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« Le Syndrome de l’Orangerie», de Grégoire Bouillier : combien de cadavres sous les fleurs?

Regarder un tableau, affirme notre chroniqueur, ne consiste pas à se contenter d’observer sa surface : il faut s’immerger dans la profondeur de ce qui paraissait une œuvre en deux dimensions, et qui en a bien d’autres — comme un livre.


Allons, ne boudons pas notre plaisir : j’ai lu le meilleur livre de cette rentrée d’automne 2024, et il s’intitule Le Syndrome de l’Orangerie, de Grégoire Bouillier.

Que ce soit seul, un jour de pluie, ou pour accompagner votre cousine de province, avide de découvrir en deux jours toutes les curiosités de la capitale, vous êtes peut-être entrés, déjà, dans le Pavillon de l’Orangerie, tout au bout des Tuileries, côté Seine.
Dans le sous-sol ont été mis en place les panneaux des Nymphéas, peints tout spécialement pour ce lieu en 1914-1918 (oui, la date n’est pas un hasard !) par Claude Monet, et offertes par le peintre à l’Etat français. Avec le soutien sans faille de Georges Clemenceau, ami fidèle de l’artiste.

Le double de Bouillier donc s’y retrouve un beau jour, et il est saisi, devant ces immenses toiles, d’un malaise profond :
« Que s’était-il passé lors de la visite de l’Orangerie ? Qu’avais-je vu ? »
L’italique n’est pas fortuit. On peut regarder sans voir réellement. Sherlock Holmes le reproche sans cesse à Watson. Eh bien c’est à une enquête éminemment holmesienne que nous convie Bouillier. Un suspense ébouriffant.

On parle d’un « syndrome de Stendhal » pour désigner les éblouissements, voire les évanouissements de l’auteur du Rouge et le noir devant certaines toiles, ou à l’écoute de musiques sublimes : l’excès de beauté anéantit notre capacité de perception et d’analyse. Ici, c’est le sentiment d’une mort camouflée qui prend le narrateur aux tripes. Quelque chose se dissimule derrière ces flaques d’un vert douteux, derrière ces fleurs suspectes. Ce ne sont pas de simples panneaux peints, c’est une scène de crime.

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C’est donc à une enquête en profondeur (j’insiste sur ce point : une grande œuvre ne se donne pas immédiatement au premier coup d’œil, elle demande à être explorée, fouillée, autopsiée) que se livre l’auteur. Une enquête qui le mène (et qu’est-ce qu’un lecteur attentif, sinon justement un fin limier ?) de Paris à Giverny en passant par Auschwitz.

Parce qu’il n’y a pas qu’un seul cadavre enfoui sous ces nymphéas — et d’ailleurs, pourquoi des nymphéas ? Parce que Monet en avait planté sur les pièces d’eau de sa propriété normande de Giverny, tout à côté de Vernon ? Des milliers de touristes étrangers font le déplacement, vous pouvez vous y risquer, non ?
Explication un peu courte. Il y a sous ces fleurs suspectes (saviez-vous qu’une décoction de racines de nymphéas éteint l’ardeur sexuelle ?) les millions de morts de la Grande Guerre (sous les fleurs ? Vous êtes sûr ?). Et tous les deuils intimes de l’artiste — mais je n’en dirai pas plus, sachez seulement que cette salle double de l’Orangerie, qui ressemble à une paire de lunettes, à une grotte primitive où se serait exprimé un artiste pariétal, ou à un combiné vagin / utérus, est un immense Tombeau — au sens que l’on donne en littérature à ces œuvres qui célèbrent un ami ou une amante disparus…

L’enquête touche aussi bien à la vie intime du peintre qu’à celle de sa Belle Epoque — sinistre à bien des égards, puisqu’après tout elle s’est achevée sur un bain de sang d’une ampleur jamais vue. Elle ressuscite Camille, la première épouse du peintre, ou son fils, ou sa mère, ou toutes les disparitions qui jalonnent votre existence quand vous vous acharnez à rester en vie tandis que les autres se fondent dans une absence épaisse. Ce que le soleil révèle, dans ses chatoiements sur ces pièces d’eau, c’est la part de nuit qui nous habite — et de plus en plus lorsque l’on prend de l’âge, et que l’on court derrière ses amis défunts, d’un cimetière à l’autre.

Bouillier, en nous apprenant à regarder vraiment, nous enseigne du même coup comment lire réellement : non pas déchiffrer laborieusement comme un député analphabète de LFI, mais comprendre tous les ressorts, les sortilèges enfouis, la machinerie littéraire qui distingue les grandes œuvres du fatras de papier imprimé qu’on appelle une rentrée littéraire.
Ce roman est une grande œuvre : non seulement il vous incite à la relecture de tout ce que vous avez aimé, mais il vous donne de précieux conseils sur ce dont vous devez tenir compte, le jour où la fantaisie vous viendra de peindre, de sculpter, de composer, ou d’écrire. Derrière les sortilèges d’une œuvre d’art se dissimule toujours la Bête — et dans le dernier chapitre, Bouillier nous livre son propre mystère, puisqu’après tout écrire consiste à faire ressortir l’impalpable, l’innommable, l’indicible — l’essentiel, en un mot.

Grégoire Bouillier, Le Syndrome de l’Orangerie, Flammarion, août 2024, 430 p.

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« Kaizen »: l’Everest, sa cohorte de prétendants et la philosophie des cimes

L’époque où la beauté des cimes était réservée à des initiés semble désormais révolue. L’influenceur Inoxtag mérite-t-il l’avalanche de critiques qui déferlent sur lui?


Jusqu’alors, la haute montagne, celle dont personne ne ressort vraiment indemne, était principalement associée aux noms de Maurice Herzog et de Louis Lachenal, qui mirent l’Anapurna à leurs pieds, de Roger Frison-Roche, aux romans écrits sur des lignes de crêtes, ou encore de Sir Edmund Hillary et de son sherpa, Tenzing Norgay, qui vainquirent l’Everest un jour de mai 1953. Elle était une affaire de sportifs aguerris et de spécialistes ; elle se parait de ce mystère dans lequel nous plongent le risque, les pentes raides, le froid et l’effroi ; surtout, elle nous emmenait dans un imaginaire appelant à la philosophie. 

Toujours plus loin, plus fort, plus vite, jusqu’au bout de l’extrême limite

Avec le succès dans les salles et en ligne de Kaizen, la montagne est un peu moins de tout cela et, au fond, c’est le principal des reproches que l’on devrait formuler au documentaire. Si les images donnent le vertige, autant par leur beauté que par la profondeur des crevasses, le récit est formaté pour une époque habituée à la dramatisation outrancière, aux coachings de vie, à la morale factice et l’exposition de soi – en l’occurrence, celle de l’auteur et principal acteur, l’influenceur Inoxtag.

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Celui-ci ne mérite pourtant pas l’avalanche de critiques qui déferlent sur lui : le jeune homme au cœur de l’action fut longtemps habitué à son canapé et féru de jeux vidéos avant de se trouver une auguste destinée en même temps qu’il décidait de gravir l’Everest. Plus de deux heures durant, on le voit s’entraîner, repousser ses limites, être transformé. Et forcément, cela ne plaît ni aux puristes ne pouvant souffrir qu’un non-initié devienne alpiniste en l’espace d’un an, ni aux féministes – ainsi en est-il du « il n’y a pas beaucoup de femmes dans le documentaire » de Léa Salamé – , ni aux prétentieux qui se pensent dépositaires de la nature immaculée.


Il ne nous empêchera toutefois pas de penser qu’il est des endroits qui jamais ne devraient être explorés, déflorés, piétinés, encore moins devenir des destinations prisées – nous dirions « touristiques » si nous n’avions autant de respect pour la dimension sportive de l’exploit. La cohorte se massant à quelques encablures du sommet transforme les toits échancrés du monde en estrades pour selfies et les voies célestes en autoroutes des vacances. Là, tout ne semble soudainement être qu’agitation, vanité et pollution, au lieu d’être calme, humilité et plénitude.

On peut aussi lire Sylvain Tesson et Roger Frison-Roche

Après avoir vu Kaizen, et fantasmé que chacun pouvait mettre l’Everest à sa porte, on se replonge, dans un réflexe presque pavlovien, au cœur des ouvrages de Sylvain Tesson qui écrivait par exemple, au détour de l’un de ses périples : « Je croyais m’aventurer dans la beauté, je me diluais dans la substance. Dans le Blanc tout s’annule, espoirs et regrets ». Ou dans les romans de Frison-Roche, dont Premier de cordée et La grande crevasse, pour beaucoup les premiers rendez-vous littéraires avec la grande aventure. 

A leur prêter une âme, les sommets altiers désireraient sans doute réserver leurs charmes impitoyables aux sages encore aptes à les contempler et la montagne souhaiterait peut-être être gravie par les téméraires en mesure de lui adresser des mots emplis de philosophie. Mais l’époque où la beauté était réservée aux happy few est désormais révolue. Et les terra incognita ne sont, de toute façon, plus de ce monde.

Après Philippine, elles ne veulent plus sortir avec la peur de mourir

Le collectif de droite Némésis organisait un hommage à Philippine place Denfert-Rochereau, hier, à Paris. Des familles touchées par d’autres drames similaires ont apporté leur témoignage au micro. Avec le sentiment d’être de « mauvaises victimes » pour la société, et l’espoir que la question des OQTF non appliquées trouve enfin une réponse.


Ce dimanche 29 septembre aurait pu être un dimanche comme les autres, mais il n’en était rien. Car ce dimanche, précisément, un émouvant hommage à la jeune Philippine s’est tenu sur la place Denfert-Rochereau (Paris XIVème) à l’initiative du Collectif Némésis (fondé par la féministe Alice Cordier, présenté par la presse comme un groupuscule identitaire ou d’extrême-droite) et de Claire Geronimi, victime d’un viol dans le hall de son immeuble, en 2023, par un migrant africain sous OQTF. Devant la foule de près de deux mille personnes, sécurisée par un dispositif de forces de l’ordre et une entreprise de sécurité privée engagée pour l’occasion, nous avons pu observer des pancartes « L’État m’a tuée » ou « Philippine aurait pu être notre sœur ».


Gros ras-le-bol

Au micro d’Alice Cordier, se sont succédé les – trop – nombreuses familles endeuillées, dont certaines ont fait le déplacement depuis la province, pour témoigner du laxisme judiciaire autour de la question des OQTF, et du douloureux chemin de reconstruction qui s’opère après l’assassinat d’un proche. Des familles invisibilisées, dont le témoignage n’est que trop peu relayé par les médias. Nous avons écouté Catherine, dont la fille a été tuée sous le coup de onze coups de couteaux par un Algérien multirécidiviste ; nous avons aussi écouté Marius, dont la grand-mère de 91 ans a été violée et tuée à son propre domicile par un migrant sous OQTF : « Elle est morte dans son propre sang, sur le sol d’un appartement où elle a vécu près de quarante ans. Je le sais car j’ai dû nettoyer moi-même l’appartement, en l’absence de la société de nettoyage mandatée par la Juge d’instruction ». Chaque famille, sans exception, a souligné l’absence de soutien des politiques et notamment des politiques de gauche. Cette réalité était d’autant plus marquante que, au micro de la tribune de la place Denfert-Rochereau, Alice Cordier a remercié les deux seules figures politiques présentes qui se sont déplacées pour Philippine. Deux hommes. Le sénateur Stéphane Ravier (ex-Reconquête) et Florian Philippot (président des Patriotes), seuls, ont fait le déplacement.

Mauvaises victimes

Où sont nos femmes politiques ? Où est Martine Aubry, dont une des familles présentes a souligné l’aberrant silence après avoir perdu un membre de leur famille à Lille, sous les coups d’un homme sous OQTF ? Où sont nos féministes, qui courent pourtant de plateau télé en chaîne de radio, pour dénoncer les féminicides et les violences sexuelles ? Ne se sentent-elles pas concernées par le viol et l’assassinat d’une jeune femme de dix-neuf ans ? Où sont les Parisiennes ? Pour la course à pied de la Parisienne, 30 000 femmes ont couru pour financer la recherche médicale ; où sont-elles, pour rendre hommage à la mort de l’une d’entre elles ? La dernière édition de la Fashion Week a attiré près de 20 000 visiteurs : où sont-ils pour soutenir une famille endeuillée, qui a dû organiser elle-même sa propre battue et faire la découverte du corps semi-enterré de leur enfant au Bois de Boulogne ?

Dans un monde où les valeurs du respect de l’enfance et de la femme passeraient réellement au-dessus des sacs-à-main de haute couture, la place Denfert-Rochereau aurait pu être noire de monde, inondée de toutes les Parisiennes qui seraient descendues pour accompagner l’hommage ! Toutefois, Claire Geronimi a déclaré être soulagée du nombre de personnes présentes, plus élevé qu’elle ne l’espérait.

Goût amer

Nous, pour notre part, gardons un goût amer dans la bouche : comment se satisfaire de la mobilisation de deux mille personnes, face à un tel drame ? Nous qui sommes deux femmes, deux Françaises, nous l’affirmons : la France et les Français ne sont pas à la hauteur de l’enjeu de la question des OQTF et n’ont pas été à la hauteur de l’hommage qui aurait dû être rendu à Philippine et à ses proches. Combien d’autres victimes faudra-t-il pour que la France, dans un seul corps, descende dans la rue et pleure la vie brisée d’une jeune femme de dix-neuf ans ? Combien d’autres femmes devront être encore victimes de la folie barbare pour que les pouvoirs politiques s’emparent de ce sujet ? Combien d’autres Lola ? Combien d’autres Philippine ? Après une minute de silence pour la mémoire de Philippine, la foule présente a entonné la Marseillaise.

À la fin d’une cérémonie qui s’est déroulée dans la dignité et sans aucun débordement d’aucune sorte, l’organisatrice Alice Cordier nous a enjoint de nous disperser dans le calme. Amères, nous avons rangé nos drapeaux tricolores, plus convaincues que jamais que le combat ne faisait que commencer. Pour ces OQTF, nous n’aurons ni oubli, ni pardon.

En se défendant, Israël libère aussi le monde du terrorisme

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Après le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah samedi 28 septembre, Tsahal a annoncé ce lundi matin avoir tué dans de nouvelles frappes le chef du Hamas au Liban, Fatah Charif Abou Al-Amine, ainsi que des cadres du Front populaire de libération de la Palestine.


Au lendemain du 7 Octobre 2023, le Premier ministre israélien promettait l’éradication du Hamas, l’élimination ciblée de tous les responsables de l’opération ‘’Déluge d’El Aqsa’. Incidemment, il envisageait de changer la carte du Moyen-Orient. À partir du 8 Octobre, le Hezbollah, principal proxy de l’Iran des mollahs, attaquait Israël ‘’en solidarité avec le Hamas’’.

Israël veut récupérer son intégrité territoriale au nord

Depuis lors, en l’espace d’une année, les buts de guerre de l’Etat d’Israël sont quasiment atteints. L’opinion aura compris qu’en comparaison des otages encore détenus, le retour de 60000 Israéliens déplacés des localités du nord, constitue une plus grande priorité, car elle signe l’intégrité territoriale du pays. Le Hamas est disloqué, son infrastructure urbaine et suburbaine entièrement détruite, tandis qu’au Sud Liban les bastions du Hezbollah sont irréversiblement affaiblis. Au cours des derniers mois, l’élimination du chef politique du Hamas, puis celle du chef politique du Hezbollah – accompagnées d’impressionnants coups propres à la guerre secrète – témoigne aussi du fait que la puissance de dissuasion et d’intervention d’Israël demeure intacte. Ce sont des messages clairs envoyés à ses ennemis, où qu’ils se trouvent.

Aux yeux de l’opinion, l’Etat d’Israël se sera montré justement inflexible, préférant la contre-attaque conséquente aux atermoiements des modérés, toujours prompts à exiger un « cessez-le-feu » qui constitue une compromission avec le statu quo, et qui n’est que le nom amoral d’un ordre mondial édifié sur la loi de la terreur. La résistance d’Israël dans ce contexte incarne à juste titre une notion plus exacte de la résistance. Autrement dit, le gouvernement démocratiquement élu d’Israël a montré au monde que l’hégémonie insolente, thanatophile et liberticide du pseudo ‘’Axe de la résistance’’ (Iran-Hezbollah-Hamas-Hutis du Yemen – milices Chiites d’Irak et de Syrie, auxquelles s’ajoutent les bastions pro-palestiniens du monde occidental (LFI en tête) – n’est pas une fatalité politique pour le devenir collectif au XXIè siècle.

Une guerre existentielle

Nous ne redirons jamais assez qu’Israël a mené et continue de mener une guerre existentielle, au moins à deux égards : pour sa propre continuité, liée à la sécurité de sa population ainsi qu’à son intégrité physique, et pour la pérennité et l’exemple de sursaut démocratique que constitue sa guerre défensive.

Sur le plan international, les réactions officielles, à l’exception des États-Unis, demeurent à l’image de la pusillanimité de la plupart des gouvernements européens, des chancelleries, mais également des grandes organisations, l’ONU en tête, comme de la représentation de l’UE, l’une comme l’autre toujours enclines à composer avec les pourvoyeurs de décomposition politique. L’année écoulée, pendant les longs mois de guerre, aura au moins rempli une fonction : celle de mettre au jour le haut degré de déchéance morale de toutes ces institutions, tendanciellement acquises à l’anomie perverse des vecteurs de l’islamo-gauchisme. La rhétorique de l’appel au cessez-le-feu, le dévoiement du droit international, le déni du droit de la guerre, lorsque c’est Israël qui s’y réfère, les errements des prétendues élites – académiques ou médiatiques – n’ont cessé d’en dire long sur la gravité de la crise civilisationnelle qui ronge une grande partie de l’opinion occidentale.

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En dépit des pressions incessantes de la nouvelle pensée unique incessamment fondée sur la criminalisation d’Israël, Israël a eu raison de mépriser les poncifs couramment associés à sa présence au monde : l’accusation de ‘’génocide’’, et bien entendu l’objection de ‘’disproportionnalité’ de sa riposte, deux termes choisis sur mesure dans la continuité de l’archive judéophobe dont l’inspiration infamante reste inchangée depuis qu’Israël existe.

Israël se défend, et en se défendant avec audace, courage, fermeté, virtuosité et précision, contribue de ce fait à défendre l’humanité libre, il ne fait pas même exception de ceux qui en ternissent l’image au nom de la ‘’démocratie’’, et qui sont les victimes potentielles de ses ennemis, en les libérant de l’emprise d’un réseau criminel qui a revêtu des dimensions matérielles et idéologiques transnationales. En Europe notamment, la principale raison de cette inversion morale est à chercher dans le péché originel de la gauche dite progressiste, qui pendant plus d’un demi-siècle aura servi de relais idéalisant au palestinisme, dont le 7 Octobre a révélé qu’il était la manifestation essentialisée du djihadisme en Occident. La cécité aura duré longtemps, bientôt figée en nouveau conformisme, jusque dans l’enceinte des cours de justice (CJI, CPI) et celle des « grandes écoles » (Normale supérieure, la Sorbonne, Science Po…).

La normalisation des relations souhaitée par Israël et ses voisins arabes retardée par les terroristes du Hamas et du Hezbollah

Très au-delà de la défense de ses propres intérêts, et de la préservation de la sauvegarde présente et à venir de ses propres citoyens –juifs, musulmans, druzes, chrétiens, migrants naturalisés, etc.-, Israël a fait en quelques semaines ce que nul n’a eu le courage de faire, pas même les plus concernées des nations concernées, comme le sont les États-Unis et la France : Israël a éliminé le principal artisan des attentats d’octobre 1983, qui a coûté la vie à 241 soldats américains et 58 parachutistes français. Un simple mot de reconnaissance, un seul mot d’hommage aux familles qui souffrent encore de ces pertes n’aurait pas déshonoré la présidence française.

Le matin du 23 octobre 1983 deux camions piégés ont percuté le « Drakkar » hébergeant les parachutistes français de la force multinationale de sécurité de l’ONU, deux minutes après l’attentat touchant un contingent américain base à l’aéroport de Beyrouth. 58 parachutistes français ont été tués et 15 blessés dans l’action revendiquée par le Hezbollah. Beyrouth, Liban, 23/10/1983 © MORVAN/SIPA

En disloquant le Hamas à Gaza, en décapitant le Hezbollah à Beyrouth, Israël a rendu justice – aux yeux du monde – pour toutes les vies perdues : les vies perdues ou estropiées lors des vagues d’attentat perpétrés par le Hamas dans les rues d’Israël depuis plus de trois décennies, les vies perdues ou estropiées, du fait du Hezbollah, au cours des campagnes d’assassinats collectifs, depuis quatre décennies, en Syrie, au Liban, en Argentine, en France. Qui s’en souviendrait autrement ? Ce rappel inflige la nique de la dérision la plus méritée au prétendu ‘’camp de la paix’’.

Israël vient de rappeler au monde que la paix sans la justice est le mot fétiche des doctrinaires ou des lâches, celle des menteurs et des ignorants, la devise officielle des bourreaux et de leurs complices. Maintenant que c’est chose faite, la « communauté internationale » pourra véritablement se soucier de faire appliquer le droit international[1]. Une nouvelle ère de véritable paix alors pourra s’épanouir, à l’horizon des nombreuses normalisations souhaitées entre ses voisins arabes et Israël.


[1] Respectivement les résolutions 1701 et 1509 de l’ONU faisant obligation au Hezbollah de se retirer de la frontière libanaise, et de se désarmer.

Le «nouvel ordre» d’Israël

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Certes, et on l’a dit et redit partout dans nos médias : l’élimination ce 27 septembre 2024, par l’armée israélienne (Tsahal), d’un terroriste tel que Hassan Nasrallah, chef politique et militaire du Hezbollah, responsable notamment de l’assassinat, lors d’un attentat-suicide perpétré le 23 octobre 1983, de 58 parachutistes français et de 241 soldats américains, constitue un tournant majeur, probablement décisif, dans la guerre mettant à feu et à sang, depuis trop longtemps déjà, le Proche et Moyen-Orient. C’est même très certainement là, à n’en pas douter, une date historique : Israël aura ainsi décapité, après avoir également éliminé ces jours derniers près d’une vingtaine de commandants de ce même Hezbollah, le principal bras armé, dans cette turbulente région du monde, de ce régime criminel, tant à l’encontre de son propre peuple que des citoyens israéliens, qu’est l’Iran des mollahs !

Davantage, et on le sait également : cette opération israélienne, préparée de longue date et hautement sophistiquée sur le plan technologique, avait été précédée, de main de maître là encore, par la très spectaculaire explosion synchronisée, une dizaine de jours auparavant, les 17 et 18 septembre, de centaines de « biper » et de « talkie walkie », anéantissant ainsi l’ensemble de la chaîne de communication au sein des principaux commandants du Hezbollah. Dont acte !

Il y a toutefois un élément de taille, et non des moindres, sur lequel nos médias occidentaux n’ont pas suffisamment insisté pour comprendre, dans sa globalité stratégique, la véritable portée, tant géopolitique que plus proprement militaire, de cette vaste opération israélienne : c’est le nom – « Nouvel Ordre » – par lequel Israël l’a baptisée !

L’intention d’Israël : remodeler le paysage politique du Proche et Moyen-Orient en vue d’un plan de paix

Qu’est-ce à dire, plus exactement ? Réponse aisée à fournir, du moins pour ceux, dont je me targue d’être personnellement, portant une attention toute particulière, bienveillante et positive, à la survie d’Israël en tant qu’Etat normalement, et officiellement, constitué : Israël, en anéantissant tous ses ennemis, dont l’abject moteur est un antisémitisme viscéral, plus encore qu’un antisionisme haineux, a aussi l’intention de remodeler ainsi, par cette neutralisation des divers commanditaires du terrorisme international, tout le paysage politique du Proche et Moyen-Orient. Cela vaut aussi bien – qu’on se le dise une bonne fois pour toutes ! – pour le Hezbollah au Liban et autres Houthis au Yémen que pour les Ayatollahs d’Iran et, bien sûr, le Hamas dans la bande de Gaza ! C’est dire si, paradoxalement et comme en filigrane, cela s’apparente aussi en définitive, par-delà les apparences (et, bien évidemment, le nombre trop élevé de morts, blessés et victimes, parmi les populations civiles, lequel est très sincèrement à déplorer en cette dramatique situation) et fût-ce certes à long terme, à un véritable plan de paix qui, certes, ne dit pas son nom !

L’historique combat d’Israël contre le terrorisme international

Du reste, l’Occident en son ensemble, nos démocraties modernes et sécularisées, devraient, pour cet historique combat, remercier, au lieu de le stigmatiser ou de le condamner, Israël, le seul pays au monde, aujourd’hui, à avoir ainsi le cran, l’immense courage et la force mentale, de s’attaquer directement, de plein front et avec une détermination sans pareille, aux pires tortionnaires de l’(in)humanité ! 

L’abominable pogrom du 7 octobre : l’erreur monumentale du Hamas

Et le Hamas, précisément, dont le leader de la branche politique, Ismaïl Haniyeh, a été lui aussi liquidé, le 31 juillet de cette année 2024, en plein centre de Téhéran, par les services secrets israéliens, le très performant « Mossad » ! C’est une erreur monumentale, aussi tragique que fatale, qui lui coûtera très cher, comme à tous ses complices, soutiens et sympathisants, qu’il a commise, le 7 octobre 2023, en perpétrant, à l’encontre des Juifs d’Israël, le plus abominable des pogroms depuis, de sinistre mémoire, la Shoah ! Sans oublier cet autre ignoble fait que, dès le lendemain de cet atroce massacre, le 8 octobre 2023 donc (il y a déjà près d’un an), le Hezbollah lui-même se mit également à bombarder continuellement, de façon tout aussi indiscriminée, injustifiée, les civils du nord d’Israël, entraînant ainsi l’exode, cruel, de près de 80000 d’entre eux !

Non, jamais Israël, à juste titre, ne pardonnera ce gigantesque crime à l’encontre des siens ! D’où précisément, après cette date fatidique du 7 octobre, qui a irrémédiablement changé le cours de l’Histoire, et déclenché par la même occasion la réplique de ce même Etat d’Israël, son inébranlable volonté aujourd’hui, de sa part, de mettre enfin un définitif terme à ce type de menace existentielle pour lui !

L’Iran, tête du serpent terroriste

Et, oui, l’Iran de l’épouvantable ayatollah Ali Khamenei, tête du serpent en matière de terrorisme international, pour qui le Hezbollah de Hassan Nasrallah n’était qu’un de ses plus sanguinaires proxis, doit s’inquiéter aujourd’hui de la très destructrice riposte là aussi, sur le plan militaire, qu’Israël (qui dispose de l’armement atomique, immédiatement opérationnelle, réparti sur son territoire) pourrait lui administrer si, d’aventure, il osait encore s’attaquer à lui !

Car, qu’on se la dise, ici aussi, une bonne fois pour toutes : Israël, qui ne fait légitimement que se défendre là, ne veut en aucun cas, contrairement à l’intention de ses ennemis à son encontre, la destruction de l’Iran, pays d’une incomparable richesse historique, pas plus d’ailleurs qu’il ne veut la guerre avec le Liban, qu’il respecte tout autant pour son remarquable héritage culturel et humain ; tout ce qu’Israël veut, et demande, c’est de pouvoir vivre enfin en paix, sans qu’il soit constamment menacé dans son existence même, avec ses voisins arabes et musulmans !

Israël, pour la libération de tous les démocrates d’Iran, du Liban et de la Palestine

Il est d’ailleurs fort à parier que, lorsque les passions de ces jours cruciaux, pour l’avenir même du monde, se seront apaisées et que la raison aura retrouvé droit de cité, ce seront tous les démocrates du Liban comme de l’Iran ou de la Palestine à remercier Israël, seul contre tous comme trop souvent, de les avoir enfin libérés, débarrassés et purgés de l’impitoyable et obscurantiste joug de ces monstres sans nom, sans véritable foi ni authentique loi, que sont les terroristes, fanatiques, totalitaires et fascisants islamistes !

Le diable probablement

« On peut rire de tout mais pas avec tout le monde », disait Desproges. Quand il était jeune journaliste, Bruno Patino a interviewé Pinochet à Santiago. Le dictateur a habilement retourné l’entretien et les deux hommes ont fini par rire ensemble. C’était il y a trente ans et ce moment l’obsède encore. Rire avec le diable est sa « confession ».


Les dictateurs révulsent tout autant qu’ils fascinent. Vous souvenez-vous de La Fête au Bouc, ce roman captivant dans lequel le grand écrivain péruvien Mario Vargas Llosa pénétrait les méninges du tyran Trujillo, pervers érotomane qui, trente années durant et jusqu’à son assassinat en 1961, terrorisa la République dominicaine ?

Il est des satrapes plus chanceux. Tel Augusto Pinochet (1915-2006), mort dans son lit à Santiago, âgé de 91 ans, sans avoir été puni pour ses crimes : le général putschiste, traître au président Allende qu’il renverse en 1973, prend la tête du Chili jusqu’en 1998, pour se faire ensuite nommer sénateur à vie. Jamais il n’a manifesté le moindre remords. La momie en fauteuil roulant a esquivé la prison en jouant au sénile.

Un 8 décembre 1992

Bruno Patino, président d’Arte, bien connu par ailleurs pour ses essais stimulants sur l’addiction aux écrans, l’invasion numérique et l’ère des réseaux (La Civilisation du poisson rouge, 2019, et Submersion, 2023, tous deux parus chez Grasset) ne s’est jamais remis, pour sa part, d’avoir, dans sa jeunesse, pu Rire avec le diable – titre de son nouvel opus.

Patino, en 1992, a vingt-six ans. Né d’un père bolivien, il est viscéralement lié à l’Amérique latine, cet « écran vierge sur lequel, dixit Régis Debray, les Européens projettent l’ensemble de leurs fantasmes politiques ». Jeune correspondant du Monde au Chili, le garçon avait déjà bourlingué, à 20 ans, sac au dos, sur les traces du Che,désormais otage « d’une mémoire dévoyée ».

Sept ans plus tard, raconte Patino, « j’arpentais Santiago à la recherche des traces de l’autre figure emblématique de mon éducation politique, le général Augusto Pinochet ». Et de revenir sur le golpe qui a porté au pouvoir ce second couteau d’une junte dont le journaliste débutant commence par circonvenir les affidés, « le général en chef étant inaccessible ». Parmi eux, l’ex-général en chef de l’armée de l’air, Gustavo Leigh, « pilier de la sédition, devenu avec le temps un des principaux opposants à Augusto Pinochet ». Patino le cherche plusieurs mois. Il finit par l’identifier sous le masque d’un agent immobilier qui, dit-il, « semblait sorti du film de Stanley Kubrick, un docteur Folamour ridicule et terrifiant ». Ce spectre lui fait un récit très éloigné de l’histoire officielle de la conjuration contre Allende : il dépeint un Pinochet peureux, « indécis jusqu’à la dernière minute » et qui hérite, sans mérite, d’un « pouvoir que personne ne voulait lui confier ».

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Par l’entremise de quelques oligarques bienveillants, Patino obtient enfin l’autorisation d’un entretien avec l’indéracinable caudillo du Chili. « Le 8 décembre 1992, je me présentai au siège de l’armée de terre, dans le centre de Santiago, un bâtiment carré situé à quelques dizaines de mètres de la Moneda. J’étais attendu. » Le récit de l’entretien avec Augusto Pinochet revêt la saveur d’un roman d’espionnage : « C’était donc cela, un dictateur ? Le dictateur. Le pouvoir sans limites. L’incarnation à la fois de ma fascination et de ma répulsion depuis tant d’années. » Patino tient le lecteur captif de son personnage, lui-même pris dans les rets du « bonimenteur sans foi ni loi », cet homme de petite taille à la voix « aigüe, flûtée, dotée d’un chuintement assez perceptible qui soulignait l’accent chilien d’extraction populaire », et qui bientôt lui met la main sur l’épaule, tente de l’attendrir en exhumant sous ses yeux un prétendu « Plan Z », pseudo-document de source étasunienne attestant qu’Allende aurait fomenté un coup d’État, puis en exhibant une carte postale signée d’une famille Pinochet… de Saint-Malo ! « Après tout, jeune Français, vous ne le savez pas, mais nous sommes compatriotes. » Piégé, le Patino ! « La conversation brouillait tous mes repères à mesure qu’elle passait de l’interview au badinage », écrit-il. Tant et si bien que pris dans un « échange abandonné à lui-même, désordonné et sans enjeu », voilà que Bruno Patino se surprend « aussi à rire de bon cœur ».

Prétendue démence

Trente ans après, cette « idée parasite » l’obsède toujours : « J’avais ri avec le diable. » Ce lointain « moment d’inattention agit comme une marée » sur lui. Il serait tentant de croire que Patino brode, n’était la cassette du dictaphone enregistreur de l’entretien, précieux incunable que le documentariste espagnol José-Maria Berzosa, cinq ans après, en un temps où l’intouchable sénateur Pinochet savoure sa victoire, s’est proposé d’utiliser en l’y confrontant dans un nouvel entretien, filmé, cette fois. Mais le 16 octobre 1998, le dictateur à la retraite est arrêté : « L’addition lui est présentée, de son vivant. » Les épisodes de sa déchéance se succèdent, jusqu’au « pitoyable refuge du militaire dans une prétendue démence qui lui permettrait d’échapper à la justice ». Le film ne se fera pas.

C’est allusivement que Patino évoque cette longue tragédie du Chili, les digressions historiques ramenant l’auteur à la hantise de ce moment d’exception où, cherchant avec candeur l’altérité du mal incarnée dans un monstre, il n’a trouvé qu’une marionnette cynique, « prête à revendiquer des complots qu’il n’avait pas ourdis, et à assumer sans trembler le déluge de violence qu’il avait provoqué ».

L’épilogue de cette haletante « confession » fait retour à Santiago, en 2024 où, ranimé, le souvenir « exprime aujourd’hui la menace diffuse d’un futur qui s’annonce ». Lequel ? Celui des « spin dictators », « nouveaux diables » qui « font mouvement grâce aux algorithmes ». Non sans emphase, pour finir, Patino se fait prêcheur : « Quand le sol de nos espérances se dérobe sous nos pieds et la ligne de fuite d’un futur désirable sort du cadre de notre possible, il nous faut compter sur nos derniers alliés. Les fantômes, la mémoire et les mots : c’est tout ce qui nous reste. » Avec le souvenir d’avoir été jeune, peut-être ?

Bruno Patino, Rire avec le diable, Grasset, 2024.

Rire avec le diable

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La patiente du jeudi

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L’heure est venue pour Nathalie Rheims de révéler le secret qui scelle son existence


Nathalie Rheims, romancière confirmée, fille de l’académicien Maurice Rheims, petite sœur de la photographe Bettina, déclare qu’elle arrête d’écrire après son dernier livre Ne vois-tu pas que je brûle.

Cela peut surprendre car, jamais, un écrivain n’arrête d’écrire. Ce serait comme vouloir cesser de respirer. Peut-être est-ce à cause de la disparition récente de son mari, l’éditeur Léo Scheer, dont elle n’a jamais divorcé parce qu’il était né dans un camp de réfugiés en Bavière, en 1947, et parce qu’elle était pour lui « sa seule famille ».

La famille, c’est essentiel pour Nathalie Rheims. Elle a écrit, à 40 ans, son premier roman pour rendre hommage à Louis, son frère aîné, avocat prometteur, emporté par un cancer à l’âge de 33 ans. Du reste, elle l’évoque à nouveau dans Ne vois-tu pas que je brûle, et cette évocation donne le titre à ce roman. Il s’agit d’une phrase prononcée par une patiente de Freud à propos de l’interprétation d’un rêve.

Puis, au fil des années, Nathalie Rheims poursuit son roman familial en consacrant un livre à sa mère, Lili Krahmer, enfuie avec un amant alors qu’elle était adolescente ; un autre à Claude Berri, son compagnon mort en 2009 ; encore un autre à son amour de jeunesse le chanteur Mouloudji ; pour arriver, enfin, au secret qui scelle son existence. L’heure est venue de le révéler. On pourrait parler d’exorcisme, mais Nathalie Rheims réfute ce terme. « La nécessité d’écrire vient d’un manque à combler, d’une épreuve à surmonter, déclare-t-elle, et je n’ai pas été plus heureuse après avoir écrit sur mon frère (…) »

De multiples indices l’obligent à s’interroger : qui est son père biologique ? Le commissaire-priseur, Maurice, homme à femmes, incapable de dire qu’il aime sa fille, ou Serge, le psychiatre qu’elle consulte depuis l’enfance, tous les jeudis, entre 16 et 17 heures ? Elle ne paye jamais les séances. Doit-elle en déduire qu’elle ne vaut rien ? Sophocle semble prendre les commandes du récit. Il faut résoudre l’énigme des origines. Nathalie Rheims pose d’abord la question à sa mère. Oui, elle a couché avec les deux hommes, en même temps. Puis à Serge, « commissaire Maigret des âmes », qui déclare doctement : « Vous savez, nous sommes les enfants de ceux qui nous élèvent. » Enfin à Maurice, qui souhaiterait presque qu’elle ne soit pas sa fille. L’exécuteur testamentaire de Paul Morand ose ajouter : « Parce que j’aurais le droit de te sauter. »

Nathalie Rheims poursuit son enquête ; sa quête, devrais-je écrire. Son texte est précis, la phrase aiguisée comme le couteau sacrificiel. Le lecteur veut savoir. La romancière s’en sort par une pirouette : « Maurice m’avait appris à voir, et Serge, à écouter. »

Reste la phrase-titre : « Ne vois-tu pas que je brûle ? » Elle s’adresse à nous tous, enfermés dans nos certitudes, verrouillés par une société qui a jeté les clés, aveugles sans vouloir connaître la vérité, à la différence d’Œdipe.

Nathalie Rheims, Ne vois-tu pas que je brûle, Éditions Léo Scheer. 176 pages.

Ne vois-tu pas que je brûle

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À la recherche du manuscrit perdu

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Spleen au lavomatic, le premier roman de Valère-Marie Marchand à paraître aux éditions Héliopoles est dingue. On y croise Narcisse, Baudelaire, César Birotteau, Georges Conchon, Bartleby et Émilien Dorval, écrivain synesthète en proie à des troubles de la vision


Valère-Marie Marchand n’est pas une écrivaine des lignes droites. Elle aime les tortillards de la vie, ses impasses et ses allégories. Inclassable, elle ne s’est pas laissée piéger par les genres et les étiquettes d’un monde littéraire qui n’aime que l’ordre et la discipline. Elle est libre, libre d’écrire sur des sujets aussi variés que le Facteur Cheval, les arbres, les piscines municipales ou Boris Vian. Vous ne l’attraperez pas dans votre filet à provisions avec des ronds de jambe et des sourires mielleux. Elle connaît mieux que quiconque les simagrées du milieu et ses chausse-trappes. Ne tentez pas de la piéger dans une école de pensée ou dans un sous-ensemble flou. Elle vous rira au nez. Elle a l’expérience des pigistes aguerris à toutes les contorsions. Cette voix de radio, connue de tous les auteurs pour son oreille attentive, est à l’aise dans tous les exercices de style : la chronique vipérine comme la vulgarisation scientifique. On lui doit déjà une œuvre dense et éclairante guidée par une écriture sensitive. Après l’avoir lue, on se souvient d’elle. Aucun thème ne la rebute, ni les arts ménagers, ni la peinture contemporaine ; dans le vitrail ou les poètes surréalistes, elle trouvera toujours à poser son propre ton et une forme d’arythmie très séduisante. C’est ce que l’on attend d’un écrivain « original ». Un phrasé identifiable à l’épithète près, la typicité d’une narration rien qu’à lui et surtout, une échappatoire aux carcans actuels, faite de digressions et d’horizons étranges. Valère-Marie Marchand est d’ailleurs, d’un vieux monde où l’érudition n’était pas barbante et où les journalistes de presse écrite avaient le goût du bel ouvrage. Elle est si particulière qu’elle aura attendu plus de deux décennies avant de se lancer dans le roman pur, l’antichambre de la respectabilité. Par pudeur, par timidité, par respect devant son imposante bibliothèque et aussi, par peur.

La trouille est mauvaise conseillère. Elle a eu tort d’avoir tardé à ce point. Car Valère-Marie a beaucoup lu avant d’écrire, ce qui est une situation tout à fait incongrue de nos jours où les primo-romanciers se targuent de leur inculture à la télé et où on les applaudit chaudement. D’abord, accordons-lui la palme du meilleur titre 2024, son Spleen au lavomatic est charmant, rieur, plein de grâce et de nostalgie abrasive. Il y a tout dans ce titre, la dinguerie de Valère-Marie, son inclination pour les « grands », sa ruse taquine et ses facéties de sale gosse bourbonnaise. Elle est une hussarde à la manière de Geneviève Dormann ; son don pour la caricature serait plutôt à chercher chez Claire Bretécher. Mettez une pincée de Miss Marple dans votre salaison et vous vous approcherez de ce phénomène myope donc clairvoyant. Déjà lorsqu’en 2021, chez le même éditeur, elle avait sorti Le Club des Aquarêveurs, une galerie de portraits au pays de l’eau chlorée et du maillot une pièce, on savait que cette fille-là était terrible et dangereusement drôle. Elle en avait sous la plume. Début octobre, elle saute dans le grand bain qui a tout du grand déraillement neurologique. Avec Valère-Marie, le quotidien dévisse, l’imaginaire capture le réel et la fiction s’emmêle dans les méandres d’un cerveau « malade ». Émilien Dorval, son héros, écrivain désenchanté par la post-modernité se rend au lavomatic et y perd un manuscrit au format A3, un vendredi 13, dans une laverie au numéro 66 d’une rue ensoleillée, devant le lave-linge numéro 6. De ce point de départ, la primo-romancière organise un jeu de piste déroutant et désopilant où tout a un sens caché. Ce roman iconoclaste à tambour battant prend les chemins de traverse, il est à la fois cocasse, perspicace, d’une intelligence finaude et d’une spiritualité du meilleur effet. Valère-Marie, je le répète, est inclassable. Il y a du Marcel Aymé dans ses personnages de guingois, j’y ai vu également la patte du loufoque Pierre Dac, et puis, aussi, l’humanisme désappointé d’un Italo Calvino. Valère-Marie échafaude des théories sur le linge sale et propre, sur la fin des illusions et une société javélisée, sur l’influence de la numérologie et la fourberie des cycles d’écriture. Émilien va aller de rencontre en désillusions, de visions contrariées en chimères. Sur sa route, il croisera une fumeuse désinvolte, une psy alambiquée, une mère travaillant dans une matériauthèque, une experte en écriture… Cet écrivain au bord de la crise de nerfs n’est-il pas le reflet criant de tous les inconscients qui prétendent un jour écrire ? Et surtout retrouvera-t-il son précieux manuscrit ?

Spleen au lavomatic de Valère-Marie Marchand – Héliopoles 304 pages

Spleen au lavomatic

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Yasmina Reza interroge l’étrangeté du monde et des êtres

Notamment dans ses comptes-rendus d’audiences judiciaires, Yasmina Reza parvient brillamment à mettre au jour le caché et le refoulé des individus, et à exprimer l’état des choses même.  


Yasmina Reza n’écrit pas seulement pour le théâtre ou le cinéma. La grâce de son écriture, on le sait, s’étend également à des romans, comme Babylone (2016) ou Serge (2021). Son style tout en concision a également fait merveille dans l’un de ses meilleurs livres, L’aube le soir ou la nuit (2007), un reportage consacré à Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, et c’est ce qui va nous intéresser aujourd’hui, Yasmina Reza est incontestablement une spécialiste des proses brèves, ainsi que le montre le nouveau livre qu’elle publie en cette rentrée littéraire, et qu’elle a intitulé sobrement Récits de certains faits.

Pour la plupart, ces récits sont probablement des articles parus dans la presse, même si cela n’est pas indiqué. Des articles, précisons-le, rédigés dans une veine pleinement littéraire. Les avoir réunis en un volume leur redonne une dimension inédite et rare, en les isolant d’une actualité confusionniste qui, souvent, noie dans la banalité le fait divers.

Chaque texte de Yasmina Reza, dans Récits de certains faits, est un microroman en puissance, nécessitant de la part du lecteur une certaine vigilance, tant tout ce qui y est décrit le renvoie à sa propre conscience d’être humain.

Les plus faibles

Yasmina Reza s’est tournée, dans ce livre, vers les plus faibles, ceux pour qui la société se montre le plus impitoyable. Elle les a rencontrés au gré de ses visites dans les tribunaux correctionnels ou les cours d’assises. Ils sont dans le box des accusés, peinant à se défendre, porteurs à chaque fois d’une histoire navrante à laquelle ils ne comprennent rien. Yasmina Reza se concentre toujours sur l’essentiel, qu’elle décrit de manière très simple, voire allusive, avec des ellipses qui dramatisent le rendu des audiences. Voici par exemple comment elle dépeint une mère et son fils, dans la salle du tribunal : « Leur immobilité me fait penser à celle des mouettes sur le bassin gelé du jardin du Luxembourg. Identiques aux statuettes couleur de givre, explorant toutes le même vide lointain. » Et puis, au détour d’un paragraphe surgit une formule qui résume toute la détresse de ceux qui sont là, qui attendent sans savoir pourquoi : « Mais que voit-on sans une certitude de sa propre présence au monde ? »

Un sentiment de révolte

L’un des textes les plus terribles de ce livre est celui intitulé « Sylvie W. ». J’ai rarement lu quelque chose d’aussi bouleversant. Il se déroule à la cour d’assises de Dijon. Comparaître pour le crime qu’elle a commis dans un moment de folie provoque chez cette accusée une crise psychotique, qui la fera interner sur-le-champ. Yasmina Reza pointe du doigt les parents, avec une irritation qui va de pair avec un sentiment de révolte : « Qu’attendent-ils, seuls, recroquevillés sur eux-mêmes, ignorants ou voulant ignorer l’étendue du désastre qu’ils ont provoqué ? » Dans un autre texte, sur l’affaire très médiatisée de Jonathann Daval, paru je crois dans Libération, Yasmina Reza décortique l’imbroglio psychologique au milieu duquel un accusé, manifestement dépassé par les événements, comme le dirait Nietzsche, subit l’emprise de ses beaux-parents. Elle écrit de ceux-ci, sans concession : « Personne ne s’est offusqué de les voir chaque soir sur les marches du palais commenter l’audience pour les chaînes d’info, étaler leurs doléances et revendications hors tout cadre et toutes règles. » C’est pour de telles réflexions qu’on apprécie Yasmina Reza, qui défend avec une autorité naturelle ceux qui se retrouvent dans « la honte, la crainte, le sentiment d’infériorité ».

Humour juif et autodérision

À côté de ses comptes rendus d’audience, Yasmina Reza a ajouté des textes plus intimes, dans lesquels elle parle d’elle-même, de sa famille, de ses amis. Elle y fait montre d’un même désir de vérité, sans aucune complaisance facile, ne s’épargnant pas, comme si elle n’avait rien à perdre. Toujours chez elle cette ironie profonde mâtinée d’humour juif, avec la part imprévisible d’autodérision et de désespoir. L’auteur dramatique qu’elle est nous parle aussi de théâtre, de quelques metteurs en scène qu’elle apprécie, comme Luc Bondy. Elle caractérise par exemple ce dernier grâce à l’expression « en dessous », expliquant : « c’était exactement dans cet en dessous que je croyais le connaître ». Elle précise : « en dessous de son humour, il y avait une mélancolie particulière, une inquiétude croissante qui étaient sans doute la matière première de son talent ».

Dans ces Récits de certains faits, chaque mot est pesé et il n’y en a aucun d’inutile. Cette rigueur dans la sobriété demande la plus grande dextérité. La plupart du temps, ce que Yasmina Reza relate en si peu de mots parvient à mettre au jour le caché et le refoulé et à exprimer l’état des choses même. Je suis sûr que Récits de certains faits pourrait marquer son époque, comme jadis les Mythologies de Roland Barthes.

Yasmina Reza, Récits de certains faits. Éd. Flammarion. 240 pages. 

Récits de certains faits

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Elimination de Nasrallah: le Hezbollah et l’Iran perdent aussi leurs illusions

Après un temps de flottement, le Hezbollah a finalement confirmé que son leader avait bien été tué à Beyrouth dans un bombardement israélien.


Au Moyen-Orient, la nuit de vendredi à samedi a été longue, et tous les regards étaient tournés vers le sud de Beyrouth. Juste avant 18h30, vendredi, d’énormes explosions ont retenti dans la capitale libanaise et dans ses environs. Une série de frappes de l’aviation israélienne a visé un pâté de maisons dans le quartier de Haret Hreik, cette banlieue sud fief du Hezbollah. 80 tonnes d’explosifs dont des munitions anti-bunker ont pulvérisé six bâtiments lui appartenant situés dans une zone résidentielle, et surtout le sous-sol abritant le QG principal de la milice.

Pourquoi Israël a pris un tel risque

Ce moment a été choisi car Israël disposait des renseignements indiquant la présence dans le lieu de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Le plus gros poisson imaginable, entouré des hauts gradés du Hezbollah et de l’Iran, dans un équipement militaire important. Voilà pourquoi Israël a pris le risque de tuer des centaines de civils dans l’opération. Très vite il était clair que Nasrallah était effectivement dans le QG. Mais, pendant la nuit, les informations diffusées étaient contradictoires. Ce n’est que tard ce samedi matin que la nouvelle a été confirmée : Hassan Nasrallah est bien mort. L’annonce de sa disparition, d’abord relayée par l’armée israélienne puis confirmée par le Hezbollah, marque l’aboutissement d’une semaine qui a bouleversé l’ensemble des cartes. Le scénario d’une guerre totale, qui n’était jusque-là qu’une hypothèse, est devenu une réalité pour la première fois depuis le 8 octobre 2023, lorsque le Hezbollah a décidé de s’engager dans le conflit avec Israël.

Tout le monde savait théoriquement que le rapport de force penchait nettement en faveur d’Israël, mais il est probable qu’aucun membre du Hezbollah ou de l’axe iranien n’ait anticipé que la milice, l’une des plus puissantes au monde, allait subir de tels revers – entraînant le Liban dans sa chute – en l’espace de quelques jours. Le Hezbollah a sans doute été victime du « syndrome de la victoire ». Convaincu que, depuis 40 ans, il remportait des succès contre Israël, le mouvement s’est retrouvé dans une situation similaire à celle de la France en 1940. Après une « drôle de guerre » de 11 mois, ceux qui avaient tiré les leçons de leurs échecs passés ont commencé à jouer leurs meilleures cartes.

L’erreur de Nasrallah

Nasrallah, pourtant fin connaisseur d’Israël, aurait sous-estimé la volonté de son ennemi de prendre des risques d’escalade au Liban. Il s’est également trompé sur Netanyahou. Il connaissait l’aversion de son adversaire israélien pour les conflits et les risques : Bibi est l’homme du « containment » et du « statu quo ». En 2014, Nasrallah l’avait observé reculer devant l’option qui s’offrait à lui d’élargir l’opération contre le Hamas au-delà de sa dimension aérienne. Il l’a testé et provoqué en 2023, sans réactions immédiates de la part de Netanyahou : lors d’un attentat raté commis par un homme du Hezbollah à l’intérieur des frontières d’Israël, la tentative d’assassinat d’un chef d’Etat-major pendant son jogging matinal à Tel-Aviv, et avec l’installation de tentes au nord de la barrière mais en territoire israélien. Enfin, lorsque les généraux israéliens et le ministre de la Défense ont souhaité frapper le Hezbollah, le 11 octobre 2023, c’est encore Bibi qui a réussi à bloquer l’initiative. Sauf qu’une fois contraint d’agir, ce même Bibi est prêt à aller loin pour mener l’opération selon ses propres conditions.

Cette erreur d’appréciation a conduit Nasrallah à s’accrocher à l’idée qu’il pouvait mener un conflit à la fois prolongé et limité dans son intensité. Il a dû croire que la dissuasion empêcherait l’escalade. Quelle qu’en soit la raison, il s’est enfermé dans une stratégie sans issue – pas de cessez-le-feu au nord sans cessez-le-feu avec le Hamas – sans jamais la remettre en question, malgré les efforts des Américains et des Français pendant de longs mois.

Ainsi, du jour au lendemain, le Hezbollah s’est retrouvé dans une position où il ne pouvait ni protéger ses militants, ni ses partisans, dont des centaines de milliers sont désormais déplacés. Il s’est humilié face à une population libanaise plus large qui lui était déjà hostile. En étant si confiant dans son pouvoir, malgré l’hostilité grandissante, le Hezbollah a renforcé l’idée qu’il pouvait garder tout le monde sous contrôle. Maintenant qu’Israël frappe durement le parti, il apparaît vulnérable.

Des Irakiens suivent une retransmission du discours de Hassan Nasrallah, 3 novembre 2023, Basra © Nabil al-Jurani/AP/SIPA

Nasrallah s’est laissé enivrer par ses propres illusions et ses discours télévisés. Les expressions comme « unité des fronts » et « cercle de feu » ont masqué une réalité bien plus complexe. Toutes ces milices ne constituent pas une OTAN. Mal coordonnées, leurs capacités sont limitées par le fait qu’elles opèrent depuis des États faillis et en faillite.

De la même manière que le Hezbollah semble incapable de protéger ses hommes et ses partisans, la « maison mère », l’Iran, paraît également incapable de protéger ses alliés (sans parler de ses invités VIP, et de ses généraux). Et ce n’est pas de bon augure pour l’axe de la résistance.

Israël a une bonne longueur d’avance

Nous sommes loin du scénario de 2006. Il est désormais évident qu’Israël préparait cette guerre depuis 18 ans. Le pays a réussi à infiltrer la milice (et son mentor iranien) et semble tout connaître de son fonctionnement : son système de communication, ses cachettes, ses quartiers généraux, ses dépôts d’armes, et probablement ses plans et décisions. Ainsi, au moment opportun, Israël a réussi à décapiter le Hezbollah en quelques jours. La milice pro-iranienne semble aujourd’hui désorientée, comme en témoigne le temps qu’elle a mis à annoncer la mort de son chef.

Israël a également anéanti les paradigmes sur lesquels reposait la stratégie du Hezbollah. L’équilibre de la dissuasion, dont se vantait Nasrallah, la puissance d’un mouvement terroriste devenu guérilla, puis armée régionale, et le génie politique, militaire et stratégique inégalé de Hassan Nasrallah, l’un des hommes les plus influents du Moyen-Orient, ont tous été mis à mal. L’idée de « l’unité des fronts » est, elle aussi, réduite à néant dans la poussière de Beyrouth. Le Hezbollah est à terre, et ni Assad ni l’Iran ne semblent prêts à venir à son secours. Quant aux Houthis et aux milices irakiennes, il est difficile de voir ce qu’ils pourraient faire de plus.

Quant à la suite des événements, il est impossible de savoir ce qui se passe à l’intérieur du Hezbollah. Israël déploie son plan de guerre depuis quinze jours, mais on ignore à quel point ses milliers de frappes ont affaibli les deux piliers du Hezbollah : son arsenal de roquettes, missiles et drones, et ses unités d’infanterie. En d’autres termes, combien de ses 150 000 missiles et roquettes restent-ils opérationnels, et dans quel état se trouvent ses dizaines de milliers de combattants ?

Même décapité, il ne faut pas exclure la possibilité que le Hezbollah ait encore les moyens de mener des opérations contre Israël. À l’image du commandant d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, les cadres du Hezbollah auraient peut-être reçu des consignes à suivre en cas de rupture de communication avec le QG.

La société libanaise entre deux feux, Téhéran en mauvaise posture

Après le choc initial, le Hezbollah peut-il se relever ? Et, dans ce cas, sera-t-il plus sensible aux pressions de la société libanaise (y compris les chiites) qui, bien que solidaire de Gaza, ne souhaite pas cette guerre que le gouvernement libanais n’a pas approuvée ?

C’est à l’Iran de décider s’il accepte cette défaite, ou s’il tente de revenir dans la partie en provoquant une escalade. Le dilemme est cruel, car accepter une défaite signifierait reconnaître que la République islamique n’est qu’un tigre de papier, incapable de protéger ses alliés à Gaza et à Beyrouth. À l’inverse, stopper le massacre permettrait de préserver l’atout essentiel du Hezbollah, à savoir ses missiles de haute précision, supposés protéger l’Iran en cas d’attaque directe. Sans le Hamas et le Hezbollah, Israël et les États-Unis pourraient concentrer tous leurs efforts sur l’Iran, mettant en péril la survie du régime.

Les mollahs pourraient certes considérer qu’une riposte minimale est nécessaire pour rééquilibrer le rapport de force avant de négocier avec les États-Unis. Ils pourraient chercher à frapper symboliquement une cible facile, comme ils l’ont fait en 1992 et 1994, en Argentine. Cependant, malgré les tensions palpables entre MM. Netanyahou et Biden, les États-Unis ont clairement indiqué qu’ils ne resteraient pas les bras croisés face à une telle guerre. Téhéran sait qu’elle n’a pas les moyens d’affronter directement Israël et les États-Unis, soutenus par la Jordanie et les pays du Golfe. Pour le régime iranien, le choix est donc entre l’humiliation ou la survie, la priorité étant de préserver son programme nucléaire, son ultime assurance-vie. Et c’est précisément là que les choses pourraient se précipiter. Un Iran qui n’a plus ses alliés supposés former une force de dissuasion protégeant son programme nucléaire pourrait être tenté de se lancer dans la course à la bombe… ce qui pourrait pousser Israël et les États-Unis à l’en empêcher, comme ils s’y sont engagés.

Bien sûr, cet affaiblissement brutal du Hezbollah pose également la question du Liban. Pour Israël, une solution durable au conflit dépend de la capacité de la société libanaise à soutenir un État souverain, détenteur du monopole de la force armée et de la politique étrangère. Même solidaire de la cause palestinienne et généralement hostile à Israël, c’est la clé pour une stabilité et une résolution pacifique de certains différends. La question est désormais de savoir si le Hezbollah est suffisamment affaibli et s’il existe des forces libanaises prêtes à profiter de cette faiblesse pour s’imposer comme un contre-pouvoir crédible face à la milice chiite. On peut être certain que les vétérans de la politique libanaise (Jumblatt, Berry, Aoun), des acteurs dont les carrières pourraient faire pâlir Machiavel, se posent cette question en ce moment même. Même si les choses évoluent de manière moins dramatique, le Liban se retrouvera sans Hassan Nasrallah, la voix et le visage de « l’axe », l’homme qui l’étouffait depuis 30 ans. Sa disparition pourrait accélérer l’éloignement des Libanais vis-à-vis du Hezbollah. Cette guerre, décidée sans leur accord, semble être le pas de trop qui aurait détruit la crédibilité du Hezbollah, même auprès de sa propre base populaire chiite. Le Hezbollah ne disparaîtra pas, mais il pourrait subir une « amalisation », c’est-à-dire se transformer en un parti politique chiite jouant un rôle central dans le jeu du pouvoir. Cependant, à court terme, on ne peut que craindre le chaos et s’attendre à diverses tentatives du Hezbollah pour s’accrocher au pouvoir et s’imposer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

« Le Syndrome de l’Orangerie», de Grégoire Bouillier : combien de cadavres sous les fleurs?

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Giverny. DR.

Regarder un tableau, affirme notre chroniqueur, ne consiste pas à se contenter d’observer sa surface : il faut s’immerger dans la profondeur de ce qui paraissait une œuvre en deux dimensions, et qui en a bien d’autres — comme un livre.


Allons, ne boudons pas notre plaisir : j’ai lu le meilleur livre de cette rentrée d’automne 2024, et il s’intitule Le Syndrome de l’Orangerie, de Grégoire Bouillier.

Que ce soit seul, un jour de pluie, ou pour accompagner votre cousine de province, avide de découvrir en deux jours toutes les curiosités de la capitale, vous êtes peut-être entrés, déjà, dans le Pavillon de l’Orangerie, tout au bout des Tuileries, côté Seine.
Dans le sous-sol ont été mis en place les panneaux des Nymphéas, peints tout spécialement pour ce lieu en 1914-1918 (oui, la date n’est pas un hasard !) par Claude Monet, et offertes par le peintre à l’Etat français. Avec le soutien sans faille de Georges Clemenceau, ami fidèle de l’artiste.

Le double de Bouillier donc s’y retrouve un beau jour, et il est saisi, devant ces immenses toiles, d’un malaise profond :
« Que s’était-il passé lors de la visite de l’Orangerie ? Qu’avais-je vu ? »
L’italique n’est pas fortuit. On peut regarder sans voir réellement. Sherlock Holmes le reproche sans cesse à Watson. Eh bien c’est à une enquête éminemment holmesienne que nous convie Bouillier. Un suspense ébouriffant.

On parle d’un « syndrome de Stendhal » pour désigner les éblouissements, voire les évanouissements de l’auteur du Rouge et le noir devant certaines toiles, ou à l’écoute de musiques sublimes : l’excès de beauté anéantit notre capacité de perception et d’analyse. Ici, c’est le sentiment d’une mort camouflée qui prend le narrateur aux tripes. Quelque chose se dissimule derrière ces flaques d’un vert douteux, derrière ces fleurs suspectes. Ce ne sont pas de simples panneaux peints, c’est une scène de crime.

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C’est donc à une enquête en profondeur (j’insiste sur ce point : une grande œuvre ne se donne pas immédiatement au premier coup d’œil, elle demande à être explorée, fouillée, autopsiée) que se livre l’auteur. Une enquête qui le mène (et qu’est-ce qu’un lecteur attentif, sinon justement un fin limier ?) de Paris à Giverny en passant par Auschwitz.

Parce qu’il n’y a pas qu’un seul cadavre enfoui sous ces nymphéas — et d’ailleurs, pourquoi des nymphéas ? Parce que Monet en avait planté sur les pièces d’eau de sa propriété normande de Giverny, tout à côté de Vernon ? Des milliers de touristes étrangers font le déplacement, vous pouvez vous y risquer, non ?
Explication un peu courte. Il y a sous ces fleurs suspectes (saviez-vous qu’une décoction de racines de nymphéas éteint l’ardeur sexuelle ?) les millions de morts de la Grande Guerre (sous les fleurs ? Vous êtes sûr ?). Et tous les deuils intimes de l’artiste — mais je n’en dirai pas plus, sachez seulement que cette salle double de l’Orangerie, qui ressemble à une paire de lunettes, à une grotte primitive où se serait exprimé un artiste pariétal, ou à un combiné vagin / utérus, est un immense Tombeau — au sens que l’on donne en littérature à ces œuvres qui célèbrent un ami ou une amante disparus…

L’enquête touche aussi bien à la vie intime du peintre qu’à celle de sa Belle Epoque — sinistre à bien des égards, puisqu’après tout elle s’est achevée sur un bain de sang d’une ampleur jamais vue. Elle ressuscite Camille, la première épouse du peintre, ou son fils, ou sa mère, ou toutes les disparitions qui jalonnent votre existence quand vous vous acharnez à rester en vie tandis que les autres se fondent dans une absence épaisse. Ce que le soleil révèle, dans ses chatoiements sur ces pièces d’eau, c’est la part de nuit qui nous habite — et de plus en plus lorsque l’on prend de l’âge, et que l’on court derrière ses amis défunts, d’un cimetière à l’autre.

Bouillier, en nous apprenant à regarder vraiment, nous enseigne du même coup comment lire réellement : non pas déchiffrer laborieusement comme un député analphabète de LFI, mais comprendre tous les ressorts, les sortilèges enfouis, la machinerie littéraire qui distingue les grandes œuvres du fatras de papier imprimé qu’on appelle une rentrée littéraire.
Ce roman est une grande œuvre : non seulement il vous incite à la relecture de tout ce que vous avez aimé, mais il vous donne de précieux conseils sur ce dont vous devez tenir compte, le jour où la fantaisie vous viendra de peindre, de sculpter, de composer, ou d’écrire. Derrière les sortilèges d’une œuvre d’art se dissimule toujours la Bête — et dans le dernier chapitre, Bouillier nous livre son propre mystère, puisqu’après tout écrire consiste à faire ressortir l’impalpable, l’innommable, l’indicible — l’essentiel, en un mot.

Grégoire Bouillier, Le Syndrome de l’Orangerie, Flammarion, août 2024, 430 p.

Le syndrome de l'Orangerie

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« Kaizen »: l’Everest, sa cohorte de prétendants et la philosophie des cimes

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Inès Benazzouz dit Inoxtag © Mathis Dumas

L’époque où la beauté des cimes était réservée à des initiés semble désormais révolue. L’influenceur Inoxtag mérite-t-il l’avalanche de critiques qui déferlent sur lui?


Jusqu’alors, la haute montagne, celle dont personne ne ressort vraiment indemne, était principalement associée aux noms de Maurice Herzog et de Louis Lachenal, qui mirent l’Anapurna à leurs pieds, de Roger Frison-Roche, aux romans écrits sur des lignes de crêtes, ou encore de Sir Edmund Hillary et de son sherpa, Tenzing Norgay, qui vainquirent l’Everest un jour de mai 1953. Elle était une affaire de sportifs aguerris et de spécialistes ; elle se parait de ce mystère dans lequel nous plongent le risque, les pentes raides, le froid et l’effroi ; surtout, elle nous emmenait dans un imaginaire appelant à la philosophie. 

Toujours plus loin, plus fort, plus vite, jusqu’au bout de l’extrême limite

Avec le succès dans les salles et en ligne de Kaizen, la montagne est un peu moins de tout cela et, au fond, c’est le principal des reproches que l’on devrait formuler au documentaire. Si les images donnent le vertige, autant par leur beauté que par la profondeur des crevasses, le récit est formaté pour une époque habituée à la dramatisation outrancière, aux coachings de vie, à la morale factice et l’exposition de soi – en l’occurrence, celle de l’auteur et principal acteur, l’influenceur Inoxtag.

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Celui-ci ne mérite pourtant pas l’avalanche de critiques qui déferlent sur lui : le jeune homme au cœur de l’action fut longtemps habitué à son canapé et féru de jeux vidéos avant de se trouver une auguste destinée en même temps qu’il décidait de gravir l’Everest. Plus de deux heures durant, on le voit s’entraîner, repousser ses limites, être transformé. Et forcément, cela ne plaît ni aux puristes ne pouvant souffrir qu’un non-initié devienne alpiniste en l’espace d’un an, ni aux féministes – ainsi en est-il du « il n’y a pas beaucoup de femmes dans le documentaire » de Léa Salamé – , ni aux prétentieux qui se pensent dépositaires de la nature immaculée.


Il ne nous empêchera toutefois pas de penser qu’il est des endroits qui jamais ne devraient être explorés, déflorés, piétinés, encore moins devenir des destinations prisées – nous dirions « touristiques » si nous n’avions autant de respect pour la dimension sportive de l’exploit. La cohorte se massant à quelques encablures du sommet transforme les toits échancrés du monde en estrades pour selfies et les voies célestes en autoroutes des vacances. Là, tout ne semble soudainement être qu’agitation, vanité et pollution, au lieu d’être calme, humilité et plénitude.

On peut aussi lire Sylvain Tesson et Roger Frison-Roche

Après avoir vu Kaizen, et fantasmé que chacun pouvait mettre l’Everest à sa porte, on se replonge, dans un réflexe presque pavlovien, au cœur des ouvrages de Sylvain Tesson qui écrivait par exemple, au détour de l’un de ses périples : « Je croyais m’aventurer dans la beauté, je me diluais dans la substance. Dans le Blanc tout s’annule, espoirs et regrets ». Ou dans les romans de Frison-Roche, dont Premier de cordée et La grande crevasse, pour beaucoup les premiers rendez-vous littéraires avec la grande aventure. 

A leur prêter une âme, les sommets altiers désireraient sans doute réserver leurs charmes impitoyables aux sages encore aptes à les contempler et la montagne souhaiterait peut-être être gravie par les téméraires en mesure de lui adresser des mots emplis de philosophie. Mais l’époque où la beauté était réservée aux happy few est désormais révolue. Et les terra incognita ne sont, de toute façon, plus de ce monde.

Après Philippine, elles ne veulent plus sortir avec la peur de mourir

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Paris, 29 septembre 2024 © ISA HARSIN/SIPA

Le collectif de droite Némésis organisait un hommage à Philippine place Denfert-Rochereau, hier, à Paris. Des familles touchées par d’autres drames similaires ont apporté leur témoignage au micro. Avec le sentiment d’être de « mauvaises victimes » pour la société, et l’espoir que la question des OQTF non appliquées trouve enfin une réponse.


Ce dimanche 29 septembre aurait pu être un dimanche comme les autres, mais il n’en était rien. Car ce dimanche, précisément, un émouvant hommage à la jeune Philippine s’est tenu sur la place Denfert-Rochereau (Paris XIVème) à l’initiative du Collectif Némésis (fondé par la féministe Alice Cordier, présenté par la presse comme un groupuscule identitaire ou d’extrême-droite) et de Claire Geronimi, victime d’un viol dans le hall de son immeuble, en 2023, par un migrant africain sous OQTF. Devant la foule de près de deux mille personnes, sécurisée par un dispositif de forces de l’ordre et une entreprise de sécurité privée engagée pour l’occasion, nous avons pu observer des pancartes « L’État m’a tuée » ou « Philippine aurait pu être notre sœur ».


Gros ras-le-bol

Au micro d’Alice Cordier, se sont succédé les – trop – nombreuses familles endeuillées, dont certaines ont fait le déplacement depuis la province, pour témoigner du laxisme judiciaire autour de la question des OQTF, et du douloureux chemin de reconstruction qui s’opère après l’assassinat d’un proche. Des familles invisibilisées, dont le témoignage n’est que trop peu relayé par les médias. Nous avons écouté Catherine, dont la fille a été tuée sous le coup de onze coups de couteaux par un Algérien multirécidiviste ; nous avons aussi écouté Marius, dont la grand-mère de 91 ans a été violée et tuée à son propre domicile par un migrant sous OQTF : « Elle est morte dans son propre sang, sur le sol d’un appartement où elle a vécu près de quarante ans. Je le sais car j’ai dû nettoyer moi-même l’appartement, en l’absence de la société de nettoyage mandatée par la Juge d’instruction ». Chaque famille, sans exception, a souligné l’absence de soutien des politiques et notamment des politiques de gauche. Cette réalité était d’autant plus marquante que, au micro de la tribune de la place Denfert-Rochereau, Alice Cordier a remercié les deux seules figures politiques présentes qui se sont déplacées pour Philippine. Deux hommes. Le sénateur Stéphane Ravier (ex-Reconquête) et Florian Philippot (président des Patriotes), seuls, ont fait le déplacement.

Mauvaises victimes

Où sont nos femmes politiques ? Où est Martine Aubry, dont une des familles présentes a souligné l’aberrant silence après avoir perdu un membre de leur famille à Lille, sous les coups d’un homme sous OQTF ? Où sont nos féministes, qui courent pourtant de plateau télé en chaîne de radio, pour dénoncer les féminicides et les violences sexuelles ? Ne se sentent-elles pas concernées par le viol et l’assassinat d’une jeune femme de dix-neuf ans ? Où sont les Parisiennes ? Pour la course à pied de la Parisienne, 30 000 femmes ont couru pour financer la recherche médicale ; où sont-elles, pour rendre hommage à la mort de l’une d’entre elles ? La dernière édition de la Fashion Week a attiré près de 20 000 visiteurs : où sont-ils pour soutenir une famille endeuillée, qui a dû organiser elle-même sa propre battue et faire la découverte du corps semi-enterré de leur enfant au Bois de Boulogne ?

Dans un monde où les valeurs du respect de l’enfance et de la femme passeraient réellement au-dessus des sacs-à-main de haute couture, la place Denfert-Rochereau aurait pu être noire de monde, inondée de toutes les Parisiennes qui seraient descendues pour accompagner l’hommage ! Toutefois, Claire Geronimi a déclaré être soulagée du nombre de personnes présentes, plus élevé qu’elle ne l’espérait.

Goût amer

Nous, pour notre part, gardons un goût amer dans la bouche : comment se satisfaire de la mobilisation de deux mille personnes, face à un tel drame ? Nous qui sommes deux femmes, deux Françaises, nous l’affirmons : la France et les Français ne sont pas à la hauteur de l’enjeu de la question des OQTF et n’ont pas été à la hauteur de l’hommage qui aurait dû être rendu à Philippine et à ses proches. Combien d’autres victimes faudra-t-il pour que la France, dans un seul corps, descende dans la rue et pleure la vie brisée d’une jeune femme de dix-neuf ans ? Combien d’autres femmes devront être encore victimes de la folie barbare pour que les pouvoirs politiques s’emparent de ce sujet ? Combien d’autres Lola ? Combien d’autres Philippine ? Après une minute de silence pour la mémoire de Philippine, la foule présente a entonné la Marseillaise.

À la fin d’une cérémonie qui s’est déroulée dans la dignité et sans aucun débordement d’aucune sorte, l’organisatrice Alice Cordier nous a enjoint de nous disperser dans le calme. Amères, nous avons rangé nos drapeaux tricolores, plus convaincues que jamais que le combat ne faisait que commencer. Pour ces OQTF, nous n’aurons ni oubli, ni pardon.

En se défendant, Israël libère aussi le monde du terrorisme

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Déplacés à Beyrouth au Liban, 29 septembre 2024 © Julia Zimmermann/SIPA

Après le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah samedi 28 septembre, Tsahal a annoncé ce lundi matin avoir tué dans de nouvelles frappes le chef du Hamas au Liban, Fatah Charif Abou Al-Amine, ainsi que des cadres du Front populaire de libération de la Palestine.


Au lendemain du 7 Octobre 2023, le Premier ministre israélien promettait l’éradication du Hamas, l’élimination ciblée de tous les responsables de l’opération ‘’Déluge d’El Aqsa’. Incidemment, il envisageait de changer la carte du Moyen-Orient. À partir du 8 Octobre, le Hezbollah, principal proxy de l’Iran des mollahs, attaquait Israël ‘’en solidarité avec le Hamas’’.

Israël veut récupérer son intégrité territoriale au nord

Depuis lors, en l’espace d’une année, les buts de guerre de l’Etat d’Israël sont quasiment atteints. L’opinion aura compris qu’en comparaison des otages encore détenus, le retour de 60000 Israéliens déplacés des localités du nord, constitue une plus grande priorité, car elle signe l’intégrité territoriale du pays. Le Hamas est disloqué, son infrastructure urbaine et suburbaine entièrement détruite, tandis qu’au Sud Liban les bastions du Hezbollah sont irréversiblement affaiblis. Au cours des derniers mois, l’élimination du chef politique du Hamas, puis celle du chef politique du Hezbollah – accompagnées d’impressionnants coups propres à la guerre secrète – témoigne aussi du fait que la puissance de dissuasion et d’intervention d’Israël demeure intacte. Ce sont des messages clairs envoyés à ses ennemis, où qu’ils se trouvent.

Aux yeux de l’opinion, l’Etat d’Israël se sera montré justement inflexible, préférant la contre-attaque conséquente aux atermoiements des modérés, toujours prompts à exiger un « cessez-le-feu » qui constitue une compromission avec le statu quo, et qui n’est que le nom amoral d’un ordre mondial édifié sur la loi de la terreur. La résistance d’Israël dans ce contexte incarne à juste titre une notion plus exacte de la résistance. Autrement dit, le gouvernement démocratiquement élu d’Israël a montré au monde que l’hégémonie insolente, thanatophile et liberticide du pseudo ‘’Axe de la résistance’’ (Iran-Hezbollah-Hamas-Hutis du Yemen – milices Chiites d’Irak et de Syrie, auxquelles s’ajoutent les bastions pro-palestiniens du monde occidental (LFI en tête) – n’est pas une fatalité politique pour le devenir collectif au XXIè siècle.

Une guerre existentielle

Nous ne redirons jamais assez qu’Israël a mené et continue de mener une guerre existentielle, au moins à deux égards : pour sa propre continuité, liée à la sécurité de sa population ainsi qu’à son intégrité physique, et pour la pérennité et l’exemple de sursaut démocratique que constitue sa guerre défensive.

Sur le plan international, les réactions officielles, à l’exception des États-Unis, demeurent à l’image de la pusillanimité de la plupart des gouvernements européens, des chancelleries, mais également des grandes organisations, l’ONU en tête, comme de la représentation de l’UE, l’une comme l’autre toujours enclines à composer avec les pourvoyeurs de décomposition politique. L’année écoulée, pendant les longs mois de guerre, aura au moins rempli une fonction : celle de mettre au jour le haut degré de déchéance morale de toutes ces institutions, tendanciellement acquises à l’anomie perverse des vecteurs de l’islamo-gauchisme. La rhétorique de l’appel au cessez-le-feu, le dévoiement du droit international, le déni du droit de la guerre, lorsque c’est Israël qui s’y réfère, les errements des prétendues élites – académiques ou médiatiques – n’ont cessé d’en dire long sur la gravité de la crise civilisationnelle qui ronge une grande partie de l’opinion occidentale.

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En dépit des pressions incessantes de la nouvelle pensée unique incessamment fondée sur la criminalisation d’Israël, Israël a eu raison de mépriser les poncifs couramment associés à sa présence au monde : l’accusation de ‘’génocide’’, et bien entendu l’objection de ‘’disproportionnalité’ de sa riposte, deux termes choisis sur mesure dans la continuité de l’archive judéophobe dont l’inspiration infamante reste inchangée depuis qu’Israël existe.

Israël se défend, et en se défendant avec audace, courage, fermeté, virtuosité et précision, contribue de ce fait à défendre l’humanité libre, il ne fait pas même exception de ceux qui en ternissent l’image au nom de la ‘’démocratie’’, et qui sont les victimes potentielles de ses ennemis, en les libérant de l’emprise d’un réseau criminel qui a revêtu des dimensions matérielles et idéologiques transnationales. En Europe notamment, la principale raison de cette inversion morale est à chercher dans le péché originel de la gauche dite progressiste, qui pendant plus d’un demi-siècle aura servi de relais idéalisant au palestinisme, dont le 7 Octobre a révélé qu’il était la manifestation essentialisée du djihadisme en Occident. La cécité aura duré longtemps, bientôt figée en nouveau conformisme, jusque dans l’enceinte des cours de justice (CJI, CPI) et celle des « grandes écoles » (Normale supérieure, la Sorbonne, Science Po…).

La normalisation des relations souhaitée par Israël et ses voisins arabes retardée par les terroristes du Hamas et du Hezbollah

Très au-delà de la défense de ses propres intérêts, et de la préservation de la sauvegarde présente et à venir de ses propres citoyens –juifs, musulmans, druzes, chrétiens, migrants naturalisés, etc.-, Israël a fait en quelques semaines ce que nul n’a eu le courage de faire, pas même les plus concernées des nations concernées, comme le sont les États-Unis et la France : Israël a éliminé le principal artisan des attentats d’octobre 1983, qui a coûté la vie à 241 soldats américains et 58 parachutistes français. Un simple mot de reconnaissance, un seul mot d’hommage aux familles qui souffrent encore de ces pertes n’aurait pas déshonoré la présidence française.

Le matin du 23 octobre 1983 deux camions piégés ont percuté le « Drakkar » hébergeant les parachutistes français de la force multinationale de sécurité de l’ONU, deux minutes après l’attentat touchant un contingent américain base à l’aéroport de Beyrouth. 58 parachutistes français ont été tués et 15 blessés dans l’action revendiquée par le Hezbollah. Beyrouth, Liban, 23/10/1983 © MORVAN/SIPA

En disloquant le Hamas à Gaza, en décapitant le Hezbollah à Beyrouth, Israël a rendu justice – aux yeux du monde – pour toutes les vies perdues : les vies perdues ou estropiées lors des vagues d’attentat perpétrés par le Hamas dans les rues d’Israël depuis plus de trois décennies, les vies perdues ou estropiées, du fait du Hezbollah, au cours des campagnes d’assassinats collectifs, depuis quatre décennies, en Syrie, au Liban, en Argentine, en France. Qui s’en souviendrait autrement ? Ce rappel inflige la nique de la dérision la plus méritée au prétendu ‘’camp de la paix’’.

Israël vient de rappeler au monde que la paix sans la justice est le mot fétiche des doctrinaires ou des lâches, celle des menteurs et des ignorants, la devise officielle des bourreaux et de leurs complices. Maintenant que c’est chose faite, la « communauté internationale » pourra véritablement se soucier de faire appliquer le droit international[1]. Une nouvelle ère de véritable paix alors pourra s’épanouir, à l’horizon des nombreuses normalisations souhaitées entre ses voisins arabes et Israël.


[1] Respectivement les résolutions 1701 et 1509 de l’ONU faisant obligation au Hezbollah de se retirer de la frontière libanaise, et de se désarmer.

Le «nouvel ordre» d’Israël

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Le 17 septembre 2024, plus de 3000 membres du Hezbollah sont blessés et 42 personnes meurent dans l'explosion de leurs pagers, Beyrouth, Liban © EPN/Newscom/SIPA

Certes, et on l’a dit et redit partout dans nos médias : l’élimination ce 27 septembre 2024, par l’armée israélienne (Tsahal), d’un terroriste tel que Hassan Nasrallah, chef politique et militaire du Hezbollah, responsable notamment de l’assassinat, lors d’un attentat-suicide perpétré le 23 octobre 1983, de 58 parachutistes français et de 241 soldats américains, constitue un tournant majeur, probablement décisif, dans la guerre mettant à feu et à sang, depuis trop longtemps déjà, le Proche et Moyen-Orient. C’est même très certainement là, à n’en pas douter, une date historique : Israël aura ainsi décapité, après avoir également éliminé ces jours derniers près d’une vingtaine de commandants de ce même Hezbollah, le principal bras armé, dans cette turbulente région du monde, de ce régime criminel, tant à l’encontre de son propre peuple que des citoyens israéliens, qu’est l’Iran des mollahs !

Davantage, et on le sait également : cette opération israélienne, préparée de longue date et hautement sophistiquée sur le plan technologique, avait été précédée, de main de maître là encore, par la très spectaculaire explosion synchronisée, une dizaine de jours auparavant, les 17 et 18 septembre, de centaines de « biper » et de « talkie walkie », anéantissant ainsi l’ensemble de la chaîne de communication au sein des principaux commandants du Hezbollah. Dont acte !

Il y a toutefois un élément de taille, et non des moindres, sur lequel nos médias occidentaux n’ont pas suffisamment insisté pour comprendre, dans sa globalité stratégique, la véritable portée, tant géopolitique que plus proprement militaire, de cette vaste opération israélienne : c’est le nom – « Nouvel Ordre » – par lequel Israël l’a baptisée !

L’intention d’Israël : remodeler le paysage politique du Proche et Moyen-Orient en vue d’un plan de paix

Qu’est-ce à dire, plus exactement ? Réponse aisée à fournir, du moins pour ceux, dont je me targue d’être personnellement, portant une attention toute particulière, bienveillante et positive, à la survie d’Israël en tant qu’Etat normalement, et officiellement, constitué : Israël, en anéantissant tous ses ennemis, dont l’abject moteur est un antisémitisme viscéral, plus encore qu’un antisionisme haineux, a aussi l’intention de remodeler ainsi, par cette neutralisation des divers commanditaires du terrorisme international, tout le paysage politique du Proche et Moyen-Orient. Cela vaut aussi bien – qu’on se le dise une bonne fois pour toutes ! – pour le Hezbollah au Liban et autres Houthis au Yémen que pour les Ayatollahs d’Iran et, bien sûr, le Hamas dans la bande de Gaza ! C’est dire si, paradoxalement et comme en filigrane, cela s’apparente aussi en définitive, par-delà les apparences (et, bien évidemment, le nombre trop élevé de morts, blessés et victimes, parmi les populations civiles, lequel est très sincèrement à déplorer en cette dramatique situation) et fût-ce certes à long terme, à un véritable plan de paix qui, certes, ne dit pas son nom !

L’historique combat d’Israël contre le terrorisme international

Du reste, l’Occident en son ensemble, nos démocraties modernes et sécularisées, devraient, pour cet historique combat, remercier, au lieu de le stigmatiser ou de le condamner, Israël, le seul pays au monde, aujourd’hui, à avoir ainsi le cran, l’immense courage et la force mentale, de s’attaquer directement, de plein front et avec une détermination sans pareille, aux pires tortionnaires de l’(in)humanité ! 

L’abominable pogrom du 7 octobre : l’erreur monumentale du Hamas

Et le Hamas, précisément, dont le leader de la branche politique, Ismaïl Haniyeh, a été lui aussi liquidé, le 31 juillet de cette année 2024, en plein centre de Téhéran, par les services secrets israéliens, le très performant « Mossad » ! C’est une erreur monumentale, aussi tragique que fatale, qui lui coûtera très cher, comme à tous ses complices, soutiens et sympathisants, qu’il a commise, le 7 octobre 2023, en perpétrant, à l’encontre des Juifs d’Israël, le plus abominable des pogroms depuis, de sinistre mémoire, la Shoah ! Sans oublier cet autre ignoble fait que, dès le lendemain de cet atroce massacre, le 8 octobre 2023 donc (il y a déjà près d’un an), le Hezbollah lui-même se mit également à bombarder continuellement, de façon tout aussi indiscriminée, injustifiée, les civils du nord d’Israël, entraînant ainsi l’exode, cruel, de près de 80000 d’entre eux !

Non, jamais Israël, à juste titre, ne pardonnera ce gigantesque crime à l’encontre des siens ! D’où précisément, après cette date fatidique du 7 octobre, qui a irrémédiablement changé le cours de l’Histoire, et déclenché par la même occasion la réplique de ce même Etat d’Israël, son inébranlable volonté aujourd’hui, de sa part, de mettre enfin un définitif terme à ce type de menace existentielle pour lui !

L’Iran, tête du serpent terroriste

Et, oui, l’Iran de l’épouvantable ayatollah Ali Khamenei, tête du serpent en matière de terrorisme international, pour qui le Hezbollah de Hassan Nasrallah n’était qu’un de ses plus sanguinaires proxis, doit s’inquiéter aujourd’hui de la très destructrice riposte là aussi, sur le plan militaire, qu’Israël (qui dispose de l’armement atomique, immédiatement opérationnelle, réparti sur son territoire) pourrait lui administrer si, d’aventure, il osait encore s’attaquer à lui !

Car, qu’on se la dise, ici aussi, une bonne fois pour toutes : Israël, qui ne fait légitimement que se défendre là, ne veut en aucun cas, contrairement à l’intention de ses ennemis à son encontre, la destruction de l’Iran, pays d’une incomparable richesse historique, pas plus d’ailleurs qu’il ne veut la guerre avec le Liban, qu’il respecte tout autant pour son remarquable héritage culturel et humain ; tout ce qu’Israël veut, et demande, c’est de pouvoir vivre enfin en paix, sans qu’il soit constamment menacé dans son existence même, avec ses voisins arabes et musulmans !

Israël, pour la libération de tous les démocrates d’Iran, du Liban et de la Palestine

Il est d’ailleurs fort à parier que, lorsque les passions de ces jours cruciaux, pour l’avenir même du monde, se seront apaisées et que la raison aura retrouvé droit de cité, ce seront tous les démocrates du Liban comme de l’Iran ou de la Palestine à remercier Israël, seul contre tous comme trop souvent, de les avoir enfin libérés, débarrassés et purgés de l’impitoyable et obscurantiste joug de ces monstres sans nom, sans véritable foi ni authentique loi, que sont les terroristes, fanatiques, totalitaires et fascisants islamistes !

Le diable probablement

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Augusto Pinochet, septembre 1984 © Sipa

« On peut rire de tout mais pas avec tout le monde », disait Desproges. Quand il était jeune journaliste, Bruno Patino a interviewé Pinochet à Santiago. Le dictateur a habilement retourné l’entretien et les deux hommes ont fini par rire ensemble. C’était il y a trente ans et ce moment l’obsède encore. Rire avec le diable est sa « confession ».


Les dictateurs révulsent tout autant qu’ils fascinent. Vous souvenez-vous de La Fête au Bouc, ce roman captivant dans lequel le grand écrivain péruvien Mario Vargas Llosa pénétrait les méninges du tyran Trujillo, pervers érotomane qui, trente années durant et jusqu’à son assassinat en 1961, terrorisa la République dominicaine ?

Il est des satrapes plus chanceux. Tel Augusto Pinochet (1915-2006), mort dans son lit à Santiago, âgé de 91 ans, sans avoir été puni pour ses crimes : le général putschiste, traître au président Allende qu’il renverse en 1973, prend la tête du Chili jusqu’en 1998, pour se faire ensuite nommer sénateur à vie. Jamais il n’a manifesté le moindre remords. La momie en fauteuil roulant a esquivé la prison en jouant au sénile.

Un 8 décembre 1992

Bruno Patino, président d’Arte, bien connu par ailleurs pour ses essais stimulants sur l’addiction aux écrans, l’invasion numérique et l’ère des réseaux (La Civilisation du poisson rouge, 2019, et Submersion, 2023, tous deux parus chez Grasset) ne s’est jamais remis, pour sa part, d’avoir, dans sa jeunesse, pu Rire avec le diable – titre de son nouvel opus.

Patino, en 1992, a vingt-six ans. Né d’un père bolivien, il est viscéralement lié à l’Amérique latine, cet « écran vierge sur lequel, dixit Régis Debray, les Européens projettent l’ensemble de leurs fantasmes politiques ». Jeune correspondant du Monde au Chili, le garçon avait déjà bourlingué, à 20 ans, sac au dos, sur les traces du Che,désormais otage « d’une mémoire dévoyée ».

Sept ans plus tard, raconte Patino, « j’arpentais Santiago à la recherche des traces de l’autre figure emblématique de mon éducation politique, le général Augusto Pinochet ». Et de revenir sur le golpe qui a porté au pouvoir ce second couteau d’une junte dont le journaliste débutant commence par circonvenir les affidés, « le général en chef étant inaccessible ». Parmi eux, l’ex-général en chef de l’armée de l’air, Gustavo Leigh, « pilier de la sédition, devenu avec le temps un des principaux opposants à Augusto Pinochet ». Patino le cherche plusieurs mois. Il finit par l’identifier sous le masque d’un agent immobilier qui, dit-il, « semblait sorti du film de Stanley Kubrick, un docteur Folamour ridicule et terrifiant ». Ce spectre lui fait un récit très éloigné de l’histoire officielle de la conjuration contre Allende : il dépeint un Pinochet peureux, « indécis jusqu’à la dernière minute » et qui hérite, sans mérite, d’un « pouvoir que personne ne voulait lui confier ».

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Par l’entremise de quelques oligarques bienveillants, Patino obtient enfin l’autorisation d’un entretien avec l’indéracinable caudillo du Chili. « Le 8 décembre 1992, je me présentai au siège de l’armée de terre, dans le centre de Santiago, un bâtiment carré situé à quelques dizaines de mètres de la Moneda. J’étais attendu. » Le récit de l’entretien avec Augusto Pinochet revêt la saveur d’un roman d’espionnage : « C’était donc cela, un dictateur ? Le dictateur. Le pouvoir sans limites. L’incarnation à la fois de ma fascination et de ma répulsion depuis tant d’années. » Patino tient le lecteur captif de son personnage, lui-même pris dans les rets du « bonimenteur sans foi ni loi », cet homme de petite taille à la voix « aigüe, flûtée, dotée d’un chuintement assez perceptible qui soulignait l’accent chilien d’extraction populaire », et qui bientôt lui met la main sur l’épaule, tente de l’attendrir en exhumant sous ses yeux un prétendu « Plan Z », pseudo-document de source étasunienne attestant qu’Allende aurait fomenté un coup d’État, puis en exhibant une carte postale signée d’une famille Pinochet… de Saint-Malo ! « Après tout, jeune Français, vous ne le savez pas, mais nous sommes compatriotes. » Piégé, le Patino ! « La conversation brouillait tous mes repères à mesure qu’elle passait de l’interview au badinage », écrit-il. Tant et si bien que pris dans un « échange abandonné à lui-même, désordonné et sans enjeu », voilà que Bruno Patino se surprend « aussi à rire de bon cœur ».

Prétendue démence

Trente ans après, cette « idée parasite » l’obsède toujours : « J’avais ri avec le diable. » Ce lointain « moment d’inattention agit comme une marée » sur lui. Il serait tentant de croire que Patino brode, n’était la cassette du dictaphone enregistreur de l’entretien, précieux incunable que le documentariste espagnol José-Maria Berzosa, cinq ans après, en un temps où l’intouchable sénateur Pinochet savoure sa victoire, s’est proposé d’utiliser en l’y confrontant dans un nouvel entretien, filmé, cette fois. Mais le 16 octobre 1998, le dictateur à la retraite est arrêté : « L’addition lui est présentée, de son vivant. » Les épisodes de sa déchéance se succèdent, jusqu’au « pitoyable refuge du militaire dans une prétendue démence qui lui permettrait d’échapper à la justice ». Le film ne se fera pas.

C’est allusivement que Patino évoque cette longue tragédie du Chili, les digressions historiques ramenant l’auteur à la hantise de ce moment d’exception où, cherchant avec candeur l’altérité du mal incarnée dans un monstre, il n’a trouvé qu’une marionnette cynique, « prête à revendiquer des complots qu’il n’avait pas ourdis, et à assumer sans trembler le déluge de violence qu’il avait provoqué ».

L’épilogue de cette haletante « confession » fait retour à Santiago, en 2024 où, ranimé, le souvenir « exprime aujourd’hui la menace diffuse d’un futur qui s’annonce ». Lequel ? Celui des « spin dictators », « nouveaux diables » qui « font mouvement grâce aux algorithmes ». Non sans emphase, pour finir, Patino se fait prêcheur : « Quand le sol de nos espérances se dérobe sous nos pieds et la ligne de fuite d’un futur désirable sort du cadre de notre possible, il nous faut compter sur nos derniers alliés. Les fantômes, la mémoire et les mots : c’est tout ce qui nous reste. » Avec le souvenir d’avoir été jeune, peut-être ?

Bruno Patino, Rire avec le diable, Grasset, 2024.

Rire avec le diable

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La patiente du jeudi

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L'écrivain Nathalie Rheims © Audoin Desforges

L’heure est venue pour Nathalie Rheims de révéler le secret qui scelle son existence


Nathalie Rheims, romancière confirmée, fille de l’académicien Maurice Rheims, petite sœur de la photographe Bettina, déclare qu’elle arrête d’écrire après son dernier livre Ne vois-tu pas que je brûle.

Cela peut surprendre car, jamais, un écrivain n’arrête d’écrire. Ce serait comme vouloir cesser de respirer. Peut-être est-ce à cause de la disparition récente de son mari, l’éditeur Léo Scheer, dont elle n’a jamais divorcé parce qu’il était né dans un camp de réfugiés en Bavière, en 1947, et parce qu’elle était pour lui « sa seule famille ».

La famille, c’est essentiel pour Nathalie Rheims. Elle a écrit, à 40 ans, son premier roman pour rendre hommage à Louis, son frère aîné, avocat prometteur, emporté par un cancer à l’âge de 33 ans. Du reste, elle l’évoque à nouveau dans Ne vois-tu pas que je brûle, et cette évocation donne le titre à ce roman. Il s’agit d’une phrase prononcée par une patiente de Freud à propos de l’interprétation d’un rêve.

Puis, au fil des années, Nathalie Rheims poursuit son roman familial en consacrant un livre à sa mère, Lili Krahmer, enfuie avec un amant alors qu’elle était adolescente ; un autre à Claude Berri, son compagnon mort en 2009 ; encore un autre à son amour de jeunesse le chanteur Mouloudji ; pour arriver, enfin, au secret qui scelle son existence. L’heure est venue de le révéler. On pourrait parler d’exorcisme, mais Nathalie Rheims réfute ce terme. « La nécessité d’écrire vient d’un manque à combler, d’une épreuve à surmonter, déclare-t-elle, et je n’ai pas été plus heureuse après avoir écrit sur mon frère (…) »

De multiples indices l’obligent à s’interroger : qui est son père biologique ? Le commissaire-priseur, Maurice, homme à femmes, incapable de dire qu’il aime sa fille, ou Serge, le psychiatre qu’elle consulte depuis l’enfance, tous les jeudis, entre 16 et 17 heures ? Elle ne paye jamais les séances. Doit-elle en déduire qu’elle ne vaut rien ? Sophocle semble prendre les commandes du récit. Il faut résoudre l’énigme des origines. Nathalie Rheims pose d’abord la question à sa mère. Oui, elle a couché avec les deux hommes, en même temps. Puis à Serge, « commissaire Maigret des âmes », qui déclare doctement : « Vous savez, nous sommes les enfants de ceux qui nous élèvent. » Enfin à Maurice, qui souhaiterait presque qu’elle ne soit pas sa fille. L’exécuteur testamentaire de Paul Morand ose ajouter : « Parce que j’aurais le droit de te sauter. »

Nathalie Rheims poursuit son enquête ; sa quête, devrais-je écrire. Son texte est précis, la phrase aiguisée comme le couteau sacrificiel. Le lecteur veut savoir. La romancière s’en sort par une pirouette : « Maurice m’avait appris à voir, et Serge, à écouter. »

Reste la phrase-titre : « Ne vois-tu pas que je brûle ? » Elle s’adresse à nous tous, enfermés dans nos certitudes, verrouillés par une société qui a jeté les clés, aveugles sans vouloir connaître la vérité, à la différence d’Œdipe.

Nathalie Rheims, Ne vois-tu pas que je brûle, Éditions Léo Scheer. 176 pages.

Ne vois-tu pas que je brûle

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À la recherche du manuscrit perdu

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L'écrivain Valère-Marie Marchand © Sylvie Durand

Spleen au lavomatic, le premier roman de Valère-Marie Marchand à paraître aux éditions Héliopoles est dingue. On y croise Narcisse, Baudelaire, César Birotteau, Georges Conchon, Bartleby et Émilien Dorval, écrivain synesthète en proie à des troubles de la vision


Valère-Marie Marchand n’est pas une écrivaine des lignes droites. Elle aime les tortillards de la vie, ses impasses et ses allégories. Inclassable, elle ne s’est pas laissée piéger par les genres et les étiquettes d’un monde littéraire qui n’aime que l’ordre et la discipline. Elle est libre, libre d’écrire sur des sujets aussi variés que le Facteur Cheval, les arbres, les piscines municipales ou Boris Vian. Vous ne l’attraperez pas dans votre filet à provisions avec des ronds de jambe et des sourires mielleux. Elle connaît mieux que quiconque les simagrées du milieu et ses chausse-trappes. Ne tentez pas de la piéger dans une école de pensée ou dans un sous-ensemble flou. Elle vous rira au nez. Elle a l’expérience des pigistes aguerris à toutes les contorsions. Cette voix de radio, connue de tous les auteurs pour son oreille attentive, est à l’aise dans tous les exercices de style : la chronique vipérine comme la vulgarisation scientifique. On lui doit déjà une œuvre dense et éclairante guidée par une écriture sensitive. Après l’avoir lue, on se souvient d’elle. Aucun thème ne la rebute, ni les arts ménagers, ni la peinture contemporaine ; dans le vitrail ou les poètes surréalistes, elle trouvera toujours à poser son propre ton et une forme d’arythmie très séduisante. C’est ce que l’on attend d’un écrivain « original ». Un phrasé identifiable à l’épithète près, la typicité d’une narration rien qu’à lui et surtout, une échappatoire aux carcans actuels, faite de digressions et d’horizons étranges. Valère-Marie Marchand est d’ailleurs, d’un vieux monde où l’érudition n’était pas barbante et où les journalistes de presse écrite avaient le goût du bel ouvrage. Elle est si particulière qu’elle aura attendu plus de deux décennies avant de se lancer dans le roman pur, l’antichambre de la respectabilité. Par pudeur, par timidité, par respect devant son imposante bibliothèque et aussi, par peur.

La trouille est mauvaise conseillère. Elle a eu tort d’avoir tardé à ce point. Car Valère-Marie a beaucoup lu avant d’écrire, ce qui est une situation tout à fait incongrue de nos jours où les primo-romanciers se targuent de leur inculture à la télé et où on les applaudit chaudement. D’abord, accordons-lui la palme du meilleur titre 2024, son Spleen au lavomatic est charmant, rieur, plein de grâce et de nostalgie abrasive. Il y a tout dans ce titre, la dinguerie de Valère-Marie, son inclination pour les « grands », sa ruse taquine et ses facéties de sale gosse bourbonnaise. Elle est une hussarde à la manière de Geneviève Dormann ; son don pour la caricature serait plutôt à chercher chez Claire Bretécher. Mettez une pincée de Miss Marple dans votre salaison et vous vous approcherez de ce phénomène myope donc clairvoyant. Déjà lorsqu’en 2021, chez le même éditeur, elle avait sorti Le Club des Aquarêveurs, une galerie de portraits au pays de l’eau chlorée et du maillot une pièce, on savait que cette fille-là était terrible et dangereusement drôle. Elle en avait sous la plume. Début octobre, elle saute dans le grand bain qui a tout du grand déraillement neurologique. Avec Valère-Marie, le quotidien dévisse, l’imaginaire capture le réel et la fiction s’emmêle dans les méandres d’un cerveau « malade ». Émilien Dorval, son héros, écrivain désenchanté par la post-modernité se rend au lavomatic et y perd un manuscrit au format A3, un vendredi 13, dans une laverie au numéro 66 d’une rue ensoleillée, devant le lave-linge numéro 6. De ce point de départ, la primo-romancière organise un jeu de piste déroutant et désopilant où tout a un sens caché. Ce roman iconoclaste à tambour battant prend les chemins de traverse, il est à la fois cocasse, perspicace, d’une intelligence finaude et d’une spiritualité du meilleur effet. Valère-Marie, je le répète, est inclassable. Il y a du Marcel Aymé dans ses personnages de guingois, j’y ai vu également la patte du loufoque Pierre Dac, et puis, aussi, l’humanisme désappointé d’un Italo Calvino. Valère-Marie échafaude des théories sur le linge sale et propre, sur la fin des illusions et une société javélisée, sur l’influence de la numérologie et la fourberie des cycles d’écriture. Émilien va aller de rencontre en désillusions, de visions contrariées en chimères. Sur sa route, il croisera une fumeuse désinvolte, une psy alambiquée, une mère travaillant dans une matériauthèque, une experte en écriture… Cet écrivain au bord de la crise de nerfs n’est-il pas le reflet criant de tous les inconscients qui prétendent un jour écrire ? Et surtout retrouvera-t-il son précieux manuscrit ?

Spleen au lavomatic de Valère-Marie Marchand – Héliopoles 304 pages

Spleen au lavomatic

Price: 24,00 €

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Yasmina Reza interroge l’étrangeté du monde et des êtres

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L'écrivain Yasmina Reza, 2017 © Auteurs : NIVIERE/BENAROCH/SIPA, Numéro de reportage : 00821882_000093

Notamment dans ses comptes-rendus d’audiences judiciaires, Yasmina Reza parvient brillamment à mettre au jour le caché et le refoulé des individus, et à exprimer l’état des choses même.  


Yasmina Reza n’écrit pas seulement pour le théâtre ou le cinéma. La grâce de son écriture, on le sait, s’étend également à des romans, comme Babylone (2016) ou Serge (2021). Son style tout en concision a également fait merveille dans l’un de ses meilleurs livres, L’aube le soir ou la nuit (2007), un reportage consacré à Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, et c’est ce qui va nous intéresser aujourd’hui, Yasmina Reza est incontestablement une spécialiste des proses brèves, ainsi que le montre le nouveau livre qu’elle publie en cette rentrée littéraire, et qu’elle a intitulé sobrement Récits de certains faits.

Pour la plupart, ces récits sont probablement des articles parus dans la presse, même si cela n’est pas indiqué. Des articles, précisons-le, rédigés dans une veine pleinement littéraire. Les avoir réunis en un volume leur redonne une dimension inédite et rare, en les isolant d’une actualité confusionniste qui, souvent, noie dans la banalité le fait divers.

Chaque texte de Yasmina Reza, dans Récits de certains faits, est un microroman en puissance, nécessitant de la part du lecteur une certaine vigilance, tant tout ce qui y est décrit le renvoie à sa propre conscience d’être humain.

Les plus faibles

Yasmina Reza s’est tournée, dans ce livre, vers les plus faibles, ceux pour qui la société se montre le plus impitoyable. Elle les a rencontrés au gré de ses visites dans les tribunaux correctionnels ou les cours d’assises. Ils sont dans le box des accusés, peinant à se défendre, porteurs à chaque fois d’une histoire navrante à laquelle ils ne comprennent rien. Yasmina Reza se concentre toujours sur l’essentiel, qu’elle décrit de manière très simple, voire allusive, avec des ellipses qui dramatisent le rendu des audiences. Voici par exemple comment elle dépeint une mère et son fils, dans la salle du tribunal : « Leur immobilité me fait penser à celle des mouettes sur le bassin gelé du jardin du Luxembourg. Identiques aux statuettes couleur de givre, explorant toutes le même vide lointain. » Et puis, au détour d’un paragraphe surgit une formule qui résume toute la détresse de ceux qui sont là, qui attendent sans savoir pourquoi : « Mais que voit-on sans une certitude de sa propre présence au monde ? »

Un sentiment de révolte

L’un des textes les plus terribles de ce livre est celui intitulé « Sylvie W. ». J’ai rarement lu quelque chose d’aussi bouleversant. Il se déroule à la cour d’assises de Dijon. Comparaître pour le crime qu’elle a commis dans un moment de folie provoque chez cette accusée une crise psychotique, qui la fera interner sur-le-champ. Yasmina Reza pointe du doigt les parents, avec une irritation qui va de pair avec un sentiment de révolte : « Qu’attendent-ils, seuls, recroquevillés sur eux-mêmes, ignorants ou voulant ignorer l’étendue du désastre qu’ils ont provoqué ? » Dans un autre texte, sur l’affaire très médiatisée de Jonathann Daval, paru je crois dans Libération, Yasmina Reza décortique l’imbroglio psychologique au milieu duquel un accusé, manifestement dépassé par les événements, comme le dirait Nietzsche, subit l’emprise de ses beaux-parents. Elle écrit de ceux-ci, sans concession : « Personne ne s’est offusqué de les voir chaque soir sur les marches du palais commenter l’audience pour les chaînes d’info, étaler leurs doléances et revendications hors tout cadre et toutes règles. » C’est pour de telles réflexions qu’on apprécie Yasmina Reza, qui défend avec une autorité naturelle ceux qui se retrouvent dans « la honte, la crainte, le sentiment d’infériorité ».

Humour juif et autodérision

À côté de ses comptes rendus d’audience, Yasmina Reza a ajouté des textes plus intimes, dans lesquels elle parle d’elle-même, de sa famille, de ses amis. Elle y fait montre d’un même désir de vérité, sans aucune complaisance facile, ne s’épargnant pas, comme si elle n’avait rien à perdre. Toujours chez elle cette ironie profonde mâtinée d’humour juif, avec la part imprévisible d’autodérision et de désespoir. L’auteur dramatique qu’elle est nous parle aussi de théâtre, de quelques metteurs en scène qu’elle apprécie, comme Luc Bondy. Elle caractérise par exemple ce dernier grâce à l’expression « en dessous », expliquant : « c’était exactement dans cet en dessous que je croyais le connaître ». Elle précise : « en dessous de son humour, il y avait une mélancolie particulière, une inquiétude croissante qui étaient sans doute la matière première de son talent ».

Dans ces Récits de certains faits, chaque mot est pesé et il n’y en a aucun d’inutile. Cette rigueur dans la sobriété demande la plus grande dextérité. La plupart du temps, ce que Yasmina Reza relate en si peu de mots parvient à mettre au jour le caché et le refoulé et à exprimer l’état des choses même. Je suis sûr que Récits de certains faits pourrait marquer son époque, comme jadis les Mythologies de Roland Barthes.

Yasmina Reza, Récits de certains faits. Éd. Flammarion. 240 pages. 

Récits de certains faits

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Elimination de Nasrallah: le Hezbollah et l’Iran perdent aussi leurs illusions

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Supporters du Hezbollah, Beyrouth, Liban, 25 septembre 2024 © Hassan Ammar/AP/SIPA

Après un temps de flottement, le Hezbollah a finalement confirmé que son leader avait bien été tué à Beyrouth dans un bombardement israélien.


Au Moyen-Orient, la nuit de vendredi à samedi a été longue, et tous les regards étaient tournés vers le sud de Beyrouth. Juste avant 18h30, vendredi, d’énormes explosions ont retenti dans la capitale libanaise et dans ses environs. Une série de frappes de l’aviation israélienne a visé un pâté de maisons dans le quartier de Haret Hreik, cette banlieue sud fief du Hezbollah. 80 tonnes d’explosifs dont des munitions anti-bunker ont pulvérisé six bâtiments lui appartenant situés dans une zone résidentielle, et surtout le sous-sol abritant le QG principal de la milice.

Pourquoi Israël a pris un tel risque

Ce moment a été choisi car Israël disposait des renseignements indiquant la présence dans le lieu de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Le plus gros poisson imaginable, entouré des hauts gradés du Hezbollah et de l’Iran, dans un équipement militaire important. Voilà pourquoi Israël a pris le risque de tuer des centaines de civils dans l’opération. Très vite il était clair que Nasrallah était effectivement dans le QG. Mais, pendant la nuit, les informations diffusées étaient contradictoires. Ce n’est que tard ce samedi matin que la nouvelle a été confirmée : Hassan Nasrallah est bien mort. L’annonce de sa disparition, d’abord relayée par l’armée israélienne puis confirmée par le Hezbollah, marque l’aboutissement d’une semaine qui a bouleversé l’ensemble des cartes. Le scénario d’une guerre totale, qui n’était jusque-là qu’une hypothèse, est devenu une réalité pour la première fois depuis le 8 octobre 2023, lorsque le Hezbollah a décidé de s’engager dans le conflit avec Israël.

Tout le monde savait théoriquement que le rapport de force penchait nettement en faveur d’Israël, mais il est probable qu’aucun membre du Hezbollah ou de l’axe iranien n’ait anticipé que la milice, l’une des plus puissantes au monde, allait subir de tels revers – entraînant le Liban dans sa chute – en l’espace de quelques jours. Le Hezbollah a sans doute été victime du « syndrome de la victoire ». Convaincu que, depuis 40 ans, il remportait des succès contre Israël, le mouvement s’est retrouvé dans une situation similaire à celle de la France en 1940. Après une « drôle de guerre » de 11 mois, ceux qui avaient tiré les leçons de leurs échecs passés ont commencé à jouer leurs meilleures cartes.

L’erreur de Nasrallah

Nasrallah, pourtant fin connaisseur d’Israël, aurait sous-estimé la volonté de son ennemi de prendre des risques d’escalade au Liban. Il s’est également trompé sur Netanyahou. Il connaissait l’aversion de son adversaire israélien pour les conflits et les risques : Bibi est l’homme du « containment » et du « statu quo ». En 2014, Nasrallah l’avait observé reculer devant l’option qui s’offrait à lui d’élargir l’opération contre le Hamas au-delà de sa dimension aérienne. Il l’a testé et provoqué en 2023, sans réactions immédiates de la part de Netanyahou : lors d’un attentat raté commis par un homme du Hezbollah à l’intérieur des frontières d’Israël, la tentative d’assassinat d’un chef d’Etat-major pendant son jogging matinal à Tel-Aviv, et avec l’installation de tentes au nord de la barrière mais en territoire israélien. Enfin, lorsque les généraux israéliens et le ministre de la Défense ont souhaité frapper le Hezbollah, le 11 octobre 2023, c’est encore Bibi qui a réussi à bloquer l’initiative. Sauf qu’une fois contraint d’agir, ce même Bibi est prêt à aller loin pour mener l’opération selon ses propres conditions.

Cette erreur d’appréciation a conduit Nasrallah à s’accrocher à l’idée qu’il pouvait mener un conflit à la fois prolongé et limité dans son intensité. Il a dû croire que la dissuasion empêcherait l’escalade. Quelle qu’en soit la raison, il s’est enfermé dans une stratégie sans issue – pas de cessez-le-feu au nord sans cessez-le-feu avec le Hamas – sans jamais la remettre en question, malgré les efforts des Américains et des Français pendant de longs mois.

Ainsi, du jour au lendemain, le Hezbollah s’est retrouvé dans une position où il ne pouvait ni protéger ses militants, ni ses partisans, dont des centaines de milliers sont désormais déplacés. Il s’est humilié face à une population libanaise plus large qui lui était déjà hostile. En étant si confiant dans son pouvoir, malgré l’hostilité grandissante, le Hezbollah a renforcé l’idée qu’il pouvait garder tout le monde sous contrôle. Maintenant qu’Israël frappe durement le parti, il apparaît vulnérable.

Des Irakiens suivent une retransmission du discours de Hassan Nasrallah, 3 novembre 2023, Basra © Nabil al-Jurani/AP/SIPA

Nasrallah s’est laissé enivrer par ses propres illusions et ses discours télévisés. Les expressions comme « unité des fronts » et « cercle de feu » ont masqué une réalité bien plus complexe. Toutes ces milices ne constituent pas une OTAN. Mal coordonnées, leurs capacités sont limitées par le fait qu’elles opèrent depuis des États faillis et en faillite.

De la même manière que le Hezbollah semble incapable de protéger ses hommes et ses partisans, la « maison mère », l’Iran, paraît également incapable de protéger ses alliés (sans parler de ses invités VIP, et de ses généraux). Et ce n’est pas de bon augure pour l’axe de la résistance.

Israël a une bonne longueur d’avance

Nous sommes loin du scénario de 2006. Il est désormais évident qu’Israël préparait cette guerre depuis 18 ans. Le pays a réussi à infiltrer la milice (et son mentor iranien) et semble tout connaître de son fonctionnement : son système de communication, ses cachettes, ses quartiers généraux, ses dépôts d’armes, et probablement ses plans et décisions. Ainsi, au moment opportun, Israël a réussi à décapiter le Hezbollah en quelques jours. La milice pro-iranienne semble aujourd’hui désorientée, comme en témoigne le temps qu’elle a mis à annoncer la mort de son chef.

Israël a également anéanti les paradigmes sur lesquels reposait la stratégie du Hezbollah. L’équilibre de la dissuasion, dont se vantait Nasrallah, la puissance d’un mouvement terroriste devenu guérilla, puis armée régionale, et le génie politique, militaire et stratégique inégalé de Hassan Nasrallah, l’un des hommes les plus influents du Moyen-Orient, ont tous été mis à mal. L’idée de « l’unité des fronts » est, elle aussi, réduite à néant dans la poussière de Beyrouth. Le Hezbollah est à terre, et ni Assad ni l’Iran ne semblent prêts à venir à son secours. Quant aux Houthis et aux milices irakiennes, il est difficile de voir ce qu’ils pourraient faire de plus.

Quant à la suite des événements, il est impossible de savoir ce qui se passe à l’intérieur du Hezbollah. Israël déploie son plan de guerre depuis quinze jours, mais on ignore à quel point ses milliers de frappes ont affaibli les deux piliers du Hezbollah : son arsenal de roquettes, missiles et drones, et ses unités d’infanterie. En d’autres termes, combien de ses 150 000 missiles et roquettes restent-ils opérationnels, et dans quel état se trouvent ses dizaines de milliers de combattants ?

Même décapité, il ne faut pas exclure la possibilité que le Hezbollah ait encore les moyens de mener des opérations contre Israël. À l’image du commandant d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, les cadres du Hezbollah auraient peut-être reçu des consignes à suivre en cas de rupture de communication avec le QG.

La société libanaise entre deux feux, Téhéran en mauvaise posture

Après le choc initial, le Hezbollah peut-il se relever ? Et, dans ce cas, sera-t-il plus sensible aux pressions de la société libanaise (y compris les chiites) qui, bien que solidaire de Gaza, ne souhaite pas cette guerre que le gouvernement libanais n’a pas approuvée ?

C’est à l’Iran de décider s’il accepte cette défaite, ou s’il tente de revenir dans la partie en provoquant une escalade. Le dilemme est cruel, car accepter une défaite signifierait reconnaître que la République islamique n’est qu’un tigre de papier, incapable de protéger ses alliés à Gaza et à Beyrouth. À l’inverse, stopper le massacre permettrait de préserver l’atout essentiel du Hezbollah, à savoir ses missiles de haute précision, supposés protéger l’Iran en cas d’attaque directe. Sans le Hamas et le Hezbollah, Israël et les États-Unis pourraient concentrer tous leurs efforts sur l’Iran, mettant en péril la survie du régime.

Les mollahs pourraient certes considérer qu’une riposte minimale est nécessaire pour rééquilibrer le rapport de force avant de négocier avec les États-Unis. Ils pourraient chercher à frapper symboliquement une cible facile, comme ils l’ont fait en 1992 et 1994, en Argentine. Cependant, malgré les tensions palpables entre MM. Netanyahou et Biden, les États-Unis ont clairement indiqué qu’ils ne resteraient pas les bras croisés face à une telle guerre. Téhéran sait qu’elle n’a pas les moyens d’affronter directement Israël et les États-Unis, soutenus par la Jordanie et les pays du Golfe. Pour le régime iranien, le choix est donc entre l’humiliation ou la survie, la priorité étant de préserver son programme nucléaire, son ultime assurance-vie. Et c’est précisément là que les choses pourraient se précipiter. Un Iran qui n’a plus ses alliés supposés former une force de dissuasion protégeant son programme nucléaire pourrait être tenté de se lancer dans la course à la bombe… ce qui pourrait pousser Israël et les États-Unis à l’en empêcher, comme ils s’y sont engagés.

Bien sûr, cet affaiblissement brutal du Hezbollah pose également la question du Liban. Pour Israël, une solution durable au conflit dépend de la capacité de la société libanaise à soutenir un État souverain, détenteur du monopole de la force armée et de la politique étrangère. Même solidaire de la cause palestinienne et généralement hostile à Israël, c’est la clé pour une stabilité et une résolution pacifique de certains différends. La question est désormais de savoir si le Hezbollah est suffisamment affaibli et s’il existe des forces libanaises prêtes à profiter de cette faiblesse pour s’imposer comme un contre-pouvoir crédible face à la milice chiite. On peut être certain que les vétérans de la politique libanaise (Jumblatt, Berry, Aoun), des acteurs dont les carrières pourraient faire pâlir Machiavel, se posent cette question en ce moment même. Même si les choses évoluent de manière moins dramatique, le Liban se retrouvera sans Hassan Nasrallah, la voix et le visage de « l’axe », l’homme qui l’étouffait depuis 30 ans. Sa disparition pourrait accélérer l’éloignement des Libanais vis-à-vis du Hezbollah. Cette guerre, décidée sans leur accord, semble être le pas de trop qui aurait détruit la crédibilité du Hezbollah, même auprès de sa propre base populaire chiite. Le Hezbollah ne disparaîtra pas, mais il pourrait subir une « amalisation », c’est-à-dire se transformer en un parti politique chiite jouant un rôle central dans le jeu du pouvoir. Cependant, à court terme, on ne peut que craindre le chaos et s’attendre à diverses tentatives du Hezbollah pour s’accrocher au pouvoir et s’imposer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.