Après un temps de flottement, le Hezbollah a finalement confirmé que son leader avait bien été tué à Beyrouth dans un bombardement israélien.
Au Moyen-Orient, la nuit de vendredi à samedi a été longue, et tous les regards étaient tournés vers le sud de Beyrouth. Juste avant 18h30, vendredi, d’énormes explosions ont retenti dans la capitale libanaise et dans ses environs. Une série de frappes de l’aviation israélienne a visé un pâté de maisons dans le quartier de Haret Hreik, cette banlieue sud fief du Hezbollah. 80 tonnes d’explosifs dont des munitions anti-bunker ont pulvérisé six bâtiments lui appartenant situés dans une zone résidentielle, et surtout le sous-sol abritant le QG principal de la milice.
Pourquoi Israël a pris un tel risque
Ce moment a été choisi car Israël disposait des renseignements indiquant la présence dans le lieu de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Le plus gros poisson imaginable, entouré des hauts gradés du Hezbollah et de l’Iran, dans un équipement militaire important. Voilà pourquoi Israël a pris le risque de tuer des centaines de civils dans l’opération. Très vite il était clair que Nasrallah était effectivement dans le QG. Mais, pendant la nuit, les informations diffusées étaient contradictoires. Ce n’est que tard ce samedi matin que la nouvelle a été confirmée : Hassan Nasrallah est bien mort. L’annonce de sa disparition, d’abord relayée par l’armée israélienne puis confirmée par le Hezbollah, marque l’aboutissement d’une semaine qui a bouleversé l’ensemble des cartes. Le scénario d’une guerre totale, qui n’était jusque-là qu’une hypothèse, est devenu une réalité pour la première fois depuis le 8 octobre 2023, lorsque le Hezbollah a décidé de s’engager dans le conflit avec Israël.
Tout le monde savait théoriquement que le rapport de force penchait nettement en faveur d’Israël, mais il est probable qu’aucun membre du Hezbollah ou de l’axe iranien n’ait anticipé que la milice, l’une des plus puissantes au monde, allait subir de tels revers – entraînant le Liban dans sa chute – en l’espace de quelques jours. Le Hezbollah a sans doute été victime du « syndrome de la victoire ». Convaincu que, depuis 40 ans, il remportait des succès contre Israël, le mouvement s’est retrouvé dans une situation similaire à celle de la France en 1940. Après une « drôle de guerre » de 11 mois, ceux qui avaient tiré les leçons de leurs échecs passés ont commencé à jouer leurs meilleures cartes.
L’erreur de Nasrallah
Nasrallah, pourtant fin connaisseur d’Israël, aurait sous-estimé la volonté de son ennemi de prendre des risques d’escalade au Liban. Il s’est également trompé sur Netanyahou. Il connaissait l’aversion de son adversaire israélien pour les conflits et les risques : Bibi est l’homme du « containment » et du « statu quo ». En 2014, Nasrallah l’avait observé reculer devant l’option qui s’offrait à lui d’élargir l’opération contre le Hamas au-delà de sa dimension aérienne. Il l’a testé et provoqué en 2023, sans réactions immédiates de la part de Netanyahou : lors d’un attentat raté commis par un homme du Hezbollah à l’intérieur des frontières d’Israël, la tentative d’assassinat d’un chef d’Etat-major pendant son jogging matinal à Tel-Aviv, et avec l’installation de tentes au nord de la barrière mais en territoire israélien. Enfin, lorsque les généraux israéliens et le ministre de la Défense ont souhaité frapper le Hezbollah, le 11 octobre 2023, c’est encore Bibi qui a réussi à bloquer l’initiative. Sauf qu’une fois contraint d’agir, ce même Bibi est prêt à aller loin pour mener l’opération selon ses propres conditions.
Cette erreur d’appréciation a conduit Nasrallah à s’accrocher à l’idée qu’il pouvait mener un conflit à la fois prolongé et limité dans son intensité. Il a dû croire que la dissuasion empêcherait l’escalade. Quelle qu’en soit la raison, il s’est enfermé dans une stratégie sans issue – pas de cessez-le-feu au nord sans cessez-le-feu avec le Hamas – sans jamais la remettre en question, malgré les efforts des Américains et des Français pendant de longs mois.
Ainsi, du jour au lendemain, le Hezbollah s’est retrouvé dans une position où il ne pouvait ni protéger ses militants, ni ses partisans, dont des centaines de milliers sont désormais déplacés. Il s’est humilié face à une population libanaise plus large qui lui était déjà hostile. En étant si confiant dans son pouvoir, malgré l’hostilité grandissante, le Hezbollah a renforcé l’idée qu’il pouvait garder tout le monde sous contrôle. Maintenant qu’Israël frappe durement le parti, il apparaît vulnérable.
Nasrallah s’est laissé enivrer par ses propres illusions et ses discours télévisés. Les expressions comme « unité des fronts » et « cercle de feu » ont masqué une réalité bien plus complexe. Toutes ces milices ne constituent pas une OTAN. Mal coordonnées, leurs capacités sont limitées par le fait qu’elles opèrent depuis des États faillis et en faillite.
De la même manière que le Hezbollah semble incapable de protéger ses hommes et ses partisans, la « maison mère », l’Iran, paraît également incapable de protéger ses alliés (sans parler de ses invités VIP, et de ses généraux). Et ce n’est pas de bon augure pour l’axe de la résistance.
Israël a une bonne longueur d’avance
Nous sommes loin du scénario de 2006. Il est désormais évident qu’Israël préparait cette guerre depuis 18 ans. Le pays a réussi à infiltrer la milice (et son mentor iranien) et semble tout connaître de son fonctionnement : son système de communication, ses cachettes, ses quartiers généraux, ses dépôts d’armes, et probablement ses plans et décisions. Ainsi, au moment opportun, Israël a réussi à décapiter le Hezbollah en quelques jours. La milice pro-iranienne semble aujourd’hui désorientée, comme en témoigne le temps qu’elle a mis à annoncer la mort de son chef.
Israël a également anéanti les paradigmes sur lesquels reposait la stratégie du Hezbollah. L’équilibre de la dissuasion, dont se vantait Nasrallah, la puissance d’un mouvement terroriste devenu guérilla, puis armée régionale, et le génie politique, militaire et stratégique inégalé de Hassan Nasrallah, l’un des hommes les plus influents du Moyen-Orient, ont tous été mis à mal. L’idée de « l’unité des fronts » est, elle aussi, réduite à néant dans la poussière de Beyrouth. Le Hezbollah est à terre, et ni Assad ni l’Iran ne semblent prêts à venir à son secours. Quant aux Houthis et aux milices irakiennes, il est difficile de voir ce qu’ils pourraient faire de plus.
Quant à la suite des événements, il est impossible de savoir ce qui se passe à l’intérieur du Hezbollah. Israël déploie son plan de guerre depuis quinze jours, mais on ignore à quel point ses milliers de frappes ont affaibli les deux piliers du Hezbollah : son arsenal de roquettes, missiles et drones, et ses unités d’infanterie. En d’autres termes, combien de ses 150 000 missiles et roquettes restent-ils opérationnels, et dans quel état se trouvent ses dizaines de milliers de combattants ?
Même décapité, il ne faut pas exclure la possibilité que le Hezbollah ait encore les moyens de mener des opérations contre Israël. À l’image du commandant d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, les cadres du Hezbollah auraient peut-être reçu des consignes à suivre en cas de rupture de communication avec le QG.
La société libanaise entre deux feux, Téhéran en mauvaise posture
Après le choc initial, le Hezbollah peut-il se relever ? Et, dans ce cas, sera-t-il plus sensible aux pressions de la société libanaise (y compris les chiites) qui, bien que solidaire de Gaza, ne souhaite pas cette guerre que le gouvernement libanais n’a pas approuvée ?
C’est à l’Iran de décider s’il accepte cette défaite, ou s’il tente de revenir dans la partie en provoquant une escalade. Le dilemme est cruel, car accepter une défaite signifierait reconnaître que la République islamique n’est qu’un tigre de papier, incapable de protéger ses alliés à Gaza et à Beyrouth. À l’inverse, stopper le massacre permettrait de préserver l’atout essentiel du Hezbollah, à savoir ses missiles de haute précision, supposés protéger l’Iran en cas d’attaque directe. Sans le Hamas et le Hezbollah, Israël et les États-Unis pourraient concentrer tous leurs efforts sur l’Iran, mettant en péril la survie du régime.
Les mollahs pourraient certes considérer qu’une riposte minimale est nécessaire pour rééquilibrer le rapport de force avant de négocier avec les États-Unis. Ils pourraient chercher à frapper symboliquement une cible facile, comme ils l’ont fait en 1992 et 1994, en Argentine. Cependant, malgré les tensions palpables entre MM. Netanyahou et Biden, les États-Unis ont clairement indiqué qu’ils ne resteraient pas les bras croisés face à une telle guerre. Téhéran sait qu’elle n’a pas les moyens d’affronter directement Israël et les États-Unis, soutenus par la Jordanie et les pays du Golfe. Pour le régime iranien, le choix est donc entre l’humiliation ou la survie, la priorité étant de préserver son programme nucléaire, son ultime assurance-vie. Et c’est précisément là que les choses pourraient se précipiter. Un Iran qui n’a plus ses alliés supposés former une force de dissuasion protégeant son programme nucléaire pourrait être tenté de se lancer dans la course à la bombe… ce qui pourrait pousser Israël et les États-Unis à l’en empêcher, comme ils s’y sont engagés.
Bien sûr, cet affaiblissement brutal du Hezbollah pose également la question du Liban. Pour Israël, une solution durable au conflit dépend de la capacité de la société libanaise à soutenir un État souverain, détenteur du monopole de la force armée et de la politique étrangère. Même solidaire de la cause palestinienne et généralement hostile à Israël, c’est la clé pour une stabilité et une résolution pacifique de certains différends. La question est désormais de savoir si le Hezbollah est suffisamment affaibli et s’il existe des forces libanaises prêtes à profiter de cette faiblesse pour s’imposer comme un contre-pouvoir crédible face à la milice chiite. On peut être certain que les vétérans de la politique libanaise (Jumblatt, Berry, Aoun), des acteurs dont les carrières pourraient faire pâlir Machiavel, se posent cette question en ce moment même. Même si les choses évoluent de manière moins dramatique, le Liban se retrouvera sans Hassan Nasrallah, la voix et le visage de « l’axe », l’homme qui l’étouffait depuis 30 ans. Sa disparition pourrait accélérer l’éloignement des Libanais vis-à-vis du Hezbollah. Cette guerre, décidée sans leur accord, semble être le pas de trop qui aurait détruit la crédibilité du Hezbollah, même auprès de sa propre base populaire chiite. Le Hezbollah ne disparaîtra pas, mais il pourrait subir une « amalisation », c’est-à-dire se transformer en un parti politique chiite jouant un rôle central dans le jeu du pouvoir. Cependant, à court terme, on ne peut que craindre le chaos et s’attendre à diverses tentatives du Hezbollah pour s’accrocher au pouvoir et s’imposer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
La journaliste Cécile Ollivier vient de dresser dans le magazine Elle la liste noire des nouvelles nauséabondes, dont les femmes doivent apprendre à se méfier.
Le lectorat du magazine ELLE est un lectorat trié sur le volet : féministe, moderne, citadin, progressiste, politiquement convenable, c’est-à-dire se castorisant au moment des grandes frayeurs électorales alimentées par les médias. Chaque production hebdomadaire de cette revue est composée aux deux tiers de publicités ; les stéréotypes ayant la vie dure, ces dernières vantent essentiellement des marques célèbres de vêtements, de bijoux, de parfums, de maroquinerie et de produits cosmétiques. Au milieu de ces pages glacées incitant les petites bourgeoises désœuvrées à de somptueuses dépenses, le magazine aime de temps en temps glisser un article supposé être le résultat d’un véritable travail journalistique. À titre d’exemple, nous évoquerons le papier que la journaliste Cécile Ollivier a récemment écrit sur « les influenceuses de l’extrême ». De l’extrême ? De l’extrême quoi ? De l’extrême droite, bien entendu, puisqu’il s’agit de faire le portrait de ces « influenceuses au discours xénophobe et antiféministe qui gagnent du terrain sur les réseaux sociaux et dans les médias ». Tout un programme.
Jeunes et jolies
On a vraiment envie de savoir qui sont ces méchantes créatures qui, d’après un dénommé Samuel Bouron, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine, « ont contribué à dédiaboliser l’extrême droite, longtemps associée à la domination masculine, ce qui avait pu susciter la défiance des femmes par le passé ». Certains médias seraient friands de ces monstres féminins ayant versé dans le presque-fascisme. Magali Della Sudda, chercheuse au CNRS, considère que « des entrepreneurs d’extrême droite, comme Vincent Bolloré ou Pierre-Édouard Stérin, ont racheté ou créé des médias qui ont mis en valeur ces nouvelles femmes de droite ». Cécile Ollivier note que les « idées xénophobes et réactionnaires » prennent parfois « un visage avenant, celui de jolies jeunes femmes aux cheveux lisses et brillants et à la voix douce ». Il ne peut donc s’agir de Mathilde Panot ou d’Ersilia Soudais – nous voilà rassurés.
Il s’agit d’abord de Thaïs d’Escufon. Cette militante de feu Génération identitaire, aujourd’hui chroniqueuse dans l’émission de Cyril Hanouna, réalise des vidéos dénonçant les travers d’un certain féminisme. Cela ne plaît pas du tout à la journaliste de ELLE qui se tourne à nouveau vers Samuel Bouron. Cet universitaire a des révélations fracassantes à faire : « Cela recouvre une pensée typique de l’extrême droite, qui prétend que les hommes ne seraient plus vraiment des hommes, et les femmes plus vraiment des femmes. C’est ainsi que les régimes fascistes ont pensé les rapports hommes-femmes. » J’ai écrit « révélations fracassantes », j’aurais pu écrire « époustouflantes ».
Deuxième cible, Marguerite Stern. L’article qui lui est consacré a pour titre : « Des Femen à la transphobie » – tout est dit. La journaliste tient à souligner qu’après l’interdiction de l’affichage publicitaire à Paris de son essai Transmania – co-écrit avec une autre vilaine,Dora Moutot – Marguerite Stern « avait aussitôt couru sur le plateau de Pascal Praud, animateur vedette de CNews » – autant dire dans l’antre des médias réactionnaires. Pas un mot, en revanche, sur les intimidations de ces gentilles « féministes antifascistes » qui obligèrent de nombreux libraires à annuler les séances de dédicaces prévues avec Mlles Stern et Moutot ou sur les insultes et menaces que ces deux femmes reçoivent régulièrement de la part des sympathiques militants pro-trans. Un oubli, sans doute. Qui sera sûrement réparé dans un prochain article qui ne manquera pas d’évoquer également les tags « antifascistes » peints sur les murs de l’ISSEP et l’incendie criminel qui a failli détruire les locaux de cet institut privé lyonnais devant accueillir le lendemain Marguerite Stern pour une conférence.
Vient ensuite le cas d’Alice Cordier. Porte-parole du collectif Némésis, cette dernière cette dernière a le tort de faire un lien entre l’insécurité qui croît dans l’espace public et touche surtout les femmes et l’immigration incontrôlée et irrégulière – certains récents et tragiques événements semblent pourtant malheureusement lui donner raison. Mais, pour la chercheuse Magali Della Sudda, tout cela relève du fantasme et les militantes de Némésis sont surtout des « professionnelles de la communication ». Mila, elle, serait passée « du trauma à la haine ». La journaliste est heureuse de rappeler que Mila, 16 ans à l’époque des faits, avait, sur le plateau de Quotidien, présenté ses excuses à ceux qui « vivent leur religion en paix », suite à ses propos « islamophobes » sur les réseaux sociaux. Elle omet simplement de dire que Mila a confié, il y a peu, qu’elle avait subi des pressions incroyables de la part des journalistes de Quotidien qui lui auraient dicté mot pour mot son petit discours de repentance, et qu’aujourd’hui elle refuserait de se prêter à une telle mascarade.
Tatania Ventôse, nouvelle cible à abattre
Mais le cas le plus intéressant est celui de la cinquième femme visée par ce journalisme de bas-étage. Tatania Ventôse a créé il y a dix ans une chaîne YouTube sur laquelle elle analyse en particulier la détérioration de la vie des Français suite aux décisions politiques et économiques prises par les « élites » de notre pays et de l’UE. Cette jeune femme a été une militante active du Parti de gauche qu’elle quitte en 2015. Déçue par les mouvements politiques dans leur ensemble, Tatiana Ventôse refuse d’être rangée dans telle ou telle case. Le succès de sa chaîne YouTube (318 000 abonnés) est dû à un véritable travail de recherche et d’analyse sur les différentes politiques menées par les gouvernants nationaux et européens sous la férule de planificateurs peu inspirés et leur impact sur la vie de la majorité des Français, c’est-à-dire de ceux qu’elle appelle « les producteurs », à savoir les agriculteurs, les artisans, les petits entrepreneurs, les ouvriers, tous les travailleurs qui produisent les biens nécessaires à la vie des ciotyens mais finissent souvent broyés par des entreprises internationales, les marchés financiers ou la Commission européenne de Mme Von der Leyen.
Sur sa chaîne TouTube, dans une vidéo intitulée “De la gauche au populisme” (du titre que le magazine féminin a donné à l’article parlant d’elle), Tatiana Ventôse a magistralement répondu à Cécile Ollivier et à son papier. Elle précise avoir eu, début juillet, une longue conversation téléphonique avec la journaliste en question, conversation durant laquelle elle a expliqué sa pensée et, surtout, le fait qu’elle ne se réclame d’aucun parti politique puisqu’elle considère que « les étiquettes de gauche et de droite n’ont plus aucun sens aujourd’hui ». Mais Cécile Ollivier, qui avoue pourtant au début de son article avoir eu « plus de mal à situer [Tatiana Ventôse] dans la galaxie des influenceuses d’extrême droite » – et pour cause – a tenu quand même à la faire entrer de force dans une des cases censées représenter les différentes tendances de l’extrême droite : réac, identitaire, facho, tradi, etc. Pour cela, la journaliste de ELLE va se livrer à une acrobatie assez courante, mais périlleuse, dans les médias mainstream : le grand écart mental, au risque d’un déchirement cérébral. Après avoir avoué situer difficilement Tatiana Ventôse, la voici qui se lamente parce que cette dernière décrit dans une de ses vidéos « une France vidée de son outil de production par la “caste de la bourgeoisie financière” qui a engendré chômage, insécurité et pauvreté tout en s’alliant avec “ses larbins, habitants des banlieues perfusées d’aides publiques” ». Oui, bon, et alors ? Et alors c’est évident, du moins pour Cécile Ollivier : « Tout ce champ lexical renvoie à la fachosphère ». Ça fume là-haut ! On entend d’ici les sinistres craquements des synapses écartelées… Et ce n’est pas tout. Comme il ne suffisait pas que Tatiana Ventôse soit supposément d’extrême droite, notre acrobate médiatique organise cette fois un numéro de trapèze intellectuel avec la chercheuse au CNRS déjà citée afin de démontrer que, si elle n’est pas explicitement raciste, Ventôse est sûrement antisémite : « Si l’on ne retrouve pas de diatribes explicitement racistes dans ses vidéos, Magali Della Sudda y voit “une vision très simpliste et autoritariste de la société. Cette prétendue élite financière et financiarisée dont elle parle a beaucoup de points communs avec les traits prêtés à la bourgeoisie juive par les antisémites de la fin du XIXe siècle”. » Il fallait oser ! L’argumentation est bien sale – et la langue pratiquée par cette universitaire bien étrange. Qu’est-ce qu’une « vision autoritariste de la société » ? demande Tatiana Ventôse, et nous avec elle. Que signifie la phrase : « Cette prétendue élite […] a beaucoup de points communs avec les traits prêtés àla bourgeoisie juive par les antisémites… » ? Il eut été plus correct d’écrire, par exemple, que « cette prétendue élite […] a beaucoup de points communs avec la bourgeoisie juive telle que décrite caricaturalement par les antisémites… » – cela n’aurait pas édulcoré la stupidité de l’argumentation mais aurait eu au moins le mérite d’être écrit en français. Mais il y a longtemps que nos « élites et leurs agents ne maîtrisent plus les règles élémentaires de la langue française », fait justement remarquer Tatiana Ventôse.
Ultime requête
Tatiana Ventôse démonte les petites manipulations des journalistes officiels dont la grande peur est, dit-elle à juste titre, qu’il émerge dans l’espace public et médiatique quelque chose qui n’entre pas dans leurs cases pré-établies. Indolents, grégaires, dociles, l’idéologie dominante leur va comme un gant – elle leur évite de réfléchir en leur prémâchant des articles sans originalité censés avertir sur la montée du fascisme mais cachant en réalité le monde réel, la pauvreté qui s’installe, l’insécurité qui augmente, le déclin de la France dans tous les domaines. Qu’il y ait des personnes comme Tatiana Ventôse leur est proprement insupportable – difficilement classable, cette dernière ne cesse de dénoncer la classe dirigeante dont ils font partie. On peut ne pas partager toutes les convictions de Tatiana Ventôse – personnellement, je la trouve excessivement optimiste quand elle affirme que « la classe dirigeante » et son bras armé, le système médiatique actuel, ont « déjà perdu ». Il n’empêche, ses vidéos sont à prendre en considération pour les informations qu’on y trouve, pour les réflexions, souvent originales, qu’elle y livre sur la société actuelle, pour les solutions pragmatiques qu’elle propose afin de la changer pour la rendre à nouveau vivable.
Pour conclure sur une note joyeuse : Tatiana Ventôse promet, si les internautes le lui réclament avec insistance, de faire une vidéo drolatique sur d’autres articles du même numéro de ELLE. Parmi les choses délectables, elle a par exemple repéré, dans un article consacré aux « dilemmes »des femmesayant des problèmes de conscience relatifs à l’écologie ou aux relations entre les hommes et les femmes, quelques confessions qui valent le détour : « Je mange des tomates cerises (achetées à Franprix) en plein hiver. » – « Je dis à mes filles de ne pas se laisser faire, mais j’aime qu’on me tire les cheveux au lit. » Y’en a comme ça une pleine page. Chère Tatiana Ventôse, si vous nous lisez, entendez notre requête : les temps sont difficiles, les occasions de rire se font rares. S’il vous plaît, faites-nous cette vidéo sur les âneries que vous avez lues dans ELLE !
L’immense émotion suscitée par le meurtre de Philippine fait réagir l’ensemble de la classe politique. 3000 personnes étaient présentes hier à la cathédrale Saint-Louis de Versailles pour les obsèques de l’étudiante de 19 ans.
Des militants de gauche et d’extrême gauche ont voulu arracher, dans les facultés de Lyon et de Grenoble, des affiches rendant hommage à Philippine Le Noir de Carlan et les étudiants sont intervenus pour leur rappeler les règles de décence et de respect. Une telle indignité dépasse l’entendement ! Splendide et douloureuse réponse à cette ignominie : les presque trois mille personnes ayant assisté dans le recueillement aux obsèques de Philippine.
À gauche et à l’extrême gauche, la réaction de Manuel Bompard à cette atrocité criminelle a été irréprochable mais je suis navré de constater qu’une fois de plus Sandrine Rousseau, prise par l’irrépressible désir de se distinguer, a proféré n’importe quoi sur cette tragédie, en ne traitant pas ce qu’elle avait à engendrer exclusivement : la compassion et la révolte.
Le Rassemblement national a été fidèle à lui-même. Dans l’affliction mais dans un maximalisme immédiat, laissant trop peu de temps entre l’émotion et le politicien pour que la première soit jugée totalement authentique.
Je ne serais pas loin, sur ce plan, de comparer le communiqué du Syndicat de la magistrature dont la tonalité filandreuse ne semblait avoir pour finalité que d’occulter l’horreur nue de la mort de Philippine, avec la demande de Laurent Wauquiez réclamant une mission flash à l’Assemblée nationale sur les dysfonctionnements administratifs et judiciaires. Elle relève à mon sens de la posture : on sait ce qui s’est (mal) passé.
Migaud et Retailleau réunis à Matignon
La réunion que le Premier ministre a organisée pour inviter le garde des Sceaux et le ministre de l’Intérieur à mettre fin à leur dispute par médias interposés a eu les plus heureux effets. Didier Migaud a changé de ton, se souvenant qu’être qualifié de gauche ne l’autorisait pas à ne rien comprendre aux tragédies françaises. Une fois qu’il a énoncé cette évidence sur sa fonction : « Je suis le défenseur de l’État de droit, de la justice et des magistrats… », il en est venu à l’essentiel. Après avoir tout de même concédé au rationnellement correct – « on ne peut pas légiférer sous le coup de l’émotion » -, il a affirmé qu’il allait « travailler » avec son collègue de l’Intérieur, que « police et justice étaient complémentaires et qu’ils avaient les mêmes objectifs ». Il n’était pas inutile, après les débuts de Bruno Retailleau en phase avec « la majorité nationale » de laquelle il tire sa légitimité, que le ministre de la Justice cessât de faire croire à un impossible consensus entre son collègue et lui-même.
Depuis le Canada, des propos présidentiels banals
Mais puis-je conclure en mettant en cause l’attitude de notre président de la République ? De Montréal, il a usé d’un langage qui de sa part pouvait être perçu comme plus tactique que sincère. Certes je ne doute pas qu’il dise vrai en évoquant « l’émotion de toute la nation » devant « ce crime odieux et atroce »… et en compatissant avec « la douleur de toute une famille qu’il faut aider, accompagner ». Propos d’une inévitable banalité. Mais pour le reste ? Quand le président recommande de « chaque jour mieux protéger les Français », en exhortant l’équipe de Michel Barnier à « le faire, le faire, le faire, et moins dire », je considère qu’il se moque du monde. Qu’on soit quasiment dans une pratique feutrée de cohabitation ne l’excuse pas. D’abord quelle provocation de l’entendre demander une obligation de protection quand cela a été son accablante faiblesse lorsqu’il avait toute latitude, malgré un Gérald Darmanin qui tentait tant bien que mal de pallier ses manques. Quelle crédibilité donner à Emmanuel Macron dans son verbe d’aujourd’hui alors qu’à plusieurs reprises il a manifesté son hostilité à l’égard de la police, prenant des positions légères et choquantes sur l’affaire Zecler ou la mort de Nahel ? S’il a eu une constance dans le domaine régalien, c’est celle de l’inconstance de son soutien aux forces de l’ordre et à ceux qui donnaient le meilleur d’eux-mêmes pour la défense de notre démocratie.
Il se trompe donc de cible en croyant, par sa triple injonction de « faire », mettre à mal le propos de Michel Barnier prescrivant de « davantage agir que parler ». Ou moquer l’avertissement trois fois répété de Bruno Retailleau sur « le maintien de l’ordre ».
Philippine au cœur : un crime qui fait parler. Et qui fera agir et réformer, je l’espère.
Rachida Dati, reconduite à la Culture, est la lointaine héritière d’André Malraux et de son ministère des Affaires culturelles. Elle est désormais ministre “de la Culture et du Patrimoine”. Comment comprendre ce changement? Analyse.
Rectificatif (2/10/2024) Simon Nicaise précise que le pot d’échappement dont il est l’auteur n’a pas été acquis par le Frac Normandie, contrairement à ce qui est écrit dans cet article NDLR
Le ministère d’André Malraux s’était appelé non pas ministère de la Culture mais ministère des Affaires culturelles. À l’époque, on avait le sens de la mesure et de la nuance. Le décret fondateur du 24 juillet 1959, rédigé de la main même du ministre d’Etat, fixait à ce ministère la mission suivante : « Le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessible les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord celles de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent »
Nouveau look pour une nouvelle vie
En appelant le ministère confié à Rachida Dati, « ministère de la Culture et du Patrimoine », en scindant culture et patrimoine, le gouvernement de Michel Barnier semble reconnaître qu’il ne saura pas prendre les décisions qui s’imposent et que, se sentant incapable de mettre un terme à l’imposture et à la gabegie de la rue de Valois, il a choisi de mettre la tête dans le sable en appelant culture ce qui n’a rien à voir avec elle, et en réservant le terme de patrimoine à ce que l’on entendait autrefois par culture. Autrement dit, ce ministère aura pour vocation de s’intéresser par exemple, pour la partie culture, à des œuvres comme le Pot d’échappement de Simon Nicaise (acquis par le Frac-Normandie) et, pour la partie patrimoine, à la question des vitraux de Notre-Dame de Paris.
Notre-Dame de Paris, Jacob, détail du vitrail de L’Arbre de Jessé, conçu par Edouard Didron (1864)
Il est évident qu’en donnant au ministère des Affaires culturelles, comme troisième mission, celle de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui enrichissent notre patrimoine culturel, André Malraux n’imaginait nullement que la rue de Valois, sous l’impulsion de Jack Lang, finirait par considérer un pot d’échappement comme une « œuvre » susceptible d’enrichir ce patrimoine…
Il avait toutefois pressenti ce qui allait se passer et mis le doigt sur l’insuffisance intellectuelle et l’aveuglement de ces fonctionnaires culturels chargés du domaine qui avait été le sien : « Si toute création véritable, écrivait-il, est révélation, donc originalité, le nouveau seul ne répond point à l’appel énigmatique et millénaire de l’homme ; il répond à sa parodie, l’intoxication qu’assouvit la mode. D’où l’entrée en scène d’une peinture qu’on pourrait dire « de consommation » : tel collectionneur américain possède sa galerie d’œuvres destinées au musée, et ses tableaux destinés à la poubelle – car il sait que dans quelques années, son intoxication exigera des tableaux plus récents. » C’était là souligner l’absence de pertinence des discours habituellement tenus dans les milieux de l’art et prédire le destin d’une collection comme celle de François Pinault.
Quel visiteur d’exposition d’art contemporain, haussant les épaules devant un tas de sable déversé au milieu d’une salle sur lequel veille un gardien somnolant dans un coin, quel visiteur (quand il s’en trouve un) n’a pas entendu ensuite un conservateur ou un critique d’art lui expliquer de manière fort sentencieuse qu’il ne fallait pas répéter l’erreur de nos arrière-grands-parents qui hier étaient passés à côté des impressionnistes ? Malraux avait démonté en 1976, il y a bientôt cinquante ans, ce sophisme devant lequel personne ne trouvait à redire : « Puisque l’opinion, écrivait-il, avait protesté contre les grands Indépendants depuis Manet jusqu’au cubisme, toute peinture contre laquelle proteste l’opinion, continue celle des vrais maîtres et, comme celle-ci, porte en elle l’avenir. Si bien que le juge de la peinture, en dernière instance, se définit parce qu’il n’y connaît rien. Il ne s’agit pas d’aimer la peinture, mais la peinture de demain. »
En 1986, la revue Connaissance des arts avait posé à Jack Lang qui quittait le ministère et à François Léotard qui lui succédait la question suivante : « Quels sont les grands artistes de demain ? » Seul le ministre François Léotard, dont le cabinet m’avait demandé de lui tenir la plume, critiqua l’absurdité de la question. Jack Lang, lui, avait bien entendu sa liste. Que risquait-il ? puisque, comme il le déclara à l’Assemblée nationale dès 1981, « tout est culturel » et que, comme l’a écrit Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, « chacun appelle culture ce à quoi il occupe ses loisirs, ses RTT ou son RSA. » Ce même Antoine Compagnon, ancien élève de l’Ecole polytechnique, Docteur d’État ès lettres, ancien élève et ami de Roland Barthes, reprocha à Jack Lang et à ses successeurs d’avoir dévalué l’idée même de culture, renonçant ainsi à la « culture cultivée » d’André Malraux. C’est le caractère pervers du décret du 5 juin 1981 relatif aux attributions du nouveau ministre de la culture qu’Antoine Compagnon dénonçait.
Piqué au vif, le ministre de Mitterrand s’était défendu en ces termes : « Ce décret fut improvisé et rédigé entre deux portes ; je n’en suis pas particulièrement fier et je ne crois pas d’ailleurs à l’utilité de ces textes. » Effectivement, le pays se serait bien passé d’un tel décret qui ne fut pas inutile, mais nuisible. En installant la confusion, en nivelant les genres, en délégitimant toute hiérarchie de valeurs, en flattant le moindre saltimbanque, en ouvrant grand la porte à l’impuissance et à la puérilité, ce décret rendait impossible tout consensus autour de ce qu’une génération se devait de transmettre à la suivante.
L’épave d’une Dauphine échoue dans le Var
Depuis André Malraux, de l’eau a coulé sous les ponts : ce ne sont plus des peintures collectionnées par des Américains intoxiqués par la mode qui empliront les poubelles. On a descendu bien d’autres marches encore : c’est la descendance des urinoirs et des sèche-bouteilles de Marcel Duchamp qui a proliféré dans nos musées, nos centres culturels, nos châteaux, nos églises, nos rues : Vagin de la Reine dans les jardins de Le Nôtre à Versailles, homard géant et aspirateurs dans le Château, Plug anal place Vendôme devant le ministère de la Justice, épave de Ferrari au Grand Palais, pneus de tracteur dorés à la feuille d’or à l’opéra Garnier, dunes de sable dans la salle capitulaire de l’abbaye de Maubuisson, méduses en tissus montant à l’assaut des remparts du Mont Saint-Michel, scène de zoophilie géante devant le centre Pompidou, chaos de dalles funéraires déversées dans la salle du Cycle de Marie de Médicis de Rubens au Louvre, postes de télévision diffusant des scènes de masturbation au CAPC de Bordeaux, artiste couvant des œufs dans une cage en verre au Palais de Tokyo et auquel le président François Hollande viendra rendre visite.
Tout récemment, c’est une autre épave de voiture qu’a encensée dans Le Monde du 24 août 2024, le critique d’art Philippe Dagen : « à la Commanderie de Peyrassol à Flassans-sur-Issole (Var), qui abrite le vignoble biologique Château Peyrassol (…), une carcasse d’automobile Dauphine ayant perdu moteur, pneus et pare-brise, que Lavier [c’est l’auteur] a fait repeindre du plus étincelant bleu par un spécialiste en carrosserie, d’abord un peu surpris d’être invité à magnifier une épave (…). Chaque fois, Lavier sait placer dans des formes apparemment simples et séduisantes des charges d’idées et de doutes. Elles explosent avec grâce, mais elles n’en sont que plus dangereuses. » L’amateur de carcasses de voiture et sans doute d’excellent rosé de Provence, enseigne à Paris I et dirige des thèses. L’auteur des pneus de tracteur en or installés à l’Opéra, lui, aimait autre chose : il a été mis en examen pour viols sur mineurs avec interdiction de quitter le territoire.
Bertrand Lavier : La Dauphine, 2024
Faut-il s’attendre à ce que Madame Rachida Dati vienne au 20 heures de TF1 expliquer que « tout Pot d’échappement contre lequel proteste l’opinion continue les maîtres verriers de Notre-Dame et porte en lui l’avenir » ? Nous parlera-t-elle de sa vision territoriale de la culture et de son souci d’un véritable dialogue entre nos régions, entre le Pot d’échappement de Normandie et la Dauphine provençale ? Qu’est-ce qui a changé pour que son ministère qui s’appelait ministère de la Culture dans le gouvernement de Gabriel Attal (comme d’ailleurs dans ceux d’Elisabeth Borne, de Jean Castex et d’Edouard Philippe) s’appelle désormais « ministère de la Culture et du Patrimoine » ? La ministre nous expliquera-t-elle qu’il s’agit de séparer le bon grain patrimonial de l’ivraie culturelle, et de réserver dorénavant le terme de culture à la contre-culture, celle-ci fût-elle usée jusqu’à la corde ? Se félicitera-t-elle que la France puisse s’enorgueillir de défendre en même temps sa Contre-culture et son Patrimoine ? Peut-être ce ministère doit-il tout simplement son nouvel intitulé à la journée du patrimoine au cours de laquelle fut dévoilée la composition du gouvernement. A moins que cette nouvelle dénomination ne soit qu’une manière de calmer ceux qui pétitionnent contre le remplacement, dans les chapelles du bas-côté sud de la nef de Notre-Dame de Paris, des vitraux de Viollet-le-Duc par des vitraux d’artistes contemporains.
La situation économique du pays ne pourrait-elle pas amener le président Emmanuel Macron et Monseigneur Laurent Ulrich à maintenir en place les vitraux de Viollet-le-Duc ? Mais c’est là une question sans doute fort secondaire. Les opposants au projet de vitraux contemporains, à savoir les membres de la Commission nationale du Patrimoine et de l’Architecture (CNPA) qui ont donné à l’unanimité un avis défavorable, ont raison de s’appuyer sur la charte de Venise adoptée en 1965 par la France. Par ailleurs, ils n’ont sans doute pas tort de camper fermement sur leur position tant il est vrai que le choix des huit artistes en compétition, choix de l’Etat et du diocèse fait en partenariat avec le comité artistique présidé par l’ancien directeur du Musée national d’Art moderne au Centre Pompidou, Bernard Blistène, laisse vraiment à désirer. Quand on examine cette sélection pour le moins étonnante parue dans la presse, on ne peut que s’interroger sur les raisons qui l’ont motivée. Attendons que les candidats rendent leur projet ! Ce sera le 4 novembre prochain.
Lors de l’incendie de la cathédrale en avril 2019, l’émotion et l’angoisse avaient submergé le cœur de tous les Français qui avaient communié, une fois n’est pas coutume, dans un même désarroi éprouvé mondialement. Aussi est-on en droit de se demander ce qui pousse à nouveau le président Macron à vouloir semer la discorde parmi les Français. Quand on considère les vitraux réalisés à l’époque moderne, il est évident qu’il en existe de très beaux, respectueux des lieux et ayant peut-être offert à l’artiste l’occasion d’approfondir son propre travail par un véritable dialogue avec l’architecture religieuse. Mais quand on considère ne serait-ce que les quelques réalisations d’art contemporain que nous avons énumérées plus haut et qui ont défrayé la chronique ces vingt dernières années, il est tout aussi évident que l’art contemporain fraye bien trop souvent, aux yeux des Français, avec l’imposture, la vulgarité, la puérilité, le conflit d’intérêt, voire la corruption. Aussi vouloir à tout prix faire entrer l’art contemporain dans Notre-Dame de Paris, hier meurtrie par les flammes, c’est provoquer inutilement les Français.
Viollet-le-Duc n’a sans doute pas compris ce qu’il en était de l’art du vitrail au Moyen âge. Nous ne parlons pas bien entendu ici de l’artisanat du maître-verrier mais de « l’expression lyrique » de cet art qui est un sommet de la peinture et n’a rien à voir avec un décor. Il faut lire le texte éblouissant qu’André Malraux écrivit en 1947, réécrivit en 1951 puis en 1963 et qu’il illustra avec la Belle-Verrière de Chartres.
Le président Emmanuel Macron est allé visiter la célèbre cathédrale ce vendredi 20 septembre, accompagné de Rachida Dati et de Stéphane Bern. Quelqu’un leur a-t-il donné à lire le texte de Malraux ? A eux, à Monseigneur Laurent Ulrich, aux membres de la Commission nationale du Patrimoine et de l’Architecture, à Monsieur Bernard Blistène et aux membres de son comité artistique ? Comment peut-on croire que c’est par des déplacements imaginés par des conseillers en communication ou par d’interminables réunions de comités Théodule, comme les appelait le Général de Gaulle, qu’on peut déterminer en matière de culture les actions qui sont à conduire et les décisions qui sont à prendre ?
Chartres : Notre-Dame de la Belle-Verrière, XIIe s
Qu’on nous montre un texte de Jack Lang, un texte de ses successeurs qui puisse souffrir la comparaison avec cette page admirable des Voix du Silence que voici :
« Le XIXe siècle a tenu le vitrail médiéval pour un art d’ornement. (…) Le vitrail est lié à un dessin subordonné, parfois ornemental (encore faudrait-il y regarder de près), mais sa couleur n’est en rien un coloriage ornemental de ce dessin, un remplissage éclatant ; elle est une expression lyrique, non sans analogie avec celle du lyrisme pictural de Grünewald ou de Van Gogh. Si le génie chromatique naquit tard en Europe septentrionale, c’est que pour le grand coloriste, le vitrail y était le plus puissant des moyens d’expression ; et nos maîtres ravagés de couleur, à la fin du XIXe siècle, semblent appeler un vitrail dont le Père Tanguy et les Tournesols seraient plus proches que de Titien ou de Vélasquez. Le mot même de « peinture » né des tableaux, nous fourvoie : le sommet de la peinture occidentale antérieure à Giotto, ce n’est ni telle fresque, ni telle miniature, c’est la Belle-Verrière de Chartres.
Van Gogh : Père TanguyTournesolsTitienVélasquez
L’art du vitrail est aussi décoratif. Au même titre que tout art roman, que la statuaire même. Cette statuaire resterait bien souvent enrobée dans l’immense ensemble ornemental qui la presse, si ne l’en arrachait le visage humain. Car la robe de la statue-colonne est un élément du portail et sa tête n’en est pas un. Du décor qui l’enchâsse, le vitrail du XIIème, du XIIIème siècle même, surgit avec la force qui libère les visages romans ; mais si, la photographie aidant, chacun isole d’instinct les statues du Portail royal de Chartres, le vitrail ne s’arrache pas encore sans peine à une confusion où Notre-Dame de la Belle-Verrière se mêle aux entrelacs. L’accent libérateur qu’apporte le visage à la sculpture est donné au vitrail par son expression lyrique, aussi spécifique que celle de la musique, et à quoi aucun artiste ne se méprend pour peu qu’il la compare aux autres expressions plastiques romanes : fresque ou mosaïque. (Et même son dessin est moins byzantin qu’il ne semble…) Il suffit de rapprocher les grands vitraux romans des fresques, des mosaïques antérieures ou contemporaines [il est question du XIIIème siècle bien sûr], pour voir qu’ils n’en sont pas le décor mais l’accomplissement.
Certes, le vitrail est une peinture monumentale ; dans ses expressions les plus hautes, nulle autre ne peut lui être comparée : aucune fresque ne s’accorde à une architecture comme il s’accorde à l’architecture gothique. Les cathédrales aux vitres blanches, lorsque la guerre contraignit à descendre les verrières, nous enseignèrent de reste qu’il était bien autre chose qu’un ornement. Indifférent à l’espace de ce qu’il représente, il ne l’est pas à la lumière variable du jour qui lui avait donné, lorsque le peuple fidèle hantait les églises à des heures différentes, une vie que n’a retrouvée aucune œuvre d’art. Il succède à la mosaïque à fond d’or comme la coulée du jour aux lampes des cryptes, et le silencieux orchestre des vitraux de Chartres semble obéir, tout le long des siècles, à la baguette que l’Ange porte sur le cadran solaire. (…)
Le dernier verrier digne des maîtres de Chartres sera Paolo Uccello (dont aucune reproduction, hélas ! ne transmet l’éclat de la Résurrection telle qu’on la vit, descendue, à l’exposition de Florence). Mais ce vitrail est unique. Le monde gothique s’achève, et le vrai vitrail ne survivra pas au génie de Giotto. Les verrières, comme les mosaïques, comme les tympans romans, avaient fait accéder les figures humaines au monde de Dieu ; l’art va s’efforcer d’incarner les figures divines dans le monde des hommes. Et le chromatisme des vitraux, leur relation avec la lumière vivante et non une lumière imitée [comme dans la peinture], interdisent à leur génie, de survivre à l’admiration pour une peinture qui découvre l’illusion. »
Que l’on compare une telle page avec les quelques lignes que le célèbre historien E. H. Gombrich consacra au vitrail dans L’Art et son histoire : « Les artistes ne se sentant plus astreints à étudier et à reproduire les effets d’ombre que présente la nature, étaient tout à fait libres de choisir pour leurs illustrations les couleurs qu’ils préféraient. (…) Les rouges rayonnants et les bleus profonds de leurs vitraux témoignent du bon usage que firent ces maîtres de leur indépendance à l’égard de la nature. »
Cet historien est un immense érudit, mais comme l’a écrit Hegel : « L’érudition consiste surtout à connaître une foule de choses inutiles, c’est-à-dire de choses qui en soi n’ont ni valeur ni intérêt, si ce n’est d’en avoir connaissance. » Aussi n’a-t-il pas compris grand-chose aux écrits de Malraux et ne voyait-il chez lui que manque de rigueur scientifique et verbiage. Combien d’écrivains, de critiques et d’historiens d’art ou de politiques, comme Michel Debré dans ses Mémoires par exemple, lui ont emboîté le pas, les yeux fermés, répétant les uns derrière les autres ce que l’historien du Warburg Institute de Londres avait écrit : « Les chapelets de noms et les alignements d’images [dans Les Voix du Silence] ont pour but, comme les énumérations de noms de divinités dans d’anciennes incantations, de rassurer leur auteur plutôt que d’éclairer le lecteur ».
En quoi ce qu’écrit Gombrich sur le vitrail est-il éclairant ? Comme si les bleus et les rouges étaient l’expression d’une préférence ! Comme si l’auteur de Notre-Dame de la Belle-Verrière ne s’était plus soudain senti obligé d’imiter la nature ! Mais qu’est-ce que ça veut dire ! Comme si nous avions affaire au goût d’un artiste, à sa subjectivité et non pas à un art de civilisation qui gouverna en profondeur et l’esprit et la main du maître de cette verrière dont le feu va s’éteindre devant Giotto et cet autre art de civilisation que sera la Renaissance. « Le génie du vitrail, explique Malraux, finit quand le sourire commence. Alors le dessin devient privilégié, l’imitation (les personnages de Giotto sont « vivants » pour ses contemporains, comme les figures de Van Eyck sont ressemblantes pour les siens) devient une valeur. » Souvenons-nous : dans le vitrail le dessin n’était pas « privilégié » mais « subordonné » à la couleur, à son lyrisme. La valeur qui gouvernait cet art du surnaturel ne pouvait s’accommoder de celle à naître qui obsèdera l’Italie et la Flandre, à savoir l’imitation de l’ordre naturel.
Depuis des décennies les écrits de Malraux sur l’art sont diffamés ou mis tout simplement sous le boisseau. Un exemple emblématique de cette inadmissible désinvolture de nombre de nos universitaires et critiques d’art à leur égard, désinvolture préjudiciable aux étudiants, et ce sur plusieurs générations, se trouve dans le livre que l’historien Georges Didi-Huberman publia en septembre 2013, L’Album de l’art à l’époque du « Musée imaginaire » (Hazan / Louvre éditions) et qui fut l’occasion d’une série de cinq conférences à l’auditorium du Louvre dès sa sortie.
Voici ce que ce professeur fait dire à Malraux à propos d’une double page des Voix du Silence représentant à gauche le Portrait de Marcus Agrippa (vers 25-24 av. J.-C.) et à droite le Saint Jean-Baptiste de la cathédrale de Reims (XIIIème siècle) : « La même gravité magnifie le visage de l’empereur romain et celui, gothique, de Saint Jean-Baptiste ». C’est se moquer du monde !
Voici ce qu’a écrit André Malraux à propos de ces deux portraits disposés l’un en face de l’autre conformément à sa méthode selon laquelle « on ne sent bien que par comparaison » : « Tout marque un visage antique, sauf la vie même s’il n’est pas celui d’un dieu ; en face d’un saint gothique, ni César, ni Jupiter, ni Mercure n’ont vécu ; à côté de n’importe quel prophète, les patriciens ont des faces fermées de vieux enfants. Le visage de chaque chrétien porte sa propre trace du péché originel ; la forme de la sagesse ou de la fermeté était unique, mais celle de la sainteté et du péché ont la multiplicité des créatures : chaque face chrétienne est sculptée par une expérience pathétique, et les plus belles bouches gothiques semblent les cicatrices d’une vie. »
Un deuxième exemple dévoile la malhonnêteté du procédé idéologique de ce livre : spécialiste avisé dans la lecture des images – on peut à nouveau en douter – Didi-Huberman s’est permis une inadmissible confusion. André Malraux est présenté page 18 comme celui qui défila en 1968 « aux côtés de Michel Debré et, même (sic), de Robert Poujade ». Derrière ce « même », perce toute l’idéologie de l’auteur. Se référant à la célèbre photo du 30 mai 1968 prise sur les Champs-Elysées où se retrouvèrent un million de personnes, Didi-Huberman confond ce Robert Poujade député gaulliste de la Côte-d’Or dont le visage apparaît entre ceux de Malraux et de Debré, avec un certain Pierre Poujade, le responsable syndical qui donna son nom au poujadisme, appellation péjorative du conservatisme des commerçants et des artisans que l’on disait petit-bourgeois. Si Didi-Huberman est si désinvolte c’est qu’il cherche à accréditer l’idée qu’en devenant gaulliste, Malraux est passé du « bien pensé » de ses combats antifascistes au « bien-pensant » de l’ordre établi, et que sa pensée sur l’art, de ce fait, s’est close sur elle-même, indifférente aux luttes anticoloniales. Est-ce donc de telles méthodes qu’il faut utiliser pour terminer sa carrière comme directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) ?
Que les élèves de ces historiens d’art qui, depuis tant d’années, leur ont honteusement caché la pensée magistrale d’André Malraux et la puissante poésie de son verbe, qui les ont dissuadés de lire et d’étudier ses ouvrages, que ces victimes de cette scandaleuse diffamation leur demandent enfin de s’expliquer. C’est la nullité de la réflexion de ces historiens, leur aveuglement devant les préjugés véhiculés par la langue, leur incapacité à penser l’art qui est à l’origine de ce grand naufrage de la politique culturelle de notre pays. Mais pour se révolter avec efficacité, que ces élèves commencent par s’armer, qu’ils aillent se procurer en librairie Le vocabulaire de Malraux, aux éditions Ellipses. L’auteur, Jean-Pierre Zarader, professeur agrégé de philosophie, est le créateur et le directeur de la collection Le vocabulaire des philosophes (de l’Antiquité à la philosophie contemporaine), collection rassemblée en quatre tomes d’environ 700 pages chacun et à laquelle ont participé les meilleurs spécialistes. Chaque Vocabulaire de chacun des philosophes étudiés tient sur une soixantaine de pages. Comme l’écrit Jean-Pierre Zarader dans sa préface, « ce Vocabulaire des philosophes est né de l’idée, banale, qu’un philosophe n’est intelligible que dans le vocabulaire dont il use, dans les mots qu’il forge ou qu’il s’approprie ».
Il est grand temps temps que les étudiants lisent Malraux et, pour cela qu’ils cessent d’écouter leurs professeurs et se procurent ce formidable Vocabulaire que Jean-Pierre Zarader (1) a conçu et mis à leur disposition. S’approprier la réflexion indépassée de notre ancien ministre des Affaires culturelles, c’est se donner les moyens de renverser la table des impostures autour de laquelle festoient depuis plus d’un demi-siècle des fonctionnaires qui n’ont rien compris et n’eurent jamais la modestie de dire comme De Gaulle recevant son ministre d’Etat dans son bureau de l’Elysée : « Malraux, enseignez-moi ! »
La première fois que Jean-Pierre Zarader ouvrit Les Voix du Silence, c’était au début des années quatre-vingt, lors de la préparation de l’agrégation où le thème de l’art avait été inscrit au programme du concours. « Outre les philosophes qui se sont intéressés à la question de l’art, que faut-il lire que personne n’aura lu ? », me demanda-t-il. Réponse : « Les Voix du Silence, mais attention ! utilise Malraux sans le citer, il est persona non grata dans le milieu. » Jean-Pierre Zarader se procura l’ouvrage à la bibliothèque municipale de Reims près de la cathédrale (pour laquelle Marc Chagall, grand ami de Malraux, réalisa de somptueux vitraux) en commença la lecture puis m’appela : « Ça ne veut rien dire, ton bouquin ; c’est une « soupe de mots » ». Cette expression était celle qu’utilisait Pierre-Jean Labarrière, le grand spécialiste de Hegel, lorsqu’il évoquait le désarroi de tout lecteur ouvrant pour la première fois La Science de la Logique. Je lui conseillai alors la lecture de L’Homme précaire et la littérature, ouvrage dans lequel Malraux traite d’un domaine qui lui serait plus familier selon des schèmes de pensée analogues à ceux des Voix du Silence. Puis nous nous sommes vus plusieurs fois à l’occasion de la rédaction d’un article qu’il préparait à ma demande pour le dixième anniversaire de la mort d’André Malraux en 1986. Malraux n’était pas, bien entendu un philosophe, en effet « son lyrisme, explique Jean-Pierre Zarader, traduit une attitude qui semble étrangère, quand elle n’est pas opposée, à celle du philosophe (…) mais il y a bien une philosophie de l’art d’André Malraux ». Jean-Pierre Zarader a donc intégré, en 2001, l’auteur des Voix du Silence et de La Métamorphose des dieux dans sa collection.
Ignorantes des cris de ces femmes afghanes, Qui, par les Talibans, sont sommées de se taire, Les féministes en France exhument l’Abbé Pierre. Homme d’Église, blanc, et surtout décédé, La cible était trop belle pour la laisser passer. Et de l’Inquisition rallumer le bûcher.
Dans l’art de la magie, Macron est passé maître : Le bien des citoyens ne fait que disparaître. Et dans ses mains expertes, façon grande illusion, Parades olympiques, coûts de dissolution, L’argent du contribuable s’évapore par millions. Élaborons un mythe, et pourvu que l’Histoire, Ne retienne que la gloire et non pas la faillite.
Après mille revirements, maintes consultations, Michel Barnier s’annonce et entre à Matignon. Non sorti du chapeau, mais bien de l’hospice, C’est en Premier ministre qu’il reprend du service. Ne faut-il que la France n’échappe au gauchisme, Que pour mieux sombrer dans cet immobilisme ?
Force est de reconnaître que pour l’environnement, La France, pour une fois, se place au premier rang. Instaurant recyclage parmi les hautes sphères, Que l’on est vertueux au sein des Ministères ! Suivant la boucle verte dont elle est haut symbole, Chacun passe son siège, garde ses casseroles.
Mais dans ce petit jeu des chaises musicales, Quand la mélodie cesse, le silence est de mise, C’est la France, hélas, qui finit sans assise. Personne ne l’évoque, lors des passations. Carrières personnelles, intimes ambitions, Tous se gargarisent, se pavanent en lions. N’a-t-on donc sacrifié toute forme de royauté, Que pour mieux couronner l’individualité ?
Il nous faudrait si peu pour être dans le regret, Pour son cercueil de plomb, envier Du Bellay. De cet état lui-même ne mesure-t-il sa chance ! Quelques semaines plus tôt, dans sa si chère France, On imagine sa peine, son effroi, sa stupeur. De la langue française dont il fut défenseur, Assister au supplice, si ce n’est au trépas. Qu’aurait-il donc pensé d’Aya Nakamura ? Aya, se trémoussant devant l’Académie, Lui qui, né bien trop tôt, n’y fut jamais admis.
Prêtons donc attention au chef de Matignon. Ainsi à ses ministres donne-t-il la leçon : À tous il est d’usage de serrer la main, Faites vœu de modestie, vantez vous à dessein, Soyez irréprochables, exemplaires citoyens. Si de telles évidences doivent être énoncées, À notre élite française, à nos plus éduqués, Le niveau des Français devrait-on redouter. Si besoin est réel d’un tel apprentissage, C’est à Anne Genetet qu’on souhaite bon courage.
Mardi matin, à 8 heures, les policiers sont venus frapper à chaque porte de l’immeuble le « Carrare », à Échirolles (38). Tous les habitants ont été évacués, le trafic de drogue ayant rendu leur maintien dans les lieux trop dangereux.
Èchirolles, Isère, commune de la banlieue de Grenoble. La came, son commerce et ses ravages s’y portent à merveille. On peut même dire que la racaille qui a la main sur ce trafic vient de remporter une victoire dont elle peut se réjouir. Ne représente-t-elle pas en effet à elle seule une des plus criantes illustrations de l’incapacité de l’État, des autorités dites compétentes, à imposer l’ordre républicain ? Autrement dit à protéger les citoyens d’une délinquance qui se propage, s’insinue partout, sème le désarroi et prospère à un point tel qu’on finit par se demander s’il est encore possible de l’endiguer.
Double peine
Parce que ces autorités, l’État, se révèlent incapables de purger un immeuble de l’essaim de dealers qui l’occupent maintenant depuis plusieurs années et dont ils ont fait la plaque tournante de leur trafic, la municipalité en est venue à obliger les habitants, les occupants légaux de l’immeuble, à vider les lieux, à abandonner leurs logements. Le monde à l’envers. Double peine pour ces gens. Ils ont subi l’occupation – le terme est à prendre ici dans son sens le plus négatif, le plus violent – de ces racailles qui leur rendaient la vie impossible, et maintenant, ils doivent dégager !
Impossible la vie, véritablement, au « Carrare », sous la loi de cette milice du deal, puisque la Mairie n’a pas hésité à expliquer sa décision d’expulsion par « le danger de mort imminent et permanent » qui menaçait les locataires. Risques d’incendie, d’électrocution. Réseau électrique mis à nu parce que les portes des armoires en bois ont été arrachées pour servir de combustible dans les poubelles converties en brasero. Une flambée pour se réchauffer les mimines, faire griller la saucisse, chauffer la blanche ? Escaliers de secours encombrés de matelas, de meubles afin d’en interdire l’usage, en particulier aux forces de police. Accès au garage soudé pour bien achever la bunkerisation du lieu. Avec cela marques de sang au sol, rapporte un locataire, désemparé. Le tout agrémenté de fusillades – deux au moins dans l’été – épisodes hélas ordinaires d’une guerre des gangs qui sévit ici aussi. Marseille essaime. Marseille colonise, le Sud remonte, diagnostiquent les experts de la question. Le fait est que ces bandits sont parvenus à s’incruster dans ces murs, à se les approprier, terrorisant les habitants, mettant, répétons-le, leurs vies en danger. Et ce sont ces derniers qu’on déloge. Ce sont les victimes qu’on punit. Quel constat d’échec ! Quel aveu de faiblesse ! En effet, les racailles peuvent pavoiser. Aujourd’hui un immeuble, demain un quartier entier, après demain une ville ? Toute une région. Où cela s’arrêtera-t-il ?
Deux fusillades pendant l’été, mais à Paris, le NFP se préoccupe des «violences policières»…
On s’en doute, les locataires du « Carrare » ne roulent pas sur l’or et encore moins sur le pognon de la came. « Quand on habite là, c’est qu’on n’a pas vraiment le choix », admet un responsable de la municipalité, dépité. Dépité mais impuissant. Tout comme l’est Madame La Maire, Amandine Demore. Face à la gravité de la situation, situation « inédite » insiste-t-elle, l’évacuation lui a semblé être « la seule façon d’agir ». Et de mentionner les nombreux appels à l’aide adressés au gouvernement, les multiples demandes de mise à disposition d’une police de proximité. Sans résultat : la puissance publique aux abonnés absents.
Madame la Maire est une élue communiste. On attend fébrilement que les caciques parisiens du Nouveau Front populaire, Mélenchon, Roussel, Faure, Tondelier en tête, fassent le déplacement à Échirolles pour manifester leur soutien à leur camarade élue, certes, mais aussi et surtout, à ces locataires « prolétaires » chassés de chez eux. Au passage, les chefs NFP pourraient en profiter pour joindre leur voix à celle de l’édile et exiger plus de police (Là, on rêve !). En outre, ils pourraient préciser également le niveau de sévérité du traitement judiciaire qu’ils souhaiteraient voir appliqué aux racailles du « Carrare » et à leurs semblables.
Le gouvernement n’en finit pas de s’installer… Et les citoyens ont compris que la configuration politique du pays ne permettrait pas à M. Barnier d’agir absolument comme il le souhaite. Les Français sont désabusés, alors que l’ensauvagement et le séparatisme menacent. Le discours de politique générale du Premier ministre, mardi prochain, est très attendu.
Lundi 23 septembre, pour la première fois, le gouvernement Barnier a réuni ses ministres et secrétaires d’État, issus de la macronie et de la droite, autour d’un « petit déjeuner gouvernemental. » Michel Barnier a tenu à le préciser : il ne s’agissait pas d’un « Conseil des ministres » mais d’une « rencontre autour d’un café pour mieux se connaître. » Pour ceux qui auraient imaginé une équipe se mettant au travail : Caramba ! Encore raté !
Citoyens désabusés et affranchissement des usages
Que ces gens-là aient un peu de mal à lancer la machine, on le conçoit bien, d’autant plus qu’on vient de s’appuyer 51 jours avec un gouvernement démissionnaire. Ça n’a du reste pas gêné plus que ça les Français, désabusés. Ils sont en effet dubitatifs quant à l’intérêt de voir se reformer, sous couvert de gouverner un pays devenu ingouvernable à force de lâcheté et de renoncements, une autre joyeuse bande d’individus pusillanimes, qui ne servent personne – surtout pas la France – fors leurs petits intérêts. Il en faut donc davantage pour nous impressionner et disons que « Ça nous en touche une sans faire bouger l’autre », pour reprendre le mot fameux de l’un des anciens locataires de l’Élysée. Mais, quand même, pendant que nos ravis prennent le thé et se congratulent, on déplore que la France, décidément cul par-dessus tête, parte à vau-l’eau et qu’on assassine ses enfants dans l’indifférence générale, sur fond de faillite sociétale et institutionnelle généralisée. Et si l’heure était quand même au sursaut ?
L’histoire est cyclique. L’époque actuelle est semblable, en tout point, à celle d’avant la terreur. Chateaubriand a dit, à propos des années 1791-1792, dans le Tome I de ses Mémoires d’outre-tombe : « Dans une société qui se dissout et se recompose (…), le choc du passé et de l’avenir, le mélange des mœurs anciennes et nouvelles, forment une combinaison transitoire (…) L’infraction des lois, l’affranchissement des devoirs, des usages et des bienséances, les périls même ajoutent à ce désordre. Le genre humain en vacances se promène dans la rue, débarrassé de ses pédagogues, rentré pour un moment dans l’état de nature (…) »
En 2024, même ambiance. Pendant que notre nouveau gouvernement n’en finit pas de s’installer et fait le tour de la chambre avant d’aller tester le spa, dehors on moleste et on assassine ; la patience des Français est à bout. Ne vous rendormez pas, braves gens, ça suffit ! Philippine vient d’être trucidée ; le suspect est un Marocain, Taha O., déjà condamné en 2019 pour viol, à sept ans de prison. Depuis le 4 septembre, ce porc qu’on entend peu de féministes balancer, baguenaudait, en liberté. Il avait quitté le CRA de Metz où il était assigné à résidence dans l’attente de son expulsion. Concomitamment, Paul, 17 ans, vient de se faire tabasser parce qu’il est homosexuel.
OQTF / viols : bonne presse, féministes et élus de gauche appellent à « ne pas se tromper de débat »
Bien sûr, toujours du côté de l’extrême gauche et des progressistes, on occulte ce réel sordide ; on distord la réalité pour préserver la chimère du vivre-ensemble. Sur France 2, Anne-Sophie Lapix prend bien soin de ne pas préciser à ses téléspectateurs que le présumé meurtrier de Philippine est un clandestin marocain sous OQTF. Et si l’inénarrable Sandrine Rousseau concède sur X que « Philippine a été sauvagementassassinée », que « la personne arrêtée est marocaine sous OQTF » et affirme: « Ce féminicide mérite d’être jugé et puni sévèrement », on retient surtout la fin du tweet de l’écologiste : « L’extrême droite va tenter d’en profiter pour répandre sa haine raciste et xénophobe. » Notre nouveau garde des Sceaux, Didier Migaud, lui, déclarait sans sourciller et droit dans ses bottes, presque goguenard : « Le laxisme en justice n’existepas. » Il serait alors judicieux de penser à revoir sérieusement le fonctionnement de la justice !
D’où qu’on se tourne, c’est un festival ; on profère des énormités et des stupidités avec l’aplomb que seule confère la sottise quand elle est confortée par l’idéologie. Lucie Castets (toujours embusquée au cas où Michel Barnier jetterait l’éponge ou serait débarqué) a, elle, déclaré en début de semaine : « Je suis pour une régularisation des sans-papiers, même ceux qui ne travaillent pas. Les migrants sont stigmatisés en permanence. Ce sont des gens qui contribuent au bon fonctionnement de la société. » On a été tenté de vous faire grâce des propos tenus sur X, samedi, par notre député LFI Raphaël Arnault, fiché S de son état. On s’est ravisé, le bougre évoque quand même « l’assassinatde Kanaks par les forces policières françaises ». On aurait bien aimé, aussi, passer sous silence la visite au commissariat d’Ersilia Soudais venue soutenir Elias Imzalène, en garde à vue après avoir appelé à « l’Intifada ». On n’a pas pu. L’Insoumise l’a déclaré, elle aurait aimé que les soutiens du « génocide perpétré par Israël » soient à la place du brave garçon.
Et pendant ce temps, c’est haro sur Retailleau, notre nouveau ministre de l’Intérieur, affidé à l’esssstrême droite. Le Monde, dans un éditorial du 25 septembre affirme sérieusement : « L’urgence du ministrede l’Intérieur à se poser en défenseur d’un pays prétendument assiégé par des hordes d’immigrés ne fait que renforcer le hiatus démocratique, quand deux tiers des Français ont écarté l’extrême droite au second tour des législatives. Et son discours fait le miel du RN, en embuscade. » Bruno Retailleau, qu’on se rassure, ne pourra rien faire pour renverser la vapeur. L’impunité heureuse a encore de beaux jours devant elle. En effet, en macronie, on s’arrange toujours pour neutraliser les forces, c’est le principe du « en même temps ». Toute prise de mesure ferme envisagée par Bruno Retailleau à l’Intérieur, sera immédiatement contrée par le garde des Sceaux, Didier Migaud. L’attelage Retailleau/Migaud ne saurait fonctionner que sur le modèle du précédent, celui de la paire Darmanin/ Dupond-Moretti ; ça va tirer à hue et à dia et ne pas avancer d’un poil.
Quant à réformer le pays, il ne faut pas y compter non plus, tout est à l’avenant. On en veut pour preuve la sortie du nouveau ministre de l’Économie, rappelé mollement à l’ordre par Michel Barnier. Le locataire de Bercy, le progressiste Antoine Armand, chantre de l’union, s’il en est, a déclaré ouvrir sa porte à LFI et la fermer au RN, dans un souci de respect de la démocratie, bien sûr. La fête du slip bat son plein et on attend avec impatience le discours de politique générale (DPG), mardi prochain. En attendant, Matignon a demandé aux ministres d’arrêter les interviews jusqu’ au dit discours. « L’idée, c’est de pouvoir préparer le DPG de manière collective » justifie l’entourage du Premier ministre.
Revenons à Chateaubriand et à ses considérations sur un pays en roue libre. « Le genrehumain en vacances » et « rentré pour un moment dans l’état de nature », à en croire le mémorialiste, ne recommence « à sentir la nécessité du frein social que lorsqu’il porte le joug des nouveaux tyrans enfantés par la licence. » Nous y sommes.
Les citoyens américains ont quelques bonnes raisons de douter de la fiabilité de leur système électoral.
Tout le monde connaît – ou croit connaître – les États-Unis. Les États-Unis, c’est le pays du Far West et des cow-boys ; le pays de la Prohibition et des gangsters ; le pays de la Statue de la liberté et du capitalisme triomphant ; le pays qui a sauvé l’Europe de l’Allemagne nazie ; le pays qui a envoyé des hommes sur la Lune ; le pays qui est à l’origine d’une grande partie des découvertes et des inventions qui font le monde moderne… Mais les États-Unis, c’est aussi le pays qui a le pire système électoral de toutes les démocraties occidentales, comme l’ex-président américain, Jimmy Carter, l’a déclaré, comme maints experts l’ont écrit, et comme l’enquête que nous avons menée le confirme.
Depuis l’élection présidentielle controversée de 2020, il est interdit de parler de ce sujet, qui était auparavant l’objet de nombreuses études universitaires. Il est temps de briser ce tabou. Dans cette série de trois articles que nous publions, nous allons étudier les aspects les plus choquants du système électoral américain. Ce voyage va nous entraîner dans les profondeurs les plus obscures de ce système électoral, fissuré par un nombre stupéfiant de failles de sécurité béantes, dont personne ne parle en France ni en Europe. Vous aurez du mal à le croire et, pourtant, tout est vrai. Bien entendu, nous fournirons toutes les preuves et toutes les références de ce que nous avançons.
Mais, avant d’entamer ce voyage dans l’enfer électoral américain, il est nécessaire de décrire les particularités de ce système, tellement différent du nôtre. (1)
L’État fédéral et ses 50 États
Les États-Unis sont un État fédéral, doté de sa propre Constitution et de ses propres élus (président, vice-président, représentants, sénateurs). (2) Il est constitué de 50 États, dont chacun possède sa Constitution et ses élus : président (appelé « gouverneur »), vice-président (dans 45 États, appelé « lieutenant-gouverneur »), représentants et sénateurs (sauf le Nebraska, qui a une législature unicamérale). (3)
Un nombre énorme de circonscriptions et de bureaux de vote
La Constitution des États-Unis et les lois fédérales sur le droit de vote accordent aux États une grande latitude dans la manière dont ils gèrent les élections fédérales, qui ont lieu tous les deux ans, début novembre, et les élections locales, qui ont lieu selon des périodicités spécifiques.
Les élections sont généralement administrées par les comtés mais, dans certains États, ce sont les villes ou les cantons (townships) qui en sont chargés. Au total, il existe plus de 10 000 juridictions électorales (circonscriptions) aux États-Unis, dont la taille varie considérablement, les plus petites ne comptant que quelques centaines d’électeurs, tandis que la plus grande en compte 5,5 millions (comté de Los Angeles). (4)
Les États sont chargés du découpage des circonscriptions utilisées pour les élections fédérales, et les juridictions locales, du découpage des circonscriptions utilisées pour les élections locales. En 2020, il y avait 175 426 bureaux de vote. (5)
Un nombre énorme de lois et de procédures électorales
Les législatures des États adoptent les lois électorales, qui diffèrent donc d’État en État, et qui évoluent constamment : rien qu’en 2024, pendant les neuf premiers mois de l’année, 1792 projets de lois électorales ont été déposés dans 44 États. (6) Comme si cela n’était pas assez compliqué, chacune des 10 000 juridictions locales possède sa propre infrastructure électorale et choisit souverainement la façon dont les élections vont s’y dérouler : types des responsables électoraux (administrateur unique ou commission), procédures pour inscrire les électeurs sur les listes électorales, taille et présentation des bulletins de vote (ordre des postes à pourvoir, ordre des noms des candidats…), modes de vote (anticipé, par correspondance, en personne…), modèles de machines électroniques utilisées (pour voter, pour vérifier les signatures, pour transmettre les résultats…), recrutement des employés électoraux, fonctionnement des bureaux de vote, règles encadrant les observateurs électoraux, procédures pour dépouiller et enregistrer les votes – bref, toutes les étapes du processus électoral.
Ces étapes sont codifiées dans les Codes électoraux des juridictions, composés de centaines de pages, divisées en milliers de sections, sous-sections, paragraphes, sous-paragraphes, qui détaillent avec une minutie de bureaucrate tous les cas possibles. Cet incroyable fouillis de lois, de réglementations et de modes de fonctionnement, qui varient d’une juridiction à l’autre, d’une année à l’autre, d’un type de scrutin à l’autre, complique la lutte contre les fraudes électorales et explique l’absence de confiance des Américains dans la fiabilité et la sécurité de leur système électoral.
Un nombre énorme d’élections et de référendums
Dans son célèbre livre sur la démocratie américaine, Alexis de Tocqueville notait que « les Américains sont habitués à procéder à toutes sortes d’élections. » (7) En effet, les électeurs américains élisent 535 législateurs fédéraux (435 représentants, 100 sénateurs), 7383 législateurs d’État (représentants, sénateurs) et, en comptant tous les élus locaux, plus de 500.000 responsables qui servent dans 80.000 institutions. (8)
Voici une liste non exhaustive des postes pourvus par des élections aux États-Unis.
Au niveau de l’État fédéral : le président (et son vice-président), les représentants, les sénateurs.
Au niveau de l’État : le gouverneur, le lieutenant-gouverneur, les représentants, les sénateurs, de nombreux membres du gouvernement de l’État, comme le secrétaire d’État (Secretary of State), le ministre de la Justice (Attorney General), le trésorier (Treasurer), parfois aussi le contrôleur financier (Auditor, Controller, Comptroller, Chief Financial Officer), le ministre de l’Éducation (Superintendent of Public Instruction, Commissioner of Education, Commissioner of Schools), le ministre du Travail (Commissioner of Labor), le ministre des Impôts (Tax Commissioner), le ministre des Terres publiques (Commissioner of Public Lands), voire les administrateurs de l’université d’État (State University governors, regents, trustees).
Au niveau du comté ou de la ville : les dirigeants du comté (sherif, superintendant), les membres du conseil du comté (county commissioner), les dirigeants de la ville (mayor, town supervisor), les membres du conseil municipal (city commissioner, city councilor, councilman), le responsable des élections (supervisor of elections), le responsable des listes électorales (assessor), le percepteur des impôts locaux (tax collector), le commissaire aux comptes (auditor), le chef de la police du comté (constable), le chef de la police municipale (police commissioner), le chef des pompiers (fire chief), les membres des conseils scolaires (school board members), parfois aussi le médecin légiste (coroner), les membres de la commission de la santé (Healthcare District Board directors, Health Service Board members), le responsable de la voirie (road commissioner), le responsable des chemins de fer (railroad commissioner), le responsable du port (port commisioner), l’arpenteur-géomètre (surveyor), le responsable des ressources naturelles (Soil and Water Conservation District director), le responsable des égouts (sewer commissioner), voire le responsable des arbres publics (tree warden).
Dans la majorité des États, les citoyens élisent aussi les juges (municipal court judges, family court judges, district court judges, criminal court judges, court of criminal appeals judges), les procureurs (prosecutors, solicitors), et les juges de la Cour suprême de leur État (justices).
Enfin, les citoyens doivent voter pour des référendums d’initiative populaire (à l’échelon de l’État, du comté ou de la ville), pour des propositions d’amendements à la Constitution de leur État, pour révoquer un élu (recall), parfois aussi pour approuver les comptes de leur ville ou comté, un nouvel emprunt de leur ville ou comté, les budgets des écoles locales, les budgets des travaux de voirie, etc.
Les bulletins de vote américains sont donc très longs. Par exemple, à Houston (Texas), pour les élections de mi-mandat de 2018, le bulletin de vote faisait 16 pages ; pour les élections du 5 novembre 2024, les électeurs de cette ville ont 61 choix à faire pour 61 postes à pourvoir.
Dans ce pays, où 500 000 responsables publics sont élus, la sécurité des élections est donc encore plus importante que dans les autres démocraties de la planète, et les fraudes éventuelles peuvent influencer des dizaines d’élections dans chaque circonscription. Cela est d’autant plus vrai que les élections locales se jouent souvent à quelques voix près. Par exemple, dans l’Ohio, en seulement 15 mois, 70 élections se sont achevées par une victoire d’une voix ou par une égalité parfaite. Un seul fraudeur peut donc inverser le résultat d’une élection, voire de plusieurs. (9)
Le pouvoir du système judiciaire américain
Dans une décision historique de 1803, la Cour suprême des États-Unis a formulé le principe du contrôle juridictionnel, selon lequel les tribunaux américains ont le pouvoir d’annuler les lois et les statuts qu’ils jugent contraires à la Constitution des États-Unis. (10) Les tribunaux ont donc le pouvoir d’annuler les lois électorales, ce qui leur confère un rôle aussi important que méconnu dans la saga des élections américaines. Voilà pourquoi il est nécessaire de décrire aussi succinctement le système judiciaire des États-Unis. Bien que chaque État possède sa propre organisation judiciaire, elle comporte toujours deux échelons : les tribunaux de l’État et les tribunaux fédéraux.
Chaque État dispose de ses tribunaux de première instance (Trial Courts), de ses tribunaux d’appel (Courts of Appeal, State Appellate Courts), et de sa Cour suprême. (11) L’échelon fédéral ressemble à celui des États : tribunaux de première instance fédéraux (U.S. District Courts), puis tribunaux d’appel fédéraux (U.S. Courts of Appeals), puis Cour suprême des États-Unis (U.S. Supreme Court). Chaque plainte peut donc, en théorie, être examinée par six niveaux différents de tribunaux. Des astuces de procédures permettent, dans certains cas, de sauter une ou plusieurs étapes et de déposer directement un recours devant la Cour suprême de l’État, voire devant la Cour suprême des États-Unis.
Comme nous l’avons déjà dit, dans la plupart des États, les juges et les procureurs sont élus par le peuple. Il en découle que, dans les États majoritairement Démocrates et dans les grandes villes américaines (toutes gérées par les Démocrates), les juges et les procureurs sont quasiment tous des Démocrates. Cela permet aux Démocrates de mener une incessante guérilla judiciaire contre l’adoption de lois visant à sécuriser les élections, comme nous le verrons bientôt…
Dans notre prochain article, nous passerons en revue les avis des experts sur le système électoral américain.
1) Pour des informations sur la Constitution, le fédéralisme, les branches législatives, exécutives, judiciaires, et les élections des États-Unis, voir :
The Book of the States, Council of State Governments.
2) Les représentants sont l’équivalent de nos députés.
3) La capitale des États-Unis, Washington, est située en dehors de ces 50 États, dans le district fédéral de Columbia. Le rôle de ce district dans les élections étant négligeable, nous n’en parlerons pas dans nos articles.
4) « Election Administration at State and Local Levels », National Conference of State Legislatures, Updated December 22, 2023.
5) Brian Amos, Steve Gerontakis and Michael McDonald, « Changing Precinct Boundaries: Who Is Affected and Electoral Consequences », Prepared for 2023 Election Science, Reform, and Administration annual meeting, Athens, Georgia, May 31 – June 2, 2023, p. 11.
7) Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Livre I, 1835, Chapitre 8, « Crise de l’élection ».
8) Steven J. Brams and Peter C. Fishburn, Approval Voting, Second Edition, Springer, 2007, p. 171.
9) « Statement Of Jon A. Husted, Ohio Secretary Of State, On The President’s Executive Actions On Immigration And Their Impact On Federal And State Elections », U.S. House Of Representatives Subcommittees On National Security And Healthcare, Benefits & Administrative Rules, February 12, 2015.
Dette, école, ministres… De mal en Pisa, la dégringolade continue.
Au fond de la vallée, en la nuit étoilée, le nouveau gouvernement est né. C’est la panique sur France Culture, au Nouvel Obs, chez LFI, Les Verts. Les avions renifleurs d’extrême-droite sont en alerte maximale. « Au voleur ! Au voleur ! A l’assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste ciel… » La lutte les dépasse. Canon bleu ne répond plus,Mission dernière chance pour Michel (Tanguy) Barnier.
Lignes rouges sur pistes bleues
« Le racisme est l’une des valeurs clés du gouvernement » (Marine Tondelier) le plus conservateur depuis Nicolas Sarkozy, Gengis Khan, Attila… Les Compagnons de la chanson progressiste, cloches de l’indignation prudhommesque, sonnent, sonnent l’alarme et font les poubelles. Sandrine Rousseau vibrionne dans le mépris de classe, déconstruit les bourgeoises Maniatis de la nouvelle équipe. « La femme est une grande réalité, comme la guerre » (Larbaud). Bruno Retailleau, hétéro et catho, défend les chrétiens d’Orient. A Auray, une bisaïeule de sa trisaïeule, Marie-Constance Retailleau de Pontcallec, a « liké » plusieurs posts Instagram de Cadoudal en 1799…
François Hollande raille un gouvernement de « Restauration ». Marat Marais du plateau de Millevaches, Louis XVIII du grand peuple de Gauche, fosse tranquille, il sait de quoi il parle. Incroyable & Merveilleux macroniste, Gabriel Attal confesse qu’il a « une histoire à écrire avec les Français ». Il demande des garanties sur l’IVG et la PMA, cabriole dans l’écume, le buzz, multiplie les saltos dans les cerceaux. Oum le Dauphin se prend pour Moby-Dick. Rien n’est trop beau lorsqu’il s’agit de grandeur. Nous avons échappé au pire, un gouvernement Castets : Mathilde Panot au ministère de la rééducation, Thomas Piketty à Bercy, l’impôt sur les os, une faillite vénézuélienne en trois mois. Pour combien de temps ? L’épée dans les reins, le gouvernement Barnier n’a aucune marge de manœuvre, économique, financière, politique.
Dénis d’initiés
Loin des sentiers obliques, à la justice enclin, bon maître, généreux quoiqu’il fût économe, le Premier ministre n’a pas de fange en l’eau de son moulin, pas d’enfer dans le feu de sa forge. Le problème, c’est l’oseille, les champs de blés et d’orge, les sacs de grains qui semblent des fontaines publiques… La caisse est cramée.
Nous n’échapperons pas à une kyrielle de rodomontades, chocs d’autorité, de savoirs, de mémoires… Une consultation citoyenne sur la simplification de la transformation de l’action publique, un grand Grenelle anti-gredins, un big bang de l’anti-gang bang, un plan Marshall d’éclairage du bois de Boulogne. Le GIGN, Louis de Funès et Bourvil vont être positionnés au poste frontière de Menton. Le taux d’application des OQTF pourrait passer de 8% à 11%.
Anne Genetet, nouveau cornac du mammouth, est rassurante : l’éducation reste la mère de toute les batailles : « Le navire ne changera pas de cap ». La Hougue, les Cardinaux, les Saintes ? Six ministres en deux ans. Le cap Carnaval des connétables du déclin, la rue de Grenelle, Salamine. Ni savoirs, ni transmission. Depuis deux générations, du Primaire au Supérieur, la même bouillabaisse de bons sentiments, acronymes abscons, notes gonflées aux hormones pour endormir les parents, préserver l’omerta. Sur Teams, EcoleDirecte, la foire aux PowerPoints, copiés-collés, tutos, vidéos, enseignants Fée Clochette-coach, bat son plein. L’acmé de la tartufferie, c’est la « spécialité » HGGSP (Histoire-Géographie, Géopolitique et Sciences politiques), un poke bowl d’ersatz d’Humanités qui piège un quart des élèves de Terminale. Theatrum Maudit, Mer de toutes les histoires (à dormir debout), folie des glandeurs, les six thèmes transverses du programme surpassent l’« Arbor scientiae » de Lulle et les « 900 Conclusions (philosophiques, cabalistiques et théologiques) » de Pic de la Mirandole… « De nouveaux espaces de conquête ; Faire la guerre, faire la paix ; Histoire et mémoires ; Identifier, protéger et valoriser le patrimoine ; L’environnement, entre exploitation et protection ; L’enjeu de la connaissance ». Six heures hebdomadaires de gloubi-boulga, axes, jalons, démarches réflexives, pour un vernis de culture générale et préparer un « grand oral » sans enjeu, car postérieur au dépôt des dossiers d’inscription dans le Supérieur.
Une blouse, deux dictées, trois fables de La Fontaine, ne changeront rien à l’affaire. Les pédago-gauchistes font la loi, les programmes, coupent ce qui dépasse, le latin, le mérite, l’excellence. LFI adore les analphabètes autodidactes, élèves Ducobu, Delogu, Jeune Garde en section « fichier S ». De mal en Pisa, la dégringolade continue. Pour échapper à la loterie ParcoursSup, aux Bourdieuseries des Facultés en faillite, les premiers de cordée exfiltrent leurs enfants, avant le Bac, direction Montréal, Milan, McGill, la Bocconi.
À Bercy, Antoine Armand s’interroge : « Face à la gravité de la situation budgétaire, comment chacun peut contribuer intelligemment » ? Un rapport évalue à 13 milliards d’euros le montant annuel de la fraude sociale. Pour les fins limiers du Haut Conseil du financement de la protection sociale, les normes sont « fraudogènes », « le tout-contrôle est stigmatisant, pas pleinement efficace ». Afin d’éponger les 3228 milliards d’euros de dette publique, surgissant hors de la nuit vers l’aventure au galop, il nous reste Zorro, le Comte de Monte-Cristo et l’or des Templiers. Le nouveau garde des Sceaux, Didier Migaud, veut « rendre la justice plus proche des citoyens, plus juste, plus rapide ». Stabilité et bonne nouvelle rue de Valois : « La Culture est fille du plaisir et non pas du travail » (Ortega y Gasset). Aux Armées, au Quai d’Orsay, rien. À l’étranger, la France ne pèse plus rien. La remontada ne sera pas une partie de plaisir. Les mots ne sont jamais les mêmes pour exprimer ce qu’est le buzz, le blues, le Booz.
Michel Barnier, Booz endormi
Pendant qu’il sommeillait, Marianne, une moabite, s’était couchée aux pieds de Michel Barnier, le sein nu, espérant on ne sait quel rayon inconnu, quand viendrait du réveil la lumière subite…
« Marianne méditait, Michel broyait du noir ; Des zozos aux infos, piapiataient vaguement ; Les ennuis immenses, tombaient du firmament ; L’heure était difficile ; les Français n’osaient croire.
Tout reposait dans l’urne et quand gérer la dette ; Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ; La croissance évanouie parmi ces fleurs de l’ombre Brillait dans le néant, Marianne se demandait,
Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles, Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été, Avait, en s’en allant, négligemment jeté La France hébétée hors du champ des étoiles. »
Nos concitoyens sont de plus en plus fâchés avec le travail car, dans un pays où l’égalitarisme a pris le pouvoir, l’effort leur inspire davantage de ressentiment que de fierté. Vouloir en finir avec cette ultime distinction qu’est la réussite par le talent et l’exigence, c’est promettre la société à la médiocrité et à l’assistanat.
Le large refus des Français de retarder leur départ en retraite, alors qu’ils la prennent beaucoup plus tôt que dans la plupart des autres pays européens, et la stagnation de la productivité du travail, affectant la richesse par habitant, étonnent. Quand on pense à l’époque des « Trente Glorieuses » avec le souvenir d’un grand engagement dans le travail, on s’interroge sur les sources de cette mutation. Elle trouve ses racines dans une évolution beaucoup plus large de la société française.
Un temps de fierté du travail dans une société restée aristocratique
Lors de la Révolution française, la hiérarchie du « sang » a été mise à bas, mais nullement la logique d’une société de « rangs », avec les devoirs que le travail impose à chacun de remplir sous peine de déchoir. Les sources légitimes de distinction sont devenues, dans les termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les « capacités » les « vertus » et les « talents »(Article VI : « Tous les citoyens sont admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talent. ») Si cette vision exigeante n’a jamais fait l’unanimité, elle a été particulièrement mise à l’honneur après la Seconde Guerre mondiale, dans un rejet de l’esprit de défaite, des compromissions de la collaboration, du jeu des petits intérêts qui avaient marqué la période de l’Occupation. Il s’est alors agi de retrouver, individuellement et collectivement, la grandeur perdue.
Cette vision exigeante a marqué un système d’enseignement donnant une grande place à l’« élitisme républicain ». Encore, en 1944, le programme du Conseil national de la Résistance exigeait « la possibilité effective, pour les enfants français, de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance, mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires ». La réussite dans les études, couronnée par un succès au certificat d’études, au baccalauréat, comme aux diplômes du supérieur, était une grande source de fierté.
Cette référence à une société de rangs s’est retrouvée dans le monde du travail. Une « aristocratie ouvrière » a pris forme au xixe siècle. La catégorie des « cadres », s’affirmant bien distincts des « simples employés », a émergé dans les années 1930. La défense par chaque catégorie professionnelle de son statut est allée de pair, pour ceux qui avaient un « vrai métier », avec une grande fierté professionnelle et un vif engagement dans leur travail.
L’avènement d’un monde « inclusif »
À partir des années 1960, l’attachement à la hiérarchie des rangs et à l’exigence d’être à la hauteur de la place que l’on occupe, a été radicalement dénoncé au nom d’un impératif d’égalité. Les ci-devant « élites » ont été requalifiées en « dominants ». Toute volonté de « distinction » a été réprouvée. La récompense du mérite a été déclarée source de « discrimination » envers ceux qui échouaient et de « stigmatisation » de ceux-ci.
Cette mutation a affecté en profondeur le système éducatif. Le culte de l’excellence a été largement abandonné au profit de celui de la réussite pour tous. Conditionner les récompenses scolaires, les notes, les passages à la classe supérieure, l’obtention des diplômes à la réalisation de performances a été vu comme incompatible avec un traitement égal de tous les élèves. L’incitation à l’effort, l’exigence ont été dénoncées comme mortifères, dans la ligne des théories plus ou moins bien comprises de Françoise Dolto. Le « pédagogisme » a prôné l’attention au plaisir de l’élève aux dépens du « dressage ». La discipline durant le temps de classe a été déclarée attentatoire à la liberté. Le « collège unique » a été mis en place en 1975, puis l’objectif de 80 % de bacheliers énoncé en 1985. Le taux de réussite au baccalauréat s’est envolé et la mention « très bien », jusqu’alors apanage d’une étroite minorité, s’est banalisée. Le nombre de diplômés du supérieur a connu une croissance vertigineuse. Les voies d’accès parallèles aux formations d’élite ont été multipliées. L’enseignement professionnel a été revu en profondeur en mettant en cause l’acquisition d’une vraie compétence professionnelle dans un domaine « étroit » au profit d’une formation générale. Le désir de faire advenir une société « inclusive » a conduit à un cercle vicieux : un abaissement du niveau d’exigence dans la formation pour n’exclure personne ; un faible niveau des sortants du système éducatif et l’effondrement de la France dans les comparaisons internationales sur ce niveau ; un nouvel abaissement du niveau d’exigence pour maintenir l’exigence d’inclusivité. Les tentatives récentes de revenir sur ces « acquis », notamment en subordonnant le passage dans la classe supérieure à un certain niveau de performance, ont largement fait scandale dans le corps enseignant.
Ce refus d’une hiérarchie fondée sur le mérite n’a nullement conduit à l’avènement d’une société d’égaux. Demeurent la prééminence de l’argent, de la popularité sur les réseaux sociaux, de la consommation ostentatoire, de l’accès à des marques prestigieuses. On retrouve les valeurs de ce qui était qualifié, à la fin du xixe siècle, de « demi-monde ». La fierté de ce que l’on accomplit, de l’exemple que l’on donne, serait-ce au sein d’une position sociale modeste, pèse bien moins que le prestige de l’argent. La volonté d’atteindre l’excellence dont on est capable perd sa force au profit de celle de consommer, quelle que soit l’origine des ressources qui le permettent.
Dans le domaine du travail, la fierté de l’œuvre accomplie est dévalorisée d’autant, ce qui conduit d’autant plus à se plaindre de la charge que celui-ci représente. Cela est déjà bien apparu dans les slogans de Mai 1968, avec le refus de « perdre sa vie à la gagner ». On a vu monter l’idée de « droit à la paresse », la valorisation de la redistribution grâce à de multiples allocations. Le RMI, instauré en 1988, puis le RSA, qui lui a succédé, relèvent de cette logique. L’idée de les assortir de véritables exigences est jugée insupportable, car cela reviendrait, prétend-on, à « blâmer la victime ». Le « progrès » n’est pas vu comme la possibilité largement offerte de s’épanouir dans un travail exigeant, mais comme celle de réduire son temps de travail, avec l’abaissement par la gauche de l’âge de départ à la retraite (1982) et l’instauration des 35 heures (1998).
Cette mutation idéologique se heurte à la réalité d’un monde économique hautement compétitif, dans un contexte de mondialisation et de concurrence exacerbée. Les titulaires de diplômes généreusement distribués se sont trouvés mis en demeure de faire preuve de leur capacité à contribuer efficacement à des activités productives. L’existence d’une masse de sortants du système éducatif à la fois peu compétents et peu habitués à la discipline et à l’effort a conduit à la fois à un niveau élevé de chômage et au développement d’activités peu exigeantes, peu productives et mal rémunérées, avec un personnel bénéficiant en compensation d’allocations généreuses.
Une grande diversité de rapports au travail
Cette situation d’ensemble engendre des rapports très diversifiés au travail, la fierté liée à la qualité du travail accompli demeurant pour certains mais tendant à s’émousser pour d’autres, au profit de la frustration liée au fait d’en voir certains profiter du « système » et d’un ressentiment à leur égard. On peut distinguer sommairement cinq grands groupes réagissant de manières contrastées.
Dans un premier ensemble, professionnellement diversifié, le culte de l’excellence, la fierté du travail accompli demeurent. C’est le cas pour nombre de ceux qui sont passés par les grandes écoles les plus réputées, après un parcours scolaire réalisé dans les établissements élitistes qui demeurent au sein de l’enseignement public ou privé. On les voit réussir aussi bien dans la City et la Silicon Valley que dans la création de start-up en France. Nombre de membres des professions libérales, médecins, avocats sont eux aussi dans une logique d’excellence, de réussite et de fierté professionnelle. Appartiennent également à cet ensemble des artisans hautement qualifiés, à l’image de ceux qui sont engagés dans la restauration de Notre-Dame-de-Paris. Il n’est guère question pour ces « privilégiés » de restreindre leur temps de travail, ni dans la durée hebdomadaire (ainsi les indépendants travaillent en moyenne 46 heures par semaine), ni dans leur départ en retraite.
Un deuxième ensemble regroupe ceux, spécialement parmi les cadres de grandes entreprises, qui munis de bons diplômes, mais pas exceptionnels, seraient prêts à s’engager avec fierté dans leur métier s’ils n’étaient dissuadés par un management qui les traite en « exécutants ». Ils profitent au maximum du télétravail, tendent à se recentrer sur leur vie de famille. S’étant ainsi adaptés, ils ne sont pas spécialement désireux de partir en retraite plus tôt.
On trouve dans un troisième ensemble nombre de ceux qui ont été en échec scolaire ou sont passés par un enseignement professionnel préparant mal à l’exercice d’un métier qualifié et n’ont pas été éduqués à la discipline et à l’effort. Payés au niveau du salaire minimum ou guère plus s’ils ont trouvé un emploi, ils ne risquent guère d’être fiers d’un travail peu estimé par la société. Ils comptent beaucoup sur le système de protection sociale et aspirent à partir en retraite le plus tôt possible.
« Manifestation gaulliste » place de la Concorde à Paris, 30 mai 1958. SIPA
Un quatrième ensemble donne une grande place à ceux qui sont hautement diplômés (bac + 5 et au-delà), mais dans des formations peu exigeantes qui ne débouchent guère sur des emplois de niveau correspondant, en terme ni de statut ni de rémunération. Ils ont le sentiment d’être déclassés. Nombre d’entre eux rejoignent des professions intellectuelles de niveau modeste et sont pleins de ressentiment envers ceux qui, passés par les formations élitistes, réussissent dans leur carrière. Certains, spécialement ceux qui travaillent dans les collectivités locales, parviennent à une durée hebdomadaire nettement inférieure à 35 heures. Hautement politisés à gauche, ils sont en pointe dans les revendications de réduction du temps de travail et d’abaissement de l’âge de départ en retraite.
On trouve enfin dans un cinquième groupe un ensemble d’artisans, de commerçants, d’ouvriers professionnels qui ont le sentiment de travailler dur sans pour autant parvenir à bien gagner leur vie et entretiennent un fort ressentiment à l’égard des « assistés », qu’ils voient comme gorgés de privilèges indus en matière d’allocations et d’accès aux HLM. Votant en grande part pour le RN, ils sont ambivalents à l’égard de leur travail. Concernant l’âge de la retraite, ils ne voient pas pourquoi ils continueraient à travailler longtemps pendant que d’autres profitent.
La volonté de travailler plutôt moins, que l’on trouve actuellement chez nombre de Français, n’est pas la conséquence inéluctable d’un refus héréditaire du travail. Elle est le produit du choc entre deux cultures : celle où la recherche exigeante de l’excellence, l’affirmation du rang, avec la fierté qui les accompagne, constituent un ressort essentiel de l’action et une idéologie « inclusive » post-moderne, ennemie de l’exigence. Le poids pris par cette idéologie, dans le système éducatif puis dans la vie professionnelle, est un grand facteur de démobilisation. De plus, le fait que certains conservent un métier et une rémunération qui leur permettent de « tenir leur rang » est une vive source de ressentiment pour ceux dont le travail n’est pas à la hauteur de leurs diplômes, souvent obtenus dans des filières peu exigeantes. Le ressentiment est vif, aussi, chez ceux qui, artisans, commerçants, ouvriers professionnels, travaillent dur et s’indignent des largesses dont bénéficient les « assistés ». Ils rejoignent les précédents à la pointe des combats visant à leur permettre de partir en retraite. Vu la force de résistance d’une culture qui a traversé les révolutions, on ne voit pas comment retrouver un large engagement dans le travail dans le contexte idéologique contemporain.
Dernier ouvrage paru : Le Grand Déclassement : pourquoi les Français n’aiment pas leur travail ! (Albin Michel, 2022)
Après un temps de flottement, le Hezbollah a finalement confirmé que son leader avait bien été tué à Beyrouth dans un bombardement israélien.
Au Moyen-Orient, la nuit de vendredi à samedi a été longue, et tous les regards étaient tournés vers le sud de Beyrouth. Juste avant 18h30, vendredi, d’énormes explosions ont retenti dans la capitale libanaise et dans ses environs. Une série de frappes de l’aviation israélienne a visé un pâté de maisons dans le quartier de Haret Hreik, cette banlieue sud fief du Hezbollah. 80 tonnes d’explosifs dont des munitions anti-bunker ont pulvérisé six bâtiments lui appartenant situés dans une zone résidentielle, et surtout le sous-sol abritant le QG principal de la milice.
Pourquoi Israël a pris un tel risque
Ce moment a été choisi car Israël disposait des renseignements indiquant la présence dans le lieu de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Le plus gros poisson imaginable, entouré des hauts gradés du Hezbollah et de l’Iran, dans un équipement militaire important. Voilà pourquoi Israël a pris le risque de tuer des centaines de civils dans l’opération. Très vite il était clair que Nasrallah était effectivement dans le QG. Mais, pendant la nuit, les informations diffusées étaient contradictoires. Ce n’est que tard ce samedi matin que la nouvelle a été confirmée : Hassan Nasrallah est bien mort. L’annonce de sa disparition, d’abord relayée par l’armée israélienne puis confirmée par le Hezbollah, marque l’aboutissement d’une semaine qui a bouleversé l’ensemble des cartes. Le scénario d’une guerre totale, qui n’était jusque-là qu’une hypothèse, est devenu une réalité pour la première fois depuis le 8 octobre 2023, lorsque le Hezbollah a décidé de s’engager dans le conflit avec Israël.
Tout le monde savait théoriquement que le rapport de force penchait nettement en faveur d’Israël, mais il est probable qu’aucun membre du Hezbollah ou de l’axe iranien n’ait anticipé que la milice, l’une des plus puissantes au monde, allait subir de tels revers – entraînant le Liban dans sa chute – en l’espace de quelques jours. Le Hezbollah a sans doute été victime du « syndrome de la victoire ». Convaincu que, depuis 40 ans, il remportait des succès contre Israël, le mouvement s’est retrouvé dans une situation similaire à celle de la France en 1940. Après une « drôle de guerre » de 11 mois, ceux qui avaient tiré les leçons de leurs échecs passés ont commencé à jouer leurs meilleures cartes.
L’erreur de Nasrallah
Nasrallah, pourtant fin connaisseur d’Israël, aurait sous-estimé la volonté de son ennemi de prendre des risques d’escalade au Liban. Il s’est également trompé sur Netanyahou. Il connaissait l’aversion de son adversaire israélien pour les conflits et les risques : Bibi est l’homme du « containment » et du « statu quo ». En 2014, Nasrallah l’avait observé reculer devant l’option qui s’offrait à lui d’élargir l’opération contre le Hamas au-delà de sa dimension aérienne. Il l’a testé et provoqué en 2023, sans réactions immédiates de la part de Netanyahou : lors d’un attentat raté commis par un homme du Hezbollah à l’intérieur des frontières d’Israël, la tentative d’assassinat d’un chef d’Etat-major pendant son jogging matinal à Tel-Aviv, et avec l’installation de tentes au nord de la barrière mais en territoire israélien. Enfin, lorsque les généraux israéliens et le ministre de la Défense ont souhaité frapper le Hezbollah, le 11 octobre 2023, c’est encore Bibi qui a réussi à bloquer l’initiative. Sauf qu’une fois contraint d’agir, ce même Bibi est prêt à aller loin pour mener l’opération selon ses propres conditions.
Cette erreur d’appréciation a conduit Nasrallah à s’accrocher à l’idée qu’il pouvait mener un conflit à la fois prolongé et limité dans son intensité. Il a dû croire que la dissuasion empêcherait l’escalade. Quelle qu’en soit la raison, il s’est enfermé dans une stratégie sans issue – pas de cessez-le-feu au nord sans cessez-le-feu avec le Hamas – sans jamais la remettre en question, malgré les efforts des Américains et des Français pendant de longs mois.
Ainsi, du jour au lendemain, le Hezbollah s’est retrouvé dans une position où il ne pouvait ni protéger ses militants, ni ses partisans, dont des centaines de milliers sont désormais déplacés. Il s’est humilié face à une population libanaise plus large qui lui était déjà hostile. En étant si confiant dans son pouvoir, malgré l’hostilité grandissante, le Hezbollah a renforcé l’idée qu’il pouvait garder tout le monde sous contrôle. Maintenant qu’Israël frappe durement le parti, il apparaît vulnérable.
Nasrallah s’est laissé enivrer par ses propres illusions et ses discours télévisés. Les expressions comme « unité des fronts » et « cercle de feu » ont masqué une réalité bien plus complexe. Toutes ces milices ne constituent pas une OTAN. Mal coordonnées, leurs capacités sont limitées par le fait qu’elles opèrent depuis des États faillis et en faillite.
De la même manière que le Hezbollah semble incapable de protéger ses hommes et ses partisans, la « maison mère », l’Iran, paraît également incapable de protéger ses alliés (sans parler de ses invités VIP, et de ses généraux). Et ce n’est pas de bon augure pour l’axe de la résistance.
Israël a une bonne longueur d’avance
Nous sommes loin du scénario de 2006. Il est désormais évident qu’Israël préparait cette guerre depuis 18 ans. Le pays a réussi à infiltrer la milice (et son mentor iranien) et semble tout connaître de son fonctionnement : son système de communication, ses cachettes, ses quartiers généraux, ses dépôts d’armes, et probablement ses plans et décisions. Ainsi, au moment opportun, Israël a réussi à décapiter le Hezbollah en quelques jours. La milice pro-iranienne semble aujourd’hui désorientée, comme en témoigne le temps qu’elle a mis à annoncer la mort de son chef.
Israël a également anéanti les paradigmes sur lesquels reposait la stratégie du Hezbollah. L’équilibre de la dissuasion, dont se vantait Nasrallah, la puissance d’un mouvement terroriste devenu guérilla, puis armée régionale, et le génie politique, militaire et stratégique inégalé de Hassan Nasrallah, l’un des hommes les plus influents du Moyen-Orient, ont tous été mis à mal. L’idée de « l’unité des fronts » est, elle aussi, réduite à néant dans la poussière de Beyrouth. Le Hezbollah est à terre, et ni Assad ni l’Iran ne semblent prêts à venir à son secours. Quant aux Houthis et aux milices irakiennes, il est difficile de voir ce qu’ils pourraient faire de plus.
Quant à la suite des événements, il est impossible de savoir ce qui se passe à l’intérieur du Hezbollah. Israël déploie son plan de guerre depuis quinze jours, mais on ignore à quel point ses milliers de frappes ont affaibli les deux piliers du Hezbollah : son arsenal de roquettes, missiles et drones, et ses unités d’infanterie. En d’autres termes, combien de ses 150 000 missiles et roquettes restent-ils opérationnels, et dans quel état se trouvent ses dizaines de milliers de combattants ?
Même décapité, il ne faut pas exclure la possibilité que le Hezbollah ait encore les moyens de mener des opérations contre Israël. À l’image du commandant d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, les cadres du Hezbollah auraient peut-être reçu des consignes à suivre en cas de rupture de communication avec le QG.
La société libanaise entre deux feux, Téhéran en mauvaise posture
Après le choc initial, le Hezbollah peut-il se relever ? Et, dans ce cas, sera-t-il plus sensible aux pressions de la société libanaise (y compris les chiites) qui, bien que solidaire de Gaza, ne souhaite pas cette guerre que le gouvernement libanais n’a pas approuvée ?
C’est à l’Iran de décider s’il accepte cette défaite, ou s’il tente de revenir dans la partie en provoquant une escalade. Le dilemme est cruel, car accepter une défaite signifierait reconnaître que la République islamique n’est qu’un tigre de papier, incapable de protéger ses alliés à Gaza et à Beyrouth. À l’inverse, stopper le massacre permettrait de préserver l’atout essentiel du Hezbollah, à savoir ses missiles de haute précision, supposés protéger l’Iran en cas d’attaque directe. Sans le Hamas et le Hezbollah, Israël et les États-Unis pourraient concentrer tous leurs efforts sur l’Iran, mettant en péril la survie du régime.
Les mollahs pourraient certes considérer qu’une riposte minimale est nécessaire pour rééquilibrer le rapport de force avant de négocier avec les États-Unis. Ils pourraient chercher à frapper symboliquement une cible facile, comme ils l’ont fait en 1992 et 1994, en Argentine. Cependant, malgré les tensions palpables entre MM. Netanyahou et Biden, les États-Unis ont clairement indiqué qu’ils ne resteraient pas les bras croisés face à une telle guerre. Téhéran sait qu’elle n’a pas les moyens d’affronter directement Israël et les États-Unis, soutenus par la Jordanie et les pays du Golfe. Pour le régime iranien, le choix est donc entre l’humiliation ou la survie, la priorité étant de préserver son programme nucléaire, son ultime assurance-vie. Et c’est précisément là que les choses pourraient se précipiter. Un Iran qui n’a plus ses alliés supposés former une force de dissuasion protégeant son programme nucléaire pourrait être tenté de se lancer dans la course à la bombe… ce qui pourrait pousser Israël et les États-Unis à l’en empêcher, comme ils s’y sont engagés.
Bien sûr, cet affaiblissement brutal du Hezbollah pose également la question du Liban. Pour Israël, une solution durable au conflit dépend de la capacité de la société libanaise à soutenir un État souverain, détenteur du monopole de la force armée et de la politique étrangère. Même solidaire de la cause palestinienne et généralement hostile à Israël, c’est la clé pour une stabilité et une résolution pacifique de certains différends. La question est désormais de savoir si le Hezbollah est suffisamment affaibli et s’il existe des forces libanaises prêtes à profiter de cette faiblesse pour s’imposer comme un contre-pouvoir crédible face à la milice chiite. On peut être certain que les vétérans de la politique libanaise (Jumblatt, Berry, Aoun), des acteurs dont les carrières pourraient faire pâlir Machiavel, se posent cette question en ce moment même. Même si les choses évoluent de manière moins dramatique, le Liban se retrouvera sans Hassan Nasrallah, la voix et le visage de « l’axe », l’homme qui l’étouffait depuis 30 ans. Sa disparition pourrait accélérer l’éloignement des Libanais vis-à-vis du Hezbollah. Cette guerre, décidée sans leur accord, semble être le pas de trop qui aurait détruit la crédibilité du Hezbollah, même auprès de sa propre base populaire chiite. Le Hezbollah ne disparaîtra pas, mais il pourrait subir une « amalisation », c’est-à-dire se transformer en un parti politique chiite jouant un rôle central dans le jeu du pouvoir. Cependant, à court terme, on ne peut que craindre le chaos et s’attendre à diverses tentatives du Hezbollah pour s’accrocher au pouvoir et s’imposer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Le grand reporter Cécile Ollivier. Capture France 5.
La journaliste Cécile Ollivier vient de dresser dans le magazine Elle la liste noire des nouvelles nauséabondes, dont les femmes doivent apprendre à se méfier.
Le lectorat du magazine ELLE est un lectorat trié sur le volet : féministe, moderne, citadin, progressiste, politiquement convenable, c’est-à-dire se castorisant au moment des grandes frayeurs électorales alimentées par les médias. Chaque production hebdomadaire de cette revue est composée aux deux tiers de publicités ; les stéréotypes ayant la vie dure, ces dernières vantent essentiellement des marques célèbres de vêtements, de bijoux, de parfums, de maroquinerie et de produits cosmétiques. Au milieu de ces pages glacées incitant les petites bourgeoises désœuvrées à de somptueuses dépenses, le magazine aime de temps en temps glisser un article supposé être le résultat d’un véritable travail journalistique. À titre d’exemple, nous évoquerons le papier que la journaliste Cécile Ollivier a récemment écrit sur « les influenceuses de l’extrême ». De l’extrême ? De l’extrême quoi ? De l’extrême droite, bien entendu, puisqu’il s’agit de faire le portrait de ces « influenceuses au discours xénophobe et antiféministe qui gagnent du terrain sur les réseaux sociaux et dans les médias ». Tout un programme.
Jeunes et jolies
On a vraiment envie de savoir qui sont ces méchantes créatures qui, d’après un dénommé Samuel Bouron, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine, « ont contribué à dédiaboliser l’extrême droite, longtemps associée à la domination masculine, ce qui avait pu susciter la défiance des femmes par le passé ». Certains médias seraient friands de ces monstres féminins ayant versé dans le presque-fascisme. Magali Della Sudda, chercheuse au CNRS, considère que « des entrepreneurs d’extrême droite, comme Vincent Bolloré ou Pierre-Édouard Stérin, ont racheté ou créé des médias qui ont mis en valeur ces nouvelles femmes de droite ». Cécile Ollivier note que les « idées xénophobes et réactionnaires » prennent parfois « un visage avenant, celui de jolies jeunes femmes aux cheveux lisses et brillants et à la voix douce ». Il ne peut donc s’agir de Mathilde Panot ou d’Ersilia Soudais – nous voilà rassurés.
Il s’agit d’abord de Thaïs d’Escufon. Cette militante de feu Génération identitaire, aujourd’hui chroniqueuse dans l’émission de Cyril Hanouna, réalise des vidéos dénonçant les travers d’un certain féminisme. Cela ne plaît pas du tout à la journaliste de ELLE qui se tourne à nouveau vers Samuel Bouron. Cet universitaire a des révélations fracassantes à faire : « Cela recouvre une pensée typique de l’extrême droite, qui prétend que les hommes ne seraient plus vraiment des hommes, et les femmes plus vraiment des femmes. C’est ainsi que les régimes fascistes ont pensé les rapports hommes-femmes. » J’ai écrit « révélations fracassantes », j’aurais pu écrire « époustouflantes ».
Deuxième cible, Marguerite Stern. L’article qui lui est consacré a pour titre : « Des Femen à la transphobie » – tout est dit. La journaliste tient à souligner qu’après l’interdiction de l’affichage publicitaire à Paris de son essai Transmania – co-écrit avec une autre vilaine,Dora Moutot – Marguerite Stern « avait aussitôt couru sur le plateau de Pascal Praud, animateur vedette de CNews » – autant dire dans l’antre des médias réactionnaires. Pas un mot, en revanche, sur les intimidations de ces gentilles « féministes antifascistes » qui obligèrent de nombreux libraires à annuler les séances de dédicaces prévues avec Mlles Stern et Moutot ou sur les insultes et menaces que ces deux femmes reçoivent régulièrement de la part des sympathiques militants pro-trans. Un oubli, sans doute. Qui sera sûrement réparé dans un prochain article qui ne manquera pas d’évoquer également les tags « antifascistes » peints sur les murs de l’ISSEP et l’incendie criminel qui a failli détruire les locaux de cet institut privé lyonnais devant accueillir le lendemain Marguerite Stern pour une conférence.
Vient ensuite le cas d’Alice Cordier. Porte-parole du collectif Némésis, cette dernière cette dernière a le tort de faire un lien entre l’insécurité qui croît dans l’espace public et touche surtout les femmes et l’immigration incontrôlée et irrégulière – certains récents et tragiques événements semblent pourtant malheureusement lui donner raison. Mais, pour la chercheuse Magali Della Sudda, tout cela relève du fantasme et les militantes de Némésis sont surtout des « professionnelles de la communication ». Mila, elle, serait passée « du trauma à la haine ». La journaliste est heureuse de rappeler que Mila, 16 ans à l’époque des faits, avait, sur le plateau de Quotidien, présenté ses excuses à ceux qui « vivent leur religion en paix », suite à ses propos « islamophobes » sur les réseaux sociaux. Elle omet simplement de dire que Mila a confié, il y a peu, qu’elle avait subi des pressions incroyables de la part des journalistes de Quotidien qui lui auraient dicté mot pour mot son petit discours de repentance, et qu’aujourd’hui elle refuserait de se prêter à une telle mascarade.
Tatania Ventôse, nouvelle cible à abattre
Mais le cas le plus intéressant est celui de la cinquième femme visée par ce journalisme de bas-étage. Tatania Ventôse a créé il y a dix ans une chaîne YouTube sur laquelle elle analyse en particulier la détérioration de la vie des Français suite aux décisions politiques et économiques prises par les « élites » de notre pays et de l’UE. Cette jeune femme a été une militante active du Parti de gauche qu’elle quitte en 2015. Déçue par les mouvements politiques dans leur ensemble, Tatiana Ventôse refuse d’être rangée dans telle ou telle case. Le succès de sa chaîne YouTube (318 000 abonnés) est dû à un véritable travail de recherche et d’analyse sur les différentes politiques menées par les gouvernants nationaux et européens sous la férule de planificateurs peu inspirés et leur impact sur la vie de la majorité des Français, c’est-à-dire de ceux qu’elle appelle « les producteurs », à savoir les agriculteurs, les artisans, les petits entrepreneurs, les ouvriers, tous les travailleurs qui produisent les biens nécessaires à la vie des ciotyens mais finissent souvent broyés par des entreprises internationales, les marchés financiers ou la Commission européenne de Mme Von der Leyen.
Sur sa chaîne TouTube, dans une vidéo intitulée “De la gauche au populisme” (du titre que le magazine féminin a donné à l’article parlant d’elle), Tatiana Ventôse a magistralement répondu à Cécile Ollivier et à son papier. Elle précise avoir eu, début juillet, une longue conversation téléphonique avec la journaliste en question, conversation durant laquelle elle a expliqué sa pensée et, surtout, le fait qu’elle ne se réclame d’aucun parti politique puisqu’elle considère que « les étiquettes de gauche et de droite n’ont plus aucun sens aujourd’hui ». Mais Cécile Ollivier, qui avoue pourtant au début de son article avoir eu « plus de mal à situer [Tatiana Ventôse] dans la galaxie des influenceuses d’extrême droite » – et pour cause – a tenu quand même à la faire entrer de force dans une des cases censées représenter les différentes tendances de l’extrême droite : réac, identitaire, facho, tradi, etc. Pour cela, la journaliste de ELLE va se livrer à une acrobatie assez courante, mais périlleuse, dans les médias mainstream : le grand écart mental, au risque d’un déchirement cérébral. Après avoir avoué situer difficilement Tatiana Ventôse, la voici qui se lamente parce que cette dernière décrit dans une de ses vidéos « une France vidée de son outil de production par la “caste de la bourgeoisie financière” qui a engendré chômage, insécurité et pauvreté tout en s’alliant avec “ses larbins, habitants des banlieues perfusées d’aides publiques” ». Oui, bon, et alors ? Et alors c’est évident, du moins pour Cécile Ollivier : « Tout ce champ lexical renvoie à la fachosphère ». Ça fume là-haut ! On entend d’ici les sinistres craquements des synapses écartelées… Et ce n’est pas tout. Comme il ne suffisait pas que Tatiana Ventôse soit supposément d’extrême droite, notre acrobate médiatique organise cette fois un numéro de trapèze intellectuel avec la chercheuse au CNRS déjà citée afin de démontrer que, si elle n’est pas explicitement raciste, Ventôse est sûrement antisémite : « Si l’on ne retrouve pas de diatribes explicitement racistes dans ses vidéos, Magali Della Sudda y voit “une vision très simpliste et autoritariste de la société. Cette prétendue élite financière et financiarisée dont elle parle a beaucoup de points communs avec les traits prêtés à la bourgeoisie juive par les antisémites de la fin du XIXe siècle”. » Il fallait oser ! L’argumentation est bien sale – et la langue pratiquée par cette universitaire bien étrange. Qu’est-ce qu’une « vision autoritariste de la société » ? demande Tatiana Ventôse, et nous avec elle. Que signifie la phrase : « Cette prétendue élite […] a beaucoup de points communs avec les traits prêtés àla bourgeoisie juive par les antisémites… » ? Il eut été plus correct d’écrire, par exemple, que « cette prétendue élite […] a beaucoup de points communs avec la bourgeoisie juive telle que décrite caricaturalement par les antisémites… » – cela n’aurait pas édulcoré la stupidité de l’argumentation mais aurait eu au moins le mérite d’être écrit en français. Mais il y a longtemps que nos « élites et leurs agents ne maîtrisent plus les règles élémentaires de la langue française », fait justement remarquer Tatiana Ventôse.
Ultime requête
Tatiana Ventôse démonte les petites manipulations des journalistes officiels dont la grande peur est, dit-elle à juste titre, qu’il émerge dans l’espace public et médiatique quelque chose qui n’entre pas dans leurs cases pré-établies. Indolents, grégaires, dociles, l’idéologie dominante leur va comme un gant – elle leur évite de réfléchir en leur prémâchant des articles sans originalité censés avertir sur la montée du fascisme mais cachant en réalité le monde réel, la pauvreté qui s’installe, l’insécurité qui augmente, le déclin de la France dans tous les domaines. Qu’il y ait des personnes comme Tatiana Ventôse leur est proprement insupportable – difficilement classable, cette dernière ne cesse de dénoncer la classe dirigeante dont ils font partie. On peut ne pas partager toutes les convictions de Tatiana Ventôse – personnellement, je la trouve excessivement optimiste quand elle affirme que « la classe dirigeante » et son bras armé, le système médiatique actuel, ont « déjà perdu ». Il n’empêche, ses vidéos sont à prendre en considération pour les informations qu’on y trouve, pour les réflexions, souvent originales, qu’elle y livre sur la société actuelle, pour les solutions pragmatiques qu’elle propose afin de la changer pour la rendre à nouveau vivable.
Pour conclure sur une note joyeuse : Tatiana Ventôse promet, si les internautes le lui réclament avec insistance, de faire une vidéo drolatique sur d’autres articles du même numéro de ELLE. Parmi les choses délectables, elle a par exemple repéré, dans un article consacré aux « dilemmes »des femmesayant des problèmes de conscience relatifs à l’écologie ou aux relations entre les hommes et les femmes, quelques confessions qui valent le détour : « Je mange des tomates cerises (achetées à Franprix) en plein hiver. » – « Je dis à mes filles de ne pas se laisser faire, mais j’aime qu’on me tire les cheveux au lit. » Y’en a comme ça une pleine page. Chère Tatiana Ventôse, si vous nous lisez, entendez notre requête : les temps sont difficiles, les occasions de rire se font rares. S’il vous plaît, faites-nous cette vidéo sur les âneries que vous avez lues dans ELLE !
L’immense émotion suscitée par le meurtre de Philippine fait réagir l’ensemble de la classe politique. 3000 personnes étaient présentes hier à la cathédrale Saint-Louis de Versailles pour les obsèques de l’étudiante de 19 ans.
Des militants de gauche et d’extrême gauche ont voulu arracher, dans les facultés de Lyon et de Grenoble, des affiches rendant hommage à Philippine Le Noir de Carlan et les étudiants sont intervenus pour leur rappeler les règles de décence et de respect. Une telle indignité dépasse l’entendement ! Splendide et douloureuse réponse à cette ignominie : les presque trois mille personnes ayant assisté dans le recueillement aux obsèques de Philippine.
À gauche et à l’extrême gauche, la réaction de Manuel Bompard à cette atrocité criminelle a été irréprochable mais je suis navré de constater qu’une fois de plus Sandrine Rousseau, prise par l’irrépressible désir de se distinguer, a proféré n’importe quoi sur cette tragédie, en ne traitant pas ce qu’elle avait à engendrer exclusivement : la compassion et la révolte.
Le Rassemblement national a été fidèle à lui-même. Dans l’affliction mais dans un maximalisme immédiat, laissant trop peu de temps entre l’émotion et le politicien pour que la première soit jugée totalement authentique.
Je ne serais pas loin, sur ce plan, de comparer le communiqué du Syndicat de la magistrature dont la tonalité filandreuse ne semblait avoir pour finalité que d’occulter l’horreur nue de la mort de Philippine, avec la demande de Laurent Wauquiez réclamant une mission flash à l’Assemblée nationale sur les dysfonctionnements administratifs et judiciaires. Elle relève à mon sens de la posture : on sait ce qui s’est (mal) passé.
Migaud et Retailleau réunis à Matignon
La réunion que le Premier ministre a organisée pour inviter le garde des Sceaux et le ministre de l’Intérieur à mettre fin à leur dispute par médias interposés a eu les plus heureux effets. Didier Migaud a changé de ton, se souvenant qu’être qualifié de gauche ne l’autorisait pas à ne rien comprendre aux tragédies françaises. Une fois qu’il a énoncé cette évidence sur sa fonction : « Je suis le défenseur de l’État de droit, de la justice et des magistrats… », il en est venu à l’essentiel. Après avoir tout de même concédé au rationnellement correct – « on ne peut pas légiférer sous le coup de l’émotion » -, il a affirmé qu’il allait « travailler » avec son collègue de l’Intérieur, que « police et justice étaient complémentaires et qu’ils avaient les mêmes objectifs ». Il n’était pas inutile, après les débuts de Bruno Retailleau en phase avec « la majorité nationale » de laquelle il tire sa légitimité, que le ministre de la Justice cessât de faire croire à un impossible consensus entre son collègue et lui-même.
Depuis le Canada, des propos présidentiels banals
Mais puis-je conclure en mettant en cause l’attitude de notre président de la République ? De Montréal, il a usé d’un langage qui de sa part pouvait être perçu comme plus tactique que sincère. Certes je ne doute pas qu’il dise vrai en évoquant « l’émotion de toute la nation » devant « ce crime odieux et atroce »… et en compatissant avec « la douleur de toute une famille qu’il faut aider, accompagner ». Propos d’une inévitable banalité. Mais pour le reste ? Quand le président recommande de « chaque jour mieux protéger les Français », en exhortant l’équipe de Michel Barnier à « le faire, le faire, le faire, et moins dire », je considère qu’il se moque du monde. Qu’on soit quasiment dans une pratique feutrée de cohabitation ne l’excuse pas. D’abord quelle provocation de l’entendre demander une obligation de protection quand cela a été son accablante faiblesse lorsqu’il avait toute latitude, malgré un Gérald Darmanin qui tentait tant bien que mal de pallier ses manques. Quelle crédibilité donner à Emmanuel Macron dans son verbe d’aujourd’hui alors qu’à plusieurs reprises il a manifesté son hostilité à l’égard de la police, prenant des positions légères et choquantes sur l’affaire Zecler ou la mort de Nahel ? S’il a eu une constance dans le domaine régalien, c’est celle de l’inconstance de son soutien aux forces de l’ordre et à ceux qui donnaient le meilleur d’eux-mêmes pour la défense de notre démocratie.
Il se trompe donc de cible en croyant, par sa triple injonction de « faire », mettre à mal le propos de Michel Barnier prescrivant de « davantage agir que parler ». Ou moquer l’avertissement trois fois répété de Bruno Retailleau sur « le maintien de l’ordre ».
Philippine au cœur : un crime qui fait parler. Et qui fera agir et réformer, je l’espère.
Rachida Dati, reconduite à la Culture, est la lointaine héritière d’André Malraux et de son ministère des Affaires culturelles. Elle est désormais ministre “de la Culture et du Patrimoine”. Comment comprendre ce changement? Analyse.
Rectificatif (2/10/2024) Simon Nicaise précise que le pot d’échappement dont il est l’auteur n’a pas été acquis par le Frac Normandie, contrairement à ce qui est écrit dans cet article NDLR
Le ministère d’André Malraux s’était appelé non pas ministère de la Culture mais ministère des Affaires culturelles. À l’époque, on avait le sens de la mesure et de la nuance. Le décret fondateur du 24 juillet 1959, rédigé de la main même du ministre d’Etat, fixait à ce ministère la mission suivante : « Le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessible les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord celles de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent »
Nouveau look pour une nouvelle vie
En appelant le ministère confié à Rachida Dati, « ministère de la Culture et du Patrimoine », en scindant culture et patrimoine, le gouvernement de Michel Barnier semble reconnaître qu’il ne saura pas prendre les décisions qui s’imposent et que, se sentant incapable de mettre un terme à l’imposture et à la gabegie de la rue de Valois, il a choisi de mettre la tête dans le sable en appelant culture ce qui n’a rien à voir avec elle, et en réservant le terme de patrimoine à ce que l’on entendait autrefois par culture. Autrement dit, ce ministère aura pour vocation de s’intéresser par exemple, pour la partie culture, à des œuvres comme le Pot d’échappement de Simon Nicaise (acquis par le Frac-Normandie) et, pour la partie patrimoine, à la question des vitraux de Notre-Dame de Paris.
Notre-Dame de Paris, Jacob, détail du vitrail de L’Arbre de Jessé, conçu par Edouard Didron (1864)
Il est évident qu’en donnant au ministère des Affaires culturelles, comme troisième mission, celle de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui enrichissent notre patrimoine culturel, André Malraux n’imaginait nullement que la rue de Valois, sous l’impulsion de Jack Lang, finirait par considérer un pot d’échappement comme une « œuvre » susceptible d’enrichir ce patrimoine…
Il avait toutefois pressenti ce qui allait se passer et mis le doigt sur l’insuffisance intellectuelle et l’aveuglement de ces fonctionnaires culturels chargés du domaine qui avait été le sien : « Si toute création véritable, écrivait-il, est révélation, donc originalité, le nouveau seul ne répond point à l’appel énigmatique et millénaire de l’homme ; il répond à sa parodie, l’intoxication qu’assouvit la mode. D’où l’entrée en scène d’une peinture qu’on pourrait dire « de consommation » : tel collectionneur américain possède sa galerie d’œuvres destinées au musée, et ses tableaux destinés à la poubelle – car il sait que dans quelques années, son intoxication exigera des tableaux plus récents. » C’était là souligner l’absence de pertinence des discours habituellement tenus dans les milieux de l’art et prédire le destin d’une collection comme celle de François Pinault.
Quel visiteur d’exposition d’art contemporain, haussant les épaules devant un tas de sable déversé au milieu d’une salle sur lequel veille un gardien somnolant dans un coin, quel visiteur (quand il s’en trouve un) n’a pas entendu ensuite un conservateur ou un critique d’art lui expliquer de manière fort sentencieuse qu’il ne fallait pas répéter l’erreur de nos arrière-grands-parents qui hier étaient passés à côté des impressionnistes ? Malraux avait démonté en 1976, il y a bientôt cinquante ans, ce sophisme devant lequel personne ne trouvait à redire : « Puisque l’opinion, écrivait-il, avait protesté contre les grands Indépendants depuis Manet jusqu’au cubisme, toute peinture contre laquelle proteste l’opinion, continue celle des vrais maîtres et, comme celle-ci, porte en elle l’avenir. Si bien que le juge de la peinture, en dernière instance, se définit parce qu’il n’y connaît rien. Il ne s’agit pas d’aimer la peinture, mais la peinture de demain. »
En 1986, la revue Connaissance des arts avait posé à Jack Lang qui quittait le ministère et à François Léotard qui lui succédait la question suivante : « Quels sont les grands artistes de demain ? » Seul le ministre François Léotard, dont le cabinet m’avait demandé de lui tenir la plume, critiqua l’absurdité de la question. Jack Lang, lui, avait bien entendu sa liste. Que risquait-il ? puisque, comme il le déclara à l’Assemblée nationale dès 1981, « tout est culturel » et que, comme l’a écrit Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, « chacun appelle culture ce à quoi il occupe ses loisirs, ses RTT ou son RSA. » Ce même Antoine Compagnon, ancien élève de l’Ecole polytechnique, Docteur d’État ès lettres, ancien élève et ami de Roland Barthes, reprocha à Jack Lang et à ses successeurs d’avoir dévalué l’idée même de culture, renonçant ainsi à la « culture cultivée » d’André Malraux. C’est le caractère pervers du décret du 5 juin 1981 relatif aux attributions du nouveau ministre de la culture qu’Antoine Compagnon dénonçait.
Piqué au vif, le ministre de Mitterrand s’était défendu en ces termes : « Ce décret fut improvisé et rédigé entre deux portes ; je n’en suis pas particulièrement fier et je ne crois pas d’ailleurs à l’utilité de ces textes. » Effectivement, le pays se serait bien passé d’un tel décret qui ne fut pas inutile, mais nuisible. En installant la confusion, en nivelant les genres, en délégitimant toute hiérarchie de valeurs, en flattant le moindre saltimbanque, en ouvrant grand la porte à l’impuissance et à la puérilité, ce décret rendait impossible tout consensus autour de ce qu’une génération se devait de transmettre à la suivante.
L’épave d’une Dauphine échoue dans le Var
Depuis André Malraux, de l’eau a coulé sous les ponts : ce ne sont plus des peintures collectionnées par des Américains intoxiqués par la mode qui empliront les poubelles. On a descendu bien d’autres marches encore : c’est la descendance des urinoirs et des sèche-bouteilles de Marcel Duchamp qui a proliféré dans nos musées, nos centres culturels, nos châteaux, nos églises, nos rues : Vagin de la Reine dans les jardins de Le Nôtre à Versailles, homard géant et aspirateurs dans le Château, Plug anal place Vendôme devant le ministère de la Justice, épave de Ferrari au Grand Palais, pneus de tracteur dorés à la feuille d’or à l’opéra Garnier, dunes de sable dans la salle capitulaire de l’abbaye de Maubuisson, méduses en tissus montant à l’assaut des remparts du Mont Saint-Michel, scène de zoophilie géante devant le centre Pompidou, chaos de dalles funéraires déversées dans la salle du Cycle de Marie de Médicis de Rubens au Louvre, postes de télévision diffusant des scènes de masturbation au CAPC de Bordeaux, artiste couvant des œufs dans une cage en verre au Palais de Tokyo et auquel le président François Hollande viendra rendre visite.
Tout récemment, c’est une autre épave de voiture qu’a encensée dans Le Monde du 24 août 2024, le critique d’art Philippe Dagen : « à la Commanderie de Peyrassol à Flassans-sur-Issole (Var), qui abrite le vignoble biologique Château Peyrassol (…), une carcasse d’automobile Dauphine ayant perdu moteur, pneus et pare-brise, que Lavier [c’est l’auteur] a fait repeindre du plus étincelant bleu par un spécialiste en carrosserie, d’abord un peu surpris d’être invité à magnifier une épave (…). Chaque fois, Lavier sait placer dans des formes apparemment simples et séduisantes des charges d’idées et de doutes. Elles explosent avec grâce, mais elles n’en sont que plus dangereuses. » L’amateur de carcasses de voiture et sans doute d’excellent rosé de Provence, enseigne à Paris I et dirige des thèses. L’auteur des pneus de tracteur en or installés à l’Opéra, lui, aimait autre chose : il a été mis en examen pour viols sur mineurs avec interdiction de quitter le territoire.
Bertrand Lavier : La Dauphine, 2024
Faut-il s’attendre à ce que Madame Rachida Dati vienne au 20 heures de TF1 expliquer que « tout Pot d’échappement contre lequel proteste l’opinion continue les maîtres verriers de Notre-Dame et porte en lui l’avenir » ? Nous parlera-t-elle de sa vision territoriale de la culture et de son souci d’un véritable dialogue entre nos régions, entre le Pot d’échappement de Normandie et la Dauphine provençale ? Qu’est-ce qui a changé pour que son ministère qui s’appelait ministère de la Culture dans le gouvernement de Gabriel Attal (comme d’ailleurs dans ceux d’Elisabeth Borne, de Jean Castex et d’Edouard Philippe) s’appelle désormais « ministère de la Culture et du Patrimoine » ? La ministre nous expliquera-t-elle qu’il s’agit de séparer le bon grain patrimonial de l’ivraie culturelle, et de réserver dorénavant le terme de culture à la contre-culture, celle-ci fût-elle usée jusqu’à la corde ? Se félicitera-t-elle que la France puisse s’enorgueillir de défendre en même temps sa Contre-culture et son Patrimoine ? Peut-être ce ministère doit-il tout simplement son nouvel intitulé à la journée du patrimoine au cours de laquelle fut dévoilée la composition du gouvernement. A moins que cette nouvelle dénomination ne soit qu’une manière de calmer ceux qui pétitionnent contre le remplacement, dans les chapelles du bas-côté sud de la nef de Notre-Dame de Paris, des vitraux de Viollet-le-Duc par des vitraux d’artistes contemporains.
La situation économique du pays ne pourrait-elle pas amener le président Emmanuel Macron et Monseigneur Laurent Ulrich à maintenir en place les vitraux de Viollet-le-Duc ? Mais c’est là une question sans doute fort secondaire. Les opposants au projet de vitraux contemporains, à savoir les membres de la Commission nationale du Patrimoine et de l’Architecture (CNPA) qui ont donné à l’unanimité un avis défavorable, ont raison de s’appuyer sur la charte de Venise adoptée en 1965 par la France. Par ailleurs, ils n’ont sans doute pas tort de camper fermement sur leur position tant il est vrai que le choix des huit artistes en compétition, choix de l’Etat et du diocèse fait en partenariat avec le comité artistique présidé par l’ancien directeur du Musée national d’Art moderne au Centre Pompidou, Bernard Blistène, laisse vraiment à désirer. Quand on examine cette sélection pour le moins étonnante parue dans la presse, on ne peut que s’interroger sur les raisons qui l’ont motivée. Attendons que les candidats rendent leur projet ! Ce sera le 4 novembre prochain.
Lors de l’incendie de la cathédrale en avril 2019, l’émotion et l’angoisse avaient submergé le cœur de tous les Français qui avaient communié, une fois n’est pas coutume, dans un même désarroi éprouvé mondialement. Aussi est-on en droit de se demander ce qui pousse à nouveau le président Macron à vouloir semer la discorde parmi les Français. Quand on considère les vitraux réalisés à l’époque moderne, il est évident qu’il en existe de très beaux, respectueux des lieux et ayant peut-être offert à l’artiste l’occasion d’approfondir son propre travail par un véritable dialogue avec l’architecture religieuse. Mais quand on considère ne serait-ce que les quelques réalisations d’art contemporain que nous avons énumérées plus haut et qui ont défrayé la chronique ces vingt dernières années, il est tout aussi évident que l’art contemporain fraye bien trop souvent, aux yeux des Français, avec l’imposture, la vulgarité, la puérilité, le conflit d’intérêt, voire la corruption. Aussi vouloir à tout prix faire entrer l’art contemporain dans Notre-Dame de Paris, hier meurtrie par les flammes, c’est provoquer inutilement les Français.
Viollet-le-Duc n’a sans doute pas compris ce qu’il en était de l’art du vitrail au Moyen âge. Nous ne parlons pas bien entendu ici de l’artisanat du maître-verrier mais de « l’expression lyrique » de cet art qui est un sommet de la peinture et n’a rien à voir avec un décor. Il faut lire le texte éblouissant qu’André Malraux écrivit en 1947, réécrivit en 1951 puis en 1963 et qu’il illustra avec la Belle-Verrière de Chartres.
Le président Emmanuel Macron est allé visiter la célèbre cathédrale ce vendredi 20 septembre, accompagné de Rachida Dati et de Stéphane Bern. Quelqu’un leur a-t-il donné à lire le texte de Malraux ? A eux, à Monseigneur Laurent Ulrich, aux membres de la Commission nationale du Patrimoine et de l’Architecture, à Monsieur Bernard Blistène et aux membres de son comité artistique ? Comment peut-on croire que c’est par des déplacements imaginés par des conseillers en communication ou par d’interminables réunions de comités Théodule, comme les appelait le Général de Gaulle, qu’on peut déterminer en matière de culture les actions qui sont à conduire et les décisions qui sont à prendre ?
Chartres : Notre-Dame de la Belle-Verrière, XIIe s
Qu’on nous montre un texte de Jack Lang, un texte de ses successeurs qui puisse souffrir la comparaison avec cette page admirable des Voix du Silence que voici :
« Le XIXe siècle a tenu le vitrail médiéval pour un art d’ornement. (…) Le vitrail est lié à un dessin subordonné, parfois ornemental (encore faudrait-il y regarder de près), mais sa couleur n’est en rien un coloriage ornemental de ce dessin, un remplissage éclatant ; elle est une expression lyrique, non sans analogie avec celle du lyrisme pictural de Grünewald ou de Van Gogh. Si le génie chromatique naquit tard en Europe septentrionale, c’est que pour le grand coloriste, le vitrail y était le plus puissant des moyens d’expression ; et nos maîtres ravagés de couleur, à la fin du XIXe siècle, semblent appeler un vitrail dont le Père Tanguy et les Tournesols seraient plus proches que de Titien ou de Vélasquez. Le mot même de « peinture » né des tableaux, nous fourvoie : le sommet de la peinture occidentale antérieure à Giotto, ce n’est ni telle fresque, ni telle miniature, c’est la Belle-Verrière de Chartres.
Van Gogh : Père TanguyTournesolsTitienVélasquez
L’art du vitrail est aussi décoratif. Au même titre que tout art roman, que la statuaire même. Cette statuaire resterait bien souvent enrobée dans l’immense ensemble ornemental qui la presse, si ne l’en arrachait le visage humain. Car la robe de la statue-colonne est un élément du portail et sa tête n’en est pas un. Du décor qui l’enchâsse, le vitrail du XIIème, du XIIIème siècle même, surgit avec la force qui libère les visages romans ; mais si, la photographie aidant, chacun isole d’instinct les statues du Portail royal de Chartres, le vitrail ne s’arrache pas encore sans peine à une confusion où Notre-Dame de la Belle-Verrière se mêle aux entrelacs. L’accent libérateur qu’apporte le visage à la sculpture est donné au vitrail par son expression lyrique, aussi spécifique que celle de la musique, et à quoi aucun artiste ne se méprend pour peu qu’il la compare aux autres expressions plastiques romanes : fresque ou mosaïque. (Et même son dessin est moins byzantin qu’il ne semble…) Il suffit de rapprocher les grands vitraux romans des fresques, des mosaïques antérieures ou contemporaines [il est question du XIIIème siècle bien sûr], pour voir qu’ils n’en sont pas le décor mais l’accomplissement.
Certes, le vitrail est une peinture monumentale ; dans ses expressions les plus hautes, nulle autre ne peut lui être comparée : aucune fresque ne s’accorde à une architecture comme il s’accorde à l’architecture gothique. Les cathédrales aux vitres blanches, lorsque la guerre contraignit à descendre les verrières, nous enseignèrent de reste qu’il était bien autre chose qu’un ornement. Indifférent à l’espace de ce qu’il représente, il ne l’est pas à la lumière variable du jour qui lui avait donné, lorsque le peuple fidèle hantait les églises à des heures différentes, une vie que n’a retrouvée aucune œuvre d’art. Il succède à la mosaïque à fond d’or comme la coulée du jour aux lampes des cryptes, et le silencieux orchestre des vitraux de Chartres semble obéir, tout le long des siècles, à la baguette que l’Ange porte sur le cadran solaire. (…)
Le dernier verrier digne des maîtres de Chartres sera Paolo Uccello (dont aucune reproduction, hélas ! ne transmet l’éclat de la Résurrection telle qu’on la vit, descendue, à l’exposition de Florence). Mais ce vitrail est unique. Le monde gothique s’achève, et le vrai vitrail ne survivra pas au génie de Giotto. Les verrières, comme les mosaïques, comme les tympans romans, avaient fait accéder les figures humaines au monde de Dieu ; l’art va s’efforcer d’incarner les figures divines dans le monde des hommes. Et le chromatisme des vitraux, leur relation avec la lumière vivante et non une lumière imitée [comme dans la peinture], interdisent à leur génie, de survivre à l’admiration pour une peinture qui découvre l’illusion. »
Que l’on compare une telle page avec les quelques lignes que le célèbre historien E. H. Gombrich consacra au vitrail dans L’Art et son histoire : « Les artistes ne se sentant plus astreints à étudier et à reproduire les effets d’ombre que présente la nature, étaient tout à fait libres de choisir pour leurs illustrations les couleurs qu’ils préféraient. (…) Les rouges rayonnants et les bleus profonds de leurs vitraux témoignent du bon usage que firent ces maîtres de leur indépendance à l’égard de la nature. »
Cet historien est un immense érudit, mais comme l’a écrit Hegel : « L’érudition consiste surtout à connaître une foule de choses inutiles, c’est-à-dire de choses qui en soi n’ont ni valeur ni intérêt, si ce n’est d’en avoir connaissance. » Aussi n’a-t-il pas compris grand-chose aux écrits de Malraux et ne voyait-il chez lui que manque de rigueur scientifique et verbiage. Combien d’écrivains, de critiques et d’historiens d’art ou de politiques, comme Michel Debré dans ses Mémoires par exemple, lui ont emboîté le pas, les yeux fermés, répétant les uns derrière les autres ce que l’historien du Warburg Institute de Londres avait écrit : « Les chapelets de noms et les alignements d’images [dans Les Voix du Silence] ont pour but, comme les énumérations de noms de divinités dans d’anciennes incantations, de rassurer leur auteur plutôt que d’éclairer le lecteur ».
En quoi ce qu’écrit Gombrich sur le vitrail est-il éclairant ? Comme si les bleus et les rouges étaient l’expression d’une préférence ! Comme si l’auteur de Notre-Dame de la Belle-Verrière ne s’était plus soudain senti obligé d’imiter la nature ! Mais qu’est-ce que ça veut dire ! Comme si nous avions affaire au goût d’un artiste, à sa subjectivité et non pas à un art de civilisation qui gouverna en profondeur et l’esprit et la main du maître de cette verrière dont le feu va s’éteindre devant Giotto et cet autre art de civilisation que sera la Renaissance. « Le génie du vitrail, explique Malraux, finit quand le sourire commence. Alors le dessin devient privilégié, l’imitation (les personnages de Giotto sont « vivants » pour ses contemporains, comme les figures de Van Eyck sont ressemblantes pour les siens) devient une valeur. » Souvenons-nous : dans le vitrail le dessin n’était pas « privilégié » mais « subordonné » à la couleur, à son lyrisme. La valeur qui gouvernait cet art du surnaturel ne pouvait s’accommoder de celle à naître qui obsèdera l’Italie et la Flandre, à savoir l’imitation de l’ordre naturel.
Depuis des décennies les écrits de Malraux sur l’art sont diffamés ou mis tout simplement sous le boisseau. Un exemple emblématique de cette inadmissible désinvolture de nombre de nos universitaires et critiques d’art à leur égard, désinvolture préjudiciable aux étudiants, et ce sur plusieurs générations, se trouve dans le livre que l’historien Georges Didi-Huberman publia en septembre 2013, L’Album de l’art à l’époque du « Musée imaginaire » (Hazan / Louvre éditions) et qui fut l’occasion d’une série de cinq conférences à l’auditorium du Louvre dès sa sortie.
Voici ce que ce professeur fait dire à Malraux à propos d’une double page des Voix du Silence représentant à gauche le Portrait de Marcus Agrippa (vers 25-24 av. J.-C.) et à droite le Saint Jean-Baptiste de la cathédrale de Reims (XIIIème siècle) : « La même gravité magnifie le visage de l’empereur romain et celui, gothique, de Saint Jean-Baptiste ». C’est se moquer du monde !
Voici ce qu’a écrit André Malraux à propos de ces deux portraits disposés l’un en face de l’autre conformément à sa méthode selon laquelle « on ne sent bien que par comparaison » : « Tout marque un visage antique, sauf la vie même s’il n’est pas celui d’un dieu ; en face d’un saint gothique, ni César, ni Jupiter, ni Mercure n’ont vécu ; à côté de n’importe quel prophète, les patriciens ont des faces fermées de vieux enfants. Le visage de chaque chrétien porte sa propre trace du péché originel ; la forme de la sagesse ou de la fermeté était unique, mais celle de la sainteté et du péché ont la multiplicité des créatures : chaque face chrétienne est sculptée par une expérience pathétique, et les plus belles bouches gothiques semblent les cicatrices d’une vie. »
Un deuxième exemple dévoile la malhonnêteté du procédé idéologique de ce livre : spécialiste avisé dans la lecture des images – on peut à nouveau en douter – Didi-Huberman s’est permis une inadmissible confusion. André Malraux est présenté page 18 comme celui qui défila en 1968 « aux côtés de Michel Debré et, même (sic), de Robert Poujade ». Derrière ce « même », perce toute l’idéologie de l’auteur. Se référant à la célèbre photo du 30 mai 1968 prise sur les Champs-Elysées où se retrouvèrent un million de personnes, Didi-Huberman confond ce Robert Poujade député gaulliste de la Côte-d’Or dont le visage apparaît entre ceux de Malraux et de Debré, avec un certain Pierre Poujade, le responsable syndical qui donna son nom au poujadisme, appellation péjorative du conservatisme des commerçants et des artisans que l’on disait petit-bourgeois. Si Didi-Huberman est si désinvolte c’est qu’il cherche à accréditer l’idée qu’en devenant gaulliste, Malraux est passé du « bien pensé » de ses combats antifascistes au « bien-pensant » de l’ordre établi, et que sa pensée sur l’art, de ce fait, s’est close sur elle-même, indifférente aux luttes anticoloniales. Est-ce donc de telles méthodes qu’il faut utiliser pour terminer sa carrière comme directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) ?
Que les élèves de ces historiens d’art qui, depuis tant d’années, leur ont honteusement caché la pensée magistrale d’André Malraux et la puissante poésie de son verbe, qui les ont dissuadés de lire et d’étudier ses ouvrages, que ces victimes de cette scandaleuse diffamation leur demandent enfin de s’expliquer. C’est la nullité de la réflexion de ces historiens, leur aveuglement devant les préjugés véhiculés par la langue, leur incapacité à penser l’art qui est à l’origine de ce grand naufrage de la politique culturelle de notre pays. Mais pour se révolter avec efficacité, que ces élèves commencent par s’armer, qu’ils aillent se procurer en librairie Le vocabulaire de Malraux, aux éditions Ellipses. L’auteur, Jean-Pierre Zarader, professeur agrégé de philosophie, est le créateur et le directeur de la collection Le vocabulaire des philosophes (de l’Antiquité à la philosophie contemporaine), collection rassemblée en quatre tomes d’environ 700 pages chacun et à laquelle ont participé les meilleurs spécialistes. Chaque Vocabulaire de chacun des philosophes étudiés tient sur une soixantaine de pages. Comme l’écrit Jean-Pierre Zarader dans sa préface, « ce Vocabulaire des philosophes est né de l’idée, banale, qu’un philosophe n’est intelligible que dans le vocabulaire dont il use, dans les mots qu’il forge ou qu’il s’approprie ».
Il est grand temps temps que les étudiants lisent Malraux et, pour cela qu’ils cessent d’écouter leurs professeurs et se procurent ce formidable Vocabulaire que Jean-Pierre Zarader (1) a conçu et mis à leur disposition. S’approprier la réflexion indépassée de notre ancien ministre des Affaires culturelles, c’est se donner les moyens de renverser la table des impostures autour de laquelle festoient depuis plus d’un demi-siècle des fonctionnaires qui n’ont rien compris et n’eurent jamais la modestie de dire comme De Gaulle recevant son ministre d’Etat dans son bureau de l’Elysée : « Malraux, enseignez-moi ! »
La première fois que Jean-Pierre Zarader ouvrit Les Voix du Silence, c’était au début des années quatre-vingt, lors de la préparation de l’agrégation où le thème de l’art avait été inscrit au programme du concours. « Outre les philosophes qui se sont intéressés à la question de l’art, que faut-il lire que personne n’aura lu ? », me demanda-t-il. Réponse : « Les Voix du Silence, mais attention ! utilise Malraux sans le citer, il est persona non grata dans le milieu. » Jean-Pierre Zarader se procura l’ouvrage à la bibliothèque municipale de Reims près de la cathédrale (pour laquelle Marc Chagall, grand ami de Malraux, réalisa de somptueux vitraux) en commença la lecture puis m’appela : « Ça ne veut rien dire, ton bouquin ; c’est une « soupe de mots » ». Cette expression était celle qu’utilisait Pierre-Jean Labarrière, le grand spécialiste de Hegel, lorsqu’il évoquait le désarroi de tout lecteur ouvrant pour la première fois La Science de la Logique. Je lui conseillai alors la lecture de L’Homme précaire et la littérature, ouvrage dans lequel Malraux traite d’un domaine qui lui serait plus familier selon des schèmes de pensée analogues à ceux des Voix du Silence. Puis nous nous sommes vus plusieurs fois à l’occasion de la rédaction d’un article qu’il préparait à ma demande pour le dixième anniversaire de la mort d’André Malraux en 1986. Malraux n’était pas, bien entendu un philosophe, en effet « son lyrisme, explique Jean-Pierre Zarader, traduit une attitude qui semble étrangère, quand elle n’est pas opposée, à celle du philosophe (…) mais il y a bien une philosophie de l’art d’André Malraux ». Jean-Pierre Zarader a donc intégré, en 2001, l’auteur des Voix du Silence et de La Métamorphose des dieux dans sa collection.
Ignorantes des cris de ces femmes afghanes, Qui, par les Talibans, sont sommées de se taire, Les féministes en France exhument l’Abbé Pierre. Homme d’Église, blanc, et surtout décédé, La cible était trop belle pour la laisser passer. Et de l’Inquisition rallumer le bûcher.
Dans l’art de la magie, Macron est passé maître : Le bien des citoyens ne fait que disparaître. Et dans ses mains expertes, façon grande illusion, Parades olympiques, coûts de dissolution, L’argent du contribuable s’évapore par millions. Élaborons un mythe, et pourvu que l’Histoire, Ne retienne que la gloire et non pas la faillite.
Après mille revirements, maintes consultations, Michel Barnier s’annonce et entre à Matignon. Non sorti du chapeau, mais bien de l’hospice, C’est en Premier ministre qu’il reprend du service. Ne faut-il que la France n’échappe au gauchisme, Que pour mieux sombrer dans cet immobilisme ?
Force est de reconnaître que pour l’environnement, La France, pour une fois, se place au premier rang. Instaurant recyclage parmi les hautes sphères, Que l’on est vertueux au sein des Ministères ! Suivant la boucle verte dont elle est haut symbole, Chacun passe son siège, garde ses casseroles.
Mais dans ce petit jeu des chaises musicales, Quand la mélodie cesse, le silence est de mise, C’est la France, hélas, qui finit sans assise. Personne ne l’évoque, lors des passations. Carrières personnelles, intimes ambitions, Tous se gargarisent, se pavanent en lions. N’a-t-on donc sacrifié toute forme de royauté, Que pour mieux couronner l’individualité ?
Il nous faudrait si peu pour être dans le regret, Pour son cercueil de plomb, envier Du Bellay. De cet état lui-même ne mesure-t-il sa chance ! Quelques semaines plus tôt, dans sa si chère France, On imagine sa peine, son effroi, sa stupeur. De la langue française dont il fut défenseur, Assister au supplice, si ce n’est au trépas. Qu’aurait-il donc pensé d’Aya Nakamura ? Aya, se trémoussant devant l’Académie, Lui qui, né bien trop tôt, n’y fut jamais admis.
Prêtons donc attention au chef de Matignon. Ainsi à ses ministres donne-t-il la leçon : À tous il est d’usage de serrer la main, Faites vœu de modestie, vantez vous à dessein, Soyez irréprochables, exemplaires citoyens. Si de telles évidences doivent être énoncées, À notre élite française, à nos plus éduqués, Le niveau des Français devrait-on redouter. Si besoin est réel d’un tel apprentissage, C’est à Anne Genetet qu’on souhaite bon courage.
Mardi matin, à 8 heures, les policiers sont venus frapper à chaque porte de l’immeuble le « Carrare », à Échirolles (38). Tous les habitants ont été évacués, le trafic de drogue ayant rendu leur maintien dans les lieux trop dangereux.
Èchirolles, Isère, commune de la banlieue de Grenoble. La came, son commerce et ses ravages s’y portent à merveille. On peut même dire que la racaille qui a la main sur ce trafic vient de remporter une victoire dont elle peut se réjouir. Ne représente-t-elle pas en effet à elle seule une des plus criantes illustrations de l’incapacité de l’État, des autorités dites compétentes, à imposer l’ordre républicain ? Autrement dit à protéger les citoyens d’une délinquance qui se propage, s’insinue partout, sème le désarroi et prospère à un point tel qu’on finit par se demander s’il est encore possible de l’endiguer.
Double peine
Parce que ces autorités, l’État, se révèlent incapables de purger un immeuble de l’essaim de dealers qui l’occupent maintenant depuis plusieurs années et dont ils ont fait la plaque tournante de leur trafic, la municipalité en est venue à obliger les habitants, les occupants légaux de l’immeuble, à vider les lieux, à abandonner leurs logements. Le monde à l’envers. Double peine pour ces gens. Ils ont subi l’occupation – le terme est à prendre ici dans son sens le plus négatif, le plus violent – de ces racailles qui leur rendaient la vie impossible, et maintenant, ils doivent dégager !
Impossible la vie, véritablement, au « Carrare », sous la loi de cette milice du deal, puisque la Mairie n’a pas hésité à expliquer sa décision d’expulsion par « le danger de mort imminent et permanent » qui menaçait les locataires. Risques d’incendie, d’électrocution. Réseau électrique mis à nu parce que les portes des armoires en bois ont été arrachées pour servir de combustible dans les poubelles converties en brasero. Une flambée pour se réchauffer les mimines, faire griller la saucisse, chauffer la blanche ? Escaliers de secours encombrés de matelas, de meubles afin d’en interdire l’usage, en particulier aux forces de police. Accès au garage soudé pour bien achever la bunkerisation du lieu. Avec cela marques de sang au sol, rapporte un locataire, désemparé. Le tout agrémenté de fusillades – deux au moins dans l’été – épisodes hélas ordinaires d’une guerre des gangs qui sévit ici aussi. Marseille essaime. Marseille colonise, le Sud remonte, diagnostiquent les experts de la question. Le fait est que ces bandits sont parvenus à s’incruster dans ces murs, à se les approprier, terrorisant les habitants, mettant, répétons-le, leurs vies en danger. Et ce sont ces derniers qu’on déloge. Ce sont les victimes qu’on punit. Quel constat d’échec ! Quel aveu de faiblesse ! En effet, les racailles peuvent pavoiser. Aujourd’hui un immeuble, demain un quartier entier, après demain une ville ? Toute une région. Où cela s’arrêtera-t-il ?
Deux fusillades pendant l’été, mais à Paris, le NFP se préoccupe des «violences policières»…
On s’en doute, les locataires du « Carrare » ne roulent pas sur l’or et encore moins sur le pognon de la came. « Quand on habite là, c’est qu’on n’a pas vraiment le choix », admet un responsable de la municipalité, dépité. Dépité mais impuissant. Tout comme l’est Madame La Maire, Amandine Demore. Face à la gravité de la situation, situation « inédite » insiste-t-elle, l’évacuation lui a semblé être « la seule façon d’agir ». Et de mentionner les nombreux appels à l’aide adressés au gouvernement, les multiples demandes de mise à disposition d’une police de proximité. Sans résultat : la puissance publique aux abonnés absents.
Madame la Maire est une élue communiste. On attend fébrilement que les caciques parisiens du Nouveau Front populaire, Mélenchon, Roussel, Faure, Tondelier en tête, fassent le déplacement à Échirolles pour manifester leur soutien à leur camarade élue, certes, mais aussi et surtout, à ces locataires « prolétaires » chassés de chez eux. Au passage, les chefs NFP pourraient en profiter pour joindre leur voix à celle de l’édile et exiger plus de police (Là, on rêve !). En outre, ils pourraient préciser également le niveau de sévérité du traitement judiciaire qu’ils souhaiteraient voir appliqué aux racailles du « Carrare » et à leurs semblables.
Le gouvernement n’en finit pas de s’installer… Et les citoyens ont compris que la configuration politique du pays ne permettrait pas à M. Barnier d’agir absolument comme il le souhaite. Les Français sont désabusés, alors que l’ensauvagement et le séparatisme menacent. Le discours de politique générale du Premier ministre, mardi prochain, est très attendu.
Lundi 23 septembre, pour la première fois, le gouvernement Barnier a réuni ses ministres et secrétaires d’État, issus de la macronie et de la droite, autour d’un « petit déjeuner gouvernemental. » Michel Barnier a tenu à le préciser : il ne s’agissait pas d’un « Conseil des ministres » mais d’une « rencontre autour d’un café pour mieux se connaître. » Pour ceux qui auraient imaginé une équipe se mettant au travail : Caramba ! Encore raté !
Citoyens désabusés et affranchissement des usages
Que ces gens-là aient un peu de mal à lancer la machine, on le conçoit bien, d’autant plus qu’on vient de s’appuyer 51 jours avec un gouvernement démissionnaire. Ça n’a du reste pas gêné plus que ça les Français, désabusés. Ils sont en effet dubitatifs quant à l’intérêt de voir se reformer, sous couvert de gouverner un pays devenu ingouvernable à force de lâcheté et de renoncements, une autre joyeuse bande d’individus pusillanimes, qui ne servent personne – surtout pas la France – fors leurs petits intérêts. Il en faut donc davantage pour nous impressionner et disons que « Ça nous en touche une sans faire bouger l’autre », pour reprendre le mot fameux de l’un des anciens locataires de l’Élysée. Mais, quand même, pendant que nos ravis prennent le thé et se congratulent, on déplore que la France, décidément cul par-dessus tête, parte à vau-l’eau et qu’on assassine ses enfants dans l’indifférence générale, sur fond de faillite sociétale et institutionnelle généralisée. Et si l’heure était quand même au sursaut ?
L’histoire est cyclique. L’époque actuelle est semblable, en tout point, à celle d’avant la terreur. Chateaubriand a dit, à propos des années 1791-1792, dans le Tome I de ses Mémoires d’outre-tombe : « Dans une société qui se dissout et se recompose (…), le choc du passé et de l’avenir, le mélange des mœurs anciennes et nouvelles, forment une combinaison transitoire (…) L’infraction des lois, l’affranchissement des devoirs, des usages et des bienséances, les périls même ajoutent à ce désordre. Le genre humain en vacances se promène dans la rue, débarrassé de ses pédagogues, rentré pour un moment dans l’état de nature (…) »
En 2024, même ambiance. Pendant que notre nouveau gouvernement n’en finit pas de s’installer et fait le tour de la chambre avant d’aller tester le spa, dehors on moleste et on assassine ; la patience des Français est à bout. Ne vous rendormez pas, braves gens, ça suffit ! Philippine vient d’être trucidée ; le suspect est un Marocain, Taha O., déjà condamné en 2019 pour viol, à sept ans de prison. Depuis le 4 septembre, ce porc qu’on entend peu de féministes balancer, baguenaudait, en liberté. Il avait quitté le CRA de Metz où il était assigné à résidence dans l’attente de son expulsion. Concomitamment, Paul, 17 ans, vient de se faire tabasser parce qu’il est homosexuel.
OQTF / viols : bonne presse, féministes et élus de gauche appellent à « ne pas se tromper de débat »
Bien sûr, toujours du côté de l’extrême gauche et des progressistes, on occulte ce réel sordide ; on distord la réalité pour préserver la chimère du vivre-ensemble. Sur France 2, Anne-Sophie Lapix prend bien soin de ne pas préciser à ses téléspectateurs que le présumé meurtrier de Philippine est un clandestin marocain sous OQTF. Et si l’inénarrable Sandrine Rousseau concède sur X que « Philippine a été sauvagementassassinée », que « la personne arrêtée est marocaine sous OQTF » et affirme: « Ce féminicide mérite d’être jugé et puni sévèrement », on retient surtout la fin du tweet de l’écologiste : « L’extrême droite va tenter d’en profiter pour répandre sa haine raciste et xénophobe. » Notre nouveau garde des Sceaux, Didier Migaud, lui, déclarait sans sourciller et droit dans ses bottes, presque goguenard : « Le laxisme en justice n’existepas. » Il serait alors judicieux de penser à revoir sérieusement le fonctionnement de la justice !
D’où qu’on se tourne, c’est un festival ; on profère des énormités et des stupidités avec l’aplomb que seule confère la sottise quand elle est confortée par l’idéologie. Lucie Castets (toujours embusquée au cas où Michel Barnier jetterait l’éponge ou serait débarqué) a, elle, déclaré en début de semaine : « Je suis pour une régularisation des sans-papiers, même ceux qui ne travaillent pas. Les migrants sont stigmatisés en permanence. Ce sont des gens qui contribuent au bon fonctionnement de la société. » On a été tenté de vous faire grâce des propos tenus sur X, samedi, par notre député LFI Raphaël Arnault, fiché S de son état. On s’est ravisé, le bougre évoque quand même « l’assassinatde Kanaks par les forces policières françaises ». On aurait bien aimé, aussi, passer sous silence la visite au commissariat d’Ersilia Soudais venue soutenir Elias Imzalène, en garde à vue après avoir appelé à « l’Intifada ». On n’a pas pu. L’Insoumise l’a déclaré, elle aurait aimé que les soutiens du « génocide perpétré par Israël » soient à la place du brave garçon.
Et pendant ce temps, c’est haro sur Retailleau, notre nouveau ministre de l’Intérieur, affidé à l’esssstrême droite. Le Monde, dans un éditorial du 25 septembre affirme sérieusement : « L’urgence du ministrede l’Intérieur à se poser en défenseur d’un pays prétendument assiégé par des hordes d’immigrés ne fait que renforcer le hiatus démocratique, quand deux tiers des Français ont écarté l’extrême droite au second tour des législatives. Et son discours fait le miel du RN, en embuscade. » Bruno Retailleau, qu’on se rassure, ne pourra rien faire pour renverser la vapeur. L’impunité heureuse a encore de beaux jours devant elle. En effet, en macronie, on s’arrange toujours pour neutraliser les forces, c’est le principe du « en même temps ». Toute prise de mesure ferme envisagée par Bruno Retailleau à l’Intérieur, sera immédiatement contrée par le garde des Sceaux, Didier Migaud. L’attelage Retailleau/Migaud ne saurait fonctionner que sur le modèle du précédent, celui de la paire Darmanin/ Dupond-Moretti ; ça va tirer à hue et à dia et ne pas avancer d’un poil.
Quant à réformer le pays, il ne faut pas y compter non plus, tout est à l’avenant. On en veut pour preuve la sortie du nouveau ministre de l’Économie, rappelé mollement à l’ordre par Michel Barnier. Le locataire de Bercy, le progressiste Antoine Armand, chantre de l’union, s’il en est, a déclaré ouvrir sa porte à LFI et la fermer au RN, dans un souci de respect de la démocratie, bien sûr. La fête du slip bat son plein et on attend avec impatience le discours de politique générale (DPG), mardi prochain. En attendant, Matignon a demandé aux ministres d’arrêter les interviews jusqu’ au dit discours. « L’idée, c’est de pouvoir préparer le DPG de manière collective » justifie l’entourage du Premier ministre.
Revenons à Chateaubriand et à ses considérations sur un pays en roue libre. « Le genrehumain en vacances » et « rentré pour un moment dans l’état de nature », à en croire le mémorialiste, ne recommence « à sentir la nécessité du frein social que lorsqu’il porte le joug des nouveaux tyrans enfantés par la licence. » Nous y sommes.
Les citoyens américains ont quelques bonnes raisons de douter de la fiabilité de leur système électoral.
Tout le monde connaît – ou croit connaître – les États-Unis. Les États-Unis, c’est le pays du Far West et des cow-boys ; le pays de la Prohibition et des gangsters ; le pays de la Statue de la liberté et du capitalisme triomphant ; le pays qui a sauvé l’Europe de l’Allemagne nazie ; le pays qui a envoyé des hommes sur la Lune ; le pays qui est à l’origine d’une grande partie des découvertes et des inventions qui font le monde moderne… Mais les États-Unis, c’est aussi le pays qui a le pire système électoral de toutes les démocraties occidentales, comme l’ex-président américain, Jimmy Carter, l’a déclaré, comme maints experts l’ont écrit, et comme l’enquête que nous avons menée le confirme.
Depuis l’élection présidentielle controversée de 2020, il est interdit de parler de ce sujet, qui était auparavant l’objet de nombreuses études universitaires. Il est temps de briser ce tabou. Dans cette série de trois articles que nous publions, nous allons étudier les aspects les plus choquants du système électoral américain. Ce voyage va nous entraîner dans les profondeurs les plus obscures de ce système électoral, fissuré par un nombre stupéfiant de failles de sécurité béantes, dont personne ne parle en France ni en Europe. Vous aurez du mal à le croire et, pourtant, tout est vrai. Bien entendu, nous fournirons toutes les preuves et toutes les références de ce que nous avançons.
Mais, avant d’entamer ce voyage dans l’enfer électoral américain, il est nécessaire de décrire les particularités de ce système, tellement différent du nôtre. (1)
L’État fédéral et ses 50 États
Les États-Unis sont un État fédéral, doté de sa propre Constitution et de ses propres élus (président, vice-président, représentants, sénateurs). (2) Il est constitué de 50 États, dont chacun possède sa Constitution et ses élus : président (appelé « gouverneur »), vice-président (dans 45 États, appelé « lieutenant-gouverneur »), représentants et sénateurs (sauf le Nebraska, qui a une législature unicamérale). (3)
Un nombre énorme de circonscriptions et de bureaux de vote
La Constitution des États-Unis et les lois fédérales sur le droit de vote accordent aux États une grande latitude dans la manière dont ils gèrent les élections fédérales, qui ont lieu tous les deux ans, début novembre, et les élections locales, qui ont lieu selon des périodicités spécifiques.
Les élections sont généralement administrées par les comtés mais, dans certains États, ce sont les villes ou les cantons (townships) qui en sont chargés. Au total, il existe plus de 10 000 juridictions électorales (circonscriptions) aux États-Unis, dont la taille varie considérablement, les plus petites ne comptant que quelques centaines d’électeurs, tandis que la plus grande en compte 5,5 millions (comté de Los Angeles). (4)
Les États sont chargés du découpage des circonscriptions utilisées pour les élections fédérales, et les juridictions locales, du découpage des circonscriptions utilisées pour les élections locales. En 2020, il y avait 175 426 bureaux de vote. (5)
Un nombre énorme de lois et de procédures électorales
Les législatures des États adoptent les lois électorales, qui diffèrent donc d’État en État, et qui évoluent constamment : rien qu’en 2024, pendant les neuf premiers mois de l’année, 1792 projets de lois électorales ont été déposés dans 44 États. (6) Comme si cela n’était pas assez compliqué, chacune des 10 000 juridictions locales possède sa propre infrastructure électorale et choisit souverainement la façon dont les élections vont s’y dérouler : types des responsables électoraux (administrateur unique ou commission), procédures pour inscrire les électeurs sur les listes électorales, taille et présentation des bulletins de vote (ordre des postes à pourvoir, ordre des noms des candidats…), modes de vote (anticipé, par correspondance, en personne…), modèles de machines électroniques utilisées (pour voter, pour vérifier les signatures, pour transmettre les résultats…), recrutement des employés électoraux, fonctionnement des bureaux de vote, règles encadrant les observateurs électoraux, procédures pour dépouiller et enregistrer les votes – bref, toutes les étapes du processus électoral.
Ces étapes sont codifiées dans les Codes électoraux des juridictions, composés de centaines de pages, divisées en milliers de sections, sous-sections, paragraphes, sous-paragraphes, qui détaillent avec une minutie de bureaucrate tous les cas possibles. Cet incroyable fouillis de lois, de réglementations et de modes de fonctionnement, qui varient d’une juridiction à l’autre, d’une année à l’autre, d’un type de scrutin à l’autre, complique la lutte contre les fraudes électorales et explique l’absence de confiance des Américains dans la fiabilité et la sécurité de leur système électoral.
Un nombre énorme d’élections et de référendums
Dans son célèbre livre sur la démocratie américaine, Alexis de Tocqueville notait que « les Américains sont habitués à procéder à toutes sortes d’élections. » (7) En effet, les électeurs américains élisent 535 législateurs fédéraux (435 représentants, 100 sénateurs), 7383 législateurs d’État (représentants, sénateurs) et, en comptant tous les élus locaux, plus de 500.000 responsables qui servent dans 80.000 institutions. (8)
Voici une liste non exhaustive des postes pourvus par des élections aux États-Unis.
Au niveau de l’État fédéral : le président (et son vice-président), les représentants, les sénateurs.
Au niveau de l’État : le gouverneur, le lieutenant-gouverneur, les représentants, les sénateurs, de nombreux membres du gouvernement de l’État, comme le secrétaire d’État (Secretary of State), le ministre de la Justice (Attorney General), le trésorier (Treasurer), parfois aussi le contrôleur financier (Auditor, Controller, Comptroller, Chief Financial Officer), le ministre de l’Éducation (Superintendent of Public Instruction, Commissioner of Education, Commissioner of Schools), le ministre du Travail (Commissioner of Labor), le ministre des Impôts (Tax Commissioner), le ministre des Terres publiques (Commissioner of Public Lands), voire les administrateurs de l’université d’État (State University governors, regents, trustees).
Au niveau du comté ou de la ville : les dirigeants du comté (sherif, superintendant), les membres du conseil du comté (county commissioner), les dirigeants de la ville (mayor, town supervisor), les membres du conseil municipal (city commissioner, city councilor, councilman), le responsable des élections (supervisor of elections), le responsable des listes électorales (assessor), le percepteur des impôts locaux (tax collector), le commissaire aux comptes (auditor), le chef de la police du comté (constable), le chef de la police municipale (police commissioner), le chef des pompiers (fire chief), les membres des conseils scolaires (school board members), parfois aussi le médecin légiste (coroner), les membres de la commission de la santé (Healthcare District Board directors, Health Service Board members), le responsable de la voirie (road commissioner), le responsable des chemins de fer (railroad commissioner), le responsable du port (port commisioner), l’arpenteur-géomètre (surveyor), le responsable des ressources naturelles (Soil and Water Conservation District director), le responsable des égouts (sewer commissioner), voire le responsable des arbres publics (tree warden).
Dans la majorité des États, les citoyens élisent aussi les juges (municipal court judges, family court judges, district court judges, criminal court judges, court of criminal appeals judges), les procureurs (prosecutors, solicitors), et les juges de la Cour suprême de leur État (justices).
Enfin, les citoyens doivent voter pour des référendums d’initiative populaire (à l’échelon de l’État, du comté ou de la ville), pour des propositions d’amendements à la Constitution de leur État, pour révoquer un élu (recall), parfois aussi pour approuver les comptes de leur ville ou comté, un nouvel emprunt de leur ville ou comté, les budgets des écoles locales, les budgets des travaux de voirie, etc.
Les bulletins de vote américains sont donc très longs. Par exemple, à Houston (Texas), pour les élections de mi-mandat de 2018, le bulletin de vote faisait 16 pages ; pour les élections du 5 novembre 2024, les électeurs de cette ville ont 61 choix à faire pour 61 postes à pourvoir.
Dans ce pays, où 500 000 responsables publics sont élus, la sécurité des élections est donc encore plus importante que dans les autres démocraties de la planète, et les fraudes éventuelles peuvent influencer des dizaines d’élections dans chaque circonscription. Cela est d’autant plus vrai que les élections locales se jouent souvent à quelques voix près. Par exemple, dans l’Ohio, en seulement 15 mois, 70 élections se sont achevées par une victoire d’une voix ou par une égalité parfaite. Un seul fraudeur peut donc inverser le résultat d’une élection, voire de plusieurs. (9)
Le pouvoir du système judiciaire américain
Dans une décision historique de 1803, la Cour suprême des États-Unis a formulé le principe du contrôle juridictionnel, selon lequel les tribunaux américains ont le pouvoir d’annuler les lois et les statuts qu’ils jugent contraires à la Constitution des États-Unis. (10) Les tribunaux ont donc le pouvoir d’annuler les lois électorales, ce qui leur confère un rôle aussi important que méconnu dans la saga des élections américaines. Voilà pourquoi il est nécessaire de décrire aussi succinctement le système judiciaire des États-Unis. Bien que chaque État possède sa propre organisation judiciaire, elle comporte toujours deux échelons : les tribunaux de l’État et les tribunaux fédéraux.
Chaque État dispose de ses tribunaux de première instance (Trial Courts), de ses tribunaux d’appel (Courts of Appeal, State Appellate Courts), et de sa Cour suprême. (11) L’échelon fédéral ressemble à celui des États : tribunaux de première instance fédéraux (U.S. District Courts), puis tribunaux d’appel fédéraux (U.S. Courts of Appeals), puis Cour suprême des États-Unis (U.S. Supreme Court). Chaque plainte peut donc, en théorie, être examinée par six niveaux différents de tribunaux. Des astuces de procédures permettent, dans certains cas, de sauter une ou plusieurs étapes et de déposer directement un recours devant la Cour suprême de l’État, voire devant la Cour suprême des États-Unis.
Comme nous l’avons déjà dit, dans la plupart des États, les juges et les procureurs sont élus par le peuple. Il en découle que, dans les États majoritairement Démocrates et dans les grandes villes américaines (toutes gérées par les Démocrates), les juges et les procureurs sont quasiment tous des Démocrates. Cela permet aux Démocrates de mener une incessante guérilla judiciaire contre l’adoption de lois visant à sécuriser les élections, comme nous le verrons bientôt…
Dans notre prochain article, nous passerons en revue les avis des experts sur le système électoral américain.
1) Pour des informations sur la Constitution, le fédéralisme, les branches législatives, exécutives, judiciaires, et les élections des États-Unis, voir :
The Book of the States, Council of State Governments.
2) Les représentants sont l’équivalent de nos députés.
3) La capitale des États-Unis, Washington, est située en dehors de ces 50 États, dans le district fédéral de Columbia. Le rôle de ce district dans les élections étant négligeable, nous n’en parlerons pas dans nos articles.
4) « Election Administration at State and Local Levels », National Conference of State Legislatures, Updated December 22, 2023.
5) Brian Amos, Steve Gerontakis and Michael McDonald, « Changing Precinct Boundaries: Who Is Affected and Electoral Consequences », Prepared for 2023 Election Science, Reform, and Administration annual meeting, Athens, Georgia, May 31 – June 2, 2023, p. 11.
7) Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Livre I, 1835, Chapitre 8, « Crise de l’élection ».
8) Steven J. Brams and Peter C. Fishburn, Approval Voting, Second Edition, Springer, 2007, p. 171.
9) « Statement Of Jon A. Husted, Ohio Secretary Of State, On The President’s Executive Actions On Immigration And Their Impact On Federal And State Elections », U.S. House Of Representatives Subcommittees On National Security And Healthcare, Benefits & Administrative Rules, February 12, 2015.
Dette, école, ministres… De mal en Pisa, la dégringolade continue.
Au fond de la vallée, en la nuit étoilée, le nouveau gouvernement est né. C’est la panique sur France Culture, au Nouvel Obs, chez LFI, Les Verts. Les avions renifleurs d’extrême-droite sont en alerte maximale. « Au voleur ! Au voleur ! A l’assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste ciel… » La lutte les dépasse. Canon bleu ne répond plus,Mission dernière chance pour Michel (Tanguy) Barnier.
Lignes rouges sur pistes bleues
« Le racisme est l’une des valeurs clés du gouvernement » (Marine Tondelier) le plus conservateur depuis Nicolas Sarkozy, Gengis Khan, Attila… Les Compagnons de la chanson progressiste, cloches de l’indignation prudhommesque, sonnent, sonnent l’alarme et font les poubelles. Sandrine Rousseau vibrionne dans le mépris de classe, déconstruit les bourgeoises Maniatis de la nouvelle équipe. « La femme est une grande réalité, comme la guerre » (Larbaud). Bruno Retailleau, hétéro et catho, défend les chrétiens d’Orient. A Auray, une bisaïeule de sa trisaïeule, Marie-Constance Retailleau de Pontcallec, a « liké » plusieurs posts Instagram de Cadoudal en 1799…
François Hollande raille un gouvernement de « Restauration ». Marat Marais du plateau de Millevaches, Louis XVIII du grand peuple de Gauche, fosse tranquille, il sait de quoi il parle. Incroyable & Merveilleux macroniste, Gabriel Attal confesse qu’il a « une histoire à écrire avec les Français ». Il demande des garanties sur l’IVG et la PMA, cabriole dans l’écume, le buzz, multiplie les saltos dans les cerceaux. Oum le Dauphin se prend pour Moby-Dick. Rien n’est trop beau lorsqu’il s’agit de grandeur. Nous avons échappé au pire, un gouvernement Castets : Mathilde Panot au ministère de la rééducation, Thomas Piketty à Bercy, l’impôt sur les os, une faillite vénézuélienne en trois mois. Pour combien de temps ? L’épée dans les reins, le gouvernement Barnier n’a aucune marge de manœuvre, économique, financière, politique.
Dénis d’initiés
Loin des sentiers obliques, à la justice enclin, bon maître, généreux quoiqu’il fût économe, le Premier ministre n’a pas de fange en l’eau de son moulin, pas d’enfer dans le feu de sa forge. Le problème, c’est l’oseille, les champs de blés et d’orge, les sacs de grains qui semblent des fontaines publiques… La caisse est cramée.
Nous n’échapperons pas à une kyrielle de rodomontades, chocs d’autorité, de savoirs, de mémoires… Une consultation citoyenne sur la simplification de la transformation de l’action publique, un grand Grenelle anti-gredins, un big bang de l’anti-gang bang, un plan Marshall d’éclairage du bois de Boulogne. Le GIGN, Louis de Funès et Bourvil vont être positionnés au poste frontière de Menton. Le taux d’application des OQTF pourrait passer de 8% à 11%.
Anne Genetet, nouveau cornac du mammouth, est rassurante : l’éducation reste la mère de toute les batailles : « Le navire ne changera pas de cap ». La Hougue, les Cardinaux, les Saintes ? Six ministres en deux ans. Le cap Carnaval des connétables du déclin, la rue de Grenelle, Salamine. Ni savoirs, ni transmission. Depuis deux générations, du Primaire au Supérieur, la même bouillabaisse de bons sentiments, acronymes abscons, notes gonflées aux hormones pour endormir les parents, préserver l’omerta. Sur Teams, EcoleDirecte, la foire aux PowerPoints, copiés-collés, tutos, vidéos, enseignants Fée Clochette-coach, bat son plein. L’acmé de la tartufferie, c’est la « spécialité » HGGSP (Histoire-Géographie, Géopolitique et Sciences politiques), un poke bowl d’ersatz d’Humanités qui piège un quart des élèves de Terminale. Theatrum Maudit, Mer de toutes les histoires (à dormir debout), folie des glandeurs, les six thèmes transverses du programme surpassent l’« Arbor scientiae » de Lulle et les « 900 Conclusions (philosophiques, cabalistiques et théologiques) » de Pic de la Mirandole… « De nouveaux espaces de conquête ; Faire la guerre, faire la paix ; Histoire et mémoires ; Identifier, protéger et valoriser le patrimoine ; L’environnement, entre exploitation et protection ; L’enjeu de la connaissance ». Six heures hebdomadaires de gloubi-boulga, axes, jalons, démarches réflexives, pour un vernis de culture générale et préparer un « grand oral » sans enjeu, car postérieur au dépôt des dossiers d’inscription dans le Supérieur.
Une blouse, deux dictées, trois fables de La Fontaine, ne changeront rien à l’affaire. Les pédago-gauchistes font la loi, les programmes, coupent ce qui dépasse, le latin, le mérite, l’excellence. LFI adore les analphabètes autodidactes, élèves Ducobu, Delogu, Jeune Garde en section « fichier S ». De mal en Pisa, la dégringolade continue. Pour échapper à la loterie ParcoursSup, aux Bourdieuseries des Facultés en faillite, les premiers de cordée exfiltrent leurs enfants, avant le Bac, direction Montréal, Milan, McGill, la Bocconi.
À Bercy, Antoine Armand s’interroge : « Face à la gravité de la situation budgétaire, comment chacun peut contribuer intelligemment » ? Un rapport évalue à 13 milliards d’euros le montant annuel de la fraude sociale. Pour les fins limiers du Haut Conseil du financement de la protection sociale, les normes sont « fraudogènes », « le tout-contrôle est stigmatisant, pas pleinement efficace ». Afin d’éponger les 3228 milliards d’euros de dette publique, surgissant hors de la nuit vers l’aventure au galop, il nous reste Zorro, le Comte de Monte-Cristo et l’or des Templiers. Le nouveau garde des Sceaux, Didier Migaud, veut « rendre la justice plus proche des citoyens, plus juste, plus rapide ». Stabilité et bonne nouvelle rue de Valois : « La Culture est fille du plaisir et non pas du travail » (Ortega y Gasset). Aux Armées, au Quai d’Orsay, rien. À l’étranger, la France ne pèse plus rien. La remontada ne sera pas une partie de plaisir. Les mots ne sont jamais les mêmes pour exprimer ce qu’est le buzz, le blues, le Booz.
Michel Barnier, Booz endormi
Pendant qu’il sommeillait, Marianne, une moabite, s’était couchée aux pieds de Michel Barnier, le sein nu, espérant on ne sait quel rayon inconnu, quand viendrait du réveil la lumière subite…
« Marianne méditait, Michel broyait du noir ; Des zozos aux infos, piapiataient vaguement ; Les ennuis immenses, tombaient du firmament ; L’heure était difficile ; les Français n’osaient croire.
Tout reposait dans l’urne et quand gérer la dette ; Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ; La croissance évanouie parmi ces fleurs de l’ombre Brillait dans le néant, Marianne se demandait,
Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles, Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été, Avait, en s’en allant, négligemment jeté La France hébétée hors du champ des étoiles. »
Nos concitoyens sont de plus en plus fâchés avec le travail car, dans un pays où l’égalitarisme a pris le pouvoir, l’effort leur inspire davantage de ressentiment que de fierté. Vouloir en finir avec cette ultime distinction qu’est la réussite par le talent et l’exigence, c’est promettre la société à la médiocrité et à l’assistanat.
Le large refus des Français de retarder leur départ en retraite, alors qu’ils la prennent beaucoup plus tôt que dans la plupart des autres pays européens, et la stagnation de la productivité du travail, affectant la richesse par habitant, étonnent. Quand on pense à l’époque des « Trente Glorieuses » avec le souvenir d’un grand engagement dans le travail, on s’interroge sur les sources de cette mutation. Elle trouve ses racines dans une évolution beaucoup plus large de la société française.
Un temps de fierté du travail dans une société restée aristocratique
Lors de la Révolution française, la hiérarchie du « sang » a été mise à bas, mais nullement la logique d’une société de « rangs », avec les devoirs que le travail impose à chacun de remplir sous peine de déchoir. Les sources légitimes de distinction sont devenues, dans les termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les « capacités » les « vertus » et les « talents »(Article VI : « Tous les citoyens sont admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talent. ») Si cette vision exigeante n’a jamais fait l’unanimité, elle a été particulièrement mise à l’honneur après la Seconde Guerre mondiale, dans un rejet de l’esprit de défaite, des compromissions de la collaboration, du jeu des petits intérêts qui avaient marqué la période de l’Occupation. Il s’est alors agi de retrouver, individuellement et collectivement, la grandeur perdue.
Cette vision exigeante a marqué un système d’enseignement donnant une grande place à l’« élitisme républicain ». Encore, en 1944, le programme du Conseil national de la Résistance exigeait « la possibilité effective, pour les enfants français, de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance, mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires ». La réussite dans les études, couronnée par un succès au certificat d’études, au baccalauréat, comme aux diplômes du supérieur, était une grande source de fierté.
Cette référence à une société de rangs s’est retrouvée dans le monde du travail. Une « aristocratie ouvrière » a pris forme au xixe siècle. La catégorie des « cadres », s’affirmant bien distincts des « simples employés », a émergé dans les années 1930. La défense par chaque catégorie professionnelle de son statut est allée de pair, pour ceux qui avaient un « vrai métier », avec une grande fierté professionnelle et un vif engagement dans leur travail.
L’avènement d’un monde « inclusif »
À partir des années 1960, l’attachement à la hiérarchie des rangs et à l’exigence d’être à la hauteur de la place que l’on occupe, a été radicalement dénoncé au nom d’un impératif d’égalité. Les ci-devant « élites » ont été requalifiées en « dominants ». Toute volonté de « distinction » a été réprouvée. La récompense du mérite a été déclarée source de « discrimination » envers ceux qui échouaient et de « stigmatisation » de ceux-ci.
Cette mutation a affecté en profondeur le système éducatif. Le culte de l’excellence a été largement abandonné au profit de celui de la réussite pour tous. Conditionner les récompenses scolaires, les notes, les passages à la classe supérieure, l’obtention des diplômes à la réalisation de performances a été vu comme incompatible avec un traitement égal de tous les élèves. L’incitation à l’effort, l’exigence ont été dénoncées comme mortifères, dans la ligne des théories plus ou moins bien comprises de Françoise Dolto. Le « pédagogisme » a prôné l’attention au plaisir de l’élève aux dépens du « dressage ». La discipline durant le temps de classe a été déclarée attentatoire à la liberté. Le « collège unique » a été mis en place en 1975, puis l’objectif de 80 % de bacheliers énoncé en 1985. Le taux de réussite au baccalauréat s’est envolé et la mention « très bien », jusqu’alors apanage d’une étroite minorité, s’est banalisée. Le nombre de diplômés du supérieur a connu une croissance vertigineuse. Les voies d’accès parallèles aux formations d’élite ont été multipliées. L’enseignement professionnel a été revu en profondeur en mettant en cause l’acquisition d’une vraie compétence professionnelle dans un domaine « étroit » au profit d’une formation générale. Le désir de faire advenir une société « inclusive » a conduit à un cercle vicieux : un abaissement du niveau d’exigence dans la formation pour n’exclure personne ; un faible niveau des sortants du système éducatif et l’effondrement de la France dans les comparaisons internationales sur ce niveau ; un nouvel abaissement du niveau d’exigence pour maintenir l’exigence d’inclusivité. Les tentatives récentes de revenir sur ces « acquis », notamment en subordonnant le passage dans la classe supérieure à un certain niveau de performance, ont largement fait scandale dans le corps enseignant.
Ce refus d’une hiérarchie fondée sur le mérite n’a nullement conduit à l’avènement d’une société d’égaux. Demeurent la prééminence de l’argent, de la popularité sur les réseaux sociaux, de la consommation ostentatoire, de l’accès à des marques prestigieuses. On retrouve les valeurs de ce qui était qualifié, à la fin du xixe siècle, de « demi-monde ». La fierté de ce que l’on accomplit, de l’exemple que l’on donne, serait-ce au sein d’une position sociale modeste, pèse bien moins que le prestige de l’argent. La volonté d’atteindre l’excellence dont on est capable perd sa force au profit de celle de consommer, quelle que soit l’origine des ressources qui le permettent.
Dans le domaine du travail, la fierté de l’œuvre accomplie est dévalorisée d’autant, ce qui conduit d’autant plus à se plaindre de la charge que celui-ci représente. Cela est déjà bien apparu dans les slogans de Mai 1968, avec le refus de « perdre sa vie à la gagner ». On a vu monter l’idée de « droit à la paresse », la valorisation de la redistribution grâce à de multiples allocations. Le RMI, instauré en 1988, puis le RSA, qui lui a succédé, relèvent de cette logique. L’idée de les assortir de véritables exigences est jugée insupportable, car cela reviendrait, prétend-on, à « blâmer la victime ». Le « progrès » n’est pas vu comme la possibilité largement offerte de s’épanouir dans un travail exigeant, mais comme celle de réduire son temps de travail, avec l’abaissement par la gauche de l’âge de départ à la retraite (1982) et l’instauration des 35 heures (1998).
Cette mutation idéologique se heurte à la réalité d’un monde économique hautement compétitif, dans un contexte de mondialisation et de concurrence exacerbée. Les titulaires de diplômes généreusement distribués se sont trouvés mis en demeure de faire preuve de leur capacité à contribuer efficacement à des activités productives. L’existence d’une masse de sortants du système éducatif à la fois peu compétents et peu habitués à la discipline et à l’effort a conduit à la fois à un niveau élevé de chômage et au développement d’activités peu exigeantes, peu productives et mal rémunérées, avec un personnel bénéficiant en compensation d’allocations généreuses.
Une grande diversité de rapports au travail
Cette situation d’ensemble engendre des rapports très diversifiés au travail, la fierté liée à la qualité du travail accompli demeurant pour certains mais tendant à s’émousser pour d’autres, au profit de la frustration liée au fait d’en voir certains profiter du « système » et d’un ressentiment à leur égard. On peut distinguer sommairement cinq grands groupes réagissant de manières contrastées.
Dans un premier ensemble, professionnellement diversifié, le culte de l’excellence, la fierté du travail accompli demeurent. C’est le cas pour nombre de ceux qui sont passés par les grandes écoles les plus réputées, après un parcours scolaire réalisé dans les établissements élitistes qui demeurent au sein de l’enseignement public ou privé. On les voit réussir aussi bien dans la City et la Silicon Valley que dans la création de start-up en France. Nombre de membres des professions libérales, médecins, avocats sont eux aussi dans une logique d’excellence, de réussite et de fierté professionnelle. Appartiennent également à cet ensemble des artisans hautement qualifiés, à l’image de ceux qui sont engagés dans la restauration de Notre-Dame-de-Paris. Il n’est guère question pour ces « privilégiés » de restreindre leur temps de travail, ni dans la durée hebdomadaire (ainsi les indépendants travaillent en moyenne 46 heures par semaine), ni dans leur départ en retraite.
Un deuxième ensemble regroupe ceux, spécialement parmi les cadres de grandes entreprises, qui munis de bons diplômes, mais pas exceptionnels, seraient prêts à s’engager avec fierté dans leur métier s’ils n’étaient dissuadés par un management qui les traite en « exécutants ». Ils profitent au maximum du télétravail, tendent à se recentrer sur leur vie de famille. S’étant ainsi adaptés, ils ne sont pas spécialement désireux de partir en retraite plus tôt.
On trouve dans un troisième ensemble nombre de ceux qui ont été en échec scolaire ou sont passés par un enseignement professionnel préparant mal à l’exercice d’un métier qualifié et n’ont pas été éduqués à la discipline et à l’effort. Payés au niveau du salaire minimum ou guère plus s’ils ont trouvé un emploi, ils ne risquent guère d’être fiers d’un travail peu estimé par la société. Ils comptent beaucoup sur le système de protection sociale et aspirent à partir en retraite le plus tôt possible.
« Manifestation gaulliste » place de la Concorde à Paris, 30 mai 1958. SIPA
Un quatrième ensemble donne une grande place à ceux qui sont hautement diplômés (bac + 5 et au-delà), mais dans des formations peu exigeantes qui ne débouchent guère sur des emplois de niveau correspondant, en terme ni de statut ni de rémunération. Ils ont le sentiment d’être déclassés. Nombre d’entre eux rejoignent des professions intellectuelles de niveau modeste et sont pleins de ressentiment envers ceux qui, passés par les formations élitistes, réussissent dans leur carrière. Certains, spécialement ceux qui travaillent dans les collectivités locales, parviennent à une durée hebdomadaire nettement inférieure à 35 heures. Hautement politisés à gauche, ils sont en pointe dans les revendications de réduction du temps de travail et d’abaissement de l’âge de départ en retraite.
On trouve enfin dans un cinquième groupe un ensemble d’artisans, de commerçants, d’ouvriers professionnels qui ont le sentiment de travailler dur sans pour autant parvenir à bien gagner leur vie et entretiennent un fort ressentiment à l’égard des « assistés », qu’ils voient comme gorgés de privilèges indus en matière d’allocations et d’accès aux HLM. Votant en grande part pour le RN, ils sont ambivalents à l’égard de leur travail. Concernant l’âge de la retraite, ils ne voient pas pourquoi ils continueraient à travailler longtemps pendant que d’autres profitent.
La volonté de travailler plutôt moins, que l’on trouve actuellement chez nombre de Français, n’est pas la conséquence inéluctable d’un refus héréditaire du travail. Elle est le produit du choc entre deux cultures : celle où la recherche exigeante de l’excellence, l’affirmation du rang, avec la fierté qui les accompagne, constituent un ressort essentiel de l’action et une idéologie « inclusive » post-moderne, ennemie de l’exigence. Le poids pris par cette idéologie, dans le système éducatif puis dans la vie professionnelle, est un grand facteur de démobilisation. De plus, le fait que certains conservent un métier et une rémunération qui leur permettent de « tenir leur rang » est une vive source de ressentiment pour ceux dont le travail n’est pas à la hauteur de leurs diplômes, souvent obtenus dans des filières peu exigeantes. Le ressentiment est vif, aussi, chez ceux qui, artisans, commerçants, ouvriers professionnels, travaillent dur et s’indignent des largesses dont bénéficient les « assistés ». Ils rejoignent les précédents à la pointe des combats visant à leur permettre de partir en retraite. Vu la force de résistance d’une culture qui a traversé les révolutions, on ne voit pas comment retrouver un large engagement dans le travail dans le contexte idéologique contemporain.
Dernier ouvrage paru : Le Grand Déclassement : pourquoi les Français n’aiment pas leur travail ! (Albin Michel, 2022)