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Mais comment la France issue du 7-Octobre va-t-elle commémorer le 80ème anniversaire du Débarquement?

Si les hommes qui nous gouvernent aujourd’hui avaient été aux commandes il y a 80 ans, le Jour-J aurait à coup sûr été annulé. Et nous nous trouverions encore sous la botte nazie. 


Parmi les divers fronts qui attendent en 2024 la France issue du 7 octobre, une France qui a choisi de tout entreprendre pour discréditer la riposte existentielle d’Israël contre un totalitarisme islamiste qui tue aussi sur son propre territoire, une France rivée à ses hypocrites injonctions contradictoires – défendez-vous, mais cessez le feu ! –, il en est un que nous n’avons guère anticipé : le front commémoratif. En effet, comment allons-nous faire pour célébrer dans l’honneur, si tant est que ce mot ait encore un sens, le 80ème anniversaire du Débarquement de juin 1944 ? Une date qui, pour les Français, symbolise à elle seule le début de la Libération et allait permettre à la patrie déchue d’être admise au banquet de la victoire au lieu de se voir imposer un protectorat honteux, comme l’Allemagne et l’Italie. Le problème s’annonce épineux.

Il me taraude à titre personnel, la guerre m’ayant surprise à Jérusalem alors que j’achevais la biographie d’un de nos superbes Compagnons de la Libération, le jeune philosophe André Zirnheld (1913-1942), un des premiers rebelles de l’an 1940. Tombé à 29 ans dans le désert de Libye, lui n’a pas pu se joindre à « la bataille suprême », comme l’appelait de Gaulle, à l’instar d’autres fils de cette France libre et debout, dont il était, et qui auront l’honneur de déferler sur les plages de Normandie pour le « choc décisif et tant espéré ». Une France combattante qui n’entendait pas déclarer la paix aux nazis, contrairement à celle de juin 1940 ou de 2023. Ou quand les cataclysmes historiques transforment des leaders jusque-là considérés comme raisonnables en pantins inconsistants. Comment publier ce livre en 2024 sans avoir le sentiment de participer à une mascarade ?

20 000, ou le nombre de victimes civiles du Jour-J

Pourquoi rapprocher juin 1944 et octobre 2023 ? Dans les deux cas, une guerre sans merci, une guerre de survie, une guerre juste contre un ennemi aussi puissant que redoutable avec lequel aucun modus vivendi n’est possible. Ici, un combat visant à libérer l’Europe de l’hydre nazie, là à se libérer d’une menace analogue, portée par une organisation terroriste et totalitaire nourrissant un objectif identique : l’extermination des Juifs et rien d’autre. Un programme d’ailleurs largement inspiré du nazisme, avec lequel les Frères musulmans s’étaient alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Un héritage toujours vivace à en juger par les exemplaires de Mein Kampf en arabe retrouvés cet automne dans les tunnels de Gaza ou encore par l’IPad de cette petite fille avec Hitler en fond d’écran, découvert à la mi-janvier. Surtout, comment fêter cette fois le Jour-J en ayant à l’esprit le terrible bilan humain induit par les raids aériens que les Alliés ont dû mener sur la Normandie à l’été 1944 – à l’instar des Israéliens en 2023 – pour assurer le succès du Débarquement ? Et pour que « derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes », réapparaisse « le soleil de notre grandeur », disait encore de Gaulle ? 20 000 victimes collatérales seront à déplorer parmi les Français. Une tragédie qui, jusque-là, ne nous avait pas empêché de célébrer le 6 juin 1944 comme un fait d’armes majeur.

Ce lourd tribut, généralement considéré comme un drame inévitable par les historiens, le fut aussi par nombre de malheureux en temps réel, qui n’hésitèrent pas à protéger leurs libérateurs une fois au sol. À l’aune des surréalistes critères appliqués à l’Etat hébreu en 2023, il faudrait cependant innover et peut-être tout repenser. Cohérence oblige. Ne conviendrait-il pas d’y voir désormais la plus grande catastrophe humanitaire que la France ait jamais connue, un carnage dû à un usage « disproportionné » de la force, bref, un massacre éhonté ? Transformer les villes normandes en champs de ruines et en « cimetières d’enfants », comme dirait le secrétaire général de l’ONU, est-ce acceptable ? Et si on requalifiait « le Jour le plus long » de jour le plus noir de notre histoire ?

Et le bilan de la guerre à Gaza ? Un « crime contre l’humanité »

Trois mois après le plus grand crime de masse commis contre des Juifs depuis la Shoah – mais à l’évidence, Auschwitz n’oblige plus grand-monde –, l’opinion occidentale n’a donc plus qu’un chiffre invérifiable, mais idéalement accusateur et presque jubilatoire à la bouche : plus de 20 000 victimes « innocentes » à Gaza, enfin selon l’estimation fournie par le Hamas. À condition bien sûr d’inclure parmi ces innocents quelque 9 000 terroristes armés jusqu’aux dents, dont des cerveaux et des assassins du 7 octobre, neutralisés au fil de féroces combats urbains. À condition aussi d’imputer à Israël les morts dus aux quelque 15 000 roquettes tirées par le Hamas, dont deux sur dix retombent dans l’enclave, soit autour de 1 500. Et à condition de faire comme si l’écrasante majorité des victimes n’était pas due à l’abjecte stratégie du Hamas qui consiste à transformer les Gazaouïs en boucliers humains en installant de façon systématique l’ensemble de ses infrastructures de guerre sous des infrastructures civiles. De fait, il n’est pas un hôpital, un dispensaire, un jardin d’enfants, une aire de jeux, une zone humanitaire sécurisée, une mosquée ni une école financée par l’UNWRA, c’est-à-dire par nos impôts, qui à Gaza n’abrite en sous-sol ou dans ses murs des batteries lance-missiles, des entrepôts d’armes et de munitions, des fabriques d’explosifs, des stocks de provision ou des QG opérationnels, les puits des tunnels débouchant en général dans les salles de classe, les halls d’immeubles et parfois même sur les parkings des hôtels où sont logés les journalistes…

A lire ensuite, Jeremy Stubbs: Génocides à la carte

De l’aveu même de terroristes arrêtés après le 7 octobre, la tactique est payante : « Nous aimons la mort, les Juifs aiment la vie et rechignent à bombarder ces sanctuaires : c’est leur point faible, nous l’exploitons et l’Occident relaie ». Une pratique qui, à cette échelle et à ce degré de cynisme, relève du jamais-vu. On feindra bien sûr d’ignorer que le Hamas interdit à sa population tout accès à ses 800 kilomètres de tunnels (soit plus que la distance qui sépare Paris de Marseille) pour s’y abriter en cas de frappes. On fera comme s’il ne s’employait pas à empêcher les familles d’évacuer, d’où ces routes de l’automne 2023 à Gaza jonchées de cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens n’ayant pas respecté la consigne. Et comme si le Hamas ne pillait pas les trois quarts de l’aide humanitaire au profit de ses combattants, revendant le reste à prix d’or sur les marchés, d’où la crise alimentaire.

La méthode est simple, assumée et elle fonctionne à tous les coups : « Le sang de nos martyrs pave la voie de la victoire », se vantent les terroristes. Plus il y a de morts, plus il y aura d’idiots utiles ou de pervers subtils de par le monde pour incriminer l’Etat juif et se faire ainsi les complices objectifs de la barbarie islamiste. Ce pourquoi Israël tente précisément de minimiser les pertes quand le Hamas s’efforce de les maximiser pour accroître la pression internationale sur leur ennemi juré. Quant à la question de savoir pour quelles obscures raisons le souci humanitaire ne se déchaîne que lorsqu’il s’agit de condamner l’Etat hébreu – les 400 000 morts dus à la rébellion des Houthis au Yémen n’ont jamais fait descendre quiconque dans la rue –, l’énigme reste entière.

Mais passons sur ces détails. 20 000 victimes, donc, sans parler des destructions matérielles : un crime contre l’humanité ! Depuis quand ne cède-t-on pas à la monstrueuse tactique des terroristes qui vise justement à saper la riposte ? « Tout vaut mieux que d’être mis hors de combat sans combattre », affirmait de Gaulle le 11 juin. Depuis quand l’armée d’un pays sauvagement attaqué et humilié, un peu comme la France en juin 1940, se permet-il de frapper son agresseur de façon intensive afin de dégager des voies d’accès à ses troupes terrestres au lieu de les envoyer à l’abattoir ? Pourquoi pas allumer des bougies, comme on sait si bien le faire en France après chaque attaque, en attendant la suivante ? Un pur scandale, à croire qu’il n’y a que les Juifs pour faire une chose pareille. De quoi les traîner devant la Cour internationale de justice de La Haye pour… « génocide », comme vient de le faire l’Afrique du Sud. Et les Européens n’ont évidemment rien dit, à l’exception de l’Allemagne et de la Hongrie. L’argument de la légitime défense ? Refusé au motif qu’Israël, qui s’est retiré de Gaza en 2005, l’« occuperait » toujours… C’est que ce drôle d’occupant entendait contrôler les marchandises autorisées à entrer dans l’enclave. Pour désespérer ses habitants ? Non, pour éviter que le Hamas n’accumule d’immenses moyens d’attaque visant à l’anéantir. Le ciment pour la reconstruction ? Israël, dans son ignominie, l’a autorisé : il a servi à bâtir une imprenable forteresse souterraine. Les tuyaux destinés aux canalisations ? Aussitôt détournés pour fabriquer des missiles…

Normandie, été 1944 : tapis de bombes et champs de ruines

Gaza, 2023 – Normandie, 1944. Petit exercice de transposition. 20 000 Normands, dont 8 000 dans le Calvados et environ 4 000 dans la Manche, ont donc péri sous les tapis de bombes, de surcroît « amies », largués par les Alliés avant et après le D-Day. Sans parler des flots de blessés et de déplacés. En quelques jours, une dizaine de villes, autant de nœuds routiers, comme Pont-l’Evêque, Avranches ou Alençon, ne sont plus que décombres. Et sous les décombres, des femmes et des enfants. Un bain de sang. Evrecy perd un tiers de ses habitants, Caen déplore 2000 morts et Rouen 1000 pour la seule journée du 19 avril 1944.  Lisieux et Falaise sont détruites à 75% ; Villers-Bocage à 88%, Vire à 95%. Plus un édifice debout. Les photos de l’époque parlent d’elles-mêmes : la Normandie ou Gaza puissance dix. Saint-Lô, surnommée la « capitale des ruines », est rasée à 95%. Et Evreux verra son centre-ville réduit en poussières dès le 13 juin. Un calvaire qui ne se terminera que début septembre avec le Havre, écrasé sous 12 000 tonnes de projectiles et rasé à 82%. Quant aux ports de l’Atlantique, comme Brest, Saint-Nazaire, Lorient ou Royan, ils seront eux aussi dévastés à plus de 80%. Des scènes d’apocalypse. Au total, les bombardements alliés sur l’Hexagone entre 1940 et 1945 ont coûté la vie à 75 000 innocents, dont 40 000 pour la seule année 1944, soit la première cause de mortalité pendant la guerre.

Il y a donc un hic. Si les hommes qui nous gouvernent aujourd’hui avaient été aux commandes il y a 80 ans, le Jour-J aurait à coup sûr été annulé. Et nous nous trouverions encore sous la botte nazie. Imaginons un instant que le président Emmanuel Macron ait été à la manœuvre lors des préparatifs du Débarquement. Il se serait insurgé : frapper les défenses adverses pour permettre aux soldats d’avancer ? Perturber les voies de communication afin d’entraver l’acheminement des renforts allemands sur les plages ? Mais à quel prix ? Vous n’y pensez pas ! se serait-il sans doute indigné. Considérer comme des cibles tout ce qui permet à Hitler de faire la guerre, y compris en zones urbaines : industries, gares, dépôts d’armements, batteries côtières, ponts, routes, voies ferrées, ateliers de réparation, installations portuaires…  Et si les populations devaient en pâtir ?

« La bataille suprême » : disproportionnée et immorale !

En juin 1944, le général de Gaulle se serait-il soustrait à son plus élémentaire devoir en invitant ses Français libres, dont une centaine de pilotes, à mener la bataille « avec fureur » et à « détruire l’ennemi qui écrase et souille la patrie » ? Il conviendrait d’examiner la chose de près : cet impitoyable général n’a manifestement pas hésité à « cibler » et sacrifier des milliers de ses compatriotes. Et si on le jugeait par contumace pour « crimes d’atrocité », selon la jolie formule d’une commissaire européenne à propos de Gaza ?

Ce serait innovant : le procureur rappellerait qu’en pleine offensive terrestre – âpre, meurtrière et incertaine, comme le fut la Bataille de Normandie –, « préserver les civils constitue une nécessité non-négociable » devant primer sur toute autre considération, assénait déjà le président français lors de la conférence humanitaire de Paris, début novembre. En juin 1944, certains, dans l’entourage de Roosevelt, auraient également pu voir dans le D-Day « une réponse militaire disproportionnée, immorale et contraire au droit international ». Et, de là, appeler le Congrès à « rejeter le financement des opérations » au motif que « les contribuables américains ne sauraient être complices de la destruction de vies d’hommes, de femmes et d’enfants », ainsi que le réclamait le démocrate américain Bernie Sanders à l’encontre d’Israël ce 3 janvier 2024. On l’a échappé belle…

Serions-nous devenus plus civilisés ? À propos du rôle dévolu à l’aviation dans la plus grande opération amphibie de l’histoire, le général Eisenhower remarquait que « si ces mains s’en trouvaient à être liées, les périls d’une entreprise déjà hasardeuse en seraient fortement renforcés ». Lier les mains de l’Etat juif, surtout quand il emporte bataille sur bataille sur le terrain, tel est pourtant le vertueux objectif « humanitaire » que s’est fixé la communauté internationale à l’encontre du seul avant-poste du monde libre au Moyen Orient. En décembre déjà, les Israéliens étaient engagés sur six fronts : contre le Hamas au Sud, le Hezbollah au Nord, les terroristes de Cisjordanie à l’Est, la Syrie, le Yémen en mer Rouge et l’Irak. Plutôt que de se porter à leur côté, l’Europe a au contraire jugé bon, au fil d’un marathon onusien insensé, d’ouvrir un septième front. Et de voter une résolution réclamant l’arrêt des hostilités, autrement dit la disparition de l’Etat juif, prié de se coucher face à ses ennemis mortels.

A lire aussi, Elisabeth Nattiv : L’apaisement à tout prix, «traumatisme de guerre» de l’Occident

Aux Israéliens agressés, on intime à tout bout de champ l’ordre de « cesser le combat », comme disait Pétain. Aux agresseurs islamistes, on ne demande rien. La France aurait pu faire un autre choix. Début décembre, alors que des centaines de terroristes commençaient à se constituer prisonniers, elle aurait pu dire à leurs chefs : « Rendez-vous, libérez les otages, cessez cette folie et demandez pardon ! À votre peuple d’abord, que vous entraînez dans l’abîme. À l’Occident ensuite pour avoir détourné en faveur de votre machine de guerre les milliards d’euros que nous déversons depuis près de vingt ans dans votre enclave, des sommes gigantesques censées transformer Gaza en Singapour du Moyen-Orient. Nous raisonnions à l’occidentale, comme les Israéliens, et nous nous sommes trompés car on l’a compris ce 7 octobre, vous vous moquez du développement économique et social de votre fief, seule vous important la destruction pure et simple d’Israël. Ne comptez plus sur notre complicité, elle se révèle déjà assez embarrassante ». On a trouvé plus digne de prolonger par d’autres moyens le joyeux labeur du pogrom entamé le 7 octobre, ainsi passé de local à mondial – d’où l’éclatement du tout premier pogrom planétaire de l’histoire.

Détruire l’ennemi ? Cruels libérateurs

S’en sortira-t-on en avançant, à l’avantage des Alliés, qu’à l’époque, les frappes étaient forcément moins précises ? Sauf que cet argument se trouve largement compensé par le fait que Tsahal opère sur le pire théâtre qui soit. Un cas unique dans les annales de l’histoire militaire. Car Gaza ne désigne pas un territoire où des équipements guerriers seraient disséminés par-ci par-là, mais une zone entièrement transformée en gigantesque et tentaculaire mégalopole de la terreur, en sous-sol comme en surface. Une base terroriste à l’échelle d’une province. D’où des ennemis invisibles et insaisissables, sortant de terre comme des rats pour attaquer avant de rentrer dans leurs tunnels, souvent enfouis à 20 ou 50 mètres, assez larges pour laisser passer des véhicules, dotés du confort le plus moderne (électricité, système de ventilation, ascenseurs, etc.), le tout sur plusieurs étages dûment protégés par des fortifications en chair et en os. Même les nazis n’y avaient pas pensé !

Comment les Alliés auraient-ils procédé si la Bataille de France les avait placés face à un tel défi ? Pour épargner les populations et limiter les dommages collatéraux, auraient-ils mis sur pied un régiment spécial dont l’unique vocation est de prévenir les populations en larguant des millions de tracts pour les inviter, avant les frappes, à déserter les lieux visés ? À la télévision israélienne, un présentateur du soir montrait ainsi sur une carte les zones de l’enclave devant être ciblées le lendemain, des flèches indiquant les voies à emprunter pour évacuer, des avertissements également envoyés par SMS ou par téléphone, quitte à compromettre l’effet de surprise. Une scène plutôt inédite par temps de guerre. Pour permettre aux Français, aux administratifs allemands ou aux familles des soldats d’occupation de s’éloigner avant les bombardements, on ne sache pas non plus que Churchill et Roosevelt aient songé à dépêcher des unités avec pour mission de s’interposer par les armes entre ces foules et, en face, d’éventuels tueurs SS chargés, comme à Gaza, de pilonner les colonnes pour les dissuader de se mettre à l’abri. On n’a pas non plus souvenir que des corridors à destination des civils, français ou allemands, aient été envisagés en Normandie. Et ces milliers de camions d’aide humanitaire (plus d’une centaine par jour à Gaza) à destination de l’adversaire, une aide dont la distribution est contrôlée par le Hamas et dont la portée tactique peut se révéler fatale à Tsahal ? En 1944, rien non plus de la sorte. De Gaulle n’a pas pensé à mobiliser la Croix-Rouge ni à consentir à des « trêves » de charité de façon à ce que l’ennemi, « prêt à tout faire pour échapper à son destin », se refasse une santé. Il est assez rare qu’un belligérant, qui a en principe intérêt à mettre son adversaire à genoux, accepte d’entretenir son effort de guerre en lui permettant de reconstituer quotidiennement ses stocks de carburant, de vivres et de médicaments. Force est de l’admettre, Tsahal fait comparativement beaucoup mieux que les cruels libérateurs de juin 1944.

Alors comment la France de l’après 7 octobre, c’est-à-dire de juin 1940, va-t-elle s’y prendre pour commémorer en grande pompe les 80 ans d’un Débarquement en forme de « massacre », d’inadmissible « carnage » humanitaire, du moins à suivre les critères appliqués à Israël en 2023 ? Il y a trois options : se ressaisir, décréter le 6 juin 1944 jour de deuil national ou se livrer une fois de plus à une opération en trompe-l’œil relevant de l’art pour l’art. Le genre de manœuvre « à laquelle les Français attachent une importance d’autant plus grande qu’elle ne dupe personne, même pas eux-mêmes », écrivait le colonel de Larminat dans ses Chroniques irrévérencieuses. Mais quelle importance puisque les uns ne s’en apercevront pas et que les autres se tairont ?

Le Compagnon de la Libération André Zirnheld doit, lui, se retourner dans sa tombe… D’autant que sans l’extraordinaire soutien apporté par les pionniers de Palestine mandataire aux jeunes déserteurs français du Levant ayant rallié de Gaulle à l’été 1940, ces derniers auraient été tragiquement seuls. Comme Israël aujourd’hui.

Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ?

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Famille, je vous hais

La version préliminaire de l’édition hollandaise du nouveau livre du journaliste Omid Scobie avançait que c’est Charles III et Kate Middleton qui auraient tenu des propos racistes envers Meghan Markle.


En 2020, le journaliste britannique Omid Scobie, très proche de Meghan Markle et de son mari, le prince Harry, a eu un beau succès en tant que co-auteur d’un best-seller flatteur consacré au couple royal, Libres. Son nouveau livre, sorti en novembre, devait à la fois reproduire le succès du précédent et dépasser la sphère des mondanités pour entrer dans celle de la politique. Fin de règne : où va la monarchie britannique, les derniers scandales révélés promettait d’ébranler la maison Windsor. Dans son brûlot, l’auteur n’hésite pas à qualifier cette dernière « d’entreprise familiale instable » et « d’institution en déclin ». Il présente toujours Harry et Meghan comme les victimes angéliques d’un « système desséché », tandis que le roi Charles III, le prince William et la princesse Kate sont caricaturés en méchants d’un film Disney : machiavéliques, conspirateurs et sans cœur. La clé de voûte de la construction de Scobie est l’accusation de racisme portée contre un membre de la famille royale par Harry et Meghan lors d’une interview avec Oprah Winfrey en 2021. Cette personne aurait spéculé sur la couleur de peau éventuelle de leur fils à naître.

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Le livre de Scobie réitère cette accusation, en la portant contre deux membres de la famille qui ne sont toujours pas nommés – selon lui, par pure délicatesse. Pourtant, après la sortie du livre, on s’est aperçu que l’édition néerlandaise cite bien les deux noms qui sont… Charles et Kate. Scobie a prétendu que c’était une erreur, que les deux noms figuraient dans une version préliminaire du manuscrit – ce que l’éditeur néerlandais a fermement nié. Ce coup de publicité raté s’est retourné contre l’auteur du pavé de 400 pages, dont les ventes ont dégringolé de façon spectaculaire, se montrant cinq fois inférieures à celles de son ouvrage précédent au cours de sa première semaine. Le livre a même été bradé dans certaines librairies. Perçu comme le porte-parole de Harry et Meghan, dont les pleurnicheries ont fini par lasser le public, Scobie n’a affaibli que sa propre réputation et, pour le pauvre prince Harry, les chances d’une réconciliation avec sa famille.

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Pourquoi l’élection de Taïwan n’est pas forcément une défaite pour Pékin

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Sur l’île de Formose, que la Chine rêve de remettre sous sa férule, le libéral William Lai a été élu hier avec 40% des voix. Il nous est présenté comme le candidat démocrate dont ne voulait par Pékin. Mais, lors de ses vœux, le président chinois Xi Jinping annonçait qu’une réunification était selon lui inévitable, et cette élection pourrait ne pas être une si mauvaise nouvelle pour lui… Analyse.


La première réaction de beaucoup d’observateurs plus ou moins aguerris au soir de l’élection présidentielle à Taïwan fut de comparer la victoire du libéral William Lai à une douche froide pour Pékin. Pour autant, même si l’élection du candidat le plus opposé à la discussion avec le continent ne ravit pas la Chine populaire, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles ne paraissent. La victoire à la Pyrrhus de Lai ne conduira pas le Parti Communiste chinois à la réaction attendue.

L’élection mitigée de William Lai

Pour la première fois de l’histoire démocratique de Taïwan et la fin de la loi martiale le 15 juillet 1987, un parti a réussi à remporter l’élection présidentielle trois fois d’affilée. William Lai, du DPP (Parti Démocratique Progressiste), a été élu président de l’île et prendra ses fonctions le 20 mai prochain. Il est issu d’un parti qui est historiquement hostile à Pékin et à tout rapprochement avec le continent. Sous Tsai Ing-wen, l’actuelle présidente, les tensions entre les deux Chines ont connu un sommet jamais atteint depuis près de trois décennies. Lai a amélioré sa popularité en étant la cible privilégiée des fakes-news lancées par Pékin et sa campagne d’influence. La Chine continentale a perdu son pari et a vu le candidat qui lui est le moins favorable être élu. Cela pourrait inciter les dirigeants communistes à intensifier la pression sur l’île, mettant un terme à leurs espoirs de réunification pacifique.

En parallèle, les élections législatives se tenaient le même jour sur l’île ; elles ont débouché sur un échec du président élu. Ce dernier n’est pas parvenu à sécuriser une majorité absolue au Yuan Législatif, lui laissant un goût d’inachevé. Depuis les premières élections présidentielles ouvertes en 1996, nous avions l’habitude de voir le président élu bénéficier d’une majorité à la chambre, lui permettant de mettre en application son programme. William Lai est donc un président mal élu, n’ayant recueilli que 40% des voix populaires et ne disposant que d’une majorité relative à la chambre. Cette demi-victoire va considérablement mettre un frein à la présidence Lai, qui démarre donc mal et présage une crise politique d’envergure.

Le nouveau président doit composer avec un parlement hostile

Les élections du 13 janvier à Taïwan ont délivré deux enseignements majeurs : les forces favorables à la Chine n’ont pas perdu de terrain, car elles représentent plus de la moitié de l’électorat et disposent de la majorité au parlement ; ces élections ont vu l’émergence d’une troisième force politique, le TPP de Ko Wen-je qui apparaît déjà comme le faiseur de roi.

William Lai va devoir composer avec une chambre législative hostile. En effet, les deux partis d’oppositions, le Kuomintang et le TPP sont favorables à un rapprochement avec la Chine. Si William Kai ne veut pas se retrouver avec un pays ingouvernable, il devra faire des concessions et éviter de s’attaquer frontalement au continent. Ainsi, Lai ne pourra pas imposer les politiques sécuritaire et extérieure qu’il avait défendues durant la campagne. Ce changement radical a déjà pu être observé dans ses premières déclarations de président nouvellement élu, qui n’exclut plus le dialogue mais veut se montrer pragmatique et modéré. Ce revirement devrait plaire à Pékin, qui s’évite un régime hostile sur l’île qu’elle revendique.

À lire aussi, Jeremy Stubbs: Génocides à la carte

Dans sa quête de trouver un allié parlementaire, William Lai semble vouloir se tourner vers le TPP et son dirigeant Ko Wen-je. Le président fraîchement élu ne pourra pas s’allier avec le Kuomintang pour des raisons historiques, en revanche des points communs existent avec le TPP. Ko Wen-je, bien que partisan d’un rapprochement économique avec la Chine, veut accentuer les efforts sécuritaires et renforcer les capacités de défense de l’île. Cependant, cette alliance peut se montrer nocive pour le président élu. Ko, s’étant distingué par un discours aux accents populistes, n’a pas hésité à critiquer le système en place et le DPP. Cet antisystème séduit dans une population critique face à la classe politique traditionnelle, ce qui fait du TPP le seul parti qui a amélioré son score par rapport à l’élection de 2020.

Pékin garde les deux options sur la table : militaire ou pacifique

L’éventualité d’une 4ème crise du détroit de Taïwan s’est considérablement réduite avec le résultat des élections. L’élection de William Lai, qui doit s’accommoder d’une majorité relative au parlement, rebat véritablement les cartes. Ainsi, le régime communiste ne peut plus totalement exclure qu’une réunification progressive et pacifique soit possible. Les résultats des dernières élections ne peuvent être interprétés comme une défaite intégrale de la Chine, car elles maintiennent la possibilité d’une réunification pacifique. Cette option était mise à mal durant la présidence de Tsai, et on observait un éloignement de plus en plus important de l’île du continent.

La présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, en compagnie de la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, dans le bureau présidentiel à Taipei, le 3 août 2022 © TAIWAN PRESIDENTIAL OFFICE/AP/SIPA

Cela ne veut pas dire pour autant que Xi Jinping va exclure l’option militaire, alors qu’il a rappelé lors de ses vœux, que la réunification était inévitable. Ainsi, la Chine va évidemment continuer à investir pour moderniser et préparer son armée afin qu’elle soit prête pour une invasion militaire d’ici 2027… Il s’agit d’une année symbolique pour le président chinois, car elle marquera le 100ème anniversaire de la fondation de l’Armée Populaire de Libération, mais surtout, elle coïncidera avec la fin de son troisième mandat à la tête du parti communiste. Il voudra certainement se présenter au Congrès du PCC fort d’une réussite majeure, notamment avec l’idée d’une réunification avec Taiwan – qu’importe la manière. Les élections à Taïwan ouvrent une fenêtre de tir pour le régime communiste chinois qui doit arbitrer la meilleure manière d’opérer une réunification avec l’île. Les résultats initialement apparus comme hostiles, doivent être analysés avec plus de profondeur. Ainsi, ils peuvent laisser place à un rapprochement ou à une réunification pacifique selon l’attitude adoptée par le président chinois, qui reste le maitre des horloges sur cette question essentielle.


William Thay, président du Millénaire, think-tank indépendant spécialisé en politiques publiques

Pierre Clairé, Directeur adjoint des Études et spécialiste des questions internationales et européennes.

Affaire Depardieu: «Brigitte» mi-woke, mi-réac

Vous allez peut-être finir par croire que je regarde beaucoup trop la télévision. Car nous allons évoquer ici le passage de Brigitte Macron, au journal télévisé de TF1…


Rassurez-vous, nous allons essayer de ne pas faire sombrer ce site de haute tenue intellectuelle dans des commérages dignes de la presse people. Et rassurez-vous également, nous ne comptons pas non plus faire une énième analyse institutionnelle sur la place que la Ve République devrait laisser à la « Première Dame », ou sur les évolutions qu’il faudrait apporter à son statut. Même si elle n’a pas obtenu de mandat des citoyens français, que la femme du président ait un chauffeur, un budget ou un bureau à l’Élysée, cela n’a finalement rien de choquant !

Que faisait Brigitte Macron au 13 heures de TF1, mercredi dernier ?

Je vous le concède, c’est peut-être un peu people au début, malgré tout. La mère Macron était invitée du journal de Marie-Sophie Lacarrau, avec Didier Deschamps, pour le lancement de la 35e opération des Pièces Jaunes1. Comme Bernadette Chirac autrefois, M’ame Macron est la présidente de la Fondation des Hôpitaux. Quant à Didier Deschamps, il est le parrain de l’opération.

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Évidemment, on a vite compris que les journalistes de TF1 n’en avaient pas grand-chose à fiche des petites boites en carton qu’on remplit des pièces qui trainent dans nos fonds de poche au profit des enfants malades. En plein remaniement ministériel, et alors que l’affaire Depardieu fait rage à coup de pétitions et contre pétitions sanglantes dans la presse, c’est sur ces sujets qu’il fallait cuisiner notre Première dame… Oh ! cependant, ce n’est pas émettre des doutes infamants quant aux aptitudes professionnelles de la rédaction de TF1 ou de Marie-Sophie Lacarrau que de penser que, peut-être, avant de se déplacer dans la Tour TF1 de Boulogne-Billancourt, ces thèmes avaient été communiqués au palais de l’Elysée.

Aller au JT de 13 heures, c’est intéressant pour la macronie. Même si les audiences du rendez-vous sont structurellement en baisse depuis les années d’or de Jean-Pierre Pernaut, ce journal reste très suivi, avec des millions de fidèles chaque jour et jusqu’à un téléspectateur sur deux devant TF1. Surtout, c’est essentiellement la France active de nos provinces qui regarde ce rendez-vous. Des citoyens qui ne sont pas forcément les électeurs d’Emmanuel Macron. Des électeurs de la France périphérique que sa femme peut donc tenter de séduire dans un but électoral, avec sa parole calme et non polémique.

Mais alors, qu’a dit « Brigitte » ?

Nous avons dû revoir une deuxième fois la séquence en entier pour prendre quelques notes car, vraiment, la première fois, le brushing de M’me Macron était tellement travaillé que l’on ne regardait que çà. Ne soyons pas trop sexistes en ne commentant que l’aspect des femmes : le nouveau sourire lavabo de l’entraineur de l’équipe de France était aussi particulièrement impressionnant. Tout d’abord, sur le nouveau Premier ministre qui venait d’être nommé, notons que Brigitte Macron l’appelle par son prénom, « Gabriel ». Elle lui souhaite bonne chance, bien sûr, et, elle veut nous faire croire, comme l’a affirmé la journaliste Marie-Sophie Lacarrau, qu’elle n’aime pas commenter les décisions politiques de son mari. Oh non ! Surtout pas !

Reste qu’elle trouve Gabriel Attal formidable. Comme tout le monde apparemment : pensez, il est si jeune ! Nous avons bien lu la presse la semaine dernière, et contrairement à ce qui avait cours dans l’ancien monde, l’inexpérience c’est désormais une qualité professionnelle, apparemment. TF1 a quand même posé une question piège à Brigitte sur ce fantastique nouveau Premier ministre. A-t-il un défaut ? Eh bien, la femme d’Emmanuel Macron a calé. Elle le connait pourtant très bien, car il soutient le couple Macron depuis le début, dès leur première campagne. Mais de défaut, elle ne lui en a trouvé aucun. Vous voyez, la France a vraiment de la chance ! Citons la Mère Macron, qui, après avoir remercié Elisabeth Borne pour son service et avoir presque semblé être peinée de voir partir celle que ses admirateurs appellent affectueusement « Mamie Vapota » dans les commentaires de Causeur, a donné la description suivante de Gabriel Attal : « Gabriel est courageux, il est audacieux, c’est un homme d’action ». Elle en est presqu’amoureuse ! Je ne citerais pas en revanche le nom de l’affreux membre de Causeur qui m’a dit qu’il fallait qu’elle redescende un peu : « Celui-là, il est vraiment gay » a persiflé ce collaborateur. C’est vraiment une blague que je ne reprendrais pas à mon compte.

Et Gérard Depardieu, alors ?

Brigitte Macron nous a offert un grand numéro de « en même temps » mi-woke mi-réac, concernant Gérard Depardieu, sous l’oeil bienveillant de son faire-valoir Didier Deschamps.

Notre patronne estime que les lecteurs de Causeur qui trouvent que nous en faisons beaucoup trop sur cette affaire Depardieu ont tort, et a expliqué à Jeremy Stubbs en quoi ici. L’histoire des propos grivois et des agressions sexuelles présumées de Gerard Depardieu, ce n’est pas une histoire à reléguer aux pages de la presse people. Au-delà du cas de Gerard Depardieu, on observe un basculement sociétal, un maccarthisme de plateaux tv et une nouvelle police des braguettes qui se mettent en place. Et si cela vous gêne et que vous osez le dire, vous serez rapidement accusé de faire partie du « vieux monde sexiste ». Il convient de dénoncer ces âneries néoféministes, comme il convenait de dénoncer les nombreux aspects délétères des mouvements Balance Ton Porc ou Metoo. Brigitte Macron a dit qu’elle ne voulait pas ajouter du commentaire au commentaire, car, selon elle, avec toutes ces tribunes et toutes ces prises de parole, « on est servi pour les commentaires ». Dans un premier temps, elle nous a fait du politiquement correct, et a ressorti la tarte à la crème de la sacrosainte « parole des femmes », qui comme chacun le sait se libère, et qu’il conviendrait de soutenir. « Elles parlent et il faut continuer de parler, c’est très courageux de parler », estime la femme du président.

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Oui, mais voilà : juste avant Noël, le président de la République avait dit sur France 5 que l’ex-ministre de la Culture Rima Abdul-Malak (depuis tombée en disgrâce) s’était avancée concernant l’affaire, que Gérard Depardieu était un immense acteur et que, oui, il rendait selon lui « fière » la France. Brigitte Macron, à qui on a rappelé ces propos sur TF1, a donc botté en touche et dit qu’il fallait la comprendre. Ah bon ? On ne voit pas en quoi elle pourrait nous donner son appréciation du Premier ministre et pas soutenir son mari dans l’affaire Depardieu. Avec ses déclarations sur France 5, M. Macron semblait plutôt se positionner du côté de ceux qui ont signé la fameuse tribune de Yannis Ezziadi.

Ce qu’a ensuite dit Brigitte est quand même bienvenu : « Je ne peux pas commenter ce commentaire [l’appréciation d’Emmanuel Macron sur Gérard Depardieu sur France 5] mais par contre je commenterai la présomption d’innocence. Un des piliers de la démocratie, c’est la justice, et un des critères fondamentaux de la justice c’est la présomption d’innocence » a développé la Première Dame. Voilà qui est dit pour toutes nos néo féministes et actrices dénonçant ces jours-ci la culture du viol ! Sans être encore plus désagréable que nous l’avons été jusqu’à maintenant, observons aussi que Brigitte Macron appartient finalement aux anciennes générations – elle a tout de même 24 ans de plus que son époux. D’ailleurs, sa rencontre avec le président, alors qu’il était un de ses jeunes élèves, pourrait facilement être réécrite à la lumière de la théorie de l’emprise par des idiots – l’emprise, c’est une thèse que Lio, Mediapart, Anouk Grinberg ou Judith Godrèche nous resservent tous les jours ces derniers temps. Et, très franchement, ces théories et ces leçons de morale ne valent pas beaucoup mieux que les thèses des complotistes qui avaient voulu nous faire croire qu’Emmanuel Macron était en couple avec le patron de Radio France ou que Brigitte Macron avait changé de sexe comme Amanda Lear… Tout ça, c’est du délire.

Laissons la justice travailler, laissons la vie privée des gens tranquille, laissons les gens avoir une vie amoureuse audacieuse s’ils en ont envie, et défendons ceux qui se font lyncher dans les médias, parfois pour de simples rumeurs sur les réseaux sociaux.

Pour résumer cette séquence « Brigitte » sur TF1 : le blabla bienpensant de Brigitte Macron sur la parole des femmes, non merci ! Mais pour la présomption d’innocence de Gérard Depardieu : merci Brigitte !

  1. https://www.tf1.fr/tf1/jt-13h/videos/pieces-jaunes-2024-brigitte-macron-et-didier-deschamps-invites-exceptionnels-du-jt-41564358.html ↩︎

Génocides à la carte

Pour étayer la thèse d’ « actes génocidaires » perpétrés par Israël à Gaza, l’Afrique du Sud devra démontrer une intentionnalité. Quelles que soient l’indépendance et l’impartialité des juges de la CIJ, les différentes institutions de l’ONU constituent depuis des années un théâtre où Israël joue presque toujours le rôle du méchant.


Les accusations de génocide portées contre Israël par ceux qui prétendent soutenir la cause palestinienne ou combattre le sionisme sont devenues banales depuis le 7 octobre. Avant Noël, des militants qui manifestaient devant un théâtre new-yorkais où devait se produire Jerry Seinfeld, ont accusé l’humoriste de « complicité de génocide » pour avoir déclaré publiquement sa solidarité avec Israël. Le 29 décembre, l’Afrique du Sud a lancé un processus pour donner un statut officiel à de telles accusations en saisissant la Cour internationale de justice des Nations Unies (CIJ).

Selon les avocats de la nation arc-en-ciel, Israël aurait commis des « actes génocidaires » dans sa campagne contre le Hamas à Gaza. Les 11 et 12 janvier, les magistrats de cette instance ont écouté les arguments des Sud-Africains et les contre-arguments des Israéliens.

Que représente une accusation de génocide aujourd’hui, et Israël peut-il s’attendre à être traité avec impartialité par une institution faisant partie de l’ONU ? La formulation de la notion de génocide au lendemain de la Seconde Guerre mondiale était censée initier une nouvelle ère de justice à l’échelle planétaire. Malheureusement, le concept se révèle aujourd’hui être à géométrie variable. Il a été appliqué efficacement dans le cas du génocide des Tutsis au Rwanda, mais les membres démocratiques des Nations unies n’ont toujours pas réussi à sanctionner juridiquement la Chine pour son traitement des Ouïghours, tandis qu’un génocide en cours au Soudan ne semble intéresser ni la communauté internationale ni les groupes de militants qui sont si prompts à accuser Israël.

Le fait vaut-il l’intention ?

C’est dans un document de 84 pages que les avocats de l’Afrique du Sud détaillent des « violations alléguées » par Israël de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui date de 1948. Pour justifier cette accusation, le réquisitoire cite le nombre de morts de civils à Gaza, le déplacement d’une partie de la population, les difficultés à approvisionner les habitants en eau et nourriture et la prétendue volonté des autorités israéliennes d’entraver l’accès au territoire des organismes d’aide humanitaire.

L’objectif immédiat de la partie poursuivante n’est pas de convaincre la Cour de condamner Israël comme génocidaire, ce qui pourrait prendre des années de délibérations. Il s’agit dans un premier temps de la persuader d’ordonner à Israël de prendre des mesures provisoires consistant essentiellement à « mettre fin à toutes les opérations militaires qui constituent ou donnent lieu à des violations de la Convention sur le génocide ». Bref, un cessez-le-feu. La Cour pourrait prendre quelques semaines pour statuer sur cette première question.

Le génocide est compris comme la volonté intentionnelle de détruire les membres d’un groupe en tant que membres de ce groupe. Cette nécessité de prouver une intentionnalité de la part des persécuteurs allégués n’a pas échappé aux autorités sud-africaines. Selon la déclaration devant la Cour de l’avocate, Adila Hassim : « Les génocides ne sont jamais déclarés à l’avance, mais cette cour bénéficie des 13 dernières semaines de preuves qui montrent de manière incontestable un modèle de comportement et d’intention qui justifie une allégation plausible d’actes génocidaires ». Pour fonder l’allégation d’intentionnalité, le réquisitoire cite des propos violents de certains dirigeants israéliens et même, afin de démontrer combien la « rhétorique du génocide » est ancrée dans la société israélienne, des déclarations inconsidérées par deux chanteurs populaires maîtres du style Mizrahi. Dans une interview, Eyal Golan a appelé à « effacer Gaza et à n’y laisser personne », tandis que, dans une vidéo ayant rencontré du succès sur les réseaux sociaux, Kobi Peretz a chanté : « que Gaza soit effacée ! »

La démonstration faite par l’Afrique du Sud semble être tout sauf « incontestable », selon le mot employé par son avocate. Mais si jamais la CIJ décide de condamner Israël, a-t-elle les moyens de faire respecter son verdict ? Le Conseil de sécurité de l’ONU possède ce pouvoir, mais ses cinq membres permanents – la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume Uni et la Russie – ont un pouvoir de véto. En mars 2022, la CIJ a ordonné à la Russie de cesser son invasion de l’Ukraine – avec le résultat que l’on connaît. Or, les États-Unis et le Royaume Uni ont déjà déclaré le dossier pénal de l’Afrique du Sud sans fondement. Ainsi, même si la Cour condamnait Israël et demandait au Conseil de sécurité d’agir, il ne se passerait rien. Cette action en justice représente-t-elle donc beaucoup de bruit pour rien ?

Le procès : l’éternel retour du même

L’accusation de génocide, qu’elle soit approuvée ou non par le tribunal, constitue une étape importante dans une longue campagne pour condamner Israël des pires infâmies. Et ce n’est pas la seule tentative pour y arriver sur le plan juridique. Il faut rappeler que la Cour internationale de justice (CIJ) de l’ONU, bien qu’elle aussi siège à La Haye, est différente de la Cour pénale internationale (CPI). Tandis que la CIJ a pour mission de régler les disputes entre les États, la CPI poursuit des individus accusés de crimes contre l’humanité, comme dans le cas du dirigeant serbe Slobodan Milošević, ou celui du Rwandais Félicien Kabuga. Or, le 17 novembre, la CPI a déclaré que le procureur de la Cour, saisie par l’autorité palestinienne et cinq États, l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti, enquêtait sur des crimes de guerre allégués que des Israéliens auraient commis à Gaza et en Cisjordanie à partir de 2014. La commission de ces crimes serait une violation du Statut de Rome, le traité international qui a créé la Cour pénale internationale. Israël est un des signataires de ce traité. En 2020, la CPI a renoncé à poursuivre la Chine au sujet de la persécution des Ouïghours car la Chine n’est pas signataire du Statut de Rome. Il est ainsi clair – si jamais on avait besoin de preuves – qu’Israël est une société infiniment plus démocratique et libérale que la Chine. Il est clair aussi que cette association avec la tradition occidentale fait partie des raisons qui poussent des membres moins démocratiques de l’ONU à vouloir faire infliger à Israël une condamnation aussi terrible que définitive.

Soldat israélien à la frontière avec Gaza, 24 novembre 2023 © Tsafrir Abayov/AP/SIPA

Certes, le rôle de l’Afrique du Sud dans l’affaire actuelle peut s’expliquer dans une certaine mesure par le sentiment de solidarité avec le peuple palestinien qui remonte à l’époque de Nelson Mandela. Le leader du Congrès national africain voyant en Yasser Arafat un frère d’armes dans la lutte contre les régimes d’apartheid. Mais encore aujourd’hui, cette complicité va très loin. L’Afrique du Sud est un des rares pays à avoir des relations diplomatiques avec le Hamas. Son gouvernement a été lent à condamner les atrocités du 7 octobre, mais prompt à condamner l’invasion de Gaza. En novembre, son parlement a voté la suspension des relations diplomatiques avec Israël, bien que cette résolution n’ait pas été suivie d’effets. La question palestinienne a suffisamment d’importance auprès de la population sud-africaine pour être exploitée à des fins électorales. La dénonciation d’Israël sert à masquer les problèmes de corruption qui assaillent le régime du président Cyril Ramaphosa, ainsi que le niveau de violence criminelle qui afflige le pays. Poursuivre Israël représente aussi une façon pour l’Afrique du Sud de s’acheter de l’influence sur la scène internationale et notamment de prendre le leadership au sein de ce qu’on a nommé « le Sud global », cet ensemble de pays en développement qui seraient en train de s’opposer à l’influence occidentale et qui ne rechigneraient pas à faire cause commune avec la Russie ou la Chine quand cela les arrange. Israël, l’incarnation supposée de la tradition – voire du colonialisme – occidentaux constitue une cible de choix. Et, dans une certaine mesure, ça marche, car le procès initié par l’Afrique du Sud a déjà reçu le soutien de la Turquie, de la Jordanie, de la Malaisie, de la Bolivie, de la Colombie, du Brésil, du Pakistan et d’autres.

Cette pression internationale pour condamner Israël est constante et infatigable, même si les États occidentaux ont tendance à y résister. C’est dans ce contexte que les accusations sud-africaines seront instrumentalisées, surtout au sein des Nations unies, par les pays qui s’opposent à Israël. Les relations entre Israël et l’ONU sont au plus bas. Selon l’ONG UN Watch, au cours de l’année 2023, l’Assemblée générale de l’ONU a voté 14 résolutions censurant Israël, deux fois plus que le nombre total de celles dénonçant d’autres pays. Depuis longtemps, Israël accuse les agences de l’ONU de nourrir des préjugés à son égard, tandis que l’ONU, notamment à travers l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), accuse Israël de violer les droits humains des Palestiniens. Depuis le début de la guerre à Gaza, l’UNRWA allègue qu’Israël a bombardé ses propres installations, tandis que ce dernier maintient que le Hamas utilise certains des bâtiments en question pour camoufler ses équipements militaires. Quelles que soient l’indépendance et l’impartialité des juges de la CIJ, les différentes institutions de l’ONU constituent un théâtre où Israël joue presque toujours le rôle du méchant.

N’oubliez pas le Darfour

Ironie du sort, au cours de la semaine qui a précédé celle de l’ouverture des auditions à La Haye, le président de l’Afrique du Sud Cyril Ramaphosa a reçu la visite de Mohamed Hamdan Dogolo, le commandant d’une puissante milice soudanaise qui est accusée de génocide et de crimes de guerre au Darfour. C’est en avril 2023 qu’une guerre civile se déclenche entre ce chef de guerre, à la tête des Forces de soutien rapide (FSR), et le général Abdel Fattah al-Burhan qui commande les Forces armées soudanaises (FAS). La région de Darfour, qui a déjà été la scène d’un génocide en 2003, voit de nouveau des massacres de civils, commis aujourd’hui par les hommes de Mohamed Hamdan Dogolo. Ils n’hésitent pas à employer la violence sexuelle et la réduction en esclavage contre les femmes et les enfants. Les victimes de ce nettoyage ethnique sont majoritairement de la communauté masalit, un groupe non-arabe, tandis que leurs bourreaux sont majoritairement arabes. Il y a eu plus de 10 000 morts et 7 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, 1,4 million dans des pays avoisinants, surtout le Tchad. Les Émirats arabes unis sont accusés de soutenir les FSR mais le nient. En novembre, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, ainsi qu’une lettre ouverte signée par 70 experts en droit international, ont essayé d’attirer l’attention générale sur une crise humanitaire d’une rare gravité. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, plus de 25 millions de personnes ont besoin d’aide – plus de dix fois la population de la bande de Gaza. Mais à la différence de ce qui se passe à Gaza, la tragédie soudanaise se poursuit dans l’indifférence (jusqu’ici) des 55 États-membres de l’Union africaine et dans celle du Conseil de sécurité de l’ONU. Le décalage entre l’agitation autour des actions d’Israël à Gaza et l’apathie générale devant le carnage du Darfour peut s’expliquer en grande partie de la façon suivante : le drame soudanais est traité comme une question humanitaire, tandis que celui de Gaza est traité comme une question politique. Et une question politique est toujours une source potentielle de bénéfices politiques. Qui, les 11 et 12 janvier, se faisait photographier à La Haye en affichant son soutien inconditionnel à l’action en justice de l’Afrique du Sud ? Ces grands humanitaires que sont le Français, Jean-Luc Mélenchon, et l’Anglais, Jeremy Corbyn.

Quand le président rate la marche

Et si ne pas avoir maintenu Attal à l’Education se révélait une erreur historique dont le président Macron allait se mordre les doigts?


Pour un chef d’État, les opportunités d’entrer pour de bon dans l’Histoire ne sont pas forcément très fréquentes. Aussi, lorsqu’il s’en présente une convient-il de ne pas rater la marche. La marche qui ouvre la voie vers les sommets, vers la vraie grandeur que les peuples sont tout disposés à reconnaître à ceux qui, à tel moment fatidique, ont su saisir la gravité des enjeux et s’affirmer en véritable homme d’État. C’est-à-dire en chef capable d’oublier l’instant pour penser Histoire, capable d’oublier la politique, la politicaillerie, pour penser destin, penser nation et voir loin, bien au-delà en tout cas des échéances électorales et des plans de carrière des uns et des autres.

Cette marche-là, le président de la République vient de la rater magistralement. Obsédé par une chasse au Bardella qui risque fort de se muer en chasse au dahu, et donc de ne rien donner (surtout si, comme cela se colporte, on bombarde en tête de liste le héros au masque de Super-Menteur des joyeusetés Covid), il a promu le bon élève Attal général-en-chef de cette traque avec mission d’y aller sabre au clair et panache au vent.

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Dont acte. Sauf que le promu chef des armées occupait depuis l’été un poste également stratégique et surtout d’une tout autre importance. Il avait en main le ministère de l’Éducation nationale, là où se décide et s’oriente la formation de la jeunesse, là où se joue le niveau d’instruction des générations à venir. Non seulement le niveau d’instruction, mais, conséquemment, le niveau d’intégration, ce qui n’est pas rien. Le lieu de « la mère de toutes les batailles » de l’aveu même des premiers intéressés, président et gouvernement.

S’il y a consensus dans le pays, c’est bien là qu’il se niche : dans la prise de conscience que tout est à refaire dans ce domaine, que ce chantier-là est essentiel, vital, les choses s’étant à ce point dégradées depuis quatre ou cinq décennies qu’on peut craindre de voir sous peu le mammouth sombrer dans un coma dépassé. Il y aurait donc urgence. 

Or, M. Attal avait plutôt bien réussi sa rentrée scolaire. Il disait les choses, nommait les problèmes, annonçait des décisions, cela avec une autorité de ton rassurante. Le milieu semblait l’accepter. Point de menace de grève massive à l’horizon, une rareté qui probablement vaut en soi adoubement. Bref, il pouvait paraître être l’homme de la situation. Les sondages, les enquêtes d’opinion, les baromètres de popularité – toutes évaluations qui ne valent ce qu’elles valent, bien sûr, mais tout de même…- ne traduisaient pas autre chose.

Et c’est bien là que le président aurait pu – aurait dû – voir s’ouvrir devant lui l’opportunité de s’imposer dans l’histoire, sentir qu’il tenait l’occasion d’inscrire dans le marbre de la postérité la trace de ses années jupitériennes.

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Puisque, lors du premier conseil des ministres, qui s’est tenu autour d’une table en réduction – obsession du symbole à deux balles quand tu nous tiens ! – il jugea opportun d’inviter son équipe à se montrer révolutionnaire, que ne s’y est-il invité lui-même ?

Premier Conseil des ministres, le 12 janvier 2024. ©Michel Euler/AP/SIPA

Se montrer révolutionnaire en l’occurrence, c’était affirmer dans les actes, et pas seulement dans le verbe, l’absolue suprématie du chantier Éducation nationale. C’était venir devant le pays et déclarer solennellement que, pour le reste de son quinquennat, il prenait la décision proprement « révolutionnaire » de sanctuariser – oui, sanctuariser ! – le ministère de l’Éducation, cela en commençant par y maintenir à sa tête, pour ce (relatif) long temps, l’homme de débuts si prometteurs. Le rendre intouchable, lui offrir la sérénité et la sécurité indispensables pour conduire une si noble et si difficile tâche. C’était en quelque sorte faire le choix de « laisser le temps au temps », comme il est dit dans Don Quichotte.

Le nouveau cap – ou plutôt le cap après quoi le président court depuis le premier jour – se trouvait ainsi clairement tracé, affirmé. Enfin ! Jules Ferry, Charles Péguy et tant d’autres y auraient applaudi de grand cœur, c’est certain. Le pays aussi, ce n’est pas douteux. Enfin une vision ! Enfin quelque chose de grand ! Enfin quelque chose pour demain, enfin quelque chose pour le pays, la nation ! Quand Colbert faisait planter des forêts de chênes destinés aux charpentes et à la marine, il voyait à cent ans. On n’en demande pas tant. On se serait contenté que l’on regarde un peu plus loin qu’un certain dimanche de juin et le printemps 2027. Raté.

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La communication, c’est un boulot, et Amélie Oudéa-Castéra vient d’en faire la rude expérience

Notre chroniqueur, qui part du principe qu’il faut donner leur chance même aux plus bêtes, avait écrit un article mi-chèvre mi-chou sur Amélie Oudéa-Castéra, sa double casquette et ses déclarations sur les raisons qui lui ont fait placer ses enfants à Stanislas. Mais les révélations qui ont suivi l’ont amené à reconsidérer son point de vue.


On parle toujours trop. Quelle mouche a piqué Amélie Oudéa-Castéra pour qu’en sortie avec Gabriel Attal, elle se lance dans des explications tordues afin de justifier le fait qu’après avoir inscrit ses enfants dans une école publique du VIe arrondissement, elle les avait déplacés à Stanislas, école catholique privée à morale stricte. D’après elle, l’absentéisme des enseignants, jamais remplacés, était la cause première de ce changement.

Il ne faut jamais rien avancer qui puisse être démenti dans l’heure qui suit, ça fait mauvais effet. Elle aurait pu s’en tenir à des questions de commodité — elle habitait rue Stanislas, à deux pas de la cité scolaire homonyme. Ça suffisait. En rajouter sur les carences du management de l’école, c’était risqué, parce que ça ne correspondait pas à la réalité, comme l’a fait remarquer un article de Libé dimanche soir. L’ancienne institutrice du petit Vincent — le seul des trois rejetons à avoir fait un stage d’un semestre à Littré — est sortie de ses gonds : « Je me sens personnellement attaquée. Je n’ai pas été absente et quand bien même cela aurait été le cas, on était toujours remplacé. Il n’y a jamais eu de problème de remplacement à Littré qui est une petite école très cotée. » Affirmation corroborée par les parents d’autres enfants de la même école.

En fait, monsieur et madame Oudéa-Castéra voulaient faire sauter une classe à leur bambin, l’école s’y est opposée pour des raisons pédagogiques, ils ont trouvé un établissement — « Stan » — qui l’acceptait en moyenne section de Maternelle. Fin de l’épisode.

Il est un peu rude, lorsqu’on entre en fonction rue de Grenelle, de pointer les défaillances d’une administration qui depuis sept ans est gérée par la majorité qui vient de vous mettre là. D’autant que Paris est assez bien géré, au niveau Education. Le reproche fait à madame Oudéa-Castéra d’avoir à porter deux casquettes n’était pas très cohérent. Un ministre a des petites mains pour assurer les affaires courantes, et elle s’était assez bien débrouillée au ministère des Sports — un domaine qu’elle connaît mieux que l’Ecole. Elle nous a débarrassé de Noël Le Graet, ce qui n’était pas un mince exploit.

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Mais arriver rue de Grenelle et commencer par balancer des propos immédiatement démentis, après quelques mois où Gabriel Attal avait largement fait la preuve de ses talents de Grand Communicant, ce n’est pas bien adroit. Peut-être devrait-elle se renseigner, s’appuyer sur des collaborateurs informés, prendre le temps d’écouter, et considérer comme de la mousse les propos de Médiapart, qui n’avait au départ rien à se mettre sous la dent, sinon la vendetta que l’agence entretient avec Stanislas, établissement traditionnaliste s’il en fut jamais. Madame Oudéa-Castéra ignore-t-elle la grande règle ? Don’t feed the troll.

La nouvelle ministre n’a jamais enseigné, et ça se voit. Être une ex-bonne élève ne prépare pas à ce métier. En particulier, il ne faut pas rater la première heure. Pour avoir négligé ce principe, cette outre gonflée de vent qu’était Claude Allègre, en 1997, s’est mis la profession entière à dos.

Les salles de profs déjà bruissent de vents contraires à la ministre. Les enseignants sont déjà prêts à faire toutes les grèves que, leur suggèreront des syndicats qui, par définition, testent dès leur arrivée les nouveaux titulaires du poste.

À Rachida Dati on n’a pas grand-chose à reprocher, sinon son amour de la haute couture. Qu’elle soit une femme de droite ne témoigne que d’une chose : il n’y a plus de culture de gauche dans ce pays. Tant pis pour ceux qui croient que Geoffroy de Lagasnerie pense. Depuis Malraux, qui a fait des étincelles rue de Valois ? Pas Lang, quand même…

Madame Oudéa-Castéra tient-elle vraiment à ce qu’on la prenne pour une erreur de casting ? Ou pour une grande bourgeoise intouchable — comme les aristocrates en 1788 ? Elle a fort bien réussi dans le privé. Le public, et l’Education en particulier, c’est tout autre chose. Soit elle l’admet, fait amende honorable et consent à se taire pendant un certain temps, soit la presse, qui n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent en ce moment, depuis que Depardieu et Delon ont été suicidés en place publique, fera ses choux gras de ses faux-pas.

Elle reçoit, ce lundi, les syndicats de l’Education. J’imagine les déclarations préalables que les uns et les autres sont à cette heure en train de peaufiner. Ça va faire mal, et ça va faire du bruit — l’écho des déclarations intempestives de la ministre. Diriger, c’est aussi apprendre à écouter, et se taire quand on n’a rien à dire.

Nicole Calfan, ses monstres sacrés

Éblouissante ingénue à la Comédie-Française et visage bien connu du cinéma populaire, Nicole Calfan a travaillé avec les plus grands comédiens et réalisateurs. Pour Causeur, elle revient sur quelques-unes de ses rencontres les plus marquantes.


Nicole Calfan, c’est cinquante-six ans d’une carrière bien remplie. Comédie-Française, cinéma, théâtre de boulevard, elle va où la passion la mène. Henri Verneuil, Raymond Rouleau, Jean Le Poulain, Jean-Pierre Miquel, Jacques Deray l’ont dirigée, et elle a partagé l’affiche avec Jean Poiret, Olivier Reed, Faye Dunaway, Delon, Belmondo, Depardieu ou encore Ava Gardner !

Nous avons soumis à la comédienne neuf noms qui font partie de la longue liste de ses monstres sacrés. Nicole Calfan aime les souvenirs et la nostalgie. Ça tombe bien !


Causeur. Marie Bell ?

Nicole Calfan. Mes parents la connaissaient. La grande tragédienne de l’époque ! J’avais terminé mes deux années de conservatoire, et le concours de sortie – qui permettait d’entrer à la Comédie-Française si on décrochait un premier prix – n’avait exceptionnellement pas lieu : c’était le printemps 1968 ! Marie Bell rapporta à mes parents que Jacques Charon (sociétaire du Français) cherchait pour la maison de Molière une nouvelle ingénue à faire entrer dans la troupe, et qu’il allait faire passer des auditions. Je suis alléela voir pour qu’elle me donne le numéro de Charon. J’étais très impressionnée. C’était une grande star. Une diva. Un monstre sacré.

J’avais rendez-vous dans sa loge du Théâtre Marie-Bell (aujourd’hui Théâtre du Gymnase). La loge était magnifique, tamisée, sombre même. Partout du velours rouge. Plein de bouquets de fleurs séchées sur les meubles, sur les tables. J’étais fascinée. J’avais l’impression d’être dans la roulotted’une voyante. Les yeux noirs de kohl, fumant une cigarette, elle me dit de sa voix rauque : « Vous êtes très mignonne mon petit. Bon, je ne vais pas vous demander de me réciter quoi que ce soit. Vous avez un physique très harmonieux. Si ça marche, vous serez une ingénue. Vous irez voir Jacques Charon de ma part. » J’ai passé l’audition sur la scène de la Comédie-Française dans le rôle de Rosine, du Barbier de Séville, et j’ai été engagée. Je me suis retrouvée dans le grand bain. Je jouais sept pièces différentes par semaine. Toutes les ingénues du répertoire. Marie Bell a fait mon bonheur, mais je ne l’ai jamais revue…

Fernand Ledoux ?

Quel maître ! Il avait tourné avec les plus grands : Renoir, Decoin, Grémillon, Carné, Duvivier, Guitry… Il a été mon premier professeur au conservatoire. Quand on entrait dans la salle, on disait : « Bonjour maître », et lui répondait systématiquement :« Bonjour kilomètre ». C’était ainsi tous les matins. On adorait ça. Il ne nous apprenait pas grand-chose techniquement, mais on l’écoutait parler, il nous nourrissait. Je l’aimais beaucoup. Plus tard, j’ai demandé à Jean Yanne – avec qui je vivais alors –d’engager Ledoux. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé dans Les Chinois à Paris.

Robert Hirsch et Jacques Charon ?

Duo comique extraordinaire ! À cette époque, l’esprit de la Comédie-Française, c’était eux. J’étais leur petite protégée. C’est grâce à eux que j’ai été si heureuse dans cette maison. Après les représentations, ils m’emmenaient dîner au restaurant, puis en boîte de nuit. Je partais assez tôt, mais eux restaient jusqu’à l’aube.Hirsch – qui était homosexuel – me disait :« Je n’ai aimé que deux femmes : toi et Jeanne Moreau ! » Ils avaient instauréune atmosphère très festive, très joyeuse au sein de la troupe. C’était des années folles. Ils étaient heureux de faire du théâtre, heureux de jouer et ne boudaient pas leur plaisir. J’ai découvert leur incroyable fantaisie en débutant avec eux dans Le Tartuffe. Hirsch jouait Tartuffe et Charon jouait Orgon. Hirsch était un grand clown. Un grand burlesque.

Jeanne Moreau ?

J’ai passé ma jeunesse avec des petits classiques Larousse sur ma table de nuit. Mon préféré, c’était Le Tartuffe, car il y avait les photos de Jeanne Moreau dans le rôle de Marianne. Elle était un modèle pour moi. La première fois que j’ai joué sur la scène de la Comédie-Française, c’était Angélique dans Le Malade imaginaire. Lorsqu’on m’a mis le costume, il y avait écrit sur une étiquette, à l’intérieur, « Mademoiselle Moreau ». C’était le costume qu’elle-même avait porté ! J’étais bouleversée. Le soir de la première, Frédéric Castet (de la maison Dior) a organisé une grande soirée pour fêter mes débuts. Et qui était là ? Jeanne Moreau ! Mon idole. Je cours vers elle, tout émue, et lui dis :« Mademoiselle, mademoiselle ! Je vous admire beaucoup et je viens de débuter ce soir avec l’une de vos robes. » Elle me répond alors sèchement : « Ça me fait une belle jambe ! » et elle part sans un sourire. Terrible déception.

Isabelle Adjani ?

J’ai décidé de quitter la Comédie-Française pour tourner Les Trois Mousquetaires (film de Richard Lester avec Oliver Reed, Faye Dunaway, Christopher Lee et Richard Chamberlain), alors que j’avais encore un projet qui me tenait à cœur. Raymond Rouleau avait proposé de me mettre en scène dans Ondine de Giraudoux. J’avais même choisi mon partenaire : Jean-Luc Boutté. Mais je suis quand même partie et n’ai pas honoré ce merveilleux projet. C’est Adjani qui a hérité du rôle. Et ce fut un énorme triomphe ! Avec Ondine, Adjani estdevenue Adjani. Une révélation. Je garde le souvenir d’une très grande actrice. Une grande puissance émotionnelle. Nous étions très complices et partagions la même loge. Je me souviens que le sol était jonché de scénarios, car bien que pensionnaires au Français, nous avions déjà toutes deux commencé à tourner au cinéma. En quittant définitivement cette loge, j’aiécrit un mot sur le miroir, au rouge à lèvres : « Je vous laisse Ondine, prenez-en soin… »

Avec Alain Delon, dans Le Gang de Jacques Deray (1977). DR.

Alain Delon ?

Delon, c’est mon Delon. C’est tout ! J’étais allée passer des essais pour Borsalino. Deray, Delon et Belmondo étaient assis chacun dans un fauteuil. C’était impressionnant. J’ai fait quelques essais très furtifs et ils m’ont engagée. Lorsque j’ai vu que le tournage se déroulerait à Marseille, j’ai tout de suite appelé Delon pour lui dire qu’il me serait malheureusement impossible de faire le film, car je jouais L’Avaretous les soirs au Français. « Mademoiselle, vous avez ma parole d’homme que vous serez tous les soirs à l’heure à la Comédie-Française », me répondit-il. Je l’ai fait. Je jouais le soir à Paris, je prenais ensuite le premier avion pour Marseille vers six heures du matin, on venait me chercher à l’aéroport, on m’emmenait à Cassis, je tournais et, vers 17heures le chauffeur de Delon me ramenait à l’aéroport. Çaa duré comme ça pendant trois semaines. Quand j’arrivais à Paris, je me dépêchais pour être à l’heure au théâtre. Ce qui m’a sauvée, c’est que Marianne n’entre qu’au troisième acte ! Je courais dans les couloirs, j’enfilais vite ma robe, je me précipitais en scène et disais ma première réplique : « Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état… »

Sur le tournage, Delon et Belmondo étaient adorables avec moi. J’avais de nouveau sous la protection de deux stars, comme au Français, avec Hirsch et Charon. J’aime tellement Delon que j’ai écrit un livre sur lui, Lettre entrouverte à Alain Delon. C’est un grand amour. Il a dit un jour au Parisien :« J’ai eu deux amours platoniques dans ma vie. Un avec Bardot, et un avec Calfan. » J’ai ensuite tourné avec lui Le Gang et Franck Riva. On a souvent essayé de ternir son image, il a toujours suscité beaucoup de jalousie. Bien sûr que c’est un homme sombre, avec un passé douloureux, avec de la délinquance même. Delon, c’est beaucoup de souffrance, mais c’est un homme droit, respectueux, fidèle. Et puis, surtout, c’est un immense acteur. Et un passionné de cinéma. Il s’est beaucoup investi, financièrement même, il a aidé et produit de grands réalisateurs comme Joseph Losey. On disait qu’il était dur. C’est vrai qu’il était dur avec les réalisateurs, il intervenait beaucoup… « Non ! Il ne faut pas mettre la caméra comme ça ! Il faut la mettre comme ça ! » Mais souvent… il avait raison ! Alain Delon est le dernier monstre sacré du cinéma. Le dernier grand mythe vivant.

Jean Poiret ?

Tyran sanguinaire et acteur de génie ! J’ai joué pendant trois ans Joyeuses Pâques avec Jean Poiret et Maria Pacôme, pièce dont il était l’auteur. Je venais de quitter la Comédie-Française, mais c’est à ses côtés que j’ai tout appris. Mais quelle souffrance ! Quelle douleur ! Il n’était jamais content de ce que vous faisiez. Il me cassait sur scène en me disant à voix basse : « C’est nul ! Allez ! Du rythme, du rythme, du rythme ! » Il faisait sans cesse des remarques. C’était épuisant, déstabilisant. Heureusement que j’avais de très bonnes critiques. Mais je n’en pouvais plus. Un jour, au bout de trois ans, sans prévenir personne, j’ai décidé de ne pas aller jouer. Je me suis dit : ça suffit de souffrir comme ça ! Ce n’est pas normal. Ils m’ont attendue en vain et la représentation a dûêtre annulée. Voilà comment ça s’est terminé.

Dix ans après, Poiret m’a proposé une pièce dont il était l’adaptateur. Il ne m’en voulait pas. Et moi non plus, je ne lui en voulais pas. Il était comme ça, car il était angoissé, perfectionniste. Il se faisait du mal à lui-même, mais c’était un génie d’une puissance comique incroyable. Un rythme d’une précision mécanique. Un virtuose. Et j’insiste pour dire que Poiret était aussi un grand auteur !

Avec Dirk Bogarde, dans La Trahison de Cyril Frankel (1975).

Dirk Bogarde ?

Rencontre incroyable pour un navet ! Le film que nous avons tourné ensemble était très mauvais. La Trahison, avec Ava Gardner également, et Timothy Dalton (avant James Bond !). Ava Gardner était encore très belle, mais elle buvait beaucoup. Elle ne pouvait tourner que le matin. Durant le tournage en Autriche, Dirk et moi sommes tombés amoureux. Il était homosexuel, mais nous avons eu un grand amour platonique jusqu’à sa mort. À la fin du tournage, il m’a dit : « J’ai aimé deux femmes.Charlotte Rampling pour un chef-d’œuvre, et vous pour un navet. »

Michel Fau ?

J’ai retrouvé avec Michel Fau ce que j’ai connu avec Hirsch et Charon. Avec lui, c’est le respect des acteurs, l’exigence, la fermeté, le travail. Michel Fau, c’est ce que le théâtre peut faire de meilleur. Lorsqu’en 2019 j’ai joué Le Tartuffesous sa direction, j’ai eu l’impression de me retrouver à la Comédie-Française de ma jeunesse. Il avait constitué une troupe digne des grandes heures du Français. Il y avait notamment Michel Bouquet et Christine Murillo, et les magnifiques costumes de Christian Lacroix. J’ai aussi joué cet été Le Vison voyageur, à ses côtés et sous sa direction. Avec lui, c’est le théâtre que j’aime, celui qui me fait rêver. Grâce à Michel, j’ai retrouvé ma famille de théâtre. C’est un grand homme de spectacle. Un vrai.

Nicole Calfan campe Elmire dans Le Tartuffe de Michel Fau, octobre 2017. Photo: Marcel Hartmann

Pour finir, une question qui n’a rien à voir avec le reste. Vous vous êtes toujours déclarée féministe. Vous avez été l’une des plus belles femmes du cinéma de votre génération. Avez-vous eu, dans votre carrière, peur des hommes ? Sentiez-vous être une proie ? Et que pensez-vous de l’époque #MeToo ?

Je n’ai jamais été agressée, ni harcelée. Non, je n’ai jamais été terrorisée par les hommes. Le seul à m’avoir serrée de trop près, c’est Pierre Grimblat. J’avais 16 ans. Je lui ai filé une bonne baffe et ça a été terminé. Je n’ai pas fait le film qu’il me proposait, et ça m’a fermé quelques portes. Mais c’était mon choix ! Je pense que dans la majorité des cas, si une femme ose dire non, c’est non. Et ça s’arrête là. Moi, je ne serais jamais montée dans la chambre d’un producteur. Je défends les femmes battues ou violées. Mais on est obligé de constater aussi que la plainte pour agression sexuelle devient un outil de chantage et de vengeance. Avec cela, même sans aucune preuve, on peut détruire une réputation et mettre au ban de la société n’importe qui. C’est terrifiant.

Dati à la Culture. Moi, je n’oublie pas la culture… d’entreprise

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Notre chroniqueuse salue l’arrivée de Rachida Dati, son amie, au ministère de la Culture, avec laquelle elle venait de découper la galette des rois de son organisation patronale, sans que les deux connaissent encore la nouvelle destination de l’ancienne garde des Sceaux et porte-parole de Sarkozy…


L’univers de la culture est un monde qui a totalement changé, et, en ce sens, nommer Rachida Dati ministre de la Culture en est une forme de prise de conscience. La culture aujourd’hui ne se résume pas à l’Académie française même si Jean-Marie Rouart se réjouit de l’apparition de cette nouvelle ministre lumineuse à la forte personnalité, multi-facettes, énergique, n’ayant peur de rien ni de personne, ni des auteurs classiques ni des rappeurs ! Faire bouger la culture c’est essentiel. C’est le signe qu’elle se développe quelles que soient ses formes.

Et la culture d’entreprise ? Elle n’est jamais évoquée et c’est pourtant un des socles contributifs à la fois d’une éducation, d’un apprentissage, d’une curiosité et de la reconnaissance de la valeur des hommes et du travail. Rachida Dati a été une des premières à soutenir la « Fête des Entreprises », un fervent soutien. À cette occasion, à la Mairie du 7ème se rencontraient les grands auteurs du moment dans un salon du livre… précédé traditionnellement d’un cours de yoga pour les salariés du quartier !

Alors il y a déjà les ronchons, les tradis, les aigris qui radotent sur le quiz qu’ils pourraient lui faire passer comme ils l’avaient déjà fait pour Fleur Pellerin, une de ses prédécesseurs. On aime bien, en France, faire passer des examens (sauf aux élèves !) et à l’époque on avait espionné en ricanant les titres des livres qui figuraient dans les étagères de son bureau, et même la musique qu’elle écoutait. On parie que les pièges vont fleurir pour dire qu’elle est inculte comme on en avait fait courir le bruit pour Nicolas Sarkozy…

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Mais surtout, Paris devrait y gagner car la ministre de la Culture a son mot à dire sur nos monuments et ce qui contribue à l’embellissement de la capitale, ouf ! et puis si elle n’a pas son mot à dire, personne ne pourra l’empêcher de le dire !  Le président de la République a annoncé qu’il voulait des révolutionnaires, c’est une très bonne chose car nous en avons une qui a été nommée. Il faut que les révolutionnaires changent de camp et fassent la bonne révolution, pas celle des grèves permanentes, des intermittents du spectacle la revendication bave aux lèvres à la moindre occasion, pas celle des personnels qui nous font assister à l’opéra sans décors, des fonctionnaires de l’art… Rachida Dati est probablement une chance pour dépoussiérer beaucoup de choses même si elle n’a pas fait son discours de passation de pouvoir en alexandrins comme celle à laquelle elle succède.

Mesdames de Menthon et Dati. DR.

Mais est-ce une chance pour elle ? Soyons conscients que c’est un terrible défi, qu’elle va essuyer les protestations, les manifestations, la résistance au changement, la fonctionnarisation de la culture, qu’on va attendre qu’elle fasse ses preuves à chaque instant… On veut Mauriac ? mais que diraient les jeunes d’une Mauriac aujourd’hui pour les entrainer et les comprendre ? Rachida Dati a accepté le portefeuille avec la plus grande prise de risque et que des coups à prendre…un défi beaucoup plus profond qu’on ne l’imagine. Chapeau déjà pour cela !

Un si noble divertissement…

En janvier 1982 sortait sur les écrans français « Tout feu, tout flamme », une comédie bondissante de Jean-Paul Rappeneau avec Yves Montand et Isabelle Adjani, en père et fille.


C’est quoi un bon film ? Une œuvre d’art, un témoignage coup de poing, de l’action, des rires, du sexe, un rêve éveillé, la découverte d’un monde parallèle, des cris, des pleurs, une dénonciation, une lumière, une atmosphère, des dialogues, des silences, des gueules, des ombres, etc… A cette question, il y a autant de réponses que de sensibilité et d’aveuglément différents. Selon les goûts de chacun, le cinéma nourrit et fausse la représentation du réel.

La comédie de divertissement soignée, élégante, pleine d’entrain

Contrairement à certains de mes confrères qui plébiscitent la veine noire et défaitiste, la comédie sociale culpabilisante et maniérée, ou pis, le huis clos accusateur, ridiculement obséquieux, je préfère le rigodon, un tempo vif et entraînant, la légèreté des sentiments qui vient fouetter l’apathie d’un dimanche après-midi, le cadre léché, la ligne claire, des silhouettes bien dessinées, un certain confort bourgeois de visionnage en somme, le tangage m’indispose, le procès me rebute. Je déteste être la marionnette d’un réalisateur sournois qui va déverser sur moi, ses haines et ses rancunes, ses problèmes et ses lacunes. Qu’il conserve ses tourments intérieurs pour son cercle familial ou les professionnels de santé. Je ne suis pas son cobaye.

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C’est pourquoi le divertissement m’a toujours séduit, d’où mon admiration pour l’œuvre de Philippe de Broca. Bien peu de réalisateurs ont le courage, l’honnêteté, l’intelligence, le tact, le savoir-faire pour s’engager dans cette voie-là. Revendiquer le divertissement, c’est s’exclure des cénacles autorisés et se parjurer dans le comique. Car, pour les cinéphiles, la frontière est ténue entre le divertissement et la daube, entre le film sans prétention artistique et le produit commercial insane, entre le rire et le proxénétisme. Ces gens-là ne savent pas voir, ni entendre, tellement ils sont bunkerisés dans leurs certitudes. Je regrette le temps où la comédie de divertissement soignée, élégante, pleine de petits miracles et d’entrain, de ce charme indéfinissable que l’on pouvait tout de même résumer en un seul mot : le respect, réunissait deux millions de spectateurs. Respect du public. On ne voulait pas le décevoir et étonnamment, on ne le draguait pas à tout prix. On lui offrait un spectacle complet de qualité, c’est-à-dire une histoire et ce mot devenu aujourd’hui honteux, une intrigue, des caractères, des situations, des variations, une fluidité narrative, une bonne humeur teintée de mélancolie, une capsule où les emmerdes du quotidien et la vacuité des existences s’évanouissaient. Un refuge. Prenons « Tout feu, tout flamme » de Jean-Paul Rappeneau, sorti en janvier 1982, comme exemple de ce noble divertissement. Il a tout pour contrarier les rances de la pellicule, une grosse production, deux vedettes au sommet de leur art déclamatoire, la présence d’un mannequin international, une partition signée Michel Berger, des décors conçus par Hilton McConnico, un tournage « riche », un casino en ruine, des méchants en Cadillac, un acteur suisse fascinant de roublardise et ce plaisir non feint de s’amuser, de s’évader, de se laisser emporter par les relations tumultueuses d’un père et d’une fille. Je défie quiconque de résister à cet élan-là. Il est salutaire.

Quand la beauté n’était pas un crime

« Tout feu, tout flamme » balaye les aigreurs de janvier, par sa fantaisie et sa tendre décrépitude, il déconsidère les gesticulations de l’actualité. Après avoir vu Montand et Adjani, les intrigants aperçus sur les perrons ou les plateaux de télévision vous paraissent minuscules et dérisoires. Sans éclat. Sans fond. Sans aspérité. Des mécaniques inutiles. Parce que je ne connais rien de plus émouvant qu’Isabelle dans ce rôle de polytechnicienne au visage de madone, la beauté n’était pas un crime au début des années 1980, c’était encore un don du ciel. Dans sa rigueur érotique de conseillère ministérielle, Isabelle court, s’époumone, tombe de vélo, conduit une Alfa Romeo dans un trou d’eau, prend un hélico, calcule à la vitesse de l’éclair, fait office de mère pour ses sœurs et demeure cette éternelle ambitieuse triste. Jamais bicorne n’aura été mieux porté que par Adjani. Moi, d’habitude si critique avec le jeu exagérément personnel de Montand, je le trouve ici presque dans la retenue, sur la réserve, dans un bel équilibre, loin de sa caricature agaçante. Jean-Luc Bideau affiche une veulerie jubilatoire, en souffre-douleur, il est insatiable. Souchon qui ne s’aime pas trop en acteur, avait tort. Il a un air moins ahuri et son esprit moqueur se déploie avec aisance. Lauren Hutton, tout juste auréolée du succès d’« American Gigolo » est la caution californienne du moment alors qu’elle est née en Caroline du Sud. Sur le bord du Lac Léman, ses dents du bonheur sont aussi sensuelles qu’en couverture de Vogue. La force de ce divertissement-là est sa permanence mémorielle. Il est loin d’être éphémère. Il instille en nous une nostalgie non revancharde et non victimaire. Peut-être, une attirance lucide pour une forme de bonheur perdu. 

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Mais comment la France issue du 7-Octobre va-t-elle commémorer le 80ème anniversaire du Débarquement?

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Gaza, 1 er janvier 2024 © IDF/GPO/SIPA

Si les hommes qui nous gouvernent aujourd’hui avaient été aux commandes il y a 80 ans, le Jour-J aurait à coup sûr été annulé. Et nous nous trouverions encore sous la botte nazie. 


Parmi les divers fronts qui attendent en 2024 la France issue du 7 octobre, une France qui a choisi de tout entreprendre pour discréditer la riposte existentielle d’Israël contre un totalitarisme islamiste qui tue aussi sur son propre territoire, une France rivée à ses hypocrites injonctions contradictoires – défendez-vous, mais cessez le feu ! –, il en est un que nous n’avons guère anticipé : le front commémoratif. En effet, comment allons-nous faire pour célébrer dans l’honneur, si tant est que ce mot ait encore un sens, le 80ème anniversaire du Débarquement de juin 1944 ? Une date qui, pour les Français, symbolise à elle seule le début de la Libération et allait permettre à la patrie déchue d’être admise au banquet de la victoire au lieu de se voir imposer un protectorat honteux, comme l’Allemagne et l’Italie. Le problème s’annonce épineux.

Il me taraude à titre personnel, la guerre m’ayant surprise à Jérusalem alors que j’achevais la biographie d’un de nos superbes Compagnons de la Libération, le jeune philosophe André Zirnheld (1913-1942), un des premiers rebelles de l’an 1940. Tombé à 29 ans dans le désert de Libye, lui n’a pas pu se joindre à « la bataille suprême », comme l’appelait de Gaulle, à l’instar d’autres fils de cette France libre et debout, dont il était, et qui auront l’honneur de déferler sur les plages de Normandie pour le « choc décisif et tant espéré ». Une France combattante qui n’entendait pas déclarer la paix aux nazis, contrairement à celle de juin 1940 ou de 2023. Ou quand les cataclysmes historiques transforment des leaders jusque-là considérés comme raisonnables en pantins inconsistants. Comment publier ce livre en 2024 sans avoir le sentiment de participer à une mascarade ?

20 000, ou le nombre de victimes civiles du Jour-J

Pourquoi rapprocher juin 1944 et octobre 2023 ? Dans les deux cas, une guerre sans merci, une guerre de survie, une guerre juste contre un ennemi aussi puissant que redoutable avec lequel aucun modus vivendi n’est possible. Ici, un combat visant à libérer l’Europe de l’hydre nazie, là à se libérer d’une menace analogue, portée par une organisation terroriste et totalitaire nourrissant un objectif identique : l’extermination des Juifs et rien d’autre. Un programme d’ailleurs largement inspiré du nazisme, avec lequel les Frères musulmans s’étaient alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Un héritage toujours vivace à en juger par les exemplaires de Mein Kampf en arabe retrouvés cet automne dans les tunnels de Gaza ou encore par l’IPad de cette petite fille avec Hitler en fond d’écran, découvert à la mi-janvier. Surtout, comment fêter cette fois le Jour-J en ayant à l’esprit le terrible bilan humain induit par les raids aériens que les Alliés ont dû mener sur la Normandie à l’été 1944 – à l’instar des Israéliens en 2023 – pour assurer le succès du Débarquement ? Et pour que « derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes », réapparaisse « le soleil de notre grandeur », disait encore de Gaulle ? 20 000 victimes collatérales seront à déplorer parmi les Français. Une tragédie qui, jusque-là, ne nous avait pas empêché de célébrer le 6 juin 1944 comme un fait d’armes majeur.

Ce lourd tribut, généralement considéré comme un drame inévitable par les historiens, le fut aussi par nombre de malheureux en temps réel, qui n’hésitèrent pas à protéger leurs libérateurs une fois au sol. À l’aune des surréalistes critères appliqués à l’Etat hébreu en 2023, il faudrait cependant innover et peut-être tout repenser. Cohérence oblige. Ne conviendrait-il pas d’y voir désormais la plus grande catastrophe humanitaire que la France ait jamais connue, un carnage dû à un usage « disproportionné » de la force, bref, un massacre éhonté ? Transformer les villes normandes en champs de ruines et en « cimetières d’enfants », comme dirait le secrétaire général de l’ONU, est-ce acceptable ? Et si on requalifiait « le Jour le plus long » de jour le plus noir de notre histoire ?

Et le bilan de la guerre à Gaza ? Un « crime contre l’humanité »

Trois mois après le plus grand crime de masse commis contre des Juifs depuis la Shoah – mais à l’évidence, Auschwitz n’oblige plus grand-monde –, l’opinion occidentale n’a donc plus qu’un chiffre invérifiable, mais idéalement accusateur et presque jubilatoire à la bouche : plus de 20 000 victimes « innocentes » à Gaza, enfin selon l’estimation fournie par le Hamas. À condition bien sûr d’inclure parmi ces innocents quelque 9 000 terroristes armés jusqu’aux dents, dont des cerveaux et des assassins du 7 octobre, neutralisés au fil de féroces combats urbains. À condition aussi d’imputer à Israël les morts dus aux quelque 15 000 roquettes tirées par le Hamas, dont deux sur dix retombent dans l’enclave, soit autour de 1 500. Et à condition de faire comme si l’écrasante majorité des victimes n’était pas due à l’abjecte stratégie du Hamas qui consiste à transformer les Gazaouïs en boucliers humains en installant de façon systématique l’ensemble de ses infrastructures de guerre sous des infrastructures civiles. De fait, il n’est pas un hôpital, un dispensaire, un jardin d’enfants, une aire de jeux, une zone humanitaire sécurisée, une mosquée ni une école financée par l’UNWRA, c’est-à-dire par nos impôts, qui à Gaza n’abrite en sous-sol ou dans ses murs des batteries lance-missiles, des entrepôts d’armes et de munitions, des fabriques d’explosifs, des stocks de provision ou des QG opérationnels, les puits des tunnels débouchant en général dans les salles de classe, les halls d’immeubles et parfois même sur les parkings des hôtels où sont logés les journalistes…

A lire ensuite, Jeremy Stubbs: Génocides à la carte

De l’aveu même de terroristes arrêtés après le 7 octobre, la tactique est payante : « Nous aimons la mort, les Juifs aiment la vie et rechignent à bombarder ces sanctuaires : c’est leur point faible, nous l’exploitons et l’Occident relaie ». Une pratique qui, à cette échelle et à ce degré de cynisme, relève du jamais-vu. On feindra bien sûr d’ignorer que le Hamas interdit à sa population tout accès à ses 800 kilomètres de tunnels (soit plus que la distance qui sépare Paris de Marseille) pour s’y abriter en cas de frappes. On fera comme s’il ne s’employait pas à empêcher les familles d’évacuer, d’où ces routes de l’automne 2023 à Gaza jonchées de cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens n’ayant pas respecté la consigne. Et comme si le Hamas ne pillait pas les trois quarts de l’aide humanitaire au profit de ses combattants, revendant le reste à prix d’or sur les marchés, d’où la crise alimentaire.

La méthode est simple, assumée et elle fonctionne à tous les coups : « Le sang de nos martyrs pave la voie de la victoire », se vantent les terroristes. Plus il y a de morts, plus il y aura d’idiots utiles ou de pervers subtils de par le monde pour incriminer l’Etat juif et se faire ainsi les complices objectifs de la barbarie islamiste. Ce pourquoi Israël tente précisément de minimiser les pertes quand le Hamas s’efforce de les maximiser pour accroître la pression internationale sur leur ennemi juré. Quant à la question de savoir pour quelles obscures raisons le souci humanitaire ne se déchaîne que lorsqu’il s’agit de condamner l’Etat hébreu – les 400 000 morts dus à la rébellion des Houthis au Yémen n’ont jamais fait descendre quiconque dans la rue –, l’énigme reste entière.

Mais passons sur ces détails. 20 000 victimes, donc, sans parler des destructions matérielles : un crime contre l’humanité ! Depuis quand ne cède-t-on pas à la monstrueuse tactique des terroristes qui vise justement à saper la riposte ? « Tout vaut mieux que d’être mis hors de combat sans combattre », affirmait de Gaulle le 11 juin. Depuis quand l’armée d’un pays sauvagement attaqué et humilié, un peu comme la France en juin 1940, se permet-il de frapper son agresseur de façon intensive afin de dégager des voies d’accès à ses troupes terrestres au lieu de les envoyer à l’abattoir ? Pourquoi pas allumer des bougies, comme on sait si bien le faire en France après chaque attaque, en attendant la suivante ? Un pur scandale, à croire qu’il n’y a que les Juifs pour faire une chose pareille. De quoi les traîner devant la Cour internationale de justice de La Haye pour… « génocide », comme vient de le faire l’Afrique du Sud. Et les Européens n’ont évidemment rien dit, à l’exception de l’Allemagne et de la Hongrie. L’argument de la légitime défense ? Refusé au motif qu’Israël, qui s’est retiré de Gaza en 2005, l’« occuperait » toujours… C’est que ce drôle d’occupant entendait contrôler les marchandises autorisées à entrer dans l’enclave. Pour désespérer ses habitants ? Non, pour éviter que le Hamas n’accumule d’immenses moyens d’attaque visant à l’anéantir. Le ciment pour la reconstruction ? Israël, dans son ignominie, l’a autorisé : il a servi à bâtir une imprenable forteresse souterraine. Les tuyaux destinés aux canalisations ? Aussitôt détournés pour fabriquer des missiles…

Normandie, été 1944 : tapis de bombes et champs de ruines

Gaza, 2023 – Normandie, 1944. Petit exercice de transposition. 20 000 Normands, dont 8 000 dans le Calvados et environ 4 000 dans la Manche, ont donc péri sous les tapis de bombes, de surcroît « amies », largués par les Alliés avant et après le D-Day. Sans parler des flots de blessés et de déplacés. En quelques jours, une dizaine de villes, autant de nœuds routiers, comme Pont-l’Evêque, Avranches ou Alençon, ne sont plus que décombres. Et sous les décombres, des femmes et des enfants. Un bain de sang. Evrecy perd un tiers de ses habitants, Caen déplore 2000 morts et Rouen 1000 pour la seule journée du 19 avril 1944.  Lisieux et Falaise sont détruites à 75% ; Villers-Bocage à 88%, Vire à 95%. Plus un édifice debout. Les photos de l’époque parlent d’elles-mêmes : la Normandie ou Gaza puissance dix. Saint-Lô, surnommée la « capitale des ruines », est rasée à 95%. Et Evreux verra son centre-ville réduit en poussières dès le 13 juin. Un calvaire qui ne se terminera que début septembre avec le Havre, écrasé sous 12 000 tonnes de projectiles et rasé à 82%. Quant aux ports de l’Atlantique, comme Brest, Saint-Nazaire, Lorient ou Royan, ils seront eux aussi dévastés à plus de 80%. Des scènes d’apocalypse. Au total, les bombardements alliés sur l’Hexagone entre 1940 et 1945 ont coûté la vie à 75 000 innocents, dont 40 000 pour la seule année 1944, soit la première cause de mortalité pendant la guerre.

Il y a donc un hic. Si les hommes qui nous gouvernent aujourd’hui avaient été aux commandes il y a 80 ans, le Jour-J aurait à coup sûr été annulé. Et nous nous trouverions encore sous la botte nazie. Imaginons un instant que le président Emmanuel Macron ait été à la manœuvre lors des préparatifs du Débarquement. Il se serait insurgé : frapper les défenses adverses pour permettre aux soldats d’avancer ? Perturber les voies de communication afin d’entraver l’acheminement des renforts allemands sur les plages ? Mais à quel prix ? Vous n’y pensez pas ! se serait-il sans doute indigné. Considérer comme des cibles tout ce qui permet à Hitler de faire la guerre, y compris en zones urbaines : industries, gares, dépôts d’armements, batteries côtières, ponts, routes, voies ferrées, ateliers de réparation, installations portuaires…  Et si les populations devaient en pâtir ?

« La bataille suprême » : disproportionnée et immorale !

En juin 1944, le général de Gaulle se serait-il soustrait à son plus élémentaire devoir en invitant ses Français libres, dont une centaine de pilotes, à mener la bataille « avec fureur » et à « détruire l’ennemi qui écrase et souille la patrie » ? Il conviendrait d’examiner la chose de près : cet impitoyable général n’a manifestement pas hésité à « cibler » et sacrifier des milliers de ses compatriotes. Et si on le jugeait par contumace pour « crimes d’atrocité », selon la jolie formule d’une commissaire européenne à propos de Gaza ?

Ce serait innovant : le procureur rappellerait qu’en pleine offensive terrestre – âpre, meurtrière et incertaine, comme le fut la Bataille de Normandie –, « préserver les civils constitue une nécessité non-négociable » devant primer sur toute autre considération, assénait déjà le président français lors de la conférence humanitaire de Paris, début novembre. En juin 1944, certains, dans l’entourage de Roosevelt, auraient également pu voir dans le D-Day « une réponse militaire disproportionnée, immorale et contraire au droit international ». Et, de là, appeler le Congrès à « rejeter le financement des opérations » au motif que « les contribuables américains ne sauraient être complices de la destruction de vies d’hommes, de femmes et d’enfants », ainsi que le réclamait le démocrate américain Bernie Sanders à l’encontre d’Israël ce 3 janvier 2024. On l’a échappé belle…

Serions-nous devenus plus civilisés ? À propos du rôle dévolu à l’aviation dans la plus grande opération amphibie de l’histoire, le général Eisenhower remarquait que « si ces mains s’en trouvaient à être liées, les périls d’une entreprise déjà hasardeuse en seraient fortement renforcés ». Lier les mains de l’Etat juif, surtout quand il emporte bataille sur bataille sur le terrain, tel est pourtant le vertueux objectif « humanitaire » que s’est fixé la communauté internationale à l’encontre du seul avant-poste du monde libre au Moyen Orient. En décembre déjà, les Israéliens étaient engagés sur six fronts : contre le Hamas au Sud, le Hezbollah au Nord, les terroristes de Cisjordanie à l’Est, la Syrie, le Yémen en mer Rouge et l’Irak. Plutôt que de se porter à leur côté, l’Europe a au contraire jugé bon, au fil d’un marathon onusien insensé, d’ouvrir un septième front. Et de voter une résolution réclamant l’arrêt des hostilités, autrement dit la disparition de l’Etat juif, prié de se coucher face à ses ennemis mortels.

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Aux Israéliens agressés, on intime à tout bout de champ l’ordre de « cesser le combat », comme disait Pétain. Aux agresseurs islamistes, on ne demande rien. La France aurait pu faire un autre choix. Début décembre, alors que des centaines de terroristes commençaient à se constituer prisonniers, elle aurait pu dire à leurs chefs : « Rendez-vous, libérez les otages, cessez cette folie et demandez pardon ! À votre peuple d’abord, que vous entraînez dans l’abîme. À l’Occident ensuite pour avoir détourné en faveur de votre machine de guerre les milliards d’euros que nous déversons depuis près de vingt ans dans votre enclave, des sommes gigantesques censées transformer Gaza en Singapour du Moyen-Orient. Nous raisonnions à l’occidentale, comme les Israéliens, et nous nous sommes trompés car on l’a compris ce 7 octobre, vous vous moquez du développement économique et social de votre fief, seule vous important la destruction pure et simple d’Israël. Ne comptez plus sur notre complicité, elle se révèle déjà assez embarrassante ». On a trouvé plus digne de prolonger par d’autres moyens le joyeux labeur du pogrom entamé le 7 octobre, ainsi passé de local à mondial – d’où l’éclatement du tout premier pogrom planétaire de l’histoire.

Détruire l’ennemi ? Cruels libérateurs

S’en sortira-t-on en avançant, à l’avantage des Alliés, qu’à l’époque, les frappes étaient forcément moins précises ? Sauf que cet argument se trouve largement compensé par le fait que Tsahal opère sur le pire théâtre qui soit. Un cas unique dans les annales de l’histoire militaire. Car Gaza ne désigne pas un territoire où des équipements guerriers seraient disséminés par-ci par-là, mais une zone entièrement transformée en gigantesque et tentaculaire mégalopole de la terreur, en sous-sol comme en surface. Une base terroriste à l’échelle d’une province. D’où des ennemis invisibles et insaisissables, sortant de terre comme des rats pour attaquer avant de rentrer dans leurs tunnels, souvent enfouis à 20 ou 50 mètres, assez larges pour laisser passer des véhicules, dotés du confort le plus moderne (électricité, système de ventilation, ascenseurs, etc.), le tout sur plusieurs étages dûment protégés par des fortifications en chair et en os. Même les nazis n’y avaient pas pensé !

Comment les Alliés auraient-ils procédé si la Bataille de France les avait placés face à un tel défi ? Pour épargner les populations et limiter les dommages collatéraux, auraient-ils mis sur pied un régiment spécial dont l’unique vocation est de prévenir les populations en larguant des millions de tracts pour les inviter, avant les frappes, à déserter les lieux visés ? À la télévision israélienne, un présentateur du soir montrait ainsi sur une carte les zones de l’enclave devant être ciblées le lendemain, des flèches indiquant les voies à emprunter pour évacuer, des avertissements également envoyés par SMS ou par téléphone, quitte à compromettre l’effet de surprise. Une scène plutôt inédite par temps de guerre. Pour permettre aux Français, aux administratifs allemands ou aux familles des soldats d’occupation de s’éloigner avant les bombardements, on ne sache pas non plus que Churchill et Roosevelt aient songé à dépêcher des unités avec pour mission de s’interposer par les armes entre ces foules et, en face, d’éventuels tueurs SS chargés, comme à Gaza, de pilonner les colonnes pour les dissuader de se mettre à l’abri. On n’a pas non plus souvenir que des corridors à destination des civils, français ou allemands, aient été envisagés en Normandie. Et ces milliers de camions d’aide humanitaire (plus d’une centaine par jour à Gaza) à destination de l’adversaire, une aide dont la distribution est contrôlée par le Hamas et dont la portée tactique peut se révéler fatale à Tsahal ? En 1944, rien non plus de la sorte. De Gaulle n’a pas pensé à mobiliser la Croix-Rouge ni à consentir à des « trêves » de charité de façon à ce que l’ennemi, « prêt à tout faire pour échapper à son destin », se refasse une santé. Il est assez rare qu’un belligérant, qui a en principe intérêt à mettre son adversaire à genoux, accepte d’entretenir son effort de guerre en lui permettant de reconstituer quotidiennement ses stocks de carburant, de vivres et de médicaments. Force est de l’admettre, Tsahal fait comparativement beaucoup mieux que les cruels libérateurs de juin 1944.

Alors comment la France de l’après 7 octobre, c’est-à-dire de juin 1940, va-t-elle s’y prendre pour commémorer en grande pompe les 80 ans d’un Débarquement en forme de « massacre », d’inadmissible « carnage » humanitaire, du moins à suivre les critères appliqués à Israël en 2023 ? Il y a trois options : se ressaisir, décréter le 6 juin 1944 jour de deuil national ou se livrer une fois de plus à une opération en trompe-l’œil relevant de l’art pour l’art. Le genre de manœuvre « à laquelle les Français attachent une importance d’autant plus grande qu’elle ne dupe personne, même pas eux-mêmes », écrivait le colonel de Larminat dans ses Chroniques irrévérencieuses. Mais quelle importance puisque les uns ne s’en apercevront pas et que les autres se tairont ?

Le Compagnon de la Libération André Zirnheld doit, lui, se retourner dans sa tombe… D’autant que sans l’extraordinaire soutien apporté par les pionniers de Palestine mandataire aux jeunes déserteurs français du Levant ayant rallié de Gaulle à l’été 1940, ces derniers auraient été tragiquement seuls. Comme Israël aujourd’hui.

Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ?

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Famille, je vous hais

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D.R

La version préliminaire de l’édition hollandaise du nouveau livre du journaliste Omid Scobie avançait que c’est Charles III et Kate Middleton qui auraient tenu des propos racistes envers Meghan Markle.


En 2020, le journaliste britannique Omid Scobie, très proche de Meghan Markle et de son mari, le prince Harry, a eu un beau succès en tant que co-auteur d’un best-seller flatteur consacré au couple royal, Libres. Son nouveau livre, sorti en novembre, devait à la fois reproduire le succès du précédent et dépasser la sphère des mondanités pour entrer dans celle de la politique. Fin de règne : où va la monarchie britannique, les derniers scandales révélés promettait d’ébranler la maison Windsor. Dans son brûlot, l’auteur n’hésite pas à qualifier cette dernière « d’entreprise familiale instable » et « d’institution en déclin ». Il présente toujours Harry et Meghan comme les victimes angéliques d’un « système desséché », tandis que le roi Charles III, le prince William et la princesse Kate sont caricaturés en méchants d’un film Disney : machiavéliques, conspirateurs et sans cœur. La clé de voûte de la construction de Scobie est l’accusation de racisme portée contre un membre de la famille royale par Harry et Meghan lors d’une interview avec Oprah Winfrey en 2021. Cette personne aurait spéculé sur la couleur de peau éventuelle de leur fils à naître.

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Le livre de Scobie réitère cette accusation, en la portant contre deux membres de la famille qui ne sont toujours pas nommés – selon lui, par pure délicatesse. Pourtant, après la sortie du livre, on s’est aperçu que l’édition néerlandaise cite bien les deux noms qui sont… Charles et Kate. Scobie a prétendu que c’était une erreur, que les deux noms figuraient dans une version préliminaire du manuscrit – ce que l’éditeur néerlandais a fermement nié. Ce coup de publicité raté s’est retourné contre l’auteur du pavé de 400 pages, dont les ventes ont dégringolé de façon spectaculaire, se montrant cinq fois inférieures à celles de son ouvrage précédent au cours de sa première semaine. Le livre a même été bradé dans certaines librairies. Perçu comme le porte-parole de Harry et Meghan, dont les pleurnicheries ont fini par lasser le public, Scobie n’a affaibli que sa propre réputation et, pour le pauvre prince Harry, les chances d’une réconciliation avec sa famille.

Fin de règne: Où va la monarchie britannique : les derniers scandales révélés

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Pourquoi l’élection de Taïwan n’est pas forcément une défaite pour Pékin

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Lai Ching-te, aussi appelé William Lai, le soir de son élection, Taipei, Taiwan, 13 janvier 2024 © Louise Delmotte/AP/SIPA

Sur l’île de Formose, que la Chine rêve de remettre sous sa férule, le libéral William Lai a été élu hier avec 40% des voix. Il nous est présenté comme le candidat démocrate dont ne voulait par Pékin. Mais, lors de ses vœux, le président chinois Xi Jinping annonçait qu’une réunification était selon lui inévitable, et cette élection pourrait ne pas être une si mauvaise nouvelle pour lui… Analyse.


La première réaction de beaucoup d’observateurs plus ou moins aguerris au soir de l’élection présidentielle à Taïwan fut de comparer la victoire du libéral William Lai à une douche froide pour Pékin. Pour autant, même si l’élection du candidat le plus opposé à la discussion avec le continent ne ravit pas la Chine populaire, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles ne paraissent. La victoire à la Pyrrhus de Lai ne conduira pas le Parti Communiste chinois à la réaction attendue.

L’élection mitigée de William Lai

Pour la première fois de l’histoire démocratique de Taïwan et la fin de la loi martiale le 15 juillet 1987, un parti a réussi à remporter l’élection présidentielle trois fois d’affilée. William Lai, du DPP (Parti Démocratique Progressiste), a été élu président de l’île et prendra ses fonctions le 20 mai prochain. Il est issu d’un parti qui est historiquement hostile à Pékin et à tout rapprochement avec le continent. Sous Tsai Ing-wen, l’actuelle présidente, les tensions entre les deux Chines ont connu un sommet jamais atteint depuis près de trois décennies. Lai a amélioré sa popularité en étant la cible privilégiée des fakes-news lancées par Pékin et sa campagne d’influence. La Chine continentale a perdu son pari et a vu le candidat qui lui est le moins favorable être élu. Cela pourrait inciter les dirigeants communistes à intensifier la pression sur l’île, mettant un terme à leurs espoirs de réunification pacifique.

En parallèle, les élections législatives se tenaient le même jour sur l’île ; elles ont débouché sur un échec du président élu. Ce dernier n’est pas parvenu à sécuriser une majorité absolue au Yuan Législatif, lui laissant un goût d’inachevé. Depuis les premières élections présidentielles ouvertes en 1996, nous avions l’habitude de voir le président élu bénéficier d’une majorité à la chambre, lui permettant de mettre en application son programme. William Lai est donc un président mal élu, n’ayant recueilli que 40% des voix populaires et ne disposant que d’une majorité relative à la chambre. Cette demi-victoire va considérablement mettre un frein à la présidence Lai, qui démarre donc mal et présage une crise politique d’envergure.

Le nouveau président doit composer avec un parlement hostile

Les élections du 13 janvier à Taïwan ont délivré deux enseignements majeurs : les forces favorables à la Chine n’ont pas perdu de terrain, car elles représentent plus de la moitié de l’électorat et disposent de la majorité au parlement ; ces élections ont vu l’émergence d’une troisième force politique, le TPP de Ko Wen-je qui apparaît déjà comme le faiseur de roi.

William Lai va devoir composer avec une chambre législative hostile. En effet, les deux partis d’oppositions, le Kuomintang et le TPP sont favorables à un rapprochement avec la Chine. Si William Kai ne veut pas se retrouver avec un pays ingouvernable, il devra faire des concessions et éviter de s’attaquer frontalement au continent. Ainsi, Lai ne pourra pas imposer les politiques sécuritaire et extérieure qu’il avait défendues durant la campagne. Ce changement radical a déjà pu être observé dans ses premières déclarations de président nouvellement élu, qui n’exclut plus le dialogue mais veut se montrer pragmatique et modéré. Ce revirement devrait plaire à Pékin, qui s’évite un régime hostile sur l’île qu’elle revendique.

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Dans sa quête de trouver un allié parlementaire, William Lai semble vouloir se tourner vers le TPP et son dirigeant Ko Wen-je. Le président fraîchement élu ne pourra pas s’allier avec le Kuomintang pour des raisons historiques, en revanche des points communs existent avec le TPP. Ko Wen-je, bien que partisan d’un rapprochement économique avec la Chine, veut accentuer les efforts sécuritaires et renforcer les capacités de défense de l’île. Cependant, cette alliance peut se montrer nocive pour le président élu. Ko, s’étant distingué par un discours aux accents populistes, n’a pas hésité à critiquer le système en place et le DPP. Cet antisystème séduit dans une population critique face à la classe politique traditionnelle, ce qui fait du TPP le seul parti qui a amélioré son score par rapport à l’élection de 2020.

Pékin garde les deux options sur la table : militaire ou pacifique

L’éventualité d’une 4ème crise du détroit de Taïwan s’est considérablement réduite avec le résultat des élections. L’élection de William Lai, qui doit s’accommoder d’une majorité relative au parlement, rebat véritablement les cartes. Ainsi, le régime communiste ne peut plus totalement exclure qu’une réunification progressive et pacifique soit possible. Les résultats des dernières élections ne peuvent être interprétés comme une défaite intégrale de la Chine, car elles maintiennent la possibilité d’une réunification pacifique. Cette option était mise à mal durant la présidence de Tsai, et on observait un éloignement de plus en plus important de l’île du continent.

La présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, en compagnie de la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, dans le bureau présidentiel à Taipei, le 3 août 2022 © TAIWAN PRESIDENTIAL OFFICE/AP/SIPA

Cela ne veut pas dire pour autant que Xi Jinping va exclure l’option militaire, alors qu’il a rappelé lors de ses vœux, que la réunification était inévitable. Ainsi, la Chine va évidemment continuer à investir pour moderniser et préparer son armée afin qu’elle soit prête pour une invasion militaire d’ici 2027… Il s’agit d’une année symbolique pour le président chinois, car elle marquera le 100ème anniversaire de la fondation de l’Armée Populaire de Libération, mais surtout, elle coïncidera avec la fin de son troisième mandat à la tête du parti communiste. Il voudra certainement se présenter au Congrès du PCC fort d’une réussite majeure, notamment avec l’idée d’une réunification avec Taiwan – qu’importe la manière. Les élections à Taïwan ouvrent une fenêtre de tir pour le régime communiste chinois qui doit arbitrer la meilleure manière d’opérer une réunification avec l’île. Les résultats initialement apparus comme hostiles, doivent être analysés avec plus de profondeur. Ainsi, ils peuvent laisser place à un rapprochement ou à une réunification pacifique selon l’attitude adoptée par le président chinois, qui reste le maitre des horloges sur cette question essentielle.


William Thay, président du Millénaire, think-tank indépendant spécialisé en politiques publiques

Pierre Clairé, Directeur adjoint des Études et spécialiste des questions internationales et européennes.

Affaire Depardieu: «Brigitte» mi-woke, mi-réac

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Brigitte Macron et son faire-valoir Didier Deschamps, TF1, 10 janvier 2024. Capture TF1.

Vous allez peut-être finir par croire que je regarde beaucoup trop la télévision. Car nous allons évoquer ici le passage de Brigitte Macron, au journal télévisé de TF1…


Rassurez-vous, nous allons essayer de ne pas faire sombrer ce site de haute tenue intellectuelle dans des commérages dignes de la presse people. Et rassurez-vous également, nous ne comptons pas non plus faire une énième analyse institutionnelle sur la place que la Ve République devrait laisser à la « Première Dame », ou sur les évolutions qu’il faudrait apporter à son statut. Même si elle n’a pas obtenu de mandat des citoyens français, que la femme du président ait un chauffeur, un budget ou un bureau à l’Élysée, cela n’a finalement rien de choquant !

Que faisait Brigitte Macron au 13 heures de TF1, mercredi dernier ?

Je vous le concède, c’est peut-être un peu people au début, malgré tout. La mère Macron était invitée du journal de Marie-Sophie Lacarrau, avec Didier Deschamps, pour le lancement de la 35e opération des Pièces Jaunes1. Comme Bernadette Chirac autrefois, M’ame Macron est la présidente de la Fondation des Hôpitaux. Quant à Didier Deschamps, il est le parrain de l’opération.

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Évidemment, on a vite compris que les journalistes de TF1 n’en avaient pas grand-chose à fiche des petites boites en carton qu’on remplit des pièces qui trainent dans nos fonds de poche au profit des enfants malades. En plein remaniement ministériel, et alors que l’affaire Depardieu fait rage à coup de pétitions et contre pétitions sanglantes dans la presse, c’est sur ces sujets qu’il fallait cuisiner notre Première dame… Oh ! cependant, ce n’est pas émettre des doutes infamants quant aux aptitudes professionnelles de la rédaction de TF1 ou de Marie-Sophie Lacarrau que de penser que, peut-être, avant de se déplacer dans la Tour TF1 de Boulogne-Billancourt, ces thèmes avaient été communiqués au palais de l’Elysée.

Aller au JT de 13 heures, c’est intéressant pour la macronie. Même si les audiences du rendez-vous sont structurellement en baisse depuis les années d’or de Jean-Pierre Pernaut, ce journal reste très suivi, avec des millions de fidèles chaque jour et jusqu’à un téléspectateur sur deux devant TF1. Surtout, c’est essentiellement la France active de nos provinces qui regarde ce rendez-vous. Des citoyens qui ne sont pas forcément les électeurs d’Emmanuel Macron. Des électeurs de la France périphérique que sa femme peut donc tenter de séduire dans un but électoral, avec sa parole calme et non polémique.

Mais alors, qu’a dit « Brigitte » ?

Nous avons dû revoir une deuxième fois la séquence en entier pour prendre quelques notes car, vraiment, la première fois, le brushing de M’me Macron était tellement travaillé que l’on ne regardait que çà. Ne soyons pas trop sexistes en ne commentant que l’aspect des femmes : le nouveau sourire lavabo de l’entraineur de l’équipe de France était aussi particulièrement impressionnant. Tout d’abord, sur le nouveau Premier ministre qui venait d’être nommé, notons que Brigitte Macron l’appelle par son prénom, « Gabriel ». Elle lui souhaite bonne chance, bien sûr, et, elle veut nous faire croire, comme l’a affirmé la journaliste Marie-Sophie Lacarrau, qu’elle n’aime pas commenter les décisions politiques de son mari. Oh non ! Surtout pas !

Reste qu’elle trouve Gabriel Attal formidable. Comme tout le monde apparemment : pensez, il est si jeune ! Nous avons bien lu la presse la semaine dernière, et contrairement à ce qui avait cours dans l’ancien monde, l’inexpérience c’est désormais une qualité professionnelle, apparemment. TF1 a quand même posé une question piège à Brigitte sur ce fantastique nouveau Premier ministre. A-t-il un défaut ? Eh bien, la femme d’Emmanuel Macron a calé. Elle le connait pourtant très bien, car il soutient le couple Macron depuis le début, dès leur première campagne. Mais de défaut, elle ne lui en a trouvé aucun. Vous voyez, la France a vraiment de la chance ! Citons la Mère Macron, qui, après avoir remercié Elisabeth Borne pour son service et avoir presque semblé être peinée de voir partir celle que ses admirateurs appellent affectueusement « Mamie Vapota » dans les commentaires de Causeur, a donné la description suivante de Gabriel Attal : « Gabriel est courageux, il est audacieux, c’est un homme d’action ». Elle en est presqu’amoureuse ! Je ne citerais pas en revanche le nom de l’affreux membre de Causeur qui m’a dit qu’il fallait qu’elle redescende un peu : « Celui-là, il est vraiment gay » a persiflé ce collaborateur. C’est vraiment une blague que je ne reprendrais pas à mon compte.

Et Gérard Depardieu, alors ?

Brigitte Macron nous a offert un grand numéro de « en même temps » mi-woke mi-réac, concernant Gérard Depardieu, sous l’oeil bienveillant de son faire-valoir Didier Deschamps.

Notre patronne estime que les lecteurs de Causeur qui trouvent que nous en faisons beaucoup trop sur cette affaire Depardieu ont tort, et a expliqué à Jeremy Stubbs en quoi ici. L’histoire des propos grivois et des agressions sexuelles présumées de Gerard Depardieu, ce n’est pas une histoire à reléguer aux pages de la presse people. Au-delà du cas de Gerard Depardieu, on observe un basculement sociétal, un maccarthisme de plateaux tv et une nouvelle police des braguettes qui se mettent en place. Et si cela vous gêne et que vous osez le dire, vous serez rapidement accusé de faire partie du « vieux monde sexiste ». Il convient de dénoncer ces âneries néoféministes, comme il convenait de dénoncer les nombreux aspects délétères des mouvements Balance Ton Porc ou Metoo. Brigitte Macron a dit qu’elle ne voulait pas ajouter du commentaire au commentaire, car, selon elle, avec toutes ces tribunes et toutes ces prises de parole, « on est servi pour les commentaires ». Dans un premier temps, elle nous a fait du politiquement correct, et a ressorti la tarte à la crème de la sacrosainte « parole des femmes », qui comme chacun le sait se libère, et qu’il conviendrait de soutenir. « Elles parlent et il faut continuer de parler, c’est très courageux de parler », estime la femme du président.

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Oui, mais voilà : juste avant Noël, le président de la République avait dit sur France 5 que l’ex-ministre de la Culture Rima Abdul-Malak (depuis tombée en disgrâce) s’était avancée concernant l’affaire, que Gérard Depardieu était un immense acteur et que, oui, il rendait selon lui « fière » la France. Brigitte Macron, à qui on a rappelé ces propos sur TF1, a donc botté en touche et dit qu’il fallait la comprendre. Ah bon ? On ne voit pas en quoi elle pourrait nous donner son appréciation du Premier ministre et pas soutenir son mari dans l’affaire Depardieu. Avec ses déclarations sur France 5, M. Macron semblait plutôt se positionner du côté de ceux qui ont signé la fameuse tribune de Yannis Ezziadi.

Ce qu’a ensuite dit Brigitte est quand même bienvenu : « Je ne peux pas commenter ce commentaire [l’appréciation d’Emmanuel Macron sur Gérard Depardieu sur France 5] mais par contre je commenterai la présomption d’innocence. Un des piliers de la démocratie, c’est la justice, et un des critères fondamentaux de la justice c’est la présomption d’innocence » a développé la Première Dame. Voilà qui est dit pour toutes nos néo féministes et actrices dénonçant ces jours-ci la culture du viol ! Sans être encore plus désagréable que nous l’avons été jusqu’à maintenant, observons aussi que Brigitte Macron appartient finalement aux anciennes générations – elle a tout de même 24 ans de plus que son époux. D’ailleurs, sa rencontre avec le président, alors qu’il était un de ses jeunes élèves, pourrait facilement être réécrite à la lumière de la théorie de l’emprise par des idiots – l’emprise, c’est une thèse que Lio, Mediapart, Anouk Grinberg ou Judith Godrèche nous resservent tous les jours ces derniers temps. Et, très franchement, ces théories et ces leçons de morale ne valent pas beaucoup mieux que les thèses des complotistes qui avaient voulu nous faire croire qu’Emmanuel Macron était en couple avec le patron de Radio France ou que Brigitte Macron avait changé de sexe comme Amanda Lear… Tout ça, c’est du délire.

Laissons la justice travailler, laissons la vie privée des gens tranquille, laissons les gens avoir une vie amoureuse audacieuse s’ils en ont envie, et défendons ceux qui se font lyncher dans les médias, parfois pour de simples rumeurs sur les réseaux sociaux.

Pour résumer cette séquence « Brigitte » sur TF1 : le blabla bienpensant de Brigitte Macron sur la parole des femmes, non merci ! Mais pour la présomption d’innocence de Gérard Depardieu : merci Brigitte !

  1. https://www.tf1.fr/tf1/jt-13h/videos/pieces-jaunes-2024-brigitte-macron-et-didier-deschamps-invites-exceptionnels-du-jt-41564358.html ↩︎

Génocides à la carte

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La Haye, Pays-Bas, 12 janvier 2024 © SOPA Images/SIPA

Pour étayer la thèse d’ « actes génocidaires » perpétrés par Israël à Gaza, l’Afrique du Sud devra démontrer une intentionnalité. Quelles que soient l’indépendance et l’impartialité des juges de la CIJ, les différentes institutions de l’ONU constituent depuis des années un théâtre où Israël joue presque toujours le rôle du méchant.


Les accusations de génocide portées contre Israël par ceux qui prétendent soutenir la cause palestinienne ou combattre le sionisme sont devenues banales depuis le 7 octobre. Avant Noël, des militants qui manifestaient devant un théâtre new-yorkais où devait se produire Jerry Seinfeld, ont accusé l’humoriste de « complicité de génocide » pour avoir déclaré publiquement sa solidarité avec Israël. Le 29 décembre, l’Afrique du Sud a lancé un processus pour donner un statut officiel à de telles accusations en saisissant la Cour internationale de justice des Nations Unies (CIJ).

Selon les avocats de la nation arc-en-ciel, Israël aurait commis des « actes génocidaires » dans sa campagne contre le Hamas à Gaza. Les 11 et 12 janvier, les magistrats de cette instance ont écouté les arguments des Sud-Africains et les contre-arguments des Israéliens.

Que représente une accusation de génocide aujourd’hui, et Israël peut-il s’attendre à être traité avec impartialité par une institution faisant partie de l’ONU ? La formulation de la notion de génocide au lendemain de la Seconde Guerre mondiale était censée initier une nouvelle ère de justice à l’échelle planétaire. Malheureusement, le concept se révèle aujourd’hui être à géométrie variable. Il a été appliqué efficacement dans le cas du génocide des Tutsis au Rwanda, mais les membres démocratiques des Nations unies n’ont toujours pas réussi à sanctionner juridiquement la Chine pour son traitement des Ouïghours, tandis qu’un génocide en cours au Soudan ne semble intéresser ni la communauté internationale ni les groupes de militants qui sont si prompts à accuser Israël.

Le fait vaut-il l’intention ?

C’est dans un document de 84 pages que les avocats de l’Afrique du Sud détaillent des « violations alléguées » par Israël de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui date de 1948. Pour justifier cette accusation, le réquisitoire cite le nombre de morts de civils à Gaza, le déplacement d’une partie de la population, les difficultés à approvisionner les habitants en eau et nourriture et la prétendue volonté des autorités israéliennes d’entraver l’accès au territoire des organismes d’aide humanitaire.

L’objectif immédiat de la partie poursuivante n’est pas de convaincre la Cour de condamner Israël comme génocidaire, ce qui pourrait prendre des années de délibérations. Il s’agit dans un premier temps de la persuader d’ordonner à Israël de prendre des mesures provisoires consistant essentiellement à « mettre fin à toutes les opérations militaires qui constituent ou donnent lieu à des violations de la Convention sur le génocide ». Bref, un cessez-le-feu. La Cour pourrait prendre quelques semaines pour statuer sur cette première question.

Le génocide est compris comme la volonté intentionnelle de détruire les membres d’un groupe en tant que membres de ce groupe. Cette nécessité de prouver une intentionnalité de la part des persécuteurs allégués n’a pas échappé aux autorités sud-africaines. Selon la déclaration devant la Cour de l’avocate, Adila Hassim : « Les génocides ne sont jamais déclarés à l’avance, mais cette cour bénéficie des 13 dernières semaines de preuves qui montrent de manière incontestable un modèle de comportement et d’intention qui justifie une allégation plausible d’actes génocidaires ». Pour fonder l’allégation d’intentionnalité, le réquisitoire cite des propos violents de certains dirigeants israéliens et même, afin de démontrer combien la « rhétorique du génocide » est ancrée dans la société israélienne, des déclarations inconsidérées par deux chanteurs populaires maîtres du style Mizrahi. Dans une interview, Eyal Golan a appelé à « effacer Gaza et à n’y laisser personne », tandis que, dans une vidéo ayant rencontré du succès sur les réseaux sociaux, Kobi Peretz a chanté : « que Gaza soit effacée ! »

La démonstration faite par l’Afrique du Sud semble être tout sauf « incontestable », selon le mot employé par son avocate. Mais si jamais la CIJ décide de condamner Israël, a-t-elle les moyens de faire respecter son verdict ? Le Conseil de sécurité de l’ONU possède ce pouvoir, mais ses cinq membres permanents – la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume Uni et la Russie – ont un pouvoir de véto. En mars 2022, la CIJ a ordonné à la Russie de cesser son invasion de l’Ukraine – avec le résultat que l’on connaît. Or, les États-Unis et le Royaume Uni ont déjà déclaré le dossier pénal de l’Afrique du Sud sans fondement. Ainsi, même si la Cour condamnait Israël et demandait au Conseil de sécurité d’agir, il ne se passerait rien. Cette action en justice représente-t-elle donc beaucoup de bruit pour rien ?

Le procès : l’éternel retour du même

L’accusation de génocide, qu’elle soit approuvée ou non par le tribunal, constitue une étape importante dans une longue campagne pour condamner Israël des pires infâmies. Et ce n’est pas la seule tentative pour y arriver sur le plan juridique. Il faut rappeler que la Cour internationale de justice (CIJ) de l’ONU, bien qu’elle aussi siège à La Haye, est différente de la Cour pénale internationale (CPI). Tandis que la CIJ a pour mission de régler les disputes entre les États, la CPI poursuit des individus accusés de crimes contre l’humanité, comme dans le cas du dirigeant serbe Slobodan Milošević, ou celui du Rwandais Félicien Kabuga. Or, le 17 novembre, la CPI a déclaré que le procureur de la Cour, saisie par l’autorité palestinienne et cinq États, l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti, enquêtait sur des crimes de guerre allégués que des Israéliens auraient commis à Gaza et en Cisjordanie à partir de 2014. La commission de ces crimes serait une violation du Statut de Rome, le traité international qui a créé la Cour pénale internationale. Israël est un des signataires de ce traité. En 2020, la CPI a renoncé à poursuivre la Chine au sujet de la persécution des Ouïghours car la Chine n’est pas signataire du Statut de Rome. Il est ainsi clair – si jamais on avait besoin de preuves – qu’Israël est une société infiniment plus démocratique et libérale que la Chine. Il est clair aussi que cette association avec la tradition occidentale fait partie des raisons qui poussent des membres moins démocratiques de l’ONU à vouloir faire infliger à Israël une condamnation aussi terrible que définitive.

Soldat israélien à la frontière avec Gaza, 24 novembre 2023 © Tsafrir Abayov/AP/SIPA

Certes, le rôle de l’Afrique du Sud dans l’affaire actuelle peut s’expliquer dans une certaine mesure par le sentiment de solidarité avec le peuple palestinien qui remonte à l’époque de Nelson Mandela. Le leader du Congrès national africain voyant en Yasser Arafat un frère d’armes dans la lutte contre les régimes d’apartheid. Mais encore aujourd’hui, cette complicité va très loin. L’Afrique du Sud est un des rares pays à avoir des relations diplomatiques avec le Hamas. Son gouvernement a été lent à condamner les atrocités du 7 octobre, mais prompt à condamner l’invasion de Gaza. En novembre, son parlement a voté la suspension des relations diplomatiques avec Israël, bien que cette résolution n’ait pas été suivie d’effets. La question palestinienne a suffisamment d’importance auprès de la population sud-africaine pour être exploitée à des fins électorales. La dénonciation d’Israël sert à masquer les problèmes de corruption qui assaillent le régime du président Cyril Ramaphosa, ainsi que le niveau de violence criminelle qui afflige le pays. Poursuivre Israël représente aussi une façon pour l’Afrique du Sud de s’acheter de l’influence sur la scène internationale et notamment de prendre le leadership au sein de ce qu’on a nommé « le Sud global », cet ensemble de pays en développement qui seraient en train de s’opposer à l’influence occidentale et qui ne rechigneraient pas à faire cause commune avec la Russie ou la Chine quand cela les arrange. Israël, l’incarnation supposée de la tradition – voire du colonialisme – occidentaux constitue une cible de choix. Et, dans une certaine mesure, ça marche, car le procès initié par l’Afrique du Sud a déjà reçu le soutien de la Turquie, de la Jordanie, de la Malaisie, de la Bolivie, de la Colombie, du Brésil, du Pakistan et d’autres.

Cette pression internationale pour condamner Israël est constante et infatigable, même si les États occidentaux ont tendance à y résister. C’est dans ce contexte que les accusations sud-africaines seront instrumentalisées, surtout au sein des Nations unies, par les pays qui s’opposent à Israël. Les relations entre Israël et l’ONU sont au plus bas. Selon l’ONG UN Watch, au cours de l’année 2023, l’Assemblée générale de l’ONU a voté 14 résolutions censurant Israël, deux fois plus que le nombre total de celles dénonçant d’autres pays. Depuis longtemps, Israël accuse les agences de l’ONU de nourrir des préjugés à son égard, tandis que l’ONU, notamment à travers l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), accuse Israël de violer les droits humains des Palestiniens. Depuis le début de la guerre à Gaza, l’UNRWA allègue qu’Israël a bombardé ses propres installations, tandis que ce dernier maintient que le Hamas utilise certains des bâtiments en question pour camoufler ses équipements militaires. Quelles que soient l’indépendance et l’impartialité des juges de la CIJ, les différentes institutions de l’ONU constituent un théâtre où Israël joue presque toujours le rôle du méchant.

N’oubliez pas le Darfour

Ironie du sort, au cours de la semaine qui a précédé celle de l’ouverture des auditions à La Haye, le président de l’Afrique du Sud Cyril Ramaphosa a reçu la visite de Mohamed Hamdan Dogolo, le commandant d’une puissante milice soudanaise qui est accusée de génocide et de crimes de guerre au Darfour. C’est en avril 2023 qu’une guerre civile se déclenche entre ce chef de guerre, à la tête des Forces de soutien rapide (FSR), et le général Abdel Fattah al-Burhan qui commande les Forces armées soudanaises (FAS). La région de Darfour, qui a déjà été la scène d’un génocide en 2003, voit de nouveau des massacres de civils, commis aujourd’hui par les hommes de Mohamed Hamdan Dogolo. Ils n’hésitent pas à employer la violence sexuelle et la réduction en esclavage contre les femmes et les enfants. Les victimes de ce nettoyage ethnique sont majoritairement de la communauté masalit, un groupe non-arabe, tandis que leurs bourreaux sont majoritairement arabes. Il y a eu plus de 10 000 morts et 7 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, 1,4 million dans des pays avoisinants, surtout le Tchad. Les Émirats arabes unis sont accusés de soutenir les FSR mais le nient. En novembre, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, ainsi qu’une lettre ouverte signée par 70 experts en droit international, ont essayé d’attirer l’attention générale sur une crise humanitaire d’une rare gravité. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, plus de 25 millions de personnes ont besoin d’aide – plus de dix fois la population de la bande de Gaza. Mais à la différence de ce qui se passe à Gaza, la tragédie soudanaise se poursuit dans l’indifférence (jusqu’ici) des 55 États-membres de l’Union africaine et dans celle du Conseil de sécurité de l’ONU. Le décalage entre l’agitation autour des actions d’Israël à Gaza et l’apathie générale devant le carnage du Darfour peut s’expliquer en grande partie de la façon suivante : le drame soudanais est traité comme une question humanitaire, tandis que celui de Gaza est traité comme une question politique. Et une question politique est toujours une source potentielle de bénéfices politiques. Qui, les 11 et 12 janvier, se faisait photographier à La Haye en affichant son soutien inconditionnel à l’action en justice de l’Afrique du Sud ? Ces grands humanitaires que sont le Français, Jean-Luc Mélenchon, et l’Anglais, Jeremy Corbyn.

Quand le président rate la marche

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Hommage à Jacques Delors, Paris, 5 janvier 2024 © Jacques Witt/SIPA

Et si ne pas avoir maintenu Attal à l’Education se révélait une erreur historique dont le président Macron allait se mordre les doigts?


Pour un chef d’État, les opportunités d’entrer pour de bon dans l’Histoire ne sont pas forcément très fréquentes. Aussi, lorsqu’il s’en présente une convient-il de ne pas rater la marche. La marche qui ouvre la voie vers les sommets, vers la vraie grandeur que les peuples sont tout disposés à reconnaître à ceux qui, à tel moment fatidique, ont su saisir la gravité des enjeux et s’affirmer en véritable homme d’État. C’est-à-dire en chef capable d’oublier l’instant pour penser Histoire, capable d’oublier la politique, la politicaillerie, pour penser destin, penser nation et voir loin, bien au-delà en tout cas des échéances électorales et des plans de carrière des uns et des autres.

Cette marche-là, le président de la République vient de la rater magistralement. Obsédé par une chasse au Bardella qui risque fort de se muer en chasse au dahu, et donc de ne rien donner (surtout si, comme cela se colporte, on bombarde en tête de liste le héros au masque de Super-Menteur des joyeusetés Covid), il a promu le bon élève Attal général-en-chef de cette traque avec mission d’y aller sabre au clair et panache au vent.

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Dont acte. Sauf que le promu chef des armées occupait depuis l’été un poste également stratégique et surtout d’une tout autre importance. Il avait en main le ministère de l’Éducation nationale, là où se décide et s’oriente la formation de la jeunesse, là où se joue le niveau d’instruction des générations à venir. Non seulement le niveau d’instruction, mais, conséquemment, le niveau d’intégration, ce qui n’est pas rien. Le lieu de « la mère de toutes les batailles » de l’aveu même des premiers intéressés, président et gouvernement.

S’il y a consensus dans le pays, c’est bien là qu’il se niche : dans la prise de conscience que tout est à refaire dans ce domaine, que ce chantier-là est essentiel, vital, les choses s’étant à ce point dégradées depuis quatre ou cinq décennies qu’on peut craindre de voir sous peu le mammouth sombrer dans un coma dépassé. Il y aurait donc urgence. 

Or, M. Attal avait plutôt bien réussi sa rentrée scolaire. Il disait les choses, nommait les problèmes, annonçait des décisions, cela avec une autorité de ton rassurante. Le milieu semblait l’accepter. Point de menace de grève massive à l’horizon, une rareté qui probablement vaut en soi adoubement. Bref, il pouvait paraître être l’homme de la situation. Les sondages, les enquêtes d’opinion, les baromètres de popularité – toutes évaluations qui ne valent ce qu’elles valent, bien sûr, mais tout de même…- ne traduisaient pas autre chose.

Et c’est bien là que le président aurait pu – aurait dû – voir s’ouvrir devant lui l’opportunité de s’imposer dans l’histoire, sentir qu’il tenait l’occasion d’inscrire dans le marbre de la postérité la trace de ses années jupitériennes.

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Puisque, lors du premier conseil des ministres, qui s’est tenu autour d’une table en réduction – obsession du symbole à deux balles quand tu nous tiens ! – il jugea opportun d’inviter son équipe à se montrer révolutionnaire, que ne s’y est-il invité lui-même ?

Premier Conseil des ministres, le 12 janvier 2024. ©Michel Euler/AP/SIPA

Se montrer révolutionnaire en l’occurrence, c’était affirmer dans les actes, et pas seulement dans le verbe, l’absolue suprématie du chantier Éducation nationale. C’était venir devant le pays et déclarer solennellement que, pour le reste de son quinquennat, il prenait la décision proprement « révolutionnaire » de sanctuariser – oui, sanctuariser ! – le ministère de l’Éducation, cela en commençant par y maintenir à sa tête, pour ce (relatif) long temps, l’homme de débuts si prometteurs. Le rendre intouchable, lui offrir la sérénité et la sécurité indispensables pour conduire une si noble et si difficile tâche. C’était en quelque sorte faire le choix de « laisser le temps au temps », comme il est dit dans Don Quichotte.

Le nouveau cap – ou plutôt le cap après quoi le président court depuis le premier jour – se trouvait ainsi clairement tracé, affirmé. Enfin ! Jules Ferry, Charles Péguy et tant d’autres y auraient applaudi de grand cœur, c’est certain. Le pays aussi, ce n’est pas douteux. Enfin une vision ! Enfin quelque chose de grand ! Enfin quelque chose pour demain, enfin quelque chose pour le pays, la nation ! Quand Colbert faisait planter des forêts de chênes destinés aux charpentes et à la marine, il voyait à cent ans. On n’en demande pas tant. On se serait contenté que l’on regarde un peu plus loin qu’un certain dimanche de juin et le printemps 2027. Raté.

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La communication, c’est un boulot, et Amélie Oudéa-Castéra vient d’en faire la rude expérience

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Amélie Oudéa-Castéra, Paris, 5 octobre 2023 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Notre chroniqueur, qui part du principe qu’il faut donner leur chance même aux plus bêtes, avait écrit un article mi-chèvre mi-chou sur Amélie Oudéa-Castéra, sa double casquette et ses déclarations sur les raisons qui lui ont fait placer ses enfants à Stanislas. Mais les révélations qui ont suivi l’ont amené à reconsidérer son point de vue.


On parle toujours trop. Quelle mouche a piqué Amélie Oudéa-Castéra pour qu’en sortie avec Gabriel Attal, elle se lance dans des explications tordues afin de justifier le fait qu’après avoir inscrit ses enfants dans une école publique du VIe arrondissement, elle les avait déplacés à Stanislas, école catholique privée à morale stricte. D’après elle, l’absentéisme des enseignants, jamais remplacés, était la cause première de ce changement.

Il ne faut jamais rien avancer qui puisse être démenti dans l’heure qui suit, ça fait mauvais effet. Elle aurait pu s’en tenir à des questions de commodité — elle habitait rue Stanislas, à deux pas de la cité scolaire homonyme. Ça suffisait. En rajouter sur les carences du management de l’école, c’était risqué, parce que ça ne correspondait pas à la réalité, comme l’a fait remarquer un article de Libé dimanche soir. L’ancienne institutrice du petit Vincent — le seul des trois rejetons à avoir fait un stage d’un semestre à Littré — est sortie de ses gonds : « Je me sens personnellement attaquée. Je n’ai pas été absente et quand bien même cela aurait été le cas, on était toujours remplacé. Il n’y a jamais eu de problème de remplacement à Littré qui est une petite école très cotée. » Affirmation corroborée par les parents d’autres enfants de la même école.

En fait, monsieur et madame Oudéa-Castéra voulaient faire sauter une classe à leur bambin, l’école s’y est opposée pour des raisons pédagogiques, ils ont trouvé un établissement — « Stan » — qui l’acceptait en moyenne section de Maternelle. Fin de l’épisode.

Il est un peu rude, lorsqu’on entre en fonction rue de Grenelle, de pointer les défaillances d’une administration qui depuis sept ans est gérée par la majorité qui vient de vous mettre là. D’autant que Paris est assez bien géré, au niveau Education. Le reproche fait à madame Oudéa-Castéra d’avoir à porter deux casquettes n’était pas très cohérent. Un ministre a des petites mains pour assurer les affaires courantes, et elle s’était assez bien débrouillée au ministère des Sports — un domaine qu’elle connaît mieux que l’Ecole. Elle nous a débarrassé de Noël Le Graet, ce qui n’était pas un mince exploit.

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Mais arriver rue de Grenelle et commencer par balancer des propos immédiatement démentis, après quelques mois où Gabriel Attal avait largement fait la preuve de ses talents de Grand Communicant, ce n’est pas bien adroit. Peut-être devrait-elle se renseigner, s’appuyer sur des collaborateurs informés, prendre le temps d’écouter, et considérer comme de la mousse les propos de Médiapart, qui n’avait au départ rien à se mettre sous la dent, sinon la vendetta que l’agence entretient avec Stanislas, établissement traditionnaliste s’il en fut jamais. Madame Oudéa-Castéra ignore-t-elle la grande règle ? Don’t feed the troll.

La nouvelle ministre n’a jamais enseigné, et ça se voit. Être une ex-bonne élève ne prépare pas à ce métier. En particulier, il ne faut pas rater la première heure. Pour avoir négligé ce principe, cette outre gonflée de vent qu’était Claude Allègre, en 1997, s’est mis la profession entière à dos.

Les salles de profs déjà bruissent de vents contraires à la ministre. Les enseignants sont déjà prêts à faire toutes les grèves que, leur suggèreront des syndicats qui, par définition, testent dès leur arrivée les nouveaux titulaires du poste.

À Rachida Dati on n’a pas grand-chose à reprocher, sinon son amour de la haute couture. Qu’elle soit une femme de droite ne témoigne que d’une chose : il n’y a plus de culture de gauche dans ce pays. Tant pis pour ceux qui croient que Geoffroy de Lagasnerie pense. Depuis Malraux, qui a fait des étincelles rue de Valois ? Pas Lang, quand même…

Madame Oudéa-Castéra tient-elle vraiment à ce qu’on la prenne pour une erreur de casting ? Ou pour une grande bourgeoise intouchable — comme les aristocrates en 1788 ? Elle a fort bien réussi dans le privé. Le public, et l’Education en particulier, c’est tout autre chose. Soit elle l’admet, fait amende honorable et consent à se taire pendant un certain temps, soit la presse, qui n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent en ce moment, depuis que Depardieu et Delon ont été suicidés en place publique, fera ses choux gras de ses faux-pas.

Elle reçoit, ce lundi, les syndicats de l’Education. J’imagine les déclarations préalables que les uns et les autres sont à cette heure en train de peaufiner. Ça va faire mal, et ça va faire du bruit — l’écho des déclarations intempestives de la ministre. Diriger, c’est aussi apprendre à écouter, et se taire quand on n’a rien à dire.

Nicole Calfan, ses monstres sacrés

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Nicole Calfan © Photo: Yannis Nicole

Éblouissante ingénue à la Comédie-Française et visage bien connu du cinéma populaire, Nicole Calfan a travaillé avec les plus grands comédiens et réalisateurs. Pour Causeur, elle revient sur quelques-unes de ses rencontres les plus marquantes.


Nicole Calfan, c’est cinquante-six ans d’une carrière bien remplie. Comédie-Française, cinéma, théâtre de boulevard, elle va où la passion la mène. Henri Verneuil, Raymond Rouleau, Jean Le Poulain, Jean-Pierre Miquel, Jacques Deray l’ont dirigée, et elle a partagé l’affiche avec Jean Poiret, Olivier Reed, Faye Dunaway, Delon, Belmondo, Depardieu ou encore Ava Gardner !

Nous avons soumis à la comédienne neuf noms qui font partie de la longue liste de ses monstres sacrés. Nicole Calfan aime les souvenirs et la nostalgie. Ça tombe bien !


Causeur. Marie Bell ?

Nicole Calfan. Mes parents la connaissaient. La grande tragédienne de l’époque ! J’avais terminé mes deux années de conservatoire, et le concours de sortie – qui permettait d’entrer à la Comédie-Française si on décrochait un premier prix – n’avait exceptionnellement pas lieu : c’était le printemps 1968 ! Marie Bell rapporta à mes parents que Jacques Charon (sociétaire du Français) cherchait pour la maison de Molière une nouvelle ingénue à faire entrer dans la troupe, et qu’il allait faire passer des auditions. Je suis alléela voir pour qu’elle me donne le numéro de Charon. J’étais très impressionnée. C’était une grande star. Une diva. Un monstre sacré.

J’avais rendez-vous dans sa loge du Théâtre Marie-Bell (aujourd’hui Théâtre du Gymnase). La loge était magnifique, tamisée, sombre même. Partout du velours rouge. Plein de bouquets de fleurs séchées sur les meubles, sur les tables. J’étais fascinée. J’avais l’impression d’être dans la roulotted’une voyante. Les yeux noirs de kohl, fumant une cigarette, elle me dit de sa voix rauque : « Vous êtes très mignonne mon petit. Bon, je ne vais pas vous demander de me réciter quoi que ce soit. Vous avez un physique très harmonieux. Si ça marche, vous serez une ingénue. Vous irez voir Jacques Charon de ma part. » J’ai passé l’audition sur la scène de la Comédie-Française dans le rôle de Rosine, du Barbier de Séville, et j’ai été engagée. Je me suis retrouvée dans le grand bain. Je jouais sept pièces différentes par semaine. Toutes les ingénues du répertoire. Marie Bell a fait mon bonheur, mais je ne l’ai jamais revue…

Fernand Ledoux ?

Quel maître ! Il avait tourné avec les plus grands : Renoir, Decoin, Grémillon, Carné, Duvivier, Guitry… Il a été mon premier professeur au conservatoire. Quand on entrait dans la salle, on disait : « Bonjour maître », et lui répondait systématiquement :« Bonjour kilomètre ». C’était ainsi tous les matins. On adorait ça. Il ne nous apprenait pas grand-chose techniquement, mais on l’écoutait parler, il nous nourrissait. Je l’aimais beaucoup. Plus tard, j’ai demandé à Jean Yanne – avec qui je vivais alors –d’engager Ledoux. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé dans Les Chinois à Paris.

Robert Hirsch et Jacques Charon ?

Duo comique extraordinaire ! À cette époque, l’esprit de la Comédie-Française, c’était eux. J’étais leur petite protégée. C’est grâce à eux que j’ai été si heureuse dans cette maison. Après les représentations, ils m’emmenaient dîner au restaurant, puis en boîte de nuit. Je partais assez tôt, mais eux restaient jusqu’à l’aube.Hirsch – qui était homosexuel – me disait :« Je n’ai aimé que deux femmes : toi et Jeanne Moreau ! » Ils avaient instauréune atmosphère très festive, très joyeuse au sein de la troupe. C’était des années folles. Ils étaient heureux de faire du théâtre, heureux de jouer et ne boudaient pas leur plaisir. J’ai découvert leur incroyable fantaisie en débutant avec eux dans Le Tartuffe. Hirsch jouait Tartuffe et Charon jouait Orgon. Hirsch était un grand clown. Un grand burlesque.

Jeanne Moreau ?

J’ai passé ma jeunesse avec des petits classiques Larousse sur ma table de nuit. Mon préféré, c’était Le Tartuffe, car il y avait les photos de Jeanne Moreau dans le rôle de Marianne. Elle était un modèle pour moi. La première fois que j’ai joué sur la scène de la Comédie-Française, c’était Angélique dans Le Malade imaginaire. Lorsqu’on m’a mis le costume, il y avait écrit sur une étiquette, à l’intérieur, « Mademoiselle Moreau ». C’était le costume qu’elle-même avait porté ! J’étais bouleversée. Le soir de la première, Frédéric Castet (de la maison Dior) a organisé une grande soirée pour fêter mes débuts. Et qui était là ? Jeanne Moreau ! Mon idole. Je cours vers elle, tout émue, et lui dis :« Mademoiselle, mademoiselle ! Je vous admire beaucoup et je viens de débuter ce soir avec l’une de vos robes. » Elle me répond alors sèchement : « Ça me fait une belle jambe ! » et elle part sans un sourire. Terrible déception.

Isabelle Adjani ?

J’ai décidé de quitter la Comédie-Française pour tourner Les Trois Mousquetaires (film de Richard Lester avec Oliver Reed, Faye Dunaway, Christopher Lee et Richard Chamberlain), alors que j’avais encore un projet qui me tenait à cœur. Raymond Rouleau avait proposé de me mettre en scène dans Ondine de Giraudoux. J’avais même choisi mon partenaire : Jean-Luc Boutté. Mais je suis quand même partie et n’ai pas honoré ce merveilleux projet. C’est Adjani qui a hérité du rôle. Et ce fut un énorme triomphe ! Avec Ondine, Adjani estdevenue Adjani. Une révélation. Je garde le souvenir d’une très grande actrice. Une grande puissance émotionnelle. Nous étions très complices et partagions la même loge. Je me souviens que le sol était jonché de scénarios, car bien que pensionnaires au Français, nous avions déjà toutes deux commencé à tourner au cinéma. En quittant définitivement cette loge, j’aiécrit un mot sur le miroir, au rouge à lèvres : « Je vous laisse Ondine, prenez-en soin… »

Avec Alain Delon, dans Le Gang de Jacques Deray (1977). DR.

Alain Delon ?

Delon, c’est mon Delon. C’est tout ! J’étais allée passer des essais pour Borsalino. Deray, Delon et Belmondo étaient assis chacun dans un fauteuil. C’était impressionnant. J’ai fait quelques essais très furtifs et ils m’ont engagée. Lorsque j’ai vu que le tournage se déroulerait à Marseille, j’ai tout de suite appelé Delon pour lui dire qu’il me serait malheureusement impossible de faire le film, car je jouais L’Avaretous les soirs au Français. « Mademoiselle, vous avez ma parole d’homme que vous serez tous les soirs à l’heure à la Comédie-Française », me répondit-il. Je l’ai fait. Je jouais le soir à Paris, je prenais ensuite le premier avion pour Marseille vers six heures du matin, on venait me chercher à l’aéroport, on m’emmenait à Cassis, je tournais et, vers 17heures le chauffeur de Delon me ramenait à l’aéroport. Çaa duré comme ça pendant trois semaines. Quand j’arrivais à Paris, je me dépêchais pour être à l’heure au théâtre. Ce qui m’a sauvée, c’est que Marianne n’entre qu’au troisième acte ! Je courais dans les couloirs, j’enfilais vite ma robe, je me précipitais en scène et disais ma première réplique : « Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état… »

Sur le tournage, Delon et Belmondo étaient adorables avec moi. J’avais de nouveau sous la protection de deux stars, comme au Français, avec Hirsch et Charon. J’aime tellement Delon que j’ai écrit un livre sur lui, Lettre entrouverte à Alain Delon. C’est un grand amour. Il a dit un jour au Parisien :« J’ai eu deux amours platoniques dans ma vie. Un avec Bardot, et un avec Calfan. » J’ai ensuite tourné avec lui Le Gang et Franck Riva. On a souvent essayé de ternir son image, il a toujours suscité beaucoup de jalousie. Bien sûr que c’est un homme sombre, avec un passé douloureux, avec de la délinquance même. Delon, c’est beaucoup de souffrance, mais c’est un homme droit, respectueux, fidèle. Et puis, surtout, c’est un immense acteur. Et un passionné de cinéma. Il s’est beaucoup investi, financièrement même, il a aidé et produit de grands réalisateurs comme Joseph Losey. On disait qu’il était dur. C’est vrai qu’il était dur avec les réalisateurs, il intervenait beaucoup… « Non ! Il ne faut pas mettre la caméra comme ça ! Il faut la mettre comme ça ! » Mais souvent… il avait raison ! Alain Delon est le dernier monstre sacré du cinéma. Le dernier grand mythe vivant.

Jean Poiret ?

Tyran sanguinaire et acteur de génie ! J’ai joué pendant trois ans Joyeuses Pâques avec Jean Poiret et Maria Pacôme, pièce dont il était l’auteur. Je venais de quitter la Comédie-Française, mais c’est à ses côtés que j’ai tout appris. Mais quelle souffrance ! Quelle douleur ! Il n’était jamais content de ce que vous faisiez. Il me cassait sur scène en me disant à voix basse : « C’est nul ! Allez ! Du rythme, du rythme, du rythme ! » Il faisait sans cesse des remarques. C’était épuisant, déstabilisant. Heureusement que j’avais de très bonnes critiques. Mais je n’en pouvais plus. Un jour, au bout de trois ans, sans prévenir personne, j’ai décidé de ne pas aller jouer. Je me suis dit : ça suffit de souffrir comme ça ! Ce n’est pas normal. Ils m’ont attendue en vain et la représentation a dûêtre annulée. Voilà comment ça s’est terminé.

Dix ans après, Poiret m’a proposé une pièce dont il était l’adaptateur. Il ne m’en voulait pas. Et moi non plus, je ne lui en voulais pas. Il était comme ça, car il était angoissé, perfectionniste. Il se faisait du mal à lui-même, mais c’était un génie d’une puissance comique incroyable. Un rythme d’une précision mécanique. Un virtuose. Et j’insiste pour dire que Poiret était aussi un grand auteur !

Avec Dirk Bogarde, dans La Trahison de Cyril Frankel (1975).

Dirk Bogarde ?

Rencontre incroyable pour un navet ! Le film que nous avons tourné ensemble était très mauvais. La Trahison, avec Ava Gardner également, et Timothy Dalton (avant James Bond !). Ava Gardner était encore très belle, mais elle buvait beaucoup. Elle ne pouvait tourner que le matin. Durant le tournage en Autriche, Dirk et moi sommes tombés amoureux. Il était homosexuel, mais nous avons eu un grand amour platonique jusqu’à sa mort. À la fin du tournage, il m’a dit : « J’ai aimé deux femmes.Charlotte Rampling pour un chef-d’œuvre, et vous pour un navet. »

Michel Fau ?

J’ai retrouvé avec Michel Fau ce que j’ai connu avec Hirsch et Charon. Avec lui, c’est le respect des acteurs, l’exigence, la fermeté, le travail. Michel Fau, c’est ce que le théâtre peut faire de meilleur. Lorsqu’en 2019 j’ai joué Le Tartuffesous sa direction, j’ai eu l’impression de me retrouver à la Comédie-Française de ma jeunesse. Il avait constitué une troupe digne des grandes heures du Français. Il y avait notamment Michel Bouquet et Christine Murillo, et les magnifiques costumes de Christian Lacroix. J’ai aussi joué cet été Le Vison voyageur, à ses côtés et sous sa direction. Avec lui, c’est le théâtre que j’aime, celui qui me fait rêver. Grâce à Michel, j’ai retrouvé ma famille de théâtre. C’est un grand homme de spectacle. Un vrai.

Nicole Calfan campe Elmire dans Le Tartuffe de Michel Fau, octobre 2017. Photo: Marcel Hartmann

Pour finir, une question qui n’a rien à voir avec le reste. Vous vous êtes toujours déclarée féministe. Vous avez été l’une des plus belles femmes du cinéma de votre génération. Avez-vous eu, dans votre carrière, peur des hommes ? Sentiez-vous être une proie ? Et que pensez-vous de l’époque #MeToo ?

Je n’ai jamais été agressée, ni harcelée. Non, je n’ai jamais été terrorisée par les hommes. Le seul à m’avoir serrée de trop près, c’est Pierre Grimblat. J’avais 16 ans. Je lui ai filé une bonne baffe et ça a été terminé. Je n’ai pas fait le film qu’il me proposait, et ça m’a fermé quelques portes. Mais c’était mon choix ! Je pense que dans la majorité des cas, si une femme ose dire non, c’est non. Et ça s’arrête là. Moi, je ne serais jamais montée dans la chambre d’un producteur. Je défends les femmes battues ou violées. Mais on est obligé de constater aussi que la plainte pour agression sexuelle devient un outil de chantage et de vengeance. Avec cela, même sans aucune preuve, on peut détruire une réputation et mettre au ban de la société n’importe qui. C’est terrifiant.

Dati à la Culture. Moi, je n’oublie pas la culture… d’entreprise

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Galette des rois de l'organisation de petits patrons Ethic, Paris, 5 janvier 2023. DR.

Notre chroniqueuse salue l’arrivée de Rachida Dati, son amie, au ministère de la Culture, avec laquelle elle venait de découper la galette des rois de son organisation patronale, sans que les deux connaissent encore la nouvelle destination de l’ancienne garde des Sceaux et porte-parole de Sarkozy…


L’univers de la culture est un monde qui a totalement changé, et, en ce sens, nommer Rachida Dati ministre de la Culture en est une forme de prise de conscience. La culture aujourd’hui ne se résume pas à l’Académie française même si Jean-Marie Rouart se réjouit de l’apparition de cette nouvelle ministre lumineuse à la forte personnalité, multi-facettes, énergique, n’ayant peur de rien ni de personne, ni des auteurs classiques ni des rappeurs ! Faire bouger la culture c’est essentiel. C’est le signe qu’elle se développe quelles que soient ses formes.

Et la culture d’entreprise ? Elle n’est jamais évoquée et c’est pourtant un des socles contributifs à la fois d’une éducation, d’un apprentissage, d’une curiosité et de la reconnaissance de la valeur des hommes et du travail. Rachida Dati a été une des premières à soutenir la « Fête des Entreprises », un fervent soutien. À cette occasion, à la Mairie du 7ème se rencontraient les grands auteurs du moment dans un salon du livre… précédé traditionnellement d’un cours de yoga pour les salariés du quartier !

Alors il y a déjà les ronchons, les tradis, les aigris qui radotent sur le quiz qu’ils pourraient lui faire passer comme ils l’avaient déjà fait pour Fleur Pellerin, une de ses prédécesseurs. On aime bien, en France, faire passer des examens (sauf aux élèves !) et à l’époque on avait espionné en ricanant les titres des livres qui figuraient dans les étagères de son bureau, et même la musique qu’elle écoutait. On parie que les pièges vont fleurir pour dire qu’elle est inculte comme on en avait fait courir le bruit pour Nicolas Sarkozy…

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Mais surtout, Paris devrait y gagner car la ministre de la Culture a son mot à dire sur nos monuments et ce qui contribue à l’embellissement de la capitale, ouf ! et puis si elle n’a pas son mot à dire, personne ne pourra l’empêcher de le dire !  Le président de la République a annoncé qu’il voulait des révolutionnaires, c’est une très bonne chose car nous en avons une qui a été nommée. Il faut que les révolutionnaires changent de camp et fassent la bonne révolution, pas celle des grèves permanentes, des intermittents du spectacle la revendication bave aux lèvres à la moindre occasion, pas celle des personnels qui nous font assister à l’opéra sans décors, des fonctionnaires de l’art… Rachida Dati est probablement une chance pour dépoussiérer beaucoup de choses même si elle n’a pas fait son discours de passation de pouvoir en alexandrins comme celle à laquelle elle succède.

Mesdames de Menthon et Dati. DR.

Mais est-ce une chance pour elle ? Soyons conscients que c’est un terrible défi, qu’elle va essuyer les protestations, les manifestations, la résistance au changement, la fonctionnarisation de la culture, qu’on va attendre qu’elle fasse ses preuves à chaque instant… On veut Mauriac ? mais que diraient les jeunes d’une Mauriac aujourd’hui pour les entrainer et les comprendre ? Rachida Dati a accepté le portefeuille avec la plus grande prise de risque et que des coups à prendre…un défi beaucoup plus profond qu’on ne l’imagine. Chapeau déjà pour cela !

Un si noble divertissement…

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DR.

En janvier 1982 sortait sur les écrans français « Tout feu, tout flamme », une comédie bondissante de Jean-Paul Rappeneau avec Yves Montand et Isabelle Adjani, en père et fille.


C’est quoi un bon film ? Une œuvre d’art, un témoignage coup de poing, de l’action, des rires, du sexe, un rêve éveillé, la découverte d’un monde parallèle, des cris, des pleurs, une dénonciation, une lumière, une atmosphère, des dialogues, des silences, des gueules, des ombres, etc… A cette question, il y a autant de réponses que de sensibilité et d’aveuglément différents. Selon les goûts de chacun, le cinéma nourrit et fausse la représentation du réel.

La comédie de divertissement soignée, élégante, pleine d’entrain

Contrairement à certains de mes confrères qui plébiscitent la veine noire et défaitiste, la comédie sociale culpabilisante et maniérée, ou pis, le huis clos accusateur, ridiculement obséquieux, je préfère le rigodon, un tempo vif et entraînant, la légèreté des sentiments qui vient fouetter l’apathie d’un dimanche après-midi, le cadre léché, la ligne claire, des silhouettes bien dessinées, un certain confort bourgeois de visionnage en somme, le tangage m’indispose, le procès me rebute. Je déteste être la marionnette d’un réalisateur sournois qui va déverser sur moi, ses haines et ses rancunes, ses problèmes et ses lacunes. Qu’il conserve ses tourments intérieurs pour son cercle familial ou les professionnels de santé. Je ne suis pas son cobaye.

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C’est pourquoi le divertissement m’a toujours séduit, d’où mon admiration pour l’œuvre de Philippe de Broca. Bien peu de réalisateurs ont le courage, l’honnêteté, l’intelligence, le tact, le savoir-faire pour s’engager dans cette voie-là. Revendiquer le divertissement, c’est s’exclure des cénacles autorisés et se parjurer dans le comique. Car, pour les cinéphiles, la frontière est ténue entre le divertissement et la daube, entre le film sans prétention artistique et le produit commercial insane, entre le rire et le proxénétisme. Ces gens-là ne savent pas voir, ni entendre, tellement ils sont bunkerisés dans leurs certitudes. Je regrette le temps où la comédie de divertissement soignée, élégante, pleine de petits miracles et d’entrain, de ce charme indéfinissable que l’on pouvait tout de même résumer en un seul mot : le respect, réunissait deux millions de spectateurs. Respect du public. On ne voulait pas le décevoir et étonnamment, on ne le draguait pas à tout prix. On lui offrait un spectacle complet de qualité, c’est-à-dire une histoire et ce mot devenu aujourd’hui honteux, une intrigue, des caractères, des situations, des variations, une fluidité narrative, une bonne humeur teintée de mélancolie, une capsule où les emmerdes du quotidien et la vacuité des existences s’évanouissaient. Un refuge. Prenons « Tout feu, tout flamme » de Jean-Paul Rappeneau, sorti en janvier 1982, comme exemple de ce noble divertissement. Il a tout pour contrarier les rances de la pellicule, une grosse production, deux vedettes au sommet de leur art déclamatoire, la présence d’un mannequin international, une partition signée Michel Berger, des décors conçus par Hilton McConnico, un tournage « riche », un casino en ruine, des méchants en Cadillac, un acteur suisse fascinant de roublardise et ce plaisir non feint de s’amuser, de s’évader, de se laisser emporter par les relations tumultueuses d’un père et d’une fille. Je défie quiconque de résister à cet élan-là. Il est salutaire.

Quand la beauté n’était pas un crime

« Tout feu, tout flamme » balaye les aigreurs de janvier, par sa fantaisie et sa tendre décrépitude, il déconsidère les gesticulations de l’actualité. Après avoir vu Montand et Adjani, les intrigants aperçus sur les perrons ou les plateaux de télévision vous paraissent minuscules et dérisoires. Sans éclat. Sans fond. Sans aspérité. Des mécaniques inutiles. Parce que je ne connais rien de plus émouvant qu’Isabelle dans ce rôle de polytechnicienne au visage de madone, la beauté n’était pas un crime au début des années 1980, c’était encore un don du ciel. Dans sa rigueur érotique de conseillère ministérielle, Isabelle court, s’époumone, tombe de vélo, conduit une Alfa Romeo dans un trou d’eau, prend un hélico, calcule à la vitesse de l’éclair, fait office de mère pour ses sœurs et demeure cette éternelle ambitieuse triste. Jamais bicorne n’aura été mieux porté que par Adjani. Moi, d’habitude si critique avec le jeu exagérément personnel de Montand, je le trouve ici presque dans la retenue, sur la réserve, dans un bel équilibre, loin de sa caricature agaçante. Jean-Luc Bideau affiche une veulerie jubilatoire, en souffre-douleur, il est insatiable. Souchon qui ne s’aime pas trop en acteur, avait tort. Il a un air moins ahuri et son esprit moqueur se déploie avec aisance. Lauren Hutton, tout juste auréolée du succès d’« American Gigolo » est la caution californienne du moment alors qu’elle est née en Caroline du Sud. Sur le bord du Lac Léman, ses dents du bonheur sont aussi sensuelles qu’en couverture de Vogue. La force de ce divertissement-là est sa permanence mémorielle. Il est loin d’être éphémère. Il instille en nous une nostalgie non revancharde et non victimaire. Peut-être, une attirance lucide pour une forme de bonheur perdu. 

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