouffle, Trump, lui, maintient le cap. Sa base lui est fidèle, et ses résultats dans les enquêtes d’opinion, bien que stables, lui donnent un avantage stratégique. Contrairement à Harris, Trump n’a pas besoin de séduire de nouvelles catégories d’électeurs. Il concentre son énergie sur les indécis, en particulier dans les États-clés, où sa campagne martèle des messages simples : sécurité nationale, lutte contre l’immigration  illégale, reprise économique et soutien inconditionnel à Israël. Sa stratégie est claire : éviter les dérapages, maintenir le soutien de ses fidèles et grappiller des voix là où il le peut. Sa position ferme sur les questions internationales, notamment son soutien sans faille à Israël et son souhait d’en finir avec la guerre en Ukraine, lui confère un avantage net face à Harris, qui doit jongler avec des électorats plus divisés et un scepticisme grandissant.

Malgré une série de démêlés judiciaires et alors que la moindre de ses déclarations est passée au peigne fin par les Fact Checkers médiatiques, Trump se montre étonnamment résilient. Contrairement à ses précédentes campagnes, où les scandales éclataient sans cesse, cette fois-ci, il semble mieux contrôler son image et ce sont ses lieutenants qui font le sale boulot. Ses apparitions publiques sont marquées par une maîtrise inhabituelle, ce qui lui permet d’éviter les erreurs qui auraient pu lui coûter des voix. Plus surprenant encore, Trump gagne du terrain là où on l’attendait le moins. Il est en pleine bourre auprès des minorités, il séduit de plus en plus les hommes hispaniques et afro-américains. Un sondage USA Today/Suffolk University publié début octobre a montré que dans l’État de l’Arizona, 51 % des hommes latinos âgés de 18 à 34 ans soutiennent Trump, tandis que 39 % soutiennent Harris. Ajoutons à cela l’accueil favorable qui lui fut réservé à Coachella en Californie, bastion démocrate, le weekend dernier, ce qui démontre qu’il parvient à séduire des groupes autrefois réticents. 

Le sprint final et l’ombre d’une surprise d’octobre

À mesure que l’élection approche, la crainte d’une « surprise d’octobre » plane. Ces événements inattendus, capables de faire basculer une campagne, sont devenus un cliché de la politique américaine. De l’affaire Iran-Contra en 1992 aux e-mails de Clinton en 2016, ces révélations de dernière minute ont souvent marqué l’histoire des élections présidentielles américaines. Cette année, la crise au Moyen-Orient pourrait bien jouer ce rôle. Une escalade des tensions forcerait Harris à clarifier sa position sur Israël, ce qui pourrait séduire les centristes, car elle devrait alors soutenir l’État hébreu, mais risquerait d’aliéner la gauche progressiste et l’électorat arabo-américain… De même, de nouvelles révélations judiciaires concernant Trump ou des dérapages de ce dernier pourraient bouleverser l’équilibre fragile de la course. 

Pour certains, la campagne a déjà connu ses « surprises d’octobre ». Entre le retrait controversé et très commenté de Joe Biden de la course présidentielle en juillet et les affaires judiciaires de Trump, les rebondissements n’ont pas manqué. Et pourtant, l’élection reste indécise, chaque candidat peinant à creuser l’écart dans les sondages. Malgré le chaos, cette élection semble destinée à se jouer sur le fil. L’électorat américain, désormais habitué aux scandales et aux révélations de dernière minute, pourrait bien finalement se concentrer sur les enjeux concrets : l’économie, la santé, l’immigration et la sécurité nationale. La capacité des candidats à inspirer confiance dans ces domaines sera déterminante dans cette dernière ligne droite.

Israël, au ban des Nations unies

Israël est accusé de génocide depuis le début de son offensive militaire à Gaza. La procédure lancée par l’Afrique du Sud devant la Cour de justice internationale est soutenue par de nombreux pays qui sont eux-mêmes appuyés par la Chine et la Russie. En réalité, la condamnation d’Israël est le fer de lance d’une offensive planétaire contre les puissances occidentales.


Les naïfs s’en étonneront, les amis d’Israël ont l’habitude. Moins de trois mois après le 7 octobre, c’est Israël, pas le Hamas, qui était accusé officiellement de génocide. Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud engage devant la Cour de justice internationale (CJI) de l’ONU une procédure fondée sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. La requête de 84 pages maintient que, dans sa conduite de la guerre à Gaza, l’État juif serait responsable d’actes génocidaires contre la population civile, actes commis dans l’intention de « provoquer la destruction d’une grande partie du groupe national, racial et ethnique palestinien ». Certains propos tenus en public par des politiques israéliens sont cités comme autant de preuves d’une « intention génocidaire ». Pour enfoncer le clou, le document parle d’un système d’apartheid de soixante-quinze ans, une occupation de cinquante-six ans et un blocus de seize ans. Ce jour-là, Jean-Luc Mélenchon et Jeremy Corbyn sont présents à La Haye pour fêter une nouvelle étape dans leur grande campagne « antisioniste ».

En janvier, la CJI ordonne à Israël, non d’arrêter ses opérations militaires à Gaza – une des exigences de l’Afrique du Sud –, mais de tout faire pour éviter de commettre des actes génocidaires. Mais il faudra des années avant qu’elle statue sur la culpabilité ou non d’Israël. L’Afrique du Sud a jusqu’au 28 octobre pour formuler ses arguments devant le tribunal, et Israël jusqu’au 28 juillet 2025. En réalité, la CJI ne disposant d’aucune force pour faire exécuter ses jugements, ils ne changent rien sur le terrain. En 2022, elle a ordonné – en vain – à la Russie d’arrêter son invasion de l’Ukraine. De plus, Israël est habitué à être accusé de tous les maux par les Nations unies et les ONG – on se rappelle la conférence contre le racisme de Durban en 2002, qui tourna au festival antisémite.

Qu’y a-t-il de nouveau aujourd’hui ? Peu importent les conséquences juridiques de la procédure. Celle-ci est le cœur nucléaire d’une offensive destinée à discréditer Israël sur la scène internationale, l’isoler diplomatiquement et réduire l’influence et le prestige de ses alliés occidentaux. Un pas a été franchi avec la gravité des charges : inculper Israël pour un crime qui rappelle les pires horreurs du nazisme revient à le mettre au ban de l’humanité. C’est aussi, au passage, miner une source d’empathie pour les juifs, à savoir la singularité de la Shoah, et justifier l’injustifiable violence du Hamas.

Ensuite, il y a la multiplication paroxystique des dénonciations. Le 29 décembre est l’aboutissement d’un processus de renversement de l’accusation de génocide. Au lendemain du 7 octobre, l’idée que les atrocités du Hamas, qui semblent découler de ses chartes de 1988 et de 2017, et que ses responsables s’engagent à répéter à la première occasion, pourraient être une forme de génocide commence à faire son chemin. Le 16 octobre, 311 spécialistes du droit, dont des professeurs d’universités américaines, britanniques et israéliennes, déclarent l’attaque génocidaire dans une tribune. Pour les opposants d’Israël, il faut enterrer cette notion sous un torrent de contre-accusations. Dès le 15 octobre, 880 juristes et spécialistes en « études des génocides » redoutent dans une lettre ouverte qu’Israël commette un génocide à Gaza. Quatre jours plus tard, une centaine d’ONG et six chercheurs envoient une lettre à la Cour pénale internationale (CPI), qui est habilitée à poursuivre des personnes (à la différence de la CJI), pour l’exhorter à enquêter sur les possibles crimes des Israéliens, y compris l’incitation au génocide. À partir de la fin du mois, c’est un véritable déluge d’accusations contre Israël de la part de rapporteurs de l’ONU et d’associations humanitaires, sans parler des militants propalestiniens occidentaux. L’ubiquité du mot « génocide » pousse à l’invention de néologismes : c’est ainsi qu’Israël serait coupable d’« épistémicide » et de « scholasticide » quand les écoles et les musées sont endommagés à Gaza, et d’« écocide » quand il s’agit de lieux naturels. Ce déluge se prolonge en 2024, rejoignant les conclusions d’autres procédures internationales déjà en cours qui accablent Israël. Parmi elles, l’enquête lancée en 2021 par la CPI sur de possibles crimes de guerre et contre l’humanité commis par les Israéliens et le Hamas depuis 2014. En mars, le rapporteur spécial des Nations unies sur les territoires palestiniens, nommé en 2022, la juriste italienne Francesca Albanese, qui critique Israël de manière obsessionnelle, publie un rapport intitulé sans ambages « Anatomie d’un génocide ». En mai 2024, le procureur dépose une demande pour des mandats d’arrestation concernant Benyamin Nétanyahou, Yoav Gallant, Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismaël Haniyeh (ces deux derniers exécutés depuis par Israël). Un mois plus tard, en juin, un rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (rédigé par une commission établie en 2021) accuse Israël et le Hamas de crimes de guerre, mais s’acharne contre Israël pour de prétendus crimes contre l’humanité.

C’est ainsi que, par une répétition obsessionnelle, on trace dans l’opinion un signe d’égalité entre Israël et génocide. Se banalisant, le mot sert d’étendard aux ennemis d’Israël, des ennemis plus inquiétants que les activistes des campus. La troisième caractéristique de la nouvelle réprobation d’Israël, c’est que nombre de pays y contribuent, en reprenant à leur compte l’accusation de génocide. À la CJI, la procédure de l’Afrique du Sud est soutenue par 32 pays, plus 38 autres à travers l’Organisation de la coopération islamique et la Ligue arabe, ce qui donne un total de 70. En face, 12 pays s’y opposent, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, six États membres de l’UE, le Guatemala et le Paraguay. Les nations qui soutiennent la procédure comprennent les adversaires d’Israël et celles qui sont prêtes à sacrifier leurs relations avec ce dernier au nom de leurs intérêts stratégiques. En effet, plus que jamais, Israël est un pion sur l’échiquier géopolitique et un proxy pour l’Occident. Le mettre sous pression, voire le faire condamner, c’est porter un coup à l’hégémonie américaine et européenne. Cette dernière est présentée par ses ennemis comme le legs et le prolongement de la domination impériale, et c’est ici que le concept de génocide prend une dimension nouvelle. Depuis longtemps, des chercheurs militants préparent le terrain en développant l’idée qu’une « colonie de peuplement » (settler colonialism), dont l’État d’Israël serait un exemple, constitue une forme de génocide par le remplacement des habitants indigènes d’une région. Chaque action militaire conduite par Israël est donc considérée comme un nouvel avatar de ce processus génocidaire. Actuellement, ses dénonciateurs sur la scène internationale cherchent à imposer un cessez-le-feu immédiat qui permettrait la survie du Hamas. Pour eux, les membres de ce dernier ne sont pas les responsables d’un génocide, mais les résistants à un génocide. Autant dire que les Gazaouis sont, à leur corps défendant, les proxys d’un vaste mouvement anti-occidental. D’où la tentative d’étendre la responsabilité du génocide aux alliés d’Israël à travers un certain nombre de procédures pour complicité de génocide contre les dirigeants et les États occidentaux devant des tribunaux nationaux et la CJI.

Ouverture des audiences à la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye, sur la légalité de l’occupation israélienne, 19 février 2024. AP Photo/Peter Dejong/SIPA

L’Afrique du Sud justifie son action en justice par sa solidarité traditionnelle avec les Palestiniens qui souffriraient d’un système d’apartheid, tout comme les Noirs sud-africains avant 1990. Le grand Nelson Mandela a proclamé : « Nous ne savons que trop bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. » Pourtant, la nation arc-en-ciel fait preuve d’une incohérence alarmante en matière d’accusations de génocide. Elle a été admonestée en 2017 par la CPI pour ne pas avoir arrêté Omar Al-Bashir en 2015. Cet ancien dirigeant soudanais était incriminé pour son rôle dans le génocide au Darfour de 2003. À l’heure actuelle, le Soudan est le théâtre de ce qui ressemble clairement à un génocide, provoqué par la guerre civile qui y fait rage depuis avril 2023 entre les Forces armées soudanaises du gouvernement et les troupes de Mohamed Hamdan Dogolo, accusé par des observateurs de nettoyage ethnique. Or, ce dernier était l’invité du président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, juste avant l’ouverture des auditions concernant Israël à la CJI en janvier.

Ce deux poids, deux mesures s’explique par le fait que le Soudan ne constitue pas un enjeu symbolique dans le mouvement anti-occidental. Les documents officiels du parti de Ramaphosa, le Congrès national africain, très hostile à Israël, regorgent de références au « néocolonialisme », au « pillage impérialiste », et à sa propre appartenance aux « forces anticoloniales[1] ». Dans ce contexte, le Soudan ne fournit pas un récit pertinent, tandis que la lutte palestinienne constitue une histoire anti-impériale captivante avec Israël dans le rôle d’ennemi universel. Tout compte fait, l’Afrique du Sud vise par sa procédure à se positionner en leader d’un nouveau non-alignement contre l’hégémonie occidentale, pourtant bien mal en point. Certains géopolitologues théorisent l’ordre international contemporain en révisant le système tripartite proposé par Alfred Sauvy en 1952. Il y aurait donc aujourd’hui un « Ouest global », comprenant les États-Unis et ses alliés occidentaux, un « Est global », réunissant la Chine et la Russie, qui opposent des modèles autoritaires au modèle démocratique de l’Ouest, et un « Sud global » rassemblant toutes les nations coalisées contre les deux précédents, selon les circonstances et leurs intérêts. Ces groupements ne constituent pas des coalitions officielles, mais des sortes de nébuleuses fondées sur des convergences d’intérêts. Le « Sud global » se concrétise à travers de nombreux forums et institutions : le mouvement des non-alignés, le Groupe des 77, les Brics+ (élargis cette année), le bureau des Nations unies pour la coopération Sud-Sud… Dans cet environnement, les plus grands, l’Afrique du Sud, l’Inde, ou le Brésil, se disputent le prestige et l’influence, tandis que la Chine et la Russie se positionnent pour séduire ces nations et fragiliser leurs liens avec l’Occident. À cet égard, les deux puissances de l’« Est global » ont trouvé dans la guerre à Gaza une bonne occasion de s’attirer les bonnes grâces du Sud.

La Chine n’a pas soutenu la procédure sud-africaine, gênée par les reproches de la communauté internationale concernant son traitement des Ouïghours. Mais après le 7 octobre, elle a abandonné Israël sur le plan diplomatique pour avancer ses intérêts au Proche-Orient, où elle avait déjà réussi un coup en mars 2023 en coorganisant (avec Oman et l’Irak) la détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite. La Chine s’est gardée de condamner explicitement les atrocités du Hamas, renvoyant Israël et la Palestine dos à dos, mais n’a pas hésité à critiquer la conduite des opérations militaires israéliennes. Lors des audiences à la CJI en janvier, elle a même défendu le droit des Palestiniens à la résistance armée pour expulser un occupant de leur territoire. En avril et juillet, elle a réuni à Beijing les 14 factions palestiniennes, dont le Fatah et le Hamas, pour essayer de les mettre d’accord. Le message des Chinois pour les pays arabes et le Sud global est clair : ils prônent la paix générale mais, à la différence des Occidentaux, penchent nettement vers la cause propalestinienne. La Russie de Poutine, dont la marge de manœuvre est plus limitée à cause de l’Ukraine, fait preuve de la même fausse neutralité. Elle a condamné l’attaque du 7 octobre, mais critique les actions d’Israël depuis et manie des références douteuses au nazisme et à l’holocauste en affichant un manque d’empathie avec les Israéliens. À une conférence de presse à Genève, le 16 septembre, Albanese, ce rapporteur onusien fanatiquement propalestinien, a affirmé qu’Israël était destiné à devenir un « État paria ». C’est ce que veulent les ennemis d’Israël. L’Occident doit tout faire pour l’empêcher.


[1] « African National Congress, 55th National Conference. Resolutions. International Relations », 2022.

Les embûches d’un ministre pourtant bûcheur

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Dans La Citadelle, le ministre de l’Éducation d’Emmanuel Macron de 2017 à 2022 règle ses comptes politiques avec le président, et avec toutes ces « belles âmes » au cœur très sensible (et à la raison en vadrouille) qui l’ont combattu.


Notre ancien ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui fut non seulement congédié sans façon mais surtout remplacé par quelqu’un qui ne partageait pas sa vision de l’école, Pap Ndiaye, nous livre son expérience durant ses cinq années passées au gouvernement ; ce qu’il y a fait avec ses collaborateurs, ce qu’il y a vécu avec les autres ministres, les opposants, les médias, les syndicats et le président, dans un livre qui porte un titre évocateur : La citadelle.

Commençons par la fin. La fin annoncée de son ministère et la fin du livre par la même occasion qui, je l’espère, donnera envie de lire le détail à partir du début.

Le président de la République vient de lancer sa campagne pour son second quinquennat. À Aubervilliers, il annonce que si de petites choses ont eu lieu les années précédentes, de grandes choses verront le jour aux suivantes. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, qui a senti le vent tourner depuis au moins un an, comprend que son bilan est tenu pour dérisoire, et c’est la nécessité de rendre justice à ce bilan et à tous ceux qui y contribuèrent qui incite l’ancien ministre à nous livrer ses mémoires.

« Eh quoi ! Ce n’était donc rien ou pas grand-chose, le dédoublement des classes, l’instruction publique à trois ans, les évaluations de début d’année, le « Plan français », le « Plan mathématiques » ? Rien non plus « devoirs faits », le « Plan mercredi », les cités éducatives, les campus des métiers et des qualifications ? Rien toujours, la réforme du lycée professionnel, du lycée général et technique, la refonte complète des programmes ? » Etc.

Le politique n’est pas là pour « accompagner » passivement l’évolution de la société

Et je peux vous assurer que la liste est longue et que les luttes menées témoignent d’un travail acharné et d’une rectitude peu ordinaire. Il faut dire qu’il y a du pain sur la planche. Reprenons donc depuis le début. Car au-delà de toutes les initiatives que je laisse au lecteur le soin de découvrir, il s’agit aussi de lutter contre. Contre le pédagogisme, par exemple, qui aurait inspiré Molière mais qui, hélas, désespère certains enseignants et de nombreux élèves. J’en étais restée à «  l’élément rebondissant » pour désigner de manière altière un pauvre et simple ballon. Depuis, on a fait beaucoup mieux : on ne dit plus « nager dans une piscine », mais « traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête dans un milieu aquatique profond standardisé ». Si vous ne vous noyez pas avec ça, d’autant que l’immersion prolongée de la tête est tout de même risquée! Bref, le ministre a décidé de prendre le taureau par les cornes et d’évacuer écriture inclusive et autres jargons invraisemblables. Il est également très clair avec « l’antiracisme dévoyé en racisme » et s’opposera aux réunions en non mixité raciale pour ce motif. De l’affaire du foulard de Creil, il parlera de « faute originelle » en rappelant le propos plein de bon sens du principal du collège concerné ; Mr. Ernest Chénière : « Le problème n’est pas celui des croyances, le problème est celui de la manifestation extérieure de ces croyances dans l’enceinte scolaire », regrettant que Lionel Jospin s’en soit remis au conseil d’État qui opta pour la réintégration des jeunes filles voilées plutôt que d’entendre une phrase imparable. Ce sera l’occasion pour Jean-Michel Blanquer d’affirmer avec force que le politique est là pour réguler, infléchir, corriger, construire la réalité, et non pour accompagner passivement l’évolution du monde.

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Autre sujet ; celui des prestations sociales liées à la responsabilité parentale dans la présence des enfants à l’école. Le ministre se heurtera, comme souvent, aux « belles âmes » qui ont le cœur sensible et la raison en vadrouille, ministres et syndicats compris. De ces derniers avec lesquels le dialogue aura été difficile, il ajoute qu’on ne mesure pas en France à quel point les principaux syndicats (l’UNL et la FCPE) sont les antichambres des partis de gauche et d’extrême gauche.

Quant à l’islamisme, c’est à Maubeuge que Jean-Michel Blanquer devra l’affronter, tant les associations religieuses musulmanes ont pris le relai des services publics défaillants. Le temps collectif est régulé par la religion, et les professeurs finissent par l’accepter au motif de ne pas déscolariser les élèves. Obliger les parents à garantir la présence de leurs enfants à l’école en menaçant de supprimer les allocations familiales, c’est mal, mais accepter un endoctrinement qui va à l’encontre de l’esprit critique normalement enseigné à l’école, c’est acceptable. Bon…

Le voile, problème de civilité dans notre pays

Si Emmanuel Macron semble appuyer son ministre de l’Éducation nationale pendant au moins trois ans et demi, l’appui se fera de plus en plus fragile, d’autant que le ministre en question a refusé de se porter candidat pour des élections législatives là où le président voulait qu’il aille… Mais, au-delà de l’ « affront » que ce président ne saurait concevoir, c’est bien son oscillation permanente qui est en question. Ainsi, il put dire qu’au-delà de la question de la laïcité concernant le port du voile dans l’espace public, il s’agissait d’un problème de civilité dans notre pays, c’est-à-dire du rapport des hommes et des femmes en France. C’est-à-dire d’une question de culture, voire de civilisation. Sauf qu’il finit, un peu plus tard, par oublier complètement cette civilité pour estimer que… finalement, le président n’a pas à gérer cette question-là. Bref, la belle entente se fissure, encouragée par des ministres à la loyauté discutable, ou qui renâclent à financer, ou encore qui ne veulent pas déconfiner trop vite. Car c’est le temps du Covid où la pugnacité du ministre chargé des écoles, pour que celles-ci ne soient fermées que très peu de temps ou partiellement, agace. La déscolarisation lui semblant, à juste titre, destructrice, il fera de telle sorte que la France arrive en 2ème position avec seulement 12 semaines de fermeture. Numéro 1, la Suisse, avec six semaines.

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Des thèmes fondamentaux sont abordés dans cet ouvrage : l’État de droit inversé, la réinscription de la démocratie dans le temps long, le suicide de l’Europe, le non-renoncement… Par ailleurs, Jean-Michel Blanquer explicitera le titre de son ouvrage en mettant en cause le fonctionnement de l’Élysée avec celui qui règne dans l’ombre sans jamais avoir été élu : Alexis Kohler. D’autre part, quelques portraits de collègues viennent agrémenter ce livre d’un grand sérieux mais pas austère, dont le plus gratiné est sans aucun doute celui de François Bayrou. Pas d’ironie méchante chez l’ancien ministre, plutôt un coup d’œil psychologique acéré ; sans compter que ces descriptions sont contrebalancées par celles d’amis chers comme Edgar Morin et Jacques Julliard.

Enfin, la construction de l’ouvrage laisse souvent place à des passages concernant son passé, ses voyages ; sortes d’interludes qui nous emmènent ailleurs tout en éclairant le chemin parcouru.

Pour conclure, je me permettrai juste de revenir sur deux sujets ; celui de l’attitude de l’administration à l’égard de Samuel Paty qui n’est pas ici remise en cause. Seule l’absence de protection rapprochée, et qui aurait empêché la tragédie, est déplorée. Par ailleurs, le lobby LGBT, dont le ministre d’alors regrette les pressions, a fini par s’imposer à l’école sous prétexte d’éducation sexuelle et ce, sous sa propre tutelle. N’en reste pas moins qu’au terme de cette lecture, on en sait beaucoup plus sur le travail effectué, sur un homme d’une constance que l’époque aime caricaturer en psychorigidité, et sur la capacité à rebondir pour qui avait un projet à long terme et à qui on a coupé l’herbe sous le pied.

416 pages.

La Citadelle: Au coeur du gouvernement

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Violences sexistes et sexuelles: pas d’amalgame!

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Selon le député et président du Parti socialiste belge Paul Magnette, « tous les hommes contribuent à entretenir des comportements dont le viol est la forme extrème». Réagissant à l’affaire Pélicot dans Le Monde, cet infatigable défenseur de nos amies les femmes appelle à «épurer notre corpus de règles, notre langage et nos modes de pensée des biais de notre culture patriarcale»... Une compatriote lui répond.


DR.

Monsieur l’ex-Ministre-Président et ex-Bourgmestre, pas encore tout à fait remis du double échec du PS en Belgique, vous tartinez dans le quotidien Le Monde1, empoignant la tragédie de Gisèle Pélicot pour nous faire part de votre féminisme de salon. Seulement voilà, Paul Magnette, on s’en fiche de vos états d’âme de quinquagénaire en pleine crise existentielle ! Quoique vous en disiez, votre parti s’est « fracassé » sur la vague bleue à tous les niveaux de pouvoir. Et comme vos prédécesseurs de gauche, vous instrumentalisez les victimes et leurs souffrances pour racoler comme dans un bar. Qui sait, peut-être l’une ou l’autre électrice soucieuse de « déconstruire la virilité toxique » vous accordera-t-elle ses suffrages aux prochaines élections ?

Dédaignant votre habituel « Padamalgam ! », vous affirmez donc que tous les hommes sont des violeurs en puissance. Eh bien non, cent fois non ! Certes, il existe des hommes éduqués au suprémacisme mâle et des cultures qui réifient les femmes, mais ce n’est pas, ou pas encore, la norme sous nos cieux. Il y a des hommes, et il y en a même beaucoup, qui se régalent du jeu subtil et délicat de la séduction. Toutes les forteresses ne tombent pas forcément sous les coups de bélier ; il en existe qui abaissent spontanément le pont-levis et savourent le chevalier courtois pénétrant les douves. Ca dépend surtout du conquérant.

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Peu nous chaut votre égalitarisme ménager ou institutionnel. L’égalité ! La vertueuse ambition des revanchards ! Mais on s’en fout que vous passiez l’aspirateur ! On ne veut pas être votre égal et moins encore votre semblable. On ne veut pas d’un législateur qui impose la mixité dans toutes les institutions – excepté celle du mariage ! – et qui contrôle nos foyers pour savoir qui fait la vaisselle. Non, on veut simplement vivre et travailler comme des femmes, à notre rythme et selon notre humeur. On veut sortir en ville seule, sans chaperon et sans que des barbares nous tombent dessus. On veut baguenauder en mini-jupe et talons aiguille sans essuyer le regard courroucé de femmes voilées ou menaçant des barbus. On veut les abuseurs, les détraqués, les violeurs, les polygames et les pédophiles en tôle, sans que la mansuétude de votre magistrature les relâche dans le circuit pour un oui ou pour un non.

Mais n’est-ce pas votre bonne ville de Charleroi, où le PS est aux manettes depuis les années 70, qui est devenue un coupe-gorge où il ne fait pas bon être une femme, et moins encore une jeune fille ?2 N’est-ce pas votre parti qui propulse aux plus hautes fonctions des issus de la diversité qui sont peut-être des chances électorales mais rarement des chances pour les femmes ?

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Il ne vous restera bientôt plus que la solution de votre acolyte, socialiste depuis le biberon et bourgmestre de Molenbeek, Catherine Moureaux ; afin de préserver les femmes de sa charmante commune, elle se propose de créer des maisons de quartier réservées aux filles3.  En français, cela s’appelle un gynécée.

Est-ce de cette façon que le Parti socialiste que vous présidez défendra dorénavant la condition féminine qui semble vous tenir tant à cœur dans les pages du Monde ?

Le socialisme n’est pas l’allié des femmes. Il leur a longtemps refusé le droit de vote et se refuse aujourd’hui à assurer leur sécurité. Votre posture de mâle en questionnement, taraudé par un étrange remord au vu des turpitudes d’inconnus en Avignon, peine à masquer votre coupable désinvolture face à ce qui est le premier droit des femmes : vivre libre, en toute sécurité.


  1. https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/16/proces-des-viols-de-mazan-tous-les-hommes-d-une-maniere-ou-d-une-autre-contribuent-a-entretenir-des-comportements-dont-le-viol-est-la-forme-extreme_6353154_3232.html ↩︎
  2. https://www.moustique.be/actu/belgique/2023/04/08/charleroi-ville-la-plus-dangereuse-de-belgique-et-sixieme-deurope-vraiment-259842 ↩︎
  3. https://www.7sur7.be/belgique/une-video-de-catherine-moureaux-a-molenbeek-fait-polemique-les-jeunes-filles-n-ont-pas-envie-d-etre-avec-les-jeunes-garcons~ac2e77ca/ ↩︎

Le prof fait de la résistance

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La ministre de l'Education nationale, Anne Genetet, 28 septembre 2024 © ISA HARSIN/SIPA

Lors de sa prise de fonctions, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale a invité les hussards de la République à se retrousser les manches. Mais, on dénonce actuellement dans les rangs le « pacte enseignant », cette loi « scélérate » qui vise à lutter contre l’absentéisme des profs.


Allons « hussardes de la République » [1]! Convoquant, à l’occasion de la passation de pouvoir rue de Grenelle, le 23 septembre, un lignage radieusement matriarcal – mamie, belle-maman, tata, frangine, toutes « AESH, institutrice, professeure, directrice d’école, principale de collège » -, Anne Genetet entendait, dans un exorde martial, rallier les profs à la cause. Mais laquelle?

Ce n’est pas le discours qui le dirait, encombré d’éléments de langage contradictoires : promouvoir l’« école inclusive » mais remonter « le niveau de nos élèves » ; remonter « le niveau de nos élèves » mais lutter « contre le harcèlement » ; travailler sur l’« attractivité du métier d’enseignant » mais promouvoir l’« école inclusive ». Le tout saupoudré de maternage : promesse d’« écoute », de « bien-être », d’« enthousiasme », de « bonheur ». Peut-être l’évocation finale, solennelle, de Samuel Paty et de Dominique Bernard, « deux enseignants passionnés […] morts d’avoir enseigné », était-elle plus éloquente, quoique légèrement inexacte. Ou bien la nécessité, rappelée dans la péroraison, d’inscrire la rénovation de l’école dans « le temps long »[2].

Alors du temps, ça tombe bien, on en a dans mon lycée de province. Et on le gère, dans un esprit méthodique et combatif.

A lire aussi: Oui, Mme Anne Genetet, élevez le niveau!

D’abord, une minute (de silence), par an, pour Samuel Paty et Dominique Bernard, soit 30 secondes pour chacun. Quelques nanosecondes si, sur un malentendu, on inclut dans cette commémoration les victimes du 7 octobre[3]. Ensuite, des heures d’information syndicale : neuf heures annuelles prises sur le temps de travail, primo parce qu’on y a droit, deuxio parce que se syndiquer c’est se défendre, s’informer, lutter. Enfin des jours et des jours, des nuits pour les plus militants, passés à organiser la résistance. Il faut dire qu’en cette rentrée 2024, l’institution veut nous imposer le Pacte (de la honte) afin de pourvoir aux remplacements de courte durée. Il consiste à contractualiser, sur la base du volontariat, des missions supplémentaires d’enseignement : en plus de son traitement de fonctionnaire, le professeur est rémunéré à hauteur des heures effectuées, et perçoit une somme… plutôt coquette. Loi scélérate ! « Un coup d’essai dans l’entreprise de destruction du statut par son découpage en petits morceaux contractualisés » disent les tracts amphigouriques glissés dans les casiers des professeurs potentiellement collabo par leurs vigilants collègues. Il « faut traiter ce problème collectivement » et « nous sommes largement déterminés à cesser de réaliser ces heures ponctuelles de remplacement ». Que les élèves aillent donc se faire remonter le niveau ailleurs ! L’heure est à la Résistance!

Et Dominique Bernard ? Samuel Paty ? La contre-enquête menée par Mickaëlle Paty et diffusée par C8 le 16 octobre fait la lumière sur la mort de son frère et révèle les dangers qui menacent l’école.

Mais le film dure 1h30 et la réaction qui s’impose s’inscrit dans le temps long. Ça ne rentre pas dans le timing. Nous ne pouvons pas être sur tous les fronts.


[1] « En entrant dans ce ministère, je pense à mon arrière-grand-mère, à ma grand-mère, à ma belle-mère, à ma tante, à ma soeur qui furent toutes AESH, institutrice, professeure, directrice d’école, principale de collège ; je pense à cette lignée de hussardes de la République », Anne Genetet, allocution prononcée lors de la passation de pouvoir.

[2] Anne Genetet, allocution prononcée lors de la passation de pouvoir.

[3] Primo-bourde ministérielle.

Madame Pelicot et la société

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Gisèle Pelicot à Avignon, 23 octobre 2024 © Frederic Munsch/SIPA

Hier, à la moitié du procès des viols de Mazan, Gisèle Pelicot a été entendue. La victime a affirmé n’avoir « ni colère ni haine » mais être « déterminée à changer cette société ».


Le témoignage de Gisèle Pelicot a beaucoup ému le tribunal – et le public.  À raison.
Un procès, c’est une histoire humaine qui se rejoue en direct. Souvent, c’est une histoire ordinaire ; là, il s’agit d’un drame exceptionnel et hors-norme. L’émotion est maximale, sans doute parce qu’il est question de la sexualité humaine, qui avec l’argent est un des plus puissants ressorts du crime. Au point que Libé fait précéder ses articles concernant l’affaire des viols de Mazan d’un trigger-warning[1] ! Un  « traumavertissement », en bon français. « Ces articles relatent la description de violences sexuelles et peuvent choquer ».

Effroi et compassion

Tout être humain doué d’empathie ressent de l’effroi et de la compassion pour Gisèle Pelicot qui dit être « une femme totalement détruite ». Mais aussi de l’admiration pour « l’invaincue » (titre du papier de Pascale Robert-Diard, dans Le Monde). Mme Pelicot est détruite mais debout.
Pour la première fois, elle s’adressait hier à son ex-mari, en l’appelant par son prénom. Elle a évoqué leur vie commune, leurs trois enfants et sept petits-enfants. Mais, la phrase la plus relevée est la suivante : « Je n’exprime ni ma colère ni ma haine, mais ma volonté et ma détermination pour qu’on change cette société. » Deux heures après, parmi d’autres journaux, Le Courrier international titrait : « le témoignage de Gisele Pelicot va-t-il changer la société ? »

Culture du viol

En quoi cette question me choque-t-elle ? La question ne me choque pas vraiment, mais elle m’interpelle. Surtout, la réponse est non. Et cela pour deux raisons :
L’objet d’un procès est de juger des criminels ou des délinquants particuliers. On ne juge pas le viol. On ne juge jamais le crime, l’assassinat ou la délinquance. Les tribunaux jugent des cas spécifiques et les juges apprécient des responsabilités individuelles. Certes, cela peut être un peu différent pour les crimes de masse. Le procès de Nuremberg ou le procès d’Eichmann à Jérusalem ont, sinon été des procès du nazisme, permis de comprendre ses ressorts. Mais jamais d’empêcher les résurgences néo-nazies, en réalité. Croyez-vous vraiment que les procès de Charlie ou du Bataclan ont changé la société ? Ils ont peut-être un peu amélioré notre compréhension de l’islamisme, mais ils n’ont pas dissuadé les candidats-djihadistes ni stimulé notre combativité.
Par ailleurs, ce qu’on voit au tribunal d’Avignon, ce n’est pas la société, mais des gens qui ne respectent pas ses règles élémentaires. On en revient à ce que je répète depuis le début de ce procès : on ne juge pas la « culture du viol ». Nous ne sommes pas entourés d’hommes qui font violer leur femme. Et il n’y a pas de culture du viol en France, à mon avis: le viol était déjà condamné socialement et judiciairement bien avant MeToo. Certes, peut-être pas assez, peut-être pas toujours dans les meilleures conditions – on peut toujours faire mieux. Mais si les femmes ont honte d’aller déposer plainte, ce n’est pas forcément à cause du fonctionnement de la justice et de la police, mais tout simplement parce qu’il est très difficile d’accuser quelqu’un qui est le plus souvent un proche et que cela charrie des choses très intimes.
Peut-être Mme Pelicot peut donner du courage aux victimes, mais arrêtons de dire que ce procès changera la société. Au mieux, il donnera des bribes de réponse à la question vertigineuse de Gisèle Pelicot: comment l’homme qu’elle aimait a-t-il pu lui faire ça ? Désolée, ce n’est pas la faute de la société.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Trigger_warning_(psychologie)

Sologne: la chasse aux «gros» est ouverte

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Image d'illustration.

Les gros, les riches, naturellement. Ou plutôt les ultra-riches, pour reprendre les termes du bandeau du dernier livre enquête de Jean-Baptiste Forray. 


Les Nouveaux Seigneurs, tel est son titre. Quant au bandeau racoleur comme il se doit – c’est là sa fonction – il dit l’essentiel du contenu : « Comment les ultra-riches ont colonisé la Sologne et dénaturé la chasse »[1]. Rien que cela.

C’est donc en ma qualité de colonisé – puisque Solognot je suis – que je m’autorise ces quelques lignes. Je suis né à Gien (45), la sublime porte d’entrée en Sologne, j’ai grandi et vécu à Veilleins, mégalopole de cent cinquante neuf âmes située entre Romorantin et Chambord. J’y ai même été élu maire-adjoint, conséquence sans doute regrettable d’un moment d’égarement des habitants sus-évoqués. Et puis, j’ai aussi été journaliste de ce pays. Après une parenthèse, je suis revenu vivre à l’année, et pour toujours, dans ce coin-là, qui est de loin celui de France où je me sens le plus chez moi. J’ajoute que, bien que n’étant plus chasseur moi-même depuis fort longtemps, je descends d’une longue lignée de passionnés. Tout cela juste pour dire que je ne me considère pas totalement illégitime à commenter le sujet.

Colonisation

Pour commencer, je ne sens pas peser sur moi, sur mes proches, sur les nombreux Solognots que je fréquente, le poids d’une virulente, d’une étouffante oppression coloniale. Il est vrai que, selon l’auteur qui, un rien condescendant, le suggérait dans une récente interview, nous autres, ici, n’aurions pas encore atteint un niveau de conscience politique qui nous rendrait perceptible la lutte des classes et ses effets. Trop attardés, trop cons, pour tout dire. Sauf que, si je peux me permettre, pour en appeler dans le cas d’espèce à ce concept analytique de lutte des classes, il faut quand même avoir très mal lu le père Marx.

En fait, là où l’inspiration marxisante est à l’œuvre dans cette approche est que le gibier traqué est bien évidemment le riche. L’horrible, le monstrueux riche. Le riche coupable d’un crime inexpiable et entaché d’une tare immonde : avoir l’argent. Il a de l’argent et il s’en sert, le monstre ! C’est ignoble. (À quand, je vous le demande, l’émergence d’une nouvelle « race » de riche, le riche pauvre ! On en rêve. Certains y travaillent actuellement, me rapporte-t-on) Il s’en sert disais-je. Il acquiert des hectares, beaucoup d’hectares. Une rumeur persistante prétend qu’il les paie leur prix et que ce n’est pas en dépêchant des escadrons de mercenaires dans la campagne ni en mettant à flots des canonnières sur la Sauldre ou le Beuvron qu’il s’en rend propriétaire. Colonisation fort tempérée, donc. Mais peut-être n’est-ce là qu’une intox. Le livre-enquête ne dit rien là-dessus. On a tous nos lacunes, il est vrai.

L’engrillagement, un truc de parvenus

Bref, une fois propriétaire de ce vaste domaine, l’ultra-blindé s’empresse de l’engrillager, nous informe l’auteur. Il dit vrai. Or cet engrillagement constitue – en cela il a également raison – une hérésie, une connerie abyssale. Cette pratique est radicalement contraire à la loi naturelle, fondée sur la libre circulation de tout ce qui est gibier. Sans quoi, d’ailleurs, tant conceptuellement que juridiquement l’animal cesse de l’être, gibier, précisément. En effet, pour être qualifiable de gibier, nous enseigne le droit romain, il faut qu’il soit res nullius. Il ne peut avoir aucun propriétaire, aucun maître identifiable. Ainsi, enfermé dans son enclos, l’animal, quel qu’il soit, perd donc cette spécificité fondamentale. Il devient peu ou prou, que cela plaise ou non, une espèce de bête de basse-cour.

A lire ensuite: Le dernier roi des Halles

En réalité, cette folie d’engrillagement est bien davantage la marque d’un réflexe bourgeois qu’aristocratique. Bourgeois parvenu, ajouterais-je. Réflexe d’appropriation. Là où le bourgeois dit « je possède, c’est à moi », le noble, l’authentique, dit « j’appartiens à… » Son patronyme même illustre cette inversion du rapport : il s’appelle Monsieur, Madame « de » tel lieu, ou de tel autre lieu, parce qu’il en est. Parce que, au plus profond de lui, il lui appartient. Le caprice d’engrillagement si exagérément possessif lui est, de ce fait, à peu près étranger. 

Si la cible véritable du livre était cette perversion du milieu, on pourrait applaudir. Et sans doute serais-je le premier. Or, je suis bien certain que si on prenait le temps d’exposer à ces propriétaires – et à tous ceux qui moins riches et sur moins d’hectares sévissent pareillement – que lorsqu’ils rameutent à la chasse leurs relations politiques, people, business, médias, ils se rendent coupables de tromperie sur la marchandise, de grossière arnaque en leur faisant croire que ce sur quoi ils vont tirer mérite bien le label gibier, ils se feraient une obligation – ne serait-ce que par orgueil – de corriger le tir, si je puis ainsi m’exprimer.

Mais on a bien compris que, comme toujours dans ce genre de réquisitoire, le cœur de cible est ailleurs que dans la pratique dénoncée. Ce cœur de cible, répétons-le, c’est le riche. Le riche coupable d’être riche.

Un peu d’histoire et de bon sens

L’auteur explique que le dévoiement remonte à Napoléon III qui a mis à la mode la Sologne, la chasse, au sein des bons et beaux milieux de la capitale. De nouveau, il a raison.

C’est alors qu’est apparu ce que, au début du vingtième siècle, avec une saine ironie, un d’Espinay Saint-Luc – lignée noble et ancienne de Sologne – se prit à baptiser, par opposition au chasseur véritable, « le tireur sportif ». Bonne pâte, nous concèderons à l’auteur du livre que les personnes qu’il vise peuvent apparaître comme le prolongement de ce tireur sportif… À ceci près que, à l’instar de leurs prédécesseurs, les propriétaires d’aujourd’hui eux aussi reboisent, eux aussi curent les fossés, eux aussi entretiennent les étangs, les levées, les berges, les bondes, le réseau astucieux et ancestral de canaux les reliant les uns aux autres, permettant ainsi la perpétuation de l’exploitation patrimoniale de cette forme spécifique de pisciculture… Cela ne devrait pas compter pour rien. Les Solognots le savent bien qui, pour ces choses-là, n’en déplaise à l’auteur, cultivent, de préférence à la lutte des classes, cette forme d’intelligence, assez rude il est vrai, qu’on appelle le bon sens.

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Enfin, il faut aller à l’essentiel. La présentation du livre se clôt par cette formule : « Les Nouveaux Seigneurs lève le voile sur le séparatisme des ultra riches sur fond de souffrance animale. » Les mots révèlent très clairement le projet. Ultra riches, colonisé, séparatisme, souffrance animale. Nous avons là le fin du fin en matière de convergence des crimes : l’argent, la colonisation, l’apartheid, la maltraitance animale. Convergence des crimes à inscrire dans la perspective d’une autre convergence, celle des luttes. Et c’est bien là que se niche le travers idéologique de l’entreprise !

Alors, bonne âme, moi le colonisé solognot pas si mécontent de son sort, je vais ici apporter ma (modeste) contribution à la convergence évoquée. Pour autant que je puisse le savoir, ces gens-là sont blancs. Oui, vous m’avez bien lu, ils sont de race blanche. Mâles, au moins pour une bonne part d’entre eux. Il se peut même que chez eux l’hétérosexualité domine (Là, je m’avance)… Bref, que de tares, que de crimes accumulés ! Vite, vite des hectares engrillagés de barbelés pour qu’on les y lâche et les y flingue ! Taïaut ! Taïaut ! Et voilà bien que, soudain, je me prends à regretter qu’un autre empereur que Napoléon III, attaché lui aussi à la Sologne, Bokassa 1er, l’impayable Jean-Bedel Bokassa, qui fut en son temps un de nos fastueux châtelains, ne soit plus de ce monde. Histoire de raciser un peu ce bal des nantis.

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[1] Èditions les Arènes, octobre 2024.

Nicolas Bedos, le beau bouc émissaire

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Nicolas Bedos arrive au tribunal de Paris avec sa compagne Pauline, 26 septembre 2024 © CYRIL PECQUENARD/SIPA

L’acteur a été condamné hier à six mois sous bracelet électronique pour agressions sexuelles. Une sanction étonnamment lourde qui interroge, contre laquelle le comédien a fait appel.


Un beau gosse hâbleur, un fils de, un bobo, une tête à claques… tous ses détracteurs se réjouiront de la condamnation en première instance du réalisateur, acteur et humoriste Nicolas Bedos, condamné à un an de prison, dont six mois avec sursis, pour des agressions sexuelles.

Mais qu’est-ce qu’une agression sexuelle ? Une tentative de viol ? Détrousser violemment les vêtements de sa victime ? Forcer une personne à accomplir des gestes sexuels sous la contrainte ? Alors, dans ce cas, ce n’est pas cher payé.

En l’occurrence, Nicolas Bedos est accusé par une de ses plaignantes de s’être dirigé vers elle tête baissée, avant de tendre la main au niveau de ses parties génitales, lors d’une soirée en boîte de nuit ; et la seconde femme, serveuse, accusait l’artiste de l’avoir attrapée par la taille et de l’avoir embrassée dans le cou.  Certes, ce n’est pas une façon très élégante de se tenir et une femme choquée par ce comportement est en droit de gifler l’importun. Mais, un baiser volé dans le cou justifie-t-il une plainte ?

A lire aussi: Anatomie d’une descente aux enfers

N’oublions pas que les faits se sont produits dans une boîte de nuit branchée de la capitale où hommes et femmes passent leur temps à danser de façon lascive, plus ou moins rapprochée, avec consentement réitéré selon les ondulations corporelles d’une chorégraphie improvisée. Que les hommes qui n’ont jamais essayé d’embrasser une fille à vingt ans, jettent la première pierre à Nicolas Bedos ! Ce qui est gênant dans cette lourde condamnation, c’est la criminalisation d’attitudes qui n’ont causé aucune blessure physique ni dégât matériel. J’entends les saintes-nitouches et les pharisiens hurler qu’il y a sûrement des séquelles psychologiques. Et se prendre une veste, ça ne laisse pas de séquelles psychologiques ? Toute la vie n’est que séquelles psychologiques ! Mes congénères masculins devraient se rassurer : même Nicolas Bedos peut se prendre un râteau ! Ce qui est gênant dans cette condamnation, c’est le manque de proportionnalité pénale entre le geste déplacé et la véritable agression violente. Ce manque de nuance relativise les délits. Il y a une hiérarchie dans la gravité des faits comme il y a une hiérarchie pénale. Nicolas Bedos paye-t-il sa notoriété ? Est-il la victime expiatoire des chiennes de garde et du mouvement « Balance ton porc » ? La sanction est lourde, étonnamment lourde. Ce genre de chose relève de la bienséance et ne devrait pas encombrer les tribunaux.

Aucune sanction ne doit être prise pour l’exemple, car finalement, l’exemple n’est souvent que le cache-sexe du bouc émissaire, et en matière de justice, faire un exemple est une injustice. Cette justice-là ne sort pas grandie.


Doliprane: un symbole cher payé

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Audrey Derveloy et Rafik Amrane, dirigeants de Sanofi, sur le site de Lisieux, lieu de production du Doliprane, octobre 2023 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Mi-octobre, les Français ont appris que l’entreprise Opella, filiale de Sanofi en charge notamment du célèbre médicament Doliprane, allait être vendue à un fonds d’investissement américain. Ce genre d’actualité n’est d’habitude relayée que par la presse économique spécialisée, et il est très rare que le grand public s’y intéresse ou s’en émeuve outre mesure…


Pourtant, cela n’a pas été le cas ! Et, pour une fois, ce n’est pas tellement du fait des syndicats, bien que cette décision risque d’affecter deux sites de production en France et 1700 emplois.

D’un côté, il y a le Doliprane, ce médicament largement utilisé et apprécié dans les foyers français et, de l’autre, un fonds d’investissement étranger, ce que le grand public considère, probablement à juste titre, comme le paroxysme de la capitalisation au détriment de l’humain.

Un médicament érigé en symbole lors de la crise sanitaire

Nul besoin d’être féru d’économie pour comprendre ce qui se joue réellement ici : la désindustrialisation de la France et la perte d’une souveraineté nationale. Déjà, en 2014, dans un autre secteur qu’est celui de l’énergie, les Français s’étaient émus de la cession d’Alstom à l’américain General Electric. Un des points communs entre ces deux affaires reste sans nul doute le rôle de l’État qui subit en plus les conséquences, dans le cas du Doliprane, d’un très mauvais timing. En effet, depuis la crise du Covid, certains médicaments sont en rupture ou en flux tendus et le gouvernement avait, à l’époque, érigé le fameux Doliprane en symbole d’une nécessaire réindustrialisation française en vue de préserver une souveraineté nationale, notamment sur le plan sanitaire. Inutile de dire que le symbole se retourne aujourd’hui contre nos gouvernants et met en lumière l’écart manifeste entre les promesses politiques et leurs réalisations concrètes. D’autant que l’heure est au bilan pour les Français ! Les révélations du nouveau gouvernement quant au déficit actuel de l’État ont ouvert la voie à la vindicte populaire. Les politiques sont sommés de s’expliquer, de se justifier et de rendre des comptes. Il faut bien trouver des coupables !

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La décision de Sanofi de se séparer de sa filiale de santé grand public pour se consacrer à la recherche et au développement de médicaments innovants n’a pourtant rien de choquant. C’est un choix stratégique comme un autre émanant d’une entreprise privée. En revanche, depuis un an que le projet est sur la table, comment expliquer qu’aucun fonds d’investissement français ou européen n’ait pu se montrer acquéreur ? C’est dans ce genre de situation que l’on constate avec désarroi le manque de compétitivité et de poids des entreprises françaises actuellement dans une économie mondialisée.

Aveu de faiblesse

Cependant, c’est sur l’issue de cette affaire que se concentrent mes critiques. Le 21 octobre, la banque publique d’investissement Bpifrance annonce investir entre 100 et 150 millions d’euros pour entrer au capital d’Opella et prétend ainsi influencer Sanofi et le fonds d’investissement américain CD&R dans le but de préserver les sites de production en France et les emplois associés, mais également de garantir l’approvisionnement de la France en médicaments concernés.

Qu’on se le dise : cette somme, aussi impressionnante soit-elle pour le commun des mortels, ne représente que 1 à 2% du capital d’Opella et ce fonds d’investissement américain, désormais majoritaire à plus de 50%, se passera aisément de l’avis de l’État français le jour où il souhaitera délocaliser les sites de production du Doliprane. Ses pieuses promesses seront probablement tenues quelques mois, voire quelques années mais n’offrent aucune garantie à long terme sur le maintien de la production en France ou la sauvegarde des emplois.

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Cette décision sonne comme l’aveu de faiblesse d’un État impuissant, davantage par manque d’autorité et de vision à long terme que par manque de moyens. En effet, ce n’est pas au moment de la cession qu’il aurait fallu agir en tentant mollement de s’imposer dans les négociations mais, quelques années plus tôt, lorsque Sanofi bénéficiait très largement du crédit d’impôt recherche (notamment pour ce vaccin contre le Covid qui n’a jamais réellement abouti ou trop tardivement). C’est à ce moment-là qu’il aurait fallu exiger des contreparties avec des engagements sur le maintien de l’industrie pharmaceutique française autant que faire se peut. On ne peut pas prétendre diriger en subissant une actualité, somme toute assez prévisible au vu des antécédents de désindustrialisation de la France de ces vingt dernières années.

À l’inverse il aurait été courageux de prendre une vraie décision : celle de ne pas du tout ingérer dans cette transaction d’ordre privé ou celle de préempter la cession, c’est à dire de faire capoter la vente et ce, « quoi qu’il en coûte », au risque de froisser les investisseurs étrangers qu’Emmanuel Macro s’efforce de séduire depuis de nombreuses années. Bref, tout aurait été préférable à cette décision molle, en demi-teinte, qui n’apporte aucune garantie à long terme pour l’économie française et qui, à court terme, vient de coûter à la France entre 100 et 150 millions d’euros ! Pour un coup de communication, un effet d’annonce visant à rassurer l’opinion publique, c’est cher payé, surtout quand l’heure est aux économies…

L’Occident nombriliste, humilié par Poutine et l’ONU

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Le Secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres arrive à Kazan, Russie, 23 octobre 2024 © Alexey Filippov/SPUTNIK/SIPA

Le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres est arrivé en Russie, où l’autocrate Vladimir Poutine met en scène son non-isolement lors du sommet des BRICS qu’il organise. Analyse.


Le grand effondrement, qui affecte la France, n’épargne pas l’Occident. C’est un chamboulement mondial qui s’observe, en réaction au même mépris porté par des « élites » auto-satisfaites aux peuples trop ordinaires. Ce mercredi matin, l’arrivée en Russie du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, au sommet des Brics présidé par Vladimir Poutine, est une provocation lancée aux démocraties du monde libre et à leur prétention à l’exemplarité. Le paria russe, sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre en Ukraine, peut en effet se targuer, outre de l’aval de l’ONU, d’avoir pu réunir, à Kazan, la fine fleur des puissances du Sud Global, qui représentent près de 46% de la population mondiale et 36% du PIB mondial. La Chine, l’Inde, le Brésil, l’Iran, l’Afrique du sud, la Turquie, l’autorité palestinienne seront sur la photo de famille, parmi les 24 pays constituant ce club des humiliés. Une manière pour Poutine de rappeler l’échec de la politique occidentale qui s’était jurée de briser les reins de l’autocrate, de l’isoler du reste du monde et de lui faire perdre la guerre contre l’Ukraine. Aucun de ces buts n’a été atteint. Au lieu de cela, la pérenne arrogance occidentale est en train d’exaspérer ses propres citoyens. C’est en tout cas ce qui ressort, ce mercredi, d’un sondage Ipsos du Parisien qui montrerait que, pour 51% des Français, « seul un pouvoir fort peut garantir l’ordre et la sécurité ».  23% des sondés – et 31% chez les moins de 35 ans – vont jusqu’à dire que la démocratie n’est pas « le meilleur régime existant ». 76% estiment que le personnel politique est « déconnecté des réalités des citoyens ».

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La contestation de l’ancien ordre mondial par des pays le plus souvent despotiques n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour l’avenir des démocraties libérales. Mais il serait trop simple d’accuser les Brics de mauvaises manières obscurantistes. La constante indifférence avec laquelle l’Occident orgueilleux a répondu à la Russie, après son évasion de sa prison communiste, a poussé ce pays à quitter par dépit une civilisation qui lui était familière, ne serait-ce qu’à travers sa culture chrétienne et sa littérature. Le secrétaire perpétuel de l’Académie française, Amin Maalouf, dans Le labyrinthe des égarés (Grasset, 2023), écrit : « S’agissant des dirigeants occidentaux, ils ont manqué de générosité et manqué de vision à long terme. Ils auraient dû prévoir qu’une Russie blessée et diminuée serait, pour l’Europe, une bombe à retardement. Il fallait, à tout prix, l’aider à se démocratiser, à se développer, à se reconvertir ; l’aider à retrouver, au sortir de la guerre froide, un tout autre rôle dans le monde, une autre manière de s’épanouir, afin qu’elle puisse donner naissance à une autre génération de dirigeants, qui ne soient ni corrompus, ni prédateurs, ni assoiffés de vengeance. Hélas, rien de cela n’a été fait… ». Ce gâchis, seul l’Occident infatué s’en est rendu coupable en se regardant le nombril. Certes, il reste encore un modèle pour ceux qui aiment la liberté. Mais l’Occident doit savoir que le Sud Global, décidé à régler ses comptes, ne lui fera aucun cadeau.

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Sondages: Kamala ramollo

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Atlanta, 19 octobre 2024 © CNP/NEWSCOM/SIPA

Et si Trump était finalement en train de remporter l’élection présidentielle américaine ? À 15 jours du vote, les sondeurs ne parviennent plus à départager les candidats. Harris apparait comme une candidate vague (dans son programme) et… sans vague (dans les intentions de vote).


Alors que la campagne touche à sa fin, Kamala Harris et Donald Trump sont au coude-à-coude dans les derniers sondages. Harris peine à redresser la barre dans les États-clés, tandis que Trump, porté par la fidélité de sa base et quelques succès inattendus, avance avec une étonnante sérénité. La perspective d’une surprise d’octobre ajoute à l’incertitude, mais ce scrutin se jouera probablement sur la capacité des candidats à saisir les dernières opportunités. Une chose est sûre: rien n’est encore joué.

La fin de la Kamalamania 

Kamala Harris a débuté sa campagne avec des attentes élevées, notamment après un débat jugé solide face à Donald Trump, où elle a su captiver l’audience et a surpris les observateurs. En septembre, un sondage CNN affirmait que 63% des téléspectateurs jugeaient qu’Harris avait remporté le débat face à Trump. Cependant, l’enthousiasme a rapidement faibli. Ses derniers discours et interventions médiatiques, loin de galvaniser, ont suscité des critiques. Ce fut le cas lors de son interview dans l’émission  60 minutes, où elle s’est montrée incapable de parler de sa politique d’immigration, ou lors de l’émission The View, où elle a ouvertement déclaré qu’elle aurait tout fait comme Biden. Le manque de clarté sur sa vision politique sur les questions de fond la décrédibilise face à un électorat qui attend des mesures fortes sur l’économie et l’immigration. Ajoutons à cela son absence de stratégie sur la politique internationale, notamment avec le conflit au Moyen-Orient. Bien que sa position mesurée sur Israël soit saluée par les modérés, elle déçoit une frange progressiste du Parti démocrate, qui demande l’arrêt du soutien inconditionnel à Netanyahou. Cet équilibre fragile entre différents courants du parti nuit à sa capacité à fédérer et séduire les indécis, à un moment où chaque voix compte.

Les sondages sont implacables : Harris perd du terrain dans les États-clés tels que le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin, ces mêmes États qui ont assuré la victoire de Joe Biden en 2020. Dans certaines enquêtes, Harris se retrouve désormais devancée par Donald Trump, une situation qui alarme les stratèges démocrates. En trois semaines, l’avance moyenne de Harris dans ces états du Blue Wall est passée de plus de deux points à moins d’un point. Le problème est double pour Harris. D’une part, elle ne parvient pas à séduire les indécis et  d’autre part son programme reste trop flou pour réellement capter l’attention d’un électorat qui ressent de la rage contre l’establishment ou de la méfiance à l’égard d’un système jugé fermé. Les démocrates, conscients de l’urgence, cherchent une stratégie de redressement, mais le temps est compté.

Trump avance sans fléchir

Pendant que Harris s’essouffle, Trump, lui, maintient le cap. Sa base lui est fidèle, et ses résultats dans les enquêtes d’opinion, bien que stables, lui donnent un avantage stratégique. Contrairement à Harris, Trump n’a pas besoin de séduire de nouvelles catégories d’électeurs. Il concentre son énergie sur les indécis, en particulier dans les États-clés, où sa campagne martèle des messages simples : sécurité nationale, lutte contre l’immigration  illégale, reprise économique et soutien inconditionnel à Israël. Sa stratégie est claire : éviter les dérapages, maintenir le soutien de ses fidèles et grappiller des voix là où il le peut. Sa position ferme sur les questions internationales, notamment son soutien sans faille à Israël et son souhait d’en finir avec la guerre en Ukraine, lui confère un avantage net face à Harris, qui doit jongler avec des électorats plus divisés et un scepticisme grandissant.

Malgré une série de démêlés judiciaires et alors que la moindre de ses déclarations est passée au peigne fin par les Fact Checkers médiatiques, Trump se montre étonnamment résilient. Contrairement à ses précédentes campagnes, où les scandales éclataient sans cesse, cette fois-ci, il semble mieux contrôler son image et ce sont ses lieutenants qui font le sale boulot. Ses apparitions publiques sont marquées par une maîtrise inhabituelle, ce qui lui permet d’éviter les erreurs qui auraient pu lui coûter des voix. Plus surprenant encore, Trump gagne du terrain là où on l’attendait le moins. Il est en pleine bourre auprès des minorités, il séduit de plus en plus les hommes hispaniques et afro-américains. Un sondage USA Today/Suffolk University publié début octobre a montré que dans l’État de l’Arizona, 51 % des hommes latinos âgés de 18 à 34 ans soutiennent Trump, tandis que 39 % soutiennent Harris. Ajoutons à cela l’accueil favorable qui lui fut réservé à Coachella en Californie, bastion démocrate, le weekend dernier, ce qui démontre qu’il parvient à séduire des groupes autrefois réticents. 

Le sprint final et l’ombre d’une surprise d’octobre

À mesure que l’élection approche, la crainte d’une « surprise d’octobre » plane. Ces événements inattendus, capables de faire basculer une campagne, sont devenus un cliché de la politique américaine. De l’affaire Iran-Contra en 1992 aux e-mails de Clinton en 2016, ces révélations de dernière minute ont souvent marqué l’histoire des élections présidentielles américaines. Cette année, la crise au Moyen-Orient pourrait bien jouer ce rôle. Une escalade des tensions forcerait Harris à clarifier sa position sur Israël, ce qui pourrait séduire les centristes, car elle devrait alors soutenir l’État hébreu, mais risquerait d’aliéner la gauche progressiste et l’électorat arabo-américain… De même, de nouvelles révélations judiciaires concernant Trump ou des dérapages de ce dernier pourraient bouleverser l’équilibre fragile de la course. 

Pour certains, la campagne a déjà connu ses « surprises d’octobre ». Entre le retrait controversé et très commenté de Joe Biden de la course présidentielle en juillet et les affaires judiciaires de Trump, les rebondissements n’ont pas manqué. Et pourtant, l’élection reste indécise, chaque candidat peinant à creuser l’écart dans les sondages. Malgré le chaos, cette élection semble destinée à se jouer sur le fil. L’électorat américain, désormais habitué aux scandales et aux révélations de dernière minute, pourrait bien finalement se concentrer sur les enjeux concrets : l’économie, la santé, l’immigration et la sécurité nationale. La capacité des candidats à inspirer confiance dans ces domaines sera déterminante dans cette dernière ligne droite.

Israël, au ban des Nations unies

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Le ministre sud-africain de la Justice, Ronald Lamola, et le ministre palestinien Ammar Hijazi, devant la Cour internationale de justice, à La Haye, lors de l’audience relative aux accusations de génocide portées contre Israël, 11 janvier 2024 © AP Photo/Patrick Post/SIPA

Israël est accusé de génocide depuis le début de son offensive militaire à Gaza. La procédure lancée par l’Afrique du Sud devant la Cour de justice internationale est soutenue par de nombreux pays qui sont eux-mêmes appuyés par la Chine et la Russie. En réalité, la condamnation d’Israël est le fer de lance d’une offensive planétaire contre les puissances occidentales.


Les naïfs s’en étonneront, les amis d’Israël ont l’habitude. Moins de trois mois après le 7 octobre, c’est Israël, pas le Hamas, qui était accusé officiellement de génocide. Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud engage devant la Cour de justice internationale (CJI) de l’ONU une procédure fondée sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. La requête de 84 pages maintient que, dans sa conduite de la guerre à Gaza, l’État juif serait responsable d’actes génocidaires contre la population civile, actes commis dans l’intention de « provoquer la destruction d’une grande partie du groupe national, racial et ethnique palestinien ». Certains propos tenus en public par des politiques israéliens sont cités comme autant de preuves d’une « intention génocidaire ». Pour enfoncer le clou, le document parle d’un système d’apartheid de soixante-quinze ans, une occupation de cinquante-six ans et un blocus de seize ans. Ce jour-là, Jean-Luc Mélenchon et Jeremy Corbyn sont présents à La Haye pour fêter une nouvelle étape dans leur grande campagne « antisioniste ».

En janvier, la CJI ordonne à Israël, non d’arrêter ses opérations militaires à Gaza – une des exigences de l’Afrique du Sud –, mais de tout faire pour éviter de commettre des actes génocidaires. Mais il faudra des années avant qu’elle statue sur la culpabilité ou non d’Israël. L’Afrique du Sud a jusqu’au 28 octobre pour formuler ses arguments devant le tribunal, et Israël jusqu’au 28 juillet 2025. En réalité, la CJI ne disposant d’aucune force pour faire exécuter ses jugements, ils ne changent rien sur le terrain. En 2022, elle a ordonné – en vain – à la Russie d’arrêter son invasion de l’Ukraine. De plus, Israël est habitué à être accusé de tous les maux par les Nations unies et les ONG – on se rappelle la conférence contre le racisme de Durban en 2002, qui tourna au festival antisémite.

Qu’y a-t-il de nouveau aujourd’hui ? Peu importent les conséquences juridiques de la procédure. Celle-ci est le cœur nucléaire d’une offensive destinée à discréditer Israël sur la scène internationale, l’isoler diplomatiquement et réduire l’influence et le prestige de ses alliés occidentaux. Un pas a été franchi avec la gravité des charges : inculper Israël pour un crime qui rappelle les pires horreurs du nazisme revient à le mettre au ban de l’humanité. C’est aussi, au passage, miner une source d’empathie pour les juifs, à savoir la singularité de la Shoah, et justifier l’injustifiable violence du Hamas.

Ensuite, il y a la multiplication paroxystique des dénonciations. Le 29 décembre est l’aboutissement d’un processus de renversement de l’accusation de génocide. Au lendemain du 7 octobre, l’idée que les atrocités du Hamas, qui semblent découler de ses chartes de 1988 et de 2017, et que ses responsables s’engagent à répéter à la première occasion, pourraient être une forme de génocide commence à faire son chemin. Le 16 octobre, 311 spécialistes du droit, dont des professeurs d’universités américaines, britanniques et israéliennes, déclarent l’attaque génocidaire dans une tribune. Pour les opposants d’Israël, il faut enterrer cette notion sous un torrent de contre-accusations. Dès le 15 octobre, 880 juristes et spécialistes en « études des génocides » redoutent dans une lettre ouverte qu’Israël commette un génocide à Gaza. Quatre jours plus tard, une centaine d’ONG et six chercheurs envoient une lettre à la Cour pénale internationale (CPI), qui est habilitée à poursuivre des personnes (à la différence de la CJI), pour l’exhorter à enquêter sur les possibles crimes des Israéliens, y compris l’incitation au génocide. À partir de la fin du mois, c’est un véritable déluge d’accusations contre Israël de la part de rapporteurs de l’ONU et d’associations humanitaires, sans parler des militants propalestiniens occidentaux. L’ubiquité du mot « génocide » pousse à l’invention de néologismes : c’est ainsi qu’Israël serait coupable d’« épistémicide » et de « scholasticide » quand les écoles et les musées sont endommagés à Gaza, et d’« écocide » quand il s’agit de lieux naturels. Ce déluge se prolonge en 2024, rejoignant les conclusions d’autres procédures internationales déjà en cours qui accablent Israël. Parmi elles, l’enquête lancée en 2021 par la CPI sur de possibles crimes de guerre et contre l’humanité commis par les Israéliens et le Hamas depuis 2014. En mars, le rapporteur spécial des Nations unies sur les territoires palestiniens, nommé en 2022, la juriste italienne Francesca Albanese, qui critique Israël de manière obsessionnelle, publie un rapport intitulé sans ambages « Anatomie d’un génocide ». En mai 2024, le procureur dépose une demande pour des mandats d’arrestation concernant Benyamin Nétanyahou, Yoav Gallant, Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismaël Haniyeh (ces deux derniers exécutés depuis par Israël). Un mois plus tard, en juin, un rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (rédigé par une commission établie en 2021) accuse Israël et le Hamas de crimes de guerre, mais s’acharne contre Israël pour de prétendus crimes contre l’humanité.

C’est ainsi que, par une répétition obsessionnelle, on trace dans l’opinion un signe d’égalité entre Israël et génocide. Se banalisant, le mot sert d’étendard aux ennemis d’Israël, des ennemis plus inquiétants que les activistes des campus. La troisième caractéristique de la nouvelle réprobation d’Israël, c’est que nombre de pays y contribuent, en reprenant à leur compte l’accusation de génocide. À la CJI, la procédure de l’Afrique du Sud est soutenue par 32 pays, plus 38 autres à travers l’Organisation de la coopération islamique et la Ligue arabe, ce qui donne un total de 70. En face, 12 pays s’y opposent, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, six États membres de l’UE, le Guatemala et le Paraguay. Les nations qui soutiennent la procédure comprennent les adversaires d’Israël et celles qui sont prêtes à sacrifier leurs relations avec ce dernier au nom de leurs intérêts stratégiques. En effet, plus que jamais, Israël est un pion sur l’échiquier géopolitique et un proxy pour l’Occident. Le mettre sous pression, voire le faire condamner, c’est porter un coup à l’hégémonie américaine et européenne. Cette dernière est présentée par ses ennemis comme le legs et le prolongement de la domination impériale, et c’est ici que le concept de génocide prend une dimension nouvelle. Depuis longtemps, des chercheurs militants préparent le terrain en développant l’idée qu’une « colonie de peuplement » (settler colonialism), dont l’État d’Israël serait un exemple, constitue une forme de génocide par le remplacement des habitants indigènes d’une région. Chaque action militaire conduite par Israël est donc considérée comme un nouvel avatar de ce processus génocidaire. Actuellement, ses dénonciateurs sur la scène internationale cherchent à imposer un cessez-le-feu immédiat qui permettrait la survie du Hamas. Pour eux, les membres de ce dernier ne sont pas les responsables d’un génocide, mais les résistants à un génocide. Autant dire que les Gazaouis sont, à leur corps défendant, les proxys d’un vaste mouvement anti-occidental. D’où la tentative d’étendre la responsabilité du génocide aux alliés d’Israël à travers un certain nombre de procédures pour complicité de génocide contre les dirigeants et les États occidentaux devant des tribunaux nationaux et la CJI.

Ouverture des audiences à la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye, sur la légalité de l’occupation israélienne, 19 février 2024. AP Photo/Peter Dejong/SIPA

L’Afrique du Sud justifie son action en justice par sa solidarité traditionnelle avec les Palestiniens qui souffriraient d’un système d’apartheid, tout comme les Noirs sud-africains avant 1990. Le grand Nelson Mandela a proclamé : « Nous ne savons que trop bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. » Pourtant, la nation arc-en-ciel fait preuve d’une incohérence alarmante en matière d’accusations de génocide. Elle a été admonestée en 2017 par la CPI pour ne pas avoir arrêté Omar Al-Bashir en 2015. Cet ancien dirigeant soudanais était incriminé pour son rôle dans le génocide au Darfour de 2003. À l’heure actuelle, le Soudan est le théâtre de ce qui ressemble clairement à un génocide, provoqué par la guerre civile qui y fait rage depuis avril 2023 entre les Forces armées soudanaises du gouvernement et les troupes de Mohamed Hamdan Dogolo, accusé par des observateurs de nettoyage ethnique. Or, ce dernier était l’invité du président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, juste avant l’ouverture des auditions concernant Israël à la CJI en janvier.

Ce deux poids, deux mesures s’explique par le fait que le Soudan ne constitue pas un enjeu symbolique dans le mouvement anti-occidental. Les documents officiels du parti de Ramaphosa, le Congrès national africain, très hostile à Israël, regorgent de références au « néocolonialisme », au « pillage impérialiste », et à sa propre appartenance aux « forces anticoloniales[1] ». Dans ce contexte, le Soudan ne fournit pas un récit pertinent, tandis que la lutte palestinienne constitue une histoire anti-impériale captivante avec Israël dans le rôle d’ennemi universel. Tout compte fait, l’Afrique du Sud vise par sa procédure à se positionner en leader d’un nouveau non-alignement contre l’hégémonie occidentale, pourtant bien mal en point. Certains géopolitologues théorisent l’ordre international contemporain en révisant le système tripartite proposé par Alfred Sauvy en 1952. Il y aurait donc aujourd’hui un « Ouest global », comprenant les États-Unis et ses alliés occidentaux, un « Est global », réunissant la Chine et la Russie, qui opposent des modèles autoritaires au modèle démocratique de l’Ouest, et un « Sud global » rassemblant toutes les nations coalisées contre les deux précédents, selon les circonstances et leurs intérêts. Ces groupements ne constituent pas des coalitions officielles, mais des sortes de nébuleuses fondées sur des convergences d’intérêts. Le « Sud global » se concrétise à travers de nombreux forums et institutions : le mouvement des non-alignés, le Groupe des 77, les Brics+ (élargis cette année), le bureau des Nations unies pour la coopération Sud-Sud… Dans cet environnement, les plus grands, l’Afrique du Sud, l’Inde, ou le Brésil, se disputent le prestige et l’influence, tandis que la Chine et la Russie se positionnent pour séduire ces nations et fragiliser leurs liens avec l’Occident. À cet égard, les deux puissances de l’« Est global » ont trouvé dans la guerre à Gaza une bonne occasion de s’attirer les bonnes grâces du Sud.

La Chine n’a pas soutenu la procédure sud-africaine, gênée par les reproches de la communauté internationale concernant son traitement des Ouïghours. Mais après le 7 octobre, elle a abandonné Israël sur le plan diplomatique pour avancer ses intérêts au Proche-Orient, où elle avait déjà réussi un coup en mars 2023 en coorganisant (avec Oman et l’Irak) la détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite. La Chine s’est gardée de condamner explicitement les atrocités du Hamas, renvoyant Israël et la Palestine dos à dos, mais n’a pas hésité à critiquer la conduite des opérations militaires israéliennes. Lors des audiences à la CJI en janvier, elle a même défendu le droit des Palestiniens à la résistance armée pour expulser un occupant de leur territoire. En avril et juillet, elle a réuni à Beijing les 14 factions palestiniennes, dont le Fatah et le Hamas, pour essayer de les mettre d’accord. Le message des Chinois pour les pays arabes et le Sud global est clair : ils prônent la paix générale mais, à la différence des Occidentaux, penchent nettement vers la cause propalestinienne. La Russie de Poutine, dont la marge de manœuvre est plus limitée à cause de l’Ukraine, fait preuve de la même fausse neutralité. Elle a condamné l’attaque du 7 octobre, mais critique les actions d’Israël depuis et manie des références douteuses au nazisme et à l’holocauste en affichant un manque d’empathie avec les Israéliens. À une conférence de presse à Genève, le 16 septembre, Albanese, ce rapporteur onusien fanatiquement propalestinien, a affirmé qu’Israël était destiné à devenir un « État paria ». C’est ce que veulent les ennemis d’Israël. L’Occident doit tout faire pour l’empêcher.


[1] « African National Congress, 55th National Conference. Resolutions. International Relations », 2022.

Les embûches d’un ministre pourtant bûcheur

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Jean-Michel Blanquer entouré de Pap Ndiaye et Sarah El Haïry, passation de pouvoirs, 20 mai 2022, Paris © WITT/SIPA

Dans La Citadelle, le ministre de l’Éducation d’Emmanuel Macron de 2017 à 2022 règle ses comptes politiques avec le président, et avec toutes ces « belles âmes » au cœur très sensible (et à la raison en vadrouille) qui l’ont combattu.


Notre ancien ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui fut non seulement congédié sans façon mais surtout remplacé par quelqu’un qui ne partageait pas sa vision de l’école, Pap Ndiaye, nous livre son expérience durant ses cinq années passées au gouvernement ; ce qu’il y a fait avec ses collaborateurs, ce qu’il y a vécu avec les autres ministres, les opposants, les médias, les syndicats et le président, dans un livre qui porte un titre évocateur : La citadelle.

Commençons par la fin. La fin annoncée de son ministère et la fin du livre par la même occasion qui, je l’espère, donnera envie de lire le détail à partir du début.

Le président de la République vient de lancer sa campagne pour son second quinquennat. À Aubervilliers, il annonce que si de petites choses ont eu lieu les années précédentes, de grandes choses verront le jour aux suivantes. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, qui a senti le vent tourner depuis au moins un an, comprend que son bilan est tenu pour dérisoire, et c’est la nécessité de rendre justice à ce bilan et à tous ceux qui y contribuèrent qui incite l’ancien ministre à nous livrer ses mémoires.

« Eh quoi ! Ce n’était donc rien ou pas grand-chose, le dédoublement des classes, l’instruction publique à trois ans, les évaluations de début d’année, le « Plan français », le « Plan mathématiques » ? Rien non plus « devoirs faits », le « Plan mercredi », les cités éducatives, les campus des métiers et des qualifications ? Rien toujours, la réforme du lycée professionnel, du lycée général et technique, la refonte complète des programmes ? » Etc.

Le politique n’est pas là pour « accompagner » passivement l’évolution de la société

Et je peux vous assurer que la liste est longue et que les luttes menées témoignent d’un travail acharné et d’une rectitude peu ordinaire. Il faut dire qu’il y a du pain sur la planche. Reprenons donc depuis le début. Car au-delà de toutes les initiatives que je laisse au lecteur le soin de découvrir, il s’agit aussi de lutter contre. Contre le pédagogisme, par exemple, qui aurait inspiré Molière mais qui, hélas, désespère certains enseignants et de nombreux élèves. J’en étais restée à «  l’élément rebondissant » pour désigner de manière altière un pauvre et simple ballon. Depuis, on a fait beaucoup mieux : on ne dit plus « nager dans une piscine », mais « traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête dans un milieu aquatique profond standardisé ». Si vous ne vous noyez pas avec ça, d’autant que l’immersion prolongée de la tête est tout de même risquée! Bref, le ministre a décidé de prendre le taureau par les cornes et d’évacuer écriture inclusive et autres jargons invraisemblables. Il est également très clair avec « l’antiracisme dévoyé en racisme » et s’opposera aux réunions en non mixité raciale pour ce motif. De l’affaire du foulard de Creil, il parlera de « faute originelle » en rappelant le propos plein de bon sens du principal du collège concerné ; Mr. Ernest Chénière : « Le problème n’est pas celui des croyances, le problème est celui de la manifestation extérieure de ces croyances dans l’enceinte scolaire », regrettant que Lionel Jospin s’en soit remis au conseil d’État qui opta pour la réintégration des jeunes filles voilées plutôt que d’entendre une phrase imparable. Ce sera l’occasion pour Jean-Michel Blanquer d’affirmer avec force que le politique est là pour réguler, infléchir, corriger, construire la réalité, et non pour accompagner passivement l’évolution du monde.

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Autre sujet ; celui des prestations sociales liées à la responsabilité parentale dans la présence des enfants à l’école. Le ministre se heurtera, comme souvent, aux « belles âmes » qui ont le cœur sensible et la raison en vadrouille, ministres et syndicats compris. De ces derniers avec lesquels le dialogue aura été difficile, il ajoute qu’on ne mesure pas en France à quel point les principaux syndicats (l’UNL et la FCPE) sont les antichambres des partis de gauche et d’extrême gauche.

Quant à l’islamisme, c’est à Maubeuge que Jean-Michel Blanquer devra l’affronter, tant les associations religieuses musulmanes ont pris le relai des services publics défaillants. Le temps collectif est régulé par la religion, et les professeurs finissent par l’accepter au motif de ne pas déscolariser les élèves. Obliger les parents à garantir la présence de leurs enfants à l’école en menaçant de supprimer les allocations familiales, c’est mal, mais accepter un endoctrinement qui va à l’encontre de l’esprit critique normalement enseigné à l’école, c’est acceptable. Bon…

Le voile, problème de civilité dans notre pays

Si Emmanuel Macron semble appuyer son ministre de l’Éducation nationale pendant au moins trois ans et demi, l’appui se fera de plus en plus fragile, d’autant que le ministre en question a refusé de se porter candidat pour des élections législatives là où le président voulait qu’il aille… Mais, au-delà de l’ « affront » que ce président ne saurait concevoir, c’est bien son oscillation permanente qui est en question. Ainsi, il put dire qu’au-delà de la question de la laïcité concernant le port du voile dans l’espace public, il s’agissait d’un problème de civilité dans notre pays, c’est-à-dire du rapport des hommes et des femmes en France. C’est-à-dire d’une question de culture, voire de civilisation. Sauf qu’il finit, un peu plus tard, par oublier complètement cette civilité pour estimer que… finalement, le président n’a pas à gérer cette question-là. Bref, la belle entente se fissure, encouragée par des ministres à la loyauté discutable, ou qui renâclent à financer, ou encore qui ne veulent pas déconfiner trop vite. Car c’est le temps du Covid où la pugnacité du ministre chargé des écoles, pour que celles-ci ne soient fermées que très peu de temps ou partiellement, agace. La déscolarisation lui semblant, à juste titre, destructrice, il fera de telle sorte que la France arrive en 2ème position avec seulement 12 semaines de fermeture. Numéro 1, la Suisse, avec six semaines.

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Des thèmes fondamentaux sont abordés dans cet ouvrage : l’État de droit inversé, la réinscription de la démocratie dans le temps long, le suicide de l’Europe, le non-renoncement… Par ailleurs, Jean-Michel Blanquer explicitera le titre de son ouvrage en mettant en cause le fonctionnement de l’Élysée avec celui qui règne dans l’ombre sans jamais avoir été élu : Alexis Kohler. D’autre part, quelques portraits de collègues viennent agrémenter ce livre d’un grand sérieux mais pas austère, dont le plus gratiné est sans aucun doute celui de François Bayrou. Pas d’ironie méchante chez l’ancien ministre, plutôt un coup d’œil psychologique acéré ; sans compter que ces descriptions sont contrebalancées par celles d’amis chers comme Edgar Morin et Jacques Julliard.

Enfin, la construction de l’ouvrage laisse souvent place à des passages concernant son passé, ses voyages ; sortes d’interludes qui nous emmènent ailleurs tout en éclairant le chemin parcouru.

Pour conclure, je me permettrai juste de revenir sur deux sujets ; celui de l’attitude de l’administration à l’égard de Samuel Paty qui n’est pas ici remise en cause. Seule l’absence de protection rapprochée, et qui aurait empêché la tragédie, est déplorée. Par ailleurs, le lobby LGBT, dont le ministre d’alors regrette les pressions, a fini par s’imposer à l’école sous prétexte d’éducation sexuelle et ce, sous sa propre tutelle. N’en reste pas moins qu’au terme de cette lecture, on en sait beaucoup plus sur le travail effectué, sur un homme d’une constance que l’époque aime caricaturer en psychorigidité, et sur la capacité à rebondir pour qui avait un projet à long terme et à qui on a coupé l’herbe sous le pied.

416 pages.

La Citadelle: Au coeur du gouvernement

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Violences sexistes et sexuelles: pas d’amalgame!

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Image d'illustration Unsplash

Selon le député et président du Parti socialiste belge Paul Magnette, « tous les hommes contribuent à entretenir des comportements dont le viol est la forme extrème». Réagissant à l’affaire Pélicot dans Le Monde, cet infatigable défenseur de nos amies les femmes appelle à «épurer notre corpus de règles, notre langage et nos modes de pensée des biais de notre culture patriarcale»... Une compatriote lui répond.


DR.

Monsieur l’ex-Ministre-Président et ex-Bourgmestre, pas encore tout à fait remis du double échec du PS en Belgique, vous tartinez dans le quotidien Le Monde1, empoignant la tragédie de Gisèle Pélicot pour nous faire part de votre féminisme de salon. Seulement voilà, Paul Magnette, on s’en fiche de vos états d’âme de quinquagénaire en pleine crise existentielle ! Quoique vous en disiez, votre parti s’est « fracassé » sur la vague bleue à tous les niveaux de pouvoir. Et comme vos prédécesseurs de gauche, vous instrumentalisez les victimes et leurs souffrances pour racoler comme dans un bar. Qui sait, peut-être l’une ou l’autre électrice soucieuse de « déconstruire la virilité toxique » vous accordera-t-elle ses suffrages aux prochaines élections ?

Dédaignant votre habituel « Padamalgam ! », vous affirmez donc que tous les hommes sont des violeurs en puissance. Eh bien non, cent fois non ! Certes, il existe des hommes éduqués au suprémacisme mâle et des cultures qui réifient les femmes, mais ce n’est pas, ou pas encore, la norme sous nos cieux. Il y a des hommes, et il y en a même beaucoup, qui se régalent du jeu subtil et délicat de la séduction. Toutes les forteresses ne tombent pas forcément sous les coups de bélier ; il en existe qui abaissent spontanément le pont-levis et savourent le chevalier courtois pénétrant les douves. Ca dépend surtout du conquérant.

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Peu nous chaut votre égalitarisme ménager ou institutionnel. L’égalité ! La vertueuse ambition des revanchards ! Mais on s’en fout que vous passiez l’aspirateur ! On ne veut pas être votre égal et moins encore votre semblable. On ne veut pas d’un législateur qui impose la mixité dans toutes les institutions – excepté celle du mariage ! – et qui contrôle nos foyers pour savoir qui fait la vaisselle. Non, on veut simplement vivre et travailler comme des femmes, à notre rythme et selon notre humeur. On veut sortir en ville seule, sans chaperon et sans que des barbares nous tombent dessus. On veut baguenauder en mini-jupe et talons aiguille sans essuyer le regard courroucé de femmes voilées ou menaçant des barbus. On veut les abuseurs, les détraqués, les violeurs, les polygames et les pédophiles en tôle, sans que la mansuétude de votre magistrature les relâche dans le circuit pour un oui ou pour un non.

Mais n’est-ce pas votre bonne ville de Charleroi, où le PS est aux manettes depuis les années 70, qui est devenue un coupe-gorge où il ne fait pas bon être une femme, et moins encore une jeune fille ?2 N’est-ce pas votre parti qui propulse aux plus hautes fonctions des issus de la diversité qui sont peut-être des chances électorales mais rarement des chances pour les femmes ?

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Il ne vous restera bientôt plus que la solution de votre acolyte, socialiste depuis le biberon et bourgmestre de Molenbeek, Catherine Moureaux ; afin de préserver les femmes de sa charmante commune, elle se propose de créer des maisons de quartier réservées aux filles3.  En français, cela s’appelle un gynécée.

Est-ce de cette façon que le Parti socialiste que vous présidez défendra dorénavant la condition féminine qui semble vous tenir tant à cœur dans les pages du Monde ?

Le socialisme n’est pas l’allié des femmes. Il leur a longtemps refusé le droit de vote et se refuse aujourd’hui à assurer leur sécurité. Votre posture de mâle en questionnement, taraudé par un étrange remord au vu des turpitudes d’inconnus en Avignon, peine à masquer votre coupable désinvolture face à ce qui est le premier droit des femmes : vivre libre, en toute sécurité.


  1. https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/16/proces-des-viols-de-mazan-tous-les-hommes-d-une-maniere-ou-d-une-autre-contribuent-a-entretenir-des-comportements-dont-le-viol-est-la-forme-extreme_6353154_3232.html ↩︎
  2. https://www.moustique.be/actu/belgique/2023/04/08/charleroi-ville-la-plus-dangereuse-de-belgique-et-sixieme-deurope-vraiment-259842 ↩︎
  3. https://www.7sur7.be/belgique/une-video-de-catherine-moureaux-a-molenbeek-fait-polemique-les-jeunes-filles-n-ont-pas-envie-d-etre-avec-les-jeunes-garcons~ac2e77ca/ ↩︎