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Causeur: 7-Octobre, un jour sans fin

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Découvrez le sommaire de notre numéro d’octobre


Israël, la Palestine et le monde entier viennent de vivre un véritable annus horribilis suite aux atrocités commises par le Hamas le 7 octobre 2023. L’onde de choc n’en finit pas d’ébranler, au-delà du Proche-Orient, toutes les sociétés occidentales. Comme le souligne Elisabeth Lévy dans son introduction à notre dossier du mois, le pogrom du Hamas a ravivé l’antisémitisme dans le monde et vaut à l’État juif d’être accusé de génocide. Face au nouvel antisémitisme politique qui s’installe en France, le philosophe Pierre Manent, se confiant à Élisabeth Lévy et Céline Pina, affirme que la seule façon de protéger nos libertés et de définir une règle du jeu commune avec les musulmans de France exige avant tout une réaffirmation de la communauté politique nationale qui s’est effacée devant les droits des individus. Selon Alain Finkielkraut, Israël est confronté non seulement à une guerre d’usure mais aussi à une fracturation inédite de sa propre société. Dans une interview avec Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, le philosophe maintient qu’on doit en même temps dénoncer l’extrémisme et le cynisme de Benjamin Netanyahu et combattre l’antisémitisme décomplexé qui sévit partout. Jean-Michel Blanquer explique que ce qu’on a vu au lendemain du 11-septembre et de l’attentat contre Charlie Hebdo se reproduit depuis le 7-octobre : l’inversion victimaire, la justification de l’horreur. Pour l’ancien ministre de l’Éducation nationale, aujourd’hui professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas, la barbarie terroriste a ravivé la fascination pour le crime de masse. Il faut analyser ce soutien au mal pour mieux défendre notre humanité.

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À propos du 7-octobre, peut-on se fier à un média comme Le Monde ? Selon l’analyse de Jean-Baptiste Roques, le quotidien « de référence », dissimule à peine, mais avec brio, sa vision manichéenne du Proche-Orient et son parti-pris propalestinien. Derrière une mécanique sémantique de précision, s’entend une petite musique anti-israélienne. Pour Gil Mihaely, l’union sacrée qui prévalait en Israël au lendemain de l’attaque du Hamas a été de courte durée. Après quelques mois, les fractures politiques et religieuses qui avaient conduit le pays au bord de la guerre civile sont de nouveau ouvertes. Seules des élections permettront d’apurer le passif. Mais les jours de Benyamin Nétanyahou à la tête du gouvernement ne semblent pas comptés.

Quoiqu’en disent les médias, nous n’avons peut-être jamais été aussi nombreux, de Paris à Téhéran, à vouloir écraser l’internationale islamiste. Tel est l’avis de Philippe Val dans l’entretien qu’il donne à Causeur. À l’avant-garde de la lutte contre les barbus, l’ancien patron de France Inter estime que nous sommes à un point de rupture : le moment n’est plus à l’apaisement, mais à la bataille victorieuse. Dès le 8 octobre, les Français juifs ont été confrontés à la violence. Richard Prasquier, ancien président du CRIF, témoigne qu’intimidations, harcèlements et agressions ont bouleversé le quotidien de nombre d’entre eux, dans la rue, à l’école ou jusqu’à leur domicile. Cela a suscité peu de condamnations politiques et aucune inter-religieuse. Comment vivre dans une telle indifférence ?

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Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy se désole de la mode du vin désalcoolisé qui, paraît-il, prend des proportions telles qu’elle pourrait sauver le vignoble français. Le vin sans alcool n’est sans doute que le prélude aux côtes de bœuf sans bœuf, aux livres sans phrases et au sexe sans rencontre des corps. Car « dans l’avenir radieux, tout ce que votre médecin et Sandrine Rousseau vous interdisent existera dans une version assainie ». Dans sa chronique, Emmanuelle Ménard reconnaît que, s’il a fallu attendre plus de deux mois avant que notre pays retrouve un gouvernement, ce dernier penche plutôt à droite, ce qui n’est déjà pas si mal. Stéphane Germain fait l’inventaire des travers des « ultras » du progressisme contemporain. Animés d’intentions louables en apparence, ils cachent mal leurs passions tristes : hypocrisie, vengeance, ingratitude, racisme, antisémitisme, bêtise crasse et mauvaise foi. À l’heure actuelle, le NFP en France semble incarner la dernière gauche immigrationniste d’Europe. Telle est la conclusion de Frédéric Magellan qui voit partout ailleurs, du Danemark à l’Allemagne, en passant par la Grande-Bretagne et la Slovaquie, des partis de gauche rattrapés par le réel et obligés de défendre un strict contrôle des frontières pour enrayer l’immigration de masse. En revanche, la gauche française qui continue de voir un électeur en chaque immigré ne change rien à sa doctrine. Le cas de l’Allemagne est étudié de près par Nicolas Pouvreau-Monti, directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie. Les annonces du chancelier Olaf Scholz pour contrôler l’immigration rompent avec une décennie de politique d’accueil inconditionnel. Mais la plupart d’entre elles sont conformes au traité de Schengen. Qu’attend la France ?

Ancien magistrat, Philippe Bilger se penche sur le procès Pelicot. Depuis qu’elles ont débuté au tribunal d’Avignon, les audiences sont noyées sous un flot inouï de commentaires qui ne favorisent ni la justice, ni la qualité du débat public. Ce drame hors-norme est le procès de 51 hommes, non celui du patriarcat ou de la masculinité. Ivan Rioufol nous montre comment la crise démocratique amorcée en 2005 a contaminé la classe dirigeante. Le destin de la France ne peut être abandonné aux idéologues d’un monde plat et indifférencié. Mais aujourd’hui les Français ordinaires sont en passe de se libérer de ces fanatiques du grand marché uniformisé.

Côté culture, on commence par le Moyen Âge. Cette époque est souvent identifiée à l’obscurantisme, mais elle peut avoir des choses à apprendre à nous autres modernes. C’est le cas de l’éducation, selon une exposition à la Tour Jean-sans-Peur que Georgia Ray a visitée pour nous.  L’intérêt porté à l’enfant, l’explication de texte, l’apprentissage du par cœur… autant de méthodes qui ont permis la transmission du savoir des siècles durant.

La culture européenne existe-t-elle encore ? La question, qui divise aujourd’hui les intellectuels, est ignorée par nos élites. Cette culture a pourtant forgé notre regard et un « esprit européen » que le monde entier a admiré. Mais de renoncements en reniements, nous avertit Françoise Bonardel, notre civilisation semble admettre son effacement. Ce mois-ci, c’est Dominique Labarrière qui a fouillé dans la « Boîte du bouquiniste » et en a ressorti les Mémoires sur la chevalière d’Éon de Frédéric Gaillardet, de 1866, qui, en citant une profusion de documents, montre quel était le véritable sexe de la « chevalière ».

Emmanuel Domont nous fait découvrir le premier roman de Nagui Zinet, clochard céleste, un récit drôle et désespéré des errances d’un alter ego de l’auteur dans Paris.

Le cinéma américain s’est toujours nourri des fantasmes d’une société divisée et hyperviolente. À l’approche d’une élection présidentielle que d’aucuns jugent cruciale pour l’avenir du pays, certains films catastrophe trouvent un écho troublant. L’avenir des États-Unis serait-il déjà sur les écrans ? En analysant un certain nombre d’exemples, Laurent Silvestrini nous apporte les éléments d’une réponse. Quant au cinéma francophone, Jean Chauvet nous présente un acteur en majesté́, un polar bourguignon gouleyant et une merveilleuse reprise – un véritable tiercé gagnant d’un mois de cinéma polyphonique comme il se doit. Enfin, Yannis Ezziadi nous emmène au Bistrot des Halles, où Vincent Limouzin entretient la tradition bistrotière qui a fait la réputation du Ventre de Paris. Dans un décor inchangé depuis les années cinquante, il sert une cuisine canaille savoureuse et les vins de vignerons qu’il connaît. Qu’ils commandent un repas au Bistrot des Halles ou se plongent dans les pages de Causeur, nos lecteurs ne resteront jamais sur leur faim.

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Amour vache et mauvaises gagnantes

Les couples dans lesquels la femme gagne plus que son conjoint masculin ont davantage de risques de se séparer, d’après une étude de l’Institut national d’études démographiques publiée hier.


Cette étude va faire pleurnicher dans les chaumières féministes qui vont y voir une nouvelle preuve que l’infâme patriarcat et les « stéréotypes de genre », comme on dit dans la novlangue sociologique, ont la vie dure. Il ne s’agit pas d’un vague sondage, mais d’une sérieuse et vaste enquête menée depuis six ans, avec des données concernant 100 000 couples hétérosexuels. Elle est publiée en anglais dans une grande revue de démographie[1].

Pour ne pas vous assommer de chiffres, je résume : quand une femme gagne plus que son conjoint, le risque de divorce est plus élevé que quand c’est le contraire. Et plus l’écart augmente, plus ce risque augmente… Cela se constate à tous les âges, et c’est encore plus marqué chez les faibles revenus.

Pour le féminisme contemporain consistant essentiellement à démontrer que les femmes sont les chouchoutes du malheur (asservies, agressées, sous-payées, humiliées etc.), la conclusion est donc évidente : ces messieurs, qui se prennent toujours pour des pater familias tout puissants, supportent mal que leurs femmes réussissent mieux qu’eux (à supposer déjà que la réussite se mesure au revenu…).

C’est d’ailleurs la même interprétation qui est privilégiée par l’INED, lequel observe des difficultés conjugales chez « ces couples hors-norme » qui ne suivent pas le modèle dominant de l’homme « gagne-pain ». Les résultats indiquent clairement que « dévier des normes est difficile à accepter même dans des pays comme la France où l’emploi féminin est élevé et soutenu par des politiques familiales ».

En quoi cette interprétation est-elle contestable ?

C’est cette interprétation qui est sexiste. Comme si les femmes subissaient toujours tout ce qui leur arrive ! Une femme qui gagne plus « encourt le risque » de séparation, écrit ainsi le site progressiste du HuffPost en commentant l’étude. Comme si le divorce était une punition réservée aux femmes !

En réalité, la plupart du temps, ce sont les femmes qui partent. Les hommes sont peut-être un peu plus lâches, allez savoir… Peut-être aussi que certaines femmes sont vénales, après tout. Peut-être les femmes sont-elles plus enclines à divorcer, quand leur conjoint gagne moins et ne peut pas les couvrir de bijoux, qui sait ? D’ailleurs, l’INED l’envisage, mais au conditionnel. Une autre possible interprétation viendrait des femmes financièrement plus dotées que leur conjoint pour qui la séparation pourrait être plus envisageable en cas d’insatisfaction conjugale.

Mais surtout, aujourd’hui, un tiers des femmes gagnent plus ou autant que leur conjoint et dans 20 ans, étant donné les niveaux de diplômes et la présence féminine dans les universités, ce sera le contraire. Plus autonomes financièrement, les femmes sont donc plus libres. Libres de partir quand elles veulent. C’est donc en réalité une bonne nouvelle. Et c’est pour ça que ça hérisse les féministes, qui n’aiment jamais les bonnes nouvelles.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy chez Jean-Jacques Bourdin dans la matinale


[1] https://archined.ined.fr/view/nx-eJZABuUAJ5jvNq7yK

Faust ne meurt jamais

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Ah, je ris…


Au XIXème siècle, le vent du romantisme souffle sur le mythe de Faust. En France, il est déjà dans l’air du temps dès la fin de la Restauration : sur les Grands boulevards parisiens, les théâtres populaires en vogue proposent régulièrement des diableries où Faust, maudit, finit traqué par les démons, tandis qu’une Marguerite sanctifiée monte au ciel. Sur l’autre rive du Rhin, la « faustomania » bat son plein. De l’œuvre popularisée par Goethe, Franz Liszt, à qui l’ami Berlioz a dédicacé sa Damnation… fait bientôt un oratorio, la célèbre Faust Symphonie.  Entre 1859 et 1885, il compose encore quatre Mephisto Valzer, les deux premières pour orchestre symphonique, mais  toutes transcrites pour piano par ses soins. Schumann quant à lui, en 1844 – soit un peu plus de dix ans après la mort de Goethe – s’était lancé à corps perdu dans l’écriture de Scènes de Faust, un somptueux oratorio profane de près de deux heures.  Dès 1813, le préromantique allemand Louis Spohr avait tiré son Faust, non pas de Goethe (dont le premier Faust venait tout juste de paraître – le second étant, comme l’on sait, posthume), mais d’un roman de son compatriote Klinger, sur un livret signé Joseph Karl Bernard. L’œuvre sera créée par Weber, à Prague, trois ans plus tard.

Berlioz : deux représentations et s’en va en Russie

C’est la splendide traduction en prose de Goethe par Gérard de Nerval qui chez nous fera la fortune du diptyque tiré d’une vieille légende germanique du XVIème siècle. Dès 1828, l’œuvre inspire au jeune Hector Berlioz ses Huit scènes de Faust, qu’il envoie au vieux maître de Weimar, lequel ne se donne pas la peine de répondre. Ce sera pourtant la matrice de La Damnation de Faust, composée par intermittence au cours de voyages en Allemagne, et créée enfin à l’Opéra-Comique de Paris en décembre 1846 : une salle quasi déserte, un four – à peine deux représentations. Sur un livret versifié par ses soins, l’incroyant qu’était Berlioz n’avait pas hésité à développer jusqu’à l’outrance la dimension luciférienne du poème. Témoin ce climax délirant du « Pandémonium », où le héros est englouti. Chef d’œuvre alors totalement incompris, cette Damnation aura, de surcroît, causé la ruine matérielle de Berlioz. Deux mois plus tard, le compositeur fuit d’ailleurs « cet atroce pays » – la France – pour l’hospitalière Russie.

Gounod, incontournable

Gounod demeure l’autre « faustien » incontournable du Siècle industriel. Millésimé 1859, son Faust n’aura pas attendu Hergé et sa Castafiore pour incarner illico un must du lyrique : le triomphe des cinquante-sept représentations inaugurales, au Théâtre Lyrique parisien, écrase toutes les nouveautés de l’heure, fussent-elles paraphées des gloires musicales du temps : Meyerbeer, Félicien David… Y étincelle tout le tape-à-l’œil Second Empire. Après avoir rendu le directeur du Théâtre lyrique riche comme Crésus, les déboires de cette bigote « chaste et pure » de Marguerite, mise en cloque malgré elle par un débauché qu’instrumentalise Méphisto, puis condamnée à mort pour avoir occis le moutard du péché, fera également la fortune de l’Opéra Garnier flambant neuf, ratifiant le triomphe de la grande machine opératique à la française. L’impérissable « air des bijoux » sont à Gounod ce que Carmen et le « prend garde à toi » sont à Bizet : une scie du répertoire. Barbier & Carré, le duo des librettistes de Faust, reste à l’art lyrique ce que Roux-Combaluzier seront aux ascenseurs : des fabricants industriels.

A lire aussi: « Le Syndrome de l’Orangerie», de Grégoire Bouillier : combien de cadavres sous les fleurs?

De fait, avec cette transposition psychologisante, on est à des années-lumière du texte de Goethe. Au point que les Allemands, non sans condescendance, vont jusqu’à priver cet opéra de son titre, pour ne l’appeler jamais que Margarethe, voire Gretchen ! Il est vrai que Marguerite, celle-là même qui « rit de se voir si belle en son miroir », occupe – tout à l’inverse de chez Berlioz – la place centrale de la dramaturgie. Son tropisme catholique un peu épais – avec chœur, grand orgue et tout le tralala – achève de rendre la poétique goethéenne proprement méconnaissable. Et chez Gounod, Faust n’exige aucunement l’accès à une toute puissance interdite aux humains. Il ne veut que la jeunesse, rien que la jeunesse, toute la jeunesse – mais pour l’éternité ! De métaphysique, le pacte avec le diable est devenu physiologique.

Trivial et débridé

Demeure la suavité de la musique, et les rimes appétissantes du livret, genre : « A moi les plaisirs,/ Les jeunes maîtresses !/ A moi leurs caresses,/ A moi leurs désirs ! »…  Au rebours de la Damnation… instruite par l’immense Hector Berlioz, le Faust de Gounod est un mélodrame trivial et débridé, avec ballet, qui colle au goût bourgeois de l’époque. Un grand spectacle frénétique, guilleret, érotisé, dont le piquant et célèbre air de valse – « Ainsi que la brise légère/ Soulève en épais tourbillons/ La pouss-i-ère des sillons/ Que la valse nous entraîne ! / Faites retentir la plaine. De l’éclat de nos chansons ! » – mettra du reste, sur plusieurs générations, le feu aux joues de cargaisons de jeunes filles rangées.

Faisant suite à la création mythique de Jorge Lavelli en 1975 au Palais Garnier, reprise jusqu’à douze fois, puis à celle de Jean-Louis Martinoty en 2011, la mise en scène de Jean-Romain Vesperini sur des décors signés Johan Engels, à l’Opéra-Bastille encore en 2015, faisait un sort à cette obsession libidinale et à cette débauche des sens. La kermesse du second acte se changeait par exemple en cabaret rempli d’apaches et de grues. Les costumes flashy de Cédric Tirado propulsaient l’opéra, peuplé de veuves en noir, de femmes légères et de pioupious en capotes beige, dans la griserie des Années folles. On se demandait ce que le Docteur pouvait bien lui trouver, à cette Marguerite frigide, fagotée dans un tailleur d’institutrice…


Est-ce toi, Marguerite ?

Avec le Bavarois Tobias Kratzer aux manettes de cette mise en scène millésimée 2021 (alors sabrée par le confinement après deux représentations), reprise à présent pour la seconde fois, toute autre ambiance : à l’ouverture, un Faust senior, dans son salon de bourgeois des beaux quartiers, redouble le ténor chantant un Faust rajeuni par le pacte fatal (le Samoan Pene Pati reprend sans démériter le rôle confié en 2021 et 2022 à Benjamin Bernheim) puis voltigeant de conserve avec Méphistophélès, dans un ciel fuligineux projeté sur l’écran géant aux dimensions du plateau, pour survoler l’immensité nocturne du Grand-Paris, tels deux oiseaux de nuit suspendus à des filins. Le chœur, sous les stroboscopes d’une boîte de nuit, se trémousse sur la célèbre mélodie de la valse…  Valentin (Florian Sempey), lui, s’anime à l’acte 1 sur un terrain de basket en sirotant sa cannette de Red-Bull. Sa Marguerite prolo (Amina Edris) loge au 1er étage d’un HLM années soixante-dix, dont l’entrée extérieure, sous l’éclairage cru de deux réverbères hideux, abrite le meuble-boîtes aux lettres en métal des locataires. L’air fameux « je me vois si belle en ce miroir » montera du lavabo, la « chanson du Roi de Thulé » s’entonnera devant le PC domestique, au bord du plumard où Méphisto la viole, et la désespérée noiera d’ailleurs son chiard dans la baignoire du F2, juste à côté de la lunette des WC, après avoir, en consultation chez le gynéco, contemplé son diable de fœtus à l’échographie. Faust flanqué de son démon chevelu et capé de noir devise à l’occasion près d’une gargouille, juché sur une tour de Notre-Dame, cathédrale promise aux flammes – cf. l’incendie du 15 avril 2019. Et si Marguerite éplorée fait le vide autour d’elle en chialant, assise sur une banquette de ces rames de métro vieillissantes comme la RATP en gratifie Paris, le ballet de la « Nuit de Walpurgis » prend la forme d’une chevauchée au cœur de Hidalgo Land. L’ami Siebel (pourtant si bien chanté par la mezzo Marina Viotti) a moins l’allure d’un gentil garçon que d’une lesbienne camionneuse à binocles. Des personnages, les voix pourtant vertes et sonores sont, en bien des scènes, amorties par l’écran de tulle transparent où ceux-ci, filmés en live par les vidéastes en costume noir, diablotins félins du démon, apparaissent démesurément agrandis, leurs visages capturés en gros plan redoublant leurs silhouettes réelles : visuellement inesthétique, le procédé a beaucoup vieilli. Bref, avec la meilleure volonté du monde Emmanuel Villaume à la fosse, à la tête du bel Orchestre et chœurs de l’Opéra de Paris, aura bien du mal à rendre impérissable ce Faust par Kratzer.  

© Franck Ferville / Opéra national de Paris

Mais on n’en a jamais fini avec Faust. De fait, il a fallu attendre le XXème siècle pour que Busoni (plus connu par ses transcriptions de Bach) achève, l’année même de sa mort en 1924, un Doktor Faust testamentaire, où une « duchesse de Parme » remplace sur le tard Marguerite et où un enfant nu, un rameau fleuri en main, prend au final la place du magicien mort. Plus près de nous, pour son opéra en anglais, Faustus, the last Night, commande du Straatoper de Berlin en 2006, Pascal Dusapin puisait quant à lui, non pas dans l’auteur des Souffrances du jeune Werther, mais dans la pièce élisabéthaine de Christopher Marlowe…

A lire aussi: « Kaizen »: l’Everest, sa cohorte de prétendants et la philosophie des cimes

Rappelons que, de la scène à l’écran, le sardonique Méphisto ricane encore et toujours. Dès l’aurore du cinéma, le mythe faustien s’empare du muet : de Georges Méliès (Faust et Marguerite – 1897) à Henri Andreani (Faust – 1910) en passant par Alice Guy (Faust et Méphistophès – 1903). Mais c’est le grand Murnau qui, en 1926, donnera au doktor ses lettres de noblesse, avec son chef d’œuvre : Faust, une légende allemande… Autant dire que depuis les films qui, par le biais de transpositions plus ou moins littérales – cf. La beauté du diable, de Réné Clair (1949), L’Imaginarium du docteur Parnassus de Terry Gilliam (2009), voire Mort à Venise de Visconti (1971) ou Phantom of the Paridise de Brian de Palma (1974) – jusqu’au  Faust  baroque et luxuriant réalisé en 2011 par le russe Sokourov, Faust ne cesse de vasculariser le Septième art. La veine faustienne est loin d’avoir rendu le dernier sang.

On se prend de curiosité à imaginer ce que donnera, en juin prochain, la production annoncée salle Favart – Louis Langrée à la baguette, Denis Podalydès à la régie, Eric Ruf aux décors et Christian Lacroix aux costumes – sensée renouer avec la version originelle de l’opéra telle qu’elle enflamma le Théâtre-Lyrique, l’an 1859…    


Faust. Opéra en cinq actes de Charles Gounod. Avec Pene Pati, Alex Esposito/John Relyea, Florian Sempey, Amin Edria, Marina Viotti, Sylvie Brunet-Grupposo.
Direction: Emmanuel Villaume. Mise en scène : Tobias Kratzer. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Opéra Bastille les 2, 5, 8, 12, 15, 18 octobre 2024 à 19h.
Durée : 3h50

(A noter sur vos agendas 2025 : Faust, de Gounod. Direction : Louis Langrée. Mise en scène : Denis Podalydès. Décor : Eric Ruf. Costumes : Christian Lacroix.  A l’Opéra-Comique du 21 juin au 1er juillet 2025).

Plein Soleil

Une révolution sous nos yeux: la folle croissance de l’énergie solaire


« Appartenir à une époque c’est être incapable d’en comprendre le sens, tout nous désigne que le temps dans lequel nous vivons forme une tache aveugle, l’angle mort de notre vision intelligente » écrivait Alice Ferney dans Les Bourgeois. Si nous tentons très modestement de discerner dans le brouillard du monde les quelques tendances qui s’y dessinent avec assez de force pour pouvoir le modifier en profondeur, nous devrions alors nous intéresser à l’incroyable croissance de l’énergie solaire. Ami de Causeur, n’interromps pas ta lecture ! si en France le débat sur l’énergie solaire a été largement caricaturé par les tenants de l’écologie punitive, son évolution récente au niveau mondial lui confère une tout autre perspective. En effet si 420 GW de capacités solaires supplémentaires ont été mises en service dans le monde en 2023 (soit 84% de plus qu’en 2022), en 2024, d’après les récentes prévisions du groupe de réflexion Ember, c’est près de 600 GW qui devraient être installés – en 10 ans l’industrie photovoltaïque aura ainsi cru d’un facteur 13, effectuant un véritable changement de d’échelle et de nature[1] :

Tentons d’appréhender l’énormité de ce chiffre de 600 GW annuels : celui-ci représente l’équivalent en puissance de 370 réacteurs nucléaires EPR[2] – soit 1 EPR par jour ! Ajusté de la différence d’utilisation (80% du temps pour un EPR, environ 15% du temps pour le solaire[3]), il représente la production électrique de 69 EPR[4]

Un déploiement pas forcément adapté à notre pays

Cette comparaison a bien sûr une limite : la production nucléaire est « pilotable » alors que le solaire est dit « fatal », c’est-à-dire qu’il ne peut être programmé pour s’ajuster à la demande. Ainsi dans un pays largement nucléarisé comme la France où la demande électrique est tirée par le chauffage hivernal (alors que les rendements photovoltaïques sont très faibles) la construction subventionnée de capacités solaires est discutable.

A lire aussi: Le pouvoir d’achat, ce paresseux mantra

Mais la nature étant bien faite, les pays les plus ensoleillés sont souvent ceux où la demande électrique est tirée par les besoins en climatisation, très corrélés à l’ensoleillement, et sont aussi souvent ceux qui disposent des vastes surfaces désertiques nécessaires à la construction de fermes solaire. La production électrique y étant traditionnellement assurée par des centrales à charbon ou à gaz, émissives en CO2 mais qui ont l’avantage de pouvoir moduler très rapidement leur production lorsque les centrales solaires fonctionnent : ainsi au Texas, en Chine, en Inde, au Maghreb, dans les pays du Golfe persique, chaque nouvelle capacité solaire vient directement réduire le recours aux centrales à charbon ou à gaz, centrales dont la production se concentre alors sur les Dunkelflaute (périodes sans soleil ni vent), permettant une réduction des émissions de CO2 directe et substantielle.

Une énergie concurrentielle

Comment s’explique cette brutale accélération de la croissance du solaire ? Principalement par la très forte baisse du prix de panneaux photovoltaïques : -86% entre 2011 et 2022[5]. Désormais l’électricité issue des grandes fermes solaires de pays fortement irradiés est de très loin la moins onéreuse à produire, avec un coût complet en baisse constante, désormais sensiblement inférieur à 20€ par MWh (à titre de comparaison EDF a signé un prix de vente de 92,5 £/MWh (110 €/MWh) pour l’EPR britannique d’Hinkley Point, et vise 70 €/MWh pour les futurs EPR français – cible très ambitieuse de l’avis général). Cette baisse des prix a été rendue possible par la croissance des volumes, les progrès techniques (les panneaux récents utilisent moins de matière tout en offrant des durées de vie et des rendements en hausse) mais aussi par des surinvestissements industriels en Chine. Amer fruit de cette révolution solaire : la concentration désormais quasi-exclusive de la chaine de production en Chine, au détriment des acteurs industriels européens et américains notamment.

Cette incroyable baisse des coûts permet un foisonnement de projets dont la réalisation aurait encore relevé de la science-fiction il y a quelques années. Ainsi le projet AAPowerLink[6] qui prévoit de relier Singapour à une ferme solaire de 6 GW en Australie via un câble électrique de 4 300 km, ou le projet Xlink reliant le Royaume-Uni à des fermes solaires et éoliennes au Maroc[7]. Autre tendance, les mega-fermes solaires en construction dans les zones désertiques d’Inde ou de Chine : par exemple le projet chinois Gonghe Talatan[8] de 15,6 GW (soit la puissance de 10 EPR) pour une surface de 609 km2. A moyen terme cette électricité très bon marché pourrait aussi permettre de concrétiser les nombreux projets de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau, faisant ainsi advenir la révolution de l’hydrogène.

Il est intéressant de noter que la carte des pays bénéficiant de cette nouvelle manne solaire superpose souvent celle des pays gaziers ou pétroliers. Ainsi le Texas, nouvel eldorado énergétique cumulant gaz et pétrole de schiste, usines d’exportation de GNL et immenses champs éoliens et solaires, et ouvrant désormais la voie du stockage d’électricité par batteries à grande échelle. Le principe de Saint Mathieu trouve encore l’occasion de se vérifier (« on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a »).

On observe également une tendance systématique des experts à très largement sous-estimer cette croissance du solaire – par exemple en janvier 2024 l’Agence Internationale de l’Energie[9] estimait encore à moins de 400 GW les nouvelles capacités 2024, estimation désormais revue à la hausse de près de 50%. Conclusion : la nature humaine a tendance à systématiquement sous-estimer la rapidité des changements technico-économiques ainsi que sa capacité à s’adapter aux défis qui lui sont adressés – un message d’espoir qui permet de relativiser les récits de scénarios climatiques apocalyptiques trop souvent paresseusement répétés.

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[1] Sources : 2010-17 : https://www.canarymedia.com/articles/solar/chart-solar-installations-set-to-break-global-us-records-in-2023, 2018-23 : https://iea.blob.core.windows.net/assets/d718c314-c916-47c9-a368-9f8bb38fd9d0/CleanEnergyMarketMonitorMarch2024.pdf, 2024 : https://ember-climate.org/insights/in-brief/solar-power-continues-to-surge-in-2024/

[2] Soit 573 GW / 1,6 GW = 370

[3] Le taux d’utilisation du solaire est très variable selon les emplacements géographiques. 15% correspond à une hypothèse prudente.

[4] Soit (573 GM x 15 %) / (1,6 GW x 80%) = 69

[5] https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/solaire-photovoltaique

[6] https://en.wikipedia.org/wiki/Australia-Asia_Power_Link

[7] https://xlinks.co/

[8] https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=List_of_photovoltaic_power_stations&oldid=1246554952

[9] https://www.iea.org/energy-system/renewables/solar-pv

Avis d’experts: le système électoral américain est le pire qui soit

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Le comportement polémique de Donald Trump, après les résultats du scrutin présidentiel de 2020, ne doit pas empêcher de rappeler que le système électoral américain est dénoncé comme chaotique depuis longtemps.


Dans notre article précédent, nous avons présenté le système électoral américain et son incroyable fouillis de lois, de réglementations et de modes de fonctionnement. À présent, nous allons passer en revue les avis des experts sur ce système électoral si particulier – et nous constaterons qu’ils le considèrent comme le pire de tous les États démocratiques !

Des erreurs et des fraudes omniprésentes

En 1934, Joseph P. Harris, politologue et ancien responsable de bureau de vote à Chicago, qui avait été chargé d’étudier le fonctionnement du système électoral américain, publiait son rapport, dont la conclusion était sans appel : « Il n’y a probablement aucune autre phase de l’administration publique aux États-Unis qui soit aussi mal gérée que la conduite des élections. Chaque scrutin met en lumière des irrégularités, des erreurs et des fautes de la part des employés des bureaux de vote, le non-respect des lois et des règlements électoraux, des pratiques bâclées et des fraudes flagrantes. » (1)

Bien sûr, c’était il y a un siècle. On serait en droit d’espérer que, depuis 1934, la situation s’est améliorée et que les problèmes ont disparu. Que nenni.

Le système électoral américain n’est pas à la hauteur des normes internationales

À la veille de l’élection présidentielle de 2004 (qui allait voir la victoire de George W. Bush), l’ex-président américain, Jimmy Carter (Démocrate), était interviewé par la radio publique nationale (National Public Radio).

Depuis 1989, Carter étudiait la sécurité des élections dans le monde entier, par le biais de sa Fondation (Carter Center), qui a envoyé des équipes d’observateurs dans 40 pays pour y surveiller 115 élections.

À la surprise de la journaliste, qui lui demandait en badinant s’il accepterait de vérifier la qualité des élections américaines, Carter répondit que, « si les États-Unis étaient un pays étranger, qui lui demandait de surveiller ses élections, il serait obligé de refuser, parce que le système électoral américain n’est pas à la hauteur des normes internationales ». (2)

Rien n’est fait pour dissuader ou détecter les fraudes

La même année, Jimmy Carter et l’ex-Secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères), James A. Baker III (Républicain), créaient la Commission sur la réforme électorale fédérale (Commission on Federal Election Reform), organisation bipartisane, dont l’objet était d’examiner les élections américaines et d’en accroître la sécurité.

Dès 2005, la Commission remettait son rapport, qui soulignait que « le système électoral ne peut pas inspirer confiance au public, car il n’existe pas de garanties pour dissuader ou détecter les fraudes ». (3)

Un système électoral digne du plus pauvre village d’Afrique ?

En septembre 2004, la présidente de la Commission électorale indépendante d’Afrique du Sud, Brigalia Bam, qui réalisait une tournée d’inspection dans les bureaux de vote de Floride, exprima sa stupéfaction : « Ici, absolument tout est une violation [des normes de sécurité]. Tous ces systèmes électoraux différents, dans des comtés différents, sans aucune obligation de rendre des comptes, c’est comme dans le village le plus pauvre d’Afrique ! » (4)

A lire aussi, Harold Hyman: États-Unis: une campagne entre cris et chuchotements

Les États-Unis sont mûrs pour le vol d’élections et pour la fraude

En août 2006, l’ex-président de la Commission d’assistance électorale (U.S. Election Assistance Commission), agence indépendante dont l’un des rôles est de certifier les machines à voter électroniques, le Républicain DeForest Soaries, dénonçait le dangereux amateurisme qui régit les élections américaines, dans une interview accordée à une importante chaîne de radio. En raison de son contenu explosif, cette interview fut interdite de diffusion ; mais, deux mois plus tard, sa transcription fuitait et était publiée sur internet.

« La loi Help America Vote Act (HAVA) de 2002 impose la présence d’une machine à voter électronique dans chaque bureau de vote du pays. Mais il n’existe aucun prototype, aucune norme, aucune recherche scientifique qui permette de construire une machine électronique qui puisse être utilisée en toute sécurité. Si tous les foyers étaient obligés d’avoir un four à micro-ondes sans que des normes de sécurité aient été élaborées, cela ferait scandale. Mais aujourd’hui, nous en savons plus sur la façon de construire une machine pour prendre des photos de roches sur Mars, que sur la façon de construire une machine à voter électronique fiable. »

« Les politiciens de Washington ont conclu que le système ne peut pas être si mauvais que cela puisque, après tout, c’est lui qui les a produits. Tant qu’un candidat est élu, la machine et le dispositif utilisés pour l’élire lui semblent adéquats. Mais il est impossible de faire confiance à la technologie que nous utilisons pour compter les votes. Si nous étions un pays étranger analysé par l’Amérique, nous conclurions que ce pays est mûr pour le vol d’élections et pour la fraude. » (5)

Les États-Unis devraient s’inspirer des procédures électorales d’autres pays

En 2009, R. Michael Alvarez, professeur de sciences politiques au California Institute of Technology et co-directeur du Voting Technology Project (Programme sur la technologie de vote), concédait que « les responsables électoraux des États-Unis ont beaucoup à apprendre de leurs collègues d’autres pays, et ils peuvent tirer profit de l’étude des procédures électorales de ces pays », pour améliorer la sécurité de leurs élections. (6)

Le plus mauvais système électoral de toutes les démocraties

En 2012, Richard Hasen, professeur de sciences politiques, expert en droit électoral, directeur du Safeguarding Democracy Project (Programme de sauvegarde de la démocratie) à la faculté de droit de l’Université de Californie (UCLA School of Law), rendait un verdict similaire : « Je ne pense pas qu’il existe une démocratie mature dont le système électoral soit aussi mauvais que le nôtre ». (7)

 Les États-Unis, derniers de la classe

En 2017, des universitaires de l’Electoral Integrity Project (Programme sur l’intégrité électorale), spécialisés dans l’étude internationale comparative des élections, ont classé 28 États démocratiques selon la fiabilité de leurs systèmes électoraux, en utilisant des données relatives aux élections ayant eu lieu de 2000 à 2012. Le résultat a été sans appel : les États-Unis sont arrivés derniers, loin derrière les autres démocraties. (8)

La fraude électorale existe dans toutes les régions des États-Unis

Hans von Spakovsky, ancien membre de la Commission électorale fédérale (Federal Election Commission) et directeur de l’Election Law Reform Initiative (Initiative pour la réforme du droit électoral) de la Heritage Foundation, milite depuis des années en faveur du renforcement de la sécurité des élections américaines.

En 2012, il dressait un sombre constat : « La fraude électorale, qu’il s’agisse d’inscriptions frauduleuses sur les listes électorales, de bulletins de vote par correspondance illégaux, d’achats de voix, de recomptes douteux ou de bourrage des urnes à l’ancienne, peut être constatée dans toutes les régions des États-Unis. » (9)

En 2021, il revenait à la charge, et publiait une liste de mesures à mettre d’urgence en œuvre, pour contrer les fraudes électorales :

– tenir à jour des listes électorales exactes ;
– exiger une pièce d’identité avec photo pour voter en personne et par correspondance ;
– permettre aux observateurs électoraux d’avoir accès au dépouillement des bulletins, sans restriction ;
– interdire le dépouillement des bulletins de vote anticipé avant le jour du scrutin ;
– interdire que les machines à voter électroniques soient connectées à Internet et qu’elles soit dotées d’un modem ;
– empêcher les responsables électoraux et les élus de l’exécutif de modifier les lois électorales juste avant un scrutin ;
– interdire aux responsables électoraux de recevoir des fonds privés pour financer l’organisation d’une élection. (10)

Les nombreuses déficiences du système électoral américain

L’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) possède une agence chargée de surveiller les élections chez ses États membres, signataires de la Déclaration de Copenhague. (11) Cette agence, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) (Office for Democratic Institutions and Human Rights, ODIHR), envoie des observateurs internationaux aux États-Unis, tous les deux ans, lors des élections présidentielles et des élections de mi-mandat. Dans leur rapport final sur les élections américaines de mi-mandat de 2022, les observateurs de l’OSCE identifient 31 déficiences du système électoral américain, dont 13 graves. Parmi elles : le tracé des circonscriptions, le financement des campagnes électorales, l’administration des élections, l’identification des électeurs, les listes électorales, les demandes par internet de bulletins de vote par correspondance, les observateurs électoraux, la publication des résultats, la vérification des résultats par des audits, la certification des machines à voter électroniques, le vote par correspondance, les lois électorales. (12)

Comme on le constate, de nombreuses étapes vitales du processus électoral des États-Unis sont gangrenées par des déficiences.

La fraude électorale est un phénomène réel

Pour les spécialistes des élections que nous avons cités, la fraude électorale est donc un phénomène réel, qui doit être combattu – pas une faribole ni une chimère, comme les grands médias américains voudraient le faire croire. Et leur verdict est clair : le système électoral américain est le pire de tous les États démocratiques – il est même tellement mauvais qu’il est indigne d’un État qui se prétend démocratique. Mais tout le monde se rappelle que, après l’élection présidentielle controversée de 2020, les agences fédérales, les responsables électoraux et les grands médias avaient ouvert le parapluie et répété en boucle que cette élection avait été « la plus sûre de toute l’Histoire ».

Pendant ce temps, loin des dénégations bruyantes des grands médias, la justice américaine poursuit patiemment sa tâche, sans bruit, sans éclat, et condamne avec régularité des tricheurs, coupables de fraudes électorales commises pendant les élections passées, y compris pendant celle de 2020, comme nous le verrons plus loin.

Dans notre prochain article, nous explorerons les bases de données sur les fraudes électorales ayant été l’objet de poursuites judiciaires et de condamnations.

>> A suivre <<


Notes

1) Joseph P. Harris, Election Administration in the United States, Brookings Institution, 1934, p. 1.

2) « President Carter Tries Hand at Fiction », Interview of Jimmy Carter by Terri Gross, Fresh Air, NPR, October 21, 2004, 4’24″–4’56 ».

https://freshairarchive.org/segments/president-carter-tries-hand-fiction

3) « Building Confidence in U.S. Elections: Report of the Commission on Federal Election Reform », September 2005, p. 18.

https://www.eac.gov/sites/default/files/eac_assets/1/6/Exhibit%20M.PDF

4) Brigalia Bam, entretien avec Andrew Gumbel, septembre 2004, cité dans :

Andrew Gumbel, Down for the Count: Dirty Elections and the Rotten History of Democracy in America, New Press, 2016, p. 3.

5) Brad Friedman, « Exclusive: First Bush-Appointed Chair Of U.S. Election Assistance Commission Says ‘No Standards’ For E-Voting Devices, System ‘Ripe For Stealing Elections’! », BradBlog, October 17, 2006.

https://bradblog.com/?p=3491

6) R. Michael Alvarez, Thad E. Hall and Susan D. Hyde, Election Fraud: Detecting and Deterring Electoral Manipulation, Brookings Institution Press, 2009, p. 239.

7) Natasha Khan and Corbin Carson, « Election-fraud not as common as recent voter ID laws suggest », Center for Public Integrity, August 13, 2012.

https://publicintegrity.org/politics/election-fraud-not-as-common-as-recent-voter-id-laws-suggest/

8) Données provenant des rapports du Varieties of Democracy Project (Programme sur les variétés de démocratie), publiés par le V-Dem Institute (Université de Göteborg, Suède), citées dans :

Pippa Norris, Holly Ann Garnett and Max Grömping, « Perceptions of Electoral Integrity: The 2016 American Presidential Election », Electoral Integrity Project, January 2017, p. 7.

https://www.dropbox.com/s/3l45d146f7yojqg/PEI-US-2016%20Report.pdf

9) John Fund and Hans von Spakovsky, Who’s Counting: How Fraudsters and Bureaucrats Put Your Vote at Risk, Encounter Books, 2012, p. 7.

10) John Fund and Hans von Spakovsky, Our Broken Elections: How the Left Changed the Way You Vote, Encounter Books, 2021, « Chapter 12: How to Fix the Flaws in Our Election Process ».

11) La Déclaration de Copenhague est un document adopté par les pays membres de l’OSCE, en juin 1990, à Copenhague, qui contient des engagements spécifiques en matière d’élections (transparence, fiabilité, protection).

12) « United States of America, Mid-Term Congressional Elections, 8 November 2022: ODIHR Limited Election Observation Mission, Final Report », 9 May 2023, pp. 43-46.

https://www.osce.org/odihr/elections/usa/543015

«L’affaire Philippine dérange l’extrême gauche»

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La presse de gauche accuse la droite de récupérer l’affaire Philippine. Un recueillement organisé par la députée de la huitième circonscription de l’Isère Hanane Mansouri a été perturbé. Ailleurs, des affiches ont été déchirées. Réunis place Denfert-Rochereau dimanche, les militants de droite se souviennent que leurs adversaires n’étaient pas aussi délicats lors de l’affaire Nahel. Nous sommes allés à leur rencontre.


La place Denfert-Rochereau et son lion, souvenir de la ténacité des Français face aux Prussiens sur la place forte de Belfort en 1870, semble devenue le lieu symbolique de la résistance française. Le jeudi 20 octobre 2022, il y a deux ans, l’Institut pour la Justice y avait organisé un hommage à la jeune Lola. Ce dimanche, plusieurs centaines de manifestants ont répondu à l’appel du collectif Némésis pour une manifestation d’hommage à Philippine. « Féministe et identitaire », le collectif lancé en 2019 mène des actions de sensibilisation sur les violences faites aux femmes et dénonce « l’impact dangereux de l’immigration de masse sur les femmes occidentales ».

Au micro, la présidente du collectif, Alice Cordier, insiste sur le caractère mémoriel de la manifestation et demande aux militants politiques présents d’éviter tout slogan qui contreviendrait aux mots d’ordre des organisateurs ou de retirer leurs cagoules. Elle prévient : « Vous seriez sinon expulsés manu militari ». Message également adressé aux « antifa » qui seraient éventuellement infiltrés dans la manifestation : le service d’ordre évacuera tout perturbateur…

« Cette affaire dérange l’extrême gauche »

La vigilance est de mise, car on craint des perturbations ou des manœuvres d’intimidation de militants de gauche. Hanane Mansouri, député ciottiste de 23 ans, élue dans la 8e circonscription de l’Isère, a vu son hommage interrompu par des agitateurs la veille. « J’ai lancé un appel sur les réseaux sociaux pour organiser un rassemblement en hommage à Philippine. Mais un comité d’accueil était là quand je suis arrivée. On voyait des masques, des chèches… J’ai fait une petite prise de parole pour introduire la minute de silence. Ils ont commencé à crier des slogans anti-fascistes. Ils avaient battu le rappel et étaient assez nombreux », nous raconte la députée.

Parmi les agitateurs, des candidats, militants et collaborateurs de la France Insoumise auraient été identifiés via recoupements sur les réseaux sociaux. « L’affaire de Philippine les dérange beaucoup. Ni le profil de la victime, ni le profil de l’agresseur ne les arrangent, alors ils préfèrent nous faire taire. » Comment vont réagir les députés du groupe UDR à l’Assemblée ? « Il y a eu Lola et Mathis… On ne peut pas s’indigner tous les six mois. On va en discuter en réunion de groupes et décider d’éventuelles actions législatives. Je vais solliciter Bruno Retailleau sur la question et voir quelles actions il souhaite mettre en place », assure la députée. Ces tentatives d’intimidation de l’extrême gauche reviennent dans les discussions des manifestants rencontrés. Une vieille dame en manteau de fourrure rejoint un groupe d’amis et estime qu’il faut relire le « deuxième discours de Soljenitsyne » (Le déclin du courage NDLR). Une autre s’étonne que l’on cantonne la manifestation aux abords de la place, s’indigne que « l’on se laisse faire », et en conclut avec une pointe de dépit que « la droite ne fait pas peur ».

La droite accusée de récupérer l’affaire

Au micro, les responsables du collectif dénoncent « le laxisme de la justice », la non-exécution des OQTF, et égrènent de multiples exemples de violences et d’agressions. Certaines formules font mouche : « nous pouvons mourir pour un regard ou une cigarette », lance par exemple la responsable avant d’être copieusement applaudie. Comme l’est aussi la présence de Florian Philippot et du sénateur Stéphane Ravier. Et comme sont sifflés Didier Migaud, pour ses déclarations contestant le laxisme de la justice, Éric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux précédent, ou Sandrine Rousseau qui s’était empressée de dénoncer la récupération politique par « l’extrême droite » de l’affaire.

A lire aussi, Gabriel Robin: Affaire Philippine: Comment le suspect Taha O. s’est-il retrouvé dans la nature?

La présidente de l’UNI Sciences-Po, dont les affiches rendant hommage à Philippine dans le hall de l’institut ont été arrachées par des adversaires politiques, est venue sur la tribune dénoncer « l’impunité que l’administration de Sciences po » réserve à ce type d’action.

Deux femmes venues de banlieue avec des pancartes maison sur lesquelles on peut lire « violeurs étrangers : dehors ».

Deux femmes, Nathalie et Nathalie, venues de banlieue, ont amené avec elle des pancartes maison virulentes sur lesquelles on peut lire : « Violeurs étrangers, dehors ». L’une assure : « Même dans ma maison de campagne au cœur de la Bretagne, on dispatche des migrants », et sa comparse de surenchérir sans s’embarrasser de nuances : « C’est proportionnel, plus on trouve de migrants, plus on trouve d’insécurité » estime-t-elle. Philippe, un professeur de musique dans un collège public d’Asnières, s’il regrette qu’une partie de ses collègues restent « aveuglés par leur engagement politique », constate toutefois une prise de conscience politique dans le monde enseignant.

Des témoignages de victimes

Au-delà des discours entendus, finalement assez politiques, le ton se voulait intimiste. Némésis a rappelé sa spécificité : c’est un collectif de femmes, de mères qui entendent protéger leurs filles, leurs sœurs, leurs amies. Aussi, des victimes ou membres de familles de victimes de violence, invités par le collectif, sont venus au micro pour raconter des récits souvent poignants. Claire Géromini dit « comparer son histoire à celle de Philippine » ; la jeune femme a été agressée le 11 novembre 2023 par un migrant centrafricain faisant aussi l’objet d’une OQTF. Elle raconte un viol brutal de trente minutes et les violences barbares dont elle a fait l’objet. Marius Larrivé, dont la grand-mère Berthe Picot, nonagénaire, a été violée par un clandestin sous OQFT, détaille les défaillances du système judiciaire. Il indique avoir dû laver lui-même la mare de sang dans laquelle avait été laissée sa grand-mère après avoir attendu en vain l’entreprise de nettoyage dépêchée par le tribunal. En adressant un message de fraternité et de sympathie à la famille de Philippine, les témoins insistent aussi sur la nécessité de « réparer les vies brisées » ; si l’heure n’était pas aux marches blanches, aux bougies, aux cœurs… le propos restait donc malgré tout empathique. Les discours ont d’ailleurs souvent été interrompus par les larmes des intervenants.

A la tribune, des membres de familles de victimes ont pu communiquer leur émotion.

Le courage de la vérité, planche de salut pour Michel Barnier

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Jamais l’urgence de dire l’effrayante vérité de l’état du pays n’a été aussi pressante. Michel Barnier prononcera sa déclaration de politique générale demain à l’Assemblée nationale.


L’Etat est dans un sale état. Ses mensonges officiels ne suffisent plus à dissimuler les désastres qui s’enchaînent. Ils l’obligent à se confronter à ses fautes. Emmanuel Macron est en première ligne, pour avoir poursuivi avec zèle une politique détachée des réalités depuis cinquante ans. Le chef de l’Etat ne résistera plus longtemps aux épreuves de vérité que va devoir affronter le gouvernement, né fragilement d’une colère étouffée. La chute prévisible du vieux monde déraciné sera aussi celle d’une classe politique moutonnière, globalement discréditée.

Le meurtre de Philippine de Carlan, 19 ans, violée et assassinée par Taha Oualidat, jeune Marocain récidiviste sous Obligation de quitter le territoire (OQTF), est le produit tragique d’une chaîne d’irresponsabilités allant du législateur aux juges. La dette publique effarante (3230 milliards d’euros), laissée à Michel Barnier par le flambard Bruno Le Maire, est une autre conséquence de la fuite en avant d’une caste allergique au bon sens et à l’auto-critique. L’angélisme, qui a fermé les yeux sur l’islamisation de la communauté musulmane massivement immigrée, s’ajoute aux défaillances des dirigeants. Dans ce grand effondrement qui fait tomber la France, la déclaration de politique générale du Premier ministre, mardi, gagnerait à dire les choses dans la transparence – la glasnost – qui fit s’effondrer le régime soviétique et son monde parallèle. En 1981, Ronald Reagan lança sa révolution conservatrice avec son fameux : « L’État n’est pas la solution à notre problème ; l’Etat est le problème ». Barnier osera-t-il être le procureur d’un État failli, qu’il a malgré tout avalisé? Ce serait-là son meilleur rôle devant l’histoire.

Le monde politique va devoir rendre des comptes. Et les « progressistes » plus que les autres. En effet, ils sont à la source des aveuglements idéologiques sur le déclin national. La manière dont la presse de gauche, majoritaire, a tenté de délégitimer l’émotion française après le meurtre de Philippine rappelle son professionnalisme dans l’occultation des faits. Parce que le meurtrier est Marocain et sa victime catholique pratiquante, des portraits de Philippine ont été arrachés à Sciences Po-Lyon ou à l’université de Grenoble. Les promoteurs de la diversité ont accusé de racisme ceux qui ont rappelé le statut d’expulsable de l’assassin. Naguère, le discours dominant avait tenté de taire les agressions sexuelles commises par des Maghrébins, à Cologne et ailleurs, sur des femmes allemandes lors du nouvel an de 2016. Une même omerta avait couvert les viols de jeunes blanches par des réseaux pakistanais en Grande-Bretagne. Samedi, lors des obsèques de Philippine en la cathédrale Saint-Louis de Versailles, en présence de près de 3000 personnes, un participant interrogé par Le Figaro expliquait : « Quand Nahel est mort, ils ont fait des émeutes dans tout le pays. Nous on allume des bougies. Qu’est-ce qu’on attend pour faire la révolte nous aussi ». Dimanche, à Paris, seules quelques centaines de personnes se sont rassemblées pour rendre hommage à la victime et dénoncer « le laxisme migratoire ». « Il faut renverser la table en sa mémoire », a déclaré hier dans Le Journal du Dimanche Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, en ajoutant : « Je me suis juré de dire la vérité aux Français de façon brutale ». Déjà, en 2017, François Fillon, candidat à la présidentielle, avait promis « le courage de la vérité » avant de tomber dans le traquenard judiciaire. Jamais l’urgence de dire les choses n’a été aussi pressante. Pour Barnier, sa planche de salut est sans doute à ce prix.

Vous avez dit juif?

Jean-Luc Mélenchon suscite la polémique en attaquant Benjamin Haddad, ministre des Affaires européennes. Mais, rien ne permet d’affirmer que Mélenchon critique Haddad parce qu’il est juif.


Asseyez-vous, car je vais défendre notre général Tapioca national.

Dimanche, le site du JDD publie un article intitulé: « Ce ministre est… juif» : polémique après une déclaration de Jean-Luc Mélenchon sur le ministre Haddad. Je me dis alors que si Mélenchon en est à dénoncer des juifs, il a franchi un cran.

Dire de quelqu’un qu’il défend la politique de Netanyahou n’est pas infamant

A Mende (48), samedi, il s’est en effet déchaîné contre Benjamin Haddad : « Il est acquis à la politique de Netanyahu. Si l’Europe décidait de ne plus livrer d’armes européennes, la guerre s’arrêterait. » Étonnamment, Gérard Araud, diplomate, ancien ambassadeur aux Etats-Unis et en Israël, qui n’est pas du tout un défenseur inconditionnel d’Israël, dégaine un tweet assez virulent : « Pour dire clairement ce que vous sous-entendez, ce ministre est… juif. C’est indigne. »

Ce message a déclenché une salve nourrie des Insoumis et crypto-insoumis. Mélenchon ironise sur « l’escroquerie médiatique permanente « Mélenchon a dit » ce qu’il n’a pas dit »

Désolée, ils ont raison. Mélenchon n’a pas parlé de juifs dans son discours. Et dans la macronie, Benjamin Haddad est certainement celui qui soutient le plus le droit d’Israël à se défendre. À raison, à mon avis, et il est d’ailleurs regrettable que le président Macron ne le fasse pas aussi et que ce ne soit pas la position française. Alors, Benjamin Haddad est sans doute moins acquis à Netanyahou que Mélenchon à Chavez et Maduro, peut-être que cet «acquis à» dans le discours du leader des Insoumis est exagéré, mais ce n’est ni faux ni infâmant.

Mais les Insoumis usent d’un double langage, me dira-t-on

Certes, quand M. Mélenchon parle des « petits fours du CRIF », l’allusion est transparente. Quand il trouve l’antisémitisme « résiduel », a minima il montre clairement qu’il s’en fiche. De plus, la ligne des Insoumis confère depuis plusieurs années une sorte de légitimité politique à l’antisémitisme des banlieues.

Pour autant, rien ne permet d’affirmer que M. Mélenchon critique M. Haddad parce qu’il est juif. Peut-être est-ce vrai, mais le doute doit profiter à l’accusé. Les Insoumis sont eux-mêmes experts en manipulations des propos de leurs adversaires et en calomnies ; ils accusent tous leurs adversaires de racisme et d’islamophobie sans jamais étayer leur propos. Dans le registre grotesque, le député Antoine Léaument vient de voir dans la veste Helly Hansen (siglée HH) de Julien Odoul (RN) le message caché « Heil Hitler »… Bref, les Insoumis passent leur temps à se battre en-dessous de la ceinture. Et ça marche, puisque des gens croient que CNews est raciste, et X ou Y fachos. Mais ce n’est pas une raison pour faire comme eux. Jean-Luc Mélenchon profère assez d’insanités politiques, attaquons ce qu’il dit plutôt que ce qu’il ne dit pas. Le débat public ne peut pas se réduire à la police des arrière-pensées.

Je persiste à croire que, dans le combat idéologique, les vainqueurs sont ceux qui se battent à la loyale.

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Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Jean-Jacques Bourdin dans la matinale

« Le Syndrome de l’Orangerie», de Grégoire Bouillier : combien de cadavres sous les fleurs?

Regarder un tableau, affirme notre chroniqueur, ne consiste pas à se contenter d’observer sa surface : il faut s’immerger dans la profondeur de ce qui paraissait une œuvre en deux dimensions, et qui en a bien d’autres — comme un livre.


Allons, ne boudons pas notre plaisir : j’ai lu le meilleur livre de cette rentrée d’automne 2024, et il s’intitule Le Syndrome de l’Orangerie, de Grégoire Bouillier.

Que ce soit seul, un jour de pluie, ou pour accompagner votre cousine de province, avide de découvrir en deux jours toutes les curiosités de la capitale, vous êtes peut-être entrés, déjà, dans le Pavillon de l’Orangerie, tout au bout des Tuileries, côté Seine.
Dans le sous-sol ont été mis en place les panneaux des Nymphéas, peints tout spécialement pour ce lieu en 1914-1918 (oui, la date n’est pas un hasard !) par Claude Monet, et offertes par le peintre à l’Etat français. Avec le soutien sans faille de Georges Clemenceau, ami fidèle de l’artiste.

Le double de Bouillier donc s’y retrouve un beau jour, et il est saisi, devant ces immenses toiles, d’un malaise profond :
« Que s’était-il passé lors de la visite de l’Orangerie ? Qu’avais-je vu ? »
L’italique n’est pas fortuit. On peut regarder sans voir réellement. Sherlock Holmes le reproche sans cesse à Watson. Eh bien c’est à une enquête éminemment holmesienne que nous convie Bouillier. Un suspense ébouriffant.

On parle d’un « syndrome de Stendhal » pour désigner les éblouissements, voire les évanouissements de l’auteur du Rouge et le noir devant certaines toiles, ou à l’écoute de musiques sublimes : l’excès de beauté anéantit notre capacité de perception et d’analyse. Ici, c’est le sentiment d’une mort camouflée qui prend le narrateur aux tripes. Quelque chose se dissimule derrière ces flaques d’un vert douteux, derrière ces fleurs suspectes. Ce ne sont pas de simples panneaux peints, c’est une scène de crime.

A lire aussi, Pascal Louvrier: La patiente du jeudi

C’est donc à une enquête en profondeur (j’insiste sur ce point : une grande œuvre ne se donne pas immédiatement au premier coup d’œil, elle demande à être explorée, fouillée, autopsiée) que se livre l’auteur. Une enquête qui le mène (et qu’est-ce qu’un lecteur attentif, sinon justement un fin limier ?) de Paris à Giverny en passant par Auschwitz.

Parce qu’il n’y a pas qu’un seul cadavre enfoui sous ces nymphéas — et d’ailleurs, pourquoi des nymphéas ? Parce que Monet en avait planté sur les pièces d’eau de sa propriété normande de Giverny, tout à côté de Vernon ? Des milliers de touristes étrangers font le déplacement, vous pouvez vous y risquer, non ?
Explication un peu courte. Il y a sous ces fleurs suspectes (saviez-vous qu’une décoction de racines de nymphéas éteint l’ardeur sexuelle ?) les millions de morts de la Grande Guerre (sous les fleurs ? Vous êtes sûr ?). Et tous les deuils intimes de l’artiste — mais je n’en dirai pas plus, sachez seulement que cette salle double de l’Orangerie, qui ressemble à une paire de lunettes, à une grotte primitive où se serait exprimé un artiste pariétal, ou à un combiné vagin / utérus, est un immense Tombeau — au sens que l’on donne en littérature à ces œuvres qui célèbrent un ami ou une amante disparus…

L’enquête touche aussi bien à la vie intime du peintre qu’à celle de sa Belle Epoque — sinistre à bien des égards, puisqu’après tout elle s’est achevée sur un bain de sang d’une ampleur jamais vue. Elle ressuscite Camille, la première épouse du peintre, ou son fils, ou sa mère, ou toutes les disparitions qui jalonnent votre existence quand vous vous acharnez à rester en vie tandis que les autres se fondent dans une absence épaisse. Ce que le soleil révèle, dans ses chatoiements sur ces pièces d’eau, c’est la part de nuit qui nous habite — et de plus en plus lorsque l’on prend de l’âge, et que l’on court derrière ses amis défunts, d’un cimetière à l’autre.

Bouillier, en nous apprenant à regarder vraiment, nous enseigne du même coup comment lire réellement : non pas déchiffrer laborieusement comme un député analphabète de LFI, mais comprendre tous les ressorts, les sortilèges enfouis, la machinerie littéraire qui distingue les grandes œuvres du fatras de papier imprimé qu’on appelle une rentrée littéraire.
Ce roman est une grande œuvre : non seulement il vous incite à la relecture de tout ce que vous avez aimé, mais il vous donne de précieux conseils sur ce dont vous devez tenir compte, le jour où la fantaisie vous viendra de peindre, de sculpter, de composer, ou d’écrire. Derrière les sortilèges d’une œuvre d’art se dissimule toujours la Bête — et dans le dernier chapitre, Bouillier nous livre son propre mystère, puisqu’après tout écrire consiste à faire ressortir l’impalpable, l’innommable, l’indicible — l’essentiel, en un mot.

Grégoire Bouillier, Le Syndrome de l’Orangerie, Flammarion, août 2024, 430 p.

Le syndrome de l'Orangerie

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« Kaizen »: l’Everest, sa cohorte de prétendants et la philosophie des cimes

L’époque où la beauté des cimes était réservée à des initiés semble désormais révolue. L’influenceur Inoxtag mérite-t-il l’avalanche de critiques qui déferlent sur lui?


Jusqu’alors, la haute montagne, celle dont personne ne ressort vraiment indemne, était principalement associée aux noms de Maurice Herzog et de Louis Lachenal, qui mirent l’Anapurna à leurs pieds, de Roger Frison-Roche, aux romans écrits sur des lignes de crêtes, ou encore de Sir Edmund Hillary et de son sherpa, Tenzing Norgay, qui vainquirent l’Everest un jour de mai 1953. Elle était une affaire de sportifs aguerris et de spécialistes ; elle se parait de ce mystère dans lequel nous plongent le risque, les pentes raides, le froid et l’effroi ; surtout, elle nous emmenait dans un imaginaire appelant à la philosophie. 

Toujours plus loin, plus fort, plus vite, jusqu’au bout de l’extrême limite

Avec le succès dans les salles et en ligne de Kaizen, la montagne est un peu moins de tout cela et, au fond, c’est le principal des reproches que l’on devrait formuler au documentaire. Si les images donnent le vertige, autant par leur beauté que par la profondeur des crevasses, le récit est formaté pour une époque habituée à la dramatisation outrancière, aux coachings de vie, à la morale factice et l’exposition de soi – en l’occurrence, celle de l’auteur et principal acteur, l’influenceur Inoxtag.

A lire aussi: «Ceci est mon corps…»

Celui-ci ne mérite pourtant pas l’avalanche de critiques qui déferlent sur lui : le jeune homme au cœur de l’action fut longtemps habitué à son canapé et féru de jeux vidéos avant de se trouver une auguste destinée en même temps qu’il décidait de gravir l’Everest. Plus de deux heures durant, on le voit s’entraîner, repousser ses limites, être transformé. Et forcément, cela ne plaît ni aux puristes ne pouvant souffrir qu’un non-initié devienne alpiniste en l’espace d’un an, ni aux féministes – ainsi en est-il du « il n’y a pas beaucoup de femmes dans le documentaire » de Léa Salamé – , ni aux prétentieux qui se pensent dépositaires de la nature immaculée.


Il ne nous empêchera toutefois pas de penser qu’il est des endroits qui jamais ne devraient être explorés, déflorés, piétinés, encore moins devenir des destinations prisées – nous dirions « touristiques » si nous n’avions autant de respect pour la dimension sportive de l’exploit. La cohorte se massant à quelques encablures du sommet transforme les toits échancrés du monde en estrades pour selfies et les voies célestes en autoroutes des vacances. Là, tout ne semble soudainement être qu’agitation, vanité et pollution, au lieu d’être calme, humilité et plénitude.

On peut aussi lire Sylvain Tesson et Roger Frison-Roche

Après avoir vu Kaizen, et fantasmé que chacun pouvait mettre l’Everest à sa porte, on se replonge, dans un réflexe presque pavlovien, au cœur des ouvrages de Sylvain Tesson qui écrivait par exemple, au détour de l’un de ses périples : « Je croyais m’aventurer dans la beauté, je me diluais dans la substance. Dans le Blanc tout s’annule, espoirs et regrets ». Ou dans les romans de Frison-Roche, dont Premier de cordée et La grande crevasse, pour beaucoup les premiers rendez-vous littéraires avec la grande aventure. 

A leur prêter une âme, les sommets altiers désireraient sans doute réserver leurs charmes impitoyables aux sages encore aptes à les contempler et la montagne souhaiterait peut-être être gravie par les téméraires en mesure de lui adresser des mots emplis de philosophie. Mais l’époque où la beauté était réservée aux happy few est désormais révolue. Et les terra incognita ne sont, de toute façon, plus de ce monde.

Causeur: 7-Octobre, un jour sans fin

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© Causeur

Découvrez le sommaire de notre numéro d’octobre


Israël, la Palestine et le monde entier viennent de vivre un véritable annus horribilis suite aux atrocités commises par le Hamas le 7 octobre 2023. L’onde de choc n’en finit pas d’ébranler, au-delà du Proche-Orient, toutes les sociétés occidentales. Comme le souligne Elisabeth Lévy dans son introduction à notre dossier du mois, le pogrom du Hamas a ravivé l’antisémitisme dans le monde et vaut à l’État juif d’être accusé de génocide. Face au nouvel antisémitisme politique qui s’installe en France, le philosophe Pierre Manent, se confiant à Élisabeth Lévy et Céline Pina, affirme que la seule façon de protéger nos libertés et de définir une règle du jeu commune avec les musulmans de France exige avant tout une réaffirmation de la communauté politique nationale qui s’est effacée devant les droits des individus. Selon Alain Finkielkraut, Israël est confronté non seulement à une guerre d’usure mais aussi à une fracturation inédite de sa propre société. Dans une interview avec Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, le philosophe maintient qu’on doit en même temps dénoncer l’extrémisme et le cynisme de Benjamin Netanyahu et combattre l’antisémitisme décomplexé qui sévit partout. Jean-Michel Blanquer explique que ce qu’on a vu au lendemain du 11-septembre et de l’attentat contre Charlie Hebdo se reproduit depuis le 7-octobre : l’inversion victimaire, la justification de l’horreur. Pour l’ancien ministre de l’Éducation nationale, aujourd’hui professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas, la barbarie terroriste a ravivé la fascination pour le crime de masse. Il faut analyser ce soutien au mal pour mieux défendre notre humanité.

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À propos du 7-octobre, peut-on se fier à un média comme Le Monde ? Selon l’analyse de Jean-Baptiste Roques, le quotidien « de référence », dissimule à peine, mais avec brio, sa vision manichéenne du Proche-Orient et son parti-pris propalestinien. Derrière une mécanique sémantique de précision, s’entend une petite musique anti-israélienne. Pour Gil Mihaely, l’union sacrée qui prévalait en Israël au lendemain de l’attaque du Hamas a été de courte durée. Après quelques mois, les fractures politiques et religieuses qui avaient conduit le pays au bord de la guerre civile sont de nouveau ouvertes. Seules des élections permettront d’apurer le passif. Mais les jours de Benyamin Nétanyahou à la tête du gouvernement ne semblent pas comptés.

Quoiqu’en disent les médias, nous n’avons peut-être jamais été aussi nombreux, de Paris à Téhéran, à vouloir écraser l’internationale islamiste. Tel est l’avis de Philippe Val dans l’entretien qu’il donne à Causeur. À l’avant-garde de la lutte contre les barbus, l’ancien patron de France Inter estime que nous sommes à un point de rupture : le moment n’est plus à l’apaisement, mais à la bataille victorieuse. Dès le 8 octobre, les Français juifs ont été confrontés à la violence. Richard Prasquier, ancien président du CRIF, témoigne qu’intimidations, harcèlements et agressions ont bouleversé le quotidien de nombre d’entre eux, dans la rue, à l’école ou jusqu’à leur domicile. Cela a suscité peu de condamnations politiques et aucune inter-religieuse. Comment vivre dans une telle indifférence ?

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Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy se désole de la mode du vin désalcoolisé qui, paraît-il, prend des proportions telles qu’elle pourrait sauver le vignoble français. Le vin sans alcool n’est sans doute que le prélude aux côtes de bœuf sans bœuf, aux livres sans phrases et au sexe sans rencontre des corps. Car « dans l’avenir radieux, tout ce que votre médecin et Sandrine Rousseau vous interdisent existera dans une version assainie ». Dans sa chronique, Emmanuelle Ménard reconnaît que, s’il a fallu attendre plus de deux mois avant que notre pays retrouve un gouvernement, ce dernier penche plutôt à droite, ce qui n’est déjà pas si mal. Stéphane Germain fait l’inventaire des travers des « ultras » du progressisme contemporain. Animés d’intentions louables en apparence, ils cachent mal leurs passions tristes : hypocrisie, vengeance, ingratitude, racisme, antisémitisme, bêtise crasse et mauvaise foi. À l’heure actuelle, le NFP en France semble incarner la dernière gauche immigrationniste d’Europe. Telle est la conclusion de Frédéric Magellan qui voit partout ailleurs, du Danemark à l’Allemagne, en passant par la Grande-Bretagne et la Slovaquie, des partis de gauche rattrapés par le réel et obligés de défendre un strict contrôle des frontières pour enrayer l’immigration de masse. En revanche, la gauche française qui continue de voir un électeur en chaque immigré ne change rien à sa doctrine. Le cas de l’Allemagne est étudié de près par Nicolas Pouvreau-Monti, directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie. Les annonces du chancelier Olaf Scholz pour contrôler l’immigration rompent avec une décennie de politique d’accueil inconditionnel. Mais la plupart d’entre elles sont conformes au traité de Schengen. Qu’attend la France ?

Ancien magistrat, Philippe Bilger se penche sur le procès Pelicot. Depuis qu’elles ont débuté au tribunal d’Avignon, les audiences sont noyées sous un flot inouï de commentaires qui ne favorisent ni la justice, ni la qualité du débat public. Ce drame hors-norme est le procès de 51 hommes, non celui du patriarcat ou de la masculinité. Ivan Rioufol nous montre comment la crise démocratique amorcée en 2005 a contaminé la classe dirigeante. Le destin de la France ne peut être abandonné aux idéologues d’un monde plat et indifférencié. Mais aujourd’hui les Français ordinaires sont en passe de se libérer de ces fanatiques du grand marché uniformisé.

Côté culture, on commence par le Moyen Âge. Cette époque est souvent identifiée à l’obscurantisme, mais elle peut avoir des choses à apprendre à nous autres modernes. C’est le cas de l’éducation, selon une exposition à la Tour Jean-sans-Peur que Georgia Ray a visitée pour nous.  L’intérêt porté à l’enfant, l’explication de texte, l’apprentissage du par cœur… autant de méthodes qui ont permis la transmission du savoir des siècles durant.

La culture européenne existe-t-elle encore ? La question, qui divise aujourd’hui les intellectuels, est ignorée par nos élites. Cette culture a pourtant forgé notre regard et un « esprit européen » que le monde entier a admiré. Mais de renoncements en reniements, nous avertit Françoise Bonardel, notre civilisation semble admettre son effacement. Ce mois-ci, c’est Dominique Labarrière qui a fouillé dans la « Boîte du bouquiniste » et en a ressorti les Mémoires sur la chevalière d’Éon de Frédéric Gaillardet, de 1866, qui, en citant une profusion de documents, montre quel était le véritable sexe de la « chevalière ».

Emmanuel Domont nous fait découvrir le premier roman de Nagui Zinet, clochard céleste, un récit drôle et désespéré des errances d’un alter ego de l’auteur dans Paris.

Le cinéma américain s’est toujours nourri des fantasmes d’une société divisée et hyperviolente. À l’approche d’une élection présidentielle que d’aucuns jugent cruciale pour l’avenir du pays, certains films catastrophe trouvent un écho troublant. L’avenir des États-Unis serait-il déjà sur les écrans ? En analysant un certain nombre d’exemples, Laurent Silvestrini nous apporte les éléments d’une réponse. Quant au cinéma francophone, Jean Chauvet nous présente un acteur en majesté́, un polar bourguignon gouleyant et une merveilleuse reprise – un véritable tiercé gagnant d’un mois de cinéma polyphonique comme il se doit. Enfin, Yannis Ezziadi nous emmène au Bistrot des Halles, où Vincent Limouzin entretient la tradition bistrotière qui a fait la réputation du Ventre de Paris. Dans un décor inchangé depuis les années cinquante, il sert une cuisine canaille savoureuse et les vins de vignerons qu’il connaît. Qu’ils commandent un repas au Bistrot des Halles ou se plongent dans les pages de Causeur, nos lecteurs ne resteront jamais sur leur faim.

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Amour vache et mauvaises gagnantes

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La journaliste Elisabeth Lévy © Pierre Olivier

Les couples dans lesquels la femme gagne plus que son conjoint masculin ont davantage de risques de se séparer, d’après une étude de l’Institut national d’études démographiques publiée hier.


Cette étude va faire pleurnicher dans les chaumières féministes qui vont y voir une nouvelle preuve que l’infâme patriarcat et les « stéréotypes de genre », comme on dit dans la novlangue sociologique, ont la vie dure. Il ne s’agit pas d’un vague sondage, mais d’une sérieuse et vaste enquête menée depuis six ans, avec des données concernant 100 000 couples hétérosexuels. Elle est publiée en anglais dans une grande revue de démographie[1].

Pour ne pas vous assommer de chiffres, je résume : quand une femme gagne plus que son conjoint, le risque de divorce est plus élevé que quand c’est le contraire. Et plus l’écart augmente, plus ce risque augmente… Cela se constate à tous les âges, et c’est encore plus marqué chez les faibles revenus.

Pour le féminisme contemporain consistant essentiellement à démontrer que les femmes sont les chouchoutes du malheur (asservies, agressées, sous-payées, humiliées etc.), la conclusion est donc évidente : ces messieurs, qui se prennent toujours pour des pater familias tout puissants, supportent mal que leurs femmes réussissent mieux qu’eux (à supposer déjà que la réussite se mesure au revenu…).

C’est d’ailleurs la même interprétation qui est privilégiée par l’INED, lequel observe des difficultés conjugales chez « ces couples hors-norme » qui ne suivent pas le modèle dominant de l’homme « gagne-pain ». Les résultats indiquent clairement que « dévier des normes est difficile à accepter même dans des pays comme la France où l’emploi féminin est élevé et soutenu par des politiques familiales ».

En quoi cette interprétation est-elle contestable ?

C’est cette interprétation qui est sexiste. Comme si les femmes subissaient toujours tout ce qui leur arrive ! Une femme qui gagne plus « encourt le risque » de séparation, écrit ainsi le site progressiste du HuffPost en commentant l’étude. Comme si le divorce était une punition réservée aux femmes !

En réalité, la plupart du temps, ce sont les femmes qui partent. Les hommes sont peut-être un peu plus lâches, allez savoir… Peut-être aussi que certaines femmes sont vénales, après tout. Peut-être les femmes sont-elles plus enclines à divorcer, quand leur conjoint gagne moins et ne peut pas les couvrir de bijoux, qui sait ? D’ailleurs, l’INED l’envisage, mais au conditionnel. Une autre possible interprétation viendrait des femmes financièrement plus dotées que leur conjoint pour qui la séparation pourrait être plus envisageable en cas d’insatisfaction conjugale.

Mais surtout, aujourd’hui, un tiers des femmes gagnent plus ou autant que leur conjoint et dans 20 ans, étant donné les niveaux de diplômes et la présence féminine dans les universités, ce sera le contraire. Plus autonomes financièrement, les femmes sont donc plus libres. Libres de partir quand elles veulent. C’est donc en réalité une bonne nouvelle. Et c’est pour ça que ça hérisse les féministes, qui n’aiment jamais les bonnes nouvelles.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy chez Jean-Jacques Bourdin dans la matinale


[1] https://archined.ined.fr/view/nx-eJZABuUAJ5jvNq7yK

Faust ne meurt jamais

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© Franck Ferville / Opéra national de Paris

Ah, je ris…


Au XIXème siècle, le vent du romantisme souffle sur le mythe de Faust. En France, il est déjà dans l’air du temps dès la fin de la Restauration : sur les Grands boulevards parisiens, les théâtres populaires en vogue proposent régulièrement des diableries où Faust, maudit, finit traqué par les démons, tandis qu’une Marguerite sanctifiée monte au ciel. Sur l’autre rive du Rhin, la « faustomania » bat son plein. De l’œuvre popularisée par Goethe, Franz Liszt, à qui l’ami Berlioz a dédicacé sa Damnation… fait bientôt un oratorio, la célèbre Faust Symphonie.  Entre 1859 et 1885, il compose encore quatre Mephisto Valzer, les deux premières pour orchestre symphonique, mais  toutes transcrites pour piano par ses soins. Schumann quant à lui, en 1844 – soit un peu plus de dix ans après la mort de Goethe – s’était lancé à corps perdu dans l’écriture de Scènes de Faust, un somptueux oratorio profane de près de deux heures.  Dès 1813, le préromantique allemand Louis Spohr avait tiré son Faust, non pas de Goethe (dont le premier Faust venait tout juste de paraître – le second étant, comme l’on sait, posthume), mais d’un roman de son compatriote Klinger, sur un livret signé Joseph Karl Bernard. L’œuvre sera créée par Weber, à Prague, trois ans plus tard.

Berlioz : deux représentations et s’en va en Russie

C’est la splendide traduction en prose de Goethe par Gérard de Nerval qui chez nous fera la fortune du diptyque tiré d’une vieille légende germanique du XVIème siècle. Dès 1828, l’œuvre inspire au jeune Hector Berlioz ses Huit scènes de Faust, qu’il envoie au vieux maître de Weimar, lequel ne se donne pas la peine de répondre. Ce sera pourtant la matrice de La Damnation de Faust, composée par intermittence au cours de voyages en Allemagne, et créée enfin à l’Opéra-Comique de Paris en décembre 1846 : une salle quasi déserte, un four – à peine deux représentations. Sur un livret versifié par ses soins, l’incroyant qu’était Berlioz n’avait pas hésité à développer jusqu’à l’outrance la dimension luciférienne du poème. Témoin ce climax délirant du « Pandémonium », où le héros est englouti. Chef d’œuvre alors totalement incompris, cette Damnation aura, de surcroît, causé la ruine matérielle de Berlioz. Deux mois plus tard, le compositeur fuit d’ailleurs « cet atroce pays » – la France – pour l’hospitalière Russie.

Gounod, incontournable

Gounod demeure l’autre « faustien » incontournable du Siècle industriel. Millésimé 1859, son Faust n’aura pas attendu Hergé et sa Castafiore pour incarner illico un must du lyrique : le triomphe des cinquante-sept représentations inaugurales, au Théâtre Lyrique parisien, écrase toutes les nouveautés de l’heure, fussent-elles paraphées des gloires musicales du temps : Meyerbeer, Félicien David… Y étincelle tout le tape-à-l’œil Second Empire. Après avoir rendu le directeur du Théâtre lyrique riche comme Crésus, les déboires de cette bigote « chaste et pure » de Marguerite, mise en cloque malgré elle par un débauché qu’instrumentalise Méphisto, puis condamnée à mort pour avoir occis le moutard du péché, fera également la fortune de l’Opéra Garnier flambant neuf, ratifiant le triomphe de la grande machine opératique à la française. L’impérissable « air des bijoux » sont à Gounod ce que Carmen et le « prend garde à toi » sont à Bizet : une scie du répertoire. Barbier & Carré, le duo des librettistes de Faust, reste à l’art lyrique ce que Roux-Combaluzier seront aux ascenseurs : des fabricants industriels.

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De fait, avec cette transposition psychologisante, on est à des années-lumière du texte de Goethe. Au point que les Allemands, non sans condescendance, vont jusqu’à priver cet opéra de son titre, pour ne l’appeler jamais que Margarethe, voire Gretchen ! Il est vrai que Marguerite, celle-là même qui « rit de se voir si belle en son miroir », occupe – tout à l’inverse de chez Berlioz – la place centrale de la dramaturgie. Son tropisme catholique un peu épais – avec chœur, grand orgue et tout le tralala – achève de rendre la poétique goethéenne proprement méconnaissable. Et chez Gounod, Faust n’exige aucunement l’accès à une toute puissance interdite aux humains. Il ne veut que la jeunesse, rien que la jeunesse, toute la jeunesse – mais pour l’éternité ! De métaphysique, le pacte avec le diable est devenu physiologique.

Trivial et débridé

Demeure la suavité de la musique, et les rimes appétissantes du livret, genre : « A moi les plaisirs,/ Les jeunes maîtresses !/ A moi leurs caresses,/ A moi leurs désirs ! »…  Au rebours de la Damnation… instruite par l’immense Hector Berlioz, le Faust de Gounod est un mélodrame trivial et débridé, avec ballet, qui colle au goût bourgeois de l’époque. Un grand spectacle frénétique, guilleret, érotisé, dont le piquant et célèbre air de valse – « Ainsi que la brise légère/ Soulève en épais tourbillons/ La pouss-i-ère des sillons/ Que la valse nous entraîne ! / Faites retentir la plaine. De l’éclat de nos chansons ! » – mettra du reste, sur plusieurs générations, le feu aux joues de cargaisons de jeunes filles rangées.

Faisant suite à la création mythique de Jorge Lavelli en 1975 au Palais Garnier, reprise jusqu’à douze fois, puis à celle de Jean-Louis Martinoty en 2011, la mise en scène de Jean-Romain Vesperini sur des décors signés Johan Engels, à l’Opéra-Bastille encore en 2015, faisait un sort à cette obsession libidinale et à cette débauche des sens. La kermesse du second acte se changeait par exemple en cabaret rempli d’apaches et de grues. Les costumes flashy de Cédric Tirado propulsaient l’opéra, peuplé de veuves en noir, de femmes légères et de pioupious en capotes beige, dans la griserie des Années folles. On se demandait ce que le Docteur pouvait bien lui trouver, à cette Marguerite frigide, fagotée dans un tailleur d’institutrice…


Est-ce toi, Marguerite ?

Avec le Bavarois Tobias Kratzer aux manettes de cette mise en scène millésimée 2021 (alors sabrée par le confinement après deux représentations), reprise à présent pour la seconde fois, toute autre ambiance : à l’ouverture, un Faust senior, dans son salon de bourgeois des beaux quartiers, redouble le ténor chantant un Faust rajeuni par le pacte fatal (le Samoan Pene Pati reprend sans démériter le rôle confié en 2021 et 2022 à Benjamin Bernheim) puis voltigeant de conserve avec Méphistophélès, dans un ciel fuligineux projeté sur l’écran géant aux dimensions du plateau, pour survoler l’immensité nocturne du Grand-Paris, tels deux oiseaux de nuit suspendus à des filins. Le chœur, sous les stroboscopes d’une boîte de nuit, se trémousse sur la célèbre mélodie de la valse…  Valentin (Florian Sempey), lui, s’anime à l’acte 1 sur un terrain de basket en sirotant sa cannette de Red-Bull. Sa Marguerite prolo (Amina Edris) loge au 1er étage d’un HLM années soixante-dix, dont l’entrée extérieure, sous l’éclairage cru de deux réverbères hideux, abrite le meuble-boîtes aux lettres en métal des locataires. L’air fameux « je me vois si belle en ce miroir » montera du lavabo, la « chanson du Roi de Thulé » s’entonnera devant le PC domestique, au bord du plumard où Méphisto la viole, et la désespérée noiera d’ailleurs son chiard dans la baignoire du F2, juste à côté de la lunette des WC, après avoir, en consultation chez le gynéco, contemplé son diable de fœtus à l’échographie. Faust flanqué de son démon chevelu et capé de noir devise à l’occasion près d’une gargouille, juché sur une tour de Notre-Dame, cathédrale promise aux flammes – cf. l’incendie du 15 avril 2019. Et si Marguerite éplorée fait le vide autour d’elle en chialant, assise sur une banquette de ces rames de métro vieillissantes comme la RATP en gratifie Paris, le ballet de la « Nuit de Walpurgis » prend la forme d’une chevauchée au cœur de Hidalgo Land. L’ami Siebel (pourtant si bien chanté par la mezzo Marina Viotti) a moins l’allure d’un gentil garçon que d’une lesbienne camionneuse à binocles. Des personnages, les voix pourtant vertes et sonores sont, en bien des scènes, amorties par l’écran de tulle transparent où ceux-ci, filmés en live par les vidéastes en costume noir, diablotins félins du démon, apparaissent démesurément agrandis, leurs visages capturés en gros plan redoublant leurs silhouettes réelles : visuellement inesthétique, le procédé a beaucoup vieilli. Bref, avec la meilleure volonté du monde Emmanuel Villaume à la fosse, à la tête du bel Orchestre et chœurs de l’Opéra de Paris, aura bien du mal à rendre impérissable ce Faust par Kratzer.  

© Franck Ferville / Opéra national de Paris

Mais on n’en a jamais fini avec Faust. De fait, il a fallu attendre le XXème siècle pour que Busoni (plus connu par ses transcriptions de Bach) achève, l’année même de sa mort en 1924, un Doktor Faust testamentaire, où une « duchesse de Parme » remplace sur le tard Marguerite et où un enfant nu, un rameau fleuri en main, prend au final la place du magicien mort. Plus près de nous, pour son opéra en anglais, Faustus, the last Night, commande du Straatoper de Berlin en 2006, Pascal Dusapin puisait quant à lui, non pas dans l’auteur des Souffrances du jeune Werther, mais dans la pièce élisabéthaine de Christopher Marlowe…

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Rappelons que, de la scène à l’écran, le sardonique Méphisto ricane encore et toujours. Dès l’aurore du cinéma, le mythe faustien s’empare du muet : de Georges Méliès (Faust et Marguerite – 1897) à Henri Andreani (Faust – 1910) en passant par Alice Guy (Faust et Méphistophès – 1903). Mais c’est le grand Murnau qui, en 1926, donnera au doktor ses lettres de noblesse, avec son chef d’œuvre : Faust, une légende allemande… Autant dire que depuis les films qui, par le biais de transpositions plus ou moins littérales – cf. La beauté du diable, de Réné Clair (1949), L’Imaginarium du docteur Parnassus de Terry Gilliam (2009), voire Mort à Venise de Visconti (1971) ou Phantom of the Paridise de Brian de Palma (1974) – jusqu’au  Faust  baroque et luxuriant réalisé en 2011 par le russe Sokourov, Faust ne cesse de vasculariser le Septième art. La veine faustienne est loin d’avoir rendu le dernier sang.

On se prend de curiosité à imaginer ce que donnera, en juin prochain, la production annoncée salle Favart – Louis Langrée à la baguette, Denis Podalydès à la régie, Eric Ruf aux décors et Christian Lacroix aux costumes – sensée renouer avec la version originelle de l’opéra telle qu’elle enflamma le Théâtre-Lyrique, l’an 1859…    


Faust. Opéra en cinq actes de Charles Gounod. Avec Pene Pati, Alex Esposito/John Relyea, Florian Sempey, Amin Edria, Marina Viotti, Sylvie Brunet-Grupposo.
Direction: Emmanuel Villaume. Mise en scène : Tobias Kratzer. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Opéra Bastille les 2, 5, 8, 12, 15, 18 octobre 2024 à 19h.
Durée : 3h50

(A noter sur vos agendas 2025 : Faust, de Gounod. Direction : Louis Langrée. Mise en scène : Denis Podalydès. Décor : Eric Ruf. Costumes : Christian Lacroix.  A l’Opéra-Comique du 21 juin au 1er juillet 2025).

Plein Soleil

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Panneaux solaires à Dunhuang, dans le désert de Gobi, Chine, 15 août 2024 © CFOTO/Sipa USA/SIPA

Une révolution sous nos yeux: la folle croissance de l’énergie solaire


« Appartenir à une époque c’est être incapable d’en comprendre le sens, tout nous désigne que le temps dans lequel nous vivons forme une tache aveugle, l’angle mort de notre vision intelligente » écrivait Alice Ferney dans Les Bourgeois. Si nous tentons très modestement de discerner dans le brouillard du monde les quelques tendances qui s’y dessinent avec assez de force pour pouvoir le modifier en profondeur, nous devrions alors nous intéresser à l’incroyable croissance de l’énergie solaire. Ami de Causeur, n’interromps pas ta lecture ! si en France le débat sur l’énergie solaire a été largement caricaturé par les tenants de l’écologie punitive, son évolution récente au niveau mondial lui confère une tout autre perspective. En effet si 420 GW de capacités solaires supplémentaires ont été mises en service dans le monde en 2023 (soit 84% de plus qu’en 2022), en 2024, d’après les récentes prévisions du groupe de réflexion Ember, c’est près de 600 GW qui devraient être installés – en 10 ans l’industrie photovoltaïque aura ainsi cru d’un facteur 13, effectuant un véritable changement de d’échelle et de nature[1] :

Tentons d’appréhender l’énormité de ce chiffre de 600 GW annuels : celui-ci représente l’équivalent en puissance de 370 réacteurs nucléaires EPR[2] – soit 1 EPR par jour ! Ajusté de la différence d’utilisation (80% du temps pour un EPR, environ 15% du temps pour le solaire[3]), il représente la production électrique de 69 EPR[4]

Un déploiement pas forcément adapté à notre pays

Cette comparaison a bien sûr une limite : la production nucléaire est « pilotable » alors que le solaire est dit « fatal », c’est-à-dire qu’il ne peut être programmé pour s’ajuster à la demande. Ainsi dans un pays largement nucléarisé comme la France où la demande électrique est tirée par le chauffage hivernal (alors que les rendements photovoltaïques sont très faibles) la construction subventionnée de capacités solaires est discutable.

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Mais la nature étant bien faite, les pays les plus ensoleillés sont souvent ceux où la demande électrique est tirée par les besoins en climatisation, très corrélés à l’ensoleillement, et sont aussi souvent ceux qui disposent des vastes surfaces désertiques nécessaires à la construction de fermes solaire. La production électrique y étant traditionnellement assurée par des centrales à charbon ou à gaz, émissives en CO2 mais qui ont l’avantage de pouvoir moduler très rapidement leur production lorsque les centrales solaires fonctionnent : ainsi au Texas, en Chine, en Inde, au Maghreb, dans les pays du Golfe persique, chaque nouvelle capacité solaire vient directement réduire le recours aux centrales à charbon ou à gaz, centrales dont la production se concentre alors sur les Dunkelflaute (périodes sans soleil ni vent), permettant une réduction des émissions de CO2 directe et substantielle.

Une énergie concurrentielle

Comment s’explique cette brutale accélération de la croissance du solaire ? Principalement par la très forte baisse du prix de panneaux photovoltaïques : -86% entre 2011 et 2022[5]. Désormais l’électricité issue des grandes fermes solaires de pays fortement irradiés est de très loin la moins onéreuse à produire, avec un coût complet en baisse constante, désormais sensiblement inférieur à 20€ par MWh (à titre de comparaison EDF a signé un prix de vente de 92,5 £/MWh (110 €/MWh) pour l’EPR britannique d’Hinkley Point, et vise 70 €/MWh pour les futurs EPR français – cible très ambitieuse de l’avis général). Cette baisse des prix a été rendue possible par la croissance des volumes, les progrès techniques (les panneaux récents utilisent moins de matière tout en offrant des durées de vie et des rendements en hausse) mais aussi par des surinvestissements industriels en Chine. Amer fruit de cette révolution solaire : la concentration désormais quasi-exclusive de la chaine de production en Chine, au détriment des acteurs industriels européens et américains notamment.

Cette incroyable baisse des coûts permet un foisonnement de projets dont la réalisation aurait encore relevé de la science-fiction il y a quelques années. Ainsi le projet AAPowerLink[6] qui prévoit de relier Singapour à une ferme solaire de 6 GW en Australie via un câble électrique de 4 300 km, ou le projet Xlink reliant le Royaume-Uni à des fermes solaires et éoliennes au Maroc[7]. Autre tendance, les mega-fermes solaires en construction dans les zones désertiques d’Inde ou de Chine : par exemple le projet chinois Gonghe Talatan[8] de 15,6 GW (soit la puissance de 10 EPR) pour une surface de 609 km2. A moyen terme cette électricité très bon marché pourrait aussi permettre de concrétiser les nombreux projets de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau, faisant ainsi advenir la révolution de l’hydrogène.

Il est intéressant de noter que la carte des pays bénéficiant de cette nouvelle manne solaire superpose souvent celle des pays gaziers ou pétroliers. Ainsi le Texas, nouvel eldorado énergétique cumulant gaz et pétrole de schiste, usines d’exportation de GNL et immenses champs éoliens et solaires, et ouvrant désormais la voie du stockage d’électricité par batteries à grande échelle. Le principe de Saint Mathieu trouve encore l’occasion de se vérifier (« on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a »).

On observe également une tendance systématique des experts à très largement sous-estimer cette croissance du solaire – par exemple en janvier 2024 l’Agence Internationale de l’Energie[9] estimait encore à moins de 400 GW les nouvelles capacités 2024, estimation désormais revue à la hausse de près de 50%. Conclusion : la nature humaine a tendance à systématiquement sous-estimer la rapidité des changements technico-économiques ainsi que sa capacité à s’adapter aux défis qui lui sont adressés – un message d’espoir qui permet de relativiser les récits de scénarios climatiques apocalyptiques trop souvent paresseusement répétés.

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[1] Sources : 2010-17 : https://www.canarymedia.com/articles/solar/chart-solar-installations-set-to-break-global-us-records-in-2023, 2018-23 : https://iea.blob.core.windows.net/assets/d718c314-c916-47c9-a368-9f8bb38fd9d0/CleanEnergyMarketMonitorMarch2024.pdf, 2024 : https://ember-climate.org/insights/in-brief/solar-power-continues-to-surge-in-2024/

[2] Soit 573 GW / 1,6 GW = 370

[3] Le taux d’utilisation du solaire est très variable selon les emplacements géographiques. 15% correspond à une hypothèse prudente.

[4] Soit (573 GM x 15 %) / (1,6 GW x 80%) = 69

[5] https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/solaire-photovoltaique

[6] https://en.wikipedia.org/wiki/Australia-Asia_Power_Link

[7] https://xlinks.co/

[8] https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=List_of_photovoltaic_power_stations&oldid=1246554952

[9] https://www.iea.org/energy-system/renewables/solar-pv

Avis d’experts: le système électoral américain est le pire qui soit

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Un citoyen américain vote par anticipation à Minneapolis dans le Minnesota, 20 septembre 2024 © Adam Bettcher/AP/SIPA

Le comportement polémique de Donald Trump, après les résultats du scrutin présidentiel de 2020, ne doit pas empêcher de rappeler que le système électoral américain est dénoncé comme chaotique depuis longtemps.


Dans notre article précédent, nous avons présenté le système électoral américain et son incroyable fouillis de lois, de réglementations et de modes de fonctionnement. À présent, nous allons passer en revue les avis des experts sur ce système électoral si particulier – et nous constaterons qu’ils le considèrent comme le pire de tous les États démocratiques !

Des erreurs et des fraudes omniprésentes

En 1934, Joseph P. Harris, politologue et ancien responsable de bureau de vote à Chicago, qui avait été chargé d’étudier le fonctionnement du système électoral américain, publiait son rapport, dont la conclusion était sans appel : « Il n’y a probablement aucune autre phase de l’administration publique aux États-Unis qui soit aussi mal gérée que la conduite des élections. Chaque scrutin met en lumière des irrégularités, des erreurs et des fautes de la part des employés des bureaux de vote, le non-respect des lois et des règlements électoraux, des pratiques bâclées et des fraudes flagrantes. » (1)

Bien sûr, c’était il y a un siècle. On serait en droit d’espérer que, depuis 1934, la situation s’est améliorée et que les problèmes ont disparu. Que nenni.

Le système électoral américain n’est pas à la hauteur des normes internationales

À la veille de l’élection présidentielle de 2004 (qui allait voir la victoire de George W. Bush), l’ex-président américain, Jimmy Carter (Démocrate), était interviewé par la radio publique nationale (National Public Radio).

Depuis 1989, Carter étudiait la sécurité des élections dans le monde entier, par le biais de sa Fondation (Carter Center), qui a envoyé des équipes d’observateurs dans 40 pays pour y surveiller 115 élections.

À la surprise de la journaliste, qui lui demandait en badinant s’il accepterait de vérifier la qualité des élections américaines, Carter répondit que, « si les États-Unis étaient un pays étranger, qui lui demandait de surveiller ses élections, il serait obligé de refuser, parce que le système électoral américain n’est pas à la hauteur des normes internationales ». (2)

Rien n’est fait pour dissuader ou détecter les fraudes

La même année, Jimmy Carter et l’ex-Secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères), James A. Baker III (Républicain), créaient la Commission sur la réforme électorale fédérale (Commission on Federal Election Reform), organisation bipartisane, dont l’objet était d’examiner les élections américaines et d’en accroître la sécurité.

Dès 2005, la Commission remettait son rapport, qui soulignait que « le système électoral ne peut pas inspirer confiance au public, car il n’existe pas de garanties pour dissuader ou détecter les fraudes ». (3)

Un système électoral digne du plus pauvre village d’Afrique ?

En septembre 2004, la présidente de la Commission électorale indépendante d’Afrique du Sud, Brigalia Bam, qui réalisait une tournée d’inspection dans les bureaux de vote de Floride, exprima sa stupéfaction : « Ici, absolument tout est une violation [des normes de sécurité]. Tous ces systèmes électoraux différents, dans des comtés différents, sans aucune obligation de rendre des comptes, c’est comme dans le village le plus pauvre d’Afrique ! » (4)

A lire aussi, Harold Hyman: États-Unis: une campagne entre cris et chuchotements

Les États-Unis sont mûrs pour le vol d’élections et pour la fraude

En août 2006, l’ex-président de la Commission d’assistance électorale (U.S. Election Assistance Commission), agence indépendante dont l’un des rôles est de certifier les machines à voter électroniques, le Républicain DeForest Soaries, dénonçait le dangereux amateurisme qui régit les élections américaines, dans une interview accordée à une importante chaîne de radio. En raison de son contenu explosif, cette interview fut interdite de diffusion ; mais, deux mois plus tard, sa transcription fuitait et était publiée sur internet.

« La loi Help America Vote Act (HAVA) de 2002 impose la présence d’une machine à voter électronique dans chaque bureau de vote du pays. Mais il n’existe aucun prototype, aucune norme, aucune recherche scientifique qui permette de construire une machine électronique qui puisse être utilisée en toute sécurité. Si tous les foyers étaient obligés d’avoir un four à micro-ondes sans que des normes de sécurité aient été élaborées, cela ferait scandale. Mais aujourd’hui, nous en savons plus sur la façon de construire une machine pour prendre des photos de roches sur Mars, que sur la façon de construire une machine à voter électronique fiable. »

« Les politiciens de Washington ont conclu que le système ne peut pas être si mauvais que cela puisque, après tout, c’est lui qui les a produits. Tant qu’un candidat est élu, la machine et le dispositif utilisés pour l’élire lui semblent adéquats. Mais il est impossible de faire confiance à la technologie que nous utilisons pour compter les votes. Si nous étions un pays étranger analysé par l’Amérique, nous conclurions que ce pays est mûr pour le vol d’élections et pour la fraude. » (5)

Les États-Unis devraient s’inspirer des procédures électorales d’autres pays

En 2009, R. Michael Alvarez, professeur de sciences politiques au California Institute of Technology et co-directeur du Voting Technology Project (Programme sur la technologie de vote), concédait que « les responsables électoraux des États-Unis ont beaucoup à apprendre de leurs collègues d’autres pays, et ils peuvent tirer profit de l’étude des procédures électorales de ces pays », pour améliorer la sécurité de leurs élections. (6)

Le plus mauvais système électoral de toutes les démocraties

En 2012, Richard Hasen, professeur de sciences politiques, expert en droit électoral, directeur du Safeguarding Democracy Project (Programme de sauvegarde de la démocratie) à la faculté de droit de l’Université de Californie (UCLA School of Law), rendait un verdict similaire : « Je ne pense pas qu’il existe une démocratie mature dont le système électoral soit aussi mauvais que le nôtre ». (7)

 Les États-Unis, derniers de la classe

En 2017, des universitaires de l’Electoral Integrity Project (Programme sur l’intégrité électorale), spécialisés dans l’étude internationale comparative des élections, ont classé 28 États démocratiques selon la fiabilité de leurs systèmes électoraux, en utilisant des données relatives aux élections ayant eu lieu de 2000 à 2012. Le résultat a été sans appel : les États-Unis sont arrivés derniers, loin derrière les autres démocraties. (8)

La fraude électorale existe dans toutes les régions des États-Unis

Hans von Spakovsky, ancien membre de la Commission électorale fédérale (Federal Election Commission) et directeur de l’Election Law Reform Initiative (Initiative pour la réforme du droit électoral) de la Heritage Foundation, milite depuis des années en faveur du renforcement de la sécurité des élections américaines.

En 2012, il dressait un sombre constat : « La fraude électorale, qu’il s’agisse d’inscriptions frauduleuses sur les listes électorales, de bulletins de vote par correspondance illégaux, d’achats de voix, de recomptes douteux ou de bourrage des urnes à l’ancienne, peut être constatée dans toutes les régions des États-Unis. » (9)

En 2021, il revenait à la charge, et publiait une liste de mesures à mettre d’urgence en œuvre, pour contrer les fraudes électorales :

– tenir à jour des listes électorales exactes ;
– exiger une pièce d’identité avec photo pour voter en personne et par correspondance ;
– permettre aux observateurs électoraux d’avoir accès au dépouillement des bulletins, sans restriction ;
– interdire le dépouillement des bulletins de vote anticipé avant le jour du scrutin ;
– interdire que les machines à voter électroniques soient connectées à Internet et qu’elles soit dotées d’un modem ;
– empêcher les responsables électoraux et les élus de l’exécutif de modifier les lois électorales juste avant un scrutin ;
– interdire aux responsables électoraux de recevoir des fonds privés pour financer l’organisation d’une élection. (10)

Les nombreuses déficiences du système électoral américain

L’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) possède une agence chargée de surveiller les élections chez ses États membres, signataires de la Déclaration de Copenhague. (11) Cette agence, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) (Office for Democratic Institutions and Human Rights, ODIHR), envoie des observateurs internationaux aux États-Unis, tous les deux ans, lors des élections présidentielles et des élections de mi-mandat. Dans leur rapport final sur les élections américaines de mi-mandat de 2022, les observateurs de l’OSCE identifient 31 déficiences du système électoral américain, dont 13 graves. Parmi elles : le tracé des circonscriptions, le financement des campagnes électorales, l’administration des élections, l’identification des électeurs, les listes électorales, les demandes par internet de bulletins de vote par correspondance, les observateurs électoraux, la publication des résultats, la vérification des résultats par des audits, la certification des machines à voter électroniques, le vote par correspondance, les lois électorales. (12)

Comme on le constate, de nombreuses étapes vitales du processus électoral des États-Unis sont gangrenées par des déficiences.

La fraude électorale est un phénomène réel

Pour les spécialistes des élections que nous avons cités, la fraude électorale est donc un phénomène réel, qui doit être combattu – pas une faribole ni une chimère, comme les grands médias américains voudraient le faire croire. Et leur verdict est clair : le système électoral américain est le pire de tous les États démocratiques – il est même tellement mauvais qu’il est indigne d’un État qui se prétend démocratique. Mais tout le monde se rappelle que, après l’élection présidentielle controversée de 2020, les agences fédérales, les responsables électoraux et les grands médias avaient ouvert le parapluie et répété en boucle que cette élection avait été « la plus sûre de toute l’Histoire ».

Pendant ce temps, loin des dénégations bruyantes des grands médias, la justice américaine poursuit patiemment sa tâche, sans bruit, sans éclat, et condamne avec régularité des tricheurs, coupables de fraudes électorales commises pendant les élections passées, y compris pendant celle de 2020, comme nous le verrons plus loin.

Dans notre prochain article, nous explorerons les bases de données sur les fraudes électorales ayant été l’objet de poursuites judiciaires et de condamnations.

>> A suivre <<


Notes

1) Joseph P. Harris, Election Administration in the United States, Brookings Institution, 1934, p. 1.

2) « President Carter Tries Hand at Fiction », Interview of Jimmy Carter by Terri Gross, Fresh Air, NPR, October 21, 2004, 4’24″–4’56 ».

https://freshairarchive.org/segments/president-carter-tries-hand-fiction

3) « Building Confidence in U.S. Elections: Report of the Commission on Federal Election Reform », September 2005, p. 18.

https://www.eac.gov/sites/default/files/eac_assets/1/6/Exhibit%20M.PDF

4) Brigalia Bam, entretien avec Andrew Gumbel, septembre 2004, cité dans :

Andrew Gumbel, Down for the Count: Dirty Elections and the Rotten History of Democracy in America, New Press, 2016, p. 3.

5) Brad Friedman, « Exclusive: First Bush-Appointed Chair Of U.S. Election Assistance Commission Says ‘No Standards’ For E-Voting Devices, System ‘Ripe For Stealing Elections’! », BradBlog, October 17, 2006.

https://bradblog.com/?p=3491

6) R. Michael Alvarez, Thad E. Hall and Susan D. Hyde, Election Fraud: Detecting and Deterring Electoral Manipulation, Brookings Institution Press, 2009, p. 239.

7) Natasha Khan and Corbin Carson, « Election-fraud not as common as recent voter ID laws suggest », Center for Public Integrity, August 13, 2012.

https://publicintegrity.org/politics/election-fraud-not-as-common-as-recent-voter-id-laws-suggest/

8) Données provenant des rapports du Varieties of Democracy Project (Programme sur les variétés de démocratie), publiés par le V-Dem Institute (Université de Göteborg, Suède), citées dans :

Pippa Norris, Holly Ann Garnett and Max Grömping, « Perceptions of Electoral Integrity: The 2016 American Presidential Election », Electoral Integrity Project, January 2017, p. 7.

https://www.dropbox.com/s/3l45d146f7yojqg/PEI-US-2016%20Report.pdf

9) John Fund and Hans von Spakovsky, Who’s Counting: How Fraudsters and Bureaucrats Put Your Vote at Risk, Encounter Books, 2012, p. 7.

10) John Fund and Hans von Spakovsky, Our Broken Elections: How the Left Changed the Way You Vote, Encounter Books, 2021, « Chapter 12: How to Fix the Flaws in Our Election Process ».

11) La Déclaration de Copenhague est un document adopté par les pays membres de l’OSCE, en juin 1990, à Copenhague, qui contient des engagements spécifiques en matière d’élections (transparence, fiabilité, protection).

12) « United States of America, Mid-Term Congressional Elections, 8 November 2022: ODIHR Limited Election Observation Mission, Final Report », 9 May 2023, pp. 43-46.

https://www.osce.org/odihr/elections/usa/543015

«L’affaire Philippine dérange l’extrême gauche»

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Une centaine de manifestants étaient réunis place Denfert-Rochereau au pied du lion de Belfort, dimanche 29 septembre. DR.

La presse de gauche accuse la droite de récupérer l’affaire Philippine. Un recueillement organisé par la députée de la huitième circonscription de l’Isère Hanane Mansouri a été perturbé. Ailleurs, des affiches ont été déchirées. Réunis place Denfert-Rochereau dimanche, les militants de droite se souviennent que leurs adversaires n’étaient pas aussi délicats lors de l’affaire Nahel. Nous sommes allés à leur rencontre.


La place Denfert-Rochereau et son lion, souvenir de la ténacité des Français face aux Prussiens sur la place forte de Belfort en 1870, semble devenue le lieu symbolique de la résistance française. Le jeudi 20 octobre 2022, il y a deux ans, l’Institut pour la Justice y avait organisé un hommage à la jeune Lola. Ce dimanche, plusieurs centaines de manifestants ont répondu à l’appel du collectif Némésis pour une manifestation d’hommage à Philippine. « Féministe et identitaire », le collectif lancé en 2019 mène des actions de sensibilisation sur les violences faites aux femmes et dénonce « l’impact dangereux de l’immigration de masse sur les femmes occidentales ».

Au micro, la présidente du collectif, Alice Cordier, insiste sur le caractère mémoriel de la manifestation et demande aux militants politiques présents d’éviter tout slogan qui contreviendrait aux mots d’ordre des organisateurs ou de retirer leurs cagoules. Elle prévient : « Vous seriez sinon expulsés manu militari ». Message également adressé aux « antifa » qui seraient éventuellement infiltrés dans la manifestation : le service d’ordre évacuera tout perturbateur…

« Cette affaire dérange l’extrême gauche »

La vigilance est de mise, car on craint des perturbations ou des manœuvres d’intimidation de militants de gauche. Hanane Mansouri, député ciottiste de 23 ans, élue dans la 8e circonscription de l’Isère, a vu son hommage interrompu par des agitateurs la veille. « J’ai lancé un appel sur les réseaux sociaux pour organiser un rassemblement en hommage à Philippine. Mais un comité d’accueil était là quand je suis arrivée. On voyait des masques, des chèches… J’ai fait une petite prise de parole pour introduire la minute de silence. Ils ont commencé à crier des slogans anti-fascistes. Ils avaient battu le rappel et étaient assez nombreux », nous raconte la députée.

Parmi les agitateurs, des candidats, militants et collaborateurs de la France Insoumise auraient été identifiés via recoupements sur les réseaux sociaux. « L’affaire de Philippine les dérange beaucoup. Ni le profil de la victime, ni le profil de l’agresseur ne les arrangent, alors ils préfèrent nous faire taire. » Comment vont réagir les députés du groupe UDR à l’Assemblée ? « Il y a eu Lola et Mathis… On ne peut pas s’indigner tous les six mois. On va en discuter en réunion de groupes et décider d’éventuelles actions législatives. Je vais solliciter Bruno Retailleau sur la question et voir quelles actions il souhaite mettre en place », assure la députée. Ces tentatives d’intimidation de l’extrême gauche reviennent dans les discussions des manifestants rencontrés. Une vieille dame en manteau de fourrure rejoint un groupe d’amis et estime qu’il faut relire le « deuxième discours de Soljenitsyne » (Le déclin du courage NDLR). Une autre s’étonne que l’on cantonne la manifestation aux abords de la place, s’indigne que « l’on se laisse faire », et en conclut avec une pointe de dépit que « la droite ne fait pas peur ».

La droite accusée de récupérer l’affaire

Au micro, les responsables du collectif dénoncent « le laxisme de la justice », la non-exécution des OQTF, et égrènent de multiples exemples de violences et d’agressions. Certaines formules font mouche : « nous pouvons mourir pour un regard ou une cigarette », lance par exemple la responsable avant d’être copieusement applaudie. Comme l’est aussi la présence de Florian Philippot et du sénateur Stéphane Ravier. Et comme sont sifflés Didier Migaud, pour ses déclarations contestant le laxisme de la justice, Éric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux précédent, ou Sandrine Rousseau qui s’était empressée de dénoncer la récupération politique par « l’extrême droite » de l’affaire.

A lire aussi, Gabriel Robin: Affaire Philippine: Comment le suspect Taha O. s’est-il retrouvé dans la nature?

La présidente de l’UNI Sciences-Po, dont les affiches rendant hommage à Philippine dans le hall de l’institut ont été arrachées par des adversaires politiques, est venue sur la tribune dénoncer « l’impunité que l’administration de Sciences po » réserve à ce type d’action.

Deux femmes venues de banlieue avec des pancartes maison sur lesquelles on peut lire « violeurs étrangers : dehors ».

Deux femmes, Nathalie et Nathalie, venues de banlieue, ont amené avec elle des pancartes maison virulentes sur lesquelles on peut lire : « Violeurs étrangers, dehors ». L’une assure : « Même dans ma maison de campagne au cœur de la Bretagne, on dispatche des migrants », et sa comparse de surenchérir sans s’embarrasser de nuances : « C’est proportionnel, plus on trouve de migrants, plus on trouve d’insécurité » estime-t-elle. Philippe, un professeur de musique dans un collège public d’Asnières, s’il regrette qu’une partie de ses collègues restent « aveuglés par leur engagement politique », constate toutefois une prise de conscience politique dans le monde enseignant.

Des témoignages de victimes

Au-delà des discours entendus, finalement assez politiques, le ton se voulait intimiste. Némésis a rappelé sa spécificité : c’est un collectif de femmes, de mères qui entendent protéger leurs filles, leurs sœurs, leurs amies. Aussi, des victimes ou membres de familles de victimes de violence, invités par le collectif, sont venus au micro pour raconter des récits souvent poignants. Claire Géromini dit « comparer son histoire à celle de Philippine » ; la jeune femme a été agressée le 11 novembre 2023 par un migrant centrafricain faisant aussi l’objet d’une OQTF. Elle raconte un viol brutal de trente minutes et les violences barbares dont elle a fait l’objet. Marius Larrivé, dont la grand-mère Berthe Picot, nonagénaire, a été violée par un clandestin sous OQFT, détaille les défaillances du système judiciaire. Il indique avoir dû laver lui-même la mare de sang dans laquelle avait été laissée sa grand-mère après avoir attendu en vain l’entreprise de nettoyage dépêchée par le tribunal. En adressant un message de fraternité et de sympathie à la famille de Philippine, les témoins insistent aussi sur la nécessité de « réparer les vies brisées » ; si l’heure n’était pas aux marches blanches, aux bougies, aux cœurs… le propos restait donc malgré tout empathique. Les discours ont d’ailleurs souvent été interrompus par les larmes des intervenants.

A la tribune, des membres de familles de victimes ont pu communiquer leur émotion.

Le courage de la vérité, planche de salut pour Michel Barnier

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Le Premier ministre Michel Barnier à Macon, 28 septembre 2024 © Romain Doucelin/SIPA

Jamais l’urgence de dire l’effrayante vérité de l’état du pays n’a été aussi pressante. Michel Barnier prononcera sa déclaration de politique générale demain à l’Assemblée nationale.


L’Etat est dans un sale état. Ses mensonges officiels ne suffisent plus à dissimuler les désastres qui s’enchaînent. Ils l’obligent à se confronter à ses fautes. Emmanuel Macron est en première ligne, pour avoir poursuivi avec zèle une politique détachée des réalités depuis cinquante ans. Le chef de l’Etat ne résistera plus longtemps aux épreuves de vérité que va devoir affronter le gouvernement, né fragilement d’une colère étouffée. La chute prévisible du vieux monde déraciné sera aussi celle d’une classe politique moutonnière, globalement discréditée.

Le meurtre de Philippine de Carlan, 19 ans, violée et assassinée par Taha Oualidat, jeune Marocain récidiviste sous Obligation de quitter le territoire (OQTF), est le produit tragique d’une chaîne d’irresponsabilités allant du législateur aux juges. La dette publique effarante (3230 milliards d’euros), laissée à Michel Barnier par le flambard Bruno Le Maire, est une autre conséquence de la fuite en avant d’une caste allergique au bon sens et à l’auto-critique. L’angélisme, qui a fermé les yeux sur l’islamisation de la communauté musulmane massivement immigrée, s’ajoute aux défaillances des dirigeants. Dans ce grand effondrement qui fait tomber la France, la déclaration de politique générale du Premier ministre, mardi, gagnerait à dire les choses dans la transparence – la glasnost – qui fit s’effondrer le régime soviétique et son monde parallèle. En 1981, Ronald Reagan lança sa révolution conservatrice avec son fameux : « L’État n’est pas la solution à notre problème ; l’Etat est le problème ». Barnier osera-t-il être le procureur d’un État failli, qu’il a malgré tout avalisé? Ce serait-là son meilleur rôle devant l’histoire.

Le monde politique va devoir rendre des comptes. Et les « progressistes » plus que les autres. En effet, ils sont à la source des aveuglements idéologiques sur le déclin national. La manière dont la presse de gauche, majoritaire, a tenté de délégitimer l’émotion française après le meurtre de Philippine rappelle son professionnalisme dans l’occultation des faits. Parce que le meurtrier est Marocain et sa victime catholique pratiquante, des portraits de Philippine ont été arrachés à Sciences Po-Lyon ou à l’université de Grenoble. Les promoteurs de la diversité ont accusé de racisme ceux qui ont rappelé le statut d’expulsable de l’assassin. Naguère, le discours dominant avait tenté de taire les agressions sexuelles commises par des Maghrébins, à Cologne et ailleurs, sur des femmes allemandes lors du nouvel an de 2016. Une même omerta avait couvert les viols de jeunes blanches par des réseaux pakistanais en Grande-Bretagne. Samedi, lors des obsèques de Philippine en la cathédrale Saint-Louis de Versailles, en présence de près de 3000 personnes, un participant interrogé par Le Figaro expliquait : « Quand Nahel est mort, ils ont fait des émeutes dans tout le pays. Nous on allume des bougies. Qu’est-ce qu’on attend pour faire la révolte nous aussi ». Dimanche, à Paris, seules quelques centaines de personnes se sont rassemblées pour rendre hommage à la victime et dénoncer « le laxisme migratoire ». « Il faut renverser la table en sa mémoire », a déclaré hier dans Le Journal du Dimanche Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, en ajoutant : « Je me suis juré de dire la vérité aux Français de façon brutale ». Déjà, en 2017, François Fillon, candidat à la présidentielle, avait promis « le courage de la vérité » avant de tomber dans le traquenard judiciaire. Jamais l’urgence de dire les choses n’a été aussi pressante. Pour Barnier, sa planche de salut est sans doute à ce prix.

Vous avez dit juif?

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Le ministre délégué chargé de l'Europe Benjamin Haddad à Paris le 23 septembre, le chef de file de l'extrème gauche Jean-Luc Mélenchon à Mende le 28 septembre © Jacques Witt/SIPA / DR.

Jean-Luc Mélenchon suscite la polémique en attaquant Benjamin Haddad, ministre des Affaires européennes. Mais, rien ne permet d’affirmer que Mélenchon critique Haddad parce qu’il est juif.


Asseyez-vous, car je vais défendre notre général Tapioca national.

Dimanche, le site du JDD publie un article intitulé: « Ce ministre est… juif» : polémique après une déclaration de Jean-Luc Mélenchon sur le ministre Haddad. Je me dis alors que si Mélenchon en est à dénoncer des juifs, il a franchi un cran.

Dire de quelqu’un qu’il défend la politique de Netanyahou n’est pas infamant

A Mende (48), samedi, il s’est en effet déchaîné contre Benjamin Haddad : « Il est acquis à la politique de Netanyahu. Si l’Europe décidait de ne plus livrer d’armes européennes, la guerre s’arrêterait. » Étonnamment, Gérard Araud, diplomate, ancien ambassadeur aux Etats-Unis et en Israël, qui n’est pas du tout un défenseur inconditionnel d’Israël, dégaine un tweet assez virulent : « Pour dire clairement ce que vous sous-entendez, ce ministre est… juif. C’est indigne. »

Ce message a déclenché une salve nourrie des Insoumis et crypto-insoumis. Mélenchon ironise sur « l’escroquerie médiatique permanente « Mélenchon a dit » ce qu’il n’a pas dit »

Désolée, ils ont raison. Mélenchon n’a pas parlé de juifs dans son discours. Et dans la macronie, Benjamin Haddad est certainement celui qui soutient le plus le droit d’Israël à se défendre. À raison, à mon avis, et il est d’ailleurs regrettable que le président Macron ne le fasse pas aussi et que ce ne soit pas la position française. Alors, Benjamin Haddad est sans doute moins acquis à Netanyahou que Mélenchon à Chavez et Maduro, peut-être que cet «acquis à» dans le discours du leader des Insoumis est exagéré, mais ce n’est ni faux ni infâmant.

Mais les Insoumis usent d’un double langage, me dira-t-on

Certes, quand M. Mélenchon parle des « petits fours du CRIF », l’allusion est transparente. Quand il trouve l’antisémitisme « résiduel », a minima il montre clairement qu’il s’en fiche. De plus, la ligne des Insoumis confère depuis plusieurs années une sorte de légitimité politique à l’antisémitisme des banlieues.

Pour autant, rien ne permet d’affirmer que M. Mélenchon critique M. Haddad parce qu’il est juif. Peut-être est-ce vrai, mais le doute doit profiter à l’accusé. Les Insoumis sont eux-mêmes experts en manipulations des propos de leurs adversaires et en calomnies ; ils accusent tous leurs adversaires de racisme et d’islamophobie sans jamais étayer leur propos. Dans le registre grotesque, le député Antoine Léaument vient de voir dans la veste Helly Hansen (siglée HH) de Julien Odoul (RN) le message caché « Heil Hitler »… Bref, les Insoumis passent leur temps à se battre en-dessous de la ceinture. Et ça marche, puisque des gens croient que CNews est raciste, et X ou Y fachos. Mais ce n’est pas une raison pour faire comme eux. Jean-Luc Mélenchon profère assez d’insanités politiques, attaquons ce qu’il dit plutôt que ce qu’il ne dit pas. Le débat public ne peut pas se réduire à la police des arrière-pensées.

Je persiste à croire que, dans le combat idéologique, les vainqueurs sont ceux qui se battent à la loyale.

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Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Jean-Jacques Bourdin dans la matinale

« Le Syndrome de l’Orangerie», de Grégoire Bouillier : combien de cadavres sous les fleurs?

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Giverny. DR.

Regarder un tableau, affirme notre chroniqueur, ne consiste pas à se contenter d’observer sa surface : il faut s’immerger dans la profondeur de ce qui paraissait une œuvre en deux dimensions, et qui en a bien d’autres — comme un livre.


Allons, ne boudons pas notre plaisir : j’ai lu le meilleur livre de cette rentrée d’automne 2024, et il s’intitule Le Syndrome de l’Orangerie, de Grégoire Bouillier.

Que ce soit seul, un jour de pluie, ou pour accompagner votre cousine de province, avide de découvrir en deux jours toutes les curiosités de la capitale, vous êtes peut-être entrés, déjà, dans le Pavillon de l’Orangerie, tout au bout des Tuileries, côté Seine.
Dans le sous-sol ont été mis en place les panneaux des Nymphéas, peints tout spécialement pour ce lieu en 1914-1918 (oui, la date n’est pas un hasard !) par Claude Monet, et offertes par le peintre à l’Etat français. Avec le soutien sans faille de Georges Clemenceau, ami fidèle de l’artiste.

Le double de Bouillier donc s’y retrouve un beau jour, et il est saisi, devant ces immenses toiles, d’un malaise profond :
« Que s’était-il passé lors de la visite de l’Orangerie ? Qu’avais-je vu ? »
L’italique n’est pas fortuit. On peut regarder sans voir réellement. Sherlock Holmes le reproche sans cesse à Watson. Eh bien c’est à une enquête éminemment holmesienne que nous convie Bouillier. Un suspense ébouriffant.

On parle d’un « syndrome de Stendhal » pour désigner les éblouissements, voire les évanouissements de l’auteur du Rouge et le noir devant certaines toiles, ou à l’écoute de musiques sublimes : l’excès de beauté anéantit notre capacité de perception et d’analyse. Ici, c’est le sentiment d’une mort camouflée qui prend le narrateur aux tripes. Quelque chose se dissimule derrière ces flaques d’un vert douteux, derrière ces fleurs suspectes. Ce ne sont pas de simples panneaux peints, c’est une scène de crime.

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C’est donc à une enquête en profondeur (j’insiste sur ce point : une grande œuvre ne se donne pas immédiatement au premier coup d’œil, elle demande à être explorée, fouillée, autopsiée) que se livre l’auteur. Une enquête qui le mène (et qu’est-ce qu’un lecteur attentif, sinon justement un fin limier ?) de Paris à Giverny en passant par Auschwitz.

Parce qu’il n’y a pas qu’un seul cadavre enfoui sous ces nymphéas — et d’ailleurs, pourquoi des nymphéas ? Parce que Monet en avait planté sur les pièces d’eau de sa propriété normande de Giverny, tout à côté de Vernon ? Des milliers de touristes étrangers font le déplacement, vous pouvez vous y risquer, non ?
Explication un peu courte. Il y a sous ces fleurs suspectes (saviez-vous qu’une décoction de racines de nymphéas éteint l’ardeur sexuelle ?) les millions de morts de la Grande Guerre (sous les fleurs ? Vous êtes sûr ?). Et tous les deuils intimes de l’artiste — mais je n’en dirai pas plus, sachez seulement que cette salle double de l’Orangerie, qui ressemble à une paire de lunettes, à une grotte primitive où se serait exprimé un artiste pariétal, ou à un combiné vagin / utérus, est un immense Tombeau — au sens que l’on donne en littérature à ces œuvres qui célèbrent un ami ou une amante disparus…

L’enquête touche aussi bien à la vie intime du peintre qu’à celle de sa Belle Epoque — sinistre à bien des égards, puisqu’après tout elle s’est achevée sur un bain de sang d’une ampleur jamais vue. Elle ressuscite Camille, la première épouse du peintre, ou son fils, ou sa mère, ou toutes les disparitions qui jalonnent votre existence quand vous vous acharnez à rester en vie tandis que les autres se fondent dans une absence épaisse. Ce que le soleil révèle, dans ses chatoiements sur ces pièces d’eau, c’est la part de nuit qui nous habite — et de plus en plus lorsque l’on prend de l’âge, et que l’on court derrière ses amis défunts, d’un cimetière à l’autre.

Bouillier, en nous apprenant à regarder vraiment, nous enseigne du même coup comment lire réellement : non pas déchiffrer laborieusement comme un député analphabète de LFI, mais comprendre tous les ressorts, les sortilèges enfouis, la machinerie littéraire qui distingue les grandes œuvres du fatras de papier imprimé qu’on appelle une rentrée littéraire.
Ce roman est une grande œuvre : non seulement il vous incite à la relecture de tout ce que vous avez aimé, mais il vous donne de précieux conseils sur ce dont vous devez tenir compte, le jour où la fantaisie vous viendra de peindre, de sculpter, de composer, ou d’écrire. Derrière les sortilèges d’une œuvre d’art se dissimule toujours la Bête — et dans le dernier chapitre, Bouillier nous livre son propre mystère, puisqu’après tout écrire consiste à faire ressortir l’impalpable, l’innommable, l’indicible — l’essentiel, en un mot.

Grégoire Bouillier, Le Syndrome de l’Orangerie, Flammarion, août 2024, 430 p.

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« Kaizen »: l’Everest, sa cohorte de prétendants et la philosophie des cimes

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Inès Benazzouz dit Inoxtag © Mathis Dumas

L’époque où la beauté des cimes était réservée à des initiés semble désormais révolue. L’influenceur Inoxtag mérite-t-il l’avalanche de critiques qui déferlent sur lui?


Jusqu’alors, la haute montagne, celle dont personne ne ressort vraiment indemne, était principalement associée aux noms de Maurice Herzog et de Louis Lachenal, qui mirent l’Anapurna à leurs pieds, de Roger Frison-Roche, aux romans écrits sur des lignes de crêtes, ou encore de Sir Edmund Hillary et de son sherpa, Tenzing Norgay, qui vainquirent l’Everest un jour de mai 1953. Elle était une affaire de sportifs aguerris et de spécialistes ; elle se parait de ce mystère dans lequel nous plongent le risque, les pentes raides, le froid et l’effroi ; surtout, elle nous emmenait dans un imaginaire appelant à la philosophie. 

Toujours plus loin, plus fort, plus vite, jusqu’au bout de l’extrême limite

Avec le succès dans les salles et en ligne de Kaizen, la montagne est un peu moins de tout cela et, au fond, c’est le principal des reproches que l’on devrait formuler au documentaire. Si les images donnent le vertige, autant par leur beauté que par la profondeur des crevasses, le récit est formaté pour une époque habituée à la dramatisation outrancière, aux coachings de vie, à la morale factice et l’exposition de soi – en l’occurrence, celle de l’auteur et principal acteur, l’influenceur Inoxtag.

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Celui-ci ne mérite pourtant pas l’avalanche de critiques qui déferlent sur lui : le jeune homme au cœur de l’action fut longtemps habitué à son canapé et féru de jeux vidéos avant de se trouver une auguste destinée en même temps qu’il décidait de gravir l’Everest. Plus de deux heures durant, on le voit s’entraîner, repousser ses limites, être transformé. Et forcément, cela ne plaît ni aux puristes ne pouvant souffrir qu’un non-initié devienne alpiniste en l’espace d’un an, ni aux féministes – ainsi en est-il du « il n’y a pas beaucoup de femmes dans le documentaire » de Léa Salamé – , ni aux prétentieux qui se pensent dépositaires de la nature immaculée.


Il ne nous empêchera toutefois pas de penser qu’il est des endroits qui jamais ne devraient être explorés, déflorés, piétinés, encore moins devenir des destinations prisées – nous dirions « touristiques » si nous n’avions autant de respect pour la dimension sportive de l’exploit. La cohorte se massant à quelques encablures du sommet transforme les toits échancrés du monde en estrades pour selfies et les voies célestes en autoroutes des vacances. Là, tout ne semble soudainement être qu’agitation, vanité et pollution, au lieu d’être calme, humilité et plénitude.

On peut aussi lire Sylvain Tesson et Roger Frison-Roche

Après avoir vu Kaizen, et fantasmé que chacun pouvait mettre l’Everest à sa porte, on se replonge, dans un réflexe presque pavlovien, au cœur des ouvrages de Sylvain Tesson qui écrivait par exemple, au détour de l’un de ses périples : « Je croyais m’aventurer dans la beauté, je me diluais dans la substance. Dans le Blanc tout s’annule, espoirs et regrets ». Ou dans les romans de Frison-Roche, dont Premier de cordée et La grande crevasse, pour beaucoup les premiers rendez-vous littéraires avec la grande aventure. 

A leur prêter une âme, les sommets altiers désireraient sans doute réserver leurs charmes impitoyables aux sages encore aptes à les contempler et la montagne souhaiterait peut-être être gravie par les téméraires en mesure de lui adresser des mots emplis de philosophie. Mais l’époque où la beauté était réservée aux happy few est désormais révolue. Et les terra incognita ne sont, de toute façon, plus de ce monde.