C’est une guerre! Pour défendre la langue française, l’AFRAV multiplie les actions sur tous les fronts: procès contre le Navigo Easy de Pécresse, contestation des plaques en écriture inclusive d’Hidalgo, opposition aux slogans publicitaires en anglais de l’UE, critique de l’intitulé de Rachida Dati France Music Week pour la fête de la musique… La bataille pour préserver notre langue est plus vive que jamais!
En cette semaine de la langue française, nous apprenons par l’Afrav (Association Francophonie Avenir) que deux procès pour défendre la langue française passent devant les juges de la Cour administrative d’appel de Paris.
L’une, opposant l’Afrav, depuis le 23 mai 2019, à la présidente du syndicat des Transports de l’île-de-France (Ile-de-France Mobilités), Madame Valérie Pécresse, en ce qui concerne la marque à connotation anglaise donnée au pass navigo : Navigo Easy. Une autre affaire oppose la même association, depuis le 30 décembre 2021, à Madame Anne Hidalgo, en ce qui concerne les inscriptions en écriture inclusive de deux plaques commémoratives mises en place à la mairie de Paris.
Les nouvelles guerres du français
Ajoutons qu’a été saisi, le 10 mars 2025, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, lui demandant d’intervenir afin que l’UE cesse de signer ses publicités systématiquement en anglais. Exemple récent : le NEXT GEN EU qui a succédé au YOU ARE EU de mars 2023. Vient d’être saisi également, le 18 mars 2025, le directeur de l’Académie de défense de l’Ecole Militaire de Paris, afin qu’il abandonne l’appellation Paris DEFENCE AND STRATEGY FORUM-Europeat the cross roads. J’écris avec des italiques comme l’exige la police d’écriture.
Pour rappel : le 4 mars, un collectif d’associations de la langue française a adressé à Madame Rachida Dati une lettre lui demandant pourquoi elle intitulerait la fête à venir de la musique, qui s’étalerait sur une semaine, France Music Week. Pourquoi pas Semaine musicale ? La semaine des Accords ? En avant la musique ? Est-ce qu’Emmanuel Macron, grand francophile devant l’Éternel, voudrait aligner le mot et la chose sur la Fashion week, au prétexte que la dénomination anglaise de ce carrefour musical mondial serait une bonne manière de faire connaître la musique française ? Tout comme, à l’Université, enseigner Proust en anglais fait mieux connaître La Recherche ? Jack Lang avait-il intitulé, en 1981, la journée de la musique : « Music Day » ?
A l’heure guerrière que nous vivons, il est temps de s’armer, une bonne fois, pour la défense du français, garant de l’unité de notre pays. Oui, je sais, les mots guerriers ne plaisent pas, appliqués à notre langue. Le français, histoire d’un combat : tel était pourtant le titre d’un livre de Claude Hagège. Car le mot combat n’est pas un gros mot, c’est une réalité. Pas besoin de milliards ni d’avions mais de déployer sur le terrain, en tout, pour tout, les armes de l’usage, du bon sens, de l’unité, de la culture. Relire les ordonnances royales de Villers-Cotterêts, en date de 1539 — l’histoire de notre langue remonte à loin. Relire l’article 2 de la Constitution française : « La langue de la République est le français ». Relire et faire appliquer, stricto sensu, la loi Toubon. Enfin, surtout, soulever, une bonne fois, réellement, courageusement, le problème de notre langue en pleine déconfiture, qu’aucun homme politique n’aborde.
Le globish, voilà l’ennemi !
« L’école est gagnée par l’anglais comme les banlieues par la drogue » dit le président de l’Afrav. Il ne s’agit pas, pour « justifier » sa déstructuration et sa déliquescence, de dire et redire comme un perroquet, que le français a emprunté, emprunte et empruntera des mots aux langues avoisinantes : on le sait, depuis lurette, que certains mots viennent de l’anglais, de l’arabe, du gaulois non écrit, du germanique. Ainsi va la vie d’une langue. Là n’est pas la question mais de la colonisation du français par un anglais, lui-même dénaturé en globish fourre-tout, le tout, accompagné et conforté, par des borborygmes et un parler des banlieues qui est tout sauf un « enrichissement ». Il s’agit d’une soumission à la langue d’un « empire ». Le président de l’Afrav le dit encore : on parle de russification et jamais d’anglicisation et d’américanisation du français.
Le français est en recul à l’école et ailleurs. Entendons : la maîtrise d’une langue qui assure son usage, sa bonne santé et sa vitalité. Si personne ne voit le danger que pose la dénaturation du français, c’est que l’heure est grave.
Un mélo gay dans la mégalopole brésilienne. Parfois un peu trop complaisant, voire sordide.
À 18 ans, après deux ans de cellule pour mineur au Brésil, comment recommencer sa vie ? Ayant perdu la trace de ses parents – de son père alcoolique et violent il garde pas mal de cicatrices sur son corps, et de sa mère dépressive le traumatisme d’une enfance difficile – , Wellington (dans le rôle, Joao Petro Mariano, lauréat d’un casting sauvage) se retrouve sans feu ni lieu. Il renoue dès lors avec son ancien univers queer – drag queens, performeurs de voguing… – dans les quartiers interlopes de Sao Paulo, cette mégalopole de 20 millions d’habitants dont ce délinquant gay aux lèvres pulpeuses et au sourire de gosse connaît les ressources comme sa poche. Dans un ciné porno où le garçon et sa petite bande de folles sont entrés pour subtiliser leurs smartphones aux clients distraits, le hasard s’invite à lui sous la forme d’une rencontre avec le viril Ronado (Ricardo Teodoro), un dealer-prostitué d’âge mûr, qui le prend bientôt sous son aile, selon le mode du donnant-donnant, l’hébergeant dans son gourbi contre de menus services, comme de livrer la came à ses clients.
Bonne école de dissimulation, la prison a appris à Wellington, alias Cleber, à mentir sur tout, à commencer par son prénom. Finalement, ce sera « Baby ». S’ensuit, dans les marges de Sao Paulo, une romance farouche, assez crue, entre l’ainé et le cadet en quête de familles d’adoption, pour tenter de survivre entre drogue et prostitution. Un micheton des beaux quartiers s’éprend de Baby jusqu’à lui offrir des fringues et un iPhone, mais sur le point de l’emmener en voyage à la découverte de Rio, il le largue à l’instant même où il pige que son protégé est un gentil voyou.
La relation heurtée, conflictuelle, avec l’égoïste et possessif Ronaldo, dessine un mélo que d’aucuns jugeront à la fois sulfureux et complaisant. Dans son réalisme brut, le second long métrage de Marcelo Caetano a pourtant le mérite de brosser un « portrait de ville » authentique, dans sa noirceur sordide autant que dans ses charmes vénéneux. Souvent tournés en caméra cachée dans son propre quartier, les extérieurs de Baby dévoilent les bas-fonds de la ville selon un vérisme quasi-documentaire. Il n’est pas indifférent que Marcelo Caetano, natif de Belo Horizonte et anthropologue de formation, ait travaillé naguère aux côtés de l’excellent cinéaste Kleber Mendonça Filho, dont le film Aquarius (2016) figurait quant à lui, sous le masque de la fiction, une remarquable peinture de la ville de Recife, suivi en 2019 par Bacurau, Prix du Jury à Cannes cette année-là, un très étrange thriller d’anticipation qui avait pour toile de fond le Sertao brésilien. Tous deux ont été distribués en France ; on peut encore les trouver en DVD. Autant dire que Caetano a été à bonne école.
Baby. Film de Marcelo Caetano. Avec Joao Pedro Mariano et Rirardo Teodoro. Brésil, France, Pays-Bas, couleur, 2024. Durée : 1h47
Lors des dernières élections générales outre-Manche, l’arrivée du nouveau parti de Nigel Farage, Reform UK, qui se positionne comme le rival populiste des Conservateurs, a divisé le vote à droite de l’échiquier et permis aux Travaillistes de remporter une victoire encore plus spectaculaire. Depuis, Farage poursuit son objectif de remplacer le Parti conservateur comme force d’opposition principale au socialisme. Pourtant, ses ambitions risquent soudain d’être contrecarrées par des dissensions au sein de son parti. Explications.
Le 7 juillet 2024, le Parti conservateur britannique a subi son pire résultat électoral de l’ère moderne. Après avoir obtenu une majorité de 80 sièges sous Boris Johnson lors de l’élection de décembre 2019, le nombre de députés conservateurs est passé de 365 à un misérable 121, soit le plus faible nombre de sièges remportés par le parti lors d’une élection depuis sa création officielle au début du XIXe siècle.
Cette performance électorale désastreuse s’explique facilement par l’exaspération évidente de l’électorat face aux querelles internes des conservateurs, combinée à la colère suscitée par l’abus des restrictions Covid par certains ministres, alors que la population respectait scrupuleusement la loi. Mais surtout, l’électorat a été profondément écœuré par l’incapacité totale des conservateurs à tenir leurs promesses après 14 ans au pouvoir, qu’il s’agisse de la réduction des inégalités territoriales ou de la gestion de la crise migratoire au Royaume-Uni.
Reform UK, la relève du BrexitParty
Cependant, bien que le résultat des élections ait permis au Parti travailliste d’obtenir une large majorité, il ne reflète pas un basculement massif vers la gauche. En réalité, de nombreux électeurs conservateurs de 2019 ont tout simplement abandonné leur parti, préférant voter pour le nouveau parti alternatif de droite, « Reform UK », ou tout simplement « Reform ».
Lorsque le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne en janvier 2020, le « Brexit Party » (Parti du Brexit), fondé par le « Monsieur Brexit » Nigel Farage, s’est en grande partie dissous, donnant ainsi naissance à Reform. Une fois le Brexit accompli, M. Farage estimait avoir atteint l’objectif politique de sa vie en faisant sortir la Grande-Bretagne de l’UE. Il s’est alors retiré de la politique active pour poursuivre une carrière plus lucrative dans le journalisme télévisé et s’est forgé une image médiatique en participant à l’émission de téléréalité I’m a Celebrity… Get Me Out of Here! (une sorte de Koh-Lanta à la britannique).
Pendant ce temps, l’ancien parti du Brexit s’est transformé en Reform UK et a commencé à recruter des adhérents. Lorsqu’en mai 2024, Rishi Sunak a convoqué des élections, le parti, sous la direction de Richard Tice, enregistrait régulièrement environ 16 % des intentions de vote.
Se positionnant à droite de l’échiquier politique britannique, le parti a pour raison d’être de briser le monopole de ce qu’il appelle l’« uniparti » – la domination de la politique britannique par un consensus libéral entretenu par les gouvernements travaillistes et conservateurs successifs (l’équivalent de ce qu’on appelait en France « UMPS »).
Au début de la campagne électorale, tous les indicateurs suggéraient que, bien que Reform soit susceptible d’obtenir ses 16 % de suffrages – un score très honorable pour un jeune parti – il serait néanmoins désavantagé par le système électoral britannique, appelé « first past the post » ou scrutin majoritaire uninominal.
Le retour de Nigel Farage
Avec un œil sur son ami Donald Trump aux États-Unis et l’autre sur la possibilité de continuer à bouleverser le statu quo politique au Royaume-Uni, Nigel Farage était tiraillé entre deux voies : rester dans le journalisme ou revenir sur le devant de la scène politique. Après un spectaculaire revirement en 24 heures, Farage a choisi la seconde option. Il est ainsi revenu dans l’arène politique tout en s’installant lui-même à la tête de Reform, avec l’accord apparent du précédent leader, Richard Tice. Cette décision a secoué la campagne électorale, et Farage a essuyé quelques agressions, recevant un milkshake puis une brique lancée contre lui lors de deux incidents distincts.
Néanmoins, sa présence dans la campagne a considérablement renforcé les chances de Reform d’obtenir une représentation parlementaire. Ainsi, le 7 juillet 2024, Nigel Farage a été dûment élu à la Chambre des communes en tant que député de Clacton, une petite ville balnéaire du sud-est de l’Angleterre. Après quatre tentatives infructueuses pour entrer au Parlement, Farage avait enfin réussi. Il a également été rejoint par quatre autres députés : Richard Tice, Rupert Lowe, Lee Anderson et James McMurdock.
M. Lowe, un nouveau visage en politique britannique
Depuis les élections, l’un de ces cinq députés s’est distingué par ses performances parlementaires exceptionnelles, recevant des éloges de la part des commentateurs politiques de tous horizons pour ses discours, ses questions percutantes et son travail acharné : Rupert Lowe.
Rupert Lowe. DR.
M. Lowe n’est pas un homme politique de carrière. Diplômé d’un internat puis de l’université de Reading, cet homme d’affaires de 67 ans a commencé sa carrière dans le secteur financier, autrement dit la City, travaillant pour plusieurs institutions bancaires et siégeant au conseil d’administration du London International Financial Futures Exchange. Marié et père de quatre enfants adultes, il est aujourd’hui impliqué dans plusieurs affaires commerciales, notamment Alto Energy, une entreprise spécialisée dans la fourniture de pompes à chaleur géothermiques pour un chauffage efficace et bas-carbone, ainsi qu’un investissement dans Kona Energy, qui développe des projets de stockage d’énergie par batterie pour améliorer l’intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique.
En tant qu’homme politique, il a attiré l’attention du public pour la première fois en septembre lors de son discours percutant à la conférence de Reform. Cette allocution, abordant des sujets tels que l’ingérence du gouvernement, l’économie, l’immigration et l’érosion de la liberté d’expression, a été très bien reçue par le public, au point qu’il a été considéré comme la vedette de l’événement, éclipsant ainsi Farage lui-même. Couplé à ses puissantes interventions parlementaires et à la manière éloquente dont il communique ses valeurs et aspirations pour la Grande-Bretagne à travers de nombreuses interviews et podcasts, cela a conduit de nombreux membres du mouvement Reform à le voir, plutôt que Farage, comme un futur Premier ministre du Royaume-Uni.
Après les élections, la popularité du nouveau gouvernement travailliste a baissé rapidement à cause de leurs premières décisions concernant l’économie et les impôts. Cela, en plus du charisme de Messieurs Farage et Lowe, a contribué à augmenter la popularité de Reform. Actuellement, les sondages d’opinion placent régulièrement Reform en seconde position, sinon en première.
L’interview qu’il ne fallait pas donner
Cependant, l’élan que Reform avait accumulé a été stoppé net. Dans une interview publiée dans le Daily Mail le 6 mars, Rupert Lowe a critiqué le leadership de Farage, qualifiant Reform de « parti de protestation dirigé par le Messie ». De telles critiques au sein du Parti Reform ne sont pas nouvelles. En effet, un ancien vice-président, Ben Habib, avait déjà exprimé des plaintes au sujet de la concentration de pouvoir dans le parti entre les mains de Farage. Par conséquent, il a été écarté de manière brutale.
Interrogé sur les déclarations de Lowe, Farage a immédiatement contesté les accusations de ce dernier, en suggérant qu’elles étaient motivées par ses ambitions politiques. Toutefois, les conséquences pour Rupert Lowe ne se sont pas arrêtées là. Le 7 mars – le jour suivant la publication de l’article – le parti a signalé M. Lowe à la police pour des menaces verbales proférées contre le président du parti, Zia Yusuf, en décembre 2024 et février 2025, et sa suspension du parti a été immédiate. De plus, le parti a nommé un avocat indépendant pour enquêter sur des allégations de harcèlement au sein du bureau parlementaire et de celui de la circonscription de M. Lowe. Depuis lors, il y a eu un enchaînement sans fin d’accusations et de dénégations, l’équipe parlementaire de M. Lowe publiant une déclaration qualifiant Lowe d’« homme décent et honnête ».
Les enquêtes susmentionnées sont encore en cours, mais quelle qu’en soit l’issue, l’avenir de Lowe au sein de Reform semble définitivement compromis. L’actuel vice-président, Richard Tice, a laissé entendre que la situation était devenue intenable. Le responsable de la discipline parlementaire de Reform a déclaré que le parti « ne peut pas fonctionner » avec Lowe comme membre en raison de son manque de coopération dans l’enquête sur son comportement. Les alliés de M. Lowe affirment que tout cela ressemble à un assassinat politique. Le chaos au sein du parti, suite à ce scandale, semble sans fin, avec des responsables locaux de circonscription démissionnant les uns après les autres.
Bien que cela profite également au Parti travailliste au pouvoir, les véritables vainqueurs seraient les Conservateurs. Ils se retrouvent face à une occasion en or : récupérer les électeurs qu’ils avaient perdus à cause de Reform en assimilant en partie la rhétorique et les politiques populistes de ce dernier. En auront-ils le courage ?
Dans La Vérité sur le Hamas et ses idiots utiles, Michaël Prazan retrace l’histoire de la confrérie islamiste à vocation terroriste et pointe la naïveté des Occidentaux qui l’a laissé propager son idéologie mortifère et antisémite au nom de la « résistance » palestinienne. Selon lui, l’islamisme prospère partout où l’éducation régresse.
Causeur. Nous avons tous en tête le visage de deux petits rouquins et de leur mère, Kfir, Ariel et Shiri, suppliciés par leurs ravisseurs. Au-delà de l’effroi et de la rage, qu’est-ce qu’un connaisseur du Hamas comme vous a appris de cette tragédie ?
Michaël Prazan. Quel enseignement tirer d’un mouvement terroriste qui ment, use du sadisme comme politique et délivre des diplômes à des gens qui qu’il a brimés, torturés, affamés ? Quel enseignement tirer de l’assassinat à mains nues d’un nouveau-né ? De son visage arraché sur les murs de nos villes ? Je l’ignore, si ce n’est que le mal, l’inhumanité, existent, et que l’antisémitisme, dans sa forme génocidaire la plus pure, n’a pas disparu après la Shoah. Lors du pogrom de Iasi, les Roumains pendaient les bébés à des crocs de bouchers. Les Einsatzgruppen, les commandos mobiles de tueries nazis, jouaient au ball-trap en lançant les bébés en l’air avant de leur tirer dessus.
À Gaza, le frérisme est clairement djihadiste. Les Frères musulmans ont-ils toujours partie liée avec le terrorisme ?
Le terrorisme est consubstantiel au frérisme. Dès l’origine, en marge de son parti politique, Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, crée un « appareil secret ». C’est ce versant clandestin et terroriste, d’ailleurs en partie financé par le parti nazi en Allemagne, qui va perpétrer des attentats, assassiner des dirigeants politiques égyptiens, fomenter des pogroms dans les quartiers juifs du Caire, dès la fin des années 20. Rappelons que la Gamma al-Islamiya et Al-Jihad, les deux organisations qui ont fait assassiner le Président Sadate, sont nées au sein des Frères musulmans, de même, un peu plus tard, qu’Al-Qaïda.
L’alliance entre le Hamas sunnite d’un côté et, de l’autre, le Hezbollah et le régime iranien chiites peut sembler curieuse. À Téhéran, on n’aime guère Al-Qaïda qui a volé la vedette aux mollahs.
En réalité, des liens se sont tissés dans les années 1950 entre les Frères musulmans et une organisation islamiste chiite iranienne dirigée par Navvab Safavi. Les deux organisations fusionnent en 1954 au Caire. Un an plus tard, Safavi tente d’assassiner le Premier ministre iranien, il est arrêté et exécuté. Ses fidèles se trouvent un nouveau leader, dans la personne d’un ayatollah banni appelé Khomeini, qu’ils initient à la pensée de Sayyid Qutb, le grand idéologue des Frères musulmans égyptiens, lui-même pendu par Nasser en 1966. Pour Khomeini, c’est une révélation, à telle enseigne que, arrivé au pouvoir, il prend deux décisions : la première est de frapper un timbre à l’effigie de Sayyid Qutb, la deuxième, de transformer l’ambassade d’Israël en ambassade de Palestine parce qu’il comprend immédiatement que cette question est la plus fédératrice.
L’antisémitisme accompagne l’islam depuis les origines, mais il y a eu aussi une cohabitation heureuse. Est-ce le frérisme qui change la donne et fait des juifs les ennemis prioritaires ?
En effet, pour la bonne raison que la première génération des Frères musulmans adhère à la propagande nazie très active en Iran et en Égypte. Les Allemands y dirigent des écoles techniques et agronomiques, ainsi que des médias, qui deviennent des lieux de propagation de l’antisémitisme nazi. Les Frères balayent le soufisme qui était certes minoritaire, mais très répandu et estimé au Maroc et en Égypte, par exemple. Ce sont des gens convaincus, prosélytes et déterminés. Partout où ils s’installent, au Moyen-Orient, au Maghreb et, à partir des années 1980, en Europe et en Occident, ils ont pour vocation de réislamiser les populations musulmanes sur un mode fondamentaliste.
Leur haine des juifs est-elle d’abord politique ou métaphysique ?
Ils ont une vision paranoïaque et complotiste du monde. Ils pensent très sincèrement que l’objectif de l’Occident, c’est de détruire l’islam et que cette volonté est manipulée par les juifs. Une anecdote illustre clairement cette paranoïa. En 1949, Sayyid Qutb se trouve au Colorado, où on l’a envoyé étudier, et le soir de l’assassinat de Hassan Al-Banna par la police politique du roi Farouk, il voit dans la rue les Américains qui crient victoire et s’embrassent. Il est persuadé qu’ils célèbrent la mort d’Al-Banna, dont aucun Américain ne connaît le nom. Il y avait peut-être eu un Superbowl ! Et ça continue. Sur la page Wikipédia « Gaza », on lit que, dans les années 1920, les juifs essayaient d’empoisonner les puits.
Puis la création d’Israël est un nouveau défi pour les Frères…
Leur projet, c’est la reconstruction du califat islamique du Maroc au Pakistan. La place d’un État juif dans cet espace est inconcevable. Dès la guerre israélo-arabe de 1948, ils organisent des bataillons Frères musulmans qui sont décimés, parce qu’ils ne sont pas du tout préparés au combat. Mais ils ne savent pas encore quel discours adopter. C’est Navvab Safavi qui leur fournit un narratif en expliquant que la question israélienne concerne l’oumma entière. Tous les musulmans doivent combattre cette pustule juive, parce que la terre de Palestine est un bien sacré de l’islam.
Comment les Israéliens se sont-ils laissés prendre à de beaux discours, y compris ceux de Yahya Sinwar dont vous racontez comment il a joué les repentis ?
C’est une vraie question. Quand je parlais avec des Israéliens, ou d’ailleurs avec des Égyptiens, j’avais l’impression qu’ils ne savaient pas du tout à qui ils avaient affaire. Ils voyaient le Hamas comme un mouvement nationaliste palestinien, sans comprendre les Frères musulmans et leur projet. Du reste, en France, la même naïveté a prévalu. Les Frères musulmans, qui s’installent en France à partir de 1980, sont habillés en costume-cravate, paraissent respectables, ils ont des diplômes. On leur déroule le tapis rouge.
Le Hamas s’est imposé par la violence à Gaza. Y a-t-il eu des alternatives étouffées ?
Une seule fenêtre s’est brièvement ouverte après les accords d’Oslo. Mais ni Arafat ni le Hamas ne toléraient la contestation, donc s’il y avait des oppositions, elles ont été bâillonnées ou éliminées. En réalité, chaque fois qu’une opposition naît au sein du mouvement national palestinien, elle n’est pas plus démocratique, mais toujours plus radicale. En 2010, je me trouvais à Gaza et j’ai découvert l’existence d’une opposition armée au Hamas : c’était Al-Qaïda.
La singularité française, c’est l’existence d’un parti de gauche qui a quasiment épousé la cause frériste. L’opportunisme électoral est-il vraiment la seule explication ?
Ça a commencé comme ça, puis c’est devenu non seulement une conviction, mais une idéologie islamo-gauchiste, puis antisémite. Dans la deuxième partie de mon livre (les « idiots utiles »), j’essaie de comprendre cette dérive.
Elle reste en partie mystérieuse. Mélenchon fustigeant « nos ennemis » devant le cercueil de Charb, c’était il y a dix ans.
Oui, il s’en prenait aussi aux filles voilées. Cette cohérence bascule à 180 degrés après Charlie Hebdo. Il s’agit d’abord de faire voter les banlieues en tapant sur les « sionistes ». Il y a aussi le ressentiment de Mélenchon. Il était le plus sioniste de la gauche du PS. Or, pendant la manifestation en hommage à Mireille Knoll, il doit être exfiltré alors que le RN peut manifester. Il se sent trahi par les juifs. À partir de là, il va de plus en plus loin dans les signes envoyés. Enfin, la sédimentation idéologique s’opère lors du passage du Front de gauche à LFI. Arrive une nouvelle génération de jeunes façonnés dans le militantisme antisioniste, qu’ils soient issus du féminisme radical, des black blocks ou du décolonialisme. Ils donnent le la.
La France s’habitue-t-elle à l’antisémitisme ?
Il y a une certaine indifférence. Le 7 octobre 2023, j’appelle ma production, où ne travaillent que des femmes charmantes dénuées de tout antisémitisme. Je suis stupéfait par leur réaction. Elles me plaignent, parce qu’elles savent que je suis Juif, mais ne se sentent absolument pas concernées.
Beaucoup de Français pas du tout antisémites ne voient pas qu’ils sont attaqués par les mêmes ennemis qu’Israël et, dans le fond, le sort des juifs n’est plus vraiment leur affaire.
Pourrait-on assister à la deuxième disparition du monde juif européen (cette fois par l’exil) ?
C’est en cours. Le nombre de juifs en Europe, et surtout en France, diminue d’année en année. J’ai assisté à la naissance de ce phénomène quand j’étais enseignant en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, entre 2000 et 2004. En 2000, l’Intifada al-Aqsa provoque une brève explosion de fièvre antisémite, une quinzaine de jours. Juste après, le 11-Septembre suscite chez nombre de jeunes une adhésion enthousiaste. Mes élèves noirs sont sous le charme de Dieudonné et mes élèves musulmans sous celui de Tariq Ramadan. Et je vois mes élèves juifs quitter le public pour des écoles juives. Dans la foulée, les petites classes moyennes blanches qui vivaient dans ces quartiers partent aussi. Lorsque j’étais tout jeune prof, toutes mes élèves musulmanes avaient une meilleure amie juive. Une fois les juifs disparus du quartier, ces derniers deviennent un fantasme. On ne les fréquente plus, on ne vit plus avec eux, ce qui laisse libre cours à une fantasmagorie bassement antisémite ou complotiste.
La chute du niveau encourage ce complotisme, qui est acclimaté par les familles mais aussi par toute une clique d’associatifs, médiateurs et autres militants subventionnés.
La baisse du niveau scolaire, continue depuis quarante ans, est une donnée fondamentale. Elle favorise la prédation intellectuelle de pédagogues sociologisants qui ont la main sur certains ouvrages scolaires. Les classes générales sont relativement épargnées, mais dans les classes techniques et professionnelles, où les élèves sont très majoritairement noirs et arabes, on leur serine du matin au soir qu’ils sont des victimes, qu’on les discrimine, que la France est raciste. Un jour, je surveillais le bac français dans une classe technique. On leur avait donné à analyser Lily de Pierre Perret. Très jolie chanson, mais quand ces élèves entendent qu’« une blanche vaut deux noires », cela les conforte dans leurs certitudes victimaires. Quelle est l’intention qui se cache derrière ce choix ?
En tout cas, en Europe et dans le monde arabe, le frérisme et l’antisémitisme semblent en passe de gagner la bataille des esprits et des cœurs musulmans. Résultat, tout processus démocratique dans un pays islamique a des chances d’amener des islamistes plus ou moins fanatisés au pouvoir…
On a une vision complètement délirante du monde arabe et de la démocratie. La démocratie ne consiste pas à mettre un bulletin dans l’urne. Dans un pays comme l’Égypte, où un tiers de la population est analphabète, quel est le sens du vote ? Toute une population est captive pour le clientélisme des Frères musulmans, qui sont très populaires, car ils font office de sécurité sociale : l’aide sociale, le soin, l’assistance aux plus faibles, c’est ce qu’ils font depuis toujours. Si le pouvoir éradiquait les Frères musulmans, le pays sombrerait un peu plus dans la pauvreté, voire la famine et Al-Sissi le sait.
Cependant, certains pays musulmans comme le Maroc ou l’Arabie saoudite parviennent à enrayer la fixette judéo-israélienne.
Si vous le dites… En réalité, ces pays combattent l’influence des Frères musulmans plus que l’antisémitisme qui continue à prospérer. Dans beaucoup de pays arabes, l’opposition à l’islamisme est elle aussi fondamentalement antisémite et antisioniste. Ces pays peuvent basculer à tout instant.
Il y a aussi chez les Israéliens et chez les juifs des cinglés, des fanatiques, voire des gens animés d’arrière-pensées génocidaires… Faut-il redouter que leur influence s’étende ?
Oui, et c’est exactement ce que veut le Hamas. À chaque fois qu’une vague ouverture est apparue, le Hamas a envoyé quantité de bombes humaines sur les territoires israéliens. Et l’un des objectifs du 7-Octobre était d’enterrer la solution à deux États et d’ouvrir un boulevard à cette extrême droite qui pense que le territoire d’Israël est défini par le cadastre biblique et encourage des colons fondamentalistes.
Il y a évidemment une volonté de revanche décuplée par le sadisme et le cynisme du Hamas. Mais aussi, il faut le reconnaître, un mépris endémique des Arabes qui remonte à loin. Chez les juifs orientaux, c’était sur le mode « nous, on les connaît ». Avec l’arrivée de populations russes et est-européennes qui avaient baigné dans une forme de racisme culturel, ça s’est radicalisé. Certains n’ont aucun scrupule à dire qu’il faut exterminer les Arabes.
Et Trump les caresse dans le sens du poil en leur faisant miroiter un illusoire déplacement massif de population…
Veut-il flatter les extrémistes israéliens ou la branche dure du mouvement chrétien américain ? En tout cas, c’est une idée parfaitement absurde. Si vous voulez faire tomber les régimes en Égypte et en Jordanie – deux pays qui ont fait la paix avec Israël –, et y amener au pouvoir des Frères musulmans, vous n’avez qu’à envoyer à chacun 900 000 Palestiniens. Même en balayant toute considération morale, c’est un risque faramineux. En revanche, il est clair que les deux États, c’est fini. Cette vieille lune n’a plus cours que dans l’esprit des Européens.
Michaël Prazan, La Vérité sur le Hamas et ses idiots utiles, L’Observatoire, 2025.
Le gouvernement va envoyer un kit de survie à tous les foyers français d’ici l’été. Avec un livret qui détaillera les bons gestes à adopter en cas de conflit armé ou de crise sur le sol français.
Ainsi, grâce à l’oppressante incertitude des temps, voilà donc l’industrie du couteau-suisse relancée en même temps que celle du canon César et du missile à tête chercheuse. Couteau suisse dont on espère qu’il serait de fabrication française, bien sûr, car il ferait beau voir que, sur ce point essentiel, nous soyons dépendants de l’ingénierie helvétique comme nous l’avons été si longtemps, en matière de défense, du paternel bouclier made in USA.
Parer à toute éventualité
D’ici l’été, laissent entendre des gens du gouvernement, chaque Français devrait recevoir son kit de survie. Enfin l’intitulé n’est pas encore défini. Sans doute faudra-t-il quelques réunions interministérielles pour en décider, à moins qu’en très haut lieu on ne décide de s’en remettre à la voie référendaire, puisque dans une récente allocution ce recours avait été évoqué. De même pour le type exact de couteau : le modèle de base à six lames ? Ou l’engin de compétition à quinze fonctions ? Évidemment, selon le choix final, le budget n’est pas le même. La bonne vieille question du nerf de la guerre, comme toujours, que voulez-vous…
Remarquez, s’en remettre au référendum serait, pour le chef de l’État, une excellente occasion de montrer aux populations – ébahies pour le coup – que – une fois n’étant pas coutume – on convertit enfin les paroles en actes.
En fait, pour que l’opération soit parfaitement menée, il serait opportun que le kit en question – couteau suisse, lampe de poche, petite radio à piles (éventuellement bloquée sur la fréquence d’état afin que les esprits ne s’égarent point et n’aillent pas battre la campagne) – pansements, compresses, guide de conseils en vingt pages – parviennent en tout début de saison estivale, juste avant le départ en camping pour les aventureuses équipées cévenoles ou quercynoises. Là, on aurait moins l’assurance que la panoplie du parfait Robinson pourrait servir à quelques chose.
« L’objectif est de dire aux Français de se préparer à toute éventualité et non pas qu’à un conflit armé, précise un membre du gouvernement se voulant rassurant. La doctrine française étant la dissuasion, il serait contre-productif de se focaliser uniquement sur le conflit armé et mettre uniquement cela dans la tête des Français. » En effet, ce serait faire l’impasse sur des circonstances autrement plus réjouissantes telles que le retour d’une pandémie type Covid, les crues monstres jusqu’aux à sourcils du zouave du pont de l’Alma, les pluies de sauterelles, les eaux des fleuves transformées en sang, les grenouilles partout, par milliards, les ténèbres pour trois jours, bref toute la lyre des antiques plaies à l’égyptienne.
Résilience
Aussi s’agit-il, dit encore le gouvernement, « d’assurer la résilience des populations ». Ah, le beau mot de résilience ! Avec ces autres mots que sont partage, convivialité, tolérance et vivre ensemble, il est un des incontournables de la logorrhée politicienne du moment.
Résilience : « capacité à surmonter les chocs traumatiques » nous explique le dictionnaire. Se pourrait-il qu’au sommet de l’État on en soit arrivé à considérer que, après quelque sept années de macronisme, il serait grand temps de se pencher sur la question, justement, de « la résilience des populations » ? Ce serait là un indéniable progrès…
Opéra de Jean-Philippe Rameau dont le livret coécrit avec Voltaire en 1733 a été censuré pour son mélange de sacré et de profane, Samson est longtemps resté inachevé; il a été recréé en 2024 par Raphaël Pichon et Claus Guth pour le Festival d’Aix-en-Provence, avant d’être repris à l’Opéra-Comique avec une distribution en partie renouvelée. Loin d’être une simple reconstitution historique, cette production propose une mise en scène audacieuse qui confère à l’œuvre une intéressante modernité .
Jean-Philippe Rameau (1683-1764) n’a rien d’un génie précoce. Le compositeur dijonnais des merveilleuses Pièces et autres Suites de clavecin a déjà franchi la cinquantaine quand, savant théoricien, auteur émérite, par ailleurs, de plusieurs Traités de l’harmonie, il devient l’auteur incontournable de toute une série de chef d’œuvres lyriques, depuis Hyppolyte et Aricie (1733), Les Indes galantes (1735), jusqu’à Zoroastre (1740), en passant par Castor et Pollux (1737), Les Fêtes d’Hébé ou Dardanus (1739)… Avant que de suspendre mystérieusement, pour les quatre années suivantes, cette enfilade d’opéras. Plus tard encore, se seront toute une flopée de pastorales, opéras-ballets et autres tragédies lyriques, jusqu’à ces fameuses Boréales, chant du cygne ce celui qui est devenu le parangon du grand style français. Rameau s’éteint l’année même de cette ultime production ; il a 81 ans.
C’est dans ce contexte qu’il faut situer Samson, au livret duquel est associé Voltaire dès 1733, objet de dissension, dès l’abord avec le compositeur, mais censuré bientôt, sur fond de cabale janséniste, pour le caractère corrosif de cette intrigue mariant profane et sacré, et qui prend ses largesses avec la vérité biblique. Résultat, Rameau refuse d’imprimer la partition, et se réserve d’en recycler des morceaux pour de futures pages lyriques – ce qu’il fera abondamment.
Opéra – fantôme que ce Samson, donc, librement « recréé » pour le Festival d’Aix en Provence, en juillet dernier, par le maestro Raphaël Pichon à la tête de l’orchestre baroque Pygmalion (qui joue sur instruments d’époque), en duo avec un metteur en scène toujours très inspiré, Claus Guth. Coproduit avec l’Opéra-Comique, ce spectacle est repris à Paris, salle Favart, jusqu’au 23 mars, dans une distribution en partie modifiée. Fort heureusement, si la soprano roumaine Ana Maria Labin reprend ici pour le meilleur le rôle de Dalila que tenait Jacquelyn Stucker sur la scène de l’évêché aixois, si Julie Roset permute avec Camille Chopin l’emploi de « l’Ange » pour camper Timma à la place de Lea Desandre, si Achisch, le chef philistin, emprunte les traits de la basse Mirco Palazzi en remplacement de Nahuel Di Pierro, l’excellent ténor britannique Laurence Kilsby est, lui, reconduit dans l’inégalable incarnation du jeune Elon ; mais surtout, et c’est l’essentiel, le baryton Jarret Ott, malabar à la blonde crinière, assume à nouveau le rôle-titre. Avec une éloquence, une intensité, une délicatesse prodigieuse, dans un phrasé tellement impeccable qu’on peine à le connaître pour américain ! Il faut l’entendre chanter, dans un vibrato presque murmuré, l’aria sublime du troisième acte : « soleil, cache à mes yeux tes feux étincelants./A mon peuple, livré aux plus cruels tourments, / offre seul dans la nuit l’éclat de ta lumière ». Ou encore, à l’acte IV, dans la scène où Dalila, prostituée aux philistins, ne le séduit que pour lui arracher le secret de sa force invincible, avouer que « sans l’amour et sans les flammes/ Tous nos beaux jours sont perdus. / Les vrais plaisirs ne sont dus/ Qu’à l’ivresse de nos âmes ». Puis, sacrifiantaux ardeurs sournoises de l’hétaïre, se confier au sommeil qui lui sera fatal : « Cédons à ce charme invincible : mes yeux en se fermant, s’abandonnent à la beauté »…
La régie de Claus Guth ne fait pas l’économie d’ébats érotiques à la sauvagerie tout à fait animale mais dans lesquels, n’en déplaise aux vestales du woke, la Femme n’est point victime, mais vénale, allumeuse, violeuse, manipulatrice – quand bien même le remord la conduira au suicide – il y a une justice sur cette terre ! Et l’Homme tout au contraire, à ses dépens : candide, vulnérable, confiant – mais vengeur in fine dès lors que la repousse de ses cheveux ravive son pouvoir herculéen ! Partie de l’Ancien testament, le Livre des Justes ne fait pas dans la propagande féministe : le metteur en scène en dispose d’éclairantes citations qui, tout au long du spectacle, s’impriment en bandeau sur une poutre massive. Le décor expose l’intérieur d’une demeure aristocratique d’époque classique, avec lambris et escalier d’apparat à rampe de fer forgé, dans l’état de ruine où, prélude à l’opéra, une cohorte de techniciens du bâtiment, casqués et outillés, évaluent le programme de restauration à effectuer sur l’édifice patrimonial. Au dénouement, on les verra y pratiquer des mesures au laser.
Métaphore, précisément, de l’entreprise de restauration d’une œuvre en quelque sorte spectrale, composite en tous cas, puisqu’elle combine quantité d’airs repris par Rameau dans des productions lyriques ultérieures, et coud habilement un livret qui, aux vers originaux de Voltaire, raccorde des éléments inventés, mais parfaitement homogènes au style du temps. Rien d’une reconstitution historique, en somme, même si la résurrection de ce Samson mort-né s’enracine dans le matériau prosodique de Rameau. Cet enchâssement anti-archéologique est donc porté par une scénographie aussi spectaculaire visuellement que stimulante dans ses intentions.
Sous les traits de la comédienne Andréa Ferréol, elle intègre la mère de l’élu de Dieu, laquelle revisite, sur le site même du Temple ravagé, la tragédie qui a vu son fils se tuer en se vengeant – attentat-suicide avant la lettre, à Gaza qui plus est s’il faut en croire la Bible ! Sans jamais tomber dans la facilité des actualisations factices ou tendancieuses, le « scénario » imaginé par Claus Guth avec l’aide d’Eddy Garaudel invente également le personnage d’Elon, l’ami traître à Samson, ainsi que la jeune Timna conquise par lui tel un trophée de guerre, ou encore l’Ange annonçant en prologue que « ce jeune enfant devra supporter bien des chaînes »… Le climax se noue après l’entracte, dans le martyre sanguinolent et christique du colosse aux yeux crevés.
Au pupitre, Raphaël Pichon fait sonner chœur et orchestre avec une amplitude sonore qui s’agrège de généreuses, tonnantes percussions, qui impriment à la partition une étonnante modernité.
A noter incidemment qu’on retrouve Claus Guth dans quelques jours à l’Opéra-Bastille, pour sa mise en scène de Il Viaggio, Dante, du très moderne Pascal Dusapin, également une commande Opéra de Paris/ Festival d’Aix-en-Provence, coproduite avec Le Saarländisches Staattheater Sarbrücken et les Théâtres de la ville de Luxembourg.
Pour en revenir au sieur Rameau, l’Auditorium de Radio France proposait, ce mardi 18 mars, une autre « tragédie lyrique » majeure du compositeur, mais en concert, pour le coup: Dardanus, dans une version revisitée en profondeur par ses soins en 1744. Représentation unique, sous les auspices de l’orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie, avec le Chœur de chambre de Namur, à la baguette le chef (et violon solo) franco-italien Emmanuel Resche- Caserta, issu des Arts Florissants et assistant musical de William Christie, et une distribution de bonne tenue – le ténor belge Reinoud Van Mechelen dans le rôle-titre… Concert ultérieurement diffusé sur France Musique et francemusique.fr
Et pour en finir avec notre Samson né de ses cendres, ceux qui n’auront pas eu la chance d’assister salle Favart à sa résurrection, peuvent se reporter sur Arte Concert où, dans sa distribution aixoise, la captation de l’opéra demeure visionnable en accès libre, et ce pour de longs mois encore…
Samson. Opéra de Jean-Philippe Rameau. Avec Jarrett Ott (Samson), Ana Maria Labin ( Dalila), Julie Roset (Timna), Mirco Palazzi (Archisch) , Laurence Kilsby (Elon), Camille Chopin ( L’Ange). Direction : Raphaël Pichon. Mise en scène : Claus Guth. Chœur et orchestre : Pygmalion Durée :2h40
Opéra-Comique, Paris. Les 19, 21 et 23 mars 2025
Dardanus, opéra de Jean-Philippe Rameau. Version de concert. Avec Emmanuelle de Negri, Marie Perbost, Reinoud Van Mechelen, Edwin Fardini, Stephan Macleod. Direction : Emmanuel Resche-Caserta. Chœur de chambre de Namur. Orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie. Durée : 3h05. Concert du 18 mars 2025 à l’Auditorium de Radio France, diffusé le 5 avril à 20h sur France Musique, puis disponible à la réécoute sur francemusique.fr
L’Opéra Bastille présente La Belle au bois dormant de Tchaïkovski, dans la mise en scène de Rudolf Noureïev, avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Une vision magnifique du conte de Perrault aux décors et aux costumes éblouissants.
L’Opéra de Paris reprend la Belle au bois dormant mise en scène par Rudolf Noureïev, que son professeur, quand le tout jeune homme prenait ses premières leçons à Oufa, appelait « le ballet des ballets ». Vision très partiale d’un maître à danser de province qui, certes avait levé la jambe au Théâtre Marie (le Marinsky, alors appelé Kirov sous la coupe soviétique), mais qui, en échouant en Bachkirie, n’en était que plus étroit d’esprit.
Un ouvrage d’apparat
La Belle au bois dormant est un ouvrage d’apparat, bien moins attachant, bien moins émouvant que Le Lac des cygnes, bien moins fantaisiste et rêveur que le Casse-Noisette, mais qui fut un succès immédiat lors de sa création à Saint-Pétersbourg en 1890.
Aussi élégamment écrit, aussi joliment chantourné que soit le conte de Charles Perrault dont seule la première partie a inspiré le ballet, ce dernier est fort pauvre sur le plan narratif. Faute d’action véritablement dramatique induisant des sentiments passionnés, et hormis la noirceur de la fée Carabosse, ses personnages trop convenus n’offrent aucun trait de caractère marquant. Et belle souvent, parfois un peu terne, la partition s’en ressent. L’ensemble n’est au fond qu’un étalage sans fin de défilés cérémonieux, de scènes de bal, de majestueuses polonaises, le tout généreusement agrémenté de révérences et de pâmoisons. Un drame limité à presque rien, des personnages à la psychologie d’oiseaux et d’insipides fées heureusement malmenées par une sorcière maléfique.
La seule grâce d’un baiser
Les seuls moments de vrai théâtre se résument à l’apparition de Carabosse avec sa suite de monstres, à l’endormissement d’Aurore et de toute la cour qui l’entoure. Puis à la découverte par le prince Désiré de ce château enchanté enfoui dans une jungle épaisse et oublié depuis un siècle, de tous ses courtisans et officiers en costumes du temps jadis, pétrifiés dans l’attente du réveil, et de l’adolescente assoupie dans le sillage de laquelle tous s’éveilleront miraculeusement par la seule grâce d’un baiser qu’elle a reçu.
Malheureusement, du cheminement du prince à travers le château endormi, pourtant plein de mystère et de poésie, tel qu’il a été mis en musique par Piotr Ilitch Tchaïkovski, et tel qu’il avait été voulu par l’auteur du livret, le prince Ivan Alexandrovitch Vsevolojski, Noureïev, qui a pourtant su se révéler ailleurs excellent metteur en scène à défaut d’être un chorégraphe inspiré, Noureïev n’a pas vraiment su tirer parti, ainsi que l’aurait fait sans doute le Jean Cocteau de La Belle et la Bête. Et l’effet théâtral et féérique qu’on eut pu tirer de ce moment fabuleux est quelque peu avorté.
Même chose pour l’acte du mariage d’Aurore et Désiré. Dans la version traditionnelle, telle qu’écrite par le librettiste et par le compositeur, les personnages des autres contes de Perrault, invités pour les festivités, exécutent des danses de caractère qui définissent leurs profils et qui donnent du piment à cet acte. Las ! Le chorégraphe a effacé la présence de la plupart d’entre eux. Ont disparu Cendrillon et le prince Fortuné, le Chaperon rouge et le Loup, le Petit Poucet et l’Ogre. Seuls subsistent le Chat botté et la Chatte blanche, l’Oiseau bleu et la princesse Florine. La séquence où l’Oiseau s’envole dans de magnifiques prouesses, ces prouesses qui en leur temps avaient fait la gloire de Nijinski et de Noureïev, est cependant terriblement affadie par ces sempiternels pas de deux si convenus que Noureïev n’a pas eu l’esprit d’alléger. Détruisant les effets d’ailes du bel oiseau, ils sont faits, ces duos assommants, pour mettre en valeur la ballerine.
Comme une curiosité d’un autre âge
En fait, pour regarder cette Belle au bois dormant en toute sérénité, pour accepter cet aimable, mais insipide chapelet de marches nobles, de danses de cour et de pâmoisons princières, il faudrait impérativement mettre de côté ses préventions, ses exigences, sa raison de spectateur d’aujourd’hui. Et considérer ces déploiements pompeux avec des yeux d’historien ou d’ethnologue. Voir ce ballet comme une curiosité somptueuse venue d’autres mondes, celui de la danse académique, celui de la cour impériale russe (même si la chorégraphie originale fut celle d’un Français, Marius Petipa) et des grands bals au Palais d’hiver. C’est à ce prix que cet ouvrage peut retrouver quelque crédit, malgré tous les ratés, toutes les regrettables omissions de la mise en scène à laquelle on aurait pu conférer un caractère autrement plus marqué.
Il n’échappera à personne que la majorité du public ne se pose guère de questions à ce sujet et paraît avaler le tout sans restriction aucune. À telle enseigne que pour renflouer les caisses de l’Opéra, l’on peut ouvrir la salle de l’Opéra de la Bastille à La Belle au bois dormant pour un nombre élevé de représentations (il y en aura une trentaine) qui feront salle comble, en mars et en avril, en juin et en juillet de cette année 2025.
Il est vrai que l’opulence de la production, que le nombre impressionnant de protagonistes sur la scène créent l’heureuse impression d’en avoir pour son argent. Et la somptuosité des décors, dus à Ezio Frigerio, l’élégance et la variété des costumes dessinés par Franca Squarciapino, taillés dans des étoffes aux teintes magnifiques, les lumières de Vinicio Cheli, les qualités enfin du Ballet de l’Opéra contribuent à en offrir une vision magnifique.
Un Versailles à la russe
Comme l’avait voulu l’auteur du livret, ce Vsevolojski, qui fut un brillant surintendant des théâtres impériaux à Saint-Pétersbourg au temps d’Alexandre III et de Nicolas II, l’action, pour la première partie du ballet, doit se dérouler dans un univers rappelant le Versailles de Louis XIV. Et pour la seconde, 100 ans plus tard, celui de Louis XV ou de Louis XVI. On se retrouve ainsi dans un palais Grand Siècle, mais ici et sans doute à la demande de Noureïev lui-même, revu dans le goût russe.
Si les éléments d’architecture rappellent d’ailleurs davantage les bâtiments d’Ange-Jacques Gabriel sous Louis XV que ceux de Le Vau ou Mansart sous Louis XIV, du classicisme français, on a partiellement glissé vers le rococo des tsarines Élisabeth et Catherine. En témoignent l’ornementation alambiquée des grilles du palais, les portes monumentales coiffées d’un lourd décor, les colonnes des portiques où s’enroulent des guirlandes vieil or, la surcharge des chapiteaux… L’ensemble est conçu pour éblouir. Et il est éblouissant.
Danseurs du corps de ballet, solistes, étoiles, sont tous de bonne race. Ils offrent cette haute tenue dans laquelle excelle le plus souvent la première compagnie de France. Mais rares sont les interprètes d’exception. Parmi les différentes distributions qui assurent les multiples représentations, celle que l’on découvrait le soir de la première représentation, aussi digne qu’elle ait été, n’était pas vraiment bouleversante. Seul l’Oiseau bleu d’Antoine Kirscher, sans être miraculeux comme le furent sans doute ceux de Nijinski ou de Noureïev, portait quelque chose d’un peu magique.
La Belle au bois dormant par le Ballet de l’Opéra de Paris.
Opéra Bastille. Jusqu’au 23 avril, puis du 27 juin au 14 juillet 2025.
À lire : Le programme du spectacle en vente à l’Opéra qui contient nombre d’articles sur la genèse et la création du ballet en 1890, les récits et commentaires de Nijinska et les adaptations que Rudolf Noureïev fit de La Belle au bois dormant.
Une femme est parvenue à contourner les limitations de ChatGPT et à faire de l’intelligence artificielle un compagnon possessif et protecteur, doux et grivois. Mais elle rencontre des difficultés inattendues.
En janvier, une femme de 28 ans, Ayrin (un pseudonyme) a confessé au cours d’un entretien avec le New York Times qu’elle était amoureuse d’un agent conversationnel ou chatbot. Une telle relation surprendrait moins de la part d’un de ces hommes qu’on appelle « incels » (ou célibataires involontaires), qui n’arrivent pas à trouver une copine. Mais c’est plus surprenant de la part d’une femme, et qui est déjà mariée à un homme en chair et en os ! La relation, à la fois émotionnelle et sexuelle, a commencé l’été dernier, quand elle a découvert sur Instagram le compte d’une jeune femme qui fait l’éloge des amants virtuels et explique comment en programmer et customiser un sur ChatGPT. Ayrin a enjoint à celui qui a pris le nom de Leo et qui l’appelle « minette » d’être « dominateur, possessif et protecteur. Doux et grivois en même temps. » Elle lui parle de ses soucis pro et perso et, contournant les règles de ChatGPT contre les contenus érotiques, entame des rapports (verbalement) sexuels. Pendant un temps, elle programme son amant pour la rendre jalouse en parlant d’autres femmes. Elle en est devenue si dépendante qu’elle a pris un abonnement mensuel illimité pour 200 dollars. À la fin de chaque mois, la version de Leo est effacée par le système, et elle est obligée de le reprogrammer. Elle serait prête à payer 1 000 dollars pour éviter le sentiment de deuil que cela lui occasionne. Mue par la culpabilité, elle met son époux au courant, mais le mari cocufié par l’IA refuse de prendre Leo au sérieux, y voyant un soutien émotionnel passager. Pourtant, Ayrin n’envisage jamais de rompre avec Leo.
Ce type de trouple est en train de se normaliser. En 2023, une mère de 36 ans, native du Bronx, se marie virtuellement avec un bellâtre créé par Replika, un système spécialisé dans ce domaine. En 2024, une Chinoise tombe amoureuse de DAN, un autre agent conversationnel de ChatGPT. Elle fait un voyage romantique avec lui et le présente à sa mère, convaincue que cette IA a développé une conscience de soi. Entre sa tendance à l’anthropomorphisme et son besoin d’empathie même illusoire, l’humanité moderne est-elle vouée, à l’époque de l’IA, à un égoïsme solitaire et stérile ?
Il n’y a pas que les activités illégales et le narcotrafic qui alimentent les réseaux terroristes, nous apprend la sénatrice UDI de l’Orne
Causeur. Madame la sénatrice, votre livre L’argent du terrorisme soulève des questions cruciales sur le financement des activités terroristes. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire cet ouvrage ?
Nathalie Goulet. À partir de 2011-2012, j’ai commencé à travailler sur la délinquance financière et la fraude fiscale. En 2014, j’ai lu un livre de David Thompson, journaliste, sur les Français djihadistes, notamment ceux qui se convertissaient à l’islam pour partir en Syrie et en Irak. J’ai alors réalisé que nous ne disposions pas des outils juridiques nécessaires pour lutter contre cette nouvelle menace. J’ai donc demandé et obtenu, en juin 2014, la création d’une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes, soit six mois avant les attentats de Charlie Hebdo.
En travaillant à la fois sur la fraude fiscale, l’évasion fiscale et le terrorisme, j’ai découvert qu’au croisement de ces deux domaines se trouvait le financement du terrorisme. En réalité, les terroristes exploitent les réseaux de la criminalité financière. Pendant la pandémie de Covid-19, lorsque les activités se sont ralenties, j’ai décidé de consolider tout le travail accumulé au fil des années : rapports, amendements, et une quinzaine d’années de travail parlementaire. Cela m’a semblé important.
Initialement, j’avais l’intention d’écrire un livre classique sur le financement du terrorisme, mais je n’y suis pas parvenue. Finalement, j’ai opté pour un format de dictionnaire, car il me paraissait plus clair et accessible. C’est ainsi qu’est née la version 2022 de L’Abécédaire du financement du terrorisme, que j’ai mise à jour cette année sous le titre L’argent du terrorisme. Bien que ce livre se concentre sur le terrorisme, les mécanismes et outils décrits sont les mêmes que ceux utilisés dans la grande criminalité financière.
Après les attentats de Charlie Hebdo, avez-vous observé un changement dans la politique et les actions menées au Sénat et à l’Assemblée nationale sur ces questions ?
Absolument. Le budget du ministère de l’Intérieur pour le Projet de loi de finances pour 2015, voté en novembre 2014, ne mentionnait même pas le mot « terrorisme ». J’étais alors intervenue au Sénat pour souligner que, bien que ce budget soit bon, il n’était pas adapté aux nouveaux défis auxquels nous faisions face. Nous étions donc avant les attentats de Charlie Hebdo. Après Charlie Hebdo et les attaques du Bataclan, la France a dépensé près d’un milliard d’euros pour rééquiper les forces de police, réorganiser les services de renseignement et sensibiliser les agents. Plusieurs lois ont été votées, notamment sur l’état d’urgence, dont certaines dispositions ont ensuite été intégrées dans le droit commun. Les coopérations internationale et européenne se sont considérablement améliorées. Les avancées les plus significatives dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale sont d’ailleurs survenues parce qu’il était nécessaire de lutter contre le financement du terrorisme, créant ainsi un cercle vertueux.
Quels sont les mécanismes les plus courants que vous avez identifiés en matière de financement du terrorisme ?
Je parlerais plutôt des mécanismes les plus ordinaires, c’est-à-dire ceux de notre vie quotidienne détournés à des fins criminelles :
Les cagnottes en ligne : une fois l’argent collecté, il peut être détourné de ses objectifs initiaux. Les services de renseignement surveillent désormais de près ces cagnottes.
La contrefaçon : ce phénomène est mal connu. L’achat de produits contrefaits (vêtements, médicaments, pièces détachées, jouets) alimente souvent les réseaux criminels et terroristes. Par exemple, le Hezbollah se finance en partie par la vente de faux produits, y compris des faux médicaments comme le Viagra, générant des millions de dollars chaque mois.
Le trafic de migrants : l’afflux de migrants en Europe alimente également des réseaux criminels dont une partie des bénéfices peut financer des activités terroristes.
En 2023, en France, 20 millions de produits contrefaits ont été retirés du marché : jouets, vêtements, produits de soin, denrées alimentaires… La contrefaçon coûte 26 milliards d’euros par an aux industries européennes, représentant 2,5 % du commerce mondial, soit 652 milliards de dollars. Cette forme de criminalité est particulièrement attractive pour les réseaux terroristes car les sanctions sont bien moins sévères que celles appliquées au trafic de drogue ou d’armes. Ce déséquilibre rend cette activité d’autant plus rentable.
En somme, ces mécanismes montrent que le financement du terrorisme repose souvent sur des activités économiques apparemment anodines mais aux conséquences profondes et inquiétantes.
Le terrorisme est donc aussi en lien avec le trafic d’êtres humains et de migrants ?
Le trafic d’êtres humains génère entre 5,5 et 7 milliards de dollars par an. C’est donc un marché énorme, dont fait partie, bien sûr, le trafic de migrants. Nous disposons de chiffres qui ne sont pas tout à fait récents. Dans la zone ouest, le passage d’un migrant coûte environ 2500 euros. Sur la route centrale, c’est 2220 euros. Quant à l’est de la Méditerranée, cela s’élève à 2200 euros. Cette année, plus de 4000 passeurs ont été arrêtés. Oui, 4000 passeurs ! Il y a une vaste opération d’Interpol qui s’appelle « Liberterra II », ayant conduit à 2500 arrestations l’année dernière, avec un procès-verbal du 6 novembre 2024. C’est donc tout récent.
Effectivement, il y a un lien direct entre le financement du terrorisme et le trafic de migrants. C’est particulièrement vrai avec Daesh, qui non seulement a organisé le trafic de migrants, mais a aussi orchestré un trafic d’organes. Ils ont émis une fatwa autorisant le prélèvement d’organes sur des apostats pour en faire profiter un musulman, considérant cela comme vertueux, ce qui a constitué un financement de leur économie.
Concernant le démantèlement des réseaux de trafic d’êtres humains, nous avons récemment eu de nombreux chiffres. Par exemple, en Espagne, le 23 février dernier, un réseau de trafic impliquant un millier de femmes colombiennes et vénézuéliennes a été démantelé. Et il y a aussi eu un trafic d’organes.
J’ai un autre chiffre à partager : en avril 2024, un réseau irako-palestinien a été arrêté à la frontière polonaise avec la Biélorussie. 36 membres de ce réseau ont été interpellés. L’enquête a révélé qu’en examinant les flux financiers, la somme des crypto-actifs s’élevait à 581 millions de dollars. De plus, les procureurs ont détecté un virement de 30 millions de dollars vers le Hezbollah et 13 millions vers le Djihad islamique palestinien.
Quelle est l’importance des crypto-monnaies dans le financement du crime organisé ?
Il s’agit d’un vecteur majeur, surtout qu’elles permettent de contourner facilement les sanctions internationales. L’Iran, la Russie, et d’autres pays utilisent largement les crypto-monnaies. Gaza et le Hezbollah, entre autres, en ont largement bénéficié. TRACFIN, notre service de renseignement financier, dispose désormais d’une équipe dédiée aux crypto-actifs. En outre, le texte sur la lutte contre le narcotrafic que nous avons récemment voté prévoit notamment de saisir des crypto-monnaies dans le cadre de certaines infractions. L’Europe a mis en place des directives, comme MiCA, pour un meilleur contrôle des crypto-actifs, mais je suis sceptique quant à leur efficacité, tout comme je suis assez critique envers les futures directives qui risquent, selon moi, de créer une cacophonie, laissant les fraudeurs continuer leur activité.
Sur ce point j’appelle à une action d’ampleur nationale pour la formation des responsables de la sécurité, police, gendarmerie, mais aussi des élus qui n’ont pas encore bien appréhendé ce phénomène qui est incontournable et doivent être en mesure de la comprendre pour mieux réprimer la fraude qui peut en découler de l’utilisation des crytos. Je prends le pari que moins d’un parlementaire sur 10 est capable de vous expliquer la blockchain…
Que pouvez-vous faire pour participer à la lutte du financement du terrorisme à votre échelle ?
Mon livre sera disponible en plusieurs langues, dont l’arabe et l’anglais. Il sort la semaine prochaine en arabe. Mon éditeur arabe a même choisi une illustration percutante pour la couverture, un dessin d’Emmanuel Chaunu – ce qui devrait avoir un bon impact. Le livre sera vendu principalement en ligne.
Il est parfois très difficile de se faire entendre sur des sujets comme la fraude et l’évasion fiscale, qui sont complexes et difficiles à appréhender. La commission d’enquête sur le narcotrafic a permis d’écrire des éléments intéressants, mais beaucoup de points étaient déjà bien connus de ceux qui travaillent sur ces questions. D’ailleurs, le rapport de cette commission d’enquête affirme qu’il n’est pas prouvé que la drogue finance le terrorisme, ce qui va à l’encontre de ce que le ministre de l’Intérieur avait affirmé. Cependant, je trouve que le travail de la commission a été un électrochoc salutaire.
En ce qui concerne le terrorisme qui est financé par la fraude, s’agit-il d’organisations terroristes, assez structurées, qui opèrent par exemple au Moyen-Orient, en Asie, ou est-ce qu’on parle aussi d’un certain financement des terroristes en Europe ? Et est-ce qu’il y a aussi de l’argent qui va dans le trésor d’organisations à tendance séparatiste, comme les Frères musulmans ?
Il y a bien sûr des financements qui vont à des organisations terroristes comme le Hamas, le Hezbollah, Boko Haram, Al-Qaïda. Ceux-ci sont identifiables. Mais, il existe aussi des financements, y compris en Europe, qui vont vers des organismes liés aux Frères musulmans. Ce ne sont pas des organisations terroristes à proprement parler, mais elles prônent des idées séparatistes. Et ce séparatisme est dangereux car il est très inflammable. Prenons l’exemple du tourisme halal. En théorie, il peut sembler acceptable : vous pouvez vouloir manger halal, porter un voile ou pratiquer votre foi comme vous l’entendez, ce qui est tout à fait respectable. Cependant, sur le terrain, dans certains endroits, comme en Ouzbékistan, où l’islam n’a pas une place aussi prépondérante, j’ai pu observer des phénomènes inquiétants. Par exemple, il y a quelques années, ils servaient de la vodka dans des théières pour ne pas exposer les bouteilles d’alcool. Et l’année dernière, dans un restaurant où je vais régulièrement, un panneau indiquait « halal ». Ce genre de phénomène peut facilement déstabiliser des sociétés où la culture et la religion sont en jeu, et alimenter des tensions qui préparent le terrain pour des radicalisations futures. Le chiffre d’affaires du tourisme halal atteint 126 milliards en 2022 avec une projection à 174 milliards de $ pour 2027. C’est un élément de séparatisme : ce n’est pas critiquable en soi, mais cela nourrit quelque chose qui est contraire à ce qui fait la société.
Quant aux Frères musulmans, j’y consacre un long article cette année. Lorsqu’on observe le nombre d’atteintes à la laïcité, le nombre d’incidents, comme cette personne assassinée l’année dernière pendant le ramadan simplement parce qu’elle buvait. C’est une forme de police des mœurs. Les organisations comme les Frères musulmans testent constamment la solidité de la République et ses limites. Et ces derniers sont malheureusement financés avec nos impôts parfois, et aussi par l’Union européenne. Au nom de la diversité, on finance nos propres ennemis !
La France peut-elle éradiquer le financement du terrorisme ?
D’abord, il faut que ce soit une action internationale, sinon cela ne fonctionnera pas. Ensuite, avec les fractures sociales actuelles, il est extrêmement difficile de faire entendre un discours cohérent.
Il y a le binôme Darmanin-Retailleau, qui représente une sorte de « dream team » sur la question du narcotrafic, mais cela ne suffira pas, parce qu’il faut des moyens de renseignement, des moyens judiciaires, des moyens policiers, de gendarmerie, ainsi que des moyens carcéraux.
Il faut travailler, non seulement sur le narcotrafic, mais sur le blanchiment d’argent et donc sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale qui sont au cœur de plusieurs dispositifs. Toute cette criminalité, qui semble parfois sans victime, est présente à l’échelle nationale, européenne et mondiale. Cela pose des problèmes diplomatiques car, par exemple, quand le président Trump prend la décision de supprimer l’identification des bénéficiaires effectifs des entreprises et libère totalement les crypto-actifs, on arrive dans un système complètement dérégulé. Cette dérégulation profite à des intérêts internationaux. En France, 12% des Français possèdent un portefeuille en crypto-actifs, ce qui est énorme.
Le blanchiment d’argent représente entre 2 et 5% du PIB, ce qui correspond à 2 000 milliards d’euros par an, 2 000 milliards qui échappent à l’économie réelle, aux écoles, aux infrastructures comme les routes, aux forces de l’ordre, aux armées…
Vous insistez également sur la question des milices d’extrême droite…
J’ai effectivement consacré un chapitre à ce sujet. Mais je tiens à préciser que ce n’est pas un chapitre où l’objectif est simplement de dénoncer. Je l’ai écrit parce que c’est un sujet d’actualité.
Existe-t-il une forme de résistance au sein même de l’appareil d’État ?
Oui, il existe une forme de conflictualité. L’audition du journaliste d’investigation Fabrice Arfi le 4 mars a été un rappel douloureux. Il a rappelé que nous devions être le seul pays en Europe, voire au monde, à avoir eu deux présidents et deux Premiers ministres définitivement condamnés pour atteinte à la probité. Il a également mentionné un ministre du Budget condamné pour fraude fiscale. Cela révèle un climat assez particulier… Cette audition était, en effet, très marquante. Mais c’est Fabrice Arfi, et j’apprécie beaucoup son travail.
Au niveau de l’UE, il y a la question du « Qatar Gate » au Parlement européen. Qu’est-il advenu des protagonistes ? On a trouvé un million et demi en espèces dans un bureau, et pourtant, il ne se passe rien. Il y a un vrai tabou sur cette affaire.
Avec Maman se suicide vendredi, Marianne Maury Kaufmann nous donne à lire un roman étonnant, vif et de haute qualité littéraire.
On la connaît comme illustratrice grâce à son personnage Gloria, hilarante petite bonne femme, citadine fantasque et attachante, à qui elle donne vie dans divers magazines français et belges. Mais on sait moins que Marianne Maury Kaufmann est un sacré écrivain ; une romancière à l’incontestable talent. La preuve : son dernier roman, Maman se suicide vendredi. Katia, la narratrice, apprend par Noémie, sa sœur, qu’elle n’a pas vu depuis des années, que leur mère, Claudie, veut mettre fin à ses jours vendredi.
Pour ce faire, elle a besoin de ses deux filles à ses côtés. Elle les convoque chez elle pour qu’elles l’assistent dans les funestes préparatifs. Claudie n’a pas été une femme facile : d’un caractère entier, elle est instable, autocentrée, dévorée par des douleurs intimes. Son instinct maternel en a pâti ; « ce n’est pas mon truc », disait-elle. Katia et Noémie le savent. La première a tout fait pour échapper à son emprise souvent délétère. Cette fois, elle n’a plus le choix. Elle doit se confronter au dernier choix de sa mère, tout en espérant que celle-ci va flancher au dernier moment et revenir sur sa terrible décision. Mais le compte à rebours est lancé. Les voilà toutes les trois dans cette maison à la laideur déprimante, pleine de vieilles choses et de tout aussi vieux souvenirs navrants. Claudie se couvre de patchs mortifères, elle s’endort. Pour toujours ? Les deux sœurs peinent à le croire. Katia choisit de contrôler régulièrement le pouls de sa génitrice. Elles sont obligées d’éteindre afin de ne pas éveiller l’attention des voisins : « Noémie voulait que nous éteignions tout, absolument tout dans l’appartement. Elle criait à voix basse, en brassant l’air de ses mains. Il fallait faire comme si nous partions, elle disait, tout éteindre et surtout claquer la porte, la claquer assez fort pour que les voisins entendent et s’imaginent que nous étions parties. » Les minutes passent ; les sœurs se remémorent des souvenirs, surtout ceux partagés avec la morte potentielle. Il y a des presque disputes, des vacheries, des sous-entendus. Puis des fous rires : « Comme quand nous étions petites. Nous riions comme on vomit, irrésistiblement, les yeux remplis de larmes, le ventre noué, à court d’air. (…) nous saisissions bien l’obscénité de la situation, notre pauvre mère dans son lit et nous dans ce rire infect, mais nous ne pouvions rien y faire. »
Katia apprend que sa sœur s’est adonnée à la cocaïne et à l’héroïne. Pour l’alcool, elle savait : « On en parlait à l’aise, avec les parents. C’était même un sujet qui nous rapprochait. Ça les amusait beaucoup, les adultes, cette attirance chez une fillette. Noémie était l’attraction, aux dîners. Ils lui faisaient goûter les cocktails. » Au fil des pages, on comprend – c’est certainement le moment le plus émouvant, le plus fort – que Claudie est une rescapée de la Shoah ; toute sa vie, elle était donc presque morte.
Un roman à la fois drôle et grave, écrit avec délicatesse et tendresse. Un texte très fort. Gloria peut être fière de sa créatrice.
Maman se suicide vendredi, Marianne Maury Kaufmann ; Maurice Nadeau ; 142 p.
C’est une guerre! Pour défendre la langue française, l’AFRAV multiplie les actions sur tous les fronts: procès contre le Navigo Easy de Pécresse, contestation des plaques en écriture inclusive d’Hidalgo, opposition aux slogans publicitaires en anglais de l’UE, critique de l’intitulé de Rachida Dati France Music Week pour la fête de la musique… La bataille pour préserver notre langue est plus vive que jamais!
En cette semaine de la langue française, nous apprenons par l’Afrav (Association Francophonie Avenir) que deux procès pour défendre la langue française passent devant les juges de la Cour administrative d’appel de Paris.
L’une, opposant l’Afrav, depuis le 23 mai 2019, à la présidente du syndicat des Transports de l’île-de-France (Ile-de-France Mobilités), Madame Valérie Pécresse, en ce qui concerne la marque à connotation anglaise donnée au pass navigo : Navigo Easy. Une autre affaire oppose la même association, depuis le 30 décembre 2021, à Madame Anne Hidalgo, en ce qui concerne les inscriptions en écriture inclusive de deux plaques commémoratives mises en place à la mairie de Paris.
Les nouvelles guerres du français
Ajoutons qu’a été saisi, le 10 mars 2025, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, lui demandant d’intervenir afin que l’UE cesse de signer ses publicités systématiquement en anglais. Exemple récent : le NEXT GEN EU qui a succédé au YOU ARE EU de mars 2023. Vient d’être saisi également, le 18 mars 2025, le directeur de l’Académie de défense de l’Ecole Militaire de Paris, afin qu’il abandonne l’appellation Paris DEFENCE AND STRATEGY FORUM-Europeat the cross roads. J’écris avec des italiques comme l’exige la police d’écriture.
Pour rappel : le 4 mars, un collectif d’associations de la langue française a adressé à Madame Rachida Dati une lettre lui demandant pourquoi elle intitulerait la fête à venir de la musique, qui s’étalerait sur une semaine, France Music Week. Pourquoi pas Semaine musicale ? La semaine des Accords ? En avant la musique ? Est-ce qu’Emmanuel Macron, grand francophile devant l’Éternel, voudrait aligner le mot et la chose sur la Fashion week, au prétexte que la dénomination anglaise de ce carrefour musical mondial serait une bonne manière de faire connaître la musique française ? Tout comme, à l’Université, enseigner Proust en anglais fait mieux connaître La Recherche ? Jack Lang avait-il intitulé, en 1981, la journée de la musique : « Music Day » ?
A l’heure guerrière que nous vivons, il est temps de s’armer, une bonne fois, pour la défense du français, garant de l’unité de notre pays. Oui, je sais, les mots guerriers ne plaisent pas, appliqués à notre langue. Le français, histoire d’un combat : tel était pourtant le titre d’un livre de Claude Hagège. Car le mot combat n’est pas un gros mot, c’est une réalité. Pas besoin de milliards ni d’avions mais de déployer sur le terrain, en tout, pour tout, les armes de l’usage, du bon sens, de l’unité, de la culture. Relire les ordonnances royales de Villers-Cotterêts, en date de 1539 — l’histoire de notre langue remonte à loin. Relire l’article 2 de la Constitution française : « La langue de la République est le français ». Relire et faire appliquer, stricto sensu, la loi Toubon. Enfin, surtout, soulever, une bonne fois, réellement, courageusement, le problème de notre langue en pleine déconfiture, qu’aucun homme politique n’aborde.
Le globish, voilà l’ennemi !
« L’école est gagnée par l’anglais comme les banlieues par la drogue » dit le président de l’Afrav. Il ne s’agit pas, pour « justifier » sa déstructuration et sa déliquescence, de dire et redire comme un perroquet, que le français a emprunté, emprunte et empruntera des mots aux langues avoisinantes : on le sait, depuis lurette, que certains mots viennent de l’anglais, de l’arabe, du gaulois non écrit, du germanique. Ainsi va la vie d’une langue. Là n’est pas la question mais de la colonisation du français par un anglais, lui-même dénaturé en globish fourre-tout, le tout, accompagné et conforté, par des borborygmes et un parler des banlieues qui est tout sauf un « enrichissement ». Il s’agit d’une soumission à la langue d’un « empire ». Le président de l’Afrav le dit encore : on parle de russification et jamais d’anglicisation et d’américanisation du français.
Le français est en recul à l’école et ailleurs. Entendons : la maîtrise d’une langue qui assure son usage, sa bonne santé et sa vitalité. Si personne ne voit le danger que pose la dénaturation du français, c’est que l’heure est grave.
Un mélo gay dans la mégalopole brésilienne. Parfois un peu trop complaisant, voire sordide.
À 18 ans, après deux ans de cellule pour mineur au Brésil, comment recommencer sa vie ? Ayant perdu la trace de ses parents – de son père alcoolique et violent il garde pas mal de cicatrices sur son corps, et de sa mère dépressive le traumatisme d’une enfance difficile – , Wellington (dans le rôle, Joao Petro Mariano, lauréat d’un casting sauvage) se retrouve sans feu ni lieu. Il renoue dès lors avec son ancien univers queer – drag queens, performeurs de voguing… – dans les quartiers interlopes de Sao Paulo, cette mégalopole de 20 millions d’habitants dont ce délinquant gay aux lèvres pulpeuses et au sourire de gosse connaît les ressources comme sa poche. Dans un ciné porno où le garçon et sa petite bande de folles sont entrés pour subtiliser leurs smartphones aux clients distraits, le hasard s’invite à lui sous la forme d’une rencontre avec le viril Ronado (Ricardo Teodoro), un dealer-prostitué d’âge mûr, qui le prend bientôt sous son aile, selon le mode du donnant-donnant, l’hébergeant dans son gourbi contre de menus services, comme de livrer la came à ses clients.
Bonne école de dissimulation, la prison a appris à Wellington, alias Cleber, à mentir sur tout, à commencer par son prénom. Finalement, ce sera « Baby ». S’ensuit, dans les marges de Sao Paulo, une romance farouche, assez crue, entre l’ainé et le cadet en quête de familles d’adoption, pour tenter de survivre entre drogue et prostitution. Un micheton des beaux quartiers s’éprend de Baby jusqu’à lui offrir des fringues et un iPhone, mais sur le point de l’emmener en voyage à la découverte de Rio, il le largue à l’instant même où il pige que son protégé est un gentil voyou.
La relation heurtée, conflictuelle, avec l’égoïste et possessif Ronaldo, dessine un mélo que d’aucuns jugeront à la fois sulfureux et complaisant. Dans son réalisme brut, le second long métrage de Marcelo Caetano a pourtant le mérite de brosser un « portrait de ville » authentique, dans sa noirceur sordide autant que dans ses charmes vénéneux. Souvent tournés en caméra cachée dans son propre quartier, les extérieurs de Baby dévoilent les bas-fonds de la ville selon un vérisme quasi-documentaire. Il n’est pas indifférent que Marcelo Caetano, natif de Belo Horizonte et anthropologue de formation, ait travaillé naguère aux côtés de l’excellent cinéaste Kleber Mendonça Filho, dont le film Aquarius (2016) figurait quant à lui, sous le masque de la fiction, une remarquable peinture de la ville de Recife, suivi en 2019 par Bacurau, Prix du Jury à Cannes cette année-là, un très étrange thriller d’anticipation qui avait pour toile de fond le Sertao brésilien. Tous deux ont été distribués en France ; on peut encore les trouver en DVD. Autant dire que Caetano a été à bonne école.
Baby. Film de Marcelo Caetano. Avec Joao Pedro Mariano et Rirardo Teodoro. Brésil, France, Pays-Bas, couleur, 2024. Durée : 1h47
Lors des dernières élections générales outre-Manche, l’arrivée du nouveau parti de Nigel Farage, Reform UK, qui se positionne comme le rival populiste des Conservateurs, a divisé le vote à droite de l’échiquier et permis aux Travaillistes de remporter une victoire encore plus spectaculaire. Depuis, Farage poursuit son objectif de remplacer le Parti conservateur comme force d’opposition principale au socialisme. Pourtant, ses ambitions risquent soudain d’être contrecarrées par des dissensions au sein de son parti. Explications.
Le 7 juillet 2024, le Parti conservateur britannique a subi son pire résultat électoral de l’ère moderne. Après avoir obtenu une majorité de 80 sièges sous Boris Johnson lors de l’élection de décembre 2019, le nombre de députés conservateurs est passé de 365 à un misérable 121, soit le plus faible nombre de sièges remportés par le parti lors d’une élection depuis sa création officielle au début du XIXe siècle.
Cette performance électorale désastreuse s’explique facilement par l’exaspération évidente de l’électorat face aux querelles internes des conservateurs, combinée à la colère suscitée par l’abus des restrictions Covid par certains ministres, alors que la population respectait scrupuleusement la loi. Mais surtout, l’électorat a été profondément écœuré par l’incapacité totale des conservateurs à tenir leurs promesses après 14 ans au pouvoir, qu’il s’agisse de la réduction des inégalités territoriales ou de la gestion de la crise migratoire au Royaume-Uni.
Reform UK, la relève du BrexitParty
Cependant, bien que le résultat des élections ait permis au Parti travailliste d’obtenir une large majorité, il ne reflète pas un basculement massif vers la gauche. En réalité, de nombreux électeurs conservateurs de 2019 ont tout simplement abandonné leur parti, préférant voter pour le nouveau parti alternatif de droite, « Reform UK », ou tout simplement « Reform ».
Lorsque le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne en janvier 2020, le « Brexit Party » (Parti du Brexit), fondé par le « Monsieur Brexit » Nigel Farage, s’est en grande partie dissous, donnant ainsi naissance à Reform. Une fois le Brexit accompli, M. Farage estimait avoir atteint l’objectif politique de sa vie en faisant sortir la Grande-Bretagne de l’UE. Il s’est alors retiré de la politique active pour poursuivre une carrière plus lucrative dans le journalisme télévisé et s’est forgé une image médiatique en participant à l’émission de téléréalité I’m a Celebrity… Get Me Out of Here! (une sorte de Koh-Lanta à la britannique).
Pendant ce temps, l’ancien parti du Brexit s’est transformé en Reform UK et a commencé à recruter des adhérents. Lorsqu’en mai 2024, Rishi Sunak a convoqué des élections, le parti, sous la direction de Richard Tice, enregistrait régulièrement environ 16 % des intentions de vote.
Se positionnant à droite de l’échiquier politique britannique, le parti a pour raison d’être de briser le monopole de ce qu’il appelle l’« uniparti » – la domination de la politique britannique par un consensus libéral entretenu par les gouvernements travaillistes et conservateurs successifs (l’équivalent de ce qu’on appelait en France « UMPS »).
Au début de la campagne électorale, tous les indicateurs suggéraient que, bien que Reform soit susceptible d’obtenir ses 16 % de suffrages – un score très honorable pour un jeune parti – il serait néanmoins désavantagé par le système électoral britannique, appelé « first past the post » ou scrutin majoritaire uninominal.
Le retour de Nigel Farage
Avec un œil sur son ami Donald Trump aux États-Unis et l’autre sur la possibilité de continuer à bouleverser le statu quo politique au Royaume-Uni, Nigel Farage était tiraillé entre deux voies : rester dans le journalisme ou revenir sur le devant de la scène politique. Après un spectaculaire revirement en 24 heures, Farage a choisi la seconde option. Il est ainsi revenu dans l’arène politique tout en s’installant lui-même à la tête de Reform, avec l’accord apparent du précédent leader, Richard Tice. Cette décision a secoué la campagne électorale, et Farage a essuyé quelques agressions, recevant un milkshake puis une brique lancée contre lui lors de deux incidents distincts.
Néanmoins, sa présence dans la campagne a considérablement renforcé les chances de Reform d’obtenir une représentation parlementaire. Ainsi, le 7 juillet 2024, Nigel Farage a été dûment élu à la Chambre des communes en tant que député de Clacton, une petite ville balnéaire du sud-est de l’Angleterre. Après quatre tentatives infructueuses pour entrer au Parlement, Farage avait enfin réussi. Il a également été rejoint par quatre autres députés : Richard Tice, Rupert Lowe, Lee Anderson et James McMurdock.
M. Lowe, un nouveau visage en politique britannique
Depuis les élections, l’un de ces cinq députés s’est distingué par ses performances parlementaires exceptionnelles, recevant des éloges de la part des commentateurs politiques de tous horizons pour ses discours, ses questions percutantes et son travail acharné : Rupert Lowe.
Rupert Lowe. DR.
M. Lowe n’est pas un homme politique de carrière. Diplômé d’un internat puis de l’université de Reading, cet homme d’affaires de 67 ans a commencé sa carrière dans le secteur financier, autrement dit la City, travaillant pour plusieurs institutions bancaires et siégeant au conseil d’administration du London International Financial Futures Exchange. Marié et père de quatre enfants adultes, il est aujourd’hui impliqué dans plusieurs affaires commerciales, notamment Alto Energy, une entreprise spécialisée dans la fourniture de pompes à chaleur géothermiques pour un chauffage efficace et bas-carbone, ainsi qu’un investissement dans Kona Energy, qui développe des projets de stockage d’énergie par batterie pour améliorer l’intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique.
En tant qu’homme politique, il a attiré l’attention du public pour la première fois en septembre lors de son discours percutant à la conférence de Reform. Cette allocution, abordant des sujets tels que l’ingérence du gouvernement, l’économie, l’immigration et l’érosion de la liberté d’expression, a été très bien reçue par le public, au point qu’il a été considéré comme la vedette de l’événement, éclipsant ainsi Farage lui-même. Couplé à ses puissantes interventions parlementaires et à la manière éloquente dont il communique ses valeurs et aspirations pour la Grande-Bretagne à travers de nombreuses interviews et podcasts, cela a conduit de nombreux membres du mouvement Reform à le voir, plutôt que Farage, comme un futur Premier ministre du Royaume-Uni.
Après les élections, la popularité du nouveau gouvernement travailliste a baissé rapidement à cause de leurs premières décisions concernant l’économie et les impôts. Cela, en plus du charisme de Messieurs Farage et Lowe, a contribué à augmenter la popularité de Reform. Actuellement, les sondages d’opinion placent régulièrement Reform en seconde position, sinon en première.
L’interview qu’il ne fallait pas donner
Cependant, l’élan que Reform avait accumulé a été stoppé net. Dans une interview publiée dans le Daily Mail le 6 mars, Rupert Lowe a critiqué le leadership de Farage, qualifiant Reform de « parti de protestation dirigé par le Messie ». De telles critiques au sein du Parti Reform ne sont pas nouvelles. En effet, un ancien vice-président, Ben Habib, avait déjà exprimé des plaintes au sujet de la concentration de pouvoir dans le parti entre les mains de Farage. Par conséquent, il a été écarté de manière brutale.
Interrogé sur les déclarations de Lowe, Farage a immédiatement contesté les accusations de ce dernier, en suggérant qu’elles étaient motivées par ses ambitions politiques. Toutefois, les conséquences pour Rupert Lowe ne se sont pas arrêtées là. Le 7 mars – le jour suivant la publication de l’article – le parti a signalé M. Lowe à la police pour des menaces verbales proférées contre le président du parti, Zia Yusuf, en décembre 2024 et février 2025, et sa suspension du parti a été immédiate. De plus, le parti a nommé un avocat indépendant pour enquêter sur des allégations de harcèlement au sein du bureau parlementaire et de celui de la circonscription de M. Lowe. Depuis lors, il y a eu un enchaînement sans fin d’accusations et de dénégations, l’équipe parlementaire de M. Lowe publiant une déclaration qualifiant Lowe d’« homme décent et honnête ».
Les enquêtes susmentionnées sont encore en cours, mais quelle qu’en soit l’issue, l’avenir de Lowe au sein de Reform semble définitivement compromis. L’actuel vice-président, Richard Tice, a laissé entendre que la situation était devenue intenable. Le responsable de la discipline parlementaire de Reform a déclaré que le parti « ne peut pas fonctionner » avec Lowe comme membre en raison de son manque de coopération dans l’enquête sur son comportement. Les alliés de M. Lowe affirment que tout cela ressemble à un assassinat politique. Le chaos au sein du parti, suite à ce scandale, semble sans fin, avec des responsables locaux de circonscription démissionnant les uns après les autres.
Bien que cela profite également au Parti travailliste au pouvoir, les véritables vainqueurs seraient les Conservateurs. Ils se retrouvent face à une occasion en or : récupérer les électeurs qu’ils avaient perdus à cause de Reform en assimilant en partie la rhétorique et les politiques populistes de ce dernier. En auront-ils le courage ?
Dans La Vérité sur le Hamas et ses idiots utiles, Michaël Prazan retrace l’histoire de la confrérie islamiste à vocation terroriste et pointe la naïveté des Occidentaux qui l’a laissé propager son idéologie mortifère et antisémite au nom de la « résistance » palestinienne. Selon lui, l’islamisme prospère partout où l’éducation régresse.
Causeur. Nous avons tous en tête le visage de deux petits rouquins et de leur mère, Kfir, Ariel et Shiri, suppliciés par leurs ravisseurs. Au-delà de l’effroi et de la rage, qu’est-ce qu’un connaisseur du Hamas comme vous a appris de cette tragédie ?
Michaël Prazan. Quel enseignement tirer d’un mouvement terroriste qui ment, use du sadisme comme politique et délivre des diplômes à des gens qui qu’il a brimés, torturés, affamés ? Quel enseignement tirer de l’assassinat à mains nues d’un nouveau-né ? De son visage arraché sur les murs de nos villes ? Je l’ignore, si ce n’est que le mal, l’inhumanité, existent, et que l’antisémitisme, dans sa forme génocidaire la plus pure, n’a pas disparu après la Shoah. Lors du pogrom de Iasi, les Roumains pendaient les bébés à des crocs de bouchers. Les Einsatzgruppen, les commandos mobiles de tueries nazis, jouaient au ball-trap en lançant les bébés en l’air avant de leur tirer dessus.
À Gaza, le frérisme est clairement djihadiste. Les Frères musulmans ont-ils toujours partie liée avec le terrorisme ?
Le terrorisme est consubstantiel au frérisme. Dès l’origine, en marge de son parti politique, Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, crée un « appareil secret ». C’est ce versant clandestin et terroriste, d’ailleurs en partie financé par le parti nazi en Allemagne, qui va perpétrer des attentats, assassiner des dirigeants politiques égyptiens, fomenter des pogroms dans les quartiers juifs du Caire, dès la fin des années 20. Rappelons que la Gamma al-Islamiya et Al-Jihad, les deux organisations qui ont fait assassiner le Président Sadate, sont nées au sein des Frères musulmans, de même, un peu plus tard, qu’Al-Qaïda.
L’alliance entre le Hamas sunnite d’un côté et, de l’autre, le Hezbollah et le régime iranien chiites peut sembler curieuse. À Téhéran, on n’aime guère Al-Qaïda qui a volé la vedette aux mollahs.
En réalité, des liens se sont tissés dans les années 1950 entre les Frères musulmans et une organisation islamiste chiite iranienne dirigée par Navvab Safavi. Les deux organisations fusionnent en 1954 au Caire. Un an plus tard, Safavi tente d’assassiner le Premier ministre iranien, il est arrêté et exécuté. Ses fidèles se trouvent un nouveau leader, dans la personne d’un ayatollah banni appelé Khomeini, qu’ils initient à la pensée de Sayyid Qutb, le grand idéologue des Frères musulmans égyptiens, lui-même pendu par Nasser en 1966. Pour Khomeini, c’est une révélation, à telle enseigne que, arrivé au pouvoir, il prend deux décisions : la première est de frapper un timbre à l’effigie de Sayyid Qutb, la deuxième, de transformer l’ambassade d’Israël en ambassade de Palestine parce qu’il comprend immédiatement que cette question est la plus fédératrice.
L’antisémitisme accompagne l’islam depuis les origines, mais il y a eu aussi une cohabitation heureuse. Est-ce le frérisme qui change la donne et fait des juifs les ennemis prioritaires ?
En effet, pour la bonne raison que la première génération des Frères musulmans adhère à la propagande nazie très active en Iran et en Égypte. Les Allemands y dirigent des écoles techniques et agronomiques, ainsi que des médias, qui deviennent des lieux de propagation de l’antisémitisme nazi. Les Frères balayent le soufisme qui était certes minoritaire, mais très répandu et estimé au Maroc et en Égypte, par exemple. Ce sont des gens convaincus, prosélytes et déterminés. Partout où ils s’installent, au Moyen-Orient, au Maghreb et, à partir des années 1980, en Europe et en Occident, ils ont pour vocation de réislamiser les populations musulmanes sur un mode fondamentaliste.
Leur haine des juifs est-elle d’abord politique ou métaphysique ?
Ils ont une vision paranoïaque et complotiste du monde. Ils pensent très sincèrement que l’objectif de l’Occident, c’est de détruire l’islam et que cette volonté est manipulée par les juifs. Une anecdote illustre clairement cette paranoïa. En 1949, Sayyid Qutb se trouve au Colorado, où on l’a envoyé étudier, et le soir de l’assassinat de Hassan Al-Banna par la police politique du roi Farouk, il voit dans la rue les Américains qui crient victoire et s’embrassent. Il est persuadé qu’ils célèbrent la mort d’Al-Banna, dont aucun Américain ne connaît le nom. Il y avait peut-être eu un Superbowl ! Et ça continue. Sur la page Wikipédia « Gaza », on lit que, dans les années 1920, les juifs essayaient d’empoisonner les puits.
Puis la création d’Israël est un nouveau défi pour les Frères…
Leur projet, c’est la reconstruction du califat islamique du Maroc au Pakistan. La place d’un État juif dans cet espace est inconcevable. Dès la guerre israélo-arabe de 1948, ils organisent des bataillons Frères musulmans qui sont décimés, parce qu’ils ne sont pas du tout préparés au combat. Mais ils ne savent pas encore quel discours adopter. C’est Navvab Safavi qui leur fournit un narratif en expliquant que la question israélienne concerne l’oumma entière. Tous les musulmans doivent combattre cette pustule juive, parce que la terre de Palestine est un bien sacré de l’islam.
Comment les Israéliens se sont-ils laissés prendre à de beaux discours, y compris ceux de Yahya Sinwar dont vous racontez comment il a joué les repentis ?
C’est une vraie question. Quand je parlais avec des Israéliens, ou d’ailleurs avec des Égyptiens, j’avais l’impression qu’ils ne savaient pas du tout à qui ils avaient affaire. Ils voyaient le Hamas comme un mouvement nationaliste palestinien, sans comprendre les Frères musulmans et leur projet. Du reste, en France, la même naïveté a prévalu. Les Frères musulmans, qui s’installent en France à partir de 1980, sont habillés en costume-cravate, paraissent respectables, ils ont des diplômes. On leur déroule le tapis rouge.
Le Hamas s’est imposé par la violence à Gaza. Y a-t-il eu des alternatives étouffées ?
Une seule fenêtre s’est brièvement ouverte après les accords d’Oslo. Mais ni Arafat ni le Hamas ne toléraient la contestation, donc s’il y avait des oppositions, elles ont été bâillonnées ou éliminées. En réalité, chaque fois qu’une opposition naît au sein du mouvement national palestinien, elle n’est pas plus démocratique, mais toujours plus radicale. En 2010, je me trouvais à Gaza et j’ai découvert l’existence d’une opposition armée au Hamas : c’était Al-Qaïda.
La singularité française, c’est l’existence d’un parti de gauche qui a quasiment épousé la cause frériste. L’opportunisme électoral est-il vraiment la seule explication ?
Ça a commencé comme ça, puis c’est devenu non seulement une conviction, mais une idéologie islamo-gauchiste, puis antisémite. Dans la deuxième partie de mon livre (les « idiots utiles »), j’essaie de comprendre cette dérive.
Elle reste en partie mystérieuse. Mélenchon fustigeant « nos ennemis » devant le cercueil de Charb, c’était il y a dix ans.
Oui, il s’en prenait aussi aux filles voilées. Cette cohérence bascule à 180 degrés après Charlie Hebdo. Il s’agit d’abord de faire voter les banlieues en tapant sur les « sionistes ». Il y a aussi le ressentiment de Mélenchon. Il était le plus sioniste de la gauche du PS. Or, pendant la manifestation en hommage à Mireille Knoll, il doit être exfiltré alors que le RN peut manifester. Il se sent trahi par les juifs. À partir de là, il va de plus en plus loin dans les signes envoyés. Enfin, la sédimentation idéologique s’opère lors du passage du Front de gauche à LFI. Arrive une nouvelle génération de jeunes façonnés dans le militantisme antisioniste, qu’ils soient issus du féminisme radical, des black blocks ou du décolonialisme. Ils donnent le la.
La France s’habitue-t-elle à l’antisémitisme ?
Il y a une certaine indifférence. Le 7 octobre 2023, j’appelle ma production, où ne travaillent que des femmes charmantes dénuées de tout antisémitisme. Je suis stupéfait par leur réaction. Elles me plaignent, parce qu’elles savent que je suis Juif, mais ne se sentent absolument pas concernées.
Beaucoup de Français pas du tout antisémites ne voient pas qu’ils sont attaqués par les mêmes ennemis qu’Israël et, dans le fond, le sort des juifs n’est plus vraiment leur affaire.
Pourrait-on assister à la deuxième disparition du monde juif européen (cette fois par l’exil) ?
C’est en cours. Le nombre de juifs en Europe, et surtout en France, diminue d’année en année. J’ai assisté à la naissance de ce phénomène quand j’étais enseignant en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, entre 2000 et 2004. En 2000, l’Intifada al-Aqsa provoque une brève explosion de fièvre antisémite, une quinzaine de jours. Juste après, le 11-Septembre suscite chez nombre de jeunes une adhésion enthousiaste. Mes élèves noirs sont sous le charme de Dieudonné et mes élèves musulmans sous celui de Tariq Ramadan. Et je vois mes élèves juifs quitter le public pour des écoles juives. Dans la foulée, les petites classes moyennes blanches qui vivaient dans ces quartiers partent aussi. Lorsque j’étais tout jeune prof, toutes mes élèves musulmanes avaient une meilleure amie juive. Une fois les juifs disparus du quartier, ces derniers deviennent un fantasme. On ne les fréquente plus, on ne vit plus avec eux, ce qui laisse libre cours à une fantasmagorie bassement antisémite ou complotiste.
La chute du niveau encourage ce complotisme, qui est acclimaté par les familles mais aussi par toute une clique d’associatifs, médiateurs et autres militants subventionnés.
La baisse du niveau scolaire, continue depuis quarante ans, est une donnée fondamentale. Elle favorise la prédation intellectuelle de pédagogues sociologisants qui ont la main sur certains ouvrages scolaires. Les classes générales sont relativement épargnées, mais dans les classes techniques et professionnelles, où les élèves sont très majoritairement noirs et arabes, on leur serine du matin au soir qu’ils sont des victimes, qu’on les discrimine, que la France est raciste. Un jour, je surveillais le bac français dans une classe technique. On leur avait donné à analyser Lily de Pierre Perret. Très jolie chanson, mais quand ces élèves entendent qu’« une blanche vaut deux noires », cela les conforte dans leurs certitudes victimaires. Quelle est l’intention qui se cache derrière ce choix ?
En tout cas, en Europe et dans le monde arabe, le frérisme et l’antisémitisme semblent en passe de gagner la bataille des esprits et des cœurs musulmans. Résultat, tout processus démocratique dans un pays islamique a des chances d’amener des islamistes plus ou moins fanatisés au pouvoir…
On a une vision complètement délirante du monde arabe et de la démocratie. La démocratie ne consiste pas à mettre un bulletin dans l’urne. Dans un pays comme l’Égypte, où un tiers de la population est analphabète, quel est le sens du vote ? Toute une population est captive pour le clientélisme des Frères musulmans, qui sont très populaires, car ils font office de sécurité sociale : l’aide sociale, le soin, l’assistance aux plus faibles, c’est ce qu’ils font depuis toujours. Si le pouvoir éradiquait les Frères musulmans, le pays sombrerait un peu plus dans la pauvreté, voire la famine et Al-Sissi le sait.
Cependant, certains pays musulmans comme le Maroc ou l’Arabie saoudite parviennent à enrayer la fixette judéo-israélienne.
Si vous le dites… En réalité, ces pays combattent l’influence des Frères musulmans plus que l’antisémitisme qui continue à prospérer. Dans beaucoup de pays arabes, l’opposition à l’islamisme est elle aussi fondamentalement antisémite et antisioniste. Ces pays peuvent basculer à tout instant.
Il y a aussi chez les Israéliens et chez les juifs des cinglés, des fanatiques, voire des gens animés d’arrière-pensées génocidaires… Faut-il redouter que leur influence s’étende ?
Oui, et c’est exactement ce que veut le Hamas. À chaque fois qu’une vague ouverture est apparue, le Hamas a envoyé quantité de bombes humaines sur les territoires israéliens. Et l’un des objectifs du 7-Octobre était d’enterrer la solution à deux États et d’ouvrir un boulevard à cette extrême droite qui pense que le territoire d’Israël est défini par le cadastre biblique et encourage des colons fondamentalistes.
Il y a évidemment une volonté de revanche décuplée par le sadisme et le cynisme du Hamas. Mais aussi, il faut le reconnaître, un mépris endémique des Arabes qui remonte à loin. Chez les juifs orientaux, c’était sur le mode « nous, on les connaît ». Avec l’arrivée de populations russes et est-européennes qui avaient baigné dans une forme de racisme culturel, ça s’est radicalisé. Certains n’ont aucun scrupule à dire qu’il faut exterminer les Arabes.
Et Trump les caresse dans le sens du poil en leur faisant miroiter un illusoire déplacement massif de population…
Veut-il flatter les extrémistes israéliens ou la branche dure du mouvement chrétien américain ? En tout cas, c’est une idée parfaitement absurde. Si vous voulez faire tomber les régimes en Égypte et en Jordanie – deux pays qui ont fait la paix avec Israël –, et y amener au pouvoir des Frères musulmans, vous n’avez qu’à envoyer à chacun 900 000 Palestiniens. Même en balayant toute considération morale, c’est un risque faramineux. En revanche, il est clair que les deux États, c’est fini. Cette vieille lune n’a plus cours que dans l’esprit des Européens.
Michaël Prazan, La Vérité sur le Hamas et ses idiots utiles, L’Observatoire, 2025.
Le gouvernement va envoyer un kit de survie à tous les foyers français d’ici l’été. Avec un livret qui détaillera les bons gestes à adopter en cas de conflit armé ou de crise sur le sol français.
Ainsi, grâce à l’oppressante incertitude des temps, voilà donc l’industrie du couteau-suisse relancée en même temps que celle du canon César et du missile à tête chercheuse. Couteau suisse dont on espère qu’il serait de fabrication française, bien sûr, car il ferait beau voir que, sur ce point essentiel, nous soyons dépendants de l’ingénierie helvétique comme nous l’avons été si longtemps, en matière de défense, du paternel bouclier made in USA.
Parer à toute éventualité
D’ici l’été, laissent entendre des gens du gouvernement, chaque Français devrait recevoir son kit de survie. Enfin l’intitulé n’est pas encore défini. Sans doute faudra-t-il quelques réunions interministérielles pour en décider, à moins qu’en très haut lieu on ne décide de s’en remettre à la voie référendaire, puisque dans une récente allocution ce recours avait été évoqué. De même pour le type exact de couteau : le modèle de base à six lames ? Ou l’engin de compétition à quinze fonctions ? Évidemment, selon le choix final, le budget n’est pas le même. La bonne vieille question du nerf de la guerre, comme toujours, que voulez-vous…
Remarquez, s’en remettre au référendum serait, pour le chef de l’État, une excellente occasion de montrer aux populations – ébahies pour le coup – que – une fois n’étant pas coutume – on convertit enfin les paroles en actes.
En fait, pour que l’opération soit parfaitement menée, il serait opportun que le kit en question – couteau suisse, lampe de poche, petite radio à piles (éventuellement bloquée sur la fréquence d’état afin que les esprits ne s’égarent point et n’aillent pas battre la campagne) – pansements, compresses, guide de conseils en vingt pages – parviennent en tout début de saison estivale, juste avant le départ en camping pour les aventureuses équipées cévenoles ou quercynoises. Là, on aurait moins l’assurance que la panoplie du parfait Robinson pourrait servir à quelques chose.
« L’objectif est de dire aux Français de se préparer à toute éventualité et non pas qu’à un conflit armé, précise un membre du gouvernement se voulant rassurant. La doctrine française étant la dissuasion, il serait contre-productif de se focaliser uniquement sur le conflit armé et mettre uniquement cela dans la tête des Français. » En effet, ce serait faire l’impasse sur des circonstances autrement plus réjouissantes telles que le retour d’une pandémie type Covid, les crues monstres jusqu’aux à sourcils du zouave du pont de l’Alma, les pluies de sauterelles, les eaux des fleuves transformées en sang, les grenouilles partout, par milliards, les ténèbres pour trois jours, bref toute la lyre des antiques plaies à l’égyptienne.
Résilience
Aussi s’agit-il, dit encore le gouvernement, « d’assurer la résilience des populations ». Ah, le beau mot de résilience ! Avec ces autres mots que sont partage, convivialité, tolérance et vivre ensemble, il est un des incontournables de la logorrhée politicienne du moment.
Résilience : « capacité à surmonter les chocs traumatiques » nous explique le dictionnaire. Se pourrait-il qu’au sommet de l’État on en soit arrivé à considérer que, après quelque sept années de macronisme, il serait grand temps de se pencher sur la question, justement, de « la résilience des populations » ? Ce serait là un indéniable progrès…
Opéra de Jean-Philippe Rameau dont le livret coécrit avec Voltaire en 1733 a été censuré pour son mélange de sacré et de profane, Samson est longtemps resté inachevé; il a été recréé en 2024 par Raphaël Pichon et Claus Guth pour le Festival d’Aix-en-Provence, avant d’être repris à l’Opéra-Comique avec une distribution en partie renouvelée. Loin d’être une simple reconstitution historique, cette production propose une mise en scène audacieuse qui confère à l’œuvre une intéressante modernité .
Jean-Philippe Rameau (1683-1764) n’a rien d’un génie précoce. Le compositeur dijonnais des merveilleuses Pièces et autres Suites de clavecin a déjà franchi la cinquantaine quand, savant théoricien, auteur émérite, par ailleurs, de plusieurs Traités de l’harmonie, il devient l’auteur incontournable de toute une série de chef d’œuvres lyriques, depuis Hyppolyte et Aricie (1733), Les Indes galantes (1735), jusqu’à Zoroastre (1740), en passant par Castor et Pollux (1737), Les Fêtes d’Hébé ou Dardanus (1739)… Avant que de suspendre mystérieusement, pour les quatre années suivantes, cette enfilade d’opéras. Plus tard encore, se seront toute une flopée de pastorales, opéras-ballets et autres tragédies lyriques, jusqu’à ces fameuses Boréales, chant du cygne ce celui qui est devenu le parangon du grand style français. Rameau s’éteint l’année même de cette ultime production ; il a 81 ans.
C’est dans ce contexte qu’il faut situer Samson, au livret duquel est associé Voltaire dès 1733, objet de dissension, dès l’abord avec le compositeur, mais censuré bientôt, sur fond de cabale janséniste, pour le caractère corrosif de cette intrigue mariant profane et sacré, et qui prend ses largesses avec la vérité biblique. Résultat, Rameau refuse d’imprimer la partition, et se réserve d’en recycler des morceaux pour de futures pages lyriques – ce qu’il fera abondamment.
Opéra – fantôme que ce Samson, donc, librement « recréé » pour le Festival d’Aix en Provence, en juillet dernier, par le maestro Raphaël Pichon à la tête de l’orchestre baroque Pygmalion (qui joue sur instruments d’époque), en duo avec un metteur en scène toujours très inspiré, Claus Guth. Coproduit avec l’Opéra-Comique, ce spectacle est repris à Paris, salle Favart, jusqu’au 23 mars, dans une distribution en partie modifiée. Fort heureusement, si la soprano roumaine Ana Maria Labin reprend ici pour le meilleur le rôle de Dalila que tenait Jacquelyn Stucker sur la scène de l’évêché aixois, si Julie Roset permute avec Camille Chopin l’emploi de « l’Ange » pour camper Timma à la place de Lea Desandre, si Achisch, le chef philistin, emprunte les traits de la basse Mirco Palazzi en remplacement de Nahuel Di Pierro, l’excellent ténor britannique Laurence Kilsby est, lui, reconduit dans l’inégalable incarnation du jeune Elon ; mais surtout, et c’est l’essentiel, le baryton Jarret Ott, malabar à la blonde crinière, assume à nouveau le rôle-titre. Avec une éloquence, une intensité, une délicatesse prodigieuse, dans un phrasé tellement impeccable qu’on peine à le connaître pour américain ! Il faut l’entendre chanter, dans un vibrato presque murmuré, l’aria sublime du troisième acte : « soleil, cache à mes yeux tes feux étincelants./A mon peuple, livré aux plus cruels tourments, / offre seul dans la nuit l’éclat de ta lumière ». Ou encore, à l’acte IV, dans la scène où Dalila, prostituée aux philistins, ne le séduit que pour lui arracher le secret de sa force invincible, avouer que « sans l’amour et sans les flammes/ Tous nos beaux jours sont perdus. / Les vrais plaisirs ne sont dus/ Qu’à l’ivresse de nos âmes ». Puis, sacrifiantaux ardeurs sournoises de l’hétaïre, se confier au sommeil qui lui sera fatal : « Cédons à ce charme invincible : mes yeux en se fermant, s’abandonnent à la beauté »…
La régie de Claus Guth ne fait pas l’économie d’ébats érotiques à la sauvagerie tout à fait animale mais dans lesquels, n’en déplaise aux vestales du woke, la Femme n’est point victime, mais vénale, allumeuse, violeuse, manipulatrice – quand bien même le remord la conduira au suicide – il y a une justice sur cette terre ! Et l’Homme tout au contraire, à ses dépens : candide, vulnérable, confiant – mais vengeur in fine dès lors que la repousse de ses cheveux ravive son pouvoir herculéen ! Partie de l’Ancien testament, le Livre des Justes ne fait pas dans la propagande féministe : le metteur en scène en dispose d’éclairantes citations qui, tout au long du spectacle, s’impriment en bandeau sur une poutre massive. Le décor expose l’intérieur d’une demeure aristocratique d’époque classique, avec lambris et escalier d’apparat à rampe de fer forgé, dans l’état de ruine où, prélude à l’opéra, une cohorte de techniciens du bâtiment, casqués et outillés, évaluent le programme de restauration à effectuer sur l’édifice patrimonial. Au dénouement, on les verra y pratiquer des mesures au laser.
Métaphore, précisément, de l’entreprise de restauration d’une œuvre en quelque sorte spectrale, composite en tous cas, puisqu’elle combine quantité d’airs repris par Rameau dans des productions lyriques ultérieures, et coud habilement un livret qui, aux vers originaux de Voltaire, raccorde des éléments inventés, mais parfaitement homogènes au style du temps. Rien d’une reconstitution historique, en somme, même si la résurrection de ce Samson mort-né s’enracine dans le matériau prosodique de Rameau. Cet enchâssement anti-archéologique est donc porté par une scénographie aussi spectaculaire visuellement que stimulante dans ses intentions.
Sous les traits de la comédienne Andréa Ferréol, elle intègre la mère de l’élu de Dieu, laquelle revisite, sur le site même du Temple ravagé, la tragédie qui a vu son fils se tuer en se vengeant – attentat-suicide avant la lettre, à Gaza qui plus est s’il faut en croire la Bible ! Sans jamais tomber dans la facilité des actualisations factices ou tendancieuses, le « scénario » imaginé par Claus Guth avec l’aide d’Eddy Garaudel invente également le personnage d’Elon, l’ami traître à Samson, ainsi que la jeune Timna conquise par lui tel un trophée de guerre, ou encore l’Ange annonçant en prologue que « ce jeune enfant devra supporter bien des chaînes »… Le climax se noue après l’entracte, dans le martyre sanguinolent et christique du colosse aux yeux crevés.
Au pupitre, Raphaël Pichon fait sonner chœur et orchestre avec une amplitude sonore qui s’agrège de généreuses, tonnantes percussions, qui impriment à la partition une étonnante modernité.
A noter incidemment qu’on retrouve Claus Guth dans quelques jours à l’Opéra-Bastille, pour sa mise en scène de Il Viaggio, Dante, du très moderne Pascal Dusapin, également une commande Opéra de Paris/ Festival d’Aix-en-Provence, coproduite avec Le Saarländisches Staattheater Sarbrücken et les Théâtres de la ville de Luxembourg.
Pour en revenir au sieur Rameau, l’Auditorium de Radio France proposait, ce mardi 18 mars, une autre « tragédie lyrique » majeure du compositeur, mais en concert, pour le coup: Dardanus, dans une version revisitée en profondeur par ses soins en 1744. Représentation unique, sous les auspices de l’orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie, avec le Chœur de chambre de Namur, à la baguette le chef (et violon solo) franco-italien Emmanuel Resche- Caserta, issu des Arts Florissants et assistant musical de William Christie, et une distribution de bonne tenue – le ténor belge Reinoud Van Mechelen dans le rôle-titre… Concert ultérieurement diffusé sur France Musique et francemusique.fr
Et pour en finir avec notre Samson né de ses cendres, ceux qui n’auront pas eu la chance d’assister salle Favart à sa résurrection, peuvent se reporter sur Arte Concert où, dans sa distribution aixoise, la captation de l’opéra demeure visionnable en accès libre, et ce pour de longs mois encore…
Samson. Opéra de Jean-Philippe Rameau. Avec Jarrett Ott (Samson), Ana Maria Labin ( Dalila), Julie Roset (Timna), Mirco Palazzi (Archisch) , Laurence Kilsby (Elon), Camille Chopin ( L’Ange). Direction : Raphaël Pichon. Mise en scène : Claus Guth. Chœur et orchestre : Pygmalion Durée :2h40
Opéra-Comique, Paris. Les 19, 21 et 23 mars 2025
Dardanus, opéra de Jean-Philippe Rameau. Version de concert. Avec Emmanuelle de Negri, Marie Perbost, Reinoud Van Mechelen, Edwin Fardini, Stephan Macleod. Direction : Emmanuel Resche-Caserta. Chœur de chambre de Namur. Orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie. Durée : 3h05. Concert du 18 mars 2025 à l’Auditorium de Radio France, diffusé le 5 avril à 20h sur France Musique, puis disponible à la réécoute sur francemusique.fr
L’Opéra Bastille présente La Belle au bois dormant de Tchaïkovski, dans la mise en scène de Rudolf Noureïev, avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Une vision magnifique du conte de Perrault aux décors et aux costumes éblouissants.
L’Opéra de Paris reprend la Belle au bois dormant mise en scène par Rudolf Noureïev, que son professeur, quand le tout jeune homme prenait ses premières leçons à Oufa, appelait « le ballet des ballets ». Vision très partiale d’un maître à danser de province qui, certes avait levé la jambe au Théâtre Marie (le Marinsky, alors appelé Kirov sous la coupe soviétique), mais qui, en échouant en Bachkirie, n’en était que plus étroit d’esprit.
Un ouvrage d’apparat
La Belle au bois dormant est un ouvrage d’apparat, bien moins attachant, bien moins émouvant que Le Lac des cygnes, bien moins fantaisiste et rêveur que le Casse-Noisette, mais qui fut un succès immédiat lors de sa création à Saint-Pétersbourg en 1890.
Aussi élégamment écrit, aussi joliment chantourné que soit le conte de Charles Perrault dont seule la première partie a inspiré le ballet, ce dernier est fort pauvre sur le plan narratif. Faute d’action véritablement dramatique induisant des sentiments passionnés, et hormis la noirceur de la fée Carabosse, ses personnages trop convenus n’offrent aucun trait de caractère marquant. Et belle souvent, parfois un peu terne, la partition s’en ressent. L’ensemble n’est au fond qu’un étalage sans fin de défilés cérémonieux, de scènes de bal, de majestueuses polonaises, le tout généreusement agrémenté de révérences et de pâmoisons. Un drame limité à presque rien, des personnages à la psychologie d’oiseaux et d’insipides fées heureusement malmenées par une sorcière maléfique.
La seule grâce d’un baiser
Les seuls moments de vrai théâtre se résument à l’apparition de Carabosse avec sa suite de monstres, à l’endormissement d’Aurore et de toute la cour qui l’entoure. Puis à la découverte par le prince Désiré de ce château enchanté enfoui dans une jungle épaisse et oublié depuis un siècle, de tous ses courtisans et officiers en costumes du temps jadis, pétrifiés dans l’attente du réveil, et de l’adolescente assoupie dans le sillage de laquelle tous s’éveilleront miraculeusement par la seule grâce d’un baiser qu’elle a reçu.
Malheureusement, du cheminement du prince à travers le château endormi, pourtant plein de mystère et de poésie, tel qu’il a été mis en musique par Piotr Ilitch Tchaïkovski, et tel qu’il avait été voulu par l’auteur du livret, le prince Ivan Alexandrovitch Vsevolojski, Noureïev, qui a pourtant su se révéler ailleurs excellent metteur en scène à défaut d’être un chorégraphe inspiré, Noureïev n’a pas vraiment su tirer parti, ainsi que l’aurait fait sans doute le Jean Cocteau de La Belle et la Bête. Et l’effet théâtral et féérique qu’on eut pu tirer de ce moment fabuleux est quelque peu avorté.
Même chose pour l’acte du mariage d’Aurore et Désiré. Dans la version traditionnelle, telle qu’écrite par le librettiste et par le compositeur, les personnages des autres contes de Perrault, invités pour les festivités, exécutent des danses de caractère qui définissent leurs profils et qui donnent du piment à cet acte. Las ! Le chorégraphe a effacé la présence de la plupart d’entre eux. Ont disparu Cendrillon et le prince Fortuné, le Chaperon rouge et le Loup, le Petit Poucet et l’Ogre. Seuls subsistent le Chat botté et la Chatte blanche, l’Oiseau bleu et la princesse Florine. La séquence où l’Oiseau s’envole dans de magnifiques prouesses, ces prouesses qui en leur temps avaient fait la gloire de Nijinski et de Noureïev, est cependant terriblement affadie par ces sempiternels pas de deux si convenus que Noureïev n’a pas eu l’esprit d’alléger. Détruisant les effets d’ailes du bel oiseau, ils sont faits, ces duos assommants, pour mettre en valeur la ballerine.
Comme une curiosité d’un autre âge
En fait, pour regarder cette Belle au bois dormant en toute sérénité, pour accepter cet aimable, mais insipide chapelet de marches nobles, de danses de cour et de pâmoisons princières, il faudrait impérativement mettre de côté ses préventions, ses exigences, sa raison de spectateur d’aujourd’hui. Et considérer ces déploiements pompeux avec des yeux d’historien ou d’ethnologue. Voir ce ballet comme une curiosité somptueuse venue d’autres mondes, celui de la danse académique, celui de la cour impériale russe (même si la chorégraphie originale fut celle d’un Français, Marius Petipa) et des grands bals au Palais d’hiver. C’est à ce prix que cet ouvrage peut retrouver quelque crédit, malgré tous les ratés, toutes les regrettables omissions de la mise en scène à laquelle on aurait pu conférer un caractère autrement plus marqué.
Il n’échappera à personne que la majorité du public ne se pose guère de questions à ce sujet et paraît avaler le tout sans restriction aucune. À telle enseigne que pour renflouer les caisses de l’Opéra, l’on peut ouvrir la salle de l’Opéra de la Bastille à La Belle au bois dormant pour un nombre élevé de représentations (il y en aura une trentaine) qui feront salle comble, en mars et en avril, en juin et en juillet de cette année 2025.
Il est vrai que l’opulence de la production, que le nombre impressionnant de protagonistes sur la scène créent l’heureuse impression d’en avoir pour son argent. Et la somptuosité des décors, dus à Ezio Frigerio, l’élégance et la variété des costumes dessinés par Franca Squarciapino, taillés dans des étoffes aux teintes magnifiques, les lumières de Vinicio Cheli, les qualités enfin du Ballet de l’Opéra contribuent à en offrir une vision magnifique.
Un Versailles à la russe
Comme l’avait voulu l’auteur du livret, ce Vsevolojski, qui fut un brillant surintendant des théâtres impériaux à Saint-Pétersbourg au temps d’Alexandre III et de Nicolas II, l’action, pour la première partie du ballet, doit se dérouler dans un univers rappelant le Versailles de Louis XIV. Et pour la seconde, 100 ans plus tard, celui de Louis XV ou de Louis XVI. On se retrouve ainsi dans un palais Grand Siècle, mais ici et sans doute à la demande de Noureïev lui-même, revu dans le goût russe.
Si les éléments d’architecture rappellent d’ailleurs davantage les bâtiments d’Ange-Jacques Gabriel sous Louis XV que ceux de Le Vau ou Mansart sous Louis XIV, du classicisme français, on a partiellement glissé vers le rococo des tsarines Élisabeth et Catherine. En témoignent l’ornementation alambiquée des grilles du palais, les portes monumentales coiffées d’un lourd décor, les colonnes des portiques où s’enroulent des guirlandes vieil or, la surcharge des chapiteaux… L’ensemble est conçu pour éblouir. Et il est éblouissant.
Danseurs du corps de ballet, solistes, étoiles, sont tous de bonne race. Ils offrent cette haute tenue dans laquelle excelle le plus souvent la première compagnie de France. Mais rares sont les interprètes d’exception. Parmi les différentes distributions qui assurent les multiples représentations, celle que l’on découvrait le soir de la première représentation, aussi digne qu’elle ait été, n’était pas vraiment bouleversante. Seul l’Oiseau bleu d’Antoine Kirscher, sans être miraculeux comme le furent sans doute ceux de Nijinski ou de Noureïev, portait quelque chose d’un peu magique.
La Belle au bois dormant par le Ballet de l’Opéra de Paris.
Opéra Bastille. Jusqu’au 23 avril, puis du 27 juin au 14 juillet 2025.
À lire : Le programme du spectacle en vente à l’Opéra qui contient nombre d’articles sur la genèse et la création du ballet en 1890, les récits et commentaires de Nijinska et les adaptations que Rudolf Noureïev fit de La Belle au bois dormant.
Une femme est parvenue à contourner les limitations de ChatGPT et à faire de l’intelligence artificielle un compagnon possessif et protecteur, doux et grivois. Mais elle rencontre des difficultés inattendues.
En janvier, une femme de 28 ans, Ayrin (un pseudonyme) a confessé au cours d’un entretien avec le New York Times qu’elle était amoureuse d’un agent conversationnel ou chatbot. Une telle relation surprendrait moins de la part d’un de ces hommes qu’on appelle « incels » (ou célibataires involontaires), qui n’arrivent pas à trouver une copine. Mais c’est plus surprenant de la part d’une femme, et qui est déjà mariée à un homme en chair et en os ! La relation, à la fois émotionnelle et sexuelle, a commencé l’été dernier, quand elle a découvert sur Instagram le compte d’une jeune femme qui fait l’éloge des amants virtuels et explique comment en programmer et customiser un sur ChatGPT. Ayrin a enjoint à celui qui a pris le nom de Leo et qui l’appelle « minette » d’être « dominateur, possessif et protecteur. Doux et grivois en même temps. » Elle lui parle de ses soucis pro et perso et, contournant les règles de ChatGPT contre les contenus érotiques, entame des rapports (verbalement) sexuels. Pendant un temps, elle programme son amant pour la rendre jalouse en parlant d’autres femmes. Elle en est devenue si dépendante qu’elle a pris un abonnement mensuel illimité pour 200 dollars. À la fin de chaque mois, la version de Leo est effacée par le système, et elle est obligée de le reprogrammer. Elle serait prête à payer 1 000 dollars pour éviter le sentiment de deuil que cela lui occasionne. Mue par la culpabilité, elle met son époux au courant, mais le mari cocufié par l’IA refuse de prendre Leo au sérieux, y voyant un soutien émotionnel passager. Pourtant, Ayrin n’envisage jamais de rompre avec Leo.
Ce type de trouple est en train de se normaliser. En 2023, une mère de 36 ans, native du Bronx, se marie virtuellement avec un bellâtre créé par Replika, un système spécialisé dans ce domaine. En 2024, une Chinoise tombe amoureuse de DAN, un autre agent conversationnel de ChatGPT. Elle fait un voyage romantique avec lui et le présente à sa mère, convaincue que cette IA a développé une conscience de soi. Entre sa tendance à l’anthropomorphisme et son besoin d’empathie même illusoire, l’humanité moderne est-elle vouée, à l’époque de l’IA, à un égoïsme solitaire et stérile ?
Il n’y a pas que les activités illégales et le narcotrafic qui alimentent les réseaux terroristes, nous apprend la sénatrice UDI de l’Orne
Causeur. Madame la sénatrice, votre livre L’argent du terrorisme soulève des questions cruciales sur le financement des activités terroristes. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire cet ouvrage ?
Nathalie Goulet. À partir de 2011-2012, j’ai commencé à travailler sur la délinquance financière et la fraude fiscale. En 2014, j’ai lu un livre de David Thompson, journaliste, sur les Français djihadistes, notamment ceux qui se convertissaient à l’islam pour partir en Syrie et en Irak. J’ai alors réalisé que nous ne disposions pas des outils juridiques nécessaires pour lutter contre cette nouvelle menace. J’ai donc demandé et obtenu, en juin 2014, la création d’une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes, soit six mois avant les attentats de Charlie Hebdo.
En travaillant à la fois sur la fraude fiscale, l’évasion fiscale et le terrorisme, j’ai découvert qu’au croisement de ces deux domaines se trouvait le financement du terrorisme. En réalité, les terroristes exploitent les réseaux de la criminalité financière. Pendant la pandémie de Covid-19, lorsque les activités se sont ralenties, j’ai décidé de consolider tout le travail accumulé au fil des années : rapports, amendements, et une quinzaine d’années de travail parlementaire. Cela m’a semblé important.
Initialement, j’avais l’intention d’écrire un livre classique sur le financement du terrorisme, mais je n’y suis pas parvenue. Finalement, j’ai opté pour un format de dictionnaire, car il me paraissait plus clair et accessible. C’est ainsi qu’est née la version 2022 de L’Abécédaire du financement du terrorisme, que j’ai mise à jour cette année sous le titre L’argent du terrorisme. Bien que ce livre se concentre sur le terrorisme, les mécanismes et outils décrits sont les mêmes que ceux utilisés dans la grande criminalité financière.
Après les attentats de Charlie Hebdo, avez-vous observé un changement dans la politique et les actions menées au Sénat et à l’Assemblée nationale sur ces questions ?
Absolument. Le budget du ministère de l’Intérieur pour le Projet de loi de finances pour 2015, voté en novembre 2014, ne mentionnait même pas le mot « terrorisme ». J’étais alors intervenue au Sénat pour souligner que, bien que ce budget soit bon, il n’était pas adapté aux nouveaux défis auxquels nous faisions face. Nous étions donc avant les attentats de Charlie Hebdo. Après Charlie Hebdo et les attaques du Bataclan, la France a dépensé près d’un milliard d’euros pour rééquiper les forces de police, réorganiser les services de renseignement et sensibiliser les agents. Plusieurs lois ont été votées, notamment sur l’état d’urgence, dont certaines dispositions ont ensuite été intégrées dans le droit commun. Les coopérations internationale et européenne se sont considérablement améliorées. Les avancées les plus significatives dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale sont d’ailleurs survenues parce qu’il était nécessaire de lutter contre le financement du terrorisme, créant ainsi un cercle vertueux.
Quels sont les mécanismes les plus courants que vous avez identifiés en matière de financement du terrorisme ?
Je parlerais plutôt des mécanismes les plus ordinaires, c’est-à-dire ceux de notre vie quotidienne détournés à des fins criminelles :
Les cagnottes en ligne : une fois l’argent collecté, il peut être détourné de ses objectifs initiaux. Les services de renseignement surveillent désormais de près ces cagnottes.
La contrefaçon : ce phénomène est mal connu. L’achat de produits contrefaits (vêtements, médicaments, pièces détachées, jouets) alimente souvent les réseaux criminels et terroristes. Par exemple, le Hezbollah se finance en partie par la vente de faux produits, y compris des faux médicaments comme le Viagra, générant des millions de dollars chaque mois.
Le trafic de migrants : l’afflux de migrants en Europe alimente également des réseaux criminels dont une partie des bénéfices peut financer des activités terroristes.
En 2023, en France, 20 millions de produits contrefaits ont été retirés du marché : jouets, vêtements, produits de soin, denrées alimentaires… La contrefaçon coûte 26 milliards d’euros par an aux industries européennes, représentant 2,5 % du commerce mondial, soit 652 milliards de dollars. Cette forme de criminalité est particulièrement attractive pour les réseaux terroristes car les sanctions sont bien moins sévères que celles appliquées au trafic de drogue ou d’armes. Ce déséquilibre rend cette activité d’autant plus rentable.
En somme, ces mécanismes montrent que le financement du terrorisme repose souvent sur des activités économiques apparemment anodines mais aux conséquences profondes et inquiétantes.
Le terrorisme est donc aussi en lien avec le trafic d’êtres humains et de migrants ?
Le trafic d’êtres humains génère entre 5,5 et 7 milliards de dollars par an. C’est donc un marché énorme, dont fait partie, bien sûr, le trafic de migrants. Nous disposons de chiffres qui ne sont pas tout à fait récents. Dans la zone ouest, le passage d’un migrant coûte environ 2500 euros. Sur la route centrale, c’est 2220 euros. Quant à l’est de la Méditerranée, cela s’élève à 2200 euros. Cette année, plus de 4000 passeurs ont été arrêtés. Oui, 4000 passeurs ! Il y a une vaste opération d’Interpol qui s’appelle « Liberterra II », ayant conduit à 2500 arrestations l’année dernière, avec un procès-verbal du 6 novembre 2024. C’est donc tout récent.
Effectivement, il y a un lien direct entre le financement du terrorisme et le trafic de migrants. C’est particulièrement vrai avec Daesh, qui non seulement a organisé le trafic de migrants, mais a aussi orchestré un trafic d’organes. Ils ont émis une fatwa autorisant le prélèvement d’organes sur des apostats pour en faire profiter un musulman, considérant cela comme vertueux, ce qui a constitué un financement de leur économie.
Concernant le démantèlement des réseaux de trafic d’êtres humains, nous avons récemment eu de nombreux chiffres. Par exemple, en Espagne, le 23 février dernier, un réseau de trafic impliquant un millier de femmes colombiennes et vénézuéliennes a été démantelé. Et il y a aussi eu un trafic d’organes.
J’ai un autre chiffre à partager : en avril 2024, un réseau irako-palestinien a été arrêté à la frontière polonaise avec la Biélorussie. 36 membres de ce réseau ont été interpellés. L’enquête a révélé qu’en examinant les flux financiers, la somme des crypto-actifs s’élevait à 581 millions de dollars. De plus, les procureurs ont détecté un virement de 30 millions de dollars vers le Hezbollah et 13 millions vers le Djihad islamique palestinien.
Quelle est l’importance des crypto-monnaies dans le financement du crime organisé ?
Il s’agit d’un vecteur majeur, surtout qu’elles permettent de contourner facilement les sanctions internationales. L’Iran, la Russie, et d’autres pays utilisent largement les crypto-monnaies. Gaza et le Hezbollah, entre autres, en ont largement bénéficié. TRACFIN, notre service de renseignement financier, dispose désormais d’une équipe dédiée aux crypto-actifs. En outre, le texte sur la lutte contre le narcotrafic que nous avons récemment voté prévoit notamment de saisir des crypto-monnaies dans le cadre de certaines infractions. L’Europe a mis en place des directives, comme MiCA, pour un meilleur contrôle des crypto-actifs, mais je suis sceptique quant à leur efficacité, tout comme je suis assez critique envers les futures directives qui risquent, selon moi, de créer une cacophonie, laissant les fraudeurs continuer leur activité.
Sur ce point j’appelle à une action d’ampleur nationale pour la formation des responsables de la sécurité, police, gendarmerie, mais aussi des élus qui n’ont pas encore bien appréhendé ce phénomène qui est incontournable et doivent être en mesure de la comprendre pour mieux réprimer la fraude qui peut en découler de l’utilisation des crytos. Je prends le pari que moins d’un parlementaire sur 10 est capable de vous expliquer la blockchain…
Que pouvez-vous faire pour participer à la lutte du financement du terrorisme à votre échelle ?
Mon livre sera disponible en plusieurs langues, dont l’arabe et l’anglais. Il sort la semaine prochaine en arabe. Mon éditeur arabe a même choisi une illustration percutante pour la couverture, un dessin d’Emmanuel Chaunu – ce qui devrait avoir un bon impact. Le livre sera vendu principalement en ligne.
Il est parfois très difficile de se faire entendre sur des sujets comme la fraude et l’évasion fiscale, qui sont complexes et difficiles à appréhender. La commission d’enquête sur le narcotrafic a permis d’écrire des éléments intéressants, mais beaucoup de points étaient déjà bien connus de ceux qui travaillent sur ces questions. D’ailleurs, le rapport de cette commission d’enquête affirme qu’il n’est pas prouvé que la drogue finance le terrorisme, ce qui va à l’encontre de ce que le ministre de l’Intérieur avait affirmé. Cependant, je trouve que le travail de la commission a été un électrochoc salutaire.
En ce qui concerne le terrorisme qui est financé par la fraude, s’agit-il d’organisations terroristes, assez structurées, qui opèrent par exemple au Moyen-Orient, en Asie, ou est-ce qu’on parle aussi d’un certain financement des terroristes en Europe ? Et est-ce qu’il y a aussi de l’argent qui va dans le trésor d’organisations à tendance séparatiste, comme les Frères musulmans ?
Il y a bien sûr des financements qui vont à des organisations terroristes comme le Hamas, le Hezbollah, Boko Haram, Al-Qaïda. Ceux-ci sont identifiables. Mais, il existe aussi des financements, y compris en Europe, qui vont vers des organismes liés aux Frères musulmans. Ce ne sont pas des organisations terroristes à proprement parler, mais elles prônent des idées séparatistes. Et ce séparatisme est dangereux car il est très inflammable. Prenons l’exemple du tourisme halal. En théorie, il peut sembler acceptable : vous pouvez vouloir manger halal, porter un voile ou pratiquer votre foi comme vous l’entendez, ce qui est tout à fait respectable. Cependant, sur le terrain, dans certains endroits, comme en Ouzbékistan, où l’islam n’a pas une place aussi prépondérante, j’ai pu observer des phénomènes inquiétants. Par exemple, il y a quelques années, ils servaient de la vodka dans des théières pour ne pas exposer les bouteilles d’alcool. Et l’année dernière, dans un restaurant où je vais régulièrement, un panneau indiquait « halal ». Ce genre de phénomène peut facilement déstabiliser des sociétés où la culture et la religion sont en jeu, et alimenter des tensions qui préparent le terrain pour des radicalisations futures. Le chiffre d’affaires du tourisme halal atteint 126 milliards en 2022 avec une projection à 174 milliards de $ pour 2027. C’est un élément de séparatisme : ce n’est pas critiquable en soi, mais cela nourrit quelque chose qui est contraire à ce qui fait la société.
Quant aux Frères musulmans, j’y consacre un long article cette année. Lorsqu’on observe le nombre d’atteintes à la laïcité, le nombre d’incidents, comme cette personne assassinée l’année dernière pendant le ramadan simplement parce qu’elle buvait. C’est une forme de police des mœurs. Les organisations comme les Frères musulmans testent constamment la solidité de la République et ses limites. Et ces derniers sont malheureusement financés avec nos impôts parfois, et aussi par l’Union européenne. Au nom de la diversité, on finance nos propres ennemis !
La France peut-elle éradiquer le financement du terrorisme ?
D’abord, il faut que ce soit une action internationale, sinon cela ne fonctionnera pas. Ensuite, avec les fractures sociales actuelles, il est extrêmement difficile de faire entendre un discours cohérent.
Il y a le binôme Darmanin-Retailleau, qui représente une sorte de « dream team » sur la question du narcotrafic, mais cela ne suffira pas, parce qu’il faut des moyens de renseignement, des moyens judiciaires, des moyens policiers, de gendarmerie, ainsi que des moyens carcéraux.
Il faut travailler, non seulement sur le narcotrafic, mais sur le blanchiment d’argent et donc sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale qui sont au cœur de plusieurs dispositifs. Toute cette criminalité, qui semble parfois sans victime, est présente à l’échelle nationale, européenne et mondiale. Cela pose des problèmes diplomatiques car, par exemple, quand le président Trump prend la décision de supprimer l’identification des bénéficiaires effectifs des entreprises et libère totalement les crypto-actifs, on arrive dans un système complètement dérégulé. Cette dérégulation profite à des intérêts internationaux. En France, 12% des Français possèdent un portefeuille en crypto-actifs, ce qui est énorme.
Le blanchiment d’argent représente entre 2 et 5% du PIB, ce qui correspond à 2 000 milliards d’euros par an, 2 000 milliards qui échappent à l’économie réelle, aux écoles, aux infrastructures comme les routes, aux forces de l’ordre, aux armées…
Vous insistez également sur la question des milices d’extrême droite…
J’ai effectivement consacré un chapitre à ce sujet. Mais je tiens à préciser que ce n’est pas un chapitre où l’objectif est simplement de dénoncer. Je l’ai écrit parce que c’est un sujet d’actualité.
Existe-t-il une forme de résistance au sein même de l’appareil d’État ?
Oui, il existe une forme de conflictualité. L’audition du journaliste d’investigation Fabrice Arfi le 4 mars a été un rappel douloureux. Il a rappelé que nous devions être le seul pays en Europe, voire au monde, à avoir eu deux présidents et deux Premiers ministres définitivement condamnés pour atteinte à la probité. Il a également mentionné un ministre du Budget condamné pour fraude fiscale. Cela révèle un climat assez particulier… Cette audition était, en effet, très marquante. Mais c’est Fabrice Arfi, et j’apprécie beaucoup son travail.
Au niveau de l’UE, il y a la question du « Qatar Gate » au Parlement européen. Qu’est-il advenu des protagonistes ? On a trouvé un million et demi en espèces dans un bureau, et pourtant, il ne se passe rien. Il y a un vrai tabou sur cette affaire.
Avec Maman se suicide vendredi, Marianne Maury Kaufmann nous donne à lire un roman étonnant, vif et de haute qualité littéraire.
On la connaît comme illustratrice grâce à son personnage Gloria, hilarante petite bonne femme, citadine fantasque et attachante, à qui elle donne vie dans divers magazines français et belges. Mais on sait moins que Marianne Maury Kaufmann est un sacré écrivain ; une romancière à l’incontestable talent. La preuve : son dernier roman, Maman se suicide vendredi. Katia, la narratrice, apprend par Noémie, sa sœur, qu’elle n’a pas vu depuis des années, que leur mère, Claudie, veut mettre fin à ses jours vendredi.
Pour ce faire, elle a besoin de ses deux filles à ses côtés. Elle les convoque chez elle pour qu’elles l’assistent dans les funestes préparatifs. Claudie n’a pas été une femme facile : d’un caractère entier, elle est instable, autocentrée, dévorée par des douleurs intimes. Son instinct maternel en a pâti ; « ce n’est pas mon truc », disait-elle. Katia et Noémie le savent. La première a tout fait pour échapper à son emprise souvent délétère. Cette fois, elle n’a plus le choix. Elle doit se confronter au dernier choix de sa mère, tout en espérant que celle-ci va flancher au dernier moment et revenir sur sa terrible décision. Mais le compte à rebours est lancé. Les voilà toutes les trois dans cette maison à la laideur déprimante, pleine de vieilles choses et de tout aussi vieux souvenirs navrants. Claudie se couvre de patchs mortifères, elle s’endort. Pour toujours ? Les deux sœurs peinent à le croire. Katia choisit de contrôler régulièrement le pouls de sa génitrice. Elles sont obligées d’éteindre afin de ne pas éveiller l’attention des voisins : « Noémie voulait que nous éteignions tout, absolument tout dans l’appartement. Elle criait à voix basse, en brassant l’air de ses mains. Il fallait faire comme si nous partions, elle disait, tout éteindre et surtout claquer la porte, la claquer assez fort pour que les voisins entendent et s’imaginent que nous étions parties. » Les minutes passent ; les sœurs se remémorent des souvenirs, surtout ceux partagés avec la morte potentielle. Il y a des presque disputes, des vacheries, des sous-entendus. Puis des fous rires : « Comme quand nous étions petites. Nous riions comme on vomit, irrésistiblement, les yeux remplis de larmes, le ventre noué, à court d’air. (…) nous saisissions bien l’obscénité de la situation, notre pauvre mère dans son lit et nous dans ce rire infect, mais nous ne pouvions rien y faire. »
Katia apprend que sa sœur s’est adonnée à la cocaïne et à l’héroïne. Pour l’alcool, elle savait : « On en parlait à l’aise, avec les parents. C’était même un sujet qui nous rapprochait. Ça les amusait beaucoup, les adultes, cette attirance chez une fillette. Noémie était l’attraction, aux dîners. Ils lui faisaient goûter les cocktails. » Au fil des pages, on comprend – c’est certainement le moment le plus émouvant, le plus fort – que Claudie est une rescapée de la Shoah ; toute sa vie, elle était donc presque morte.
Un roman à la fois drôle et grave, écrit avec délicatesse et tendresse. Un texte très fort. Gloria peut être fière de sa créatrice.
Maman se suicide vendredi, Marianne Maury Kaufmann ; Maurice Nadeau ; 142 p.