« Je trouve assez scandaleux le procès médiatique et politique » fait à Bruno Le Maire sur le dérapage du déficit, a assuré l’ancien Premier ministre Gabriel Attal au Sénat, vendredi.
Autrefois, dans les cours de récréation des classes primaires, le « c’est pas moi, M’sieur, c’est l’autre » était d’usage chaque fois que se profilaient un coup de règle sur les doigts, un séjour au coin ou deux heures de retenue le jeudi. Mais c’était la communale, les petites classes d’avant le certif’. Aujourd’hui, on se permet cette pratique jusque dans la cour des grands. Des grands parmi les grands. Les gens de pouvoir. Voilà ce à quoi nous venons d’assister dans le cadre de la mission parlementaire sénatoriale d’information sur la dérive des comptes publics.
Étaient entendus les deux premiers de classe sortants, renvoyés à leurs chères études avec l’ensemble de leurs condisciples du gouvernement par des citoyens qui, demeurés au niveau du primaire, n’auront pas su se pénétrer assez de leur extrême compétence. J’ai nommé ici MM. Attal et Le Maire. L’un et l’autre attelés au char de l’État depuis l’élection du président Macron, autrement dit sept longues années. Interminables années, diront certains. Le premier cité fut comme une sorte d’intermittent dans cet orchestre si souvent dissonant. Un moment à ce pupitre, un temps à cet autre, enfin au premier, là où la gesticulation politique s’exécute baguette à la main. Le chic du chic.
Ces messieurs avaient à rendre compte de l’état désastreux des finances publiques, du déficit abyssal que laissent leurs sept années d’exercice. Et là, d’une même voix ou presque, les voilà qui nous ressortent l’inusable « C’est pas moi, c’est l’autre ». En clair, si le déficit atteint le sommet vertigineux des 6,1% au lieu des 5,5 % précédemment annoncés par ces mêmes sortants – non pas au son du clairon, mais au son du pipeau, instrument dans l’art duquel ils sont passés maîtres – c’est la faute non pas à Rousseau comme le chante Gavroche, mais à Barnier. Barnier dont ils font sans vergogne l’héritier de la patate chaude, pis que brûlante même, du gouffre financier.
M. Attal l’a affirmé : 5,5%, il l’aurait fait s’il n’y avait pas eu dissolution. Pas de chance. Être sur la bonne voie et se la voir barrée pour une baliverne aussi méprisable qu’un scrutin, quoi de plus agaçant !
M. Le Maire joue évidemment la même partition. S’il était resté, on ne raserait pas forcément gratis à Noël prochain, mais à un moindre coût tout de même. La preuve, en partant il aurait « laissé sur la table » (sic) tout ce qu’il faut pour remédier à ses sept années de dérapages incontrôlés. Sept ans, le temps de l’âge de raison. Il y accédait. Enfin ! Là encore, dommage.
Avec lui au tiroir-caisse, assure-t-il, c’était le retour au 3% de rigueur à l’horizon 2027 et l’équilibre en 2032. Deux millésimes d’élections présidentielles, notons-le au passage. M. Le Maire sous-entendrait-il par-là que, avec lui à Bercy jusqu’en 2027 et à l’Élysée les cinq années suivantes, la France renouerait avec l’équilibre budgétaire, ayant de surcroît épongé son océan de dettes ? On peut le penser. L’homme en effet a une formidable confiance en lui et s’il lui arrive de se montrer perplexe devant certaines décisions présidentielles, jamais il ne lui viendrait à l’esprit de douter de son génie. Génie polymorphe, comme on le sait : politique, littéraire, pédagogique. Ceux-là s’ajoutant à celui du pipeau déjà évoqué.
Le responsable de la débandade budgétaire ne serait donc autre que le nouveau venu, le nouveau Premier ministre. Rien que pour embêter notre paire de sortants, il aurait sorti le 6,1% de son chapeau. Alors que, à la vérité, il n’a fait qu’ausculter avec sérieux le malade, pris sa température avec le bon thermomètre. Et livré le vrai résultat.
Mais MM Attal et Le Maire n’en démordent pas. Ils sont victimes de malveillance. Ou d’incompétence, ainsi que le second ne craint pas de l’affirmer. S’il a été à ce point incapable de prévoir l’effondrement des recettes, c’est à cause de son administration qui n’a pas su ou voulu l’informer. Après tout, il se peut que les gens de ses services aient répugné à le déranger tandis qu’il se concentrait sur l’écriture de ses polissonneries de post-pubère prolongé… On les comprend. Et puis, plaide-t-il, il aurait tenté des arbitrages pour éviter le naufrage. Sans succès. « On ne démissionne pas pour un arbitrage perdu », se défend-il. Si l’arbitrage porte sur la couleur des stylos à bille, certes. Mais s’il s’agit de dizaines de milliards d’argent public, la chose, à tout le moins, se discute.
Il reste que ces comportements relèvent eux aussi d’une forme d’immaturité psychologique, d’hubris post-pubère. Le « C’est pas moi, c’est l’autre », répétons-le, est excusable en cour de récré. Au-delà, il n’est qu’indigne et pitoyable.
Tandis que M. Le Maire se trouvait en compagnie de quelques soutiens dans un restaurant proche de l’Assemblée, attendant de passer devant la commission, le député socialiste Boris Vallaud a eu ce mot aussi pertinent qu’amusant : « Faites attention qu’il ne vous laisse pas l’addition, parce qu’il en a une certaine habitude. » J’allais dire, nous citoyens contribuables sommes payés pour le savoir. Quelle ineptie ! Non, nous allons payer pour le savoir et aussi pour nous en souvenir. Longtemps, très longtemps. Ce qui n’est pas tout à fait la même musique.
Le Premier ministre d’Israël Benyamin Netanyahou se réjouit de la victoire de Trump en Amérique
«You are fired», vous êtes viré, cette phrase sur NBC a rendu Trump célèbre pendant la dizaine d’années où, à son émission hebdomadaire de télé-réalité sur le monde des affaires, il annonçait brutalement à l’un des candidats qu’il devait quitter la scène. Arnold Schwarzenegger a remplacé Donald Trump quand celui-ci est devenu candidat à l’élection présidentielle, candidature considérée alors comme une fantaisie de milliardaire. Il a commencé sa campagne en insultant les latinos, ce qui a amené les chaines télévisées à rompre leurs contrats avec lui.
Mais Trump est difficile à virer. Un an plus tard Schwarzenegger avait effondré l’audience de l’émission et Trump était devenu le 45e président des États-Unis.
La mauvaise passe du libéralisme
L’estrade désertée de l’Université Howard à Washington où la candidate démocrate devait prendre la parole après les votes en a dit plus qu’un long discours. Dans ce pays si divisén la victoire de Trump a été acceptée par ses adversaires avec élégance, mais ce n’est pas seulement Kamala Harris, c’est d’une certaine façon le Parti Démocrate tout entier qui a été viré par le peuple américain.
Trump a montré une capacité exceptionnelle à sentir les sentiments de ce public. Il y a rencontré des colères et il les a mises en scène de façon aussi grossière qu’efficace. La colère contre la vie chère, le panier de provisions dont le prix augmente sans que le salaire suive, une notion bien plus parlante aux yeux du public que les chiffres trop abstraits de l’impressionnante santé de l’économie américaine, dont son adversaire n’a pas su quoi faire dans sa campagne.
Colère contre un libéralisme économique rendu responsable du déclin de certaines régions et de la complaisance devant l’arrivée en masse de populations immigrées accusées de tirer les salaires vers le bas.
Colère contre un confusionnisme sexuel venant araser les modèles familiaux traditionnels, colère contre les assignations identitaires qui déconstruisent l’identité nationale au profit d’identités tribales.
Colère enfin contre les soi-disant élites qui ne protestent pas contre une idéologie woke qui, sous couvert de sophistication intellectuelle et de supériorité morale, représente souvent un défi au bon sens et promeut de nouvelles intolérances.
Force est de constater que les colères qui soulevaient les femmes (rétablissement des droits à l’avortement au niveau fédéral) ou les minorités n’ont pas été exploitées de façon aussi efficace par Kamala Harris lors de sa campagne.
Le discours de Trump axé sur les colères déforme souvent la vérité et risque de générer une politique de boucs émissaires. Il reste à espérer que redevenu président, il saura tempérer ses désirs de vengeance pour assurer l’unité de son pays. Ses premières déclarations le suggèrent.
Comme d’habitude, la situation internationale n’a guère pesé dans le choix des électeurs.
On peut se demander si Trump, dont le rapport à l’armée a toujours été problématique, croit encore qu’il faut traiter avec Poutine et consorts comme avec les rivaux commerciaux mis en scène dans son émission de télé-réalité. Contrairement à la situation de 2016, une puissante alliance anti-américaine s’est mise en place et toute initiative d’accord sera prise pour une preuve de faiblesse appelant à de nouvelles agressions.
La mauvaise passe de l’Ukraine
L’Ukraine avant tout et les voisins de la Russie derrière elle sont inquiets. Même si le démantèlement de l’Otan est peu probable en raison des gardes fous votés récemment par le Congrès, les demandes réitérées de Trump à une participation accrue des Européens à leur défense se heurtent à la réalité de la faiblesse actuelle de la France et de l’Allemagne.
Quant à la guerre au Moyen-Orient, foyer central de la confrontation planétaire, le soutien de Trump à Israël a été réitéré avec emphase au cours de sa campagne. Il s’associe au souvenir de sa première présidence et à celui de son hostilité à l’Iran. Il ne faut donc pas s’étonner que Trump soit particulièrement populaire en Israël, d’autant que la position de Biden dont les exhortations de cessez-le-feu intempestives ont fait oublier son soutien sans faille en période de difficulté, a exaspéré une grande partie de la population.
Aux États-Unis, néanmoins, la majorité des Juifs, et pas seulement les antisionistes ou asionistes, ont voté en faveur de Kamala Harris. Ils l’ont fait parce qu’ils ont toujours voté démocrate, parce qu’ils ne supportent pas un président aussi problématique que Donald Trump sur le plan humain, mais aussi pour certains parce qu’ils sont inquiets de l’imprévisibilité de l’homme et de la façon dont il peut se faire manipuler par un Poutine qui connait par cœur ses faiblesses et qui est actuellement objectivement l’allié le plus proche de l’Iran.
Quoi qu’il en soit, il est rassurant de savoir que, malgré le vacarme universitaire et médiatique anti-israélien, une large majorité de la population américaine continue de soutenir Israël. C’est aussi le cas de la hiérarchie militaire, comme en témoigne la lettre ouverte récente d’une centaine de généraux retraités rappelant qu’Israël est pour les États-Unis un allié irremplaçable.
Parmi les électeurs juifs heureux de l’élection de Trump, il y a certainement eu Benjamin Netanyahu, un autre invirable. C’est le jour des élections présidentielles américaines qu’il a viré son Ministre de la Défense, Yoav Gallant. Mais cela est une autre histoire…
Mozart esquisse La flûte enchantée au printemps 1791 ; il ne lui reste que quelques mois à vivre ; avant ses 35 ans, il sera mort. L’empereur Joseph II vient lui-même de s’éteindre ; son compositeur attitré est passé de mode. Malade, ostracisé par la cour de Vienne, perclus de dettes au point de solliciter des leçons à donner, multipliant à son corps défendant les partitions alimentaires (menuets, contre-danses pour le carnaval…), Wolfgang, contraint de déménager sans cesse, a dû se délester de son argenterie, et jusqu’au reste de son mobilier. Constance, sa femme, ne se porte guère mieux. Lui d’ordinaire si prolifique n’a quasiment rien produit de toute l’année précédente.
Enfin installé à Vienne, Mozart ne trouvera pas le temps d’achever tout à fait son Requiem. Il mène pourtant à son terme la composition d’un ultime opéra, mi-chanté, mi-déclamé – ce qu’il est convenu d’appeler un ‘’Singspiel’’. Non pas en italien, comme Cosi fan tutte, Don Giovanni ou Le nozze di Figaro… Mais, sur le livret en langue allemande concocté par l’ami Schikaneder, un testament en forme d’oratorio : Die Zauberflöte. Sous les dehors d’une fable incohérente et puérile, un puissant message métaphysique. Ouvertement franc-maçon, Mozart voit en effet s’ouvrir dans la France révolutionnaire cette promesse d’égalité, de liberté et de fraternité dont les vieilles monarchies européennes figurent l’antithèse. Toute légitime et indubitable qu’elle soit, cette lecture « maçonnique » de Die Zauberflöte, prise dans le faisceau des Lumières et de l’utopie progressiste, s’est muée peu à peu en poncif.
Dans la stimulante mise en scène créée en 2013 au festival de Baden-Baden, montée l’année suivante à Paris, et reprise – pour la septième fois en dix ans ! – cet automne à l’Opéra-Bastille, Robert Carsen propose, de La Flûte enchantée, une vision funèbre, intense, infiniment subtile... Complice du rituel initiatique, une Reine de la Nuit en tailleur noir et lunettes de soleil, des initiés aux yeux bandés, enveloppés dans de longs manteaux anthracite, des tourtereaux vêtus d’un blanc immaculé évoluent dans un décor à double-fond signé Michael Levine : déployé en fond de scène sur écran géant, un immuable paysage sylvestre, agité d’un vent léger et dont les branches, un moment, se chargeront d’une colonie d’oiseaux, voit le passage des saisons modifier du tout au tout son chromatisme au fil du spectacle ; sous le tapis de gazon frais où s’ouvrent des caveaux, le cénotaphe souterrain d’Isis, dans l’obscurité duquel, par une trappe, viendront bientôt s’ensevelir Tamino, Papageno et les prêtres qui président aux épreuves rituelles…
Esthétique pleine de poésie, toujours chargée d’un sens clair, jamais gratuit : la marque de fabrique de ce maître des illusions d’optique qu’est le célèbre metteur en scène canadien. Epurée de toute anecdote, cette Flûte très inspirée s’emploie à ressaisir, à l’enseigne si personnelle de Robert Carsen, le véritable enjeu de l’œuvre : la prise de conscience de la finitude humaine, et donc du prix irremplaçable de la vie, et de l’amour.
Côté distribution, si le ténor slovaque Pavol Breslik excelle dans le rôle de Tamino, si la soprano allemande Nikola Hillebrand campe Pamina de façon aussi convaincante que Pretty Yende en 2022, si l’on découvre à Paris, après Berlin et Vienne, une Königin der Nacht irréprochable sous les traits de la soprano polonaise Aleksandra Olczyk, si Jean Tietgen, basse émérite devant l’Eternel, nous fait assurément un Sarastro de haute tenue, il faut tout de même avouer que l’Ukrainienne Oksana Lyniv, au pupitre, nous porte à regretter, par comparaison, le maestro Philippe Jordan, et même Antonello Manacorda ou Simone Di Felice, dans les reprises successives de cette Flûte… qu’elle désenchante en dépit de sa gestique nerveuse : sautes de rythme, décalages, manque de netteté dans les attaques… Il n’empêche : restent encore six représentations de l’opéra, en ce mois de novembre. On aurait tort de se priver de cette mise en scène vertigineuse – qui n’a pas pris une ride.
Alors, Carsen sinon rien ? Pas de casting sans faille, pas de scéno sans risque ! Ainsi, pile le 5 novembre à 21h, soit le soir même de la seconde représentation de La Flûte… à l’Opéra-Bastille, France Télévisions a cru devoir diffuser sur la chaîne Culturebox (pour le bon peuple qui n’a ni les moyens ni la culture du lyrique ?) cette autre Flûte… en version grotesque, telle que le cinéaste Cédric Klapisch (cf. Le Péril jeune, L’Auberge espagnole, Ce qui nous lie…) l’avait commise, un an plus tôt, pour le Théâtre des Champs-Elysées – sa première mise en scène d’opéra.
Plus qu’honorablement interprétée (Jean Tiegen, déjà, en Sarastro, Catherine Trottmann en Papagena…) cette lecture tendancieusement écolo-féministe du Singspiel mozartien aligne les pataquès : la hideur cumulative des décors, costumes, maquillages maçonnés à la truelle ne serait encore qu’un péché expiable contre le bon goût, sans la couche supplémentaire de trivialité dont il cimente son carton-pâte : non seulement des bruitages intempestifs, mais surtout, marqué d’une puissante intention « pédagogique » à destination du péquin perdu dans les dédales du livret, l’ajout de petits inserts en français « contemporain » : « ça matche », « de ouf », « ah cool » et autres apports de son cru : « le monde il est ce qu’il est, s’il n’est pas meilleur on fera avec » ou encore, par la voix de Papageno : « je suis plutôt non violent par nature ( …) j’ai quand même des manques (…) Ok ! », voire même : « Tamino, lui seul pourra défendre nos valeurs » (sic – je souligne). Klapisch au secours de Mozart, quelle chance !
Le génie des compositeurs n’a pas toujours l’heur d’être défendu par l’inspiration débridée d’un scénographe de cette envergure. Un bon moyen d’éviter les mauvaises surprises ? L’opéra en version de concert. Le spectateur, non seulement y perd moins d’argent, mais il y gagne au change, sur le fond : décantée de tout cet appareil scénographique qui, cf. Cédric Klapisch, défie l’intelligence humaine, la musique y sonne pure à l’oreille.
Ainsi par exemple du Comte Ory, ce facétieux opéra-comique du jeune Rossini (1792-1868), sur un livret en français écrit par Eugène Scribe sur la base de son vaudeville éponyme, composition millésimée 1828, la seule et unique commande faite à Rossini pour la scène parisienne : deux actes enlevés en deux heures-et-demi, hors entracte, dans ce même TCE au plateau évidé de toute régie, hors cette élégante ceinture de lambris acoustiques qui, désormais, l’habille à l’occasion des concerts. Divertissement licencieux (avec Isolier, le jeune page travesti, rival du comte Ory qui drague déguisé en bonne sœur, etc.) à l’intrigue située dans un Moyen-Age de fantaisie, cette opérette avant la lettre ne perdait rien à son veuvage de toute scénographie.
Certes, ce dispositif minimal ne doit pas être érigé en principe : il ne retire rien aux qualités qu’on reconnaîtra volontiers à certaines d’entre elles : la meilleure « scéno » du Comte Ory, dans ces dernières années, restant sans doute cette production de l’Opéra de Zurich, avec le duo Patrice Caurier & Mosche Leiser aux manettes, transportant l’esthétique « troubadour » dans la France de la Quatrième République, le ténor mexicain Javier Camarena dans le rôle-titre et la Bartoli en Comtesse Adèle (le DVD est épuisé)… Mentionnons également la transposition « dix-neuvièmiste » plus convenue qu’en a fait Denis Podalydès à la Salle Favart, avec Les Eléments-Orchestre des Champs-Elysées dans la fosse, et un casting enlevé (Philippe Talbot, Julie Fuchs, Gaëlle Arquez, Eve-Maud Hubeaux) et Louis Langrée à la Baguette (le DVD/Blu Ray est disponible).
Mais Le Comte Ory, donné pour un seul soir le 7 novembre dernier en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées sous les auspices des Grandes Voix, de l’Orchestre de chambre de Paris et des Chœur de Chambre de Rouen/ Chœur Sorbonne Université, avec Patrick Lange au pupitre, c’était un ravissement de tous les instants ! Porté par le vibrato incandescent, le phrasé onctueux, l’articulation impeccable du ténor belcantiste Cyrille Dubois, aux côtés d’Ambroisine Bré (Isolier), Sara Blanch (Adèle), Nicola Ulivieri (le Gouverneur) et du jeune baryton franco-mexicain Sergio Villegas Galvain (Raimbaud)…
Morale de l’histoire : si, à tort ou à raison, vous redoutez les scénographies qui « plantent » tel chef d’œuvre du répertoire, optez sans hésiter pour l’opéra en version de concert. Toujours au TCE, rendez-vous le 7 décembre prochain, pour Alcina, de Haendel. Puis encore le 16 décembre, pour Le Couronnement de Poppée, de Monteverdi. Le 26 janvier prochain, ce sera le tour de Don Giovanni, de Mozart, avec Florian Sempey dans le rôle-titre. Sans fioritures. Et… sans le clash d’un Klapisch. A vos agendas.
La Flûte enchantée/ Die Zauberflöte. ‘’Singspiel’’ en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart.
Coproduction avec le Festspielhaus Baden-Baden. Orchestre et chœur de l’Opéra national de Paris. Avec la Maîtrise des Hauts-de-Seine/ chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris.
Direction : Oksana Lyniv. Mise en scène : Robert Carsen. Avec Jean Tiedgen, Bavol Bresik, Nicolas Cavallier, Nial Anderson, Nicholas Jones, Aleksandra Olcyk, Nikola Hillebrand, Margarita Polonskaya, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Claudia Huckle, Mikhall Timoshenko, Ilanah Lobal-Torres, Mathias Vidal.
Opéra-Bastille, les 12,15, 19, 21, 23 novembre 2024 à 19h30. Le 17 novembre à 14h30.
Durée : 3h05.
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Opéras en version de concert au TCE : réservations et informations au 01 49 52 50 00
Dans son nouveau roman, Cabane, le prix de Flore 2021 brosse le portrait de quatre universitaires des années 1970 qui, grâce à l’informatique naissante, parviennent à mesurer les dangers écologiques de la croissance, et alertent sur la catastrophe à venir. Un récit passionnant et troublant, dont même les lecteurs climato-sceptiques ne sortiront pas indemnes.
Causeur. On vous a quitté avec Le Voyant d’Étampes, roman que l’on peut qualifier d’anti-woke, et on vous retrouve touché par la grâce écologiste. Ça y est, vous êtes enfin dans le camp du bien ?
Abel Quentin. Lorsque vous tentez de décrire le monde qui vous entoure, vous vous fichez de savoir dans quel camp cela vous place, à droite ou à gauche, ici ou là. Je ne changerais pas une ligne au Voyant d’Étampes, dans lequel je dénonçais l’obsession de la race, qui revient parfois dans les wagons de l’antiracisme.
En tout cas, dans Cabane, nous n’avez plus rien à reprocher à la gauche. Bien au contraire, vous vous montrez plein de tendresse envers elle, même avec les écologistes les radicaux.
Pour citer Julio Iglesias : « Non, je n’ai pas changé. » Comme dans Le Voyant d’Étampes, il est question dans Cabane d’une parole empêchée, d’individus marginalisés, rejetés par la foule. Dans le Voyant, je racontais le silence imposé par la gauche à un homme qui est pris dans une cabale, et se retrouve cloué au pilori par les cyber-meutes wokes, sans pouvoir se défendre. Dans Cabane, je raconte le long désert des premiers contempteurs de la croissance, attaqués, caricaturés ou ignorés par leurs contemporains. Le récit s’inspire du rapport Meadows commandé par le club de Rome. Il se déroule en partie dans les années 1970, quand une poignée de savants alertaient déjà sur la menace environnementale. L’un des personnages est un universitaire américain qui tente de prévenir les journalistes et les politiques du drame planétaire qui se prépare. Sauf que personne n’a envie de l’écouter vraiment.
Ce livre parle-t-il aussi de votre propre prise de conscience écologique ?
Disons, de façon plus générale, de mon aversion pour le dogmatisme, et de la cécité qu’il entraîne mécaniquement. La cécité, volontaire ou non, est un thème riche, omniprésent. Prenez l’énorme vague d’antisémitisme depuis un an en France, par exemple. Je trouve insupportables les Insoumis qui osent parler d’antisémitisme « résiduel ». Il faut dire que les faits ne sont pas très compatibles avec leur doctrine… Idem pour la question écologique. Nos sociétés productivistes et consuméristes supportent mal un constat scientifique qui ébranle leurs fondements.
En lisant certaines pages de votre livre, on se demande parfois si vous n’êtes pas vous-même un climato-sceptique repenti…
Je n’ai jamais été climato-sceptique, mais il est vrai que j’ai longtemps cultivé, par paresse, une certaine indifférence bienveillante envers l’écologie. C’est en lisant le rapport Meadows, « Les limites de la croissance », dans sa version originale de 1972, que j’ai ouvert les yeux. J’ai été captivé par l’approche globale des auteurs. Leur étude s’appuie sur des équations très sophistiquées qui leur permettent de modéliser le « système monde » et de simuler avec beaucoup de précision les effets de l’activité humaine sur l’environnement à moyen et long terme. D’où il ressort que nous courons à la catastrophe. Ce document, avec son approche dépassionnée, scientifique, m’a ébranlé, plus que ne l’auraient fait dix-huit pétitions pour sauver la forêt amazonienne.
Comment avez-vous eu l’idée de lire ce rapport oublié ?
Un ami me l’a prêté, il y a trois ans. Un peu plus tard, j’en ai parlé avec un type qui avait étudié à Sciences-Po au début des années 1970. Il m’a expliqué qu’à l’époque, dans sa promo, tout le monde avait lu le rapport Meadows… Et puis, le choc pétrolier est survenu. Du jour au lendemain, ralentir la croissance est devenu plus inaudible que jamais : il fallait renouer avec elle, à tout prix. Quand les choses nous sont retirées, on a moins envie de questionner leur bien-fondé.
Le rapport Meadows n’est-il pas aussi passé de mode, du fait qu’il n’envisage pas le réchauffement climatique ?
Vous avez raison, il a fallu attendre la fin des années 1970 pour que le réchauffement planétaire fasse l’objet d’un consensus scientifique. Depuis, le phénomène a été pris en compte dans les éditions réactualisées du rapport, dont les perspectives pessimistes sont hélas corroborées par les faits.
Depuis le début de cet échange, on parle beaucoup de prospective, de projections théoriques, de ressources qui viendront à manquer, mais il serait dommage de ne pas préciser que votre roman donne surtout matière, à travers ses personnages attachants et ses descriptions pleines de justesse, à une profonde réflexion anthropologique sur le consumérisme qui, selon vous, nous mène à notre perte.
Il y a deux étages de réflexion : celui des Meadows, qui conduit à condamner un mode de vie qui nierait les limites physiques de la planète. Et celui de l’écologie profonde, des penseurs technocritiques, qui disent que notre système est mauvais pour l’homme, quel que soit son impact sur la nature. Mon roman est nourri de ces deux visions.
N’y a-t-il pas en somme une différence entre une écologie de droite, inquiète de la chute du monde vivable ; et une écologie de gauche, révoltée par l’invivabilité du monde ?
L’écologie de droite reste quand même négligeable, non ? Ce qui est d’ailleurs paradoxal, car les conservateurs et les réactionnaires sont en boucle sur le déclin civilisationnel – donc, le temps long. Ils devraient, a fortiori, être les premiers concernés par la perspective d’un effondrement. Mais les nouveaux réactionnaires adorent la modernité technique, sans aucun recul. Regardez l’extrême droite française : Bardella qui cartonne sur TikTok et Zemmour qui a fait le premier clip électoral français généré par l’IA !
Il existe bel et bien des écologistes de droite. Les plus brillants s’exprimaient dans la défunte revue Limites.
Vu l’urgence du péril, ils devraient s’allier avec les écologistes de gauche. Remarquez, le scénario inverse pourrait bien tout aussi bien se produire un jour. Dans son nouveau roman, Le Déluge, qui vient de sortir en France, Stephen Markley raconte l’histoire d’une sorte de Greta Thunberg américaine, toutefois dotée d’un sens stratégique beaucoup plus développé que l’originale, qui décide de passer une alliance avec le Parti républicain. Résultat, elle finit par soutenir une candidate climato-anxieuse et ultra-conservatrice à la Maison-Blanche.
La vraie Greta Thunberg, elle, ne ferait pas une chose pareille. Elle est incapable d’un tel péché. Cela briserait son statut d’icône, de nouvelle madone. N’y a-t-il pas aussi beaucoup de postures dans l’écologie ? L’apocalypse aide à se créer un personnage.
L’urgence nous interdit de pinailler. Vous ne pouvez pas dire : je ne prendrai au sérieux la crise climatique qu’à condition que ceux qui l’incarnent ne m’agacent pas, soient sympathiques, etc. Évidemment, je suis moi aussi plus sensible à Jacques Ellul qu’à une adolescente de 15 ans. Mais elle a interpellé des millions de gens sur ce qui sera la grande bataille de notre temps.
Si vous le dites… Dans votre livre, vous citez non seulement Jacques Ellul comme précurseur de l’écologie, mais aussi Georges Bernanos. C’est votre côté réac ?
J’admire Bernanos : son œuvre, son intégrité, sa lucidité. Alors que la facilité aurait voulu qu’en disciple de Charles Maurras, il reste muet devant les exactions commises par les franquistes à Majorque où il résidait pendant la guerre d’Espagne, il a condamné ces crimes, et perdu au passage beaucoup d’amis. Et puis, après-guerre, il écrit La France contre les robots, dans lequel il dit plus ou moins qu’une usine Ford est aussi déshumanisante qu’un camp de concentration ! Jacques Ellul, je l’ai découvert plus tard. Il a mis à jour la tyrannie du « système technicien ». Il ne voulait pas revenir au Moyen Âge : seulement, il montre l’emprise insidieuse et universelle de la technique, qui échappe à notre pouvoir de décision, le limite, et crée des solutions aux problèmes qu’elle a elle-même causés. C’est d’une actualité extraordinaire.
Certains écolos actuels ne se contentent pas de critiquer la modernité. Ils divinisent la nature et diabolisent l’humanité.
Je reste pour ma part à la porte d’une écologie qui ne serait plus anthropocentrée du tout. Cela dit, cette écologie met le doigt sur notre déracinement. On le voit en littérature. Quand on lit Giono, on a le sentiment d’un homme qui vit au milieu de la nature, en familier. Cette familiarité a disparu avec sa génération qui a soldé la fin du monde paysan. Je pense aussi à Henry David Thoreau, par exemple, qui montre comment, dès qu’on ralentit, on devient plus attentif. Il y a un texte où, devant sa cabane, il contemple un affrontement de fourmis. Pour lui, c’est presque une bataille napoléonienne qui se joue sous ses yeux. Ce spectacle le rend plus joyeux, plus apaisé.
Avez-vous retrouvé le lien avec la nature en vous installant à Étampes ?
D’abord, Étampes est une ville. Ensuite, ce lien, je ne l’ai pas du tout retrouvé, car je ne l’ai jamais connu. Au fond, je suis étranger à la nature, comme la majorité d’entre nous.
Dans votre livre, vous évoquez une photo du désert, et vous dites que, quand vous la regardez, vous vous attendez à ce que le logo du parfum Shalimar apparaisse dans un coin.
Ellul a des pages très frappantes à ce sujet. Il dit que la nature est devenue un ensemble de signes remis en circulation. Elle nous est étrangère. Ellul écrivait avant internet. Aujourd’hui, on pourrait ajouter qu’elle est devenue une succession de spots « instagrammables ».
Ne trouvez-vous pas étonnant que si peu d’écologistes aient le souci de la beauté de la nature ?
Ce n’est pas tout à fait vrai. Par exemple, Arne Næss, le fondateur norvégien de l’« écologie profonde », aimait profondément la montagne, au pied de laquelle il vivait. Dans son livre Vers l’écologie profonde, il parle avec amour de l’escalade qu’il pratique tous les jours, des gentianes. Peut-être reprochez-vous aux militants écologistes actuels de ne pas parler assez de la beauté. Seulement, à résumer l’écologie à la défense de la beauté, on perd de vue l’urgence vitale, le tableau d’ensemble, et les dégradations non visibles : par exemple, celles qui affectent les sous-sols et les océans.
La beauté de la nature n’est pas seulement une affaire d’esthétique ! Pour l’instant, les Verts nous ont surtout fait prendre du retard avec l’affaire stupide du nucléaire, et font campagne sur des thèmes qui n’ont strictement rien à voir avec la planète, comme la théorie du genre ou l’islamophobie.
Mon livre n’est pas une défense de l’écologie politique, à laquelle on peut reprocher bien des choses, je vous l’accorde. Notamment cette vieille maladie du gauchisme : sa prétention à la pureté. En me documentant pour mon roman, j’ai épluché des exemplaires de La Décroissance, un mensuel écolo radical. Ses contributeurs passent leur temps à dégommer Jean-Marc Jancovici, l’inventeur du bilan carbone, pourtant d’accord à 90 % avec eux. Au lieu de se dire qu’une telle personnalité est utile, qu’elle peut leur permettre de toucher de nouveaux publics, ils préfèrent lui taper dessus, parce qu’il est pronucléaire et qu’il dirige une entreprise.
Vous parlez d’un média underground, dont l’intransigeance est le fonds de commerce. Mais que dire du sectarisme du vaste parti Vert, et de figures célèbres comme Sandrine Rousseau ?
Je suis parfaitement d’accord avec la moitié de ce que dit Sandrine Rousseau, et pas du tout avec l’autre moitié. Elle nivelle tout, en accordant le même niveau d’importance à la fin du fossile et aux toilettes mixtes, à la décarbonation et à la déconstruction. Elle fait figure d’épouvantail électoral, alors que l’enjeu commande de parler à tout le monde : pas seulement à trois pelés et trois tondus à Montreuil ou dans le 4e arrondissement de Paris. Mais aussi aux gens modestes qui ont été éjectés des centres-villes par les prix indécents de l’immobilier, et sont contraints à prendre la voiture tout le temps.
On dirait que cette question écologique recouvre une angoisse existentielle pour vous. Cela se ressent-il dans votre vie quotidienne ?
J’ai corrigé certains aspects de ma vie quotidienne, certains superficiellement, d’autres en profondeur. Mais, bien évidemment, je suis à mille lieues de la sobriété. Mes personnages le constatent, dans Cabane : notre modernité fluide, rapide, consumériste est une drogue dure, on ne s’en sèvre pas facilement. En ce sens, je me sens encore proche du personnage de Quérillot, l’ingénieur français, incapable de cohérence individuelle.
Pourquoi si peu d’entre nous sont-ils cohérents ? Sommes-nous fous ?
Oui, nous sommes fous. Nous nous comportons comme tels, en tous cas. Notre folie, ce n’est pas celle de Vol au-dessus d’un nid de coucou, nous n’avons pas un entonnoir sur la tête, mais c’est tout comme. C’est celle de gens qui continuent à penser, très sérieusement, qu’on peut croître indéfiniment dans un monde fini.
On ne peut dire qu’avec des mots simples, ce que furent les actions menées par les aveugles femmes et hommes, dans l’action de résistance contre l’occupant allemand de 1940 jusqu’à 1944. Soldats sans uniforme, ils ont conquis le premier rang de résistants, par le courage et la détermination qu’ils ont déployés à lutter contre le mal.
Si Charles Davin n’est pas le seul, il est à tous les égards une figure représentative de ces Français courageux et téméraires. Non seulement pour les actions qu’il a menées, mais aussi, parce qu’il a eu l’heureuse initiative, après le conflit, de créer le lieu de rassemblement des aveugles résistants, et dont l’enseigne était l’Union des Aveugles de la Résistance.
Charles Davin est né en 1896 à Barcelone. Devenu Français lorsque la guerre éclate en 1914, il s’engage dans le combat, et sert dans l’aviation. Frappé par l’éclat d’un obus, l’énucléation nécessaire le rendra aveugle. Voici donc cet homme qui, dans le civil masseur — disait-on kinésithérapeute ? — n’hésite pas en 1940 à se lancer dans les actions de résistances.
Ils sont ainsi des centaines à prendre part au combat comme un défi lancé à leur handicap avec leurs propres moyens pour ne pas rester dans l’ombre. S’il est impossible de dresser la liste des initiatives à cause de leur caractère individuel, citons les plus fréquentes. Passer des messages et souvent en traversant les lignes ennemies. Création de réseaux pour évacuer les clandestins qui étaient recherchés par la police française et allemande. Opérateur radio ; créer des caches d’armes. Interception de communications téléphoniques, fabrication de faux papiers. Bref, ce fut un maillage d’actions qui prenait racine dans le quotidien.
Il ne faut pas oublier qu’il y eut parmi la résistance des aveugles des fusillés et des déportés. Parmi ceux-ci, soulignons qu’ils ont été peu nombreux à revenir.
Cette résistance ne puisait pas ses forces uniquement dans les groupes politiques constitués ni les mouvements spirituels connus chez ceux où s’exprimaient le courage et l’envie de combattre. Ce qui signifie que l’éventail social y était largement représenté. Juste quelques noms servent à illustrer ce qui vient d’être énoncé. Les universitaires Jacques Lusseyran et Roger-François Clapier. Le duc de Choisel Pralin. Les représentants religieux : le dominicain Michel Perrin. Il fut Juste parmi les nations. Le pasteur Frédéric Jalaguier. Et les autres : paysans, manœuvres, femmes au foyer, étudiants.
Charles Davin trouve en la personne du député Albert Aubry l’appui qui lui permettra d’officialiser l’association. En effet, Aubry, lui-même énucléé d’un œil durant la Première Guerre, est au Parlement, le rapporteur du budget des Anciens combattants. Le 8 juillet 1948, une loi est votée, qui permet de mettre en place les fondations du « statut des Aveugles dans la Résistance. »
Mais pour Davin ce n’est pas encore suffisant. Il veut réunir les témoignages des compagnons d’armes. Le travail de collecte commence en 1946, et se terminera en 1953 par la parution d’un ouvrage, aux éditions Dervy, intitulé La bataille des ombres.
Charles de Gaulle, apprenant la page héroïque écrite par ces femmes et ces hommes, décide de les incorporer aux Compagnons de la Libération. En 2014, une stèle est érigée à la cour d’honneur de l’Institut National des jeunes Aveugles à Paris. Les noms gravés dans le marbre resteront vivants dans la mémoire des hommes.
Tout est dit, nous semble-t-il ? Eh bien non ! Non, car dans un pays qui se délite sous les yeux des Français, quand des libraires, dans leur immaturité goguenarde, accueillent l’ouvrage qui vous est présenté par ce sinistre trait d’humour : «Aujourd’hui ce sont les aveugles dans la résistance, et demain ce seront les bossus?», nous avons le devoir de rappeler au plus grand nombre comment des soldats sans uniforme ont conquis le premier rang de résistants par le courage et la détermination.
L’ouvrage qui vous est proposé est unique. Les textes relatent les actions des uns et des autres, et les dessins qui les accompagnent, sont, soit l’œuvre des témoins eux-mêmes, soit, de leurs amis.
Les agressions antisémites survenues jeudi dernier dans la Venise du nord sont d’autant plus inquiétantes qu’elles ont eu lieu dans une ville où les supporters ont une affection traditionnelle pour le peuple juif.
Et dire qu’avant le match, Amsterdam fut le théâtre de rarissimes moments de fraternité entre adversaires ! Car ce soir-là, la grande équipe locale, l’Ajax, recevait le Maccabi Tel-Aviv. Or l’Ajax est connu, au grand dam de ses dirigeants, comme le “club des juifs”’. Une expression aussi bien employée par les supporters des autres formations du championnat, pour qui l’épithète est loin d’être un compliment, que par les fans d’Amsterdam eux-mêmes, qui l’utilisent comme nom honorifique.
Ce qui explique que, le jeudi 7 novembre en début d’après-midi, aux abords de l’Amsterdam Arena, le public local des amateurs de foot ait salué cordialement les quelques Israéliens qui avaient fait le voyage pour soutenir le club de Tel Aviv. On entendit ainsi des Néerlandais chanter le Hava Nagila et d’autres chants traditionnels de l’État hébreu, comme ils le font lors d’autres matchs, par amour de l’Etat juif… ou pour narguer les adversaires, ce n’est pas toujours évident.
Des scènes d’horreur
Tard jeudi soir et aux premières heures de vendredi, l’atmosphère festive dans la capitale a pourtant cédé à des scènes glaçantes, qualifiées de “pogroms” par de hauts fonctionnaires israéliens et par la maire d’Amsterdam, Femke Halsema. Scènes qui n’ont rien à voir avec la défaite de Maccabi, 5-0, contre l’Ajax, mais avec l’arrivée impromptue de nouveaux protagonistes, des jeunes voyous évoluant en bande et gueulant leur soutien à la Palestine et leur haine des juifs.
Se déplaçant à scooter sur le principe de l’action “hit and run”, selon la maire, cette horde fit alors “la chasse aux Juifs”, comme le constata un journaliste présent. Si la police réquisitionna des bus pour que les supporters israéliens puissent vite regagner leur hôtel en toute sécurité, certains d’entre eux ne purent se mettre à temps à l’abri et furent agressés par les jeunes “militants pro-palestiniens” (plutôt miliciens que militants), qui les contraignirent à crier “Free Palestine” avant de les passer à tabac, selon des médias locaux.
Horrifié, le Premier ministre néerlandais, Dick Schoof, condamna ces “actes antisémites” lors d’une conversation avec son homologue israélien, Benyamin Netanyahou, qui, initialement, avait indiqué l’envoi d’avions militaires à Amsterdam pour rapatrier les supporters de Tel Aviv. Un site d’informations néerlandais titra : “Tsahal à la rescousse de juifs à Amsterdam”.
Plus tard, Netanyahou se calma en donna des consignes pour affréter des vols supplémentaires, mais en faisant cette fois appel à El Al, la compagnie commerciale nationale. De son côté, Geert Wilders, le très israélophile et droitier homme politique néerlandais, pilier de la bancale coalition gouvernementale, exigea la démission de la maire de gauche d’Amsterdam, accusée d’être pro-palestinienne.
Un dirigeant de la communauté juive aux Pays-Bas, Eddo Verdoner, demanda aux supporters israéliens encore présents à Amsterdam de “se faire le plus discrets possible” en attendant le départ du dernier d’entre eux. La honte… Vendredi matin, un rescapé rapporte avoir eu peur de prendre le taxi pour rejoindre l’aéroport d’Amsterdam, étant donné le regard hostile de certains chauffeurs d’origine arabe. L’hostilité des taxis peut s’expliquer par le fait que l’un des leurs aurait été passé à tabac par des fans de Maccabi, accusés également d’avoir brûlé et arraché des drapeaux palestiniens et d’avoir scandé des slogans anti-arabes.
Ainsi, un match plutôt quelconque de la Ligue Europa dégénéra en un spectacle révoltant, avec des conséquences potentiellement graves pour l’image de tolérance des Pays-Bas. Des dirigeants du monde entier, dont le président Emmanuel Macron, ont exprimé leur vive émotion.
Il est trop tôt pour identifier les fauteurs de troubles. On est en droit de penser cependant que ces “jeunes de quartiers” n’étaient pas des hooligans de l’Ajax. Lors des agressions de jeudi soir, les supporters du “club des juifs” auraient plutôt eu tendance à protéger leurs frères-ennemis israéliens.
Folklore batave
L’origine du surnom de l’Ajax reste un mystère. Ce club ne fut pas fondé par des juifs, les joueurs juifs n’y ont jamais été très nombreux, pas plus que les présidents. Les experts du sujet ont une hypothèse : l’ancien et très modeste stade du club se situait dans l’est de la capitale, où les juifs étaient traditionnellement nombreux avant la guerre. Conséquence, les supporteurs des équipes adverses traitaient les joueurs de l’Ajax de “nez”. Face à ces injures antisémites, les fans de l’Ajax choisirent à partir des années 80 de retourner l’insulte pour en faire un motif de fierté. Dans les tribunes du nouveau stade, baptisé “Johan Cruijff Arena”, de gigantesques drapeaux israéliens firent leur apparition à côté de ceux de l’équipe. Ce qui n’était pas pour plaire aux dirigeants du club, pas plus qu’aux membres de la communauté juive locale. De nombreuses fois, les supporters furent priés de ne pas abuser du nom “juif” qui, scandé par des milliers de fans simultanément – “wij zijn Joden!” (nous sommes juifs!) – peut avoir un effet sidérant, surtout à Amsterdam, ville dont la quasi-totalité de l’importante communauté juive fut déportée par les nazis dans les années 40.
Une immigrée israélienne à Amsterdam se rappelle ainsi qu’elle fut effrayée la première fois qu’elle croisa, il y a quelques années, des fans de l’Ajax en route vers le stade. “Ils criaient qu’ils étaient juifs, je croyais que c’était une moquerie, se souvient-elle. Mais quand ils ont brandi un drapeau israélien avec fierté, j’ai compris que c’était une démarche amicale”.
Dernièrement, les drapeaux israéliens se sont pourtant faits plus rares dans le stade de l’Ajax. Surtout depuis le 7 octobre 2023. “On ne veut plus voir de symboles de pays en guerre”, ont expliqué les dirigeants d’un groupe de supporters, qui voulaient ainsi empêcher d’autres spectateurs de venir avec les couleurs palestiniennes. C’est dire combien la scène de fraternité d’avant le match, celle où des supporters de l’Ajax chantèrent Hava Nagila, était inattendue. Et combien elle est réconfortante pour les amis du peuple juif.
Étienne Kern ressuscite un certain Émile Coué, un obscur pharmacien de Nancy devenu une star mondiale avant de retomber dans l’oubli, et dont la « méthode » est aujourd’hui moquée.
Qui dirait avoir recours à la méthode Coué serait aujourd’hui moqué. Quant à son inventeur, Émile Coué (1857-1926), personne ou presque ne le connaît. Il n’en fut pas toujours ainsi. Ce pharmacien fut en son temps une sommité. Une star même, adulée dans le monde entier. Étienne Kern brosse son portrait avec humilité et empathie dans La Vie meilleure. De ses débuts à Nancy, où il découvre l’hypnose, alors en vogue, à sa première patiente : une femme venue dans sa pharmacie pour du laudanum. Elle n’a pas d’ordonnance. Émile ne peut donc lui en procurer. Il a alors une idée : fabriquer une potion de son cru avec de l’eau, du sucre puis écrire un nom savant sur l’étiquette. La cliente n’y voit que du feu. Mieux, elle revient le lendemain remercier le pharmacien pour l’excellence de sa potion. Il vient de découvrir l’effet placebo et les pouvoirs sans fin de l’imagination. Il s’intéresse à l’esprit humain. Ses maîtres : Bernheim et Liébeault, qui furent les premiers à théoriser les bienfaits de l’hypnose et le pouvoir de la suggestion. Il commence à recevoir des patients dans un petit hangar au fond de son jardin. Tous n’ont qu’un souhait : aller mieux. La prescription d’Émile est des plus simples : répéter, matin et soir, « tous les jours, à tous point de vue, je vais de mieux en mieux ». La méthode peut prêter à sourire, mais force est de constater que les résultats sont là. Seule ombre au tableau : le père du pharmacien voit d’un mauvais œil les expériences de son fils et l’accuse même de charlatanisme. Meurtri, Émile poursuit néanmoins ses recherches. En 1920 il publie La Maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente. Le livre connaît un succès retentissant. Les journalistes viennent l’interviewer. Les patients se pressent chez lui. « Partout d’un continent à l’autre, des disciples se réclament de lui et des malades murmurent son nom dans leurs prières. » À 64 ans, Coué découvre la gloire. Il va partout, de la Grande-Bretagne aux États-Unis. En 1980, John Lennon reprend ses mots dans une chanson, Beautiful Boy : « Every day, in every way, it is getting better and better. » Une ascension vertigineuse qu’Étienne Kern retrace pas à pas, mettant en avant la ténacité, l’intuition, parfois aussi la roublardise de ce professeur d’optimisme. Une vie romanesque qu’il nous conte avec une tendresse manifeste pour ce précurseur de la pensée positive. À travers Émile Coué, Étienne Kern parle de lui mais aussi de nous-mêmes. « Sa vie est comme la nôtre, avec ses jours banals, et ses jours qu’on n’oublie pas. Il a été enfant. Il s’est marié. Il a perdu son père et sa mère. Il a vu certains rêves s’étioler et d’autres prendre forme. Il a vu son corps vieillir. C’est un homme avec ses désirs, ses angoisses. » Son goût pour les mots qui guérissent est aussi celui de l’auteur qui évoque, en creux, un drame personnel. Celui d’Irène et André, dédicataires de ce livre aussi lumineux que mélancolique.
La Vie meilleure, d’Étienne Kern, Gallimard, 2024. 192 pages
Monsieur Nostalgie ouvre son garde-manger en ce dimanche de novembre et chante les louanges du pâté sous toutes ses formes, comme l’expression d’une civilisation hautement avancée et une résistance à l’arrivée des premiers frimas…
L’automne prend ses aises, les douceurs d’octobre sont déjà un souvenir, nous entrons maintenant dans les froideurs de novembre, le mois du gibier et des abats, des poilus et du bleu horizon. À la campagne, nous enfilerons des bottes en caoutchouc qui s’enfonceront dans les ribinous bretons ; et en ville, nous verrons fleurir les premiers duffle-coats du Maréchal Montgomery sur les trottoirs détrempés à la Caillebotte. En novembre, nous célébrons nos morts et nous nous attablons autour de plats gaillards afin de faire revivre leur mémoire. Du souvenir des êtres aimés au plaisir de partager un repas, le pâté de campagne est ce dernier lien qui unit les peuples en voie de désintégration.
Une nation qui ne serait plus capable de casse-croûter, c’est-à-dire de se satisfaire d’une tranche de pâté avec un pain au levain, n’aurait plus aucun avenir commun ensemble. Ce pâté rustique par son aspect recèle cependant mille strates, mille manières de le façonner, mille couleurs mordorées, mille reliefs subtilement découpés, il est l’or de la cuisine ménagère, une consolidation de l’identité française par sa tentative réussie d’agglomérer des morceaux de viande dans une même terrine. Il est chair et épices, mâche et gelée, gras et maigre, parfaite symbiose d’un pays à la recherche d’une communion. Il est géographie des terroirs et histoire des traditions. Il est surtout cet ami de la famille qui ne chipote pas, qui réjouit autant le bourgeois affairé sur une nappe blanche que l’ouvrier débout sur un chantier, entre la bétonnière et le marteau-piqueur. Il est un peu de chaleur dans une société congelée. Une main tendue vers un idéal gastronomique et œcuménique, alors refuser cet innocent pâté en apéro ou en entrée serait bafouer les règles élémentaires de notre Humanité. Le pâté, par sa modestie, par sa convivialité incarnée, n’a pas le prestige des plats « signatures », et pourtant il est, pour nombre de nos chefs étoilés, une cathédrale du goût, par sa structure architecturale et son éclat ambré. Il demande une maîtrise technique et une touche artistique de haute volée, une cuisson et une salaison que seuls les possédés des fourneaux peuvent atteindre. Certains pâtés ont la beauté d’un Schiele, le reflet d’une peinture viennoise ; quand l’expressionnisme des morceaux se détache afin de créer l’effet visuel de corps en mouvement, l’art du cochon et de la volaille se mettent au diapason pour mieux nous régaler. Et lorsque vous l’avez en bouche, un pâté révèle alors son extraordinaire complexité et vous emmène loin. L’onde nostalgique dont je vous parle si souvent dans mes chroniques est emmaillotée sous cette crépine soyeuse, la dentelle des mères lyonnaises. Le pâté est aussi éminemment littéraire. Robert Courtine (1910-1998), critique culinaire du Monde rappelait la présence du pâté dans l’œuvre de Simenon, notamment dans la nouvelle Le client le plus obstiné du monde. Le journaliste gourmet affirmait que Maigret l’accompagnait d’un verre de Cornas. D’autres écrivains ont vanté les béatitudes du pâté. Dans son Almanach des Quatre saisons, Alexandre Vialatte évoquait le menu qu’Alexandre Dumas Fils « servit pour l’inauguration du buste de son père, le 3 novembre 1883 » et s’attardait sur ce « pâté chaud de pluviers dorés » aussi fantasmagorique que la plume du chroniqueur auvergnat. Georges Haldas (1917-2010) dans La Légende des repas se souvenait d’un pâté servi dans un « petit établissement » de la Dombes. « On avait le sentiment, ce jour-là, de vivre, en mangeant, quelque chose d’authentique encore et de réconfortant. Comme quand on sort le matin dans un léger brouillard. Dont on sait qu’il va se dissiper », écrivait-il. Le pâté dissipe en effet les malentendus, il est un pacificateur né.
Pour ceux qui ne seraient pas convaincus par les vertus du pâté de campagne sur les Hommes et le trouveraient trop roturier pour leur délicat palais, je conseille de lire Ma Tour d’Argent de Claude Terrail (1917-2006) qui s’enthousiasmait sur un pâté de merles bruns (les femelles des merles sont, parait-il, brunes). Les premières lignes de cette recette sont de la littérature pur jus : « Choisissez 12 beaux merles que vous désosserez avant de les mettre à mariner dans du madère. Les entrailles que vous avez réservées, hachez-les fines et faites-les sauter à la poêle… ».
Bien sûr, le rôle de l’immigration semble évident. Mais, la terrible chasse aux juifs d’Amsterdam jeudi soir a surtout été rendue possible par une vaste entreprise de reconstruction du réel autour de l’histoire d’Israël.
La tragique chasse aux juifs d’Amsterdam à laquelle des chauffeurs de taxis ont participé, livrant les victimes à leurs agresseurs ou signalant à leurs persécuteurs les refuges des Israéliens, la banderole pro palestinienne qui faisait disparaître Israël de la carte du Proche-Orient au Parc des princes lors du match entre l’Atletico Madrid et le Paris Saint-Germain, les graffitis antisémites contre la présence à l’université de Lyon de la présidente de l’Assemblée nationale Madame Braun-Pivet, témoignent de la réalité de plus en plus criante d’un antisémitisme qui prend prétexte de la guerre à Gaza pour libérer ses paroles de haine et passer à l’acte violent en de nombreux lieux en Europe même.
Les Israéliens ont tendu la main à plusieurs reprises
Tant que subsisteront les mensonges et les méconnaissances sur la création de l’état d’Israël et des autres États de la région, tant que persistera le refus arabe de la souveraineté d’un État juif sur cette terre, tant qu’Israël sera considéré comme un occupant illégitime opprimant une population occupée, tant qu’on parlera d’apartheid à propos des relations entre arabes et juifs en Israël, tant que les actions de défense d’Israël contre le terrorisme palestinien et les multiples guerres des pays ennemis seront considérées comme des preuves de sa malfaisance, une partie de l’Europe, heureuse de se débarrasser de sa culpabilité pour ce qui a été fait aux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, verra dans Israël le bourreau à qui rien ne peut être pardonné et dans les Palestiniens un malheureux peuple de réfugiés sans terre, privé de tous les droits humains.
Rien n’y fera, ni la barbarie et la cruauté des actions du Hamas et d’autres mouvements de « libération » palestiniens, ni la bonne volonté des Israéliens qui ont tendu la main à plusieurs reprises en vue de la création d’un État palestinien à leurs côtés. Ces enfants de l’Europe ignorants de l’histoire du Moyen-Orient ne verront dans ce conflit au mieux qu’une dispute de territoires et au pire qu’une entreprise coloniale, semblable à celles qu’elle a menées elle-même. Ne voulant pas voir que désormais c’est la religion dans sa forme la plus archaïque qui mène là-bas une danse macabre qui ne tardera pas à se jouer en son propre sein dans un avenir proche. « Les médias ne font pas le taf » ai-je entendu. Mais peuvent-ils le faire sans paraître donner crédit à une propagande, opposée à celle qui a été diffusée pendant de nombreuses années et qui a enfanté en quelque sorte une opinion relativiste ou islamogauchiste ?
Israël vue comme une verrue dans le corps arabe
L’histoire est arrangée, en commun accord entre les repentants occidentaux et les accusateurs, de telle sorte que les juifs apparaissent comme les seuls coupables : les juifs devenus « sionistes » sont ainsi diabolisés et leurs ennemis vont même jusqu’à souhaiter leur disparition ou tout au moins leur mise à l’écart.
Ce qui est caractéristique dans cette entreprise de reconstruction du réel, c’est à la fois la fabrication d’une histoire imaginaire, l’ignorance des faits pour certains et leur manipulation par d’autres.
C’est l’islam dans son expression radicale qui inspire les Palestiniens depuis le Mufti de Jérusalem Amin El Husseini qui collabora avec Hitler et qui est la cause du refus de la présence d’un État juif souverain au Proche-Orient. La parenthèse nationaliste du Baas syrien et irakien et du nassérisme confirma ce rejet de l’État d’Israël, considéré comme une verrue dans le corps arabe. Aujourd’hui, ce qui refuse l’existence de cet État juif c’est le totalitarisme islamiste qui, parti de l’orient et du Maghreb se développe désormais en Occident, à la faveur de l’expansion démographique de l’immigration musulmane.
Comme au temps des totalitarismes communiste et national-socialiste, les collaborateurs sont nombreux qui ont la haine de la démocratie libérale représentée par les États-Unis, l’Occident en général et Israël en particulier. En France cette collaboration avec le totalitarisme islamiste qui prend clairement le parti de l’ennemi est représentée par la France insoumise et ses alliés d’extrême-gauche, aux États-Unis par l’aile gauche des démocrates et en Israël, par une gauche qui se déclare post-sioniste.
Non contents de subir une libanisation accélérée de leur pays, les Français vont devoir payer pour les flambeurs qui ont endetté la nation pour acheter la paix sociale. Les faillis doivent partir. Et avec eux les idéologues de la post-nation.
Comment osent-ils encore la ramener ? Ceux qui ont précipité la France dans le grand effondrement, civilisationnel et économique, devraient rendre des comptes pour incompétence et trahison. Au lieu de quoi, les saccageurs sont toujours là, à faire obstacle aux reconstructeurs. Cela fait cinquante ans qu’ils pavanent : de pères en fils, les dirigeants exhibent leur progressisme pour effacer les traces du passé. Ils ressemblent à la prophétie de Jérémie : « Ils détruiront tout. Ce qu’ils ne connaissent pas, ils le briseront ; ce qu’ils connaissent, ils le saliront. » Les démolitions ont été si rondement menées que se revendiquer conservateur devient une curiosité : préserver qui, quoi, où ? La déculturation a fait son œuvre : les riches ne sont plus que des pauvres avec de l’argent, comme l’avait prédit Nicolas Gomez d’Avila. La gauche béate erre parmi les ruines, yeux clos. Les plus lucides des « antiracistes » déplorent l’islam judéophobe et sexiste. Mais ces tartuffes hurlent à la xénophobie contre ceux qui mettent en garde contre l’immigration colonisatrice. Non contents de subir une libanisation accélérée de leur pays, les Français vont devoir de surcroît éponger financièrement l’irresponsabilité des flambeurs qui ont endetté la nation pour acheter la paix sociale. La fin de règne des incapables a sonné.
Les faillis doivent partir. Et avec eux les idéologues universalistes de la post-nation. La crise politique, dont Michel Barnier est l’expression transitoire, est le résultat d’une réaction nostalgique. La « sottise des gens intelligents » (Jacques Julliard) est devenue insupportable. Leur légèreté a fait de la nation une proie à saisir. C’est dans le vide culturel et spirituel, aggravé par les casseurs de frontières, que prospère la civilisation conquérante d’Allah. Elle a pris opportunément Marx comme allié, avec la collaboration de l’extrême gauche déboussolée. La puissance de l’envahisseur se mesure à l’insécurité qui entoure à nouveau, après l’occupation nazie, la présence juive en France. Israël, sous le feu djihadiste, est considéré comme plus sûr pour les juifs qui partent la rejoindre. « Des héritiers sans testament sont des brandons de destruction[1] », prévient Bérénice Levet en dénonçant les trous de mémoire des déconstructeurs. Levet cite Anna Arendt : « C’est précisément pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l’éducation doit être conservatrice. » Mais rien n’est à attendre des fossoyeurs qui haïssent la France enracinée et son ancienne école hypermnésique. La question est de savoir si les Français, qui, à 64 %, « aimeraient que leur pays redevienne comme autrefois[2] », peuvent être à la hauteur de la brutale résistance qui, seule, arrêtera le désastre. 82 % ont une mauvaise opinion des partis[3]. Une rupture avec le vieux monde politique est à mener à son terme. Une minorité peut suffire.
Le sursaut reste à portée de main. Il se lit dans ce que les censeurs appellent la « lepénisation des esprits ». L’effondrement des mondialistes donne raison à ceux qui avaient prédit leur échec. Les infréquentables prennent des allures de visionnaires. La politique anti-immigration de l’Italienne Giorgia Meloni, honnie par la bien-pensance, sert de modèle à la France et à l’UE. La Hongrie de Viktor Orban, qualifié d’antisémite par la gauche, a été choisie par Israël pour accueillir en sécurité, le 10 octobre, le match de football Israël-France. L’État hébreu et ses citoyens-soldats s’affirment, aux yeux des peuples vulnérables, comme exemplaires dans leur défense de la nation, de son identité, de sa religion, de ses frontières : tout ce que rejette, en France, une partie de l’intelligentsia. Celle-ci bannit le RN, qui défend les mêmes valeurs qu’Israël. Si Benyamin Nétanyahou gagne sa guerre contre l’islamisme apocalyptique des mollahs, les démocraties pourront lui dire merci, et Macron pourra s’excuser de sa lâcheté. Tout ira plus vite encore si, le 5 novembre, Donald Trump l’emporte. La possible victoire du « fasciste », selon Kamala Harris, serait un séisme tant les « élites » n’envisagent pas de voir le paria revenir à la Maison-Blanche. À quelques jours du scrutin, Kamala Harris talonnait son adversaire dans sept États pivots, sans enclencher l’enthousiasme.
La révolte des autochtones est un puissant appui pour ces résistants, bêtes noires du conformisme. Je me souviens que, dans la Bretagne des années 1950, celle de mon enfance, les grandes personnes riaient de l’histoire de l’enfant blanc briquant, dans les rues de Brest au xxie siècle, les souliers de passants noirs, en fredonnant du Théodore Botrel : « J’aime Paimpol et sa falaise, son église et son grand Pardon… » Et ses clients africains de s’exclamer, admiratifs devant le petit cireur de la rue de Siam : « Ces Bretons, quel rythme ! » En réalité, c’est l’islamisme qui s’est installé à Brest même. Trente ans à peine auront suffi. Gast ! Comme beaucoup, je ne reconnais plus mon pays que par morceaux épars. La province a pris, ici et là, les accents, les rites, les brutalités du colonisateur. La colère ne me quitte plus. C’est celle des indigènes qui ne veulent pas mourir.
Dans un entretien au Figaro (14 octobre), la mère de Lola, 12 ans, assassinée à Paris deux ans plus tôt par une Algérienne sous obligation de quitter le territoire, a dit la détresse des abandonnés : « On est impuissant. […] C’est la France… J’espère qu’un jour les choses bougeront et que tout sera fait pour lutter contre toute la violence et l’insécurité qu’il y a aujourd’hui. » Un même dénominateur unit Lola à Philippine de Carlan, violée et assassinée fin septembre par un Marocain récidiviste sous OQTF, mais aussi aux professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard, victimes de djihadistes : l’incapacité de l’État à maîtriser ses frontières et à garantir la sécurité des plus exposés. Après Harmonie Comyn, l’épouse d’un gendarme tué pour un refus d’obtempérer, Mickaëlle Paty, la sœur du professeur décapité, a accusé l’État de non-assistance à personne en péril, et le poursuit devant la justice. Les féministes de Némésis dénoncent, elles, la condition des femmes des cités. Mila se bat. Partout, des guerrières montent en première ligne. Où sont les hommes ?
[1]Penser ce qui nous arrive avec Hanna Arendt, L’Observatoire, 2024.
« Je trouve assez scandaleux le procès médiatique et politique » fait à Bruno Le Maire sur le dérapage du déficit, a assuré l’ancien Premier ministre Gabriel Attal au Sénat, vendredi.
Autrefois, dans les cours de récréation des classes primaires, le « c’est pas moi, M’sieur, c’est l’autre » était d’usage chaque fois que se profilaient un coup de règle sur les doigts, un séjour au coin ou deux heures de retenue le jeudi. Mais c’était la communale, les petites classes d’avant le certif’. Aujourd’hui, on se permet cette pratique jusque dans la cour des grands. Des grands parmi les grands. Les gens de pouvoir. Voilà ce à quoi nous venons d’assister dans le cadre de la mission parlementaire sénatoriale d’information sur la dérive des comptes publics.
Étaient entendus les deux premiers de classe sortants, renvoyés à leurs chères études avec l’ensemble de leurs condisciples du gouvernement par des citoyens qui, demeurés au niveau du primaire, n’auront pas su se pénétrer assez de leur extrême compétence. J’ai nommé ici MM. Attal et Le Maire. L’un et l’autre attelés au char de l’État depuis l’élection du président Macron, autrement dit sept longues années. Interminables années, diront certains. Le premier cité fut comme une sorte d’intermittent dans cet orchestre si souvent dissonant. Un moment à ce pupitre, un temps à cet autre, enfin au premier, là où la gesticulation politique s’exécute baguette à la main. Le chic du chic.
Ces messieurs avaient à rendre compte de l’état désastreux des finances publiques, du déficit abyssal que laissent leurs sept années d’exercice. Et là, d’une même voix ou presque, les voilà qui nous ressortent l’inusable « C’est pas moi, c’est l’autre ». En clair, si le déficit atteint le sommet vertigineux des 6,1% au lieu des 5,5 % précédemment annoncés par ces mêmes sortants – non pas au son du clairon, mais au son du pipeau, instrument dans l’art duquel ils sont passés maîtres – c’est la faute non pas à Rousseau comme le chante Gavroche, mais à Barnier. Barnier dont ils font sans vergogne l’héritier de la patate chaude, pis que brûlante même, du gouffre financier.
M. Attal l’a affirmé : 5,5%, il l’aurait fait s’il n’y avait pas eu dissolution. Pas de chance. Être sur la bonne voie et se la voir barrée pour une baliverne aussi méprisable qu’un scrutin, quoi de plus agaçant !
M. Le Maire joue évidemment la même partition. S’il était resté, on ne raserait pas forcément gratis à Noël prochain, mais à un moindre coût tout de même. La preuve, en partant il aurait « laissé sur la table » (sic) tout ce qu’il faut pour remédier à ses sept années de dérapages incontrôlés. Sept ans, le temps de l’âge de raison. Il y accédait. Enfin ! Là encore, dommage.
Avec lui au tiroir-caisse, assure-t-il, c’était le retour au 3% de rigueur à l’horizon 2027 et l’équilibre en 2032. Deux millésimes d’élections présidentielles, notons-le au passage. M. Le Maire sous-entendrait-il par-là que, avec lui à Bercy jusqu’en 2027 et à l’Élysée les cinq années suivantes, la France renouerait avec l’équilibre budgétaire, ayant de surcroît épongé son océan de dettes ? On peut le penser. L’homme en effet a une formidable confiance en lui et s’il lui arrive de se montrer perplexe devant certaines décisions présidentielles, jamais il ne lui viendrait à l’esprit de douter de son génie. Génie polymorphe, comme on le sait : politique, littéraire, pédagogique. Ceux-là s’ajoutant à celui du pipeau déjà évoqué.
Le responsable de la débandade budgétaire ne serait donc autre que le nouveau venu, le nouveau Premier ministre. Rien que pour embêter notre paire de sortants, il aurait sorti le 6,1% de son chapeau. Alors que, à la vérité, il n’a fait qu’ausculter avec sérieux le malade, pris sa température avec le bon thermomètre. Et livré le vrai résultat.
Mais MM Attal et Le Maire n’en démordent pas. Ils sont victimes de malveillance. Ou d’incompétence, ainsi que le second ne craint pas de l’affirmer. S’il a été à ce point incapable de prévoir l’effondrement des recettes, c’est à cause de son administration qui n’a pas su ou voulu l’informer. Après tout, il se peut que les gens de ses services aient répugné à le déranger tandis qu’il se concentrait sur l’écriture de ses polissonneries de post-pubère prolongé… On les comprend. Et puis, plaide-t-il, il aurait tenté des arbitrages pour éviter le naufrage. Sans succès. « On ne démissionne pas pour un arbitrage perdu », se défend-il. Si l’arbitrage porte sur la couleur des stylos à bille, certes. Mais s’il s’agit de dizaines de milliards d’argent public, la chose, à tout le moins, se discute.
Il reste que ces comportements relèvent eux aussi d’une forme d’immaturité psychologique, d’hubris post-pubère. Le « C’est pas moi, c’est l’autre », répétons-le, est excusable en cour de récré. Au-delà, il n’est qu’indigne et pitoyable.
Tandis que M. Le Maire se trouvait en compagnie de quelques soutiens dans un restaurant proche de l’Assemblée, attendant de passer devant la commission, le député socialiste Boris Vallaud a eu ce mot aussi pertinent qu’amusant : « Faites attention qu’il ne vous laisse pas l’addition, parce qu’il en a une certaine habitude. » J’allais dire, nous citoyens contribuables sommes payés pour le savoir. Quelle ineptie ! Non, nous allons payer pour le savoir et aussi pour nous en souvenir. Longtemps, très longtemps. Ce qui n’est pas tout à fait la même musique.
Le Premier ministre d’Israël Benyamin Netanyahou se réjouit de la victoire de Trump en Amérique
«You are fired», vous êtes viré, cette phrase sur NBC a rendu Trump célèbre pendant la dizaine d’années où, à son émission hebdomadaire de télé-réalité sur le monde des affaires, il annonçait brutalement à l’un des candidats qu’il devait quitter la scène. Arnold Schwarzenegger a remplacé Donald Trump quand celui-ci est devenu candidat à l’élection présidentielle, candidature considérée alors comme une fantaisie de milliardaire. Il a commencé sa campagne en insultant les latinos, ce qui a amené les chaines télévisées à rompre leurs contrats avec lui.
Mais Trump est difficile à virer. Un an plus tard Schwarzenegger avait effondré l’audience de l’émission et Trump était devenu le 45e président des États-Unis.
La mauvaise passe du libéralisme
L’estrade désertée de l’Université Howard à Washington où la candidate démocrate devait prendre la parole après les votes en a dit plus qu’un long discours. Dans ce pays si divisén la victoire de Trump a été acceptée par ses adversaires avec élégance, mais ce n’est pas seulement Kamala Harris, c’est d’une certaine façon le Parti Démocrate tout entier qui a été viré par le peuple américain.
Trump a montré une capacité exceptionnelle à sentir les sentiments de ce public. Il y a rencontré des colères et il les a mises en scène de façon aussi grossière qu’efficace. La colère contre la vie chère, le panier de provisions dont le prix augmente sans que le salaire suive, une notion bien plus parlante aux yeux du public que les chiffres trop abstraits de l’impressionnante santé de l’économie américaine, dont son adversaire n’a pas su quoi faire dans sa campagne.
Colère contre un libéralisme économique rendu responsable du déclin de certaines régions et de la complaisance devant l’arrivée en masse de populations immigrées accusées de tirer les salaires vers le bas.
Colère contre un confusionnisme sexuel venant araser les modèles familiaux traditionnels, colère contre les assignations identitaires qui déconstruisent l’identité nationale au profit d’identités tribales.
Colère enfin contre les soi-disant élites qui ne protestent pas contre une idéologie woke qui, sous couvert de sophistication intellectuelle et de supériorité morale, représente souvent un défi au bon sens et promeut de nouvelles intolérances.
Force est de constater que les colères qui soulevaient les femmes (rétablissement des droits à l’avortement au niveau fédéral) ou les minorités n’ont pas été exploitées de façon aussi efficace par Kamala Harris lors de sa campagne.
Le discours de Trump axé sur les colères déforme souvent la vérité et risque de générer une politique de boucs émissaires. Il reste à espérer que redevenu président, il saura tempérer ses désirs de vengeance pour assurer l’unité de son pays. Ses premières déclarations le suggèrent.
Comme d’habitude, la situation internationale n’a guère pesé dans le choix des électeurs.
On peut se demander si Trump, dont le rapport à l’armée a toujours été problématique, croit encore qu’il faut traiter avec Poutine et consorts comme avec les rivaux commerciaux mis en scène dans son émission de télé-réalité. Contrairement à la situation de 2016, une puissante alliance anti-américaine s’est mise en place et toute initiative d’accord sera prise pour une preuve de faiblesse appelant à de nouvelles agressions.
La mauvaise passe de l’Ukraine
L’Ukraine avant tout et les voisins de la Russie derrière elle sont inquiets. Même si le démantèlement de l’Otan est peu probable en raison des gardes fous votés récemment par le Congrès, les demandes réitérées de Trump à une participation accrue des Européens à leur défense se heurtent à la réalité de la faiblesse actuelle de la France et de l’Allemagne.
Quant à la guerre au Moyen-Orient, foyer central de la confrontation planétaire, le soutien de Trump à Israël a été réitéré avec emphase au cours de sa campagne. Il s’associe au souvenir de sa première présidence et à celui de son hostilité à l’Iran. Il ne faut donc pas s’étonner que Trump soit particulièrement populaire en Israël, d’autant que la position de Biden dont les exhortations de cessez-le-feu intempestives ont fait oublier son soutien sans faille en période de difficulté, a exaspéré une grande partie de la population.
Aux États-Unis, néanmoins, la majorité des Juifs, et pas seulement les antisionistes ou asionistes, ont voté en faveur de Kamala Harris. Ils l’ont fait parce qu’ils ont toujours voté démocrate, parce qu’ils ne supportent pas un président aussi problématique que Donald Trump sur le plan humain, mais aussi pour certains parce qu’ils sont inquiets de l’imprévisibilité de l’homme et de la façon dont il peut se faire manipuler par un Poutine qui connait par cœur ses faiblesses et qui est actuellement objectivement l’allié le plus proche de l’Iran.
Quoi qu’il en soit, il est rassurant de savoir que, malgré le vacarme universitaire et médiatique anti-israélien, une large majorité de la population américaine continue de soutenir Israël. C’est aussi le cas de la hiérarchie militaire, comme en témoigne la lettre ouverte récente d’une centaine de généraux retraités rappelant qu’Israël est pour les États-Unis un allié irremplaçable.
Parmi les électeurs juifs heureux de l’élection de Trump, il y a certainement eu Benjamin Netanyahu, un autre invirable. C’est le jour des élections présidentielles américaines qu’il a viré son Ministre de la Défense, Yoav Gallant. Mais cela est une autre histoire…
Mozart esquisse La flûte enchantée au printemps 1791 ; il ne lui reste que quelques mois à vivre ; avant ses 35 ans, il sera mort. L’empereur Joseph II vient lui-même de s’éteindre ; son compositeur attitré est passé de mode. Malade, ostracisé par la cour de Vienne, perclus de dettes au point de solliciter des leçons à donner, multipliant à son corps défendant les partitions alimentaires (menuets, contre-danses pour le carnaval…), Wolfgang, contraint de déménager sans cesse, a dû se délester de son argenterie, et jusqu’au reste de son mobilier. Constance, sa femme, ne se porte guère mieux. Lui d’ordinaire si prolifique n’a quasiment rien produit de toute l’année précédente.
Enfin installé à Vienne, Mozart ne trouvera pas le temps d’achever tout à fait son Requiem. Il mène pourtant à son terme la composition d’un ultime opéra, mi-chanté, mi-déclamé – ce qu’il est convenu d’appeler un ‘’Singspiel’’. Non pas en italien, comme Cosi fan tutte, Don Giovanni ou Le nozze di Figaro… Mais, sur le livret en langue allemande concocté par l’ami Schikaneder, un testament en forme d’oratorio : Die Zauberflöte. Sous les dehors d’une fable incohérente et puérile, un puissant message métaphysique. Ouvertement franc-maçon, Mozart voit en effet s’ouvrir dans la France révolutionnaire cette promesse d’égalité, de liberté et de fraternité dont les vieilles monarchies européennes figurent l’antithèse. Toute légitime et indubitable qu’elle soit, cette lecture « maçonnique » de Die Zauberflöte, prise dans le faisceau des Lumières et de l’utopie progressiste, s’est muée peu à peu en poncif.
Dans la stimulante mise en scène créée en 2013 au festival de Baden-Baden, montée l’année suivante à Paris, et reprise – pour la septième fois en dix ans ! – cet automne à l’Opéra-Bastille, Robert Carsen propose, de La Flûte enchantée, une vision funèbre, intense, infiniment subtile... Complice du rituel initiatique, une Reine de la Nuit en tailleur noir et lunettes de soleil, des initiés aux yeux bandés, enveloppés dans de longs manteaux anthracite, des tourtereaux vêtus d’un blanc immaculé évoluent dans un décor à double-fond signé Michael Levine : déployé en fond de scène sur écran géant, un immuable paysage sylvestre, agité d’un vent léger et dont les branches, un moment, se chargeront d’une colonie d’oiseaux, voit le passage des saisons modifier du tout au tout son chromatisme au fil du spectacle ; sous le tapis de gazon frais où s’ouvrent des caveaux, le cénotaphe souterrain d’Isis, dans l’obscurité duquel, par une trappe, viendront bientôt s’ensevelir Tamino, Papageno et les prêtres qui président aux épreuves rituelles…
Esthétique pleine de poésie, toujours chargée d’un sens clair, jamais gratuit : la marque de fabrique de ce maître des illusions d’optique qu’est le célèbre metteur en scène canadien. Epurée de toute anecdote, cette Flûte très inspirée s’emploie à ressaisir, à l’enseigne si personnelle de Robert Carsen, le véritable enjeu de l’œuvre : la prise de conscience de la finitude humaine, et donc du prix irremplaçable de la vie, et de l’amour.
Côté distribution, si le ténor slovaque Pavol Breslik excelle dans le rôle de Tamino, si la soprano allemande Nikola Hillebrand campe Pamina de façon aussi convaincante que Pretty Yende en 2022, si l’on découvre à Paris, après Berlin et Vienne, une Königin der Nacht irréprochable sous les traits de la soprano polonaise Aleksandra Olczyk, si Jean Tietgen, basse émérite devant l’Eternel, nous fait assurément un Sarastro de haute tenue, il faut tout de même avouer que l’Ukrainienne Oksana Lyniv, au pupitre, nous porte à regretter, par comparaison, le maestro Philippe Jordan, et même Antonello Manacorda ou Simone Di Felice, dans les reprises successives de cette Flûte… qu’elle désenchante en dépit de sa gestique nerveuse : sautes de rythme, décalages, manque de netteté dans les attaques… Il n’empêche : restent encore six représentations de l’opéra, en ce mois de novembre. On aurait tort de se priver de cette mise en scène vertigineuse – qui n’a pas pris une ride.
Alors, Carsen sinon rien ? Pas de casting sans faille, pas de scéno sans risque ! Ainsi, pile le 5 novembre à 21h, soit le soir même de la seconde représentation de La Flûte… à l’Opéra-Bastille, France Télévisions a cru devoir diffuser sur la chaîne Culturebox (pour le bon peuple qui n’a ni les moyens ni la culture du lyrique ?) cette autre Flûte… en version grotesque, telle que le cinéaste Cédric Klapisch (cf. Le Péril jeune, L’Auberge espagnole, Ce qui nous lie…) l’avait commise, un an plus tôt, pour le Théâtre des Champs-Elysées – sa première mise en scène d’opéra.
Plus qu’honorablement interprétée (Jean Tiegen, déjà, en Sarastro, Catherine Trottmann en Papagena…) cette lecture tendancieusement écolo-féministe du Singspiel mozartien aligne les pataquès : la hideur cumulative des décors, costumes, maquillages maçonnés à la truelle ne serait encore qu’un péché expiable contre le bon goût, sans la couche supplémentaire de trivialité dont il cimente son carton-pâte : non seulement des bruitages intempestifs, mais surtout, marqué d’une puissante intention « pédagogique » à destination du péquin perdu dans les dédales du livret, l’ajout de petits inserts en français « contemporain » : « ça matche », « de ouf », « ah cool » et autres apports de son cru : « le monde il est ce qu’il est, s’il n’est pas meilleur on fera avec » ou encore, par la voix de Papageno : « je suis plutôt non violent par nature ( …) j’ai quand même des manques (…) Ok ! », voire même : « Tamino, lui seul pourra défendre nos valeurs » (sic – je souligne). Klapisch au secours de Mozart, quelle chance !
Le génie des compositeurs n’a pas toujours l’heur d’être défendu par l’inspiration débridée d’un scénographe de cette envergure. Un bon moyen d’éviter les mauvaises surprises ? L’opéra en version de concert. Le spectateur, non seulement y perd moins d’argent, mais il y gagne au change, sur le fond : décantée de tout cet appareil scénographique qui, cf. Cédric Klapisch, défie l’intelligence humaine, la musique y sonne pure à l’oreille.
Ainsi par exemple du Comte Ory, ce facétieux opéra-comique du jeune Rossini (1792-1868), sur un livret en français écrit par Eugène Scribe sur la base de son vaudeville éponyme, composition millésimée 1828, la seule et unique commande faite à Rossini pour la scène parisienne : deux actes enlevés en deux heures-et-demi, hors entracte, dans ce même TCE au plateau évidé de toute régie, hors cette élégante ceinture de lambris acoustiques qui, désormais, l’habille à l’occasion des concerts. Divertissement licencieux (avec Isolier, le jeune page travesti, rival du comte Ory qui drague déguisé en bonne sœur, etc.) à l’intrigue située dans un Moyen-Age de fantaisie, cette opérette avant la lettre ne perdait rien à son veuvage de toute scénographie.
Certes, ce dispositif minimal ne doit pas être érigé en principe : il ne retire rien aux qualités qu’on reconnaîtra volontiers à certaines d’entre elles : la meilleure « scéno » du Comte Ory, dans ces dernières années, restant sans doute cette production de l’Opéra de Zurich, avec le duo Patrice Caurier & Mosche Leiser aux manettes, transportant l’esthétique « troubadour » dans la France de la Quatrième République, le ténor mexicain Javier Camarena dans le rôle-titre et la Bartoli en Comtesse Adèle (le DVD est épuisé)… Mentionnons également la transposition « dix-neuvièmiste » plus convenue qu’en a fait Denis Podalydès à la Salle Favart, avec Les Eléments-Orchestre des Champs-Elysées dans la fosse, et un casting enlevé (Philippe Talbot, Julie Fuchs, Gaëlle Arquez, Eve-Maud Hubeaux) et Louis Langrée à la Baguette (le DVD/Blu Ray est disponible).
Mais Le Comte Ory, donné pour un seul soir le 7 novembre dernier en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées sous les auspices des Grandes Voix, de l’Orchestre de chambre de Paris et des Chœur de Chambre de Rouen/ Chœur Sorbonne Université, avec Patrick Lange au pupitre, c’était un ravissement de tous les instants ! Porté par le vibrato incandescent, le phrasé onctueux, l’articulation impeccable du ténor belcantiste Cyrille Dubois, aux côtés d’Ambroisine Bré (Isolier), Sara Blanch (Adèle), Nicola Ulivieri (le Gouverneur) et du jeune baryton franco-mexicain Sergio Villegas Galvain (Raimbaud)…
Morale de l’histoire : si, à tort ou à raison, vous redoutez les scénographies qui « plantent » tel chef d’œuvre du répertoire, optez sans hésiter pour l’opéra en version de concert. Toujours au TCE, rendez-vous le 7 décembre prochain, pour Alcina, de Haendel. Puis encore le 16 décembre, pour Le Couronnement de Poppée, de Monteverdi. Le 26 janvier prochain, ce sera le tour de Don Giovanni, de Mozart, avec Florian Sempey dans le rôle-titre. Sans fioritures. Et… sans le clash d’un Klapisch. A vos agendas.
La Flûte enchantée/ Die Zauberflöte. ‘’Singspiel’’ en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart.
Coproduction avec le Festspielhaus Baden-Baden. Orchestre et chœur de l’Opéra national de Paris. Avec la Maîtrise des Hauts-de-Seine/ chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris.
Direction : Oksana Lyniv. Mise en scène : Robert Carsen. Avec Jean Tiedgen, Bavol Bresik, Nicolas Cavallier, Nial Anderson, Nicholas Jones, Aleksandra Olcyk, Nikola Hillebrand, Margarita Polonskaya, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Claudia Huckle, Mikhall Timoshenko, Ilanah Lobal-Torres, Mathias Vidal.
Opéra-Bastille, les 12,15, 19, 21, 23 novembre 2024 à 19h30. Le 17 novembre à 14h30.
Durée : 3h05.
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Opéras en version de concert au TCE : réservations et informations au 01 49 52 50 00
Dans son nouveau roman, Cabane, le prix de Flore 2021 brosse le portrait de quatre universitaires des années 1970 qui, grâce à l’informatique naissante, parviennent à mesurer les dangers écologiques de la croissance, et alertent sur la catastrophe à venir. Un récit passionnant et troublant, dont même les lecteurs climato-sceptiques ne sortiront pas indemnes.
Causeur. On vous a quitté avec Le Voyant d’Étampes, roman que l’on peut qualifier d’anti-woke, et on vous retrouve touché par la grâce écologiste. Ça y est, vous êtes enfin dans le camp du bien ?
Abel Quentin. Lorsque vous tentez de décrire le monde qui vous entoure, vous vous fichez de savoir dans quel camp cela vous place, à droite ou à gauche, ici ou là. Je ne changerais pas une ligne au Voyant d’Étampes, dans lequel je dénonçais l’obsession de la race, qui revient parfois dans les wagons de l’antiracisme.
En tout cas, dans Cabane, nous n’avez plus rien à reprocher à la gauche. Bien au contraire, vous vous montrez plein de tendresse envers elle, même avec les écologistes les radicaux.
Pour citer Julio Iglesias : « Non, je n’ai pas changé. » Comme dans Le Voyant d’Étampes, il est question dans Cabane d’une parole empêchée, d’individus marginalisés, rejetés par la foule. Dans le Voyant, je racontais le silence imposé par la gauche à un homme qui est pris dans une cabale, et se retrouve cloué au pilori par les cyber-meutes wokes, sans pouvoir se défendre. Dans Cabane, je raconte le long désert des premiers contempteurs de la croissance, attaqués, caricaturés ou ignorés par leurs contemporains. Le récit s’inspire du rapport Meadows commandé par le club de Rome. Il se déroule en partie dans les années 1970, quand une poignée de savants alertaient déjà sur la menace environnementale. L’un des personnages est un universitaire américain qui tente de prévenir les journalistes et les politiques du drame planétaire qui se prépare. Sauf que personne n’a envie de l’écouter vraiment.
Ce livre parle-t-il aussi de votre propre prise de conscience écologique ?
Disons, de façon plus générale, de mon aversion pour le dogmatisme, et de la cécité qu’il entraîne mécaniquement. La cécité, volontaire ou non, est un thème riche, omniprésent. Prenez l’énorme vague d’antisémitisme depuis un an en France, par exemple. Je trouve insupportables les Insoumis qui osent parler d’antisémitisme « résiduel ». Il faut dire que les faits ne sont pas très compatibles avec leur doctrine… Idem pour la question écologique. Nos sociétés productivistes et consuméristes supportent mal un constat scientifique qui ébranle leurs fondements.
En lisant certaines pages de votre livre, on se demande parfois si vous n’êtes pas vous-même un climato-sceptique repenti…
Je n’ai jamais été climato-sceptique, mais il est vrai que j’ai longtemps cultivé, par paresse, une certaine indifférence bienveillante envers l’écologie. C’est en lisant le rapport Meadows, « Les limites de la croissance », dans sa version originale de 1972, que j’ai ouvert les yeux. J’ai été captivé par l’approche globale des auteurs. Leur étude s’appuie sur des équations très sophistiquées qui leur permettent de modéliser le « système monde » et de simuler avec beaucoup de précision les effets de l’activité humaine sur l’environnement à moyen et long terme. D’où il ressort que nous courons à la catastrophe. Ce document, avec son approche dépassionnée, scientifique, m’a ébranlé, plus que ne l’auraient fait dix-huit pétitions pour sauver la forêt amazonienne.
Comment avez-vous eu l’idée de lire ce rapport oublié ?
Un ami me l’a prêté, il y a trois ans. Un peu plus tard, j’en ai parlé avec un type qui avait étudié à Sciences-Po au début des années 1970. Il m’a expliqué qu’à l’époque, dans sa promo, tout le monde avait lu le rapport Meadows… Et puis, le choc pétrolier est survenu. Du jour au lendemain, ralentir la croissance est devenu plus inaudible que jamais : il fallait renouer avec elle, à tout prix. Quand les choses nous sont retirées, on a moins envie de questionner leur bien-fondé.
Le rapport Meadows n’est-il pas aussi passé de mode, du fait qu’il n’envisage pas le réchauffement climatique ?
Vous avez raison, il a fallu attendre la fin des années 1970 pour que le réchauffement planétaire fasse l’objet d’un consensus scientifique. Depuis, le phénomène a été pris en compte dans les éditions réactualisées du rapport, dont les perspectives pessimistes sont hélas corroborées par les faits.
Depuis le début de cet échange, on parle beaucoup de prospective, de projections théoriques, de ressources qui viendront à manquer, mais il serait dommage de ne pas préciser que votre roman donne surtout matière, à travers ses personnages attachants et ses descriptions pleines de justesse, à une profonde réflexion anthropologique sur le consumérisme qui, selon vous, nous mène à notre perte.
Il y a deux étages de réflexion : celui des Meadows, qui conduit à condamner un mode de vie qui nierait les limites physiques de la planète. Et celui de l’écologie profonde, des penseurs technocritiques, qui disent que notre système est mauvais pour l’homme, quel que soit son impact sur la nature. Mon roman est nourri de ces deux visions.
N’y a-t-il pas en somme une différence entre une écologie de droite, inquiète de la chute du monde vivable ; et une écologie de gauche, révoltée par l’invivabilité du monde ?
L’écologie de droite reste quand même négligeable, non ? Ce qui est d’ailleurs paradoxal, car les conservateurs et les réactionnaires sont en boucle sur le déclin civilisationnel – donc, le temps long. Ils devraient, a fortiori, être les premiers concernés par la perspective d’un effondrement. Mais les nouveaux réactionnaires adorent la modernité technique, sans aucun recul. Regardez l’extrême droite française : Bardella qui cartonne sur TikTok et Zemmour qui a fait le premier clip électoral français généré par l’IA !
Il existe bel et bien des écologistes de droite. Les plus brillants s’exprimaient dans la défunte revue Limites.
Vu l’urgence du péril, ils devraient s’allier avec les écologistes de gauche. Remarquez, le scénario inverse pourrait bien tout aussi bien se produire un jour. Dans son nouveau roman, Le Déluge, qui vient de sortir en France, Stephen Markley raconte l’histoire d’une sorte de Greta Thunberg américaine, toutefois dotée d’un sens stratégique beaucoup plus développé que l’originale, qui décide de passer une alliance avec le Parti républicain. Résultat, elle finit par soutenir une candidate climato-anxieuse et ultra-conservatrice à la Maison-Blanche.
La vraie Greta Thunberg, elle, ne ferait pas une chose pareille. Elle est incapable d’un tel péché. Cela briserait son statut d’icône, de nouvelle madone. N’y a-t-il pas aussi beaucoup de postures dans l’écologie ? L’apocalypse aide à se créer un personnage.
L’urgence nous interdit de pinailler. Vous ne pouvez pas dire : je ne prendrai au sérieux la crise climatique qu’à condition que ceux qui l’incarnent ne m’agacent pas, soient sympathiques, etc. Évidemment, je suis moi aussi plus sensible à Jacques Ellul qu’à une adolescente de 15 ans. Mais elle a interpellé des millions de gens sur ce qui sera la grande bataille de notre temps.
Si vous le dites… Dans votre livre, vous citez non seulement Jacques Ellul comme précurseur de l’écologie, mais aussi Georges Bernanos. C’est votre côté réac ?
J’admire Bernanos : son œuvre, son intégrité, sa lucidité. Alors que la facilité aurait voulu qu’en disciple de Charles Maurras, il reste muet devant les exactions commises par les franquistes à Majorque où il résidait pendant la guerre d’Espagne, il a condamné ces crimes, et perdu au passage beaucoup d’amis. Et puis, après-guerre, il écrit La France contre les robots, dans lequel il dit plus ou moins qu’une usine Ford est aussi déshumanisante qu’un camp de concentration ! Jacques Ellul, je l’ai découvert plus tard. Il a mis à jour la tyrannie du « système technicien ». Il ne voulait pas revenir au Moyen Âge : seulement, il montre l’emprise insidieuse et universelle de la technique, qui échappe à notre pouvoir de décision, le limite, et crée des solutions aux problèmes qu’elle a elle-même causés. C’est d’une actualité extraordinaire.
Certains écolos actuels ne se contentent pas de critiquer la modernité. Ils divinisent la nature et diabolisent l’humanité.
Je reste pour ma part à la porte d’une écologie qui ne serait plus anthropocentrée du tout. Cela dit, cette écologie met le doigt sur notre déracinement. On le voit en littérature. Quand on lit Giono, on a le sentiment d’un homme qui vit au milieu de la nature, en familier. Cette familiarité a disparu avec sa génération qui a soldé la fin du monde paysan. Je pense aussi à Henry David Thoreau, par exemple, qui montre comment, dès qu’on ralentit, on devient plus attentif. Il y a un texte où, devant sa cabane, il contemple un affrontement de fourmis. Pour lui, c’est presque une bataille napoléonienne qui se joue sous ses yeux. Ce spectacle le rend plus joyeux, plus apaisé.
Avez-vous retrouvé le lien avec la nature en vous installant à Étampes ?
D’abord, Étampes est une ville. Ensuite, ce lien, je ne l’ai pas du tout retrouvé, car je ne l’ai jamais connu. Au fond, je suis étranger à la nature, comme la majorité d’entre nous.
Dans votre livre, vous évoquez une photo du désert, et vous dites que, quand vous la regardez, vous vous attendez à ce que le logo du parfum Shalimar apparaisse dans un coin.
Ellul a des pages très frappantes à ce sujet. Il dit que la nature est devenue un ensemble de signes remis en circulation. Elle nous est étrangère. Ellul écrivait avant internet. Aujourd’hui, on pourrait ajouter qu’elle est devenue une succession de spots « instagrammables ».
Ne trouvez-vous pas étonnant que si peu d’écologistes aient le souci de la beauté de la nature ?
Ce n’est pas tout à fait vrai. Par exemple, Arne Næss, le fondateur norvégien de l’« écologie profonde », aimait profondément la montagne, au pied de laquelle il vivait. Dans son livre Vers l’écologie profonde, il parle avec amour de l’escalade qu’il pratique tous les jours, des gentianes. Peut-être reprochez-vous aux militants écologistes actuels de ne pas parler assez de la beauté. Seulement, à résumer l’écologie à la défense de la beauté, on perd de vue l’urgence vitale, le tableau d’ensemble, et les dégradations non visibles : par exemple, celles qui affectent les sous-sols et les océans.
La beauté de la nature n’est pas seulement une affaire d’esthétique ! Pour l’instant, les Verts nous ont surtout fait prendre du retard avec l’affaire stupide du nucléaire, et font campagne sur des thèmes qui n’ont strictement rien à voir avec la planète, comme la théorie du genre ou l’islamophobie.
Mon livre n’est pas une défense de l’écologie politique, à laquelle on peut reprocher bien des choses, je vous l’accorde. Notamment cette vieille maladie du gauchisme : sa prétention à la pureté. En me documentant pour mon roman, j’ai épluché des exemplaires de La Décroissance, un mensuel écolo radical. Ses contributeurs passent leur temps à dégommer Jean-Marc Jancovici, l’inventeur du bilan carbone, pourtant d’accord à 90 % avec eux. Au lieu de se dire qu’une telle personnalité est utile, qu’elle peut leur permettre de toucher de nouveaux publics, ils préfèrent lui taper dessus, parce qu’il est pronucléaire et qu’il dirige une entreprise.
Vous parlez d’un média underground, dont l’intransigeance est le fonds de commerce. Mais que dire du sectarisme du vaste parti Vert, et de figures célèbres comme Sandrine Rousseau ?
Je suis parfaitement d’accord avec la moitié de ce que dit Sandrine Rousseau, et pas du tout avec l’autre moitié. Elle nivelle tout, en accordant le même niveau d’importance à la fin du fossile et aux toilettes mixtes, à la décarbonation et à la déconstruction. Elle fait figure d’épouvantail électoral, alors que l’enjeu commande de parler à tout le monde : pas seulement à trois pelés et trois tondus à Montreuil ou dans le 4e arrondissement de Paris. Mais aussi aux gens modestes qui ont été éjectés des centres-villes par les prix indécents de l’immobilier, et sont contraints à prendre la voiture tout le temps.
On dirait que cette question écologique recouvre une angoisse existentielle pour vous. Cela se ressent-il dans votre vie quotidienne ?
J’ai corrigé certains aspects de ma vie quotidienne, certains superficiellement, d’autres en profondeur. Mais, bien évidemment, je suis à mille lieues de la sobriété. Mes personnages le constatent, dans Cabane : notre modernité fluide, rapide, consumériste est une drogue dure, on ne s’en sèvre pas facilement. En ce sens, je me sens encore proche du personnage de Quérillot, l’ingénieur français, incapable de cohérence individuelle.
Pourquoi si peu d’entre nous sont-ils cohérents ? Sommes-nous fous ?
Oui, nous sommes fous. Nous nous comportons comme tels, en tous cas. Notre folie, ce n’est pas celle de Vol au-dessus d’un nid de coucou, nous n’avons pas un entonnoir sur la tête, mais c’est tout comme. C’est celle de gens qui continuent à penser, très sérieusement, qu’on peut croître indéfiniment dans un monde fini.
On ne peut dire qu’avec des mots simples, ce que furent les actions menées par les aveugles femmes et hommes, dans l’action de résistance contre l’occupant allemand de 1940 jusqu’à 1944. Soldats sans uniforme, ils ont conquis le premier rang de résistants, par le courage et la détermination qu’ils ont déployés à lutter contre le mal.
Si Charles Davin n’est pas le seul, il est à tous les égards une figure représentative de ces Français courageux et téméraires. Non seulement pour les actions qu’il a menées, mais aussi, parce qu’il a eu l’heureuse initiative, après le conflit, de créer le lieu de rassemblement des aveugles résistants, et dont l’enseigne était l’Union des Aveugles de la Résistance.
Charles Davin est né en 1896 à Barcelone. Devenu Français lorsque la guerre éclate en 1914, il s’engage dans le combat, et sert dans l’aviation. Frappé par l’éclat d’un obus, l’énucléation nécessaire le rendra aveugle. Voici donc cet homme qui, dans le civil masseur — disait-on kinésithérapeute ? — n’hésite pas en 1940 à se lancer dans les actions de résistances.
Ils sont ainsi des centaines à prendre part au combat comme un défi lancé à leur handicap avec leurs propres moyens pour ne pas rester dans l’ombre. S’il est impossible de dresser la liste des initiatives à cause de leur caractère individuel, citons les plus fréquentes. Passer des messages et souvent en traversant les lignes ennemies. Création de réseaux pour évacuer les clandestins qui étaient recherchés par la police française et allemande. Opérateur radio ; créer des caches d’armes. Interception de communications téléphoniques, fabrication de faux papiers. Bref, ce fut un maillage d’actions qui prenait racine dans le quotidien.
Il ne faut pas oublier qu’il y eut parmi la résistance des aveugles des fusillés et des déportés. Parmi ceux-ci, soulignons qu’ils ont été peu nombreux à revenir.
Cette résistance ne puisait pas ses forces uniquement dans les groupes politiques constitués ni les mouvements spirituels connus chez ceux où s’exprimaient le courage et l’envie de combattre. Ce qui signifie que l’éventail social y était largement représenté. Juste quelques noms servent à illustrer ce qui vient d’être énoncé. Les universitaires Jacques Lusseyran et Roger-François Clapier. Le duc de Choisel Pralin. Les représentants religieux : le dominicain Michel Perrin. Il fut Juste parmi les nations. Le pasteur Frédéric Jalaguier. Et les autres : paysans, manœuvres, femmes au foyer, étudiants.
Charles Davin trouve en la personne du député Albert Aubry l’appui qui lui permettra d’officialiser l’association. En effet, Aubry, lui-même énucléé d’un œil durant la Première Guerre, est au Parlement, le rapporteur du budget des Anciens combattants. Le 8 juillet 1948, une loi est votée, qui permet de mettre en place les fondations du « statut des Aveugles dans la Résistance. »
Mais pour Davin ce n’est pas encore suffisant. Il veut réunir les témoignages des compagnons d’armes. Le travail de collecte commence en 1946, et se terminera en 1953 par la parution d’un ouvrage, aux éditions Dervy, intitulé La bataille des ombres.
Charles de Gaulle, apprenant la page héroïque écrite par ces femmes et ces hommes, décide de les incorporer aux Compagnons de la Libération. En 2014, une stèle est érigée à la cour d’honneur de l’Institut National des jeunes Aveugles à Paris. Les noms gravés dans le marbre resteront vivants dans la mémoire des hommes.
Tout est dit, nous semble-t-il ? Eh bien non ! Non, car dans un pays qui se délite sous les yeux des Français, quand des libraires, dans leur immaturité goguenarde, accueillent l’ouvrage qui vous est présenté par ce sinistre trait d’humour : «Aujourd’hui ce sont les aveugles dans la résistance, et demain ce seront les bossus?», nous avons le devoir de rappeler au plus grand nombre comment des soldats sans uniforme ont conquis le premier rang de résistants par le courage et la détermination.
L’ouvrage qui vous est proposé est unique. Les textes relatent les actions des uns et des autres, et les dessins qui les accompagnent, sont, soit l’œuvre des témoins eux-mêmes, soit, de leurs amis.
Les agressions antisémites survenues jeudi dernier dans la Venise du nord sont d’autant plus inquiétantes qu’elles ont eu lieu dans une ville où les supporters ont une affection traditionnelle pour le peuple juif.
Et dire qu’avant le match, Amsterdam fut le théâtre de rarissimes moments de fraternité entre adversaires ! Car ce soir-là, la grande équipe locale, l’Ajax, recevait le Maccabi Tel-Aviv. Or l’Ajax est connu, au grand dam de ses dirigeants, comme le “club des juifs”’. Une expression aussi bien employée par les supporters des autres formations du championnat, pour qui l’épithète est loin d’être un compliment, que par les fans d’Amsterdam eux-mêmes, qui l’utilisent comme nom honorifique.
Ce qui explique que, le jeudi 7 novembre en début d’après-midi, aux abords de l’Amsterdam Arena, le public local des amateurs de foot ait salué cordialement les quelques Israéliens qui avaient fait le voyage pour soutenir le club de Tel Aviv. On entendit ainsi des Néerlandais chanter le Hava Nagila et d’autres chants traditionnels de l’État hébreu, comme ils le font lors d’autres matchs, par amour de l’Etat juif… ou pour narguer les adversaires, ce n’est pas toujours évident.
Des scènes d’horreur
Tard jeudi soir et aux premières heures de vendredi, l’atmosphère festive dans la capitale a pourtant cédé à des scènes glaçantes, qualifiées de “pogroms” par de hauts fonctionnaires israéliens et par la maire d’Amsterdam, Femke Halsema. Scènes qui n’ont rien à voir avec la défaite de Maccabi, 5-0, contre l’Ajax, mais avec l’arrivée impromptue de nouveaux protagonistes, des jeunes voyous évoluant en bande et gueulant leur soutien à la Palestine et leur haine des juifs.
Se déplaçant à scooter sur le principe de l’action “hit and run”, selon la maire, cette horde fit alors “la chasse aux Juifs”, comme le constata un journaliste présent. Si la police réquisitionna des bus pour que les supporters israéliens puissent vite regagner leur hôtel en toute sécurité, certains d’entre eux ne purent se mettre à temps à l’abri et furent agressés par les jeunes “militants pro-palestiniens” (plutôt miliciens que militants), qui les contraignirent à crier “Free Palestine” avant de les passer à tabac, selon des médias locaux.
Horrifié, le Premier ministre néerlandais, Dick Schoof, condamna ces “actes antisémites” lors d’une conversation avec son homologue israélien, Benyamin Netanyahou, qui, initialement, avait indiqué l’envoi d’avions militaires à Amsterdam pour rapatrier les supporters de Tel Aviv. Un site d’informations néerlandais titra : “Tsahal à la rescousse de juifs à Amsterdam”.
Plus tard, Netanyahou se calma en donna des consignes pour affréter des vols supplémentaires, mais en faisant cette fois appel à El Al, la compagnie commerciale nationale. De son côté, Geert Wilders, le très israélophile et droitier homme politique néerlandais, pilier de la bancale coalition gouvernementale, exigea la démission de la maire de gauche d’Amsterdam, accusée d’être pro-palestinienne.
Un dirigeant de la communauté juive aux Pays-Bas, Eddo Verdoner, demanda aux supporters israéliens encore présents à Amsterdam de “se faire le plus discrets possible” en attendant le départ du dernier d’entre eux. La honte… Vendredi matin, un rescapé rapporte avoir eu peur de prendre le taxi pour rejoindre l’aéroport d’Amsterdam, étant donné le regard hostile de certains chauffeurs d’origine arabe. L’hostilité des taxis peut s’expliquer par le fait que l’un des leurs aurait été passé à tabac par des fans de Maccabi, accusés également d’avoir brûlé et arraché des drapeaux palestiniens et d’avoir scandé des slogans anti-arabes.
Ainsi, un match plutôt quelconque de la Ligue Europa dégénéra en un spectacle révoltant, avec des conséquences potentiellement graves pour l’image de tolérance des Pays-Bas. Des dirigeants du monde entier, dont le président Emmanuel Macron, ont exprimé leur vive émotion.
Il est trop tôt pour identifier les fauteurs de troubles. On est en droit de penser cependant que ces “jeunes de quartiers” n’étaient pas des hooligans de l’Ajax. Lors des agressions de jeudi soir, les supporters du “club des juifs” auraient plutôt eu tendance à protéger leurs frères-ennemis israéliens.
Folklore batave
L’origine du surnom de l’Ajax reste un mystère. Ce club ne fut pas fondé par des juifs, les joueurs juifs n’y ont jamais été très nombreux, pas plus que les présidents. Les experts du sujet ont une hypothèse : l’ancien et très modeste stade du club se situait dans l’est de la capitale, où les juifs étaient traditionnellement nombreux avant la guerre. Conséquence, les supporteurs des équipes adverses traitaient les joueurs de l’Ajax de “nez”. Face à ces injures antisémites, les fans de l’Ajax choisirent à partir des années 80 de retourner l’insulte pour en faire un motif de fierté. Dans les tribunes du nouveau stade, baptisé “Johan Cruijff Arena”, de gigantesques drapeaux israéliens firent leur apparition à côté de ceux de l’équipe. Ce qui n’était pas pour plaire aux dirigeants du club, pas plus qu’aux membres de la communauté juive locale. De nombreuses fois, les supporters furent priés de ne pas abuser du nom “juif” qui, scandé par des milliers de fans simultanément – “wij zijn Joden!” (nous sommes juifs!) – peut avoir un effet sidérant, surtout à Amsterdam, ville dont la quasi-totalité de l’importante communauté juive fut déportée par les nazis dans les années 40.
Une immigrée israélienne à Amsterdam se rappelle ainsi qu’elle fut effrayée la première fois qu’elle croisa, il y a quelques années, des fans de l’Ajax en route vers le stade. “Ils criaient qu’ils étaient juifs, je croyais que c’était une moquerie, se souvient-elle. Mais quand ils ont brandi un drapeau israélien avec fierté, j’ai compris que c’était une démarche amicale”.
Dernièrement, les drapeaux israéliens se sont pourtant faits plus rares dans le stade de l’Ajax. Surtout depuis le 7 octobre 2023. “On ne veut plus voir de symboles de pays en guerre”, ont expliqué les dirigeants d’un groupe de supporters, qui voulaient ainsi empêcher d’autres spectateurs de venir avec les couleurs palestiniennes. C’est dire combien la scène de fraternité d’avant le match, celle où des supporters de l’Ajax chantèrent Hava Nagila, était inattendue. Et combien elle est réconfortante pour les amis du peuple juif.
Étienne Kern ressuscite un certain Émile Coué, un obscur pharmacien de Nancy devenu une star mondiale avant de retomber dans l’oubli, et dont la « méthode » est aujourd’hui moquée.
Qui dirait avoir recours à la méthode Coué serait aujourd’hui moqué. Quant à son inventeur, Émile Coué (1857-1926), personne ou presque ne le connaît. Il n’en fut pas toujours ainsi. Ce pharmacien fut en son temps une sommité. Une star même, adulée dans le monde entier. Étienne Kern brosse son portrait avec humilité et empathie dans La Vie meilleure. De ses débuts à Nancy, où il découvre l’hypnose, alors en vogue, à sa première patiente : une femme venue dans sa pharmacie pour du laudanum. Elle n’a pas d’ordonnance. Émile ne peut donc lui en procurer. Il a alors une idée : fabriquer une potion de son cru avec de l’eau, du sucre puis écrire un nom savant sur l’étiquette. La cliente n’y voit que du feu. Mieux, elle revient le lendemain remercier le pharmacien pour l’excellence de sa potion. Il vient de découvrir l’effet placebo et les pouvoirs sans fin de l’imagination. Il s’intéresse à l’esprit humain. Ses maîtres : Bernheim et Liébeault, qui furent les premiers à théoriser les bienfaits de l’hypnose et le pouvoir de la suggestion. Il commence à recevoir des patients dans un petit hangar au fond de son jardin. Tous n’ont qu’un souhait : aller mieux. La prescription d’Émile est des plus simples : répéter, matin et soir, « tous les jours, à tous point de vue, je vais de mieux en mieux ». La méthode peut prêter à sourire, mais force est de constater que les résultats sont là. Seule ombre au tableau : le père du pharmacien voit d’un mauvais œil les expériences de son fils et l’accuse même de charlatanisme. Meurtri, Émile poursuit néanmoins ses recherches. En 1920 il publie La Maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente. Le livre connaît un succès retentissant. Les journalistes viennent l’interviewer. Les patients se pressent chez lui. « Partout d’un continent à l’autre, des disciples se réclament de lui et des malades murmurent son nom dans leurs prières. » À 64 ans, Coué découvre la gloire. Il va partout, de la Grande-Bretagne aux États-Unis. En 1980, John Lennon reprend ses mots dans une chanson, Beautiful Boy : « Every day, in every way, it is getting better and better. » Une ascension vertigineuse qu’Étienne Kern retrace pas à pas, mettant en avant la ténacité, l’intuition, parfois aussi la roublardise de ce professeur d’optimisme. Une vie romanesque qu’il nous conte avec une tendresse manifeste pour ce précurseur de la pensée positive. À travers Émile Coué, Étienne Kern parle de lui mais aussi de nous-mêmes. « Sa vie est comme la nôtre, avec ses jours banals, et ses jours qu’on n’oublie pas. Il a été enfant. Il s’est marié. Il a perdu son père et sa mère. Il a vu certains rêves s’étioler et d’autres prendre forme. Il a vu son corps vieillir. C’est un homme avec ses désirs, ses angoisses. » Son goût pour les mots qui guérissent est aussi celui de l’auteur qui évoque, en creux, un drame personnel. Celui d’Irène et André, dédicataires de ce livre aussi lumineux que mélancolique.
La Vie meilleure, d’Étienne Kern, Gallimard, 2024. 192 pages
Monsieur Nostalgie ouvre son garde-manger en ce dimanche de novembre et chante les louanges du pâté sous toutes ses formes, comme l’expression d’une civilisation hautement avancée et une résistance à l’arrivée des premiers frimas…
L’automne prend ses aises, les douceurs d’octobre sont déjà un souvenir, nous entrons maintenant dans les froideurs de novembre, le mois du gibier et des abats, des poilus et du bleu horizon. À la campagne, nous enfilerons des bottes en caoutchouc qui s’enfonceront dans les ribinous bretons ; et en ville, nous verrons fleurir les premiers duffle-coats du Maréchal Montgomery sur les trottoirs détrempés à la Caillebotte. En novembre, nous célébrons nos morts et nous nous attablons autour de plats gaillards afin de faire revivre leur mémoire. Du souvenir des êtres aimés au plaisir de partager un repas, le pâté de campagne est ce dernier lien qui unit les peuples en voie de désintégration.
Une nation qui ne serait plus capable de casse-croûter, c’est-à-dire de se satisfaire d’une tranche de pâté avec un pain au levain, n’aurait plus aucun avenir commun ensemble. Ce pâté rustique par son aspect recèle cependant mille strates, mille manières de le façonner, mille couleurs mordorées, mille reliefs subtilement découpés, il est l’or de la cuisine ménagère, une consolidation de l’identité française par sa tentative réussie d’agglomérer des morceaux de viande dans une même terrine. Il est chair et épices, mâche et gelée, gras et maigre, parfaite symbiose d’un pays à la recherche d’une communion. Il est géographie des terroirs et histoire des traditions. Il est surtout cet ami de la famille qui ne chipote pas, qui réjouit autant le bourgeois affairé sur une nappe blanche que l’ouvrier débout sur un chantier, entre la bétonnière et le marteau-piqueur. Il est un peu de chaleur dans une société congelée. Une main tendue vers un idéal gastronomique et œcuménique, alors refuser cet innocent pâté en apéro ou en entrée serait bafouer les règles élémentaires de notre Humanité. Le pâté, par sa modestie, par sa convivialité incarnée, n’a pas le prestige des plats « signatures », et pourtant il est, pour nombre de nos chefs étoilés, une cathédrale du goût, par sa structure architecturale et son éclat ambré. Il demande une maîtrise technique et une touche artistique de haute volée, une cuisson et une salaison que seuls les possédés des fourneaux peuvent atteindre. Certains pâtés ont la beauté d’un Schiele, le reflet d’une peinture viennoise ; quand l’expressionnisme des morceaux se détache afin de créer l’effet visuel de corps en mouvement, l’art du cochon et de la volaille se mettent au diapason pour mieux nous régaler. Et lorsque vous l’avez en bouche, un pâté révèle alors son extraordinaire complexité et vous emmène loin. L’onde nostalgique dont je vous parle si souvent dans mes chroniques est emmaillotée sous cette crépine soyeuse, la dentelle des mères lyonnaises. Le pâté est aussi éminemment littéraire. Robert Courtine (1910-1998), critique culinaire du Monde rappelait la présence du pâté dans l’œuvre de Simenon, notamment dans la nouvelle Le client le plus obstiné du monde. Le journaliste gourmet affirmait que Maigret l’accompagnait d’un verre de Cornas. D’autres écrivains ont vanté les béatitudes du pâté. Dans son Almanach des Quatre saisons, Alexandre Vialatte évoquait le menu qu’Alexandre Dumas Fils « servit pour l’inauguration du buste de son père, le 3 novembre 1883 » et s’attardait sur ce « pâté chaud de pluviers dorés » aussi fantasmagorique que la plume du chroniqueur auvergnat. Georges Haldas (1917-2010) dans La Légende des repas se souvenait d’un pâté servi dans un « petit établissement » de la Dombes. « On avait le sentiment, ce jour-là, de vivre, en mangeant, quelque chose d’authentique encore et de réconfortant. Comme quand on sort le matin dans un léger brouillard. Dont on sait qu’il va se dissiper », écrivait-il. Le pâté dissipe en effet les malentendus, il est un pacificateur né.
Pour ceux qui ne seraient pas convaincus par les vertus du pâté de campagne sur les Hommes et le trouveraient trop roturier pour leur délicat palais, je conseille de lire Ma Tour d’Argent de Claude Terrail (1917-2006) qui s’enthousiasmait sur un pâté de merles bruns (les femelles des merles sont, parait-il, brunes). Les premières lignes de cette recette sont de la littérature pur jus : « Choisissez 12 beaux merles que vous désosserez avant de les mettre à mariner dans du madère. Les entrailles que vous avez réservées, hachez-les fines et faites-les sauter à la poêle… ».
Bien sûr, le rôle de l’immigration semble évident. Mais, la terrible chasse aux juifs d’Amsterdam jeudi soir a surtout été rendue possible par une vaste entreprise de reconstruction du réel autour de l’histoire d’Israël.
La tragique chasse aux juifs d’Amsterdam à laquelle des chauffeurs de taxis ont participé, livrant les victimes à leurs agresseurs ou signalant à leurs persécuteurs les refuges des Israéliens, la banderole pro palestinienne qui faisait disparaître Israël de la carte du Proche-Orient au Parc des princes lors du match entre l’Atletico Madrid et le Paris Saint-Germain, les graffitis antisémites contre la présence à l’université de Lyon de la présidente de l’Assemblée nationale Madame Braun-Pivet, témoignent de la réalité de plus en plus criante d’un antisémitisme qui prend prétexte de la guerre à Gaza pour libérer ses paroles de haine et passer à l’acte violent en de nombreux lieux en Europe même.
Les Israéliens ont tendu la main à plusieurs reprises
Tant que subsisteront les mensonges et les méconnaissances sur la création de l’état d’Israël et des autres États de la région, tant que persistera le refus arabe de la souveraineté d’un État juif sur cette terre, tant qu’Israël sera considéré comme un occupant illégitime opprimant une population occupée, tant qu’on parlera d’apartheid à propos des relations entre arabes et juifs en Israël, tant que les actions de défense d’Israël contre le terrorisme palestinien et les multiples guerres des pays ennemis seront considérées comme des preuves de sa malfaisance, une partie de l’Europe, heureuse de se débarrasser de sa culpabilité pour ce qui a été fait aux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, verra dans Israël le bourreau à qui rien ne peut être pardonné et dans les Palestiniens un malheureux peuple de réfugiés sans terre, privé de tous les droits humains.
Rien n’y fera, ni la barbarie et la cruauté des actions du Hamas et d’autres mouvements de « libération » palestiniens, ni la bonne volonté des Israéliens qui ont tendu la main à plusieurs reprises en vue de la création d’un État palestinien à leurs côtés. Ces enfants de l’Europe ignorants de l’histoire du Moyen-Orient ne verront dans ce conflit au mieux qu’une dispute de territoires et au pire qu’une entreprise coloniale, semblable à celles qu’elle a menées elle-même. Ne voulant pas voir que désormais c’est la religion dans sa forme la plus archaïque qui mène là-bas une danse macabre qui ne tardera pas à se jouer en son propre sein dans un avenir proche. « Les médias ne font pas le taf » ai-je entendu. Mais peuvent-ils le faire sans paraître donner crédit à une propagande, opposée à celle qui a été diffusée pendant de nombreuses années et qui a enfanté en quelque sorte une opinion relativiste ou islamogauchiste ?
Israël vue comme une verrue dans le corps arabe
L’histoire est arrangée, en commun accord entre les repentants occidentaux et les accusateurs, de telle sorte que les juifs apparaissent comme les seuls coupables : les juifs devenus « sionistes » sont ainsi diabolisés et leurs ennemis vont même jusqu’à souhaiter leur disparition ou tout au moins leur mise à l’écart.
Ce qui est caractéristique dans cette entreprise de reconstruction du réel, c’est à la fois la fabrication d’une histoire imaginaire, l’ignorance des faits pour certains et leur manipulation par d’autres.
C’est l’islam dans son expression radicale qui inspire les Palestiniens depuis le Mufti de Jérusalem Amin El Husseini qui collabora avec Hitler et qui est la cause du refus de la présence d’un État juif souverain au Proche-Orient. La parenthèse nationaliste du Baas syrien et irakien et du nassérisme confirma ce rejet de l’État d’Israël, considéré comme une verrue dans le corps arabe. Aujourd’hui, ce qui refuse l’existence de cet État juif c’est le totalitarisme islamiste qui, parti de l’orient et du Maghreb se développe désormais en Occident, à la faveur de l’expansion démographique de l’immigration musulmane.
Comme au temps des totalitarismes communiste et national-socialiste, les collaborateurs sont nombreux qui ont la haine de la démocratie libérale représentée par les États-Unis, l’Occident en général et Israël en particulier. En France cette collaboration avec le totalitarisme islamiste qui prend clairement le parti de l’ennemi est représentée par la France insoumise et ses alliés d’extrême-gauche, aux États-Unis par l’aile gauche des démocrates et en Israël, par une gauche qui se déclare post-sioniste.
Non contents de subir une libanisation accélérée de leur pays, les Français vont devoir payer pour les flambeurs qui ont endetté la nation pour acheter la paix sociale. Les faillis doivent partir. Et avec eux les idéologues de la post-nation.
Comment osent-ils encore la ramener ? Ceux qui ont précipité la France dans le grand effondrement, civilisationnel et économique, devraient rendre des comptes pour incompétence et trahison. Au lieu de quoi, les saccageurs sont toujours là, à faire obstacle aux reconstructeurs. Cela fait cinquante ans qu’ils pavanent : de pères en fils, les dirigeants exhibent leur progressisme pour effacer les traces du passé. Ils ressemblent à la prophétie de Jérémie : « Ils détruiront tout. Ce qu’ils ne connaissent pas, ils le briseront ; ce qu’ils connaissent, ils le saliront. » Les démolitions ont été si rondement menées que se revendiquer conservateur devient une curiosité : préserver qui, quoi, où ? La déculturation a fait son œuvre : les riches ne sont plus que des pauvres avec de l’argent, comme l’avait prédit Nicolas Gomez d’Avila. La gauche béate erre parmi les ruines, yeux clos. Les plus lucides des « antiracistes » déplorent l’islam judéophobe et sexiste. Mais ces tartuffes hurlent à la xénophobie contre ceux qui mettent en garde contre l’immigration colonisatrice. Non contents de subir une libanisation accélérée de leur pays, les Français vont devoir de surcroît éponger financièrement l’irresponsabilité des flambeurs qui ont endetté la nation pour acheter la paix sociale. La fin de règne des incapables a sonné.
Les faillis doivent partir. Et avec eux les idéologues universalistes de la post-nation. La crise politique, dont Michel Barnier est l’expression transitoire, est le résultat d’une réaction nostalgique. La « sottise des gens intelligents » (Jacques Julliard) est devenue insupportable. Leur légèreté a fait de la nation une proie à saisir. C’est dans le vide culturel et spirituel, aggravé par les casseurs de frontières, que prospère la civilisation conquérante d’Allah. Elle a pris opportunément Marx comme allié, avec la collaboration de l’extrême gauche déboussolée. La puissance de l’envahisseur se mesure à l’insécurité qui entoure à nouveau, après l’occupation nazie, la présence juive en France. Israël, sous le feu djihadiste, est considéré comme plus sûr pour les juifs qui partent la rejoindre. « Des héritiers sans testament sont des brandons de destruction[1] », prévient Bérénice Levet en dénonçant les trous de mémoire des déconstructeurs. Levet cite Anna Arendt : « C’est précisément pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l’éducation doit être conservatrice. » Mais rien n’est à attendre des fossoyeurs qui haïssent la France enracinée et son ancienne école hypermnésique. La question est de savoir si les Français, qui, à 64 %, « aimeraient que leur pays redevienne comme autrefois[2] », peuvent être à la hauteur de la brutale résistance qui, seule, arrêtera le désastre. 82 % ont une mauvaise opinion des partis[3]. Une rupture avec le vieux monde politique est à mener à son terme. Une minorité peut suffire.
Le sursaut reste à portée de main. Il se lit dans ce que les censeurs appellent la « lepénisation des esprits ». L’effondrement des mondialistes donne raison à ceux qui avaient prédit leur échec. Les infréquentables prennent des allures de visionnaires. La politique anti-immigration de l’Italienne Giorgia Meloni, honnie par la bien-pensance, sert de modèle à la France et à l’UE. La Hongrie de Viktor Orban, qualifié d’antisémite par la gauche, a été choisie par Israël pour accueillir en sécurité, le 10 octobre, le match de football Israël-France. L’État hébreu et ses citoyens-soldats s’affirment, aux yeux des peuples vulnérables, comme exemplaires dans leur défense de la nation, de son identité, de sa religion, de ses frontières : tout ce que rejette, en France, une partie de l’intelligentsia. Celle-ci bannit le RN, qui défend les mêmes valeurs qu’Israël. Si Benyamin Nétanyahou gagne sa guerre contre l’islamisme apocalyptique des mollahs, les démocraties pourront lui dire merci, et Macron pourra s’excuser de sa lâcheté. Tout ira plus vite encore si, le 5 novembre, Donald Trump l’emporte. La possible victoire du « fasciste », selon Kamala Harris, serait un séisme tant les « élites » n’envisagent pas de voir le paria revenir à la Maison-Blanche. À quelques jours du scrutin, Kamala Harris talonnait son adversaire dans sept États pivots, sans enclencher l’enthousiasme.
La révolte des autochtones est un puissant appui pour ces résistants, bêtes noires du conformisme. Je me souviens que, dans la Bretagne des années 1950, celle de mon enfance, les grandes personnes riaient de l’histoire de l’enfant blanc briquant, dans les rues de Brest au xxie siècle, les souliers de passants noirs, en fredonnant du Théodore Botrel : « J’aime Paimpol et sa falaise, son église et son grand Pardon… » Et ses clients africains de s’exclamer, admiratifs devant le petit cireur de la rue de Siam : « Ces Bretons, quel rythme ! » En réalité, c’est l’islamisme qui s’est installé à Brest même. Trente ans à peine auront suffi. Gast ! Comme beaucoup, je ne reconnais plus mon pays que par morceaux épars. La province a pris, ici et là, les accents, les rites, les brutalités du colonisateur. La colère ne me quitte plus. C’est celle des indigènes qui ne veulent pas mourir.
Dans un entretien au Figaro (14 octobre), la mère de Lola, 12 ans, assassinée à Paris deux ans plus tôt par une Algérienne sous obligation de quitter le territoire, a dit la détresse des abandonnés : « On est impuissant. […] C’est la France… J’espère qu’un jour les choses bougeront et que tout sera fait pour lutter contre toute la violence et l’insécurité qu’il y a aujourd’hui. » Un même dénominateur unit Lola à Philippine de Carlan, violée et assassinée fin septembre par un Marocain récidiviste sous OQTF, mais aussi aux professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard, victimes de djihadistes : l’incapacité de l’État à maîtriser ses frontières et à garantir la sécurité des plus exposés. Après Harmonie Comyn, l’épouse d’un gendarme tué pour un refus d’obtempérer, Mickaëlle Paty, la sœur du professeur décapité, a accusé l’État de non-assistance à personne en péril, et le poursuit devant la justice. Les féministes de Némésis dénoncent, elles, la condition des femmes des cités. Mila se bat. Partout, des guerrières montent en première ligne. Où sont les hommes ?
[1]Penser ce qui nous arrive avec Hanna Arendt, L’Observatoire, 2024.